• Épisode 3
    Surveillance made in France - Les mémos de la terreur
    Mardi 23 Novembre 2021
    https://egypt-papers.disclose.ngo/fr/chapter/surveillance-dassault

    (...) 65 000 opposants en prison

    Opposants politiques, journalistes, responsables d’ONG, homosexuels, grévistes… Depuis cinq ans, tous ceux qui ne pensent pas ou ne vivent pas selon les préceptes du régime militaire risquent la prison – près de 65 000 opposants croupiraient dans les geôles du régime, tandis que 3 000 autres auraient « disparu » après leur interpellation, selon le département d’Etat américain. Une répression sans précédent de la société civile égyptienne facilitée par un système de cybersurveillance massif installé par trois entreprises françaises, avec l’accord tacite des autorités.

    La première, baptisée Nexa Technologies, est dirigée par les fondateurs d’Amesys, une société accusée d’avoir fourni du matériel de surveillance à la dictature de Mouammar Kadhafi, en Libye. La deuxième, Ercom-Suneris – filiale de Thalès depuis 2019 – est connue pour sécuriser l’un des téléphones portables d’Emmanuel Macron. La troisième n’est autre que Dassault Systèmes, la filiale technologique du poids lourd de l’armement tricolore et constructeur de l’avion Rafale. Sollicités, Ercom-Suneris et Dassault Systèmes n’ont pas répondu à nos questions. (...)

    Episode 1 : Opération Sirli - Les mémos de la terreur
    https://seenthis.net/messages/937340

    Episode 2 Les mercenaires du ciel - Les mémos de la terreur
    https://seenthis.net/messages/937425
    #FranceEgypte

  • Faire du #logement_social un #bien_commun ? Regards vénézuéliens
    https://metropolitiques.eu/Faire-du-logement-social-un-bien-commun-Regards-venezueliens.html

    Peut-on faire du logement social un bien commun fondé sur une gestion participative ? Yaneira Wilson revient sur l’ambition et les ambiguïtés du grand programme pour le logement social lancé par Hugo Chávez au #Venezuela. De Hugo Chávez à la gouvernance actuelle de Nicolas Maduro, le Venezuela a engagé depuis 1999 un ensemble de réformes visant la création d’un « #socialisme du XXIe siècle ». Transformé, le pays a vu ses anciennes politiques publiques démantelées au profit de nouveaux dispositifs, les « #Terrains

    / bien commun, logement social, #architecture, socialisme, Venezuela, #Amérique_latine, #foncier, (...)

    #propriété
    https://metropolitiques.eu/IMG/pdf/met_wilson.pdf

  • Poland passes law allowing migrants to be pushed back at border

    Poland’s parliament on Thursday (14 October) passed a legal amendment allowing migrants to be pushed back at the border and for asylum claims made by those who entered illegally to be ignored.

    Lawmakers also gave the green light to a government plan to build a wall to prevent migrants from crossing the border from Belarus, a project estimated to cost €353 million.

    Thousands of migrants, most of them from the Middle East, have sought in recent months to cross from Belarus into Poland or fellow EU member states Latvia and Lithuania.

    Under the newly amended law, a foreigner stopped after crossing the Polish border illegally will be obliged to leave Polish territory and will be temporarily banned from entering the country for a period ranging from “six months to three years”.

    The Polish authorities will also have the right “to leave unexamined” an asylum application filed by a foreigner who is stopped immediately after illegally entering, unless they have arrived from a country where their “life and freedom are threatened”.

    Rights groups have already accused Poland of stopping migrants at the border and pushing them back into Belarus.

    Numerous NGOs have criticised Poland for imposing a state of emergency at the border, which prevents humanitarian organisations from helping migrants and prohibits access to all non-residents, including journalists.

    The law change came two days after a landmark ruling from Poland’s Constitutional Court challenged the primacy of European Union law — a key tenet of EU membership — by declaring important articles in the EU treaties “incompatible” with the Polish constitution.

    The ruling on a case brought by Poland’s right-wing populist government could threaten EU funding for Poland and is being seen as a possible first step to Poland leaving the European Union.

    Earlier Thursday Polish police said that another migrant had been found dead on the border with Belarus, bringing the number of people who have died along the European Union’s eastern border in recent months to seven.

    The European Union accuses Belarus of deliberately orchestrating the influx in retaliation against EU sanctions over the Moscow-backed regime’s crackdown on dissent.

    Last month the UN refugee agency and the International Organization for Migration said they were “shocked and dismayed” by the migrant deaths.

    “Groups of people have become stranded for weeks, unable to access any form of assistance, asylum or basic services,” they said in a statement.

    In August Christine Goyer, UNHCR representative in Poland, reminded Warsaw that “according to the 1951 Refugee Convention, to which Poland is signatory, people seeking asylum should never be penalised, even for irregular border crossing”.

    Polish PM berates EU

    In the meantime, Polish Prime Minister Mateusz Morawiecki accused EU institutions on Thursday of infringing on the rights of member states, as he prepared to present Warsaw’s position in a row over the rule of law next week before the European Parliament.

    “We are at a crucial moment, you could say at a crossroads in the EU’s history,” Morawiecki told the Polish parliament. “Democracy is being tested – how far will European nations retreat before this usurpation by some EU institutions.”

    Polish government spokesman Piotr Muller said Morawiecki would attend the European Parliament session in Strasbourg next Tuesday to present Poland’s position in the rule of law dispute.

    https://www.euractiv.com/section/justice-home-affairs/news/poland-passes-law-allowing-migrants-to-be-pushed-back-at-border

    #Pologne #asile #migrations #réfugiés #frontières #refoulement #refoulements #push-backs #loi #amendement #Biélorussie #Mateusz_Morawiecki #Morawiecki

    –-
    voir aussi la métaliste sur la situation à la frontière entre la #Pologne et la #Biélorussie (2021) :
    https://seenthis.net/messages/935860

    • Et il y a eu ce weekend une chasse aux migrants autour de la ville de Guben (Allemagne).
      « La ville de Guben est située dans la région de Basse-Lusace ; elle est traversée par la rivière Neisse et c’est la partie allemande de la ville historique ; l’autre partie est polonaise (Gubin). »

  • #Liberté_académique et #justice_sociale

    On assiste en #Amérique_du_Nord à une recomposition du paysage académique, qui met l’exercice des #libertés_universitaires aux prises avec des questions de justice sociale, liées, mais pas seulement, au militantisme « #woke », souvent mal compris. Publication du premier volet d’un entretien au long cours avec #Isabelle_Arseneau et #Arnaud_Bernadet, professeurs à l’Université McGill de Montréal.

    Alors que se multiplient en France les prises de position sur les #libertés_académiques – voir par exemple cette « défense et illustration » -, un débat à la fois vif et très nourri se développe au #Canada depuis plus d’un an, après que des universitaires ont dû faire face à des plaintes pour #racisme, parfois à des suspensions de leur contrat, en raison de l’utilisation pédagogique qu’ils avaient faite des mots « #nègre » ou « #sauvages ». Significativement, un sondage récent auprès des professeurs d’université du Québec indique qu’une majorité d’entre eux pratiquent diverses formes d’#autocensure. C’est dans ce contexte qu’Isabelle Arseneau et Arnaud Bernadet, professeurs au Département des littératures de langue française, de traduction et de création de l’Université McGill de Montréal, ont été conduits à intervenir activement dans le débat, au sein de leur #université, mais aussi par des prises de position publiques dans la presse et surtout par la rédaction d’un mémoire, solidement argumenté et très remarqué, qui a été soumis et présenté devant la Commission scientifique et technique indépendante sur la reconnaissance de la liberté académique dans le milieu universitaire.

    Initiée en février 2021 par le premier ministre du Québec, François Legault, cette commission a auditionné de nombreux acteurs, dont les contributions sont souvent de grande qualité. On peut télécharger ici le mémoire des deux universitaires et suivre leur audition grâce à ce lien (début à 5 :15 :00). La lecture du présent entretien peut éclairer et compléter aussi bien le mémoire que l’audition. En raison de sa longueur, je publie cet entretien en deux parties. La première partie est consacrée aux exemples concrets de remise en cause de la liberté de citer certains mots en contexte universitaire et traite des conséquences de ces pratiques sur les libertés académiques. Cette première partie intègre aussi une analyse critique de la tribune parue ce jour dans Le Devoir, co-signée par Blanquer et le ministre de l’Education du Québec, lesquels s’attaquent ensemble et de front à la cancel culture. La seconde partie, à paraître le vendredi 29 octobre, portera plus précisément sur le mouvement « woke », ses origines et ses implications politiques, mais aussi sur les rapports entre science et société. Je tiens à remercier chaleureusement Isabelle Arseneau et Arnaud Bernadet d’avoir accepté de répondre à mes questions et d’avoir pris le temps de construire des réponses précises et argumentées, dont la valeur tient tout autant à la prise critique de ces deux universitaires qu’aux disciplines qui sont les leurs et qui informent leur réflexion. Ils coordonnent actuellement un volume collectif interdisciplinaire, Libertés universitaires : un an de débat au Québec (2020-2021), à paraître prochainement.

    Entretien, première partie

    1. Pourriez-vous exposer le plus factuellement possible ce qui s’est passé au mois de septembre 2020 à l’université d’Ottawa et à l’université McGill de Montréal ?

    Isabelle Arseneau. À l’automne 2020 éclatait à l’Université d’Ottawa une affaire qui a passionné le Québec et a connu d’importantes suites politiques : à l’occasion d’une séance d’enseignement virtuel sur la représentation des identités en art, une chargée de cours, #Verushka_Lieutenant-Duval, expliquait à ses étudiants comment l’injure « #nigger » a été réutilisée par les communautés afro-américaines comme marqueur subversif dans les années 1960. Parce qu’elle a mentionné le mot lui-même en classe, l’enseignante est devenue aussitôt la cible de #plaintes pour racisme et, au terme d’une cabale dans les #réseaux_sociaux, elle a été suspendue temporairement par son administration. Au même moment, des incidents à peu près analogues se produisaient au Département des littératures de langue française, de traduction et de création de l’Université McGill, où nous sommes tous les deux professeurs. Dans un cours d’introduction à la littérature québécoise, une chargée de cours a mis à l’étude Forestiers et voyageurs de #Joseph-Charles_Taché, un recueil de contes folkloriques paru en 1863 et qui relate les aventures d’un « Père Michel » qui arpente le pays et documente ses « mœurs et légendes ». Des étudiants interrompent la séance d’enseignement virtuel et reprochent à l’enseignante de leur avoir fait lire sans avertissement préalable une œuvre contenant les mots « Nègres » et « Sauvages ». Quelques jours plus tard, des plaintes pour racisme sont déposées contre elle. Le dossier est alors immédiatement pris en charge par la Faculté des Arts, qui lui suggère de s’excuser auprès de sa classe et d’adapter son enseignement aux étudiants que pourrait offenser la lecture des six autres classiques de la littérature québécoise prévus au syllabus (dont L’Hiver de force de Réjean Ducharme et Les Fous de Bassan d’Anne Hébert). Parmi les mesures d’accommodement, on lui conseille de fournir des « avertissements de contenu » (« #trigger_warnings ») pour chacune des œuvres à l’étude ; de se garder de prononcer à voix haute les mots jugés sensibles et de leur préférer des expressions ou des lettres de remplacement (« n », « s », « mot en n » « mot en s »). Trois mois plus tard, nous apprendrons grâce au travail d’enquête de la journaliste Isabelle Hachey (1) que les plaignants ont pu obtenir, après la date limite d’abandon, un remboursement de leurs frais de scolarité et les trois crédits associés à ce cours qu’ils n’ont cependant jamais suivi et pour lequel ils n’ont validé qu’une partie du travail.

    Lorsque j’ai imaginé notre doctorante en train de caviarder ses notes de cours et ses présentations Powerpoint, ça a fait tilt. Un an plus tôt, je travaillais à la Public Library de New York sur un manuscrit du XIIIe siècle dont la première image avait été grattée par un lecteur ou un possesseur offensé par le couple enlacé qu’elle donnait jusque-là à voir. La superposition de ces gestes de censure posés à plusieurs siècles d’intervalle témoignait d’un recul de la liberté universitaire que j’associais alors plus spontanément aux campus américains, sans pour autant nous imaginer à l’abri de cette vague venue du sud (2). Devant de tels dérapages, mon collègue Arnaud Bernadet et moi avons communiqué avec tous les étages de la hiérarchie mcgilloise. Las de nous heurter à des fins de non-recevoir, nous avons cosigné une série de trois lettres dans lesquelles nous avons dénoncé la gestion clientéliste de notre université (3). Malgré nos sorties répétées dans les médias traditionnels, McGill est demeurée silencieuse et elle l’est encore à ce jour.

    2. Pour être concret, qu’est-ce qui fait que l’emploi du mot « nègre » ou « sauvages » dans un cours est légitime ?

    Isabelle Arseneau. Vous évoquez l’emploi d’un mot dans un cadre pédagogique et il me semble que toute la question est là, dans le terme « emploi ». À première vue, le contexte de l’énonciation didactique ne se distingue pas des autres interactions sociales et ne justifie pas qu’on puisse déroger aux tabous linguistiques. Or il se joue dans la salle de classe autre chose que dans la conversation ordinaire : lorsque nous enseignons, nous n’employons pas les mots tabous, nous les citons, un peu comme s’il y avait entre nous et les textes lus ou la matière enseignée des guillemets. C’est de cette distinction capitale qu’ont voulu rendre compte les sciences du langage en opposant le signe en usage et le signe en mention. Citer le titre Nègres blancs d’Amérique ou le terme « Sauvages » dans Forestiers et Voyageurs ne revient pas à utiliser ces mêmes termes. De la même façon, il y a une différence entre traiter quelqu’un de « nègre » dans un bus et relever les occurrences du terme dans une archive, une traite commerciale de l’Ancien Régime ou un texte littéraire, même contemporain. Dans le premier cas, il s’agit d’un mot en usage, qui relève, à n’en pas douter, d’un discours violemment haineux et raciste ; dans l’autre, on n’emploie pas mais on mentionne des emplois, ce qui est différent. Bien plus, le mot indexe ici des représentations socialement et historiquement situées, que le professeur a la tâche de restituer (pour peu qu’on lui fournisse les conditions pour le faire). Si cette distinction entre l’usage et la mention s’applique à n’importe quel contexte d’énonciation, il va de soi qu’elle est très fréquente et pleinement justifiée — « légitime », oui — en contexte pédagogique. Il ne s’agit donc bien évidemment pas de remettre en circulation — en usage — des mots chargés de haine mais de pouvoir continuer à mentionner tous les mots, même les plus délicats, dans le contexte d’un exercice bien balisé, l’enseignement, dont on semble oublier qu’il suppose d’emblée un certain registre de langue.

    3. Ce qui étonne à partir de ces exemples – et il y en a d’autres du même type -, c’est que l’administration et la direction des universités soutiennent les demandes des étudiants, condamnent les enseignants et vont selon vous jusqu’à enfreindre des règles élémentaires de déontologie et d’éthique. Comment l’expliquez-vous ? L’institution universitaire a-t-elle renoncé à défendre ses personnels ?

    Arnaud Bernadet. Il faut naturellement conserver à l’esprit ici ce qui sépare les universités nord-américaines des institutions françaises. On soulignera deux différences majeures. D’une part, elles sont acquises depuis longtemps au principe d’autonomie. Elles se gèrent elles-mêmes, tout en restant imputables devant l’État, notamment au plan financier. Soulignons par ailleurs qu’au Canada les questions éducatives relèvent avant tout des compétences des provinces et non du pouvoir fédéral. D’autre part, ces universités obéissent à un modèle entrepreneurial. Encore convient-il là encore d’introduire des nuances assez fortes, notamment en ce qui concerne le réseau québécois, très hétérogène. Pour simplifier à l’extrême, les universités francophones sont plus proches du modèle européen, tandis que les universités anglophones, répliques immédiates de leurs voisines états-uniennes, semblent davantage inféodées aux pratiques néo-libérales.

    Quoi qu’il en soit, la situation décrite n’a rien d’inédit. Ce qui s’est passé à l’Université d’Ottawa ou à l’Université McGill s’observe depuis une dizaine d’années aux États-Unis. La question a été très bien documentée, au tournant de l’année 2014 sous la forme d’articles puis de livres, par deux sociologues, Bradley Campbell et Jason Manning (The Rise of Victimhood Culture) et deux psychologues, Jonathan Haidt et Greg Lukianoff (The Coddling of the American Mind). Au reste, on ne compte plus sur les campus, et parmi les plus progressistes, ceux de l’Ouest (Oregon, État de Washington, Californie) ou de la Nouvelle-Angleterre en particulier, les demandes de censure, les techniques de deplatforming ou de “désinvitation”, les calomnies sur les médias sociaux, les démissions du personnel - des phénomènes qu’on observe également dans d’autres milieux (culture, médias, politique). En mai dernier, Rima Azar, professeure en psychologie de la santé, a été suspendue par l’Université Mount Allison du Nouveau-Brunswick, pour avoir qualifié sur son blog Black Lives Matter d’organisation radicale…

    Il y a sans doute plusieurs raisons à l’attitude des administrateurs. En tout premier lieu : un modèle néo-libéral très avancé de l’enseignement et de la recherche, et ce qui lui est corrélé, une philosophie managériale orientée vers un consumérisme éducatif. Une autre explication serait la manière dont ces mêmes universités réagissent à la mouvance appelée “woke”. Le terme est sujet à de nombreux malentendus. Il fait désormais partie de l’arsenal polémique au même titre que “réac” ou “facho”. Intégré en 2017 dans l’Oxford English Dictionary, il a été à la même date récupéré et instrumentalisé par les droites conservatrices ou identitaires. Mais pas seulement : il a pu être ciblé par les gauches traditionnelles (marxistes, libertaires, sociales-démocrates) qui perçoivent dans l’émergence de ce nouveau courant un risque de déclassement. Pour ce qui regarde notre propos, l’illusion qu’il importe de dissiper, ce serait de ne le comprendre qu’à l’aune du militantisme et des associations, sur une base strictement horizontale. Ce qui n’enlève rien à la nécessité de leurs combats, et des causes qu’ils embrassent. Loin s’en faut. Mais justement, il s’agit avec le “wokism” et la “wokeness” d’un phénomène nettement plus composite qui, à ce titre, déborde ses origines liées aux luttes des communautés noires contre l’oppression qu’elles subissaient ou subissent encore. Ce phénomène, plus large mais absolument cohérent, n’est pas étranger à la sociologie élitaire des universités nord-américaines, on y reviendra dans la deuxième partie de cet entretien. Car ni l’un ni l’autre ne se sont si simplement inventés dans la rue. Leur univers est aussi la salle de classe.

    4. Au regard des événements dans ces deux universités, quelle analyse faites-vous de l’évolution des libertés académiques au Québec ?

    Arnaud Bernadet. Au moment où éclatait ce qu’il est convenu d’appeler désormais “l’affaire Verushka Lieutenant-Duval”, le Québec cultivait cette douce illusion de se croire à l’abri de ce genre d’événements. Mais les idées et les pratiques ne s’arrêtent pas à la frontière avec le Canada anglais ou avec les États-Unis. Le cas de censure survenu à McGill (et des incidents d’autre nature se sont produits dans cet établissement) a relocalisé la question en plein cœur de Montréal, et a montré combien les cultures et les sociétés sont poreuses les unes vis-à-vis des autres. Comme dans nombre de démocraties, on assiste au Québec à un recul des libertés publiques, la liberté académique étant l’une d’entre elles au même titre que la liberté d’expression. Encore faut-il nuancer, car le ministère de l’enseignement supérieur a su anticiper les problèmes. En septembre 2020, le scientifique en chef Rémi Quirion a remis un rapport qui portait plus largement sur L’université québécoise du futur, son évolution, les défis auxquels elle fait face, etc. Or en plus de formuler des recommandations, il y observe une “précarisation significative” de la liberté académique, un “accroissement de la rectitude politique”, imputée aux attentes ou aux convictions de “groupes particuliers”, agissant au nom de “valeurs extra-universitaires”, et pour finir, l’absence de “protection législative à large portée” entourant la liberté académique au Québec, une carence qui remonte à la Révolution tranquille. En février 2021, le premier ministre François Legault annonçait la création d’une Commission scientifique et technique indépendante sur la reconnaissance de la liberté académique en contexte universitaire. Cette commission qui n’a pas fini de siéger a rendu une partie de ses résultats, notamment des sondages effectués auprès du corps professoral (ce qui inclut les chargés de cours) : 60 % d’entre eux affirment avoir évité d’utiliser certains mots, 35 % disent avoir même recouru à l’autocensure en sabrant certains sujets de cours. La recherche est également affectée. Ce tableau n’est guère rassurant, mais il répond à celles et ceux qui, depuis des mois, à commencer dans le milieu enseignant lui-même, doublent la censure par le déni et préfèrent ignorer les faits. À l’évidence, des mesures s’imposent aujourd’hui, proportionnées au diagnostic rendu.

