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      🎙️ Résumé de l’émission
      Dans cet échange mené par Tristan Martin, Patrick Coste revient sur son parcours dans l’Éducation nationale et expose les analyses développées dans son ouvrage L’Éducation face à l’impossible (éditions Delga). De la critique des logiques de pouvoir à la crise psychique de l’ #enfant, en passant par les tensions autour de l’ #égalité, de l’ #autorité et de la laïcité, cette discussion interroge en profondeur le rôle de l’ #école dans notre société. Un dialogue exigeant pour repenser les fondements mêmes de l’éducation.

  • [Je signe ✍️] Le 12 juin au #Sénat, #taxons_les_ultra-riches - #Attac France
    https://france.attac.org/se-mobiliser/superprofits-ultra-riches-mega-injustices/article/je-signe-%E2%9C%8D%EF%B8%8F-le-12-juin-au-senat-taxons-les-ultra-riche

    Lettre ouverte aux #sénateurs et #sénatrices

    Madame, Monsieur,

    Le 12 juin, vous aurez l’opportunité de voter une proposition de loi essentielle qui peut faire une vraie différence dans la vie des Français et Françaises : la mise en place d’un impôt minimum sur les grandes fortunes. Ce texte vise à assurer une contribution plus équitablement répartie pour faire face aux défis que nous devons relever ensemble, en étant fidèle au principe d’#égalité_devant_l’impôt consacré par la #Constitution française.

    Notre pays fait face à une crise du financement des services publics, à un besoin impératif d’investissement dans la transition écologique et à une demande légitime des citoyennes et des #citoyens pour plus de #justice_fiscale. Dans ce contexte, la taxation des personnes les plus fortunées, détenant à minima 100 millions d’euros, est une mesure pragmatique et nécessaire qui permettrait de rapporter entre 15 et 25 milliards d’euros par an.

    Elle est plébiscitée par des #économistes de renom, y compris par des institutions financières internationales, afin notamment de collecter le manque à gagner fiscal auprès des acteurs aujourd’hui sous-imposés. Aujourd’hui, les ultra-riches paient proportionnellement moins d’impôts : chez les 0,1 % les plus riches, le taux peut chuter jusqu’à 0,2 % de leurs revenus. Il est urgent d’agir pour que chacun contribue à hauteur de ses moyens.
    Vous avez presque terminé  ! Passez à l’étape suivante.

    Merci d’avoir signé ! Vous pouvez amplifier notre mobilisation pour la justice fiscale en diffusant cette pétition autour de vous. Partagez cet appel en utilisant les boutons ci-dessous 👇🙏
    [Je signe ✍️] Le 12 juin au Sénat, taxons les ultra-richesAttac France

    Le 12 juin, c’est au tour du Sénat d’examiner la proposition d’impôt plancher sur la fortune des 0,01 % des contribuables les plus riches. Attac France, 350.org et Oxfam France lancent une campagne conjointe : nous comptons sur vous pour signer et relayer la lettre ouverte aux sénateurs et sénatrices avant le vote !

    Ce texte ne pénalise ni l’investissement ni l’entrepreneuriat, et ne risque pas d’engendrer d’exil fiscal à grande échelle mais au contraire assure que les contributions fiscales soient proportionnelles aux ressources de chacun·e. C’est un enjeu de responsabilité et d’efficacité économique : un système fiscal plus juste permet de renforcer la stabilité sociale et économique du pays à court et moyen terme.

    Nous nous adressons à vous, sénateurs et sénatrices, car nous savons que vous partagez cette ambition d’un modèle économique durable et de solutions pérennes aux crises auxquelles fait face le pays et celles à venir. Soutenir cette loi, c’est envoyer un signal fort : celui d’un engagement en faveur de la responsabilité économique et de la cohésion sociale.

    Votre vote du 12 juin sera décisif. Nous comptons sur vous pour prendre une décision courageuse et juste, qui répond aux attentes des citoyennes et des citoyens et qui prépare la France aux défis de demain.

    Dans l’attente de votre réponse et de votre action, recevez, Madame, Monsieur, l’expression de notre considération.

    kit de com : https://france.attac.org/IMG/pdf/taxonslesultrariches-versionattac.pdf

  • #Santé_menstruelle : un tabou qui freine l’avenir des filles

    Des millions de filles et de femmes dans le monde vivent leurs règles dans la #précarité, le #silence ou l’#humiliation. Parce que les #menstruations restent taboues, elles entraînent de fortes #inégalités sociales et de #genre et génèrent des #risques pour la #santé. Pour le Planning familial et Plan international, « faire du #droit_à_la_santé_menstruelle une réalité pour tous·tes, c’est faire un pas décisif vers l’#égalité. Il est temps de le franchir. »

    Des millions de filles et de femmes dans le monde vivent leurs règles dans la précarité, le silence ou l’humiliation. Parce que les menstruations restent taboues, elles entraînent de fortes inégalités sociales et de genre et génèrent des risques pour la santé. À l’occasion de la Journée mondiale consacrée à la santé menstruelle, Plan International France et le Planning familial rappellent que la santé menstruelle est un droit fondamental qu’il faut respecter, partout dans le monde.

    En 2025, avoir ses règles reste un facteur d’#exclusion pour des millions de filles dans le monde. En France, environ 4 millions de femmes menstruées vivent dans la #précarité_menstruelle, c’est-à-dire qu’elles n’ont pas les #ressources_financières pour s’acheter des #protections_périodiques. Parmi elles, 1,7 millions sont des #mères_célibataires ou des #étudiantes.

    En France, plus d’un tiers des adolescent·es ressentent un sentiment de #honte du simple fait d’avoir leurs règles, selon un sondage Opinion Way de 2022 commandé par Plan International France. 35% avouent qu’elles ou une de leurs proches ont déjà subi des #moqueries et des #humiliations en milieu scolaire. Une fille sur deux a déjà raté l’#école pendant ses règles. Ces données montrent à quel point les #tabous entourant les règles restent vivaces.

    Un enjeu mondial de #dignité, de santé et d’#éducation

    Dans le monde, au moins 500 millions de filles et de femmes n’ont pas accès à des protections périodiques en quantité suffisante. Des millions de filles manquent l’école chaque mois, faute d’infrastructures adaptées ou simplement d’un endroit sécurisé pour pouvoir se changer.

    D’après l’Unicef, en 2022, 15% des filles au Burkina Faso, 20% en Côte d’Ivoire et 23% au Nigeria ont été contraintes de manquer l’école tout au long de l’année en raison de leurs règles.

    Au Népal, la pratique traditionnelle du chhaupadi contraint les femmes à vivre isolées dans des huttes pendant toute la durée de leurs règles.

    En situation de crise – conflits, catastrophes climatiques -, l’accès à la santé menstruelle est encore plus restreint.

    Ce manque entraîne des conséquences directes sur la santé des femmes, comme des #infections, des #douleurs_chroniques, un #mal-être psychologique. La #désinformation liée aux règles, les #mythes, les #préjugés sexistes empêchent les jeunes de comprendre leur propre corps, de poser des questions et prendre de soin de leur santé.

    Un #droit_humain trop ignoré

    La santé menstruelle ne peut plus être un sujet oublié ou relégué au second plan, surtout au moment où les #droits_sexuels_et_reproductifs sont remis en cause. Elle est une composante essentielle de la santé sexuelle et reproductive. Elle doit être pensée comme un droit humain à part entière, condition de la dignité, de l’#autonomie et de la pleine participation des filles et des femmes à la société.

    Accéder à une information fiable, des protections, à de l’#eau, disposer d’un lieu sûr, comprendre son cycle, tout cela fait partie du droit fondamental à la santé. Et pourtant, ce droit reste trop souvent ignoré, nié.

    Un levier en faveur de l’égalité de genre

    Une personne qui peut gérer ses règles dans de bonnes conditions a plus de chances de poursuivre sa #scolarité. Une personne qui vit ses règles sans honte ni obstacle peut participer pleinement à la vie sociale, économique et citoyenne.

    À l’inverse, tant que les règles seront entourées de silence et de stigmatisation, elles resteront un facteur d’exclusion. C’est un enjeu d’égalité de genre et de justice sociale.

    Nous agissons pour faire de la santé menstruelle un droit effectif

    Au Planning familial comme à Plan International France, nous agissons pour faire du droit à la santé menstruelle une réalité. Chacun·e à notre échelle, nous distribuons des protections périodiques, sensibilisons les jeunes à la question des règles, aux préjugés qui les entourent. Nous luttons contre les mythes et la désinformation.

    Mais ces actions doivent s’inscrire dans une dynamique plus large. Nous appelons les pouvoirs publics à garantir à chaque jeune un accès à une éducation complète à la sexualité, qui doit mieux inclure la question des règles. Il faut également assurer à tous·tes les adolescent·e un accès universel, continu à l’information, aux soins, aux protections, y compris en situation d’urgence. Nous exigeons également des produits menstruels sans risques pour la santé ainsi que la formation des professionnel·les de la santé ! Il est essentiel d’éviter l’errance médicale par une meilleure prise en compte de la douleur, une meilleure orientation des personnes et une sensibilisation aux diagnostics possibles.

    En parler, c’est déjà agir

    Chacun et chacune peut agir à son niveau. En parlant ouvertement des menstruations, en s’informant, en sensibilisant les plus jeunes. Ensemble, déconstruisons les stéréotypes, levons les tabous et exigeons des #politiques_publiques ambitieuses en faveur de la santé menstruelle. Faire du droit à la santé menstruelle une réalité pour tous·tes, c’est faire un pas décisif vers l’égalité. Il est temps de le franchir.

    https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/06/01/sante-menstruelle-un-tabou-qui-freine-lavenir-des-filles/#more-94458
    #femmes #menstruation

  • Des PV majorés de 500% pour les riches !

    C’est une petite révolution qui mijote de l’autre côté des Pyrénées : en Espagne, le gouvernement envisage de faire payer beaucoup plus cher les #infractions_routières... aux #automobilistes les plus aisés. Fini le ticket à 100 € indolore pour ceux qui gagnent dix fois plus que le salaire moyen ! Inspirée du modèle suisse, cette réforme vise à rendre les #sanctions plus justes, en les adaptant aux revenus de chacun. Une manière de lutter contre une #injustice trop souvent ignorée : la loi est la même pour tous, mais son poids, lui, dépend de votre fiche de paie.

    C’est le genre d’annonce qui fait grincer des dents dans les beaux quartiers de Madrid. Le parti espagnol Sumar, membre de la coalition gouvernementale, souhaite que les sanctions pour infractions au Code de la route soient indexées sur les revenus des contrevenants. Le principe est simple : plus vous gagnez, plus votre amende sera élevée. Et on ne parle pas de quelques euros supplémentaires, mais bien d’une #majoration pouvant atteindre 500 % pour les conducteurs les plus #riches.

    Concrètement, si une #infraction vous coûte aujourd’hui 100 €, elle pourrait grimper à 600 € si vous gagnez plus de 100 000 € bruts par an. Le ministre des Droits sociaux, Pablo Bustinduy, soutient cette proposition, la qualifiant de « louable » et « nécessaire pour réduire les inégalités ».

    Une #justice_routière à plusieurs vitesses

    Actuellement, en Espagne comme dans la plupart des pays, les amendes sont fixes, quelle que soit la #situation_financière du contrevenant. Un cadre supérieur peut donc se permettre d’ignorer une #contravention pour stationnement gênant ou excès de vitesse, là où un smicard y laissera une grosse part de son budget mensuel.

    La réforme s’appuie sur un principe déjà appliqué dans certains pays nordiques, et notamment en Suisse, où les amendes sont déjà proportionnelles aux revenus. Là-bas, rouler à 200 km/h peut coûter... plus d’un million d’euros. Un record mondial détenu par un conducteur suédois en 2010, épinglé pour grand excès de vitesse. Chez les Helvètes, on ne rigole pas avec les limitations.

    Les riches ciblés, les modestes soulagés ?

    La proposition espagnole va plus loin qu’une simple #surtaxe pour les hauts revenus. Elle prévoit aussi des #réductions_de_peine pour les conducteurs aux ressources modestes. Ceux qui gagnent moins de 1,5 fois le SMIC espagnol pourraient bénéficier d’un #rabais de 30 % sur leurs amendes, et ceux entre 1,5 et 2,5 fois le SMIC d’une réduction de 15 %.

    L’idée est de restaurer un semblant d’#égalité devant la loi, en évitant qu’une sanction ne soit dérisoire pour les uns et écrasante pour les autres.

    Une réforme qui fait débat

    Évidemment, la mesure ne fait pas l’unanimité. Certains dénoncent une « punition fiscale déguisée », d’autres y voient une dérive vers une justice à géométrie variable. Le gouvernement, lui, défend une approche plus équitable, dans un contexte où les écarts de richesse ne cessent de se creuser.

    Pour l’instant, la proposition doit encore être débattue au Congrès des députés espagnol. Mais elle pourrait bien faire école ailleurs en Europe, où les inégalités de traitement devant la loi sont de plus en plus critiquées.

