• Surréalisme : mouvement superficiellement révolutionnaire et profondément réactionnaire, par Victor Serge (Carnets. 1936-1947, Éd. Agone, p. 156-159)

    2 janvier 1942. — Socialement conditionné à un degré désespérant. Une évasion (ou rébellion) entièrement manquée. (Les grandes évasions-rébellions qui ont donné des réussites : nihilisme russe des années 1860-1880, #marxisme, anarchisme ; découvertes intellectuelles fécondées par des fermentations de masses. Rôle du nombre, c’est-à-dire de l’ambiance sociale. L’évasion n’est possible que si se crée, en opposition avec la société, au sein de celle-ci, un milieu assez ample et vivant.)

    Définition : poésie et peinture de l’automatisme psychologique, afin de libérer les facultés d’expression de la raison et de toutes contraintes et de leur permettre d’atteindre ou de révéler ainsi une réalité plus profonde, plus vraie, plus originale que celle qui est organisée par la raison.

    Deux éléments en ceci : une révolte contre la raison abâtardie (bon sens, sens commun, sens bourgeois, abdication de l’effort intellectuel, conformismes) d’une époque de décadence, France saignée et enrichie du lendemain de la Première Guerre mondiale, bourgeoisie triomphante mais usée. En ce sens le mouvement peut être considéré comme révolutionnaire dans l’immédiat parce qu’il conduit à des prises de position contre ce qui règne (Henri Michaux : Je contre, très fort).

    Mais au-delà de la raison abâtardie du moment, sa critique vise l’intellect en soi (en soi, termes impropres, l’intellectuel est toujours socialement conditionné), plus exactement l’intelligence rationnelle qui a a bâti la science et la philosophie et prend l’essor avec la méthode expérimentale (Bacon, Descartes) à l’époque de la révolution industrielle, donc à partir de 1760. Vision objective du monde, irréligieuse ; formation d’une conscience claire qui se sent puissante, prodigieux levier révolutionnaire, puisque l’homme se découvre enfin lui-même, l’individualisme surmonté. Raideur, dureté, limites naturelles de la pensée claire à chaque moment de l’histoire de là ses retours sur elle-même, l’intérêt qu’elle porte à la pensée obscure, découverte du subconscient, intuition, religion, etc. ; ces retours féconds appuyés par les tendances sociales réactionnaires qui exploitent l’esprit religieux et la tradition l’inertie psychologique. Aspects révolutionnaires de la dialectique bergsonienne et sa tendance générale réactionnaire. Il reste que la conscience est essentiellement claire, d’autant plus riche peut-être qu’elle se nourrit mieux - avec maîtrise des éléments profonds de la vie, qui sont obscurs, plongeant au-delà, loin de la conscience.

    L’attitude négative des #surréalistes à l’égard de l’esprit scientifique rigoureux (ne peut être que rigoureux : objectivité incompatible avec complaisance), leur manque de culture scientifique (ignorance du marxisme, freudisme superficiel, André Breton ignore Pavlov, études de l’astrologie - A. B. et Pierre Mabille* sans connaissance de l’astronomie, intérêt pour la magie sans connaissance de la sociologie, de l’ethnologie et de l’histoire des religions) témoignent d’une débilité, recul devant l’effort sérieux, attrait de l’effet facile, plaisir de l’effervescence intellectuelle ; de là captivité intérieure… Bohème intellectuelle effervescente, relativement riche par rapport à la pensée académique sclérosée débile et inconsistante par rapport à la pensée révolutionnaire. De là, attrait de la pacotille : exploitation facile du bizarre, de la folie, du paradoxe (riches, certes, et révélateurs, mais qui requièrent plus d’attention réelle et de connaissance objective).

    Mouvement superficiellement révolutionnaire et profondément réactionnaire.

    Enrichissant dans la littérature et la peinture (ceci à considérer à part : crise des arts plastiques dans la décadence de la civilisation bourgeoise) par rapprochements nouveaux, audaces, appel à des moyens destructeurs de conventions, coups de sonde dans l’inconnu, rupture (beaucoup trop locale) avec l’inertie mentale.