    5. La liberté académique est habituellement conçue comme celle des universitaires, des enseignants-chercheurs, pour reprendre la catégorie administrative en usage en France. Vous l’étendez dans votre mémoire à l’ensemble de la communauté universitaire, en particulier aux jeunes chercheurs, mais aussi aux personnels administratifs et aux étudiants ? Pourriez-vous éclairer ce point ?

    Arnaud Bernadet. Ce qui est en jeu ici n’est autre que l’extension et les applications du concept de liberté académique. Bien sûr, un étudiant ne jouit pas des mêmes dispositions qu’un professeur, par exemple le droit à exercer l’évaluation de ses propres camarades de classe. Mais a priori nous considérons que n’importe quel membre de la communauté universitaire est titulaire de la liberté académique. Celle-ci n’a pas été inventée pour donner aux enseignants et chercheurs quelque “pouvoir” irréaliste et exorbitant, mais pour satisfaire aux deux missions fondamentales que leur a confiées la société : assurer la formation des esprits par l’avancement des connaissances. En ce domaine, l’écart est-il significatif entre le choix d’un thème ou d’un corpus par un professeur, et un exposé oral préparé par un étudiant ? Dans chaque cas, on présumera que l’accès aux sources, la production des connaissances, le recours à l’argumentation y poursuivent les mêmes objectifs de vérité. De même, les administrateurs, et notamment les plus haut placés, doivent pouvoir bénéficier de la liberté académique, dans l’éventualité où elle entrerait en conflit avec des objectifs de gouvernance, qui se révéleraient contraires à ce qu’ils estimeraient être les valeurs universitaires fondamentales.

    6. Entre ce que certains considèrent comme des recherches “militantes” et les orientations néolibérales et managériales du gouvernement des universités, qu’est-ce qui vous semble être le plus grand danger pour les libertés académiques ?

    Arnaud Bernadet. Ce sont des préoccupations d’ordre différent à première vue. Les unes semblent opérer à l’interne, en raison de l’évolution des disciplines. Les autres paraissent être plutôt impulsées à l’externe, en vertu d’une approche productiviste des universités. Toutes montrent que le monde de l’enseignement et de la recherche est soumis à de multiples pressions. Aussi surprenant que cela paraisse, il n’est pas exclu que ces deux aspects se rejoignent et se complètent. Dans un article récent de The Chronicle of Higher Education (03.10.2021), Justin Sider (professeur de littérature anglaise à l’Université d’Oklahoma) a bien montré que les préoccupations en matière de justice sociale sont en train de changer la nature même des enseignements. Loin de la vision désintéressée des savoirs, ceux-ci serviraient dorénavant les étudiants à leur entrée dans la vie active, pour changer l’ordre des choses, combattre les inégalités, etc. C’est une réponse à la conception utilitariste de l’université, imposée depuis plusieurs décennies par le modèle néolibéral. Et c’est ce qu’ont fort bien compris certains administrateurs qui, une main sur le cœur, l’autre près du portefeuille, aimeraient donc vendre désormais à leurs “clients” des programmes ou de nouveaux curricula portant sur la justice sociale.

    7. La défense des libertés académiques, en l’occurrence la liberté pédagogique et la liberté de recherche d’utiliser tous les mots comme objet de savoir, est-elle absolue, inconditionnelle ? Ne risque-t-elle pas de renforcer un effet d’exclusion pour les minorités ?

    Isabelle Arseneau. Elle est plutôt à notre avis non-négociable (aucun principe n’est absolu). Mais pour cela, il est impératif de désamalgamer des dossiers bien distincts : d’une part, le travail de terrain qu’il faut encore mener en matière d’équité, de diversité et d’inclusion (qu’il est désormais commun de désigner par l’acronyme « ÉDI ») ; d’autre part, les fondements de la mission universitaire, c’est-à-dire créer et transmettre des savoirs. Les faux parallèles que l’on trace entre la liberté académique et les « ÉDI » desservent autant la première que les secondes et on remarque une nette tendance chez certaines universités plus clairement néolibérales à utiliser la liberté académique comme un vulgaire pansement pour régler des dossiers sur lesquels elles accusent parfois de regrettables retards. Bien ironiquement, ce militantisme d’apparat ne fait nullement progresser les différentes causes auxquelles il s’associe et a parfois l’effet inverse. Revenons à l’exemple concret qui s’est produit chez nous : recommander à une enseignante de s’excuser pour avoir prononcé et fait lire un mot jugé sensible et aller jusqu’à rembourser leurs frais de scolarité à des étudiants heurtés, voilà des gestes « spectaculaires » qui fleurent bon le langage de l’inclusion mais qui transpirent le clientélisme (« Satisfaction garantie ou argent remis ! »). Car une fois que l’on a censuré un mot, caviardé un passage, proscrit l’étude d’une œuvre, qu’a-t-on fait, vraiment, pour l’équité salariale hommes-femmes ; pour l’inclusion des minorités toujours aussi invisibles sur notre campus ; pour la diversification (culturelle, certes, mais également économique) des corps enseignant et étudiant, etc. ? Rien. Les accommodements offerts aux plaignants sont d’ailleurs loin d’avoir créé plus d’équité ; ils ont au contraire engendré une série d’inégalités : entre les étudiants d’abord, qui n’ont pas eu droit au même traitement dans le contexte difficile de la pandémie et de l’enseignement à distance ; entre les chargés de cours ensuite, qui n’ont pas eu à faire une même quantité de travail pour un même salaire ; et, enfin, entre les universités, toutes soumises au même système de financement public, dont le calcul repose en bonne partie sur l’unité-crédit. Les salles de classe ont bon dos : elles sont devenues les voies de sortie faciles pour des institutions qui s’achètent grâce à elles un vernis de justice sociale qui tarde à se traduire par des avancées concrètes sur les campus. Confondre les dossiers ne servira personne.

    8. Reste que ce qui est perçu par des acteurs de la défense de droits des minorités comme l’exercice d’une liberté d’expression est vécu et analysé par d’autres acteurs comme une atteinte à la liberté académique, en particulier la liberté pédagogique. La situation n’est-elle pas une impasse propre à aviver les tensions et créer une polémique permanente ? Comment sortir de cette impasse ?

    Isabelle Arseneau. En effet, on peut vite avoir l’impression d’un cul-de-sac ou d’un cercle vicieux difficile à briser, surtout au vu de la polarisation actuelle des discours, qu’aggravent les médias sociaux. Dans ce brouhaha de paroles et de réactions à vif, je ne sais pas si on s’entend et encore moins si on s’écoute. Chose certaine, il faudra dans un premier temps tenter de régler les problèmes qui atteignent aujourd’hui les établissements postsecondaires depuis l’intérieur de leurs murs. En effet, la responsabilité me semble revenir d’abord aux dirigeants de nos institutions, à la condition de réorienter les efforts vers les bonnes cibles et, comme je le disais à l’instant, de distinguer les dossiers. À partir du moment où l’on cessera de confondre les dossiers et où l’on résistera aux raccourcis faciles et tendancieux, des chantiers distincts s’ouvriront naturellement.

    Du côté des dossiers liés à l’équité et à la diversité, il me semble nécessaire de mener de vrais travaux d’enquête et d’analyse de terrain et de formuler des propositions concrètes qui s’appuient sur des données plutôt que des mesures cosmétiques qui suivent l’air du temps (il ne suffit pas, comme on a pu le faire chez nous, de recommander la censure d’un mot, de retirer une statue ou de renommer une équipe de football). Plus on tardera à s’y mettre vraiment et à joindre le geste à la parole, plus longtemps on échouera à réunir les conditions nécessaires au dialogue serein et décomplexé. Il nous reste d’ailleurs à débusquer les taches aveugles, par exemple celles liées à la diversité économique de nos campus (ou son absence), une donnée trop souvent exclue de la réflexion, qui préfère se fixer sur la seule dimension identitaire. Du côté de la liberté universitaire, il est nécessaire de la réaffirmer d’abord et de la protéger ensuite, en reprenant le travail depuis le début s’il le faut. C’est ce qu’a fait à date récente la Mission nommée par le recteur de l’Université de Montréal, Daniel Jutras. Les travaux de ce comité ont abouti à l’élaboration d’un énoncé de principes fort habile. Ce dernier, qui a été adopté à l’unanimité par l’assemblée universitaire, distingue très nettement les dossiers et les contextes : en même temps qu’il déclare qu’« aucun mot, aucun concept, aucune image, aucune œuvre ne sauraient être exclus a priori du débat et de l’examen critique dans le cadre de l’enseignement et de la recherche universitaires », le libellé rappelle que l’université « condamne les propos haineux et qu’en aucun cas, une personne tenant de tels propos ne peut se retrancher derrière ses libertés universitaires ou, de façon générale, sa liberté d’expression » (4). Il est également urgent de mettre en œuvre une pédagogie ciblant expressément les libertés publiques, la liberté académique et la liberté d’expression. C’est d’ailleurs une carence mise au jour par l’enquête de la Commission, qui révèle que 58% des professeurs interrogés « affirment ne pas savoir si leur établissement possède des documents officiels assurant la protection de la liberté universitaire » et que 85% des répondants étudiants « considèrent que les universités devraient déployer plus d’efforts pour faire connaître les dispositions sur la protection de la liberté universitaire ». Il reste donc beaucoup de travail à faire sur le plan de la diffusion de l’information intra muros. Heureusement, nos établissements ont déjà en leur possession les outils nécessaires à l’implantation de ce type d’apprentissage pratique (au moment de leur admission, nos étudiants doivent déjà compléter des tutoriels de sensibilisation au plagiat et aux violences sexuelles, par exemple).

    Enfin, il revient aux dirigeants de nos universités de s’assurer de mettre en place un climat propice à la réflexion et au dialogue sur des sujets parfois délicats, par exemple en se gardant d’insinuer que ceux qui défendent la liberté universitaire seraient de facto hostiles à la diversité et à l’équité, comme a pu le faire notre vice-recteur dans une lettre publiée dans La Presse en février dernier. Ça, déjà, ce serait un geste à la hauteur de la fonction.

    9. Quelle perception avez-vous de la forme qu’a pris la remise en cause des libertés académiques en France avec la polémique sur l’islamo-gauchisme initiée par deux membres du gouvernement – Blanquer et Vidal – et poursuivi avec le Manifeste des 100 ?

    Arnaud Bernadet. Un sentiment de profonde perplexité. La comparaison entre “l’islamo-gauchisme”, qui nous semble en grande partie un épouvantail agité par le pouvoir macroniste, et le “wokism” états-unien ou canadien - qui est une réalité complexe mais mesurable, dont on précisera les contours la semaine prochaine - se révèle aussi artificielle qu’infondée. Un tel rapprochement est même en soi très dangereux, et peut servir de nouveaux amalgames comme il apparaît nettement dans la lettre publiée hier par Jean-Michel Blanquer et Jean-François Roberge : “L’école pour la liberté, contre l’obscurantisme”. Déplions-la un instant. Les deux ministres de l’Éducation, de France et du Québec, ne sont pas officiellement en charge des dossiers universitaires (assurés par Frédérique Vidal et Danielle McCann). D’une même voix, Blanquer et Roberge condamnent - à juste titre - l’autodafé commis en 2019 dans plusieurs écoles du sud-ouest de l’Ontario sur des encyclopédies, des bandes-dessinées et des ouvrages de jeunesse qui portaient atteinte à l’image des premières nations. Or on a appris par la suite que l’instigatrice de cette purge littéraire, Suzie Kies, œuvrait comme conseillère au sein du Parti Libéral du Canada sur les questions autochtones. Elle révélait ainsi une évidente collusion avec le pouvoir fédéral. Inutile de dire par conséquent que l’intervention de nos deux ministres ressortit à une stratégie d’abord politique. En position fragile face à Ottawa, dont les mesures interventionnistes ne sont pas toujours compatibles avec son esprit d’indépendance, le Québec se cherche des appuis du côté de la France. Au nom de la “liberté d’expression”, la France tacle également Justin Trudeau, dont les positions modérées au moment de l’assassinat de Samuel Paty ont fortement déplu. Ce faisant, le Québec et la France se donnent aussi comme des sociétés alternatives, le Canada étant implicitement associé aux États-Unis dont il ne serait plus que la copie : un lieu où prospéreraient une “idéologie” et des “méthodes” - bannissement, censure, effacement de l’histoire - qui menaceraient le “respect” et l’esprit de “tolérance” auxquels s’adossent “nos démocraties”. Au lieu de quoi, non seulement “l’égalité” mais aussi la “laïcité” seraient garantes au Québec comme en France d’un “pacte” capable d’unir la “communauté” sur la base “de connaissances, de compétences et de principes fondés sur des valeurs universelles”, sans que celles-ci soient d’ailleurs clairement précisées. On ne peut s’empêcher toutefois de penser que les deux auteurs prennent le risque par ce biais de légitimer les guerres culturelles, issues au départ des universités états-uniennes, en les étendant aux rapports entre anglophones et francophones. Au reste, la cible déclarée du texte, qui privilégie plutôt l’allusion et se garde habilement de nommer, reste la “cancel culture” aux mains des “assassins de la mémoire”. On observera qu’il n’est nulle part question de “wokes”, de décolonialisme ou d’antiracisme par exemple. D’un “militantisme délétère” (mais lequel, exactement ?) on passe enfin aux dangers de la “radicalisation”, dans laquelle chacun mettra ce qu’il veut bien y entendre, des extrémismes politiques (national-populisme, alt-right, néo-nazisme, etc.) et des fondamentalismes religieux. Pour finir, la résistance aux formes actuelles de “l’obscurantisme” est l’occasion de revaloriser le rôle de l’éducation au sein des démocraties. Elle est aussi un moyen de renouer avec l’héritage rationaliste des Lumières. Mais les deux ministres retombent dans le piège civilisationniste, qui consiste à arrimer - sans sourciller devant la contradiction - les “valeurs universelles” à “nos sociétés occidentales”. Le marqueur identitaire “nos” est capital dans le texte. Il efface d’un même geste les peuples autochtones qui étaient mentionnés au début de l’article, comme s’ils ne faisaient pas partie, notamment pour le Québec, de cette “mémoire” que les deux auteurs appellent justement à défendre, ou comme s’ils étaient d’emblée assimilés et assimilables à cette vision occidentale ? De lui-même, l’article s’expose ici à la critique décoloniale, particulièrement répandue sur les campus nord-américains, celle-là même qu’il voudrait récuser. Qu’on en accepte ou non les prémisses, cette critique ne peut pas être non plus passée sous silence. Il faut s’y confronter. Car elle a au moins cette vertu de rappeler que l’héritage des Lumières ne va pas sans failles. On a le droit d’en rejeter les diverses formulations, mais il convient dans ce cas de les discuter. Car elles nous obligent à penser ensemble - et autrement - les termes du problème ici posé : universalité, communauté et diversité.

    10. La forme d’un « énoncé » encadrant la liberté académique et adopté par le parlement québécois vous semble-t-elle un bon compromis politique ? Pourquoi le soutenir plutôt qu’une loi ? Un énoncé national de référence, laissant chaque établissement en disposer librement, aura-t-il une véritable efficacité ?

    Isabelle Arseneau. Au moment de la rédaction de notre mémoire, les choses nous semblaient sans doute un peu moins urgentes que depuis la publication des résultats de la collecte d’informations réalisée par la Commission indépendante sur la reconnaissance de la liberté académique en contexte universitaire. Les chiffres publiés en septembre dernier confirment ce que nous avons remarqué sur le terrain et ce que suggéraient déjà les mémoires, les témoignages et les avis d’experts récoltés dans le cadre des travaux des commissaires : nous avons affaire à un problème significatif plutôt qu’à un épiphénomène surmédiatisé (comme on a pu l’entendre dire). Les résultats colligés reflètent cependant un phénomène encore plus généralisé que ce que l’on imaginait et d’une ampleur que, pour ma part, je sous-estimais.

    Dans le contexte d’une situation sérieuse mais non encore critique, l’idée d’un énoncé m’a donc toujours semblé plus séduisante (et modérée !) que celle d’une politique nationale, qui ouvrirait la porte à l’ingérence de l’État dans les affaires universitaires. Or que faire des universités qui ne font plus leurs devoirs ? L’« énoncé sur la liberté universitaire » de l’Université McGill, qui protège les chercheurs des « contraintes de la rectitude politique », ne nous a été d’aucune utilité à l’automne 2020. Comment contraindre notre institution à respecter les règles du jeu dont elle s’est elle-même dotée ? Nous osons croire qu’un énoncé national, le plus ouvert et le plus généreux possible, pourrait aider les établissements comme le nôtre à surmonter certaines difficultés internes. Mais nous sommes de plus en plus conscients qu’il faudra sans doute se doter un jour de mécanismes plus concrets qu’un énoncé non contraignant.

    Arnaud Bernadet. Nous avons eu de longues discussions à ce sujet, et elles ne sont probablement pas terminées. C’est un point de divergence entre nous. Bien entendu, on peut se ranger derrière la solution modérée comme on l’a d’abord fait. Malgré tout, je persiste à croire qu’une loi aurait plus de poids et d’efficience qu’un énoncé. L’intervention de l’État est nécessaire dans le cas présent, et me semble ici le contraire même de l’ingérence. Une démocratie digne de ce nom doit veiller à garantir les libertés publiques qui en sont au fondement. Or, en ce domaine, la liberté académique est précieuse. Ce qui a lieu sur les campus est exceptionnel, cela ne se passe nulle part ailleurs dans la société : la quête de la vérité, la dynamique contradictoire des points de vue, l’expression critique et l’émancipation des esprits. Je rappellerai qu’inscrire le principe de la liberté académique dans la loi est aussi le vœu exprimé par la Fédération Québécoise des Professeures et Professeurs d’Université. Actuellement, un tel principe figure plutôt au titre du droit contractuel, c’est-à-dire dans les conventions collectives des établissements québécois (quand celles-ci existent !) Une loi remettrait donc à niveau les universités de la province, elle préviendrait toute espèce d’inégalité de traitement d’une institution à l’autre. Elle comblerait la carence dont on parlait tout à l’heure, qui remonte à la Révolution tranquille. Elle renforcerait finalement l’autonomie des universités au lieu de la fragiliser. Ce serait aussi l’occasion pour le Québec de réaffirmer clairement ses prérogatives en matière éducative contre les ingérences - bien réelles celles-là - du pouvoir fédéral qui tend de plus en plus à imposer sa vision pancanadienne au mépris des particularités francophones. Enfin, ne nous leurrons pas : il n’y a aucune raison objective pour que les incidents qui se sont multipliés en Amérique du Nord depuis une dizaine d’années, et qui nourrissent de tous bords - on vient de le voir - de nombreux combats voire dérives idéologiques, cessent tout à coup. La loi doit pouvoir protéger les fonctions et les missions des universités québécoises, à ce jour de plus en plus perturbées.

    Entretien réalisé par écrit au mois d’octobre 2021

    Notes :

    1. Isabelle Hachey, « Le clientélisme, c’est ça » (La Presse, 22.02.2021)

    2. Jean-François Nadeau, « La censure contamine les milieux universitaires » (Le Devoir, 01.04.2017)

    3. Isabelle Arseneau et Arnaud Bernadet, « Universités : censure et liberté » (La Presse, 15.12.2020) ; « Les dérives éthiques de l’esprit gestionnaire » (La Presse, 29.02.2021) ; « Université McGill : une politique du déni » (La Presse, 26.02.2021).

