#à_nos_amis

    • L’échec du mouvement français de lutte contre la réforme des retraites de l’automne 2010 nous en aura administré l’âpre leçon : si la CGT a eu la haute main sur toute la lutte, c’est en vertu de notre insuffisance sur ce plan-là. Il lui aura suffi de faire du blocage des raffineries, secteur où elle est hégémonique, le centre de gravité du mouvement. Il lui était par la suite loisible à tout moment de siffler la fin de partie, en rouvrant les vannes des raffineries et en desserrant ainsi toute pression sur le pays. Ce qui alors a manqué au mouvement, c’est justement une connaissance minimale du fonctionnement matériel de ce monde, connaissance qui se trouve dispersée entre les mains des ouvriers, concentrée dans le crâne d’œuf de quelques ingénieurs et certainement mise en commun, du côté adverse, dans quelque obscure instance militaire. Si l’on avait su briser l’approvisionnement en lacrymogènes de la police, ou si l’on avait su interrompre une journée la propagande télévisuelle, si l’on avait su priver les autorités d’électricité, on peut être sûr que les choses n’auraient pas fini si piteusement. Il faut au reste considérer que la principale défaite politique du mouvement aura été d’abandonner à l’état, sous la forme de réquisitions préfectorales, la prérogative stratégique de déterminer qui aurait de l’essence et qui en serait privé.

    • Exactement, @rastapopoulos : despotisme hydraulique à deux étage par la CGT. Elle détient la source de l’énergie et aussi la capacité de bloquer et donc de débloquer cette ressource. Sur Toulouse, les manifestants — bien informés — avaient bloqué une des plus grandes plateformes de distribution de la région. Du coup, toute l’appro des hypers était bloquée alors que cela se fait toujours ne flux tendu.
      Je pense qu’on pouvait gagner en moins de 5 jours…

    • « Le mouvement ouvrier n’a pas été vaincu par le capitalisme, mais par la démocratie », disait Mario Tronti. Il a aussi été vaincu pour n’avoir pas réussi à s’approprier l’essentiel de la puissance ouvrière. Ce qui fait l’ouvrier, ce n’est pas son exploitation par un patron, qu’il partage avec n’importe quel autre salarié. Ce qui fait positivement l’ouvrier, c’est sa maîtrise technique, incarnée, d’un monde de production particulier. Il y a là une inclination à la fois savante et populaire, une connaissance passionnée qui faisait la richesse propre du monde ouvrier avant que le capital, s’avisant du danger contenu là et non sans avoir préalablement sucé toute cette connaissance, ne décide de faire des ouvriers des opérateurs, des surveillants et des agents d’entretien des machines. Mais même là, la puissance ouvrière demeure : qui sait faire fonctionner un système sait aussi le saboter efficacement. Or nul ne peut individuellement maîtriser l’ensemble des techniques qui permettent au système actuel de se reproduire. Cela, seule une force collective le peut. Construire une force révolutionnaire, aujourd’hui, c’est justement cela : articuler tous les mondes et toutes les techniques révolutionnairement nécessaires, agréger toute l’intelligence technique en une force historique et non en un système de gouvernement.

    • C’est ce passage que je trouve le plus intéressant :

      Ce n’est pas la faiblesse des luttes qui explique l’évanouissement de toute perspective révolutionnaire ; c’est l’absence de perspective révolutionnaire crédible qui explique la faiblesse des luttes. Obsédés que nous sommes par une idée politique de la révolution, nous avons négligé sa dimension technique. Une perspective révolutionnaire ne porte plus sur la réorganisation institutionnelle de la société, mais sur la configuration technique des mondes. En tant que telle, c’est une ligne tracée dans le présent, non une image flottant dans l’avenir. Si nous voulons recouvrer une perspective, il nous faudra coupler le constat diffus que ce monde ne peut plus durer avec le désir d’en bâtir un meilleur. Car si ce monde se maintient, c’est d’abord par la dépendance matérielle où chacun est, pour sa simple survie, vis-à-vis du bon fonctionnement général de la machine sociale. Il nous faut disposer d’une connaissance technique approfondie de l’organisation de ce monde ; une connaissance qui permette à la fois de mettre hors d’usage les structures dominantes et de nous réserver le temps nécessaire à l’organisation d’un décrochage matériel et politique par rapport au cours général de la catastrophe, décrochage qui ne soit pas hanté par le spectre de la pénurie, par l’urgence de la survie. Pour dire cela platement : tant que nous ne saurons pas comment nous passer des centrales nucléaires et que les démanteler sera un business pour ceux qui les veulent éternelles, aspirer à l’abolition de l’état continuera de faire sourire ; tant que la perspective d’un soulèvement populaire signi era pénurie certaine de soins, de nourriture ou d’énergie, il n’y aura pas de mouvement de masse décidé.