    Contrepartie écrasante : vu l’impossibilité d’une rupture réelle par ces moyens médiocres et dans ce milieu bohème, chutes dans le sexualisme facile, le procédé, le charlatanisme même, le révolutionnarisme qui n’est que recherche du scandale (snobisme). Rien de ceci n’exclut la sincérité d’hommes appartenant à à une société où la sincérité est superficielle. « L’écriture automatique » et ses trucs : l’écrivain trichant avec lui-même. Consiste souvent à donner les brouillons pour des œuvres ; laisser-aller, contentement de soi-même, impuissance créatrice. Manière d’écrire d’A.B. : travail acharné, armé de dictionnaires pour recherche de mots rares ou d’associations imprévues, effort très rationnel tendant à donner l’impression d’un automatisme et n’arrivant qu’à l’ésotérique.

    Truquages littéraires, Jacqueline me disant : « Vous avez ’La chanteuse chantait...’ Le mot propre n’est pas : la poésie, j’aurais mis : "La chanteuse dormait... »› Du gongorisme à la plus plate littérature ornementale, la ligne de la recherche a été celle-ci : orner la réalité, dédaigner l’expression directe de la réalité. Est-ce Voltaire : « Ne dites pas : "la lune", dites : "l’astre des nuits..." ?

    Mauvaise qualité de la rébellion surréaliste : I. Strictement littéraire, n’est pas sortie des cafés de Paris et des revues - 2. A recherché l’effet choquant scandale, publicité , non l’effet révolutionnaire utile, libérateur : 3. Ne visait qu’un public sélectionné souvent riche (peinture bien vendue), #NRF ; - 4. Nature indigente des prises de position intérieures : plus de volonté de mépriser pour se grandir soi-même que de comprendre et d’apprécier ; stylisation pour se maintenir en dépit d’une certaine incohérence.

    À propos de l’enquête surréaliste « Le suicide est-il une solution ? », j’avais bien raison d’écrire dans #Littérature_et_révolution (1930) que les prolétaires et les révolutionnaires pensent à conquérir le monde, à bien se battre et non à la solution du suicide, qui est celle de jeunes bourgeois ou petits-bourgeois inadaptés ou désespérés. (Tout autre chose, le suicide des révolutionnaires qui peut être une solution ; rien de commun entre #Jacques_Rigaut — lord Patchogue — et A.A. Joffé, Marie Joffé, Evguenia Bosch, Paul et Laura Lafargue - c’est la ligne de la vie qui définit la valeur du point final.)

    Disais à Marseille : « Une découverte intéressante, dans le domaine de l’art, faite dans les plus mauvaises conditions, dans les cafés de Paris et l’atmosphère déliquescente du lendemain de la Première Guerre mondiale. »

    #surréalisme #Victor_Serge #André_Breton #écriture_automatique

  • Je ne mange pas de ce pain-là : Benjamin Péret, poète et (donc) révolutionnaire, un #film de Rémy Ricordeau
    http://lemoinebleu.blogspot.fr/2015/11/peret-par-ricordeau.html

    LE MOINE BLEU : Salut, Rémy. Dis voir, comment en es-tu venu personnellement à croiser le chemin de 
Benjamin Péret : une appétence pour le surréalisme, la poésie, la 
révolution ? Quand et pourquoi son parcours t’a-t-il, à ce 
point, paru digne de s’y intéresser ?

