• Alors voilà, je ne sais pas quoi faire de cette affaire tant elle est visqueuse. Mais j’ai le sentiment que dans le périmètre d’intelligence de seenthis , ce sont des choses que l’on peut partager.

    Dimanche j’ai perdu un ami. Ce n’était pas un ami proche, mais il était quelqu’un que j’aimais beaucoup. Je l’ai vu deux ou trois fois en tout, nous avons beaucoup échangé par mail il y a une dizaine d’années et nettement moins ces derniers temps, non que nous étions fâchés, c’est juste que nous ne travallions plus dans les mêmes cercles. Par ailleurs cet ami était un écrivain, et plus exactement un putain d’écrivain. Dimanche soir, quand mon ami J. m’a appelé, elle était en pleurs, elle m’a dit je t’appelle parce que je sais que tu n’es pas sur Facebook ― ben non je suis sur le Facebook bio comme tout une chacun sait ici ― mais voilà Phil Rahmy est mort aujourd’hui. J’étais fauché.

    J’étais tout seul dans ma chambre, en train de travailler sur un texte que j’ai d’abord intitulé les Fantômes quand j’ai commencé à l’écrire. Maintenant cela s’appelle Frôlé par un V1 . Le 15 septembre j’ai croisé dans la rue à Montreuil l’actrice Romane Bohringer et le soir même en me connectant j’ai appris que l’acteur Harry Dean Stanton était mort ce jour-là aussi. Et je me suis interrogé de savoir pourquoi cela me faisait étrange à la fois d’avoir croisé une actrice dont je ne sais pas grand chose, je la connais surtout pour une raison anecdotique, elle est la sosie d’une amie proche, elle, et pourquoi j’étais ému à l’annonce de la disparition d’un acteur dont je connais en tout et pour tout, je crois, trois films, Paris, Texas de Wim Wenders, dont il est l’acteur principal, mais aussi deux petits rôles, un dans Missouri Breaks d’Arthur Penn et un dans Alien de Ridley Scott.

    Par jeu je me suis amusé à rechercher de mémoire toutes les personnes célèbres que j’avais fortuitement croisées, le plus ancien de ces croisements étant celui de Lino Ventura dans une boulangerie à Saint Cloud en 74. Et, puis, parallèlement, j’ai remonté le fil de la rubrique nécrologique du Monde , juste avant Harry Dean Stanton, il y avait le guitariste John Abercrombie, j’ai commencé à écrire en quoi certains de ces morts célèbres avaient eu une influence parfois décisive ou au contraire très anecdotique sur le cours de ma propre existence qui par ailleurs croisait de temps en temps des gens célèbres eux vivants. Bref, vous me connaissez j’étais lancé.

    Et à vrai dire je n’aimais pas tant que cela ce que j’étais en train de faire pour ce qui était de partir à la recherche des morts récents, parce qu’il y avait un plaisir presque mauvais à en trouver des intéressants, comme par exemple, au fur et à mesure que je remontais dans le temps, Pierre Boulez, Sam Shepard, Gerri Allen etc..., c’est un drôle de truc que de se connecter à la rubrique nécrologique du Monde, pas tous les matins mais presque, j’écris surtout le matin en me réveillant ou encore au travail quand l’open sapce est encore désert, et de remonter ce fil. Je me suis exhorté à faire vite, de ne remonter que jusqu’au 13 novembre 2015 qui était la date où moi-même j’avais failli y passer et de me dépêcher avant que d’autres morts n’adviennent. J’ai réussi à produire ce premier jet d’une bonne soixantaine de pages avec lequel je sais désormais qu’à force de le relire de le corriger et de l’augmenter, et de produire cette opération une douzaine de fois, je sais, intitivement que c’est bon, c’est dans la boîte comme on dit en photographie. Et par chance, aucune personnalité, même parmi celles dont je n’ignore pas qu’elles soient âgées, voire très âgées, aucune n’est morte entre-temps. D’ailleurs c’était vendredi que j’ai fermé le périmètre de cette narration, soulagé.