    Vers une Europe des PV sur mesure ?

    Et si cette initiative espagnole n’était que le début d’un mouvement plus large ? Difficile de dire si la France ou d’autres pays suivront le pas. Mais à l’heure où les radars automatiques fleurissent et où l’écologie impose de nouvelles restrictions à la conduite, la question de l’équité financière dans les sanctions mérite d’être posée.

    Faire payer davantage ceux qui ont les moyens n’est peut-être pas si choquant. Après tout, payer une amende, ce n’est pas censé être un simple désagrément : c’est censé faire réfléchir.

    https://www.automobile-magazine.fr/insolite/article/48173-des-pv-majores-de-500-pour-les-riches
    #Espagne #amendes

  • France : le Conseil d’État enjoint le gouvernement à prendre en charge les frais de transport de tous les demandeurs d’asile - InfoMigrants
    https://www.infomigrants.net/fr/post/64473/france--le-conseil-detat-enjoint-le-gouvernement-a-prendre-en-charge-l

    France : le Conseil d’État enjoint le gouvernement à prendre en charge les frais de transport de tous les demandeurs d’asile
    Par Leslie Carretero Publié le : 09/05/2025
    Dans une décision du 6 mai, le Conseil d’État a enjoint le Premier ministre d’assurer la prise en charge des frais de transports pour les convocations à l’Ofpra et à la CNDA des demandeurs d’asile non hébergés par les autorités. Actuellement, 25% de personnes ne sont pas prises en charge dans le dispositif national d’accueil et doivent donc payer à leur frais pour leurs rendez-vous administratifs. Une mesure jugée contraire au principe d’égalité de traitement.
    Les associations le dénoncent depuis plusieurs années. Le Conseil d’État vient de leur donner raison. Il avait été saisi par plusieurs associations, dont La Cimade et le Gisti (Groupe d’information et de soutien aux immigrés), au sujet du financement des frais de transports pour se rendre aux rendez-vous de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA).
    Dans les faits, les personnes accueillies en centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) et dans les hébergements d’urgence pour demandeurs d’asile (HUDA) - gérés par opérateurs mandatés par l’État - bénéficient d’une prise en charge de leurs frais de déplacements pour leurs convocations liées à leur dossier de protection.
    Ce qui n’est pas le cas des personnes hébergées dans des structures de premier accueil des demandeurs d’asile (SPADA) – gérées par l’Office français de l’intégration ou de l’immigration (Ofii) – ou celles vivant chez des proches, voire à la rue. Selon Didier Leschi, directeur de l’Ofii, 25% des demandeurs d’asile ne sont pas logés par l’État.
    Ces exilés doivent alors payer à leur frais leurs titres de transport, le plus souvent grâce à l’allocation pour demandeurs d’asile - pour rappel, les demandeurs ne sont pas autorisés à travailler pendant les six premiers mois de leur arrivée en France.
    Et le montant de l’ADA, qui peut aller de 190 euros/mois pour une personne seule à 660 euros/mois pour une famille de six personnes, couvre tout juste leurs frais quotidiens. « Ce n’est pas normal que les plus précarisés soient pénalisés et payent plus que les autres », souligne Claire Rodier du Gisti. Dans sa décision du 6 mai, le Conseil d’État estime que « le fait de réserver (…) la prise en charge des frais de déplacement liés aux convocations à l’Ofpra et à la CNDA aux seuls demandeurs d’asile hébergés en CADA et en HUDA constitue une différence de traitement (…) et porte une atteinte illégale au principe d’égalité ». Et ce alors que le fait de ne pas être hébergé dans ces structures « ne dépend pas de la situation ou du choix des intéressés mais procède du nombre de places disponibles dans un contexte de saturation du dispositif national d’accueil », assure la juridiction.
    Ainsi, le Conseil d’État « enjoint au Premier ministre, dans un délai de neuf mois (…), de prendre toutes mesures utiles afin de remédier aux différences de traitement constatées et d’assurer une prise en charge des frais de transport des demandeurs d’asile en vue de réaliser les déplacements nécessaires à l’examen de leur demande d’asile dans le respect des principes d’égalité et d’effectivité du droit d’asile ». Une décision non contraignante.

    #COvid-19#migrant#migration#france#OFII#CNDA#GISTI#CADA#asile#OFPRA#SPADA#droit#sante#egalite

  • L’éducation entre égalité et efficacité
    https://laviedesidees.fr/L-education-entre-egalite-et-efficacite

    Comment les vagues de massification scolaire ont-elles affecté les stratégies des familles et, plus largement, leur rapport à l’École ? Pierre-Michel Menger, professeur au Collège de France, propose des pistes d’analyse pour éclairer une nouvelle socio-démographie de l’éducation. Entretien suivi d’un essai.

    #Société #éducation #famille #égalité
    https://laviedesidees.fr/IMG/pdf/20250404_menger-2.pdf

  • Trois idées reçues sur les rapports entre le droit et la politique (et sur le « gouvernement des juges ») - AOC media
    https://aoc.media/analyse/2025/04/02/trois-idees-recues-sur-les-rapports-entre-le-droit-et-la-politique-et-sur-le-

    Par Lauréline Fontaine, juriste

    Le verdict de culpabilité à peine prononcé à l’endroit des dirigeants du Rassemblement national et de leur organisation, la petite musique du « gouvernement des juges » se faisait bruyamment entendre. C’est l’occasion de montrer comment cet argumentaire dangereux et fallacieux a été progressivement inscrit au sein de notre espace démocratique pour saper, en opposant droit et politique, un des fondements de l’État de droit : la séparation des pouvoirs.

    De la décision rendue par le Tribunal correctionnel de Paris le 31 mars 2025, dans l’affaire des assistants parlementaires du groupe Rassemblent National au Parlement européen, entre 2014 et 2016, les médias et leurs acteurs font leurs gros titres des peines prononcées, et notamment de celles concernant l’inéligibilité des élus concernés, au premier rang desquels Marine Le Pen. Bien sûr, c’est oublier que le fait le plus important est que les élus aient été reconnus coupables de détournement de fonds publics (et les collaborateurs de recel de détournement de fonds publics).

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    Cette condamnation, prononcée par un collège de trois juges, fait suite à la décision prise par des élus d’instituer des mécanismes destinés à assurer la probité de ceux qui ont l’honneur d’exercer un mandat public, que leur ont confié la majorité des électeurs qui se sont exprimés. Mais cet oubli de la condamnation et de son fondement n’est ni un « glissement », ni une « dérive » de la vie politique contemporaine. C’est la suite presque mécanique de ce qui se joue dans notre espace politique depuis déjà quelques temps, transcendant même les clivages politiques.

    Certes, la conception française de la « démocratie » a toujours donné aux élus la priorité de légitimité sur tout autre acteur, y compris les juges, mais le système avait été néanmoins acquis à l’idée qu’il était préférable qu’il existe une justice, rendue par des juges, et non par les électeurs seulement, à propos des acteurs politiques et de leurs actions. Ce sont ces acteurs qui ont ainsi forgé, progressivement, tout un ensemble de règles destinées à leur être appliquées, répondant à l’idée de restaurer « la confiance dans la vie politique », ainsi que s’intitulait la loi du 15 septembre 2017.

    Mais cette progressivité de l’élaboration d’un droit applicable à la vie politique a donné lieu, dans le même temps, à des déclarations qui entrent en contradiction avec cette intention. Je ne prendrai ici que quelques exemples récents, en illustrant que le « gouvernement des juges » décriés par les partisans (mais pas seulement il est important de le noter) de Marine Le Pen, bénéficiait, dans la classe politique, avant le jugement du 31 mars 2025 d’une cote de popularité déjà exceptionnelle. Pour le comprendre, il faut revenir sur la manière dont sont pensés les rapports entre le droit et la politique, qui ne donnent pas seulement lieu à beaucoup d’idées reçues, mais qui sont aussi la source de discours à haute valeur démagogique, jusqu’à se laisser aller à de pures inventions. Petits extraits choisis.

    A l’occasion d’un débat filmé et organisé par le journal Le Figaro le 30 novembre 2024 entre Marcel Gauchet et Arnaud Montebourg – un débat intitulé « L’État de droit contre la démocratie. La souveraineté européenne contre le peuple », rien que ça ! – on peut entendre le premier affirmer que le Conseil constitutionnel, en 1971, a « choisi » de se référer à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et qu’il aurait pu tout aussi bien choisir celle de 1793 ou celle de 1795, deux autres déclarations de l’époque révolutionnaire. Il induisait ainsi l’arbitraire total du Conseil, qui lui permettrait de décider contre les politiques, puisque la décision prise en 1971 censurait une loi fraîchement adoptée.

    Cet énoncé, délivré sous l’œil approbateur et satisfait de ses interlocuteurs, est pourtant, sur ce point, parfaitement inexact. Le véritable « choix » du Conseil à l’époque avait été de se fonder sur le préambule de la Constitution de 1958 (ce qu’il avait déjà décidé depuis 1970), un préambule qui se réfère explicitement à la Déclaration de 1789 à laquelle le peuple français (que le texte de 1958 dit être son auteur) « proclame solennellement son attachement ». Pas de référence, même implicite, aux autres déclarations élaborées pendant l’époque révolutionnaire. Sur ce point au moins, il n’y a donc pas eu fantaisie du Conseil.

    Mais il apparaît que l’essentiel pour Marcel Gauchet n’était pas d’être « juste », mais de jouer la partition pour laquelle il avait été invité avec Arnaud Montebourg, dont le titre disait bien l’intention des uns et des autres. Dans leurs propos, on décèle bien l’intention qui est la leur : si le politique n’agit pas dans un sens jugé par le politique, lui-même considéré implicitement comme favorable aux « citoyens » et à l’action de l’État, c’est qu’il en est empêché. Arnaud Montebourg le confirme : il égrène les autorités et juridictions qui « bombardent de décisions sur ce qu’il faudrait faire » (Autorités administratives indépendantes, Europe, juges). Et, affirme-t-il, les juges comme les hauts-fonctionnaires, au prétexte de leurs connaissances et de leurs études, ne seraient pas là pour lui dire « ce qu’on peut faire et ne pas faire », mais pour se « débrouiller pour le faire ».

    En portant ce discours anti-juge et anti-droit, il se présente comme un bon éligible potentiel puisque lui prétend en finir avec cette raison du « tout juge », avec cette raison qui empêche le politique d’agir dans le bon sens. N’est-ce pas du bon sens d’ailleurs ? Le droit ne devrait pas entraver l’action politique. Pour qu’il en soit ainsi, tout frein de droit, même dûment constaté par le juge, doit être disqualifié, ou plutôt requalifié, puisque, dans le même temps, il ne faut pas avoir l’air de remettre en cause la fonction de juger : non, le juge doit bien juger, mais, s’il juge « contre » le politique, alors son travail est illégitime parce que, en décidant ainsi, il ferait de la politique.

    Cette petite musique est devenue une antienne : on la ressasse comme un mantra dont on n’interroge plus depuis longtemps le bienfondé. On la trouve évidemment au cœur des institutions. Citons, par exemple, ce rapport de mars 2022, intitulé à l’identique de la mission d’information du Sénat qui avait été constituée quelque temps auparavant, « La judiciarisation de la vie publique : une chance pour l’état de droit ? Une mise en question de la démocratie représentative ? Quelles conséquences sur la manière de produire des normes et leur hiérarchie ? » (Rapport d’information de P. Bonnecarrère, fait au nom de la MI Judiciarisation, n° 592 (2021-2022) – 29 mars 2022). Ce rapport donne rapidement le ton : « La volonté de toujours mieux protéger les droits fondamentaux peut parfois compromettre la capacité de mener des politiques publiques efficaces au service de l’intérêt général ». Est donc reproché au juge d’empêcher l’action entreprise ou décidée par les autorités politiques et administratives, la question du respect du droit et des droits ne devenant pas seulement secondaire, mais illégitime.

    Citant un professeur, le rapport sénatorial parle d’« invasion des juridictions dans la vie publique ». A l’appui de la thèse générale du rapport, quelques décisions de justice sont citées : sans surprise une décision émanant de la Cour de Justice de l’Union Européenne (arrêt du 6 octobre 2020, Quadrature du Net, affaire C-511/18), mais aussi une décision du Conseil d’État (Ordonnance n° 452210 du 22 juin 2021, suspendant l’application d’un décret du 30 mars 2021 portant diverses mesures relatives au régime d’assurance chômage) ou encore une décision du Conseil constitutionnel (décision du 6 juill. 2018, n° 2018-717/718 QPC).