      Je ne suis pas tout à fait d’accord, ce n’est pas qu’un problème technique à court terme. Pour moi le problème est aussi dans la motivation profonde. Les idéaux de gauche ont été tellement éreintés ces dernières années, le peuple de gauche est tellement meurtri, dépité qu’il manque le souffle, l’espoir, l’envie qui transcende. Il manque cet espoir et cette confiance qui galvanise, qui fait que tu es prêt aux sacrifice, à faire une croix sur toutes tes addictions et dépendances matérielles, sur ton filet de survie comme sur ton petit confort..
      être de gauche par définition, c’est avoir du mal à faire machine arrière. Il nous manque cette perspective pour aller de l’avant, pour sortir du libéralisme sans faire marche arrière..

  • Interview assez surréaliste (et qui verse quand même un poil dans la pédanterie, même si on peut comprendre l’idée de l’usage de la citation pour porter une parole collective) du Comité invisible, à l’occasion de la traduction d’ A nos amis en allemand.

    Le Comité invisible donne (presque) une interview à un journal allemand - Rue89 - L’Obs

    http://rue89.nouvelobs.com/2015/04/27/comite-invisible-donne-presque-interview-a-journal-allemand-258865

    Depuis 2007, et malgré ses succès littéraires, le Comité invisible s’est toujours gardé d’apparaître publiquement ou de répondre à la moindre interview. Cette mise en retrait, au prétexte qu’ils ne seraient pas des « auteurs » mais une simple « instance d’énonciation stratégique pour le mouvement révolutionnaire », leur a cependant valu d’être la cible d’une des plus ahurissantes enquête de police de ces dernières décennies.

    Making of
    Sept ans après la publication de « L’Insurrection qui vient », le Comité invisible a signé cet automne un nouvel ouvrage, « A nos amis ». L’interview (très référencée...) accordée à Die Zeit est la seule prise de position publique du groupe à ce jour, en dehors de ses livres. Le site Lundi matin, lancé en décembre, nous a aimablement autorisés à republier la version française. Le titre et les liens ont été choisis par la rédaction. Rue89

    Certains s’en souviendront, Michelle Alliot-Marie, ministre de l’Intérieur, s’était ridiculisée en commanditant une improbable opération antiterroriste contre une commune de Corrèze. Malgré de nombreuses années d’enquête et l’audition du directeur de leur maison d’édition, l’élite de la police française n’est pas parvenu à arrêter ces « scribes » et dû relâcher l’un de leurs plus éloquents lecteurs, Julien Coupat.

    Comme de nombreux confrères, Lundi matin avait déjà fait parvenir une demande d’interview aux éditions La Fabrique, en vain.

    C’est donc à notre plus grand surprise, alors que nous consultions négligemment la presse allemande, que nous découvrîmes dans l’édition de Die Ziet du jeudi 23 avril une interview du Comité invisible. C’est, semble-t-il, à l’occasion de la parution en allemand de « An Unsere Freunde » ( « A nos amis ») que les pages culture du journal sont parvenus à transmettre leurs questions.

    #comité_invisible #révolution #à_nos_amis

  • Les insurrections, finalement, sont venues. Exercice de critique collective d’« A nos amis » - Paris-luttes.info
    http://paris-luttes.info/les-insurrections-finalement-sont-2706

    ❝Le premier "atelier de #lecture à voix hautes" de la Bibliothèque autogérée de Malakoff (BAM) a porté sur le livre publié par le Comité Invisible.

    Seuls derrière nos écrans et nos murs, nous lisons les mêmes textes : l’isoloir démocratique fonctionne jusque dans nos pratiques de lecture. Les textes circulent sans que nous en parlions vraiment, ils ne sont le plus souvent discutés que de biais, par des ragots, des attaques ad hominem. Il y a, au contraire, tout à gagner à se saisir des #livres, ou des textes publiés sur internet, comme d’outils de rencontres. C’est bien ce à quoi invitait le titre d’#À_nos_amis, sur lequel a porté cette première tentative "d’atelier de lecture à voix hautes".