    Et puis dimanche. Phil. Mon ami Phil. Cet auteur incroyable. Cet homme invraisemblable. Auquel il m’arrive souvent de penser et qui venait juste de sortir un livre, les Monarques , que je n’ai pas encore lu mais que je vais m’empresser de commencer, le livre est là, sur ma table. Dimanche soir, je pleurais seul. A un moment les filles qui se sont croisées à la salle de bain s’en sont rendues compte et comme elles savent si bien le faire, elles m’ont consolé. Je leur ai parlé de Phil, de l’auteur, du poète et de l’homme, notamment de son humour inclassable. Phil, quand le mal qui le rongeait le lui permettait, parvenait à se lever de son fauteuil roulant, et ne manquait jamais une occasion de produire ce spectacle étonnant quand il croisait des religieux dans la rue, pour leur donner à croire à un miracle.

    Dimanche soir je suis allé rechercher cette photographie de Phil que j’aime bien. Il a une bonne tête dessus et puis j’adore cette idée de ce fond photographique en arrière-plan, à la fois on voit que c’est pour de faux, l’angle est tellement pas compatible, mais il y a une fausse hésitation. Comme dans les toutes premières photographies de Cindy Shermann.

    J’ai donc copié l’url de cette image et je l’ai collée dans seenthis. Non pas que c’était un mystère, mais je n’ai pas voulu inscrire son nom et encore moins ses dates de naissance et de décès, comme je le fais de tous le snoms propres de mon récit en cours, manquerait plus que ça. D’autant que je ne connaissais pas si bien que cela Phil. Je l’ai vu deux ou trois fois. Trois fois. Une fois je l’ai porté dans un escalier parce que l’ascenseur n’allait pas jusqu’au dernier étage où se tenait une réunion de remue.net. C’était un souvenir merveilleux entre nous. Une étreinte.

    Mon amie J. me dit que sur Facebook c’est la consternation, toutes et tous sont inconsolables. J’imagine. Ou plus exactement je crois que je ne préfère pas imaginer.

    Et puis ces derniers jours je suis retourné à mon travail. En plus de Frôlé par un V1 , je travaille sur deux autres textes en ce moment qui nécessitent que leurs fichiers de traitement de texte soient ouverts un peu à tout moment pour que je puisse y noter, ici, mes rêves le matin ou après la sieste, les Anguilles les mains mouillées , mais c’est plus rare, là les petits trios de Mon Oiseau bleu . Bref, l’ordinateur est ouvert en continu. Et avec lui le navigaeur dans lequel je recherche des dates, des noms de lieux pour Frôlé par un V1 que je tente de rendre le plus précis possible. Et en voulant faire un peu de ménage dans les onglets ce soir, je m’aperçois que je suis encore connecté sur la page des Disparitions du Monde . Nous sommes le 3 octobre, presque le 4. Ces derniers jours le Monde a remarqué que Samuel Newhouse était mort, le propriétaire de nombreux magazines américains dont ni vous ni moi n’avions jamais entendu parler avant cela et dont on se fout il faut bien le dire, ou encore que le créateur de Playboy était mort, ce dont vous et moi on se fout, mais d’une force, ou même encore que le guitariste Tom Petty, dont je ne sais plus si j’ai déjà entendu quoi que ce soit de lui, je n’ai aucun souvenir d’un nom de groupe dans lequel il aurait joué et je préfère ne pas m’encombrer la mémoire avec ce genre de choses mais je devine désormais depuis que j’ai suivi cette chronique des disparitions qu’elle doit être tenue par des gens de mon âge parce que le moindre petit bassiste ou batteur de je ne sais quel groupe des années septante et c’est deux ou trois chroniques.

    En revanche Le Monde n’a toujours pas l’air d’avoir remarqué que Phil Rahmy est mort. Parce qu’au Monde , personne qui y travaille, pas même une personne de sa rubrique littéraire n’a l’air de savoir qui est Phil Rahmy.

    Un immense écrivain.

    Et mon ami, mais ça on s’en fout un peu.

    • Cet article ou cette section traite d’une personne morte récemment (1er octobre 2017).

      Le texte peut changer fréquemment, n’est peut-être pas à jour et peut manquer de recul. N’hésitez pas à participer, en veillant à citer vos sources.

      Les biographies étant habituellement écrites au présent de narration, merci de ne pas mettre au passé les verbes qui sont actuellement au présent. Par ailleurs, dans une rédaction encyclopédique, il vaut mieux parler de la « mort » de quelqu’un que de son « décès ». Cette page fait le point sur cette pratique.
      La dernière modification de cette page a été faite le 3 octobre 2017 à 00:31.