    4. « Rapport de la Mission du recteur sur la liberté d’expression en contexte universitaire », juin 2021 : https://www.umontreal.ca/public/www/images/missiondurecteur/Rapport-Mission-juin2021.pdf

    https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/211021/liberte-academique-et-justice-sociale

    #ESR

    ping @karine4 @_kg_ @isskein

    –-

    ajouté à la métaliste autour du terme l’#islamo-gauchisme... mais aussi du #woke et du #wokisme, #cancel_culture, etc.
    https://seenthis.net/messages/943271

    • La liberté académique aux prises avec de nouvelles #menaces

      Colloques, séminaires, publications (Duclos et Fjeld, Frangville et alii) : depuis quelques années, et avec une accélération notoire ces derniers mois, le thème de la liberté académique est de plus en plus exploré comme objet scientifique. La liberté académique suscite d’autant plus l’intérêt des chercheurs qu’elle est aujourd’hui, en de nombreux endroits du monde, fragilisée.

      La création en 2021 par l’#Open_Society_University_Network (un partenariat entre la Central European University et le Bard College à New York) d’un #Observatoire_mondial_des_libertés_académiques atteste d’une inquiétante réalité. C’est en effet au moment où des libertés sont fragilisées qu’advient le besoin d’en analyser les fondements, d’en explorer les définitions, de les ériger en objets de recherche, mais aussi de mettre en œuvre un système de veille pour les protéger.

      S’il est évident que les #régimes_autoritaires sont par définition des ennemis des libertés académiques, ce qui arrive aujourd’hui dans des #pays_démocratiques témoigne de pratiques qui transcendent les frontières entre #régime_autoritaire et #régime_démocratique, frontières qui elles-mêmes tendent à se brouiller.

      La liberté académique menacée dans les pays autoritaires…

      S’appuyant sur une régulation par les pairs (la « communauté des compétents ») et une indépendance structurelle par rapport aux pouvoirs, la liberté de recherche, d’enseignement et d’opinion favorise la critique autant qu’elle en est l’expression et l’émanation. Elle est la condition d’une pensée féconde qui progresse par le débat, la confrontation d’idées, de paradigmes, d’axiomes, d’expériences.

      Cette liberté dérange en contextes autoritaires, où tout un répertoire d’actions s’offre aux gouvernements pour museler les académiques : outre l’emprisonnement pur et simple, dont sont victimes des collègues – on pense notamment à #Fariba_Adelkhah, prisonnière scientifique en #Iran ; à #Ahmadreza_Djalali, condamné à mort en Iran ; à #Ilham_Tohti, dont on est sans nouvelles depuis sa condamnation à perpétuité en# Chine, et à des dizaines d’autres académiques ouïghours disparus ou emprisonnés sans procès ; à #Iouri_Dmitriev, condamné à treize ans de détention en #Russie –, les régimes autoritaires mettent en œuvre #poursuites_judiciaires et #criminalisation, #licenciements_abusifs, #harcèlement, #surveillance et #intimidation.


      https://twitter.com/AnkyraWitch/status/1359630006993977348

      L’historien turc Candan Badem parlait en 2017 d’#académicide pour qualifier la vague de #répression qui s’abattait dans son pays sur les « universitaires pour la paix », criminalisés pour avoir signé une pétition pour la paix dans les régions kurdes. La notion de « #crime_contre_l’histoire », forgée par l’historien Antoon de Baets, a été reprise en 2021 par la FIDH et l’historien Grigori Vaïpan) pour qualifier les atteintes portées à l’histoire et aux historiens en Russie. Ce crime contre l’histoire en Russie s’amplifie avec les attaques récentes contre l’ONG #Memorial menacée de dissolution.

      En effet, loin d’être l’apanage des institutions académiques officielles, la liberté académique et de recherche, d’une grande rigueur, se déploie parfois de façon plus inventive et courageuse dans des structures de la #société_civile. En #Biélorussie, le sort de #Tatiana_Kuzina, comme celui d’#Artiom_Boyarski, jeune chimiste talentueux emprisonné pour avoir refusé publiquement une bourse du nom du président Loukachenko, ne sont que deux exemples parmi des dizaines et des dizaines de chercheurs menacés, dont une grande partie a déjà pris le chemin de l’exil depuis l’intensification des répressions après les élections d’août 2020 et la mobilisation qui s’en est suivie.

      La liste ci-dessus n’est bien sûr pas exhaustive, les cas étant nombreux dans bien des pays – on pense, par exemple, à celui de #Saïd_Djabelkhir en #Algérie.

      … mais aussi dans les #démocraties

      Les #régressions que l’on observe au sein même de l’Union européenne – le cas du déménagement forcé de la #Central_European_University de Budapest vers Vienne, sous la pression du gouvernement de Viktor Orban, en est un exemple criant – montrent que les dérives anti-démocratiques se déclinent dans le champ académique, après que d’autres libertés – liberté de la presse, autonomie de la société civile – ont été atteintes.

      Les pays considérés comme démocratiques ne sont pas épargnés non plus par les tentatives des autorités politiques de peser sur les recherches académiques. Récemment, en #France, les ministres de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur ont affirmé que le monde académique serait « ravagé par l’#islamo-gauchisme » et irrespectueux des « #valeurs_de_la_République » – des attaques qui ont provoqué un concert de protestations au sein de la communauté des chercheurs. En France toujours, de nombreux historiens se sont mobilisés en 2020 contre les modalités d’application d’une instruction interministérielle restreignant l’accès à des fonds d’#archives sur l’#histoire_coloniale, en contradiction avec une loi de 2008.


      https://twitter.com/VivementLundi/status/1355564397314387972

      Au #Danemark, en juin 2021, plus de 260 universitaires spécialistes des questions migratoires et de genre rapportaient quant à eux dans un communiqué public les intimidations croissantes subies pour leurs recherches qualifiées de « #gauchisme_identitaire » et de « #pseudo-science » par des députés les accusant de « déguiser la politique en science ».

      D’autres offensives peuvent être menées de façon plus sournoise, à la faveur de #politiques_néolibérales assumées et de mise en #concurrence des universités et donc du champ du savoir et de la pensée. La conjonction de #logiques_libérales sur le plan économique et autoritaires sur le plan politique conduit à la multiplication de politiques souvent largement assumées par les États eux-mêmes : accréditations sélectives, retrait de #financements à des universités ou à certains programmes – les objets plus récents et fragiles comme les #études_de_genre ou études sur les #migrations se trouvant souvent en première ligne.

      Ce brouillage entre régimes politiques, conjugué à la #marchandisation_du_savoir, trouve également à s’incarner dans la façon dont des acteurs issus de régimes autoritaires viennent s’installer au sein du monde démocratique : c’est le cas notamment de la Chine avec l’implantation d’#Instituts_Confucius au cœur même des universités, qui conduisent, dans certains cas, à des logiques d’#autocensure ; ou de l’afflux d’étudiants fortunés en provenance de pays autoritaires, qui par leurs frais d’inscriptions très élevés renflouent les caisses d’universités désargentées, comme en Australie.

      Ces logiques de #dépendance_financière obèrent l’essence et la condition même de la #recherche_académique : son #indépendance. Plus généralement, la #marchandisation de l’#enseignement_supérieur, conséquence de son #sous-financement public, menace l’#intégrité_scientifique de chercheurs et d’universités de plus en plus poussées à se tourner vers des fonds privés.

      La mobilisation de la communauté universitaire

      Il y a donc là une combinaison d’attaques protéiformes, à l’aune des changements politiques, technologiques, économiques et financiers qui modifient en profondeur les modalités du travail. La mise en place de programmes de solidarité à destination de chercheurs en danger (#PAUSE, #bourses_Philipp_Schwartz en Allemagne, #bourses de solidarité à l’Université libre de Bruxelles), l’existence d’organisations visant à documenter les attaques exercées sur des chercheurs #Scholars_at_Risk, #International_Rescue_Fund, #CARA et la création de ce tout nouvel observatoire mondial des libertés académiques évoqué plus haut montrent que la communauté académique a pris conscience du danger. Puissent du fond de sa prison résonner les mots de l’historien Iouri Dmitriev : « Les libertés académiques, jamais, ne deviendront une notion abstraite. »

      https://theconversation.com/la-liberte-academique-aux-prises-avec-de-nouvelles-menaces-171682

    • « #Wokisme » : un « #front_républicain » contre l’éveil aux #injustices

      CHRONIQUE DE LA #BATAILLE_CULTURELLE. L’usage du mot « wokisme » vise à disqualifier son adversaire, mais aussi à entretenir un #déni : l’absence de volonté politique à prendre au sérieux les demandes d’#égalité, de #justice, de respect des #droits_humains.

      Invoqué ad nauseam, le « wokisme » a fait irruption dans un débat public déjà singulièrement dégradé. Il a fait florès à l’ère du buzz et des clashs, rejoignant l’« #islamogauchisme » au registre de ces fameux mots fourre-tout dont la principale fonction est de dénigrer et disqualifier son adversaire, tout en réduisant les maux de la société à quelques syllabes magiques. Sur la scène politique et intellectuelle, le « wokisme » a même réussi là où la menace de l’#extrême_droite a échoué : la formation d’un « front républicain ». Mais pas n’importe quel front républicain…

      Formellement, les racines du « wokisme » renvoient à l’idée d’« #éveil » aux #injustices, aux #inégalités et autres #discriminations subies par les minorités, qu’elles soient sexuelles, ethniques ou religieuses. Comment cet « éveil » a-t-il mué en une sorte d’#injure_publique constitutive d’une #menace existentielle pour la République ?

      Si le terme « woke » est historiquement lié à la lutte des #Afro-Américains pour les #droits_civiques, il se trouve désormais au cœur de mobilisations d’une jeunesse militante animée par les causes féministes et antiracistes. Ces mobilisations traduisent en acte l’#intersectionnalité théorisée par #Kimberlé_Williams_Crenshaw*, mais le recours à certains procédés ou techniques est perçu comme une atteinte à la #liberté_d’expression (avec les appels à la #censure d’une œuvre, à l’annulation d’une exposition ou d’une représentation, au déboulonnage d’une statue, etc.) ou à l’égalité (avec les « réunions non mixtes choisies et temporaires » restreignant l’accès à celles-ci à certaines catégories de personnes partageant un même problème, une même discrimination). Le débat autour de ces pratiques est complexe et légitime. Mais parler en France du développement d’une « cancel culture » qu’elles sont censées symboliser est abusif, tant elles demeurent extrêmement marginales dans les sphères universitaires et artistiques. Leur nombre comme leur diffusion sont inversement proportionnels à leur écho politico-médiatique. D’où provient ce contraste ou décalage ?

      Une rupture du contrat social

      En réalité, au-delà de la critique/condamnation du phénomène « woke », la crispation radicale qu’il suscite dans l’hexagone puise ses racines dans une absence de volonté politique à prendre au sérieux les demandes d’égalité, de justice, de respect des droits humains. Un défaut d’écoute et de volonté qui se nourrit lui-même d’un mécanisme de déni, à savoir un mécanisme de défense face à une réalité insupportable, difficile à assumer intellectuellement et politiquement.

      D’un côté, une série de rapports publics et d’études universitaires** pointent la prégnance des inégalités et des discriminations à l’embauche, au logement, au contrôle policier ou même à l’école. Non seulement les discriminations sapent le sentiment d’appartenance à la communauté nationale, mais la reproduction des inégalités est en partie liée à la reproduction des discriminations.

      De l’autre, le déni et l’#inaction perdurent face à ces problèmes systémiques. Il n’existe pas de véritable politique publique de lutte contre les discriminations à l’échelle nationale. L’État n’a pas engagé de programme spécifique qui ciblerait des axes prioritaires et se déclinerait aux différents niveaux de l’action publique.

      L’appel à l’« éveil » est un appel à la prise de conscience d’une rupture consommée de notre contrat social. La réalité implacable d’inégalités et de discriminations criantes nourrit en effet une #citoyenneté à plusieurs vitesses qui contredit les termes du récit/#pacte_républicain, celui d’une promesse d’égalité et d’#émancipation.

      Que l’objet si mal identifié que représente le « wokisme » soit fustigé par la droite et l’extrême-droite n’a rien de surprenant : la lutte contre les #logiques_de_domination ne fait partie ni de leur corpus idéologique ni de leur agenda programmatique. En revanche, il est plus significatif qu’une large partie de la gauche se détourne des questions de l’égalité et de la #lutte_contre_les_discriminations, pour mieux se mobiliser contre tout ce qui peut apparaître comme une menace contre un « #universalisme_républicain » aussi abstrait que déconnecté des réalités vécues par cette jeunesse française engagée en faveur de ces causes.

      Les polémiques autour du « wokisme » contribuent ainsi à forger cet arc politique et intellectuel qui atteste la convergence, voire la jonction de deux blocs conservateurs, « de droite » et « de gauche », unis dans un même « front républicain », dans un même déni des maux d’une société d’inégaux.

      https://www.nouvelobs.com/idees/20210928.OBS49202/wokisme-un-front-republicain-contre-l-eveil-aux-injustices.html

      #récit_républicain

    • « Le mot “#woke” a été transformé en instrument d’occultation des discriminations raciales »

      Pour le sociologue #Alain_Policar, le « wokisme » désigne désormais péjorativement ceux qui sont engagés dans des courants politiques qui se réclament pourtant de l’approfondissement des principes démocratiques.

      Faut-il rompre avec le principe de « #color_blindness » (« indifférence à la couleur ») au fondement de l’#égalitarisme_libéral ? Ce principe, rappelons-le, accompagne la philosophie individualiste et contractualiste à laquelle adhèrent les #démocraties. Or, en prenant en considération des pratiques par lesquelles des catégories fondées sur des étiquettes « raciales » subsistent dans les sociétés postcolonialistes, on affirme l’existence d’un ordre politico-juridique au sein duquel la « #race » reste un principe de vision et de division du monde social.

      Comme l’écrit #Stéphane_Troussel, président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis, « la République a un problème avec le #corps des individus, elle ne sait que faire de ces #différences_physiques, de ces couleurs multiples, de ces #orientations diverses, parce qu’elle a affirmé que pour traiter chacun et chacune également elle devait être #aveugle » ( Le Monde du 7 avril).

      Dès lors, ignorer cette #réalité, rester indifférent à la #couleur, n’est-ce pas consentir à la perpétuation des injustices ? C’est ce consentement qui s’exprime dans l’opération idéologique d’appropriation d’un mot, « woke », pour le transformer en instrument d’occultation de la réalité des discriminations fondées sur la couleur de peau. Désormais le wokisme désigne péjorativement ceux qui sont engagés dans les luttes antiracistes, féministes, LGBT ou même écologistes. Il ne se caractérise pas par son contenu, mais par sa fonction, à savoir, selon un article récent de l’agrégé de philosophie Valentin Denis sur le site AOC , « stigmatiser des courants politiques souvent incommensurables tout en évitant de se demander ce qu’ils ont à dire . Ces courants politiques, pourtant, ne réclament-ils pas en définitive l’approfondissement des #principes_démocratiques ?

      Une #justice_corrective

      Parmi les moyens de cet approfondissement, l’ affirmative action (« #action_compensatoire »), en tant qu’expression d’une justice corrective fondée sur la #reconnaissance des #torts subis par le passé et, bien souvent, qui restent encore vifs dans le présent, est suspectée de substituer le #multiculturalisme_normatif au #modèle_républicain d’#intégration. Ces mesures correctives seraient, lit-on souvent, une remise en cause radicale du #mérite_individuel. Mais cet argument est extrêmement faible : est-il cohérent d’invoquer la #justice_sociale (dont les antiwokedisent se préoccuper) et, en même temps, de valoriser le #mérite ? L’appréciation de celui-ci n’est-elle pas liée à l’#utilité_sociale accordée à un ensemble de #performances dont la réalisation dépend d’#atouts (en particulier, un milieu familial favorable) distribués de façon moralement arbitraire ? La justice sociale exige, en réalité, que ce qui dépend des circonstances, et non des choix, soit compensé.

      Percevoir et dénoncer les mécanismes qui maintiennent les hiérarchies héritées de l’#ordre_colonial constitue l’étape nécessaire à la reconnaissance du lien entre cet ordre et la persistance d’un #racisme_quotidien. Il est important (même si le concept de « #racisme_systémique », appliqué à nos sociétés contemporaines, est décrit comme une « fable » par certains auteurs, égarés par les passions idéologiques qu’ils dénoncent chez leurs adversaires) d’admettre l’idée que, même si les agents sont dépourvus de #préjugés_racistes, la discrimination fonctionne. En quelque sorte, on peut avoir du #racisme_sans_racistes, comme l’a montré Eduardo Bonilla-Silva dans son livre de 2003, Racism without Racists [Rowman & Littlefield Publishers, non traduit] . Cet auteur avait, en 1997, publié un article canonique sur le #racisme_institutionnel dans lequel il rejetait, en se réclamant du psychiatre et essayiste Frantz Fanon [1925-1961], les approches du racisme « comme une #bizarrerie_mentale, comme une #faille_psychologique » .

      Le reflet de pratiques structurelles

      En fait, les institutions peuvent être racialement oppressives, même sans qu’aucun individu ou aucun groupe ne puisse être tenu pour responsable du tort subi. Cette importante idée avait déjà été exprimée par William E. B. Du Bois dans Pénombre de l’aube. Essai d’autobiographie d’un concept de race (1940, traduit chez Vendémiaire, 2020), ouvrage dans lequel il décrivait le racisme comme un #ordre_structurel, intériorisé par les individus et ne dépendant pas seulement de la mauvaise volonté de quelques-uns. On a pu reprocher à ces analyses d’essentialiser les Blancs, de leur attribuer une sorte de #racisme_ontologique, alors qu’elles mettent au jour les #préjugés produits par l’ignorance ou le déni historique.

      On comprend, par conséquent, qu’il est essentiel de ne pas confondre, d’une part, l’expression des #émotions, de la #colère, du #ressentiment, et, d’autre part, les discriminations, par exemple à l’embauche ou au logement, lesquelles sont le reflet de #pratiques_structurelles concrètes. Le racisme est avant tout un rapport social, un #système_de_domination qui s’exerce sur des groupes racisés par le groupe racisant. Il doit être appréhendé du point de vue de ses effets sur l’ensemble de la société, et non seulement à travers ses expressions les plus violentes.

      #Alexis_de_Tocqueville avait parfaitement décrit cette réalité [dans De la démocratie en Amérique, 1835 et 1840] en évoquant la nécessaire destruction, une fois l’esclavage aboli, de trois préjugés, qu’il disait être « bien plus insaisissables et plus tenaces que lui : le préjugé du maître, le préjugé de race, et enfin le préjugé du Blanc . Et il ajoutait : « J’aperçois l’#esclavage qui recule ; le préjugé qu’il a fait naître est immobile. » Ce #préjugé_de_race était, écrivait-il encore, « plus fort dans les Etats qui ont aboli l’esclavage que dans ceux où il existe encore, et nulle part il ne se montre aussi intolérant que dans les Etats où la servitude a toujours été inconnue . Tocqueville serait-il un militant woke ?

      Note(s) :

      Alain Policar est sociologue au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof). Dernier livre paru : « L’Universalisme en procès » (Le Bord de l’eau, 160p., 16 euros)

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/12/28/alain-policar-le-mot-woke-a-ete-transforme-en-instrument-d-occultation-des-d

      #WEB_Du_Bois

      signalé par @colporteur ici :
      https://seenthis.net/messages/941602

    • L’agitation de la chimère « wokisme » ou l’empêchement du débat

      Wokisme est un néologisme malin : employé comme nom, il suggère l’existence d’un mouvement homogène et cohérent, constitué autour d’une prétendue « idéologie woke ». Ou comment stigmatiser des courants politiques progressistes pour mieux détourner le regard des discriminations que ceux-ci dénoncent. D’un point de vue rhétorique, le terme produit une version totalement caricaturée d’un adversaire fantasmé.