    Nul doute que la décision du Tribunal correctionnel de Paris rendue le 31 mars fera donc date dans le discours sur le gouvernement des juges. En écoutant ou en lisant les hommes et femmes politiques et ceux qui entendent porter leur parole, je note que ce sont toujours les quelques mêmes décisions qui reviennent. Comme celle du Conseil constitutionnel sur la fraternité, sans surprise évoquée dans le débat Gauchet/Montebourg que je mentionnais plus haut, une décision devenue un « standard » pour la critique du gouvernement des juges. Elle est à cet égard encore citée dans une chronique récemment publiée par le maire de Cannes, David Lisnard, qui ne fait dissimule à peine que pour lui, c’est parce qu’elle est liée à la question migratoire que cette décision est problématique (« De l’État de droit au gouvernement des juges ? », L’opinion, 5 mars 2025). En effet, le législateur avait créé un dispositif pénalisant l’aide apportée aux migrants, que les observateurs avaient rapidement appelé « délit de solidarité ». Saisi à cette fin d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil l’avait déclaré contraire à la Constitution, sur le fondement du principe de fraternité figurant dans la devise républicaine (article 2).

    Même s’il faut minimiser la portée réelle de cette décision (elle est importante pour ceux qu’elle concerne mais les hypothèses d’application de cette loi étaient assez peu nombreuses dans les faits, car la tendance des autorités était plutôt de ne pas activer souvent le dispositif, même si c’était sans doute encore trop), le fait est qu’elle se caractérise par une abrogation d’un dispositif souhaité par le législateur. Il est vrai que, dans cette affaire, le Conseil constitutionnel a paru sortir le principe de fraternité de son chapeau, parce que non seulement il n’en n’avait jusque-là jamais fait usage, et qu’il ne s’agirait de toutes les façons pas d’une véritable « règle », les termes de la devise républicaine ayant un simple caractère déclaratoire.

    A cet endroit, le raisonnement devient néanmoins glissant, et toutes sortes d’impasses, d’erreurs et de torsions sont permises, à partir desquelles ce discours anti-juge et anti-droit prospère allègrement. Il n’a pourtant rien du « bon sens » ou, tout du moins, fait passer des vessies pour des lanternes. Et à ce jeu, nous nous laissons souvent prendre. Si on le leur demandait en effet, peu qui propagent ce discours, volontairement ou involontairement, pourraient adhérer à l’hypothèse qu’il vaut mieux une société sans droit qu’une société de droit. Et pourtant, c’est bien ce qui se joue.

    1ère idée reçue : les juges freinent l’exercice du pouvoir
    A envisager l’ensemble des décisions de justice rendues par les différentes instances juridictionnelles compétentes, le bilan global est que les juges ne s’opposent que très ponctuellement à l’action publique : dans la très grande majorité des cas, au contraire, ils la valident et en renforcent l’inéluctabilité. Les juges, et singulièrement le juge administratif et le juge constitutionnel, ménagent les autorités en charge d’exercer le pouvoir, en façonnant le droit à cette fin.

    Ainsi par exemple de la notion d’« intérêt général », dont use le Conseil constitutionnel depuis 1979 (Cons. const., 12 juill. 1979, n° 79-107 DC), est orientée vers la validation des restrictions apportées aux droits et libertés par le législateur. La notion d’intérêt général présente un avantage très net pour le législateur, puisque c’est à lui qu’il revient d’en définir le contenu, dispensant le juge d’en apprécier la pertinence. Si donc on s’intéresse à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, on doit constater que, au regard du nombre de lois et de dispositions législatives adoptées, très rares sont les censures et encore plus concernant des dispositifs de grande importance (dès lors que l’exécutif est impliqué dans ces dispositions, car celles seulement voulues par le Parlement échappent un peu moins à la censure, qui reste de toutes les façons rare). Devant la juridiction administrative également, l’État gagne le plus souvent à la fin, sauf exceptions, comme à propos de « l’affaire du siècle », l’affaire de Grande-Synthe (CE, 1er juill. 2021, n° 427301), qui jouent le rôle d’un miroir grossissant d’une réalité fantasmée.

    Les auteurs du rapport d’information du Sénat cité plus haut l’admettent d’ailleurs : beaucoup plus loin dans le document et n’en faisant pas leurs « gros titres », ils concèdent que le phénomène de la judiciarisation de la vie publique ne doit pas être « surestimé ». Et de rappeler par exemple que, pendant la crise sanitaire, le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel n’ont pas posé d’obstacles réels aux décisions prises par le gouvernement et le législateur d’alors, ce qu’en effet nous avions tous pu constater. Le juge est alors loué pour ce qu’il « est donc capable de procéder à l’interprétation constructive des textes non pas pour empêcher mais au contraire pour faciliter l’action des pouvoirs publics au regard des circonstances » (je souligne). On ne saurait être plus clair.

    Dans une sorte d’aveu de lucidité, il est également dit dans le rapport que « les changements qui ont conduit au renforcement du rôle des juridictions ont été démocratiquement décidés », et qu’« il n’y a pas de « prise de pouvoir » par les juges : ils usent seulement des prérogatives qui leur ont été attribuées ». Autrement dit, on doit convenir que les juges sont accusés d’exercer des compétences que les politiques leur ont attribuées.
    Le juge n’empêche donc pas le pouvoir d’agir. D’ailleurs, comment expliquerait-on autrement la normalisation du droit d’exception sécuritaire par la loi « SILT » (Loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme), les refontes successives du droit du travail depuis notamment les premières « ordonnances Macron » en 2017 (cinq ordonnances prises sur le fondement de la loi n°2017-1340 du 15 septembre 2017), qui ont fait du travail un coût pour les entreprises et de la spéculation un bienfait ? Comment expliquerait-on la réforme de l’instruction et de la peine, qui conduit aujourd’hui des procureurs à prononcer les peines alors qu’ils ne sont pas juges, et les prévenus à convenir eux-mêmes de leur peine sans possibilité de réformation (dispositif de la composition pénale) ? Comment expliquerait-on une production législative et réglementaire qui semble inarrêtable, si le juge constituait vraiment un frein à l’action publique ?

    Le juge n’empêche ainsi que rarement le pouvoir d’agir et, même, il est le bras armé du politique souvent. Par exemple, tout avocat spécialisé dans le contentieux des étrangers en fait l’expérience. Et on pense aussi à un phénomène inquiétant de ces dernières années, qui se développe de manière alarmante en même temps que la rhétorique du gouvernement des juges : le fait que la simple évocation d’une affaire terroriste autorise la police judiciaire à saisir, perquisitionner ou mettre en garde à vue des personnes sans respecter les garanties de droit commun, ou à interdire des manifestations. Le fait aussi que les procédures visant à réprimer le fameux délit d’apologie du terrorisme se soient multipliées (on est passé de 15 procédures environ par an avant 2014 à plus de 300), d’autant qu’elle concerne de plus en plus souvent des acteurs de la vie politique, militante ou syndicale, dont l’activité se trouve ainsi entravée et pour lesquels l’effet de menace paraît être particulièrement opérant.

    Pourquoi alors quand même dire que les juges en font trop ? Je me hasarderais à faire un parallèle avec la tonalité du discours libéral, néo-libéral ou ultra-libéral, qui fustige constamment l’action publique comme un frein à la libre concurrence et aux échanges, alors que celle-ci a posé un cadre juridique quasi-idéal et le fait constamment évoluer dans un sens favorable aux plus grands opérateurs économiques. Le ressort de cette rhétorique est éprouvé : en dénonçant le « trop », on s’assure de ce que l’action reste minimale, celle publique s’agissant du marché, celle judiciaire vis-à-vis des politiques publiques.

    Le communiqué délivré le 1er avril par la Cour d’appel de Paris ne doit pas être compris autrement : l’« affaire » sera bien jugée avant que ne commencent les opérations en vue des élections présidentielles de 2027. Si jamais la Cour devait alors, ou infirmer la condamnation, ou infirmer le prononcé de la peine complémentaire d’inéligibilité, concernant Marine Le Pen principalement, le jugement du Tribunal aurait été un « coup pour rien » et on repartirait comme avant, là où les politiques peuvent agir sans craindre l’application judiciaire du droit. Suivant cette logique, ce sont les juges qui doivent se freiner (le fameux « self restraint »), parce qu’ils ne doivent pas freiner l’exercice du pouvoir.

    2ème idée reçue : les juges ne doivent pas freiner l’exercice du pouvoir
    A maxima, freiner l’exercice du pouvoir veut dire l’empêcher complètement ; a minima, cela implique d’en ralentir la cadence, d’en exclure certains aspects. Dans les discours qui finissent par fustiger toute incidence des décisions de justice sur l’activité politique est souvent mise en avant la question des intérêts légitimes à protéger contre le droit : intérêts de la nation surtout, déclinés à l’envie par les politiques. C’est par exemple ce qui pousse Gérald Darmanin à dire en 2024 qu’il n’appliquera pas une décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (comme le Parlement de Russie l’avait d’ailleurs décidé il y a quelques années en adoptant une loi autorisant la cour constitutionnelle à ne pas appliquer les décisions de la juridiction européenne). Ces intérêts, non définis a priori, car définis variablement en fonction des majorités électorales ou des circonstances qui font « système » : crise économique, pandémie, risque terroriste principalement. Fréquemment, le politique, et le juge avec, invoquent des impératifs – qu’il s’agisse par exemple de l’efficacité ou de l’urgence – qui permettent de surmonter les procédures et les règles inscrites dans les règles de droit.

    Le principe selon lequel la validité/légitimité de la décision publique dépend d’autres valeurs que celle du respect du droit fait tranquillement son chemin, de sorte qu’on ne s’étonne finalement presque pas que des parlementaires puissent dire que « la volonté de toujours mieux protéger les droits fondamentaux peut parfois compromettre la capacité de mener des politiques publiques efficaces au service de l’intérêt général », comme dans le rapport sénatorial précité.

    Comment et où faut-il alors tracer le chemin de la justice lorsqu’elle est confrontée au politique ? S’il s’agit de prendre le mot d’ordre au sérieux, tout contrôle dont le résultat ne consisterait pas à valider l’action politique et administrative telle qu’elle est envisagée ou déjà en cours, serait illégitime. En suivant, le droit ne devrait jamais être un obstacle à la volonté d’une majorité politique donnée. Il suffit de faire parler un peu le personnel politique pour que cet aveu involontaire soit fait. Mécaniquement, le contrôle du juge n’en serait pas un, puisque devrait s’y substituer un simple enregistrement formel, dont le « vernis » juridique servirait, ironie de la chose, à renforcer sa légitimité ! Parce que, si on n’aime pas le droit quand il empêche ou freine le politique, on le convoque en soutien lorsqu’il ne le contrarie pas. On l’a vu récemment avec la nomination du Richard Ferrand à la tête du Conseil constitutionnel par le président de la République : les parlementaires s’étaient prononcé contre à 58 voix sur 97, c’est-à-dire à près de 60%, mais « en droit », il manquait une voix pour bloquer la nomination. Et si c’est légal – ici constitutionnel –, alors ce serait légitime, dans une confusion que l’on ne dénonce même plus.

    Le fondement réel de toutes ces affirmations est évidemment le sentiment du politique de bénéficier d’une légitimité supérieure à celle du juge, du fait de son élection, une légitimité dont se parent d’ailleurs les ministres par ricochet, même s’ils ne sont pas élus et, pour nombre d’entre eux, ne l’ont même jamais été. C’est à cause de l’élection que certains courants de pensée estiment que seul le peuple pourrait être vraiment un juge de l’action politique des représentants, car il n’y aurait rien d’autre au-dessus des représentants. On pourrait bien sûr discuter de ce surcroît de légitimité dont bénéficient les élus et ceux qui travaillent avec eux, tant l’organisation du système politique par l’élection n’a pas pour effet de créer un lien réel entre tous les individus composant le pays et les dits « élus ». On pourrait donc discuter aussi de ce qui fonde cette légitimité. Par exemple, qu’est-ce qui, dans les faits, justifie que l’élection, par un tout petit nombre de personnes rapporté à l’ensemble de la population, soit considérée comme fondant mieux la légitimité que la validation d’un ensemble de compétences s’agissant des juges (sauf pour le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat, dont la composition ne rime pas avec qualifications spécifiques) ? Sans préjuger des éléments de réponse, et sans préjuger non plus de ce que d’autres sources de légitimité pourraient être pensées (certains par exemple militent pour le tirage au sort des politiques), cela mériterait au moins discussion, une discussion qui aurait des conséquences sur notre problématique.

    Il apparaît en tout cas que l’édification moderne de nos systèmes politiques repose sur une philosophie à laquelle n’adhèrent manifestement pas les titulaires de l’exercice du pouvoir politique, et qui a pour effet que l’un de ses piliers, le juge, soit constamment en position de fragilité vis-à-vis des autres. L’édifice menace ainsi à tout moment de s’effondrer s’il n’est pas acquis que les « juges » doivent juger, y compris l’action du personnel politique, à partir des compétences qui leur ont été données par le droit, c’est-à-dire le résultat de décisions politiques. En effet, ce sont des textes juridiques (et notamment la Constitution, les lois adoptées par le législateur et les règlements de l’exécutif), c’est-à-dire des textes adoptés par les autorités politiques elles-mêmes, qui organisent la compétence des juges.