      @reka comme tu vois non seulement la fiche existe, préexistait, mais en plus elle est dramatiquement à jour. Non en fait, même Libération a l’air de savoir qui était Phil Rahmy, mais le Monde, non.

      Au passage je découvre que Phil avait gagné le prix Wepler en 2013, non pas que ce soit l’indication de quoi que ce soit, je ne crois pas beaucoup à la valeur des prix littéraires, mais cela veut dire que même dans leur échelle de valeur à eux, au Monde, Phil Rahmy existait.

      Je crois que je vais surtout essayer de passer à autre chose, je me demande si je ne me sers pas de cela pour transférer ma colère, ce n’est pas forcément bon.

    • Mais oui, en fait, cette absence (de plus) du Monde montre (une fois de plus) l’étroitesse de leur univers mental. Ce journal n’avance plus, même si, comme dans les autres journaux, il y a des trucs bien (la série d’articles sur le Yémen par exemple), mais c’est beaucoup trop rare pour continuer à dire que c’est un média intéressant. Langage marketing, utilisation de vocabulaire rétrograde ou démodé, titraille putassière, société du spectacle qui prédomine largement sur l’information et la production du savoir, pratiques vraiment douteuses de leurs journalistes lors des enquêtes comme témoigné à plusieurs reprise par ces amies et connaissances proches ayant été victime, et bien souvent inculture crasse quand ils ignorent des pans entiers de connaissance et de recherche, je ne parle même pas de leur approche d’Internet et de la vacuité de leur décodeurs. Ici, c’est une affligeante lacune de plus.

  • Rêve érotique
    Déplaisant
    C’est possible

    Le vent du Nord
    Essaye de nouvelles choses
    Dans la vallée

    Plus
    De
    Café

    Le vent du Nord finit par faire
    N’importe quoi et nous envoie
    Tous les nuages de la Haute-Loire

    Le vent du Nord est froid
    Et m’oblige à fermer
    La fenêtre de ma chambre

    Rouge basque
    Rouge basque
    Rouge basque

    Ma cruralgie, j’aime bien le mot cruralgie
    Moins sa réalité, ma cruralgie
    S’est déplacée, à droite

    Ma cruralgie est passée
    De l’autre côté de la colonne
    Comme si au tampon de clonage

    Partie d’échecs sur le bord du lit
    Avec Émile qui doit déplacer mes pièces
    Il gagne sans effort par deux fois

    Émile sait désormais
    Remettre de l’essence dans le moteur
    Et changer le fil de la débroussailleuse !

    Patchs de chaleur
    Dans le bas du dos
    Remède souverain (merci Claude !)

    Tout d’un coup
    Je me lève
    Et je descends !

    Conseil de Sarah
    Attends avant de te remettre à peindre
    J’ai décidé d’écouter ma grande fille

    Mais le mal revient d’un coup
    Après seulement une demi-heure
    De répit relatif

    Mon opiniâtreté est proverbiale
    On pourrait parler d’entêtement
    Le mal, lui, a décidé qu’il était le plus fort

    Le soir discussion du soir avec Hanno
    Prends-toi un siège lui dis-je
    Depuis le bord de mon lit

    Nous nous remémorons l’été 96
    Et tous les musiciens et leurs instruments
    Qui peuplaient la maison. Jeunes

    Cinq minutes pour taper
    Deux poèmes l’ordinateur
    En équilibre sur le ventre

    Toutes proportions mal gardées
    Je pense aux SMS de la cloison
    De l’ami Phil Rahmy, comment a-t-il pu ?

    Je n’ai plus pour spectacle
    Que le passage des nuages, couché
    Ma gratitude envers le vent du Nord

    Pas une position
    Qui n’apporte son lot
    De douleurs

    Autour de moi, la maison s’agite
    Comme un bateau sans capitaine
    Par grand vent (du Nord)

    Dans la nuit un livre
    M’a tenu compagnie
    L’Ouzbèk muet

    L’Ouzbèk muet
    Version chilienne
    De l’Organisation de Rolin

    #mon_oiseau_bleu