      (#paywall)
      https://aoc.media/opinion/2021/11/25/lagitation-de-la-chimere-wokisme-ou-lempechement-du-debat

    • Europe’s War on Woke

      Why elites across the Atlantic are freaking out about the concept of structural racism.

      On my 32nd birthday, I agreed to appear on Répliques, a popular show on the France Culture radio channel hosted by the illustrious Alain Finkielkraut. Now 72 and a household name in France, Finkielkraut is a public intellectual of the variety that exists only on the Left Bank: a child of 1968 who now wears Loro Piana blazers and rails against “la cancel culture.” The other guest that day—January 9, less than 72 hours after the US Capitol insurrection—was Pascal Bruckner, 72, another well-known French writer who’d just published “The Almost Perfect Culprit: The Construction of the White Scapegoat,” his latest of many essays on this theme. Happy birthday to me.

      The topic of our discussion was the only one that interested the French elite in January 2021: not the raging pandemic but “the Franco-American divide,” the Huntington-esque clash of two apparently great civilizations and their respective social models—one “universalist,” one “communitarian”—on the question of race and identity politics. To Finkielkraut, Bruckner, and the establishment they still represent, American writers like me seek to impose a “woke” agenda on an otherwise harmonious, egalitarian society. Americans who argue for social justice are guilty of “cultural imperialism,” of ideological projection—even of bad faith.

      This has become a refrain not merely in France but across Europe. To be sure, the terms of this social-media-fueled debate are unmistakably American; “woke” and “cancel culture” could emerge from no other context. But in the United States, these terms have a particular valence that mostly has to do with the push for racial equality and against systemic racism. In Europe, what is labeled “woke” is often whatever social movement a particular country’s establishment fears the most. This turns out to be an ideal way of discrediting those movements: To call them “woke” is to call them American, and to call them American is to say they don’t apply to Europe.

      In France, “wokeism” came to the fore in response to a recent slew of terror attacks, most notably the gruesome beheading in October 2020 of the schoolteacher Samuel Paty. After years of similar Islamist attacks—notably the massacre at the offices of the newspaper Charlie Hebdo in January 2015 and the ISIS-inspired assaults on the Hypercacher kosher supermarket and the Bataclan concert hall in November 2015—the reaction in France reached a tipping point. Emmanuel Macron’s government had already launched a campaign against what it calls “Islamist separatism,” but Paty’s killing saw a conversation about understandable trauma degenerate into public hysteria. The government launched a full-scale culture war, fomenting its own American-style psychodrama while purporting to do the opposite. Soon its ministers began railing against “islamo-gauchisme” (Islamo-leftism) in universities, Muslim mothers in hijabs chaperoning school field trips, and halal meats in supermarkets.

      But most of all, they began railing against the ideas that, in their view, somehow augmented and abetted these divisions: American-inspired anti-racism and “wokeness.” Macron said it himself in a speech that was widely praised by the French establishment for its alleged nuance: “We have left the intellectual debate to others, to those outside of the Republic, by ideologizing it, sometimes yielding to other academic traditions…. I see certain social science theories entirely imported from the United States.” In October, the French government inaugurated a think tank, the Laboratoire de la République, designed to combat these “woke” theories, which, according to the think tank’s founder, Jean-Michel Blanquer, Macron’s education minister, “led to the rise of Donald Trump.”

      As the apparent emissaries of this pernicious “Anglo-Saxon” identitarian agenda, US journalists covering this moment in France have come under the spotlight, especially when we ask, for instance, what islamo-gauchisme actually means—if indeed it means anything at all. Macron himself has lashed out at foreign journalists, even sending a letter to the editor of the Financial Times rebutting what he saw as an error-ridden op-ed that took a stance he could not bear. “I will not allow anybody to claim that France, or its government, is fostering racism against Muslims,” he wrote. Hence my own invitation to appear on France Culture, a kind of voir dire before the entire nation.

      Finkielkraut began the segment with a tirade against The New York Times and then began discussing US “campus culture,” mentioning Yale’s Tim Barringer and an art history syllabus that no longer includes as many “dead white males.” Eventually I asked how, three days after January 6, we could discuss the United States without mentioning the violent insurrection that had just taken place at the seat of American democracy. Finkielkraut became agitated. “And for you also, [what about] the fact that in the American Congress, Emanuel Cleaver, representative of Missouri, presiding over a new inauguration ceremony, finished by saying the words ‘amen and a-women’?” he asked. “Ça vous dérangez pas?” I said it didn’t bother me in the least, and he got even more agitated. “I don’t understand what you say, James McAuley, because cancel culture exists! It exists!”

      The man knew what he was talking about: Three days after our conversation, Finkielkraut was dropped from a regular gig at France’s LCI television for defending his old pal Olivier Duhamel of Sciences Po, who was embroiled in a pedophilia scandal that had taken France by storm. Duhamel was accused by his stepdaughter, Camille Kouchener, of raping her twin brother when the two were in their early teens. Finkielkraut speculated that there may have been consent between the two parties, and, in any case, a 14-year-old was “not the same thing” as a child.

      I tell this story because it is a useful encapsulation of France’s—and Europe’s—war on woke, a conflict that has assumed various forms in different national contexts but that still grips the continent. On one level, there is a certain comedy to it: The self-professed classical liberal turns out to be an apologist for child molestation. In fact, the anti-woke comedy is now quite literally being written and directed by actual comedians who, on this one issue, seem incapable of anything but earnestness. John Cleese, 81, the face of Monty Python and a public supporter of Brexit, has announced that he will be directing a forthcoming documentary series on Britain’s Channel 4 titled Cancel Me, which will feature extensive interviews with people who have been “canceled”—although no one connected with the show has specified what exactly the word means.

      Indeed, the terms of this debate are an insult to collective intelligence. But if we must use them, we need to understand an important distinction between what is called “cancel culture” and what is called “woke.” The former has been around much longer and refers to tactics that are used across the political spectrum, but historically by those on the right. “Cancel culture” is not the result of an increased awareness of racial disparities or a greater commitment to social justice broadly conceived—both of which are more urgent than ever—but rather a terrible and inevitable consequence of life with the Internet. Hardly anyone can support “cancel culture” in good faith, and yet it is never sufficiently condemned, because people call out such tactics only when their political opponents use them, never when their allies do. “Woke,” on the other hand, does not necessarily imply public shaming; it merely signifies a shift in perspective and perhaps a change in behavior. Carelessly equating the two is a convenient way to brand social justice activism as inherently illiberal—and to silence long-overdue conversations about race and inequality that far too many otherwise reasonable people find personally threatening.

      But Europe is not America, and in Europe there have been far fewer incidents that could be construed as “cancellations”—again, I feel stupid even using the word—than in the United States. “Wokeism” is really a phenomenon of the Anglosphere, and with the exception of the United Kingdom, the social justice movement has gained far less traction in Europe than it has in US cultural institutions—newspapers, universities, museums, and foundations. In terms of race and identity, many European cultural institutions would have been seen as woefully behind the times by their US counterparts even before the so-called “great awokening.” Yet Europe has gone fully anti-woke, even without much wokeness to fight.

      So much of Europe’s anti-woke movement has focused on opposing and attempting to refute allegations of “institutional” or “structural” racism. Yet despite the 20th-century continental origins of structuralism (especially in France) as a mode of social analysis—not to mention the Francophone writers who have shaped the way American thinkers conceive of race—many European elites dismiss these critiques as unwelcome intrusions into the public discourse that project the preoccupations of a nation built on slavery (and thus understandably obsessed with race) onto societies that are vastly different. Europe, they insist, has a different history, one in which race—especially in the form of the simple binary opposition of Black and white—plays a less central role. There is, of course, some truth to this rejoinder: Different countries do indeed have different histories and different debates. But when Europeans accuse their American critics of projection, they do so not to point out the very real divergences in the US and European discussions and even conceptions of race and racism. Rather, the charge is typically meant to stifle the discussion altogether—even when that discussion is being led by European citizens describing their own lived experiences.

      France, where I reside, proudly sees itself as a “universalist” republic of equal citizens that officially recognizes no differences among them. Indeed, since 1978, it has been illegal to collect statistics on race, ethnicity, or religion—a policy that is largely a response to what happened during the Second World War, when authorities singled out Jewish citizens to be deported to Nazi concentration camps. The French view is that such categories should play no role in public life, that the only community that counts is the national community. To be anti-woke, then, is to be seen as a discerning thinker, one who can rise above crude, reductive identity categories.

      The reality of daily life in France is anything but universalist. The French state does indeed make racial distinctions among citizens, particularly in the realm of policing. The prevalence of police identity checks in France, which stem from a 1993 law intended to curb illegal immigration, is a perennial source of controversy. They disproportionately target Black and Arab men, which is one reason the killing of George Floyd resonated so strongly here. Last summer I spoke to Jacques Toubon, a former conservative politician who was then serving as the French government’s civil liberties ombudsman (he is now retired). Toubon was honest in his assessment: “Our thesis, our values, our rules—constitutional, etc.—they are universalist,” he said. “They do not recognize difference. But there is a tension between this and the reality.”

      One of the most jarring examples of this tension came in November 2020, when Sarah El Haïry, Macron’s youth minister, traveled to Poitiers to discuss the question of religion in society at a local high school. By and large, the students—many of whom were people of color—asked very thoughtful questions. One of them, Emilie, 16, said that she didn’t see the recognition of religious or ethnic differences as divisive. “Just because you are a Christian or a Muslim does not represent a threat to society,” she said. “For me, diversity is an opportunity.” These and similar remarks did not sit well with El Haïry, who nonetheless kept her cool until another student asked about police brutality. At that point, El Haïry got up from her chair and interrupted the student. “You have to love the police, because they are there to protect us on a daily basis,” she said. “They cannot be racist because they are republican!”

      For El Haïry, to question such assumptions would be to question something foundational and profound about the way France understands itself. The problem is that more and more French citizens are doing just that, especially young people like the students in Poitiers, and the government seems utterly incapable of responding.

      Although there is no official data to this effect—again, because of universalist ideology—France is estimated to be the most ethnically diverse society in Western Europe. It is home to large North African, West African, Southeast Asian, and Caribbean populations, and it has the largest Muslim and Jewish communities on the continent. By any objective measure, that makes France a multicultural society—but this reality apparently cannot be admitted or understood.

      Macron, who has done far more than any previous French president to recognize the lived experiences and historical traumas of various minority groups, seems to be aware of this blind spot, but he stops short of acknowledging it. Earlier this year, I attended a roundtable discussion with Macron and a small group of other Anglophone correspondents. One thing he said during that interview has stuck with me: “Universalism is not, in my eyes, a doctrine of assimilation—not at all. It is not the negation of differences…. I believe in plurality in universalism, but that is to say, whatever our differences, our citizenship makes us build a universal together.” This is simply the definition of a multicultural society, an outline of the Anglo-Saxon social model otherwise so despised in France.

      Europe’s reaction to the brutal killing of George Floyd in may 2020 was fascinating to observe. The initial shock at the terrifyingly mundane horrors of US life quickly gave way to protest movements that decried police brutality and the unaddressed legacy of Europe’s colonial past. This was when the question of structural racism entered the conversation. In Britain, Prime Minister Boris Johnson responded to the massive protests throughout the country by establishing the Commission on Race and Ethnic Disparities, an independent group charged with investigating the reality of discrimination and coming up with proposals for rectifying racial disparities in public institutions. The commission’s report, published in April 2021, heralded Britain as “a model for other White-majority countries” on racial issues and devoted three pages to the problems with the language of “structural racism.”

      One big problem with this language, the report implied, is that “structural racism” is a feeling, and feelings are not facts. “References to ‘systemic’, ‘institutional’ or ‘structural racism’ may relate to specific processes which can be identified, but they can also relate to the feeling described by many ethnic minorities of ‘not belonging,’” the report said. “There is certainly a class of actions, behaviours and incidents at the organisational level which cause ethnic minorities to lack a sense of belonging. This is often informally expressed as feeling ‘othered.’” But even that modest concession was immediately qualified. “However, as with hate incidents, this can have a highly subjective dimension for those tasked with investigating the claim.” Finally, the report concluded, the terms in question were inherently extreme. “Terms like ‘structural racism’ have roots in a critique of capitalism, which states that racism is inextricably linked to capitalism. So by that definition, until that system is abolished racism will flourish.”

      The effect of these language games is simply to limit the terms available to describe a phenomenon that indeed exists. Because structural racism is not some progressive shibboleth: It kills people, which need not be controversial or even political to admit. For one recent example in the UK, look no further than Covid-19 deaths. The nation’s Office for National Statistics concluded that Black citizens were more than four times as likely to die of Covid as white citizens, while British citizens of Bangladeshi and Pakistani heritage were more than three times as likely to die. These disparities were present even among health workers directly employed by the state: Of the National Health Service clinical staff who succumbed to the virus, a staggering 60 percent were “BAME”—Black, Asian, or minority ethnic, a term that the government’s report deemed “no longer helpful” and “demeaning.” Beyond Covid-19, reports show that Black British women are more than four times as likely to die in pregnancy or childbirth as their white counterparts; British women of an Asian ethnic background die at twice the rate of white women.

      In the countries of Europe as in the United States, the battle over “woke” ideas is also a battle over each nation’s history—how it is written, how it is taught, how it is understood.

      Perhaps nowhere is this more acutely felt than in Britain, where the inescapable legacy of empire has become the center of an increasingly acrimonious public debate. Of particular note has been the furor over how to think about Winston Churchill, who remains something of a national avatar. In September, the Winston Churchill Memorial Trust renamed itself the Churchill Fellowship, removed certain pictures of the former prime minister from its website, and seemed to distance itself from its namesake. “Many of his views on race are widely seen as unacceptable today, a view that we share,” the Churchill Fellowship declared. This followed the November 2020 decision by Britain’s beloved National Trust, which operates an extensive network of stately homes throughout the country, to demarcate about 100 properties with explicit ties to slavery and colonialism.

      These moves elicited the ire of many conservatives, including the prime minister. “We need to focus on addressing the present and not attempt to rewrite the past and get sucked into the never-ending debate about which well-known historical figures are sufficiently pure or politically correct to remain in public view,” Johnson’s spokesman said in response to the Churchill brouhaha. But for Hilary McGrady, the head of the National Trust, “the genie is out of the bottle in terms of people wanting to understand where wealth came from,” she told London’s Evening Standard. McGrady justified the trust’s decision by saying that as public sensibilities change, so too must institutions. “One thing that possibly has changed is there may be things people find offensive, and we have to be sensitive about that.”

      A fierce countermovement to these institutional changes has already emerged. In the words of David Abulafia, 71, an acclaimed historian of the Mediterranean at Cambridge University and one of the principal architects of this countermovement, “We can never surrender to the woke witch hunt against our island story.”

      This was the actual title of an op-ed by Abulafia that the Daily Mail published in early September, which attacked “today’s woke zealots” who “exploit history as an instrument of propaganda—and as a means of bullying the rest of us.” The piece also announced the History Reclaimed initiative, of which Abulafia is a cofounder: a new online platform run by a board of frustrated British historians who seek to “provide context, explanation and balance in a debate in which condemnation is too often preferred to understanding.” As a historian myself, I should say that I greatly admire Abulafia’s work, particularly its wide-ranging synthesis and its literary quality, neither of which is easy to achieve and both of which have been models for me in my own work. Which is why I was surprised to find a piece by him in the Daily Mail, a right-wing tabloid not exactly known for academic rigor. When I spoke with Abulafia about it, he seemed a little embarrassed. “It’s basically an interview that they turn into text and then send back to you,” he told me. “Some of the sentences have been generated by the Daily Mail.”

      As in the United States, the UK’s Black Lives Matter protests led to the toppling of statues, including the one in downtown Bristol of Edward Colston, a 17th-century merchant whose wealth derived in part from his active involvement in the slave trade. Abulafia told me he prefers a “retain and explain” approach, which means keeping such statues in place but adding context to them when necessary. I asked him about the public presentation of statues and whether by their very prominence they command an implicit honor and respect. He seemed unconvinced. “You look at statues and you’re not particularly aware of what they show,” he said.

      “What do you do about Simon de Montfort?” Abulafia continued. “He is commemorated at Parliament, and he did manage to rein in the power of monarchy. But he was also responsible for some horrific pogroms against the Jews. Everyone has a different perspective on these people. It seems to me that what we have to say is that human beings are complex; we often have contradictory ideas, mishmash that goes in any number of different directions. Churchill defeated the Nazis, but lower down the page one might mention that he held views on race that are not our own. Maintaining that sense of proportion is important.”

      All of these are reasonable points, but what I still don’t understand is why history as it was understood by a previous generation must be the history understood by future generations. Statues are not history; they are interpretations of history created at a certain moment in time. Historians rebuke previous interpretations of the past on the page all the time; we rewrite accounts of well-known events according to our own contemporary perspectives and biases. What is so sacred about a statue?

      I asked Abulafia why all of this felt so personal to him, because it doesn’t feel that way to me. He replied, “I think there’s an element of this: There is a feeling that younger scholars might be disadvantaged if they don’t support particular views of the past. I can think of examples of younger scholars who’ve been very careful on this issue, who are not really taking sides on that issue.” But I am exactly such a younger scholar, and no one has ever forced me to uphold a certain opinion, either at Harvard or at Oxford. For Abulafia, however, this is a terrifying moment. “One of the things that really worries me about this whole business is the lack of opportunities for debate.”

      Whatever one thinks of “woke” purity tests, it cannot be argued in good faith that the loudest European voices on the anti-woke side of the argument are really interested in “debate.” In France especially, the anti-woke moment has become particularly toxic because its culture warriors—on both the right and the left—have succeeded in associating “le wokeisme” with defenses of Islamist terrorism. Without question, France has faced the brunt of terrorist violence in Europe in recent years: Since 2015, more than 260 people have been killed in a series of attacks, shaking the confidence of all of us who live here. The worst year was 2015, flanked as it was by the Charlie Hebdo and Bataclan concert hall attacks. But something changed after Paty’s brutal murder in 2020. After a long, miserable year of Covid lockdowns, the French elite—politicians and press alike—began looking for something to blame. And so “wokeness” was denounced as an apology for terrorist violence; in the view of the French establishment, to emphasize identity politics was to sow the social fractures that led to Paty’s beheading. “Wokeness” became complicit in the crime, while freedom of expression was reserved for supporters of the French establishment.

      The irony is fairly clear: Those who purported to detest American psychodramas about race and social justice had to rely on—and, in fact, to import—the tools of an American culture war to battle what they felt threatened by in their own country. In the case of Paty’s murder and its aftermath, there was another glaring irony, this time about the values so allegedly dear to the anti-woke contingent. The middle school teacher, who was targeted by a Chechen asylum seeker because he had shown cartoons of the prophet Muhammad as part of a civics lesson about free speech, was immediately lionized as an avatar for the freedom of expression, which the French government quite rightly championed as a value it would always protect. “I will always defend in my country the freedom to speak, to write, to think, to draw,” Macron told Al Jazeera shortly after Paty’s killing. This would have been reassuring had it not been completely disingenuous: Shortly thereafter, Macron presided over a crackdown on “islamo-gauchisme” in French universities, a term his ministers used with an entirely straight face. If there is a single paradox that describes French cultural life in 2021, it is this: “Islamophobia” is a word one is supposed to avoid, but “Islamo-leftism” is a phenomenon one is expected to condemn.

      Hundreds of academics—including at the Centre National de la Recherche Scientifique, France’s most prestigious research body—attacked the government’s crusade against an undefined set of ideas that were somehow complicit in the Islamist terror attacks that had rocked the country. Newspapers like Le Monde came out against the targeting of “islamo-gauchisme,” and there were weeks of tedious newspaper polemics about whether the term harks back to the “Judeo-Bolshevism” of the 1930s (of course it does) or whether it describes a real phenomenon. In any case, the Macron government backtracked in the face of prolonged ridicule. But the trauma of the terror attacks and the emotional hysteria they unleashed will linger: France has also reconfigured its commitment to laïcité, the secularism that the French treat as an unknowable philosophical ideal but that is actually just the freedom to believe or not to believe as each citizen sees fit. Laïcité has become a weapon in the culture war, instrumentalized in the fight against an enemy that the French government assures its critics is radical Islamism but increasingly looks like ordinary Islam.