    (...) Par son emphase, c’est un livre qui cherche à produire une émotion, en employant un langage prophétique et globalisant. Vouloir susciter l’espoir et la combattivité est une chose, mais cela ne doit pas conduire à une occultation mystique de la question des rapports de force réels.(...) Pour une des personnes présentes, il y a là un saut qualitatif, une pensée neuve, en particulier autour de cette manière d’associer le terme de puissance à du sensible, de cet usage #politique de la notion de puissance sensible. Il faudrait entendre ici une forme de retour au concret de l’existence contre la froideur des idéologies politiques. D’autres font remarquer qu’il y a des appels au concret, à la présence, au sensible… qui peuvent eux-mêmes rester très abstraits. Bien plus, ce passage d’une grille de lecture politique à une grille de lecture éthique n’est-il pas le résultat d’une impuissance politique à transformer autre chose que sa propre vie ?
    (...)
    À vouloir élargir le champ, on peut avoir l’impression ici de perdre un peu pied, et de tout mélanger, quitte à recourir à des catégories massives quand même sacrément problématique, comme l’Occident. Il y a un effet de décollage philosophique qui est gênant si on attend de la #philosophie plutôt qu’un brusque envol vers la généralité une certaine précision dans l’usage des concepts et des catégories. C’est gênant parce qu’on perçoit bien qu’il y a quelque chose d’autre qu’une stratégie économique à décrire, il y a sans doute aussi son episteme, son arrière-plan existentiel si on veut, disons les formes de vie qui la sous-tendent et la rendent possible ; certes, mais tout ici est flouté : la crise ou l’Occident fonctionnent comme des jokers politiques auxquels on peut tout accoler (#crise économique, crise politique, mais aussi crise écologique, voire crise existentielle). On ne sait plus de quoi en parle, et surtout cette dispersion produit finalement une fâcheuse impression de dématérialisation, jusqu’à écrire : "La crise n’est pas économique, écologique ou politique, la crise est avant tout celle de la présence" [4]. Il semble qu’au nom de la présence se joue au contraire une montée en abstraction qui n’est pas maitrisée, et qui tend à faire passer au second plan les #phénomènes réels, matériels, d’expulsions de logement, de pertes d’emplois, de fermetures d’hôpitaux, etc. (...)

    #heideggeriens_de_gauche ;)

    • À propos de « À nos amis »
      http://dndf.org/?p=14409

      Ceci dit, soyons clairs sur un point : À nos amis ne manque pas de passages pertinents : par exemple la critique de l’humanisme de gauche (p. 33-34), de l’idéologie démocratiste/assembléeiste (p. 62-63), du pacifisme et de la posture radicale (p. 144-145). Mais ces morceaux critiques ne s’attaquent qu’à des idées : ils restent la plupart du temps sur le registre de la démystification édifiante et confortable, opposant simplement le vrai au faux – ce qui est tout à fait logique, car si l’économie comme objectivité, les rapports de production, les places assignées à ses agents, la structure différenciée du mode de production, etc. n’existent pas (ou n’existent plus), toute impasse et toute limite ne peuvent qu’être d’un ordre purement subjectif.

      De plus, la critique du milieu radical aux pp. 146-147 serait fort juste, si seulement elle était formulée de manière un tant soit peu auto-critique, ne serait-ce que parce que tous les points abordés – activisme gesticulatoire, culte de la performance, fixation identitaire, etc. – ont été alimentés et entretenus par le passé, de loin ou de près, par le Comité Invisible lui-même, dont nous savons que la modestie n’est pas sa principale qualité.

      Enfin, comme on l’a vu, les passages qui ont éveillé notre intérêt se trouvent malheuresement enfouis dans un bavardage irrépressible de propositions, proclamations, réflexions, références explicites ou implicites, citations, etc – toutes plus ou moins discutables, et reliés par un hyper-éclectisme vorace car incapable de trouver son centre aussi bien que le centre du monde qu’il s’efforce de critiquer. Le Comité Invisible passe aisément des « dévenirs révolutionnaires » de Deleuze (p. 44) à « la nausée » de Sartre (p. 30), de « l’enfer, c’est les autres » du même (ibid.) à la « déstruction créatrice » de Schumpeter (p. 23), de la « crise de la présence » d’Ernesto De Martino (p. 31) à la « guerre sainte » de René Daumal (p. 140), sans oublier Michel Foucault, Marshall Sahlins, Gregory Bateson, Giorgio Cesarano, le mystique anarchiste Gustav Landauer, ainsi que le bon vieux stalinien Gramsci et dieu sait combien d’autres, de façon qu’à peu près tout le monde puisse y trouver son compte… à condition de ne pas gratter sous la surface. On a même eu le droit au « parti dans son acception historique » de la lettre de Marx à Freiligrath, mais seulement pour se moquer de Marx et des « marxistes » (lequels ?) deux lignes après. Tout cela, d’ailleurs, se passe dans un petit bouquin de 200 pages en format A5, formellement bien écrit, et dans lequel la maîtrise du style péremptoire à la Debord est – bien évidemment – irréprochable. Nos auteurs, on doit le reconnaître, connaissent tellement bien le dossier, qu’ils pourraient se faire embaucher comme ghost writers chez monsieur Agamben. Mais attention, des logiciels peuvent déjà faire ça – ce qui en dit long sur le formalisme qui caractérise ce type de textes.

      #critique