    Par exemple, l’article R.311-1 du code de justice administrative français est issu d’un décret adopté le 30 septembre 1953 en Conseil des ministres (et de nombreuses fois modifié par la suite), qui portait « réforme du contentieux administratif », et qui indique aujourd’hui que « Le Conseil d’État est compétent pour connaître en premier et dernier ressort (…) Des recours dirigés contre les ordonnances du Président de la République et les décrets ». Quoi qu’il le veuille ou ne le veuille pas, le Conseil d’État doit donc juger de ces actes du Président de la République, s’il est saisi par un justiciable dont il est établi qu’il a un intérêt légitime à agir (ce peut par exemple être le cas d’une association qui s’est donné pour objet la défense de certains intérêts environnementaux, éducatifs, touristiques, etc.). Les juges ne volent donc pas leur compétence, « on » la leur donne. Et parfois, « on » la leur retire. Le « on » vise principalement le Parlement, et le pouvoir exécutif lorsque ce dernier est – juridiquement – compétent.

    Évidemment, on comprend que si ça ne tenait qu’aux titulaires effectifs du pouvoir à un moment donné, ils retireraient bien aux juges leur compétence. Ils le font parfois, en transférant les compétences d’un juge à un autre, et pour des raisons diverses ou inavouées : économies budgétaires, proximité avec les justiciables, mais aussi désir de minimiser le contrôle sur l’action administrative, comme lorsque le juge judiciaire – moins clément avec l’administration – est dessaisi au profit du juge administratif. Mais l’édifice politique, tel qu’il résulte notamment de la Constitution et de l’histoire, oblige à conserver le juge. Alors, puisqu’il ne peut s’agir de le faire disparaître, et puisque presque toutes les ficelles sont tirées pour en minimiser les effets, il faut plomber son image, le décrédibiliser comme juge, ce qui n’est pas la même chose que de pointer – comme je l’ai fait dans La Constitution maltraitée. Anatomie du Conseil constitutionnel (Amsterdam, 2023) – que l’instance censée être un juge ne dispose d’aucune qualité pour pouvoir être qualifiée ainsi.

    La critique du gouvernement des juges a clairement cette fonction de délégitimation de leur travail en tant qu’ils ont une compétence acquise pour juger les actes du politique, depuis l’acte de l’administration locale (compétence d’un tribunal administratif) jusqu’à la loi adoptée par le Parlement (compétence du Conseil constitutionnel), en passant par l’opération de police (compétence du juge judiciaire). Le mot d’ordre du politique à l’égard du juge repose donc sur une volonté de ne pas reconnaître sa soumission au droit : à la Constitution bien sûr (et il est à cet égard très bien servi par le Conseil constitutionnel qui n’est pas un « contre-pouvoir » mais qui est tout contre le pouvoir), mais aussi à toutes les autres normes, nationales ou européennes, chaque fois qu’elles contrarient ses ambitions. Pour juger tout à la fois la philosophie et les ressorts de ce mot d’ordre, il faut donc revenir sur la réalité des rapports entretenus entre les deux idées de « droit » et de « politique ».

    3ème idée reçue : le droit, ce n’est pas de la politique
    Parmi les distinctions malheureuses qui neutralisent l’espace de la critique à l’égard des pratiques et usages politiques au regard du droit, il y a donc celle qui marque l’existence d’une frontière entre le droit et la politique. Si cela concerne tout le droit, cela est particulièrement évoqué lorsqu’il s’agit de dire que les actes des plus hautes autorités politiques ou administratives sont contrôlés par des juges. La problématique à cet sujet est que, par la force des choses, la décision des juges ayant un impact sur la continuité de l’action politique et administrative, cela conduit les autorités en question à se plaindre de ce que le juge fait de la politique.

    Pour se sortir de ce cercle vicieux autrement qu’en admettant ce qui se passe, à savoir que, sauf dans d’assez rares cas finalement, les juges sont plutôt portés à renforcer la légitimité de l’action politique et administrative en lui donnant le sceau du droit (contrariant la première idée reçue), on comprend qu’il faudrait rendre le contrôle « acceptable », et donc, nécessairement, revoir la manière dont nous pensons la distinction. Car celle-ci n’est pas du tout ontologique, elle n’est pas une distinction « vraie », ou de nature, elle est le résultat de nos représentations.

    Dans l’imaginaire légal commun – car il en existe incontestablement un – on fait souvent appel au droit comme s’il avait une force et une signification propre, détachées de tout intérêt contingent. En ce sens, le droit ne serait donc pas de la politique. Sans creuser la chose, et parce qu’on admet comme une évidence la distinction, on est ainsi facilement conduit à s’indigner contre ces juges qui, par leurs décisions freinant et même parfois empêchant les politiques d’agir, feraient indûment de la politique. Mais la réalité du droit n’est pas cette chose neutre, objective, dont l’application aurait la même coloration, c’est-à-dire aucune. Le droit rencontre perpétuellement des questions « politiques », dont il n’est pas concevable qu’il en soit détachable : « il est pensé, fabriqué, modifié, effacé par le personnel « politique », selon des considérations morales, philosophiques, éthiques, économiques ou sociales, qui donnent leur sens à la règle ou à la procédure qui a été choisie » (La constitution au XXIè siècle. Histoire d’un fétiche social, Amsterdam, 2025).

    On pourrait multiplier les exemples pour le montrer. La règle de droit est le résultat d’une pensée (bonne ou mauvaise, approfondie ou non, cultivée ou non) autour du moyen adéquat pour parvenir à une fin déterminée. Le droit n’est donc pas et simplement la somme des actes expressément interdits ou implicitement permis, somme à laquelle on ajouterait toutes les règles destinées à assurer l’application du droit (règles relatives aux institutions et administrations). Il s’agit, comme l’indiquait l’anthropologue Clifford Geertz, d’un « code culturel de significations », d’un mode de lecture de la société.

    Il n’importe donc pas tant de savoir ce qui est permis et ce qui ne l’est pas, mais de savoir pourquoi. Pour rester sur le terrain constitutionnel, il faut par exemple admettre que les premières règles de procédure relatives à l’adoption de la loi reposent sur des principes, qui ne sont peut-être plus interrogés aujourd’hui, mais qui, historiquement et philosophiquement, sont déterminés : pour adopter une « bonne » loi, c’est-à-dire, pour reprendre ce qui fut énoncé par Montesquieu, pour garantir la liberté, il faut deux éléments incompressibles, le temps et la confrontation entre des intérêts différents.

    C’est cette philosophie (ou au moins fut-ce affirmé à l’époque), qui a présidé à la révision du texte de la Constitution en 2008, pour obliger à ce qui ne paraissait plus être intégré par les politiques : un délai de six semaines minimum entre le dépôt d’un texte de loi et son examen en séance publique a donc été inscrit dans le texte de la Constitution, et la main a été redonnée au Parlement, au nom de ce qu’il représenterait des intérêts distincts du Gouvernement, pour modifier un texte déposé par le Gouvernement.

    Presque vingt années plus tard, le discours ambiant est tout différent, qui voudrait qu’une bonne loi soit adoptée rapidement et parce qu’elle est le vœu d’une majorité, donc homogène. Ce faisant, les pratiques politiques actuelles tendent donc à tordre le droit constitutionnel, sous couvert de ce même droit. Notamment, puisqu’il existe une procédure accélérée, dont l’organisation actuelle dépend d’ailleurs aussi de la révision constitutionnelle de 2008, alors autant l’utiliser, quitte à en banaliser l’usage, réduisant ainsi à néant tant le texte que la philosophie qui l’a initié, fondamentale pour penser l’exercice du pouvoir.

    Mais, on fait comme si, une fois adoptée, la règle n’était plus que « juridique ». Il y aurait ainsi une manière de comprendre ce qui relève du droit proprement dit et ce qui relève de la politique. La solution la plus simple, pour ne pas dire simpliste, et en réalité complètement infondée, est de séparer les règles formelles qui sont adoptées des considérations politiques, philosophiques, éthiques, historiques, économiques, culturelles, etc., qui ont nourri leur adoption. Il resterait la « technique » et les procédures, c’est-à-dire ce qu’il faut faire ou ne pas faire, ce qu’on peut faire ou ne pas faire, mais jamais pourquoi il faut le faire ou ne pas le faire. Le droit est réduit à des procédures, désincarnées, soutenant au passage l’idée selon laquelle les juristes eux-mêmes ne seraient que des procéduriers.

    Et le fait est qu’ils ne demandent qu’à l’être, en se désengageant de leur objet proprement politique. Si les politiques présentent une très grande résistance à l’idée que le droit puisse être autre chose que cette chose désincarnée et procédurale – parce que cela les obligerait à réfléchir aux limites que l’on a voulues, par le droit, poser à leur action –, les juristes ne sont pas en reste, qui se défendent de faire de la politique, de la philosophie, de l’économie, etc. Ils ne sauraient donc que dire que telle procédure a effectivement été suivie ou non, respectée ou non. Le pourquoi ne les concerneraient pas. Cette attitude ne serait pas si problématique s’il n’en résultait pas que les acteurs politiques ne se sentent plus liés par les règles pour de « bonnes » raisons. Ils sont seulement liés à des procédures, dont ils peuvent allègrement ignorer ou nier la raison d’être. Et il n’y aurait, en droit, rien à leur opposer d’« objectif » puisque la politique, la philosophie, l’économie, la culture, etc., ne seraient pas tels. En bref, le droit, qui en est pétri, parviendrait, par un effet de magie, à s’en extraire. Si les acteurs de l’exercice du pouvoir n’ont pas endossé l’éthique qui doit être la leur en fonction du texte constitutionnel et de la raison qui l’a animé et initié, c’est-à-dire s’il leur manque l’éthique de la fonction gouvernante, c’est aussi parce que ni les juristes ni les juges n’ont endossé leur propre rôle. Il y a une dévaluation et de la norme et du travail autour de la norme qui, pour être interprétée et appliquée, se trouve privée de ce qui l’a fait venir à l’existence.

    Cette idée que, dans nos sociétés modernes, le droit est séparé de la politique, a donc prospéré sans avoir de fondement sérieux. Car la politique ce n’est pas toujours du droit, mais le droit c’est toujours de la politique. On comprend que cela ennuie le personnel politique, parce que, en suivant ce raisonnement, il apparait que, en cherchant à appliquer la norme, le juge ne ferait que valider une question politique. Faire du droit, c’est nécessairement faire de la politique, sans que l’on puisse dire le juge interfère dans la décision politique. Il ne fait que repérer comment la règle a été pensée pour imaginer remplir un objectif déterminé : cette intention mise en parole, parce qu’elle l’a été sous forme de droit, de règles, s’impose désormais donc à tous, y compris au politique lorsqu’il est soumis à la décision du juge. S’il veut ensuite la changer quand elle ne lui convient plus, il a ce pouvoir de le faire, puisque c’est lui qui fabrique le droit. Mais la séparation des pouvoirs étant ce qu’elle est, il ne l’applique pas, c’est le rôle du juge. Si on devait dire que le politique d’aujourd’hui ne peut pas être lié par le politique d’hier (en général au nom d’une qualité représentative qui le lierait au peuple), alors cela signifierait que le droit perdrait son statut de norme contraignante, pour devenir une manifestation parmi d’autres, contingente et changeante, des volontés et caprices des autorités politiques et administratives. Le rôle du juge est d’être ce petit grain de sable dans la tentation d’ignorer le droit.

    La société actuelle n’a semble-t-il pas bien défini ce qu’elle entend par une société gouvernée par le droit plutôt que par les hommes. La culture du droit, dans la connaissance de son rôle, de ses évolutions, des conditions de sa fabrication dans une organisation donnée, manque le plus souvent, et aux politiques singulièrement, qui manient des mots et des idées dans la plus grande contradiction. L’organisation de la justice par le pouvoir politique n’est pas comprise pour ce qu’elle devrait être, à savoir la mise en œuvre du contre-pouvoir qu’elle est censée représenter, même si ça ne convient pas toujours à l’action du politique, par définition contingente, souvent adossée aux modes du moment. Rappelons que ce sont bien les dérives autoritaires, totalitaires et mortifères des autorités politiques en Europe au XXe siècle qui sont à l’origine du développement extraordinaire du concept d’État de droit, destiné à faire du juge, non pas une puissance nulle, mais un véritable contre-pouvoir, dans le respect de l’esprit de Montesquieu.

    Lauréline Fontaine
    juriste, professeure de droit public et constitutionnel à la Sorbonne nouvelle

  • #Lettre de l’ambassade des États-Unis aux #entreprises françaises : Paris dénonce des « ingérences »

    Plusieurs entreprises françaises ont reçu une lettre de l’ambassade des États-Unis, demandant si elles avaient des programmes internes de lutte contre les #discriminations. Paris a réagi samedi, qualifiant cette initiative d’"ingérences inacceptables".

    Paris a vivement réagi, samedi 29 mars, après l’envoi d’une lettre de l’ambassade des États-Unis à plusieurs entreprises françaises, demandant si elles avaient des programmes internes de #lutte_contre_les_discriminations, qualifiant cette initiative d’"ingérences inacceptables" et prévenant que la France et l’Europe défendront « leurs valeurs ».