      The issue of the veil is infamously one of the most polarizing and violent in French public debate. The dominant French view is a function of universalist ideology, which holds that the veil is a symbol of religious oppression; it cannot be worn by choice. A law passed in 2004 prohibits the veil from being worn in high schools, and a separate 2010 law bans the face-covering niqab from being worn anywhere in public, on the grounds that “in free and democratic societies…o exchange between people, no social life is possible, in public space, without reciprocity of look and visibility: people meet and establish relationships with their faces uncovered.” (Needless to say, this republican value was more than slightly complicated by the imposition of a mask mandate during the 2020 pandemic.)

      In any case, when Muslim women wear the veil in public, which is their legal right and in no way a violation of laïcité, they come under attack. In 2019, for instance, then–Health Minister Agnès Buzyn—who is now being investigated for mismanaging the early days of the pandemic—decried the marketing of a runner’s hijab by the French sportswear brand Decathlon, because of the “communitarian” threat it apparently posed to universalism. “I would have preferred a French brand not to promote the veil,” Buzyn said. Likewise, Jean-Michel Blanquer, France’s education minister, conceded that although it was technically legal for mothers to wear head scarves, he wanted to avoid allowing them to chaperone school trips “as much as possible.”

      Nicolas Cadène, the former head of France’s national Observatory of Secularism—a laïcité watchdog, in other words—was constantly criticized by members of the French government for being too “soft” on Muslim communal organizations, with whose leaders he regularly met. Earlier this year, the observatory that Cadène ran was overhauled and replaced with a new commission that took a harder line. He remarked to me, “You have political elites and intellectuals who belong to a closed society—it’s very homogeneous—and who are not well-informed about the reality of society. These are people who in their daily lives are not in contact with those who come from diverse backgrounds. There is a lack of diversity in that elite. France is not the white man—there is a false vision [among] our elites about what France is—but they are afraid of this diversity. They see it as a threat to their reality.”

      As in the United States, there is a certain pathos in the European war on woke, especially in the battalion of crusaders who belong to Cleese and Finkielkraut’s generation. For them, “wokeism” —a term that has no clear meaning and that each would probably define differently—is a personal affront. They see the debate as being somehow about them. The British politician Enoch Powell famously said that all political lives end in failure. A corollary might be that all cultural careers end in irrelevance, a reality that so many of these characters refuse to accept, but that eventually comes for us all—if we are lucky. For many on both sides of the Atlantic, being aggressively anti-woke is a last-ditch attempt at mattering, which is the genuinely pathetic part. But it is difficult to feel pity for those in that camp, because their reflex is, inescapably, an outgrowth of entitlement: To resent new voices taking over is to believe that you always deserve a microphone. The truth is that no one does.

      https://www.thenation.com/article/world/woke-europe-structural-racism

  • Ursus arctos horribilis

    HIRSCH UND ICH
    Der Braunbär ist instagrammäßig im Grunde ein armes Schwein: Niemand will sich mit einem Raubtier fotografieren lassen. Schon die Bedienung eines normalen SelfieSticks misslingt dem Grizzly in aller Regel gründlich. Stichwort Patschetatze, Hashtag #grobmotorik. Dieser Bär aber müsste eigentlich überglücklich sein, dass Fotograf Zack Clothier in den Wäldern
    Montanas eine ferngesteuerte Kamera benutzte. „Hirschrest und ich“ – ein Schnappschuss für das bärige Familienalbum. Gibt’s nicht? Na gut. Für den
    Fotografen gab es wenigstens Ruhm und Ehre beim Londoner Wettbewerb „Wildlife Photographer Of The Year“.

    Text : Stern 43/2021

    #photographie #animaux #amérique #grizzly

  • Concevoir la qualité environnementale urbaine sans les habitants ?
    https://metropolitiques.eu/Concevoir-la-qualite-environnementale-urbaine-sans-les-habitants.htm

    Que signifie la « qualité environnementale urbaine » ? À partir de deux enquêtes à #Toulouse, Delphine Chouillou montre que si les concepteurs d’espaces urbains peuvent partager les #représentations qu’en ont les habitants, ils peinent cependant à les intégrer concrètement à leurs projets. La notion de « qualité environnementale urbaine » (QEU) recouvre des réalités hétérogènes dans le champ scientifique, et dont le périmètre se renouvelle sans cesse dans le champ opérationnel. Nombre de chercheurs en sciences #Terrains

    / #urbanisme, #projet_urbain, #environnement, Toulouse, #aménagement, représentations

    https://metropolitiques.eu/IMG/pdf/met-chouillou.pdf

  • Sandwich au beurre de cacahuète
    https://www.cuisine-libre.org/peanut-butter-jelly-sandwich

    Faire griller les tranches de pain de mie.
    Sur l’une, étaler le beurre de cacahuète.
    Sur l’autre, étaler la confiture.
    Assembler les deux en sandwich.
    Déguster !

    #Sandwichs, #Beurre_de cacahuète, #Pain_de mie, #Amérique_du nord / #Végétarien, #Sans viande, #Sans œuf, #Sans lactose

  • Les entreprises de l’aménagement face à la #recherche : illusions, désillusions et réalisations
    https://metropolitiques.eu/Les-entreprises-de-l-amenagement-face-a-la-recherche-illusions-desil

    S’ils partagent parfois un même désir d’innovation, recherche en SHS et entreprises de l’urbain entretiennent des relations complexes et ambiguës, comme le montre l’auteur à partir de sa double expérience de chercheur et de directeur de la Recherche et de l’Innovation en entreprise. Depuis plus de cinquante ans, la mobilisation des sciences humaines et sociales (SHS) dans le champ de la production de la ville connaît une histoire tumultueuse et douloureuse. Dans le champ de l’urbain – bureaux #Débats

    / #recherche_urbaine, recherche, #urbanisme, #innovation, #ingénierie_urbaine, #aménagement

    https://metropolitiques.eu/IMG/pdf/met_petitet.pdf

  • Vargas Llosa, autoportrait intellectuel
    https://laviedesidees.fr/Mario-Vargas-Llosa-L-appel-de-la-tribu.html

    À propos de : Mario Vargas Llosa, L’appel de la tribu, Gallimard. Prix Nobel de littérature, Mario Vargas Llosa a aussi été un homme #Politique, engagé à droite. Dans cet essai de vulgarisation, l’écrivain péruvien rend hommage aux philosophes qui ont forgé sa conception du #libéralisme.

    #Amérique_latine #roman
    https://laviedesidees.fr/IMG/pdf/20211009_vargas.pdf
    https://laviedesidees.fr/IMG/docx/20211009_vargas.docx

  • #Liberté, #exigence, #émancipation. Réinstituer l’#Université

    Les strates successives de #réformes subies par l’Université depuis vingt ans, même si elles ne sont pas dénuées d’incohérences, reposent sur un socle politique et idéologique relativement précis [1]. Celui-ci trouve notamment son articulation dans les travaux de sociologie des établissements d’enseignement supérieur par Christine Musselin [2] ou dans le rapport Aghion-Cohen de 2004 [3] sur “éducation et croissance”[4]. Pour une part, ce socle reprend les théories de la #croissance par l’#innovation et la “#destruction_créatrice” inspirées de #Joseph_Schumpeter [5] , surtout pertinentes pour la #recherche. Le socle intellectuel présidant aux réformes récentes combine cet héritage avec une vision de l’#aménagement_du_territoire fondée sur la partition entre des #métropoles intelligentes et concurrentielles et un vaste hinterland tributaire du #ruissellement_de_croissance, ce qu’Olivier Bouba-Olga et Michel Grossetti [6] appellent la « #mythologie_CAME » (#compétitivité-#attractivité-#métropolisation-#excellence). Dans cette perspective, hormis quelques cursus d’élite, les formations universitaires doivent surtout offrir des gages “d’#employabilité” future. Au fil des reconversions professionnelles, le “portefeuille de #compétences” initial se verra étoffé par des #certificats_modulables attestant de quelques #connaissances_spécialisées, ou de “#savoir-faire” dont certains relèveront probablement surtout du conditionnement opérationnel. Dans le même temps, #évaluation et #valorisation sont devenus les termes incontournables et quasi indissociables de la formulation d’une offre “client” qui débouche sur une organisation par marché(s) (marché des formations diplômantes, des établissements, de l’emploi universitaire…). Dans les variantes les plus cohérentes de ce programme, ces #marchés relèvent directement du #Marché, d’où la revendication d’une #dérégulation à la fois des #frais_d’inscription à l’université et des #salaires des universitaires.

    Sortir l’Université de l’ornière où ces réformes l’ont placée impose de construire un contre-horizon détaillé. Les mots d’ordre défensifs de 2008 et 2009 n’avaient sans doute que peu de chances d’arrêter la machine. Aujourd’hui, la demande d’une simple abrogation des dispositions prises à partir de 2007 ne serait pas à la hauteur des changements internes que ces politiques ont induits dans l’Université. On ne saurait de toute façon se satisfaire d’une perspective de restauration de l’ancienne Université. C’est en ce sens que nous parlons de ré-institution ou de refondation.

    Émanciper qui, de quoi, pour quoi faire

    Il est impératif de prendre comme point de départ la question des finalités sociales et politiques de l’Université. Si la référence à la notion d’émancipation est indispensable à nos yeux, elle ne suffit pas non plus à définir un nouvel horizon. La capacité du discours réformateur néolibéral à assimiler et finalement dissoudre le projet émancipateur n’est plus à prouver, y compris en matière scolaire : le recours à la notion de compétence, du primaire à l’université, renvoie ainsi, cyniquement, à une idée généreuse de pédagogies alternatives visant à libérer l’institution scolaire de ce qui était perçu comme un carcan autoritaire transformant les élèves en singes savants. Cet idéal scolaire émancipateur systématiquement dévoyé a pris des formes multiples et parfois contradictoires, et ce n’est pas ici le lieu de les analyser. Au moins depuis Boltanski & Chiapello [7], on sait qu’il ne faut pas sous-estimer la capacité du management à digérer la “critique artiste du capitalisme”, pour mettre en place un nouveau modèle de néolibéralisme autoritaire. L’auto-entrepreneur·euse de soi-même assujetti·e aux normes de valorisation par le marché est pour nous un épouvantail, mais il s’agit d’une figure d’émancipation pour certains courants réformateurs.

    L’émancipation n’est jamais une anomie : c’est un déplacement collectif et consenti de la nature des normes et de leur lieu d’exercice. Poser la question de la finalité émancipatrice de l’#enseignement_supérieur, c’est demander qui doit être émancipé de quoi et pour quoi faire. Ce “pour quoi faire”, en retour, nous renvoie au problème du comment, dans la mesure où devant un tel objectif, c’est sans doute la détermination du chemin qui constitue en soi le seul but atteignable.

    L’#autonomie_étudiante

    À première vue, la réponse à la question « qui » est tautologique : il s’agit d’émanciper les étudiant·es — mais comme on va le voir, si l’on pose l’existence d’un cycle auto-amplificateur entre étudiant·es et enseignant·es, cela pose aussi la question de l’émancipation de l’ensemble des universitaires. Il importe de souligner que les étudiant·es ne sont pas forcément « la jeunesse », ni la jeunesse titulaire du baccalauréat. Quant à savoir de quoi il s’agit de les émanciper, la réponse est d’abord : du déterminisme par le milieu social, culturel et géographique d’origine [8]. Cela représente à la fois un enjeu démocratique et un enjeu social majeur.

    L’Université doit être librement et gratuitement accessible à toute personne détenant le baccalauréat à tout âge de la vie ; tout établissement universitaire doit proposer une voie d’accès, le cas échéant via une propédeutique, aux personnes ne détenant pas le baccalauréat mais désirant entamer des #études_supérieures ; l’#accès gratuit à l’Université et à son ouverture intellectuelle et culturelle ne doit pas être conditionné à l’inscription à un cursus diplômant.

    Ce programme impose la mise en œuvre parallèle d’une politique d’#autonomie_matérielle des étudiant·es. Nous souscrivons à l’essentiel des propositions formulées par le groupe Acides [9] en faveur d’un “#enseignement_supérieur_par_répartition”, c’est-à-dire d’un système socialisé d’#accès_aux_études, pour qu’elles soient menées dans les meilleures conditions de réussite. Nous proposons que l’#allocation_d’autonomie_étudiante soit versée de droit pour trois ans, prolongeables d’un an sur simple demande, à toute personne inscrite dans une formation diplômante de premier cycle, avec possibilité de la solliciter pour suivre une formation universitaire non-diplômante, mais aussi une formation de deuxième ou de troisième cycle. Pour ces deux derniers cycles, toutefois, ce système nous semble devoir coexister avec un dispositif de pré-recrutement sous statut d’élève-fonctionnaire dans les métiers d’intérêt général que la collectivité a vocation à prendre en charge : médecine et soins infirmiers, enseignement primaire et secondaire, recherche scientifique, aménagement du territoire et transition écologique…

    Pour une #géographie de l’#émancipation_universitaire

    Ces premiers éléments nécessitent de se pencher sur ce qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler “le #paysage_universitaire”. Il faut ici distinguer deux niveaux : un niveau proprement géographique, et un niveau sociologique qui conduit immanquablement à poser la question des différents cursus post-bac hors universités, et notamment des grandes écoles.

    Au plan géographique, il est nécessaire de s’extraire de la dichotomie mortifère entre des établissements-monstres tournés vers la compétition internationale et installés dans des métropoles congestionnées, et des universités dites “de proximité” : celles-ci, à leur corps défendant, n’ont pas d’autre fonction aux yeux des réformateurs que d’occuper une jeunesse assignée à résidence géographiquement, socialement et culturellement [10]. Le #maillage_territorial actuel est dense, du fait de l’héritage de la dernière vague de création d’#universités_de_proximité. Pour autant, il s’organise selon une structure pyramidale : l’héritage évoqué est en effet corrigé par une concentration des investissements au profit de quelques établissements hypertrophiés. A contrario, nous préconisons une organisation en réseau, dont les cellules de base seraient des établissements de taille moyenne, c’est-à-dire ne dépassant pas les 20.000 étudiants. Nous avons besoin d’universités à taille humaine, structurées en petites entités autonomes confédérées. Ces établissements doivent offrir aux étudiants des perspectives d’émancipation vis-à-vis du milieu d’origine et de la sclérose intellectuelle qui frappe le pays ; ils doivent permettre une recherche autonome, collégiale et favorisant le temps long.

    Pour cela, nous proposons un plan en deux temps. D’une part, un surcroît d’investissement doit être consenti vers des pôles de villes moyennes pour en faire, non des “universités de proximité” centrées sur le premier cycle, mais des établissements complets proposant également une activité scientifique de pointe et exerçant une attraction nationale, afin de décentrer le système universitaire actuellement structuré par l’opposition entre métropoles et hinterland. D’autre part, nous préconisons d’installer trois à cinq nouvelles universités dans des villes moyennes ou des petites villes, à bonne distance des métropoles, en prenant appui sur le patrimoine bâti abandonné par l’État et sur les biens sous-utilisés voire inoccupés appartenant aux collectivités. Certaines #villes_moyennes voire petites disposent en effet d’anciens tribunaux, de garnisons ou même des bâtiments ecclésiastiques qui tombent en déshérence. Notons qu’il ne s’agit pas seulement de les transformer en laboratoires et en amphithéâtres : au bas mot, notre pays a aussi besoin d’une centaine de milliers de places supplémentaires de cités universitaires à très brève échéance.

    L’#utilité_sociale de l’enseignement supérieur ne se réduit pas à “former la jeunesse” : cette nouvelle géographie ne saurait être pensée sur le mode du phalanstère coupé du monde. Au contraire, les #universités_expérimentales doivent être fondues dans la ville et dans la société. La refondation de l’Université s’accompagne donc d’un projet urbanistique. L’#architecture de l’université doit être pensée en sorte que les #campus soient des #quartiers de la ville, avec les services publics et privés nécessaires à une intégration vivante de ces quartiers dans le #territoire. Les lieux de vie universitaires doivent inclure des écoles maternelles, primaires et secondaires, des commerces, des librairies, des théâtres, des zones artisanales et des quartiers d’habitation pour celles et ceux qui feront vivre ces lieux. Les bibliothèques universitaires et les bibliothèques municipales des villes universitaires doivent être rapprochées, voire fusionnées.

    La question des #Grandes_Écoles

    Les politiques de différenciation entre établissements de recherche et de proximité croisent la problématique des grandes écoles, mais ne se confond pas avec elle : en atteste l’échec du projet de fusion de Polytechnique avec l’université d’Orsay-Saclay, ou la survivance d’une myriade d’écoles d’ingénieur·es et de commerce proposant des formations indigentes avec un taux d’employabilité équivalent à celui d’une licence d’une petite université de proximité. La refondation esquissée ici sera compromise tant que la question de la dualité Université / Grandes Écoles n’aura pas été réglée. On ne fera pas l’économie d’une instauration effective du monopole de l’Université sur la collation des grades. Cela implique une montée en puissance des #capacités_d’accueil, c’est-à-dire du nombre d’établissements, des moyens récurrents et des postes d’universitaires titulaires dans tous les corps de métier, de façon à pouvoir atteindre une jauge de 600.000 étudiant·es par promotion de premier cycle, 200.000 étudiant·es par promotion de deuxième cycle, 20.000 étudiant·es (rémunéré·es !) par promotion de troisième cycle, soit un total d’environ 2,4 millions d’étudiant·es. Précisons qu’il y avait en 2019-2020 1,6 millions d’étudiants à l’Université, 600.000 dans d’autres établissements publics, majoritairement des lycées (CPGE, BTS), et 560.000 dans le secteur privé. Le chiffre de 2.4 millions d’étudiants à l’Université correspond donc à une estimation basse des effectifs une fois le monopole universitaire sur la collation des grades rétabli.

    Dans le détail, l’application de ce programme signifie que les formations d’ingénieurs pourront et devront être assurées à l’Université, avec un pré-recrutement dans certains domaines, l’écologie notamment ; les sections de technicien supérieur (STS) seront soit rattachées aux instituts universitaires de technologie (IUT) existants, soit constituées en IUT. Pour ce qui est des écoles de commerce, on pourra se contenter de supprimer la reconnaissance de leurs diplômes dans les conventions collectives et les concours de la Fonction publique. L’Institut d’Études Politiques de Paris doit devenir une université de droit commun. Les IEP de Province et les antennes régionales de l’IEP Paris ont vocation à intégrer l’université la plus proche sous la forme d’une UFR de sciences politiques, tandis que la Fondation Nationale des Sciences Politiques doit être dissoute, et son patrimoine transféré, par exemple à la Fondation Maison des Sciences de l’Homme [11].

    La question des #Écoles_Normales_Supérieures (#ENS), initialement pensées pour pré-recruter des enseignants et des chercheurs au service de l’Université, peut être résorbée par l’extension de ce pré-recrutement à travers le pays, le décentrage vis-à-vis de Paris et Lyon, la construction de cités étudiantes dotées de bibliothèques et la mise en place de formations expérimentales par la recherche interdisciplinaire. Les ENS seraient ainsi rendues caduques du fait de l’extension à l’Université du mode de fonctionnement qui était censé être le leur.

    Une fois privées de leur débouché de principe, on peut se demander quelle utilité resterait aux #classes_préparatoires : beaucoup fermeraient, mais certaines pourraient être maintenues pour aider au maillage territorial à un niveau de propédeutique, si l’on souhaite rétablir une sorte de trivium occupant les trois ou quatre premiers semestres, fonction que le DEUG assurait jadis. En tout état de cause, la licence elle-même ne pourra être obtenue qu’à l’Université.

    Que faire des #cursus ?