    RÉMY RICORDEAU : Comment, adolescent révolté, aurais-je pu ne pas rencontrer le #surréalisme, la poésie et la #révolution ? C’est par un recueil de textes d’Arthur Cravan, Jacques Vaché et Jacques Rigaut publié dans les années 70 et intitulé Trois suicidés de la société que j’ai d’abord découvert le lien qui existe entre la révolte et la poésie (c’est seulement après que dans le même esprit j’ai découvert Lautréamont, Rimbaud ou les romantiques allemands). De la génération dadaïste à l’origine du surréalisme, Péret m’a toujours semblé avoir été le plus fidèle à la #révolte qui avait fondé dans sa jeunesse ses engagements poétiques autant que politiques. Son parcours m’a intéressé parce qu’en énonçant cette évidence selon laquelle le poète ne pouvait qu’être révolutionnaire tout en refusant toute poésie « politique » de circonstance, il a contribué (avec d’autres, sans doute, mais de manière plus conséquente dans sa vie même) à mettre en avant cette nécessité selon laquelle le révolutionnaire ne pouvait de son côté qu’être poète, c’est à dire qu’il ne pouvait que mettre la poésie, au sens le plus large du terme, au centre de tout projet révolutionnaire de transformation sociale du monde. Cette idée qui rompt avec une conception strictement « économiciste » de l’#émancipation sociale, peut sembler banale aujourd’hui, mais elle est peut-être la plus subversive qui ait émergé au cours du siècle précédent. Et elle a été d’autant plus subversive qu’elle a eu pour conséquence de ne pas remettre « la révolution » à une réalisation ultérieure issue d’un mouvement social messianique, mais à créer une vision du monde incarnée en l’associant #ici_et_maintenant à une appétence poétique pour la vie. Cette conception vitaliste de l’émancipation humaine est toujours à mes yeux d’une extrême pertinence. C’est d’ailleurs le sens que j’ai voulu donner à la conclusion de mon film.


    un bref extrait :

    https://www.youtube.com/watch?v=_ps8UyYQUwE

    Benjamin Péret

    Le déshonneur des poètes, Benjamin Péret, février 1945
    https://www.marxists.org/francais/peret/works/1945/02/poetes.htm

    Les guerres comme celle que nous subissons ne sont possibles qu’à la faveur d’une conjonction de toutes les forces de régression et signifient, entre autre choses, un arrêt de l’essor culturel mis en échec par ces forces de régression que la culture menaçait. Ceci est trop évident pour qu’il soit nécessaire d’insister. De cette défaite momentanée de la culture découle fatalement un triomphe de l’esprit de #réaction, et, d’abord, de l’#obscurantisme_religieux, couronnement nécessaire de toutes les réactions. Il faudrait remonter très loin dans l’histoire pour trouver une époque où Dieu, le Tout-Puissant, la Providence, etc., ont été aussi fréquemment invoqués par les chefs d’Etat ou à leur bénéfice. Churchill ne prononce presque aucun discours sans s’assurer de sa protection, Roosevelt en fait autant, de Gaulle se place sous l’égide de la croix de Lorraine, Hitler invoque chaque jour la Providence et les métropolites de toute espèce remercient, matin et soir, le Seigneur du bienfait stalinien. Loin d’être de leur part une manifestation insolite, leur attitude consacre un mouvement général de régression en même temps qu’elle montre leur panique. Pendant la guerre précédente, les curés de France déclaraient solennellement que Dieu n’était pas allemand, cependant que, de l’autre côté du Rhin, leurs congénères réclamaient pour lui la nationalité germanique et jamais les églises de France, par exemple, n’ont connu autant de fidèles que depuis le début des présentes hostilités.

    D’où vient cette renaissance du fidéisme ? D’abord du désespoir engendré par la guerre et de la misère générale : l’homme ne voit plus aucune issue sur la terre à son horrible situation ou ne la voit pas encore et cherche dans un ciel fabuleux une consolation de ses maux matériels que la guerre a aggravés dans des proportions inouïes. Cependant, à l’époque instable appelée paix, les conditions matérielles de l’humanité, qui avaient suscité la consolante illusion religieuse, subsistaient bien qu’atténuées et réclamaient impérieusement une satisfaction. La société présidait à la lente dissolution du mythe religieux sans rien pouvoir lui substituer hormis des saccharines civiques : patrie ou chef.

    #Benjamin_Péret #montage #écriture_automatique

  • Skip-Thought Vectors
    http://arxiv.org/abs/1506.06726

    After training our model, we extract and evaluate our vectors with linear models on 8 tasks: semantic relatedness, paraphrase detection, image-sentence ranking, question-type classification and 4 benchmark sentiment and subjectivity datasets. The end result is an off-the-shelf encoder that can produce highly generic sentence representations that are robust and perform well in practice. We will make our encoder publicly available.

    #machine_larning #NLP #écriture_automatique via #gensim