    Plusieurs sociétés françaises ont reçu une lettre et un #questionnaire leur demandant si elles mettaient en place des programmes internes de lutte contre les discriminations.

    La missive les prévient que, le cas échéant, cela pourrait les empêcher de travailler avec l’État américain, ce alors que la France interdit la plupart des formes de #discrimination_positive.

    L’information – révélée vendredi 28 mars par Le Figaro et les Echos – s’inscrit dans un contexte de fortes tensions commerciales alimentées par Donald Trump, qui agite tous azimuts des menaces de droits de douane.

    « Les ingérences américaines dans les politiques d’inclusion des entreprises françaises, comme les menaces de #droits_de_douanes injustifiés, sont inacceptables », a rétorqué le ministère français du Commerce extérieur, dans un message transmis à l’AFP.

    Les destinataires du courrier ont été informés du fait que « le #décret_14173 », pris par Donald #Trump dès le premier jour de son retour à la Maison Blanche pour mettre fin aux programmes promouvant l’#égalité_des_chances au sein de l’État fédéral, « s’applique également obligatoirement à tous les #fournisseurs et #prestataires du gouvernement américain », comme le montre le document révélé par Le Figaro.

    Une initiative « inadmissible »

    Une initiative « inadmissible », a réagi samedi auprès de l’AFP le président de l’organisation patronale CPME, Amir Reza-Tofighi, qui dénonce une « atteinte à la #souveraineté » et appelle les responsables politiques et économiques à « faire front commun ».

    De son côté, la CGT demande au gouvernement « d’appeler les entreprises à ne pas engager de politique dommageable pour l’égalité entre les femmes et les hommes et la lutte contre le racisme », a déclaré à l’AFP Gérard Ré, secrétaire confédéral du syndicat.

    Au ministère de l’Économie, l’entourage d’Éric Lombard assurait vendredi soir que « cette pratique reflète les valeurs du nouveau gouvernement américain ». « Ce ne sont pas les nôtres », ajoutait Bercy dans sa réaction transmise à la presse, précisant que « le ministre le rappellera à ses homologues au sein du gouvernement américain ».

    Samedi, les contours de la lettre restaient flous.

    Le cabinet du ministre de l’Économie, contacté par l’AFP, estime que le nombre d’entreprises ayant reçu la lettre serait « de quelques dizaines », tout en précisant que le décompte est toujours en cours.

    Les grands groupes contactés par l’AFP qui ont accepté de s’exprimer ont déclaré de ne pas avoir reçu la lettre, dont le format est inhabituel.

    « Ce n’est pas un courrier qui est parti sur le papier à en-tête de l’ambassade, ni du consulat ou d’une quelconque agence américaine », note auprès de l’AFP Christopher Mesnooh, avocat d’affaires américain du cabinet Fieldfisher basé à Paris, se basant sur la lettre publiée dans le Figaro.

    « Si c’est bien sous cette forme-là que les entreprises l’ont reçue, ce n’est pas une communication officielle et encore moins une communication diplomatique », selon l’avocat. « Ce n’est pas parce que ça traduit l’attitude de cette administration que c’est l’administration au sens propre du terme qui a autorisé son envoi à des entreprises », indique prudemment Christopher Mesnooh.

    Sollicitée par l’AFP, l’ambassade des États-Unis à Paris n’a pas répondu dans l’immédiat.

    L’administration américaine peut-elle exiger des entreprises françaises qu’elles se conforment à sa loi ? « Non », affirme Christopher Mesnooh. « Les entreprises françaises ne vont pas être obligées maintenant d’appliquer le droit social ou la loi fédérale contre les discriminations positives », poursuit l’avocat.

    En outre, pour les entreprises françaises, le problème ne se pose pas dans les termes posés par la lettre car en France, la discrimination positive fondée explicitement sur l’origine, la religion ou l’ethnie « n’est pas autorisée », rappelle l’avocat d’affaires.

    Pour autant, sur le volet de l’égalité hommes/femmes, depuis 2021, pour les entreprises de plus de 1 000 salariés, la loi française impose des quotas de 30 % de femmes cadres-dirigeantes et de 30 % de femmes membres des instances dirigeantes en 2027, puis d’atteindre des quotas de 40 % en 2030.

    Les entreprises qui choisiraient de se conformer aux exigences stipulées dans la lettre se mettraient donc dans l’illégalité du point de vue du droit français.

    https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20250329-en-guerre-contre-la-diversit%C3%A9-l-administration-trump-fait-pr

    #USA #France #Etats-Unis #ingérence #ambassade #trumpisme

    • Stupeur dans les entreprises françaises après une lettre de l’ambassade américaine à Paris exigeant qu’elles respectent la politique antidiversité de Trump

      La représentation des Etats-Unis a envoyé un courrier à des nombreux groupes tricolores exigeant qu’ils respectent la politique « #anti-DEI » de l’administration républicaine pour tout contrat avec l’Etat fédéral.

      La lettre est signée par un certain Stanislas Parmentier, le directeur général des services de l’ambassade des Etats-Unis à Paris, selon l’annuaire du département d’Etat américain. En temps normal, cette affaire serait restée sous les radars, mais on est en plein trumpisme et la missive révélée par Les Echos, vendredi 28 mars, dont Le Monde a obtenu copie, enjoint les entreprises françaises destinataires de respecter les règles édictées par Donald Trump, qui bannissent toute discrimination positive en faveur de la diversité et de la parité homme-femme (DEI, Diversity Equity Inclusion) : « Nous vous informons que le décret 14173 concernant la fin de la discrimination illégale et rétablissant les opportunités professionnelles basées sur le mérite, signé par le président Trump, s’applique également obligatoirement à tous les fournisseurs et prestataires du gouvernement américain, quels que soit leur nationalité et le pays dans lequel ils opèrent », écrit l’employé de l’ambassade, qui demande à ses interlocuteurs de signer « sous cinq jours (…) un formulaire de certification du respect de la loi fédérale sur l’antidiscrimination ».

      L’affaire a créé la stupeur à Paris et est remontée au niveau des directions générales, voire des conseils d’administration. Son ampleur est inconnue : s’agit-il uniquement des fournisseurs de l’ambassade ou du département d’Etat ? C’est que laisse croire le préambule du formulaire à signer, qui explique que « tous les contractants du département d’Etat doivent certifier qu’ils ne conduisent pas de programmes de promotion de DEI ».

      Ceci expliquerait aussi que le groupe Orange, qui n’a pas d’activité aux Etats-Unis, l’ait reçue. Ou est-ce une opération de mise en garde de toutes les entreprises françaises ? Mais, dans ce cas, comment expliquer que des grands noms opérant aux Etats-Unis, comme Saint-Gobain, n’aient pas été destinataires du courrier, ni en France, ni aux Etats-Unis ? « Cette lettre n’a été adressée qu’à des entreprises ayant des relations contractuelles avec l’Etat fédéral. Saint-Gobain n’est pas concerné », nous indique l’entreprise. Axa et Kering ne l’ont pas reçue non plus, selon nos interlocuteurs.

      La discrimination positive, faible en France

      La tension créée par Donald Trump a atteint un tel niveau qu’une lettre d’ambassade suscite une panique du même ordre que si elle avait été envoyée par le secrétaire au Trésor ou le secrétaire d’Etat américain. Sans doute pas complètement à tort : la politique voulue par Donald Trump est désormais mise en œuvre avec diligence par les fonctionnaires de l’administration fédérale. La missive est sans doute avant-coureuse des exigences à venir, celles faites aux entreprises européennes de respecter les règles de DEI si elles veulent faire des affaires avec le gouvernement américain, voire faire des affaires tout court aux Etats-Unis.

      Les accusations d’abus d’extraterritorialité et d’ingérence fusent. Toutefois, certains tentent de temporiser avant d’y voir plus clair : l’indignation reste anonyme tandis que plusieurs groupes ont choisi de ne pas signer la lettre de certification, nous indique une haute dirigeante d’un grand groupe français.

      L’entourage du ministre français de l’économie, Eric Lombard, a jugé que « cette pratique reflète les valeurs du nouveau gouvernement américain. Ce ne sont pas les nôtres. Le ministre le rappellera à ses homologues au sein du gouvernement américain ».

      En réalité, dans une République qui a historiquement combattu tout communautarisme et toute distinction ethnique, à l’opposé des Etats-Unis, les politiques de discrimination positive, en France, ont historiquement été beaucoup plus faibles qu’aux Etats-Unis et très peu fondées sur le droit, le comptage ethnique étant prohibé et la prise en compte des origines interdite au sein des entreprises. En revanche, les sociétés de plus de 250 salariés sont légalement soumises à un quota minimal de 40 % de femmes dans leur conseil d’administration ou de surveillance.

      Disney visé par une missive spécifique

      Le décret de Donald Trump a été pris dans la foulée d’un arrêt de la Cour suprême de l’été 2023, interdisant la discrimination positive dans les universités américaines. Dans son décret signé dès le 21 janvier, le président américain écrit que les politiques de diversité « non seulement violent le texte et l’esprit de nos lois fédérales sur les droits civiques, mais portent également atteinte à notre unité nationale. Elles nient, discréditent et sapent les valeurs américaines traditionnelles de travail, d’excellence et de réussite individuelle, au profit d’un système de spoliation identitaire illégal, corrosif et pernicieux ».

      Selon M. Trump, « les Américains qui travaillent dur et qui méritent de réaliser le rêve américain ne devraient pas être stigmatisés, rabaissés ou exclus de certaines opportunités en raison de leur origine ethnique ou de leur sexe ».

      Cette politique est menée tous azimuts. Vendredi 28 mars, le patron de la Federal Communication Commission, qui régule les médias, Brendan Carr, a posté, sur X, la lettre qu’il avait envoyé à Bob Iger, patron de Disney, pour s’assurer qu’il avait démantelé sur le fond et pas seulement sur la forme ses politiques DEI.

      « Pendant des décennies, Disney s’est concentré sur le box-office et la programmation à succès mais quelque chose a changé. Disney est désormais empêtré dans une vague de controverses concernant ses politiques de diversité, d’inclusion et d’inclusion », écrit Brendan Carr, qui met en cause les anciens objectifs de Disney d’avoir plus de 50 % d’acteurs, metteurs en scène, scénaristes issus des minorités ou de rémunérer ses dirigeants en fonction des résultats DEI. « Je veux m’assurer que Disney et ABC [sa chaîne de télévision] n’ont pas violé les réglementations de la FCC sur l’égalité des chances en matière d’emploi en promouvant des formes odieuses de discrimination DEI », met en garde M. Carr.

      En 2022, la querelle entre le gouverneur républicain de Floride, Ron DeSantis, et Disney, qui s’opposait à une loi surnommée « Don’t Say Gay » (« ne dites pas homo ») bannissant dans les écoles et lycées les cours sur l’homosexualité et la théorie du genre, avait marqué l’acmé de la guerre culturelle aux Etats-Unis. Elle avait également marqué le début de la réaction anti-DEI. Elle se poursuit désormais sans relâche.

      https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/03/29/stupeur-dans-les-entreprises-francaises-apres-une-lettre-anti-diversite-de-l

    • L’embarras des entreprises françaises face à la croisade antidiversité de Donald Trump
      https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/04/06/diversite-les-oukases-de-trump-destabilisent-les-entreprises-francaises_6591

      Les exigences américaines sèment le trouble au sein des sociétés, notamment chez celles qui ont une présence aux #Etats-Unis. Si beaucoup assurent qu’elles vont maintenir leur politique inclusive, d’autres ont déjà tourné casaque.

      ... Le cabinet de conseil Accenture, jusque-là chantre des valeurs de diversité et d’inclusion, a supprimé ses objectifs DEI. ...

      Aujourd’hui, quelque 4 500 institutions ont signé la Charte de la diversité, « mais, en réalité, ce n’est pour beaucoup qu’une pétition de principe. Du moins pour les discriminations liées aux origines. En France, on parle désormais du genre, des LGBTQ+ et des personnes trans, mais on ne parle toujours pas des Noirs et des Arabes », estime M. Sabeg, ancien commissaire à la diversité et à l’égalité des chances (2008-2012).

      https://archive.ph/K40Z0

  • Plan égalité. Au Ministère de l’ESR, après l’espoir, la douche froide. Analyse CGT
    https://academia.hypotheses.org/60522

    Extraits de “8 mars 20258 mars 2025. Bilan des négo Égalité. L’État, employeur exemplaire  ?” de la CGT UFSE Deux ans de négociation avec les organisations représentatives des trois Comités Sociaux d’Administration ministériels (MEN, MESR et MJSOP) concernés. Dès les … Continuer la lecture →

    #Academic_Feminist_Fight_Club #Actualités_/_News #État_de_droit #Expression_syndicale #Gouvernance_de_l'ESR #Libertés_académiques_:_pour_une_université_émancipatrice #Opinions,_motions,_propositions,_expression_syndicale #Serivces_publics #égalité_femme-homme

  • Le #masculin l’a-t-il toujours emporté sur le #féminin ?