    Cela nous amène au problème de l’organisation des enseignements et des cursus, lequel nous impose de faire retour à la question initiale : émanciper qui, de quoi, comment et pour quoi faire ? Pour nous, l’existence de l’Université comme institution d’enseignement distincte du lycée se justifie par un lien spécifique entre la formation universitaire et la #recherche_scientifique. L’enseignement secondaire a pour fonction de transmettre des savoirs déjà stabilisés, ce qui n’est pas exclusif d’un aperçu de l’histoire complexe de cette consolidation, ni même des contradictions subsistant dans les corpus enseignés. La formation universitaire a ceci de spécifique qu’elle ne dissocie jamais totalement la production, la transmission et la critique des #savoirs. Par conséquent, seul le niveau propédeutique, encore essentiellement consacré à l’acquisition de bases communément admises d’une discipline, peut à la rigueur être dispensé hors Université, dans la mesure où il ne donne pas lieu à la collation d’un grade.

    Inversement, la licence (ou le titre qui pourrait lui succéder) impose un saut qualitatif avec une première confrontation aux réalités de la recherche scientifique, entendue comme pratique collégiale de la dispute argumentée, sur une problématique construite par la communauté au vu d’un état de la recherche. Aucune licence ne devrait pouvoir être accordée sans une première expérience en la matière, ne serait-ce qu’en position d’observation. Cette première expérience doit prendre des formes différentes selon les disciplines : stage d’observation en laboratoire, brève étude de terrain, traduction commentée… assortis de la rédaction d’un état de l’art. De ce fait, un #cursus_universitaire doit reposer sur un enseignement dispensé par des scientifiques ayant une activité de recherche. On peut penser qu’en-deçà de deux tiers du volume horaire d’enseignement assuré directement par des scientifiques titulaires, le caractère universitaire d’un cursus est remis en jeu. Reconnaître ce seuil aurait également le mérite de limiter réglementairement le recours aux #vacataires et contractuel·les, qui s’est généralisé, tout en laissant une marge suffisamment importante pour offrir aux doctorant·es qui le souhaitent une première expérience de l’enseignement, et en ménageant une place à des intervenant·es extérieur·es qualifié·es dont le point de vue peut être utile à la formation.

    S’agissant des formes d’#enseignement, nous ne croyons pas qu’il soit possible de s’abstraire dès le premier cycle d’une présentation argumentée et contradictoire de l’#état_de_l’art sur les grandes questions d’une discipline. Le #cours_magistral garde donc une pertinence, non comme instrument de passation d’un savoir déjà établi, mais comme outil de liaison entre transmission et critique des savoirs existants. La dimension expérimentale et créative de la formation doit toutefois monter en puissance au fur et à mesure que cette phase propédeutique initiale approche de son terme. De même, la forme du #séminaire_de_recherche doit avoir sa place dans le ou les derniers semestres de licence, et ce quel que soit le cursus.

    Nous ne nous inscrivons pas dans la distinction binaire entre cursus professionnalisants et non-professionnalisants. Cette question de la qualification nous paraît relever d’une pluralité de pratiques qui doit être réglée à l’échelle des disciplines et des mentions. Pour tenir les deux bouts, l’Université doit proposer un éventail de formations présentant des degrés divers d’imbrication avec la recherche finalisée et non-finalisée, des formes plurielles d’application, et des objectifs professionnels différents. Elle doit être conçue comme une grande maison rassemblant la diversité des formations supérieures ; à cet égard, elle ne doit pas reproduire l’opposition des trois baccalauréats (général, technologique et professionnel), ni leur hiérarchie.

    #Disciplines et #indiscipline

    La progression chronologique des cursus et leur cohérence académique ont une importance particulière. Nous persistons à penser que la connaissance scientifique a une dimension historique et cumulative, qui inclut aussi une part de contradictions. C’est ce qui fait l’importance de l’initiation à la notion d’état de la recherche. De ce fait, la temporalité des cursus doit être pensée en conformité avec une progression intellectuelle, pédagogique et scientifique, et non réduite à une combinaison de modules qu’il faudrait faire entrer au chausse-pied dans des maquettes obéissant à des contraintes essentiellement administratives. De là découlent plusieurs conséquences, qui s’appliquent aussi aux cursus interdisciplinaires et expérimentaux que nous appelons de nos vœux. Tout d’abord, les contraintes bureaucratiques ne doivent pas conduire à malmener la #temporalité_pédagogique des étudiant·es. Cela signifie en particulier que l’allocation d’autonomie étudiante en licence devra pouvoir être portée à quatre ans sur simple demande.

    Sur le plan de l’organisation de l’offre de cours, l’insistance sur la #progression_pédagogique et intellectuelle implique de définir quels enseignements fondamentaux doivent impérativement être validés pour permettre le succès dans les étapes ultérieures de la formation. Cela pose la question de la “compensation” des sous-disciplines entre elles : dans sa forme la plus radicale, ce dispositif permet notamment de passer à l’année supérieure si l’on obtient une moyenne générale supérieure à 10/20, sans considération des enseignements non-validés. Il ne nous semble pas pertinent d’abolir toute forme de compensation, car ce dispositif procède assez logiquement de l’idée qu’un cursus n’est pas une juxtaposition de certificats, mais représente l’agencement cohérent d’enseignements obéissant à une structure systématique. En revanche, nous pensons que pour chaque cursus, un bloc disciplinaire doit être dégagé, à l’échelle duquel un niveau minimal doit être atteint par l’étudiant·e pour être en situation de bénéficier des enseignements ultérieurs. Pour augmenter les chances de succès des étudiant·es après une première tentative infructueuse, les enseignements fondamentaux du premier cycle doivent être répétés à chaque semestre.

    On touche ici à un équilibre délicat : en effet, l’exigence d’une progression pédagogique cohérente, qui requiert un cadrage disciplinaire national, ne doit pas être mise au service d’une conception privilégiant la pure transmission au détriment de la production, de la critique et de la reconfiguration des savoirs et in fine des disciplines elles-mêmes. La discipline représente un stade socialement stabilisé de la pratique scientifique, mais elle émerge à partir d’un réseau social (au sens littéral du terme) de scientifiques, qui développent un jargon, des modèles de pensée, des revues, des conférences, dans une dialectique de l’évolution et de la conservation. Les maquettes de cursus et les instances d’élaboration du cadrage national doivent donc impérativement maintenir le caractère évolutif des disciplines, ainsi que la possibilité de leur hybridation, de leur scission ou de leur fusion.

    Si le contact avec la production et la critique des savoirs, au niveau licence, peut se réduire à une simple observation, il n’en va pas de même en master. Tout master, y compris ceux qui préparent à l’enseignement secondaire et ceux qui ouvrent le droit au titre d’ingénieur, doit inclure une part significative de séminaires de recherche et/ou de séjours en laboratoires et de terrains d’analyse. Considérant la définition que nous donnons de la recherche scientifique comme pratique argumentative contradictoire empiriquement étayée, reposant sur un état de l’art et faisant appel à un appareil probatoire objectivable, il nous semble que la mobilité des étudiants d’un établissement ou d’un laboratoire vers un autre doit être encouragée. Cela passerait par la mise en place de dispositifs d’accompagnement financier et logistique pour favoriser une pratique démocratique de la peregrinatio étudiante. En particulier, elle peut être systématisée dans les cursus donnant lieu à un pré-recrutement sous statut d’élève-fonctionnaire.

    Échapper à la Tour d’Ivoire

    La finalité sociale d’une refondation de l’enseignement supérieur ne doit pas se réduire à la formation initiale des corps mettant en œuvre l’accès aux droits fondamentaux (soin, santé environnementale, génie civil, justice, éducation…). Plus généralement, le rôle de l’Université excède la question de l’émancipation “des étudiant·es” au sens d’un groupe social à la recherche d’une formation précise ou d’une qualification. À la crise environnementale qui frappe la terre entière selon des modalités différentes s’ajoute en France une crise sociale et démocratique profonde. L’objectif de refondation de l’Université est une étape de la réponse politique à cette triple crise.

    Nous devons satisfaire trois exigences : la première est l’autonomie intellectuelle et matérielle maximale de la jeunesse ; la deuxième nécessité est la réévaluation de l’utilité sociale des savoirs et des qualifications, contre les hiérarchies actuelles : il s’agit d’aller vers une organisation où un·e bachelier·e professionnel·le maîtrisant les bonnes techniques agro-écologiques ne se verra plus placé.e socialement et scolairement en-dessous d’un·e trader·euse polytechnicien·ne, ni un·e professeur·e des écoles en-dessous d’un·e publicitaire. Le troisième objectif, par lequel nous souhaitons terminer cette contribution, est l’octroi d’une formation scientifique, technique et artistique de qualité pour le plus grand nombre, condition nécessaire à un traitement démocratique et contradictoire des grands problèmes scientifiques, techniques et écologiques du moment.

    Ce dernier point impose un double mouvement. L’imbrication de l’Université dans la ville doit également concerner les formations elles-mêmes. L’Université doit être sa propre “#université_populaire”, dispensant des enseignements ouverts à toutes et tous. Cela peut se faire pour partie sous la forme d’une #formation_continue gratuite ; l’argent actuellement versé au titre de la formation continue serait alors converti en cotisations patronales à l’enseignement supérieur “par répartition”. Mais au-delà des formations continues, l’Université doit continuer de proposer des formations scientifiques non diplômantes et des cours libres à destination des publics intéressés, et étoffer cette offre lorsqu’elle existe.

    Réinstituer une #communauté_universitaire

    Ce plan suppose une émancipation des universitaires, en particulier des corps enseignants, qui soit l’œuvre des universitaires eux-mêmes. Or après vingt années de fabrication managériale du consentement, le refus ou la difficulté de penser la science et ses modalités de production, de réception et de critique prévalent dans l’esprit d’un grand nombre d’enseignant·es-chercheur·euses. Répondre en détail à ce défi imposerait un retour sur les #politiques_de_recherche qu’il s’agit de reconstruire, et sur l’organisation collective de l’#autonomie_du_monde_savant, avec ses conditions budgétaires et statutaires notamment. Cette affirmation ne relève pas du mot d’ordre catégoriel mais de la nécessité intellectuelle : une recherche scientifique de qualité, participant du libre exercice de la #disputatio ou discussion argumentée et orientée vers la recherche de la vérité, demande des garanties matérielles contre toute tentative d’intimidation ou toute dépendance vis-à-vis de donneur·euses d’ordres, de financeur·euses extérieur·es ou tout·e collègue plus puissant·e et susceptible de prendre ombrage d’un travail. La #liberté_académique a ses conditions de réalisation, et la première est d’offrir aux universitaires un statut pérennisant leur indépendance [12].

    La #précarisation objective et subjective des emplois universitaires et scientifiques change la nature de leur métier, et par ricochet, l’essence même de la recherche, et des formations dispensées à l’Université. En droit, cette protection statutaire s’étend à tous les corps de métier vitaux à l’exercice des missions universitaires. Pour nous, les personnes concernées ne sont pas des “personnels des universités” : elles sont l’Université en tant que communauté de pratiques et de buts. Aujourd’hui, une sphère bureaucratico-managériale s’est constituée par accrétion d’une partie de ces corps de métier (au premier rang desquels certain·es enseignant·es-chercheur·euses). Cette sphère se trouve de fait dans une situation de sécession vis-à-vis du reste de l’Université. Ses prébendes reposent sur la dépossession pratique des agent·es qui constituent la sphère académique. Pour le dire autrement : la sphère gestionnaire des universités se construit sur la négation de l’idée d’Université, et la reconstruction de celle-ci passera nécessairement par le démantèlement de celle-là.

    Le réarmement rationaliste critique a des implications pour l’organisation même de l’Université, qui doit être intégralement revue dans le sens d’une gestion collégiale à échelle humaine, avec rotation des responsabilités, réduction maximale de la division du travail, reconnaissance de la valeur de tous les métiers de l’enseignement supérieur et de la recherche, protection contre les différentes formes de harcèlement et d’intimidation, qu’elles émanent de l’intérieur ou de l’extérieur de l’institution. Cette auto-administration au plus près du terrain doit être redoublée par des garanties nationales en termes de péréquation territoriale et disciplinaire et par la présence d’instances démocratiques de coordination en réseau, selon le principe d’équilibre territorial énoncé plus haut. Les prérogatives accaparées par les bureaucraties depuis vingt ans doivent être reprises démocratiquement, à la fois au sommet (au niveau du pilotage national), et au niveau de l’organisation du fonctionnement des établissements.

    Il y a quelques années, un dirigeant d’université parisienne déplorait que son établissement, alors occupé par des étudiants, soit devenu un “capharnaüm” avec “de la violence, de la drogue, du sexe même” — il y aurait beaucoup à dire sur la hiérarchie des maux que construit cette formule. Signalons simplement que l’Université promue par ces dirigeants est une maison qui rend fou, pleine de violence, de CAME et de souffrance. L’avenir démocratique du pays dépend en partie de notre capacité à leur opposer une vision de l’Université comme tiers-lieu plein de controverses argumentées, d’invention intellectuelle et de #plaisir.

    [1] L’objet de cette contribution n’est pas de récapituler la littérature abondante consacrée à la critique de l’existant ou à la documentation des réformes. Pour une synthèse informée, on se reportera notamment à l’ouvrage de Chr. Granger La destruction de l’Université française (La Fabrique, 2015). On lira également avec intérêt, pour ce qui est des questions de formation, L’Université n’est pas en crise de R. Bodin et S. Orange (Le Croquant, 2013) et La Société du concours d’A. Allouch (Le Seuil, 2017). Le séminaire « Politique des Sciences » et la revue Contretemps Web proposent également des suivis analytiques intéressants de la mécanique réformatrice sur la moyenne durée. Pour une critique des premières étapes du programme réformateur, on lira notamment les travaux de Chr. Charle et Ch. Soulié, comme Les ravages de la « modernisation » universitaire en Europe (Paris : Syllepse, 2007) et La dérégulation universitaire : La construction étatisée des « marchés » des études supérieures dans le monde (Paris : Syllepse, 2015).

    [2] Chr. Musselin, Le Marché des universitaires. France, Allemagne,États-Unis, Paris, Presses de Sciences Po, 2005 ; Chr. Musselin, La grande course des universités,Paris, Presse de Sciences Po, 2017.

    [3] Ph. Aghion, É. Cohen (avec É. Dubois et J. Vandenbussche). Éducation et croissance. Rapport du Conseil d’Analyse Économique, 2004. https://www.cae-eco.fr/Education-et-croissance.html

    [4] Il faudrait également analyser sur la durée la production de think tanks et de revues proches des milieux réformateurs. Citons par exemple plusieurs rapports de l’Institut Montaigne : J.-M. Schlenker, Université : pour une nouvelle ambition, avril 2015 ; G. Babinet & E. Husson (dir.), Enseignement supérieur et numérique : connectez-vous !, juin 2017 ; R. McInness (dir.), Enseignement supérieur et recherche : il est temps d’agir !, avril 2021. On pourra également prendre connaissance avec intérêt du dossier « Universités : vers quelle autonomie ? » paru dans Esprit en décembre 2007, sous la codirection d’Yves Lichtenberger, Emmanuel Macron et Marc-Olivier Padis.

    [5] On pourrait contester l’interprétation que Philippe Aghion, notamment, donne de Schumpeter, en objectant que les théories de celui-ci sont pensées pour l’innovation industrielle et prennent pour point de départ le profit lié au cycle de la marchandise. L’application de tels modèles à un capitalisme de crédit faisant une place importante à la dette étudiante représente une rupture par rapport au cadre initial de Schumpeter, rupture dont les tenants et aboutissants en terme d’économie politique gagneraient à être explicités par les économistes défendant de ce nouveau modèle.

    [6] O. Bouba-Olga et M. Grossetti, “La mythologie CAME (Compétitivité, Attractivité, Métropolisation, Excellence) : comment s’en désintoxiquer ?”, 2018. hal-01724699v2

    [7] L. Boltanski et E. Chiapello, Le Nouvel Esprit du Capitalisme, Paris, Gallimard, 1999.

    [8] La réflexion politique de RogueESR étant articulée autour des notions d’autonomie et de liberté, nous employons de préférence le terme d’ »émancipation », à la fois pour sa dimension simultanément collective et individuelle, pour sa capacité à désigner l’autoritarisme réformateur comme adversaire central, et pour sa faculté à souligner qu’il ne s’agit pas d’offrir l’éducation à celles et ceux qui en sont privés, mais aussi de libérer celle-ci. Mais au moins pour ce qui est de son premier volet, ce programme d’émancipation rejoint la problématique de la « démocratisation » posée par le Groupe de Recherches pour la Démocratisation Scolaire.

    [9] D. Flacher, H. Harari-Kermadec, L. Moulin. “Régime par répartition dans l’enseignement supérieur : fondements théoriques et estimations empiriques », Économie et Institutions, 2018. DOI : 10.4000/ei.6233

    [10] Le projet de “collège de premier cycle” de l’université Paris-Saclay a montré que le même établissement peut parfois jouer tour à tour les deux rôles via des dispositifs de différenciation interne.

    [11] Assurément, ces changements, qui n’affecteront qu’une minorité d’étudiant·es, se heurteront à une résistance considérable compte tenu du rôle que les corps concernés jouent dans l’appareil d’Etat. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous récusons l’idée qu’une refondation de l’enseignement supérieur pourrait se faire sur la seule base de revendications catégorielles ou à plus forte raison strictement budgétaires : le concept d’Université, pour être réalisé, demande une articulation à un programme de ré-institution plus large de la société.

    [12] Cela implique un plan de rattrapage pour l’emploi titulaire, à destination des universitaires précaires qui assurent aujourd’hui des tâches fondamentales dans tous les corps de métiers. Dans la mesure où le chiffre de 15.000 postes parfois avancé est manifestement insuffisant puisqu’inférieur à ce que nécessiterait le simple maintien des taux d’encadrement tels qu’ils étaient en 2010, nous ne nous avancerons pas sur un chiffrage : celui-ci devra être réalisé a posteriori, sur la base d’un audit des besoins qui en définisse le plancher – et non le plafond. Pour un chiffrage des besoins, voir https://tinyurl.com/2jmfd5k9. Le collectif Université Ouverte a également publié des éléments de chiffrage : https://tinyurl.com/4uptvran

    https://mouvements.info/liberte-exigence-emancipation-reinstituer-luniversite

  • L’empire fantôme
    https://laviedesidees.fr/Pekka-Hamalainen-Lakota-America.html

    À propos de : Pekka Hämäläinen, Lakota America. A New History of Indigenous Power, New Haven and London:Yale University Press.. À la croisée des histoires indienne, impériale et étatsunienne, Pekka Hämäläinen porte un regard nouveau sur les Lakotas, peuple à la fois célèbre et mal connu, et démontre l’existence de leur #empire nomade au cœur de l’Amérique, qui a subsisté bien après l’arrivée des premiers Européens.

    #Histoire #États-Unis #Amérindiens
    https://laviedesidees.fr/IMG/docx/20210922_lakotafr.docx

  • #Salaire des #fonctionnaires : « On entre dans une logique de #contractualisation et de #liberté »

    Selon le spécialiste de la réforme de l’Etat #Luc_Rouban, la #conférence_sur_les_perspectives_salariales des fonctionnaires qui s’ouvre mardi pourrait acter la mise en place d’une nouvelle architecture de la fonction publique.

    Alors que la ministre de la transformation et de la fonction publiques, Amélie de Montchalin, ouvre, mardi 21 septembre, une conférence sur les #perspectives_salariales des fonctionnaires, le spécialiste de la réforme de l’Etat Luc Rouban, directeur de recherches au CNRS, chercheur au Centre d’études de la vie politique française de Sciences Po (Cevipof), montre que cela sous-tend une transformation profonde de la #fonction-publique.

    A six mois de la présidentielle, ouvrir une conférence de six mois sur la rémunération des fonctionnaires, est-ce un gadget politique ou le début d’un vrai travail de fond ?

    C’est le début d’un vrai travail de fond. S’il s’agissait d’un gadget politique, le calendrier serait particulièrement mal choisi. Des promesses faites aujourd’hui n’engagent à rien… Ce serait même plutôt un mauvais calcul politique.

    Là, il s’agit de régler un problème de fond. La disparition d’un certain nombre de #corps (celui des préfets, des inspections, etc.) amorce une réforme plus large de la fonction publique française. Celle-ci sort d’un #modèle_corporatif et se dirige vers un #modèle_d’emploi, comme dans la plupart des pays européens.