    La #règle de #grammaire « le masculin l’emporte sur le féminin » ne date que du 17ème siècle. Difficile à croire, et pourtant. Avant cette époque, on utilisait les #accords_de_proximité et de majorité, et les noms de #métiers exercés par des femmes étaient tous féminisés. On parlait de poétesse ou encore de peintresse.

    La langue française avant le 17ème siècle

    Des documents datant du 13ème siècle, prouvent que des femmes travaillaient hors du foyer depuis longtemps et que leurs métiers étaient nommés au féminin. Cette découverte m’a beaucoup surprise, croyant que les femmes avaient toujours souffert de la domination masculine dans la #langue_française.

    Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le masculin ne l’a donc pas toujours emporté. Cela ne signifie pas pour autant que les femmes étaient traitées de manière égale aux hommes. Sous #Napoléon, les femmes étaient tenues de prendre le nom et le prénom de leur mari. Par exemple, on disait « madame Pierre Dufour ». Avec une telle appellation, on peut se demander, comment une femme existe-t-elle par et pour elle-même ?

    Comment s’est imposée la règle du « masculin l’emporte sur le féminin » ?

    Au 17ème siècle et plus particulièrement en 1635, la langue française atteint un statut de prestige, notamment avec la création de la fameuse #Académie_française. À cette époque, c’est #Richelieu qui est chargé de mettre en place cette institution de #régulation de la langue. L’assemblée de l’Académie française, composée d’hommes nobles ayant servi le royaume, décide que le masculin doit l’emporter sur le féminin dans la langue, puisque l’homme est plus noble que la femme : « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin, à cause de la supériorité du mâle sur la femelle » (Beauzée, Grammaire générale, 1767).

    À l’époque, il s’agit d’une #décision_politique visant à invisibiliser les femmes de pouvoir. Le refus de voir les femmes agir sur le même terrain qu’eux, les amène à masculiniser la langue et notamment les noms de métier : « Il faut dire cette femme est poète, est philosophe, est médecin, est auteur, est peintre ; et non poétesse, philosophesse, médecine, autrice, peintresse, etc. », écrit Andry de Boisregard (Réflexions sur l’usage présent de la langue françoise, 1689).

    C’est seulement plus tard qu’on tente d’expliquer cette règle, en disant que le masculin générique fait le neutre.

    Les conséquences néfastes de la masculinisation de la langue française

    Le problème réside dans le fait que, en n’incluant pas les femmes dans la langue, nous les rendons invisibles. Notre cerveau associe le masculin générique à des #représentations masculines. Son utilisation influence donc nos représentations mentales, et participe par conséquent à invisibiliser les femmes dans la langue et dans la société.

    Grammaticalement, cette règle est inutile et cause des dommages. « Cette règle incrustée dans la tête des enfants y installe un message politique sans doute tout aussi nocif que les #stéréotypes de sexe », écrit Eliane Viennot.

    Comment s’exprimaient les gens avant d’utiliser le #masculin_générique ?

    Avant l’utilisation du masculin générique soit du « masculin qui l’emporte », on féminisait les noms de métiers, et on adoptait l’accord de majorité et celui de proximité.

    L’accord de majorité se réfère à l’accord grammatical basé sur le genre qui était le plus représenté. Exemple d’accord de majorité : s’il y avait 10 femmes et 2 hommes dans un groupe, on pouvait aisément dire « Elles étaient présentes ».

    L’accord de proximité signifie que l’on accordait avec le substantif le plus proche. La règle d’accord en genre et en nombre avec le substantif le plus proche (règle de proximité), était utilisée par tout le monde jusqu’au 17ème siècle et restait en usage courant jusqu’à la Révolution. Exemple d’accord de proximité : « Le client et la cliente présente » ou encore « Les hommes et les femmes intelligentes ».

    Qui régule la langue aujourd’hui ?

    On peut se demander si en réadoptant ces accords ou en féminisant des noms de métiers, nous ne risquerions pas de faire des erreurs, d’autant plus que notre correcteur automatique nous reprend systématiquement. La question à se poser est donc la suivante : qui régule la langue ? Les dictionnaires ont-ils un rôle de régulation de la langue ? Est-ce l’Académie française ou alors, est-ce l’usage ? Eh bien, c’est l’usage qui régule la langue. Nous avons donc toutes et tous le pouvoir de faire évoluer la langue française, pour la rendre, ainsi que la société, plus juste et équitable.
    Conclusion

    Le langage inclusif n’est pas une nouvelle lubie féministe. Avant le 17ème siècle, il se pratiquait naturellement. Aujourd’hui, la langue inclusive se soucie de contourner la règle injuste du masculin qui l’emporte pour promouvoir la justice et d’égalité. Alors, pour celles et ceux pour qui le langage inclusif résonne, sachez qu’en l’utilisant, vous participez grandement à faire évoluer les mœurs.

    https://jeannesorin.com/le-masculin-lemporte-t-il-sur-le-feminin-depuis-toujours
    #français #langue #égalité #accord_de_majorité #accord_de_proximité #histoire #féminisation #masculinisation #invisibilisation #historicisation

  • Un salaire égal pour un #travail de valeur égale
    https://laviedesidees.fr/Un-salaire-egal-pour-un-travail-de-valeur-egale

    Les inégalités salariales entre #femmes et hommes se réduisent très peu. Il est urgent d’appliquer le principe juridique d’un salaire égal pour un travail de valeur égale, en comparant les emplois à prédominance féminine et masculine, en entreprise ou lors des négociations des classifications professionnelles de branche.

    #salaires #évaluation #égalité

  • Le #service_public empêché

    Fragilisé mais loin d’avoir disparu, le service public est aujourd’hui « empêché ». Plusieurs mécanismes l’entravent, le gênent, font obstacle à sa conduite et produisent confusion et insatisfaction chez les usagers, #perte_du_sens de leur mission et #souffrance_au_travail pour les agents, sentiment d’abandon et fatalisme chez les citoyens.

    D’une entreprise ou d’une administration à l’autre (au sein de La Poste, de la SNCF, d’EDF, d’hôpitaux et d’autres services publics), les mêmes processus sont à l’œuvre : la #libéralisation européenne favorise la concurrence, la #marchandisation et la #financiarisation fixent des objectifs de #rentabilité, les #privatisations bouleversent le statut des organisations qui produisent l’#intérêt_général. Cet ouvrage se penche sur les effets de ces processus sur les usagers comme sur les travailleurs. Mais même si le principal effet de ces politiques est d’entraîner une #désingularisation du service public, il n’empêche qu’il continue, malgré tout, de fonctionner.

    Un ouvrage qui fait dialoguer plusieurs disciplines : sociologie, histoire et droit, par une spécialiste reconnue de la sociologie de l’action publique et du travail.

    https://www.puf.com/le-service-public-empeche
    #travail
    #livre

  • #Mayotte : #histoire_coloniale, fractures sociales et désastre environnemental

    Mayotte, petite île de l’océan Indien, symbolise à elle seule la collision brutale entre histoire coloniale, fractures sociales et désastres environnementaux. Département français depuis 2011, elle est un territoire en #crise, où la #misère humaine et les #catastrophes_naturelles s’entrelacent dans une spirale infernale. Les événements récents – #séismes, #tornades, #montée_des_eaux – ne sont que la face visible d’un #effondrement plus global. Ils révèlent une #vulnérabilité accumulée sur des décennies, amplifiée par des promesses non tenues, des #inégalités criantes et une gestion déconnectée des réalités locales.

    En 1974, Mayotte se sépare des Comores à l’issue d’un référendum où les Mahorais choisissent de rester français. Ce choix, né du désir d’échapper à l’instabilité politique des Comores indépendantes, place l’île dans une situation paradoxale : elle devient un territoire français entouré de voisins économiquement fragiles. Cette appartenance à la République française, vue comme une chance à l’époque, isole Mayotte de son propre environnement géographique et culturel. Rapidement, cette singularité engendre des tensions avec les autres îles de l’archipel, notamment l’île comorienne d’#Anjouan, d’où proviennent chaque année des milliers de migrants.

    L’intégration comme département, survenue en 2011, devait marquer une nouvelle ère pour Mayotte. Les Mahorais espéraient voir leur île se développer et accéder à des droits égaux à ceux des métropolitains c’est-à-dire que s’y applique pleinement les lois françaises et européennes, à la différence d’une collectivité territoriale. Mais cette #départementalisation s’est révélée un leurre. La croissance fulgurante de la population, (76 000 habitants en 1991, 300 000 habitants en 2023), dépasse largement la capacité des #infrastructures et des #services_publics à répondre aux exigences, tout en exacerbant l’obsolescence des équipements, faute d’entretien.

    Effondrement des services publics

    L’#éducation, en particulier, est le symbole de cet #échec. Avec des classes surchargées, des enseignants en sous-effectifs et des écoles délabrées, le #système_scolaire est incapable de répondre aux besoins d’une jeunesse nombreuse et en quête d’avenir. Cet effondrement du #système_éducatif alimente un sentiment d’#abandon et de #mépris parmi les Mahorais. Ils constatent chaque jour que la promesse d’#égalité_républicaine reste une illusion.

    Les infrastructures sanitaires et sociales sont tout aussi défaillantes. Les femmes comoriennes qui bravent les flots pour accoucher à Mayotte afin que leurs enfants acquièrent la nationalité française, contribuent à une #pression_démographique croissante. Mais ces enfants, bien que nés sur le sol français, grandissent souvent dans des conditions indignes. Ils alimentent les #bidonvilles, des espaces d’#exclusion où se forment des #bandes_de_jeunes livrés à eux-mêmes, vecteurs de #violences et d’#émeutes récurrentes. À leur majorité, en vertu du #droit_du_sol, ces enfants peuvent acquérir la #nationalité_française.

    La #colère gronde dans une population qui se sent méprisée, prise en étau entre un État central distant et des besoins locaux criants. Mais ce mépris ne se limite pas aux politiques sociales : il se manifeste aussi dans la gestion de l’#environnement. Mayotte est une île en pleine #dégradation_écologique, où les bidonvilles, sans réseaux d’#assainissement, rejettent leurs #déchets dans une #mer polluée, comme j’ai pu l’étudier dans le cadre d’une mission pour l’association Littocean. La destruction des #mangroves (due à un #développement_urbain incontrôlé et au #changement_climatique) et en conséquence des #récifs_coralliens, essentiels pour limiter l’#érosion et les submersions marines, témoigne de l’incapacité à relier environnement et développement.

    Une gestion écologique devenue symbole technocratique

    À cela s’ajoute un paradoxe criant : tandis que les populations locales luttent pour survivre, des moyens considérables sont mobilisés pour protéger l’écosystème marin par le biais du #parc_naturel de Mayotte. Ce parc, destiné à préserver la #biodiversité exceptionnelle des récifs coralliens, devient un symbole d’une gestion technocratique déconnectée des réalités humaines. Les Mahorais, exclus de ce projet, perçoivent cette #conservation comme une nouvelle forme de #colonialisme : une « #colonisation_bleue » où la priorité est donnée à la #nature, administrée par l’État français, au détriment des habitants. Ce fossé entre la préservation de l’environnement et les besoins des communautés accentue le #sentiment_d’abandon et l’idée que Mayotte n’est qu’un territoire périphérique, instrumentalisé pour des objectifs extérieurs et géopolitiques, traité comme une colonie et non comme un territoire français à part entière.

    Dans ce contexte, le changement climatique agit comme un catalyseur. Il intensifie les phénomènes naturels extrêmes, tels que les cyclones ou les #sécheresses, et exacerbe les inégalités. L’élévation du niveau de la mer menace directement les habitations précaires situées sur les littoraux, tandis que les ressources en #eau, déjà insuffisantes, s’amenuisent. Les catastrophes naturelles se multiplient, mais elles ne sont pas de simples fatalités : elles frappent un territoire déjà fragilisé, où chaque événement climatique devient un désastre humain par manque de préparation.

    Un avenir impensable et tragique

    Face à cette accumulation de crises, c’est le rapport au temps qui interroge. À Mayotte, l’idée même d’un avenir semble inatteignable. Les Mahorais vivent dans un présent sans repères, où les mêmes drames – émeutes, violences, destructions – se répètent sans fin. François Hartog, dans sa réflexion sur le #présentisme, décrit cet état où le passé perd sa valeur, où le futur est inconcevable, et où seul le présent s’impose, figé dans l’#urgence et l’incapacité d’anticiper.

    Mayotte incarne cette #temporalité_brisée. L’île n’a pas de nostalgie d’un âge d’or, car son histoire est marquée par des fractures successives : colonisation, séparation des Comores, départementalisation ratée. Elle n’a pas non plus de projet d’avenir, car les conditions de vie, les inégalités et les crises structurelles la maintiennent dans un état d’urgence permanent. Ce présentisme exacerbé renforce le sentiment d’#impuissance, rendant impossible toute perspective de reconstruction ou de progrès.

    La situation actuelle de Mayotte peut être qualifiée d’#hypercriticité : un état où les #tensions_sociales, politiques et environnementales atteignent un point de rupture, où chaque élément, même mineur, peut précipiter un #effondrement_global.

    Ce terme désigne non seulement l’accumulation des #vulnérabilités, mais aussi l’incapacité à s’en extraire. L’hypercriticité, c’est l’impossibilité de penser au-delà de l’urgence, l’incapacité de construire des ponts entre les crises pour trouver des solutions globales. À Mayotte, cet état est visible dans chaque aspect de la vie : dans l’école qui échoue à offrir un avenir, dans les bidonvilles qui s’étendent, dans la mer qui rejette les déchets de l’île et engloutit peu à peu ses côtes, dans l’#accès_à_l’eau et à un environnement sain, dans la pression démographique et ses conséquences écologiques.

    Cette crise révèle une conjonction inédite entre deux histoires : celle, humaine, de la #globalisation, avec ses migrations, ses inégalités et ses #fractures_coloniales ; et celle, planétaire, d’une Terre abîmée par la dégradation accélérée des écosystèmes. Comme l’explique Dipesh Chakrabarty dans "Une planète, plusieurs mondes" (https://www.cnrseditions.fr/catalogue/histoire/une-planete-plusieurs-mondes), ce croisement marque une #rupture : à Mayotte, cette rencontre s’incarne dans une « planète des pauvres », où les damnés de la Terre subissent de plein fouet l’amplification de ces dynamiques destructrices. Ici, les vulnérabilités humaines et écologiques se confondent dans un cycle sans précédent, soulignant la nouveauté tragique de cette crise.

    Toutefois, l’hypercriticité peut aussi être un point de départ. Elle force à regarder en face l’ampleur des problèmes et à repenser radicalement les relations entre les hommes, leur territoire et leur futur. Si Mayotte continue sur cette voie, elle risque de devenir un archétype de l’#effondrement_insulaire, un avertissement pour d’autres territoires. Mais si elle parvient à dépasser ce présentisme, à prendre en compte l’histoire passée, à s’attaquer aux urgences présentes tout en imaginant un avenir collectif mettant en avant la #double_identité mahoraise française et comorienne pour en faire un exemple d’#hybridité_culturelle réussie, elle pourrait, paradoxalement, transformer sa fragilité en force, en inventant un modèle résilient face aux défis du XXIe siècle. Le temps, à Mayotte, n’a pas encore retrouvé son cours, mais il n’est pas trop tard pour le remettre en mouvement.

    https://theconversation.com/mayotte-histoire-coloniale-fractures-sociales-et-desastre-environne
    #Comores #colonialisme #environnement

  • Il ne sera plus nécessaire de justifier de l’entrée régulière des enfants sur le territoire français pour percevoir les allocations familiales

    L’ARRÊT [CJUE] DU 19. 12. 2024 – AFFAIRE C-664/23
    CAISSE D’ALLOCATIONS FAMILIALES DES HAUTS-DE-SEINE
    https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:62023CJ0664

    est évoqué exclusivement par des sites juridiques payants ou la presse d’extrême droite, dont voici un échantillon.

    Allocations familiales : l’UE condamne la France pour son refus de verser les prestations à une famille de clandestins

    La Cour de justice de l’Union européenne a statué, le jeudi 19 décembre, que les ressortissants étrangers ne sont plus tenus de démontrer que leurs enfants sont entrés régulièrement en France pour avoir droit aux allocations familiales.

    La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le jeudi 19 décembre, un arrêt abrogeant l’obligation de prouver l’entrée régulière des enfants étrangers en France. Cette décision repose sur le jugement d’une affaire datant de 2008, dans laquelle un ressortissant arménien titulaire d’une carte de séjour temporaire lui permettant de travailler avait sollicité des prestations familiales pour ses trois enfants. Cependant, la Caisse d’allocations familiales des Hauts-de-Seine avait rejeté sa demande pour deux de ses enfants nés à l’étranger.

    En effet, la #CAF lui avait répondu qu’en l’absence de documents attestant de l’entrée régulière de ses enfants, les allocations ne pouvaient lui être attribuées. Cette décision, validée par la cour d’appel de Versailles, a été annulée en 2022 par la Cour de cassation, qui a estimé que les arguments du ressortissant arménien concernant la directive sur le permis unique, garantissant l’égalité de traitement entre les travailleurs issus de pays tiers et les citoyens de l’Union européenne, n’avaient pas été pris en compte.

    Des exigences « contraires au droit de l’Union »

    Au final, l’affaire a été renvoyée à la cour d’appel, qui a décidé de saisir la Cour de justice de l’Union européenne. Celle-ci a jugé, dans un communiqué, qu’imposer une condition supplémentaire pour l’accès aux prestations familiales des ressortissants résidant régulièrement en France est contraire au droit de l’Union.

    Désormais, il ne sera plus nécessaire de justifier de l’entrée régulière des enfants sur le territoire français pour percevoir les #allocations_familiales. Selon la #CJUE, cette suppression vise à garantir « une égalité de traitement » [fallait des guillemets] entre les travailleurs résidant en France et les ressortissants nationaux.

    Après 16 ans de procédure, voilà de quoi élargir le « regroupement familial » !

    #droit #jurisprudence #arrêt_CJUE #étrangers #enfants_étrangers #prestations_familiales #égalité_de_traitement

  • Trois ans de combat à Chronopost, lutter au lendemain de l’expulsion.
    https://radioparleur.net/2024/11/20/a-chronopost-lutter-au-lendemain-de-lexpulsion

    À Alfortville, le piquet de grève des travailleurs sans-papiers de Chronopost est expulsé sans préavis par la préfecture, le jeudi 31 octobre 2024, la veille de la trêve hivernale. À coup de pelleteuse, c’est 35 mois de lutte sur ce piquet balayées par la préfecture avec le plus grand mépris. Dans cet épisode, nous sommes […] L’article Trois ans de combat à Chronopost, lutter au lendemain de l’expulsion. est apparu en premier sur Radio Parleur.

    #Au_fil_des_luttes #L'actu_des_luttes #Toujours_en_lutte #antiracisme #égalité_des_droits #immigration #lutte_sans-papiers #régularisation #travail

  • #Écriture_inclusive : le #point_médian supprime les #biais_de_genre

    C’est un fait scientifiquement établi : le #masculin_générique n’est pas neutre, il induit un biais de représentativité vers le masculin. Une nouvelle #étude de #psycholinguistique révèle que les #mots_épicènes limitent ce biais alors que le point médian le supprime totalement.

    Il y a un fait scientifique établi : le #masculin n’est pas neutre. L’utilisation du masculin générique induit un #biais_de_représentativité vers le masculin. Voici un exemple tiré d’une étude parue en 2008 : quand on demande à des volontaires des noms de candidats potentiels pour le poste de Premier ministre, les personnes interrogées citent plutôt des hommes. Alors que si on leur demande de citer des candidats ou des candidates potentielles, les sujets citent trois fois plus de femmes.

    L’écriture inclusive pour limiter ces biais de genre

    Certaines formulations biaisent ce qu’on croit comprendre de la phrase. Le but de l’écriture inclusive est justement d’anéantir ou de limiter au maximum ces effets et pour ça il y a plusieurs stratégies. Léo Varnet est chargé de recherche au CNRS au Laboratoire des Systèmes Perceptifs de l’ENS de Paris : "On distingue plusieurs grandes stratégies. Il y a la neutralisation qui inclut les termes épicènes, par exemple : les instrumentistes. Il n’y a pas de marque qui indique le genre, est-ce que ce sont des instrumentistes hommes ou des instrumentistes femmes. Et d’autre part, on a une autre stratégie d’écriture inclusive qui est la re-féminisation, qui peut prendre une forme double, comme les musiciens et les musiciennes, ou une forme à l’écrit avec un point médian qui est bien connu. Dans ce cas-là, ce seraient les musicien·ne·s. Donc une stratégie neutralisation dont les termes épicènes font partie et une stratégie de re-féminisation dont les formes doubles avec un point médian font partie."

    Tester ces stratégies en psycholinguistique

    Dans cette nouvelle étude, les scientifiques ont voulu tester l’efficacité de ces deux stratégies pour supprimer les biais du genre. Pour cela, la méthodologie utilisée est assez classique en psycholinguistique : on mesure le temps que les participants et participantes mettent à répondre à une question. En l’occurrence, est-ce que ces deux phrases forment une suite logique ? Je prends un exemple avec un terme épicène donc neutre : l’athlète passe la ligne d’arrivée. C’est la première phrase. Seconde phrase : elle s’effondre ensuite de fatigue. Ces deux phrases forment bien une suite logique.

    Le neutre n’est pas neutre

    La question est la suivante : met-on davantage de temps à répondre que oui, ces deux phrases peuvent se suivre, quand la seconde phrase commence par “elle” par rapport à quand elle commence par “il” ? Est-ce que notre cerveau conclut trop vite qu’un terme épicène comme athlète renvoie au masculin ?

    #Léo_Varnet, coauteur principal de cette étude parue dans Frontiers in Psychology : "Donc en fait, c’est exactement ça, c’est bien le cas. Les participants et participantes de l’étude mettent grosso modo une centaine de millisecondes de plus pour répondre quand la seconde phrase commence par "elle", alors que la première phrase contenait le mot l’athlète, donc sans marque de genre. Et donc c’est que la forme, l’épicène, "l’athlète", n’est pas complètement neutre pour le cerveau, on a tendance à supposer que cet athlète est un homme. Autrement dit, on a une représentation qui va être biaisée vers le masculin."

    https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/avec-sciences/ecriture-inclusive-le-point-median-supprime-les-biais-de-genre-3732260
    #égalité #biais #genre #neutralité

    déjà signalé ici (@monolecte) :
    https://seenthis.net/messages/1081849
    et ici (@odilon) :
    https://seenthis.net/messages/1024990

    • Neutral is not fair enough: testing the efficiency of different language gender-fair strategies

      In many languages with grammatical gender, the use of masculine forms as a generic reference has been associated with a bias favoring masculine-specific representations. This article examines the efficiency of gender-fair forms, specifically gender-unmarked forms (neutralization strategy, e.g., “l’enfant”) and contracted double forms (re-feminization strategy, e.g., “un·e enfant”), in reducing gender biases in language. Extensive empirical research has shown that gender-fair forms have the potential to promote more gender-balanced representations. However, the relative efficiency of these strategies remains a subject of debate in the scientific literature. In order to explore these questions, two experiments were conducted in French. We analyzed the response times and percent correct scores using a sentence evaluation paradigm, where the participants had to decide whether a second sentence starting with a gendered personal pronoun (“il” or “elle”) was a sensible continuation of the first sentence written in a gender-fair form. Experiment 1 confirmed that gender-unmarked forms are not fully effective in neutralizing the masculine bias. In Experiment 2, a comparison was made between gender-unmarked forms and contracted double forms, to assess their respective abilities to generate more balanced representations. The findings indicated that contracted double forms are more effective in promoting gender balance compared to gender-unmarked forms. This study contributes to the existing scientific literature by shedding light on the relative efficiency of neutralization and re-feminization strategies in reducing gender biases in language. These results have implications for informing efforts to promote more inclusive and unbiased language practices.

      https://www.frontiersin.org/journals/psychology/articles/10.3389/fpsyg.2023.1256779/full

    • Réponse aux réactions sur l’écriture inclusive

      Suite à la publication de notre article scientifique sur l’écriture inclusive, et à la communication qui a été faite autour de ces résultats dans des médias plus grand public (en particulier le site du CNRS, France Culture, Sciences et Avenir, et même Marie-Claire), j’ai reçu un certain nombre de réactions et de questions. Si l’on fait abstraction des commentaires attendus concernant mon supposé « wokisme », et autres noms d’oiseaux, la plupart des personnes ayant manifesté leur désaccord l’ont fait de façon respectueuse et sur la base d’un petit nombre d’arguments assez récurrents. Il me paraît donc utile de revenir sur ces critiques les plus fréquentes pour y répondre ici de façon apaisée.

      FAQ

      > Il ne s’agit que d’une étude isolée, à ce stade on ne peut pas affirmer de façon certaine que le masculin générique biaise nos représentations.

      Non, ce commentaire confond l’article que nous avons publié récemment, qui porte sur une comparaison de deux formes d’écriture inclusive, et l’état des connaissances en psycholinguistique concernant le masculin générique. Si les conclusions de notre étude ponctuelle peuvent tout à fait être remises en cause par des résultats ultérieurs, il y a en revanche un consensus scientifique quant à l’effet du masculin générique sur les représentations genrées (pour un résumé, voir par exemple cette présentation qui liste un certain nombre de publications sur le sujet). Il existe désormais un corpus fourni d’articles portant sur la compréhension du masculin générique et de l’écriture inclusive, et tous convergent sur la conclusion que le masculin générique n’est pas neutre, cognitivement parlant.

      > En français, il faut utiliser le masculin comme neutre, il y a des circulaires qui nous y obligent

      La discussion porte ici sur des faits scientifiques (mesure expérimentale de l’interprétation d’une forme d’écriture ou d’une autre par le cerveau humain). Les arguments légaux n’ont donc rien à apporter à cet aspect du débat, de la même façon qu’une circulaire affirmant que la Terre est plate ne changerait pas la rotondité de la planète, ou qu’on ne peut pas passer une loi pour démontrer la quadrature du cercle1.