    C’est-à-dire ?

    L’existence de corps fait que le parcours des fonctionnaires est prévu à l’avance. Là, on fait sauter le #verrou_corporatif, et une nouvelle architecture de la fonction publique se met en place, avec une relation plus individualisée entre l’agent et l’employeur. Cela permet une plus grande #mobilité pour les fonctionnaires. Mais cela remet aussi en cause tout le système de #rémunération et de #progression. Il faut donc d’autres règles générales pour encadrer cette nouvelle situation, situation dans laquelle le jeu stratégique entre les #syndicats et le #gouvernement est brouillé.

    Car on sort également de l’habitude du grand rendez-vous salarial annuel tournant autour de la question de l’augmentation générale du #point_d’indice, avec une application corps par corps. On entre dans une logique de #contractualisation et de #liberté. Le poids de l’#avancement pèse sur le fonctionnaire à titre individuel beaucoup plus qu’avant : ce sera à lui de se préparer, de chercher des formations, de rédiger un bon CV, de solliciter un autre ministère ou un autre établissement public, d’accepter d’être mis en #concurrence avec d’autres agents ou des candidats venant du privé.

    On se rapproche de la logique du privé. C’est plus compliqué pour le fonctionnaire, mais les corps conduisent aussi à ce qu’après quelques années, on se retrouve bloqué dans son avancement. Vous arrivez à 45, 50 ans et vous n’avez plus beaucoup d’avenir. Il est souvent impossible d’accéder à l’#indice_salarial le plus élevé, et cela nourrit de la #frustration et du #mécontentement.

    Le système est donc bien à bout de souffle, comme le dit #Amélie_de_Montchalin ?

    Jusqu’à Nicolas Sarkozy, on faisait des augmentations générales, et on s’arrangeait avec les #primes. C’est une fausse #individualisation. Le système est bloqué et s’auto-reproduit : la #hiérarchie, des grands corps au sommet jusqu’aux fonctionnaires de catégorie C, est figée. Pourtant, la crise sanitaire a mis en lumière le caractère essentiel des #emplois_d’exécution. On commence donc à s’interroger sur la #hiérarchie_sociale et l’#utilité relative des uns et des autres dans la fonction publique.

    Dans la perspective de la présidentielle, tout cela représente-t-il un atout pour Emmanuel Macron afin de séduire les 5,6 millions de fonctionnaires, quand la socialiste Anne Hidalgo propose de doubler le salaire des enseignants ?

    Il peut se démarquer face à la proposition d’Anne Hidalgo, qui reste quantitative et très spécifique, en proposant une refonte qualitative concernant l’ensemble des fonctionnaires qui associe la question des #rémunérations à celle du déroulement des #carrières, des #qualifications et des #conditions_de_travail. Cela lui permet de faire du « en même temps » puisqu’il peut aussi se présenter comme quelqu’un de responsable qui cherche à préserver les équilibres budgétaires ou, du moins, à limiter les déséquilibres.

    En mécontentant donc l’électorat de droite, essentiel pour le candidat Macron, qui souhaite diminuer la dépense publique ?

    L’électorat de droite n’est pas totalement néolibéral… Même à droite, on défend le service public et l’Etat-providence. Le patronat a applaudi les mesures exceptionnelles qui ont protégé les entreprises et les salariés. Les Français ont conscience que le #service_public assure un minimum de #cohésion_sociale, ne serait-ce que par les forces de sécurité. Il existe une demande très forte de protection et d’intervention publique. La droite parlementaire fait une erreur stratégique en reprenant la logique néolibérale de 2017. Elle dit qu’il faut diminuer les dépenses, et donc, le nombre de fonctionnaires, mais sans proposer de réflexion sur l’architecture interne de la fonction publique et sur ses métiers. C’est donc un moyen pour Emmanuel Macron de se démarquer, ici aussi.

    https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/09/20/salaire-des-fonctionnaires-on-entre-dans-une-logique-de-contractualisation-e
    #fonctionnariat #néo-libéralisme

  • Basel Kolonial. City Tour: The Role of Global Basel in South America and the Colonized World - CULTURESCAPES

    /en/theme/amazonia-2021/stadtrundgang-verstrickungen-des-globalen-basels-mit-suedamerika-und-der-kolonialisierten-welt

    ❝ In recent years, the active role played by the “neutral nation without colonies” in the colonization of the Global South has been increasingly in the spotlight in Switzerland. In particular, the country’s direct joint responsibility through private initiatives and businesses as well as participation in the cultural production of colonial images came to attention. Yet another important question that needs to be explored is the influence of colonial knowledge and wealth on Switzerland and especially major Swiss cities like Basel.

    CULTURESCAPES along with the “Basel Kolonial” network came up with a two-part tour uncovering traces of the city’s role in past and current colonial practices involving, but not limited to, Amazonia. Part one traces the evidence of the cultural and economic histories of old Basel families and missionary societies in the old town of Grossbasel. The second part predominantly offers an insight into both the past and present of Basel-based chemical and pharmaceutical industries, their sites in the north of the city, and their role in global economic systems.

    Online tour at www.culturescapes.ch

    Colonial Grossbasel 03.10.2021
    Colonial Kleinbasel 31.10.2021

    #balade_décoloniale #colonialism #Basel #colonialité #Amazonie

  • #Jardins_ouvriers d’#Aubervilliers : quelle place pour la #nature_en_ville ?

    Une partie des jardins ouvriers des #Vertus à Aubervilliers doit être sacrifiée à des projets d’#aménagement_urbain en vue des JO de 2024. Comment l’expliquer, alors que les pouvoirs publics disent par ailleurs lutter contre la #bétonisation et l’#artificialisation_des_sols ?

    https://www.franceculture.fr/emissions/sous-les-radars/jardins-ouvriers-d-aubervilliers-quelle-place-pour-la-nature-en-ville


    #JAD #nature #villes #urban_matter #Grand_Paris #JO #jeux_olympiques
    #podcast #audio
    #TRUST #master_trust

  • Les habitant·e·s face à l’« #urbanisme négocié » : le cas d’Euroméditerranée II
    https://metropolitiques.eu/Les-habitant-e-s-face-a-l-urbanisme-negocie-le-cas-d-Euromediterrane

    De quelle négociation l’« urbanisme négocié » est-il le fruit ? À partir de l’exemple d’Euroméditerranée II à #Marseille, Laurine Sézérat montre l’impossibilité structurelle d’intégrer les habitant·e·s à l’élaboration des grands projets urbains. Situé dans le 15e arrondissement à Marseille, le quartier des Crottes fait partie des plus pauvres de France. Au cours du XXe siècle, le passage à l’ère post-fordiste et la tertiarisation de l’économie favorisèrent la paupérisation de cet ancien quartier industriel. Depuis #Terrains

    / urbanisme, urbanisme négocié, Marseille, #aménagement

    #urbanisme_négocié
    https://metropolitiques.eu/IMG/pdf/met_sezerat.pdf

  • HCR - Déplacements sans précédent en Amérique centrale et au Mexique : appel urgent à un partage des responsabilités au niveau régional
    https://www.unhcr.org/fr/news/press/2021/9/6130f1a6a/deplacements-precedent-amerique-centrale-mexique-appel-urgent-partage-respons

    Déplacements sans précédent en Amérique centrale et au Mexique : appel urgent à un partage des responsabilités au niveau régional
    SAN SALVADOR - L’Amérique centrale et le Mexique sont confrontés à une pression sans précédent liée à une augmentation du nombre de personnes en quête d’une protection internationale, ce alors que l’accès à l’asile et au territoire est limité par des restrictions frontalières inquiétantes, a déclaré Gillian Triggs, Haut Commissaire assistante chargée de la protection du HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, au terme d’une mission de deux semaines dans la région.« Au Mexique, au Guatemala et au Salvador, j’ai pu observer l’énorme pression que subit la région en raison des flux croissants de réfugiés et de migrants. Des efforts extraordinaires sont déployés par les gouvernements et la société civile pour relever ces défis », a-t-elle déclaré.En discutant avec des déplacés internes, des demandeurs d’asile et des réfugiés, Gillian Triggs a relevé des récits de violences sexuelles, de menaces de mort et d’extorsions au sein de communautés contrôlées par des gangs criminels qui - souvent associées à des difficultés économiques et aux effets du changement climatique - ont contraint près d’un million de personnes du Salvador, du Guatemala et du Honduras à fuir leurs domiciles.
    Au Guatemala, Gillian Triggs a collaboré au lancement d’un programme mené par le HCR et le Secrétariat national contre les violences sexuelles, l’exploitation et la traite des personnes. L’objectif du programme est de prévenir ces crimes dans les régions reculées du pays grâce à des unités mobiles chargées d’apporter des informations sur les droits et les services là où les gens en ont le plus besoin. Au Salvador, elle a pris connaissance d’approches communautaires innovantes menées par le gouvernement pour prévenir la violence et autonomiser les jeunes dans les communautés à risque.« Créer les conditions qui permettent aux populations de se sentir en sécurité et protégées chez elles est une étape essentielle pour s’attaquer aux causes profondes qui poussent les gens à fuir dans cette région », déclare-t-elle.Gillian Triggs a également salué l’engagement du Salvador à mettre à jour le profilage des déplacés internes afin de prévenir les déplacements et de de proposer des réponses adaptées au niveau communautaire.
    Le Mexique, qui est passé du statut de pays de transit à celui de pays de destination pour des milliers de demandeurs d’asile, doit maintenant faire face à un nombre record de nouvelles demandes d’asile cette année, qui pourraient dépasser les 100 000.Face à l’augmentation du nombre de réfugiés, de personnes déplacées à l’intérieur de leurs pays ou celles rapatriées et qui ont besoin de protection, le HCR continue d’apporter son support aux gouvernements pour le renforcement des systèmes d’asile et de protection. L’Agence des Nations Unies pour les réfugiés apporte également une aide à l’intégration dans les pays d’asile par le biais de l’emploi, l’éducation et l’aide psychosociale, avec la participation active de la société civile. Au Mexique, plus de 12 000 personnes ont bénéficié de ces initiatives d’intégration locale.
    Gillian Triggs a également souligné la nécessité pour les États de ne pas se contenter d’offrir une protection aux réfugiés. Elle insiste sur l’importance de proposer des voies migratoires régulières par le biais de l’éducation, de la mobilité de la main-d’œuvre, du regroupement familial et d’autres processus d’immigration. « Des besoins différents appellent des réponses différentes », a-t-elle déclaré.Gillian Triggs se dit très préoccupée par les récentes restrictions aux frontières dans la région, qui risquent de renvoyer des personnes et des familles ayant un besoin urgent de protection vers les dangers auxquels elles tentent d’échapper dans leurs pays d’origine en Amérique centrale, sans aucune possibilité d’évaluer ces besoins et d’y répondre. Le HCR a lancé un appel au gouvernement des États-Unis pour qu’il mette fin aux restrictions au droit d’asile et aux expulsions en application de l’arrêté de santé publique « Title 42 » lié à la pandémie de Covid-19. Le gouvernement américain est appelé à rétablir l’accès aux procédures d’asile pour les personnes dont la vie en dépend.
    « Tous les pays ont accepté de partager la responsabilité de fournir une protection à ceux qui fuient le danger et les persécutions, plutôt que de se décharger de ce devoir », a déclaré Gillian Triggs.Dans l’esprit du principe de partage des responsabilités, six pays d’Amérique centrale et le Mexique travaillent en collaboration avec le secteur privé et la société civile, avec le soutien des pays donateurs autour du Cadre régional de protection et de solutions (connu sous le nom de MIRPS). Cette initiative actuellement dirigée par le Guatemala a pour objectif d’apporter des réponses aux causes et aux conséquences des déplacements forcés dans la région.

    #Covid-19#migrant#migration#etatsunis#mexique#honduras#guatemala#salvador#ameriquecentrale#sante#crise#asile#santepublique#protection#psychosocial#deplacementforce#demandeurasile

  • Les amendes, « une forme de justice rendue dans la rue », Camille Pollini, Mediapart
    https://www.mediapart.fr/journal/france/090420/les-amendes-une-forme-de-justice-rendue-dans-la-rue

    Aline Daillère a mené une étude sur le « pouvoir contraventionnel » accordé aux policiers. En se penchant sur des verbalisations dénoncées comme abusives, elle analyse la liberté laissée aux agents et l’inefficacité des recours.

    Juriste de formation et spécialiste des droits humains, Aline Daillère a travaillé une dizaine d’années dans le secteur associatif – France Terre d’asile, la Cimade puis l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat), où elle analysait notamment le recours à la force policière – avant de reprendre des études de sociologie. 

    Face à « la multiplication des témoignages de jeunes hommes disant faire l’objet d’amendes en grand nombre et de manière abusive », dans des quartiers populaires, Aline Daillère a voulu documenter ce phénomène, peu étudié jusqu’alors, et s’intéresser « au pouvoir de verbalisation des policiers ».

    En 2018 et 2019, afin de déterminer « qui était verbalisé, pour quels motifs et dans quels lieux », Aline Daillère a collecté plus de 600 amendes et mené des entretiens dans les cités de plusieurs quartiers parisiens (XIe, XIIe et XXe arrondissements) et d’autres villes de France (Argenteuil, Clichy-la-Garenne, Calais, Saint-Martin-le-Vinoux et Vienne). Elle s’est également livrée à des observations dans des espaces publics, des permanences dédiées aux amendes et au tribunal de police de Paris.
    Son enquête a débouché sur un mémoire de master en sciences politiques, soutenu en novembre 2019 à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines (sous la direction de Fabien Jobard), et se poursuit dans la perspective d’une thèse qu’elle doit entamer à la rentrée prochaine.

    Alors que pour faire respecter les mesures de confinement, les contraventions pleuvent – 480 000 recensées par le ministre de l’intérieur au 6 avril –, la question de ce pouvoir de verbalisation accordé aux agents, de son bien-fondé et de ses conséquences, se pose de manière d’autant plus aiguë.

    Quelles sont vos inquiétudes sur la façon dont sont menés les contrôles et les verbalisations liés au confinement ? À quoi faut-il être vigilants, selon vous ?

    Aline Daillère : J’ai deux points d’inquiétude. D’abord, le défaut d’information des citoyens sur leurs droits face à ces amendes, sur les modalités de recours. Ensuite, mon étude laisse penser que certains individus sont susceptibles de faire l’objet d’amendes à répétition. Peut-être parce qu’ils respectent moins le confinement, mais aussi parce qu’ils sont plus ciblés que d’autres, dans certains quartiers, par des policiers qui les connaissent.

    Or, la réitération de verbalisations pour non-respect du confinement est un délit, susceptible d’entraîner une condamnation. C’est une nouveauté. Dans mon enquête, les personnes qui ont accumulé des dizaines d’amendes n’ont jamais fait l’objet de poursuites délictuelles pour ce fait-là. C’est le Trésor public qui engageait des procédures de recouvrement.

    Ce délit permet le passage en comparution immédiate, alors même que les délais de recours contre les amendes ne sont pas épuisés. Une personne qui a eu plusieurs amendes en un temps rapproché pour non-respect du confinement, et qui les contesterait parce qu’elle les juge abusives, pourrait malgré tout se voir condamnée avant que ses contestations soient étudiées par le tribunal de police. Il y a donc une question de droit qui se pose. 

    Quels sont les points communs des « collectionneurs d’amendes » sur lesquels vous avez travaillé, ayant reçu plusieurs dizaines de contraventions chacun ?

    Ce sont en quasi-totalité des hommes – deux jeunes femmes sur 55 individus –, généralement âgés de moins de 25 ans, vivant dans de grands ensembles, issus de milieux précaires et souvent de minorités.

    Ils sont verbalisés pour des motifs récurrents. D’un côté, les « incivilités », ou « troubles à la tranquillité publique ». Trois infractions reviennent systématiquement et souvent par « paquets » : le tapage (nocturne ou diurne), le « déversement de liquide insalubre » (qui s’applique en général aux crachats) et le « dépôt de déchets hors des emplacements autorisés » (le jet de n’importe quel détritus sur la voie publique : un mouchoir usagé, un papier…). La deuxième catégorie concerne les infractions à la circulation routière, avec un panel d’infractions extrêmement large (stationnement, conduite sans certificat d’immatriculation, etc.). 

    Ces personnes sont toujours verbalisées dans les mêmes lieux : telle place, telle rue de leur quartier d’habitation. Même quand les amendes concernent des infractions routières, par définition mouvantes, ils sont très majoritairement sanctionnés aux mêmes endroits, sur un territoire très restreint. 

    Quelles sont les conséquences de ces verbalisations à répétition ?

    J’ai recensé jusqu’à 93 amendes pour une seule personne. Ils en reçoivent beaucoup, parfois sur des périodes très courtes, pour certains plusieurs dans la même journée. Ils ont donc des dettes d’amendes colossales : jusqu’à 25 000 euros selon les déclarations, jusqu’à 10 000 euros constatés sur la base de bordereaux de situation du Trésor public, pour des personnes tout juste majeures.

    Les conséquences économiques affectent toute la famille. Lors des entretiens, les jeunes parlent d’eux à la première personne. Mais quand on aborde la question des conséquences ils ne disent plus « je », ils disent « nous » : moi, ma famille, ma mère, mes frères et sœurs.

    Sachant qu’ils vivent en situation de précarité économique, payer les amendes va empêcher ou retarder d’autres dépenses familiales importantes. Si la famille compte sur leurs ressources, ça cause des difficultés pour payer les courses. Dans le cas de jeunes plus autonomes, ça empêche ou retarde les cours de conduite, l’obtention du permis qui serait utile pour travailler.

    Ces impacts peuvent devenir juridiques, quand le Trésor public met en place des procédures de recouvrement. Les comptes des jeunes ou les revenus de leur travail peuvent être saisis, les familles reçoivent des avis de saisie mobilière.

    Ces amendes ont aussi des conséquences sur l’insertion professionnelle, ce qui inquiète beaucoup les référents socio-éducatifs interrogés. Ils constatent que certains jeunes renoncent à ouvrir un compte bancaire à leur nom, ou à avoir un emploi déclaré, parce que toute somme reçue est susceptible d’être perçue. Et ce pendant longtemps, quand on a des dettes qui montent à plusieurs milliers d’euros. Selon les éducateurs, ces jeunes seraient incités à se tourner vers des parcours de travail illégal ou vers l’économie souterraine, c’est-à-dire à disparaître de la circulation économique pour échapper aux impacts des amendes. Certains jeunes disent aussi fuir le quartier, « on va voir nos potes ailleurs », ou se cacher du regard de la police.

    Quelles sont leurs relations avec les policiers qui les verbalisent ?

    Les uns et les autres se connaissent, mutuellement et individuellement. Avant même les amendes, ces jeunes faisaient souvent l’objet de contrôles d’identité, ce qui explique et facilite parfois les verbalisations : ils sont connus des agents de police.

    Le caractère massif des amendes est un phénomène assez récent, apparu aux alentours de 2015-2016, à l’exception de l’un des terrains étudiés où c’est plus ancien (Argenteuil). Dans certains quartiers, les jeunes disent d’ailleurs avoir vu baisser les actes de violence à leur encontre au moment où montaient les amendes.

    Localement, je peux avoir des pistes d’analyse : dans le XIIe arrondissement l’apparition des amendes est postérieure à la plainte des jeunes contre des agents de police. Elle est corrélée au changement d’équipe du commissariat après la condamnation des policiers. Mais ce n’est pas le cas dans les autres quartiers, et ça reste encore à étudier. 

    Vous travaillez sur le « pouvoir contraventionnel » des policiers. Alors que la loi dit que tel comportement doit être puni de telle façon, à tel tarif, quelle est la marge de manœuvre des fonctionnaires ? En quoi verbaliser est-il un pouvoir ?

    La recherche en sociologie de la police montre que le policier sur le terrain a une grande marge d’autonomie, parce que c’est lui qui décide de facto quand intervenir et de quelle manière. Dans le cas des amendes forfaitaires, c’est un pouvoir de sanction pénale, une forme de justice rendue dans la rue.

    Les agents ont une grande part de subjectivité dans l’appréciation des faits, surtout quand la loi est peu précise. Elle est censée définir des principes généraux, tandis que les policiers sur le terrain apprécient le cas particulier. Qu’est-ce qui, en pratique, permet de caractériser un tapage ? À partir de quels décibels ? Aucun texte ne le précise. C’est à la libre appréciation du policier, qui peut considérer une source de bruit comme tapage et pas une autre.

    Dans le cas du confinement, c’est la même chose : l’imprécision et l’indéfinition laissent une grande marge de manœuvre. Qu’est-ce qu’un achat de première nécessité ? Jusqu’où les policiers et gendarmes sont autorisés à en décider ? Vu le nombre de témoignages dénonçant des pratiques excessives, ou du zèle, des précisions sur ce qui est autorisé ou pas seraient les bienvenues.

    Le contrôle exercé sur ce pouvoir de verbalisation est extrêmement mince. En pratique, contester une amende forfaitaire s’avère compliqué et vain.

    « Au-delà d’un certain nombre d’amendes, ils ne les “calculent” plus »

    On pourrait partir du principe que ceux qui sont souvent verbalisés se comportent moins bien que les autres. Que vous disent les jeunes interrogés sur le fait de mériter ou de ne pas mériter les amendes qu’ils ont reçues ?

    À la lecture de leurs amendes, ou de leur bordereau de situation du Trésor public, on pourrait se dire que ce sont des gens foncièrement incivils : ils crachent à tout va, n’ont jamais de permis de conduire sur eux, jettent des papiers partout… Tous reconnaissent avoir commis une partie des infractions qui leur sont reprochées. Certains disent « c’est vrai, parfois on fait un peu de bruit » ou « c’est vrai, on jette des papiers ». Mais derrière cette affirmation, il y en a systématiquement une autre : les policiers exagèrent, ils abusent.

    J’ai des témoignages assez récurrents de verbalisations pour une infraction inexistante. Un jeune se voit par exemple reprocher d’avoir fait du bruit, jeté des papiers et craché par terre (c’est souvent les trois en même temps) alors que selon lui il n’existait pas d’infraction.

    Dans d’autres cas, nombreux aussi, les jeunes disent qu’une infraction a bien été commise, mais par d’autres. Ils se retrouvent verbalisés dans un endroit où il y a des papiers ou des crachats au sol, parce que les policiers considèrent qu’ils en sont responsables, malgré l’absence de flagrant délit.

    Dans d’autres situations, les jeunes sont verbalisés là où d’autres ne le sont pas. J’ai en tête l’exemple d’un jeune de quinze ans, verbalisé dans un square très passant, en journée, en plein été, parce qu’il faisait du bruit. Il ne comprend pas pourquoi il est verbalisé, mais pas les personnes autour. C’est aussi ce que disent des éducateurs : pourquoi nos jeunes sont verbalisés au pied de leur immeuble, alors que ceux qui sont à quelques mètres, à une terrasse de café, ne le sont pas ? Ils dénoncent une sorte de deux poids deux mesures dans l’application de la règle. Ce sentiment d’application inégale de la loi ressort beaucoup. 

    Parmi les exemples que vous donnez dans votre mémoire, deux « amendes insolites » : « traversée irrégulière de la chaussée » (7 euros) et « ouverture de portière de véhicule sans précaution » (33 euros). C’est étonnant, non ?

    Il s’agit de deux personnes qui ont reçu ces amendes en même temps. Témoins d’un contrôle d’identité, ils étaient intervenus pour s’interposer. Ils soulignent le caractère invraisemblable d’avoir reçu ces deux amendes, alors que jamais personne n’est verbalisé pour ce motif.

    Les amendes reçues sont-elles contestées ?

    Non, loin de là. Certains les paient, malgré le coût, pour ne pas avoir plus d’ennuis. Dans certains quartiers, des collectifs se sont montés récemment pour aider les jeunes à contester. Mais dans la majorité des cas les amendes ne sont ni contestées, ni payées. Elles s’accumulent.

    Il y a un effet de seuil : au-delà d’un certain nombre d’amendes, ils ne les « calculent » plus, au sens littéral comme au sens figuré. J’ai pu le constater auprès des jeunes que j’ai suivis lors de ma recherche. Ils ouvraient les premières enveloppes, voulaient les contester. Au fil du temps ils me tendaient les enveloppes, sans même les avoir décachetées. Ils reconnaissaient l’enveloppe de l’amende et ne s’en occupaient plus, ne savaient même pas pourquoi ils étaient verbalisés. Certains les stockaient dans des boîtes à chaussures, d’autres les déchiraient et les jetaient. Ils disent beaucoup : « c’est trop ». Si on voulait sanctionner des infractions réelles et faire évoluer le comportement de ces personnes-là, c’est contre-productif.

    Dans votre étude, vous écrivez que les voies de recours sont ineffectives. Pour quelle raison ?

    C’est une procédure assez opaque et complexe. Je suis juriste de formation et j’ai travaillé sur le sujet pendant plusieurs mois, mais il m’a fallu du temps et je ne suis pas sûre d’avoir complètement compris. Même les avocats et juristes mobilisés à Calais, qui ont essayé de contester les amendes, ont fini par abandonner. Au regard du temps, de l’énergie et du résultat, c’était un investissement complètement défavorable.

    On peut contester soit par internet, sur le site de l’Antai, soit par lettre recommandée auprès de l’officier du ministère public, ce qui est relativement simple. Il semble cependant que les officiers du ministère public déclarent les contestations irrecevables en outrepassant complètement leurs pouvoirs. Ils ne peuvent en principe le faire que pour des motifs de formalisme non respecté. Mais dans la quasi-totalité des cas, ils rejettent sur le fond. La personne reçoit juste un avis de majoration de l’amende.

    Théoriquement, il est possible de saisir le tribunal de police contre cette décision. Mais bien souvent, les personnes concernées ne ne le savent pas. Quand bien même elles le feraient, il faut encore renverser un procès-verbal qui fait foi. C’est mission impossible. 

    Un jeune qui arrive devant le tribunal de police en disant : « Je n’ai pas fait le bruit dont on m’accuse », n’a aucune chance d’être entendu. Encore moins quand il a déjà reçu dix, vingt, trente PV pour les mêmes motifs. De fait, le recours contre ces amendes est extrêmement compliqué pour ces jeunes-là. 

    Je ne sais pas ce que ça donnera pour le non-respect du confinement. La population qui arrivera jusqu’au tribunal de police bénéficiera peut-être d’un peu plus de crédibilité que des jeunes de quartier. Mais encore faudra-t-il que ces personnes soient informées qu’elles peuvent le saisir.

    D’après les premiers résultats de votre travail, les amendes ne « servent » pas seulement à punir une infraction, elles ont d’autres fonctions. Lesquelles ?

    Ce sont les hypothèses de ma thèse à venir, encore à l’état de pistes. Les jeunes ont le sentiment que ces amendes sont utilisées comme un outil d’éviction, qu’elles visent à les « chasser », à les « dégager », à « nettoyer le quartier », dans un contexte de rénovation et de gentrification.

    Dans l’un des terrains d’enquête – le XIIe arrondissement –, le commissariat a reconnu donner pour mission à ses agents de police d’effectuer des « contrôles-éviction ». Les jeunes se disent que les amendes ont le même but. À New York, en Grande-Bretagne, à Montréal, des politiques de lutte contre les incivilités très sévères ont eu pour effet d’exclure des populations jugées indésirables, de les bannir. Ça pourrait être une piste d’analyse sur les amendes en France. 

    Dans les entretiens que j’ai menés, une autre idée revient souvent : celle des représailles. Beaucoup de témoignages font état de verbalisations intervenues alors que les jeunes se seraient montrés insolents envers la police, auraient défié son autorité. Ils disent : « J’ai été verbalisé parce que j’ai pas fait profil bas. » « Ne pas faire profil pas », c’est revendiquer ses droits pendant un contrôle d’identité, en contester le principe, protester, filmer, passer à côté et regarder, s’interposer dans une intervention policière qui se passe mal, déposer plainte contre des policiers. L’une des pistes que je creuse, c’est l’idée d’une sorte de « justice de rue » rendue par les policiers, utilisant l’amende pour sanctionner les individus qu’ils estiment devoir l’être. 

    Quel lien faites-vous entre les inégalités territoriales, les fractures françaises, et la façon dont sont décernées les amendes ?

    La question de la discrimination, ou de l’application inégale de la loi, se pose très clairement. Mais pour le démontrer, il faudrait mener une étude de plus grande ampleur : comparer avec des populations tests (comme ce qui a été fait sur les contrôles d’identité), avoir accès à des données nationales, mener des enquêtes comparatives pour mesurer le taux d’amende à comportement égal.

    #police #amendes #justice

  • Extension du dispositif d’amende forfaitaire délictuelle : 2 nouvelles expérimentations | Ministère de l’Intérieur
    http://www.interieur.gouv.fr/actualites/communiques/extension-du-dispositif-damende-forfaitaire-delictuelle-2-nouvelles

    La forfaitisation de l’usage de stupéfiant a été généralisée il y a un an, le 1er septembre 2020, à l’ensemble du territoire national, conformément aux annonces du Premier ministre, après un déploiement progressif entamé le 16 juin 2020 sur les ressorts des tribunaux judiciaires de Rennes, Reims, Créteil, Lille et Marseille. La mise en œuvre de cette mesure de simplification de la procédure pénale a reposé sur une collaboration interministérielle forte entre le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Justice.

    Cette collaboration étroite s’est poursuivie pour aboutir au lancement de l’expérimentation de deux nouvelles #amendes_forfaitaires_délictuelles (AFD) à partir du 19 octobre 2021 sur les ressorts des tribunaux judiciaires de Marseille, Lille, Créteil, Reims, Rennes et Foix. A l’issue, le dispositif pourrait ensuite être généralisé au niveau national au 1er trimestre 2022.

    La première expérimentation concerne l’ occupation illicite d’une partie commune d’immeuble collectif et vise des personnes qui occupent les espaces communs à plusieurs et empêchent délibérément l’accès ou la libre circulation des personnes ou le bon fonctionnement des dispositifs de sécurité et de sureté (portes coupe-feu, extincteurs, systèmes de désenfumage). Son montant est fixé à 200 euros, minorée à 150 euros et majorée à 450 euros, selon les délais dans lesquels le contrevenant la verse.

    La seconde vise l’ installation illicite sur le terrain d’autrui, en vue d’y établir une habitation, même temporaire , sur un terrain appartenant à une commune ou à tout autre propriétaire sans être en mesure de justifier de son autorisation. Le montant de cette AFD est de 500 euros, minorée à 400 euros et majorée à 1000 euros, selon le délai dans lequel elle est payée.

    #amendes #police #justice

  • Etats-Unis : l’accord à 26 milliards sur les opiacés prêt pour la prochaine étape
    https://www.letemps.ch/economie/etatsunis-laccord-26-milliards-opiaces-pret-prochaine-etape

    Trois distributeurs américains de médicaments et le laboratoire Johnson & Johnson ont reçu le soutien d’assez d’Etats pour passer à la prochaine étape de l’accord lié aux opiacés. Ils ont accepté en juillet de payer 26 milliards de dollars pour solder des litiges.

    Ce règlement à l’amiable doit leur permettre d’éviter des milliers d’actions en justice intentées par des Etats américains et collectivités locales qui accusent les entreprises d’avoir un rôle dans cette crise sanitaire, à l’origine de plus de 500 000 morts par overdose en 20 ans aux Etats-Unis.

    #AmerisourceBergen, #Cardinal_Health et #McKesson ont, dans un communiqué commun, expliqué avoir reçu le feu vert de 42 des 49 Etats qui les poursuivaient, ainsi que du district de Washington, la capitale, et de cinq territoires américains.

    Le laboratoire pharmaceutique Johnson & Johnson a indiqué dans un message séparé être aussi prêt à passer à la prochaine étape prévue dans l’accord. « Ce règlement ne constitue pas une admission de responsabilité ou d’acte répréhensible et l’entreprise continuera de se défendre contre tout litige que l’accord final ne résout pas », a souligné la société.

    Aux collectivités locales de se prononcer
    Johnson & Johnson, qui fait partie des laboratoires accusés d’avoir alimenté la crise en produisant des opiacés, a confirmé en juin avoir arrêté la production et la vente de ces substances. Les distributeurs de médicaments sont, eux, accusés d’avoir fermé les yeux sur des commandes d’opiacés suspectes.

    Selon les termes négociés, le versement des 26 milliards de dollars (23,7 milliards de francs) - qui doivent permettre aux Etats et collectivités de financer les traitements rendus nécessaires par ce fléau - dépend du nombre d’Etats américains qui valideront l’accord.

    Chaque Etat participant a maintenant jusqu’au 2 janvier pour demander à leurs collectivités locales respectives si elles veulent aussi être parties prenantes à l’accord. Si les conditions sont remplies, l’accord entrera en vigueur « 60 jours après que les distributeurs auront déterminé qu’il y a une participation suffisante pour procéder », détaille le communiqué.

    S’il se confirme, l’accord sera le plus important de l’épique et complexe bataille juridique engagée par les Etats et collectivités américaines pour faire payer les entreprises.

    #Johnson_&_Johnson #opioides #sackler #big_pharma #purdue_pharma #oxycontin #procès #addiction #opioïdes #santé #pharma #purdue #opiacés #etats-unis #drogue #opioids #mundipharma #marketing #McKinsey

  • Sauvages et réensauvageurs
    https://laviedesidees.fr/Sauvages-et-reensauvageurs.html

    Le “réensauvagement” revendiqué par les défenseurs de la #nature est difficile à définir. Retour à un paradis perdu ? Critique de la modernité ? Le modèle, ou plutôt le mythe des Indiens d’Amérique fait parfois les frais de cette nouvelle idéologie – au mépris des Indiens réels.

    #Société #écologie #Amérindiens #animaux
    https://laviedesidees.fr/IMG/docx/20210831_grillot.docx
    https://laviedesidees.fr/IMG/pdf/20210831_grillot.pdf

  • #American_University of #Afghanistan students and relatives trying to flee were sent home.

    Hundreds of students, their relatives and staff of #American_University_of_Afghanistan gathered at a safe house on Sunday and boarded buses in what was supposed to be a final attempt at evacuation on U.S. military flights, the students said.

    But after seven hours of waiting for clearance to enter the airport gates and driving around the city, the group met a dead end: Evacuations were permanently called off. The airport gates remained a security threat, and civilian evacuations were ending Monday.

    “I regret to inform you that the high command at HKIA in the airport has announced there will be no more rescue flights,” said an email sent to students from the university administration on Sunday afternoon, which was shared with The New York Times.

    “The scholar pilgrims who were turned away today while seeking safe passage to a better future need the help of the U.S. government who gave them the hope they must not lose,” the American University president, Ian Bickford, said.

    The email asked the 600 or so students and relatives to return home. The U.S. troop withdrawal from Afghanistan must be completed by a Tuesday deadline, so the U.S. military is turning from evacuating civilians to bringing its own personnel home.

    The group was then alarmed after the U.S. military, following protocol, shared a list of names and passport information of hundreds of students and their families with the Taliban guarding the airport checkpoints, the university president said.

    “They told us: we have given your names to the Taliban,” said Hosay, a 24-year-old sophomore studying business administration who was on the bus on Sunday. “We are all terrified, there is no evacuation, there is no getting out.”

    Hosay earned a scholarship that covered half of her tuition. She wanted to get an M.B.A. and start an all-female engineering firm.

    When the Taliban took over Kabul on Aug. 15, one of the first sites the group captured was the sprawling, modern American University campus. Men in traditional Afghan outfits and swinging AK-47 rifles raised the flag of the Taliban and brought down the university flag, according to student and social media photos.

    The Taliban posted a picture of themselves on social media standing at the entrance of a university building with an ominous message, saying they were where America trained infidel “wolves” to corrupt the minds of Muslims.

    The photograph was widely shared among Afghans and sent students and alumni into hiding. They had reason to be scared. In 2016, the Taliban attacked the campus with explosives and guns in a terrorist assault that lasted 10 hours and killed 15 people, including seven students.

    The university shut down its campus on Aug. 14 as word reached that the Taliban were on the outskirts of Kabul. The American University president, Ian Bickford, and foreign staff left Kabul for Doha that night.

    Mr. Bickford said in an interview last week that he was working with the State Department to evacuate about 1,200 students and alumni. But on Friday after the deadly attack on the airport, Mr. Bickford said that effort had become much more complicated.

    Mr. Bickford said the university was committed to ensuring all enrolled students would finish their degrees remotely.

    The American University of Afghanistan opened in 2006 with most of its funding from the United States Agency for International Development, which gave $160 million. It was one of the U.S.A.I.D.’s largest civilian projects in Afghanistan.

    For over two weeks, students and alumni said they struggled emotionally as their status changed from college students to fugitives overnight.

    Several students interviewed repeated a poetic saying in Dari: “Our hopes and dreams have turned into dust.”

    Mohammad, a 31-year-old father of three and part-time government ministry worker, had three more courses left to finish his degree in business administration.

    His job and salary are now gone. His degree is in jeopardy.

    “It’s as if you throw a glass on a cement floor and your life shatters in a split second,” he said Sunday from a safe house.

    Yasser, a 27-year-old political science student, said he was told in an email from the university on Saturday to report to a safe location for evacuation. But after President Biden said there were security threats to the airport, the plan was scrapped and everyone was sent home.

    Early Sunday morning, Yasser received another email from the university asking him to go to a safe house at 7:45 a.m. The students were told to bring only a backpack with two outfits. Videos shared with The New York Times of the evacuation show hundreds of students, carrying backpacks waiting on the roadside. Dozens of buses are lined up.

    The chitchat among students abruptly ends and someone gasps. Someone cries. The students have just been told that evacuations have been called off.

    “It was a frightening day,” Yasser said. “We went there anticipating to be rescued and returned home defeated.”

    https://www.nytimes.com/2021/08/29/world/taliban-american-university-of-kabul-afghanistan.html
    #étudiants #université #Kabul

  • Bogotá (Colombie) : l’expulsion d’une zone du district d’Usaquén se termine en affrontements
    https://fr.squat.net/2021/08/28/bogota-colombie-expulsion-d-une-zone-du-district-d-usaquen

    Mardi 17 août 2021, dans le quartier Santa Cecilia Baja du district d’Usaquén, au nord de la capitale colombienne, une zone considérée par la Ville comme étant à « risque d’effondrement » (riesgo de colapso), faite de logements auto-construits par les habitant·e·s, a été la cible d’une opération d’expulsion, sans relogement. Les habitant·e·s visé·e·s ont dû penser […]

    #Vidéos #Amériques #Bogotá #Colombie #émeutes #expulsion

  • Roseville, MN (USA) : les bureaux de la CSC attaqués en solidarité avec la forêt d’Atlanta
    https://fr.squat.net/2021/08/25/roseville-mn-usa-les-bureaux-de-la-csc-attaques

    Pour répondre à l’appel des compas d’Atlanta pour une journée d’action, le 18 août, en solidarité avec la lutte pour la défense de la forêt d’Atlanta, des vandales ont fait irruption dans le complexe de bureaux où est situé le bureau régional de la Corporation Service Company (CSC) [Note d’Attaque : société américaine spécialisée dans les […]

    #actions_directes #Amériques #arbres #Atlanta #Blackhall_Studios #gentrification #Minneapolis #Minnesota #USA

  • « Opération Condor », un homme face à la terreur - Maurice Lemoine
    https://www.medelu.org/Operation-Condor-un-homme-face-a-la-terreur

    Surprenant petit bonhomme », personnage hors du commun, symbole de la lutte pour la justice, le Paraguayen dont le journaliste et écrivain Pablo Daniel Magee retrace l’histoire dans un livre passionnant s’appelle Martín Almada. Inconnu du grand public, celui-ci a pourtant reçu en 2002 le prix Nobel alternatif de la paix pour avoir mis à jour, preuves à l’appui, après en avoir lui-même été victime, l’une des entreprises criminelles les plus abjectes de l’histoire de l’Amérique latine : le plan Condor.


    #AmériqueLatine #USA