      Notons au passage que les fameuses circulaire Edouard Philippe et circulaire Blanquer véhiculent en réalité des indications contradictoires : notamment, elles proscrivent « le recours à l’écriture dite inclusive » jugée inutile, mais imposent d’écrire « le candidat ou la candidate » ou « les inspecteurs et les inspectrices de l’éducation nationale » ce qui est déjà une reconnaissance que cette forme particulière d’écriture inclusive (la double flexion) participe de la promotion de l’égalité femmes/hommes.

      > « Le masculin fait le neutre », c’est une règle du français.

      Cet argument est à mon avis au cœur de la confusion actuelle, et mérite donc d’être développé.

      Est-ce que le masculin est neutre ? Cela dépend de ce que l’on entend exactement par là. Si la question concerne l’existence d’une règle grammaticale en français permettant de désigner un groupe mixte par un masculin, la réponse est « ça n’a pas toujours été le cas, mais actuellement oui ». Cependant, dans le débat actuel, le clivage ne porte pas tant sur l’existence de la règle que sur sa compréhension par le cerveau2. Autrement dit, il ne s’agit pas de savoir s’il est « autorisé » d’utiliser telle ou telle formulation (grammaire prescriptive) mais plutôt comment cette formulation va être interprétée (grammaire mentale).

      De façon peut-être un peu surprenante, la grammaire mentale stockée dans notre cerveau ne correspond pas forcément à celle des manuels de grammaire. Lors de la lecture, comme dans beaucoup d’autres tâches, notre cerveau utilise souvent des « raccourcis » plutôt que d’appliquer méthodiquement toutes les règles qui lui ont été enseignées lors de notre scolarité. Ainsi, pour prendre un exemple moins polémique que le masculin générique, la plupart des locuteurs et locutrices du français savent que le substantif « prénom » se décompose en un préfixe (« pré ») suivi d’un radical (« nom ») permettant de retrouver le sens étymologique du mot (« ce qui précède le nom de famille »). Cependant, lorsque nous lisons le mot « prénom », notre cerveau ne le redécompose pas pour en identifier le sens mais le traite plutôt comme un bloc. Il en va de même pour le masculin générique : il existe bien une règle de grammaire « le masculin fait le neutre », mais ce n’est pas cette règle que notre cerveau applique spontanément, qu’on le veuille ou non.

      > Utiliser le langage inclusif ne résoudra pas le problème des discriminations de genre au sein de la société. Il y a d’autres combats à mener.

      Effectivement, l’adoption du langage inclusif a peu de chances de dénouer d’un coup tous les problèmes liés au sexisme, et je ne pense pas que quiconque ait jamais prétendu cela. Il s’agit donc clairement d’un homme de paille rhétorique.

      Il est également important de rappeler que les auteurs et autrices de cette étude ne mènent pas un combat, mais un programme de recherche. Nous ne formulons pas de consignes concernant l’usage de la langue (contrairement à la très conservatrice Académie Française), et notre article se borne à étudier les effets d’une formulation ou d’une autre sur les représentations.

      > Cette expérience porte sur une situation vraiment particulière et peu courante : deux phrases qui s’enchaînent, la première contenant un terme en écriture inclusive et la seconde commençant par « il » ou « elle ». C’est très spécifique, qu’est-ce qui nous dit que ces phénomènes ont lieu de façon générale dans le langage ?

      Le protocole expérimental peut effectivement paraître un peu arbitraire car il s’agit justement d’un protocole, destiné avant tout à mettre en évidence et à mesurer un effet de façon robuste. La psycholinguistique est une science expérimentale et, en tant que telle, elle se concentre sur des situations peut-être peu courantes dans la vie de tous les jours mais qui permettent de tester des phénomènes de façon reproductible.

      Ceci étant précisé, il faut rappeler que la conclusion concernant le masculin générique ne repose pas sur une étude isolée mais sur un corpus de plus d’une trentaine d’études dans différentes langues et utilisant différentes méthodologies, qui sont unanimes sur la mesure d’un biais vers le masculin. Il est très rare d’avoir des résultats aussi cohérents, surtout en sciences cognitives, et cela suggère donc fortement que le phénomène n’est pas limité aux types de phrases ou aux mots utilisés dans l’étude.

      > L’étude montre une différence de temps de traitement de quelques centaines de millisecondes entre le féminin et le masculin, quelle est l’incidence sur la société d’un délai aussi infime ?

      Il s’agit effectivement d’une question importante, qui appelle une réponse en deux temps.

      Tout d’abord, il est tout à fait envisageable que ce délai, même court, puisse influencer certaines prises de décision rapide que nous effectuons dans la vie de tous les jours. On pense en premier lieu à des situations telles que le survol d’offres d’embauche, la sélection d’une candidature pour un poste, la réponse à des questionnaires, autant de situations où il a été montré que l’usage du masculin générique défavorise les femmes.

      Plus fondamentalement, il ne s’agit pas uniquement d’une question de temps de réflexion mais surtout de représentations. La chronométrie mentale (mesure des temps de réponse) est une méthodologie standard en psychologie cognitive permettant de mettre en évidence un déséquilibre dans le traitement par le cerveau de deux conditions expérimentales particulières, par exemple un dans l’accès aux représentations suite à la lecture d’un type de phrases ou d’un autre. Ce déséquilibre se traduit ensuite de multiples façons, selon les situations. Dans le cas du masculin générique, l’exemple le plus frappant en français est certainement l’étude de Markus Brauer et Michaël Landry en 2008 : si l’on demande, sous prétexte d’un sondage politique, de citer « tous les candidats » susceptibles d’accéder au poste de premier ministre, les personnes interrogées mentionnent 3 fois moins de noms de femmes que lorsqu’on leur demande de citer « les candidats et les candidates » à ce poste (Brauer & Landry, 2008). On voit sans peine comment ce déséquilibre dans les représentations peut ensuite avoir un impact sur la société en général. (Voir également la réponse à la question suivante)

      > Ce résultat est absurde : il suffit de réfléchir deux secondes pour comprendre que « les infirmiers » peut désigner un groupe comprenant des infirmières et que « l’athlète » peut être en fait une athlète.

      En effet, nous sommes tout à fait capables de modifier nos représentations spontanées moyennant un court délai de latence. L’étude porte justement sur la mesure de ce délai comme preuve de l’existence d’un biais des représentations spontanées en faveur du masculin.

      Pour citer la métaphore utilisée par Pascal Gygax, Ute Gabriel, et Sandrine Zufferey dans leur ouvrage « Le cerveau pense-t-il au masculin ? » (Gygax et al., 2021) :

      Il faut essayer de s’imaginer le cerveau comme un espace rempli d’une multitude d’ampoules. Quand vous produisez ou entendez un mot (ou une idée), les ampoules qui correspondent à ce mot s’allument. Ces ampoules se réfèrent aussi bien aux lettres du mot qu’à son sens, qu’aux associations qu’il évoque, etc. Le fait est que toutes ces ampoules ne s’allument pas complètement, et en tout cas pas immédiatement. Ainsi, quand vous cherchez un mot pour décrire quelque chose, quelques ampoules vont s’allumer, un peu grésiller peut-être. […] Par exemple si je vous parle d’ « une bière que nous mettons dans la voiture », il est peu probable que vous pensiez tout de suite à un cercueil. Le lien entre « bière » et « boisson » est déjà allumé car ce lien est fréquent. En revanche, maintenant que nous venons de parler de « cercueil » (nous avons activé l’ampoule), si je vous dis que « nous mettons la bière dans la voiture », votre pensée n’est plus la même.

      La mesure des temps de réponses est l’un des outils à la disposition des psycholinguistes pour identifier quelles ampoules mettent du temps à s’allumer. Suite à la lecture d’un mot, il nous est possible, moyennant un peu plus de temps et d’énergie, de nous assurer que les bonnes ampoules sont allumées. Cela ne signifie cependant pas que le biais n’existe pas, mais uniquement que nous avons pris le temps de le compenser.

      Par ailleurs, notez que nous cherchons ici à corriger nos biais spontanés car nous savons que l’expérience porte sur le genre grammatical. Dans la vie de tous les jours, en revanche, nous ne prenons pas toujours le soin de « rectifier le tir » ainsi que l’indique par exemple l’expérience du sondage politique cité plus haut : les répondants et répondantes ne corrigent pas leur biais en faveur des hommes même lorsqu’on leur en laisse le temps.

      > Le point médian est imprononçable.

      Le point médian n’est pas destiné à être prononcé, mais doit être considéré comme une abréviation de la double flexion. À l’oral, le terme « un·e athlète » se prononce donc « un ou une athlète », de la même façon que « M. Durand » se prononce « monsieur Durand ».

      > Le point médian, je trouve ça très laid.

      Libre à vous. L’étude ne s’intéresse pas aux jugements esthétiques mais à la compréhension. Voir également la question suivante.

      > Le point médian devrait être banni car il pose des problèmes de lisibilité / complique la lecture pour les personnes dyslexiques / n’inclut pas les personnes non-binaires.

      Cet article ne prétend pas trancher la question du point médian, qui englobe des dimensions sociologiques et politiques largement hors de notre champ d’expertise, mais uniquement apporter un regard scientifique sur un aspect de la controverse : l’efficacité de différentes formes d’écriture inclusive pour mitiger les biais en faveur du masculin.

      D’autres considérations sont effectivement à prendre en compte pour juger de l’utilité ou non du point médian. Parmi elles, la question de l’inclusion des personnes non-binaires me semble tout à fait pertinente. La question de la lisibilité, en particulier pour les personnes dyslexiques, est également capitale même si, pour l’heure, les données scientifiques sur le sujet sont insuffisantes pour tirer des conclusions. Tant qu’il reste à l’état de conjecture sans fondement factuel, ce dernier argument ressemble singulièrement à un épouvantail agité par les opposants et opposantes de l’écriture inclusive3.

      > En [espagnol/allemand/anglais/italien] le genre grammatical de certains mots est différent du français. On n’a pourtant pas l’impression d’avoir une représentation du monde différente pour autant. Quand je pense à « la table » je ne pense pas à un utérus.

      Notre étude, ainsi que toutes celles que nous citons, ne portent pas sur le genre grammatical des objets mais uniquement des personnes. Il n’existe pas de termes épicènes pour les objets, et il n’y a pas non plus lieu d’utiliser un point médian.

      > L’Académie Française a dit que…

      Malheureusement, l’Académie Française n’a pas d’expertise en la matière : ainsi, à ma connaissance, aucun de ses membres n’est linguiste de formation ni ne publie d’articles dans des revues de linguistique. Je vous invite donc à vous appuyer sur des travaux d’experts et d’expertes reconnues, par exemple ceux du collectif des linguistes atterré·e·s, composé en majeure partie de chercheurs et de chercheuses du domaine.

      Ceci ne doit bien sûr pas laisser penser cependant que les linguistes sont unanimement en faveur de l’écriture inclusive. Certains arguments avancés sont d’ailleurs à mon sens tout à fait pertinents, mais ils sortent du cadre psycholinguistique de notre étude.

      > Il n’existe pas de preuve définitive que ces biais linguistiques ont de véritables conséquences sur la société.

      Un certain nombre d’études se sont intéressées à l’influence de la forme d’écriture dans des situations de lecture plus proches de la vie courante. Il a ainsi été montré que l’usage du masculin générique dans un questionnaire a un effet négatif sur l’évaluation par les répondantes de leur propre efficacité, chez les adultes (Vainapel et al., 2015) comme chez les adolescentes (Chatard-Pannetier et al., 2005), et que les annonces d’emploi rédigées en écriture inclusive aident à considérer la candidature de femmes, en particulier dans les métiers stéréotypés masculins (Gygax & Gabriel, 2008 ; Vervecken et al., 2015). Comme mentionné précédemment, ces effets entrent également en jeu lors de la réponse à des sondages politiques (Brauer & Landry, 2008 ; Stahlberg & Sczesny, 2001), mais aussi lorsqu’il s’agit de citer des acteurs et actrices, chanteurs et chanteuses, héros et héroïnes (Brauer & Landry, 2008 ; Stahlberg et al., 2001), ou encore de se représenter mentalement une personne ou un groupe (Brauer & Landry, 2008 ; Tibblin et al., 2023 ; Xiao et al., 2023).

      On peut discuter du degré de généralité de ces phénomènes, et notamment de s’il convient de les interpréter comme une forme de « déterminisme linguistique ». En revanche, le fait que le masculin générique engendre un biais favorisant les hommes dans un certain nombre de situations de la vie courante est incontestable.

      Conclusion : des objections valables et d’autres non

      La plupart des remarques qui m’ont été adressées reflètent d’authentiques interrogations auxquelles je suis ravi de pouvoir apporter des éléments de réponse. En revanche je note également une certaine mauvaise foi, consciente ou non, de la part d’un petit nombre personnes critiquant le langage inclusif de façon particulièrement bruyante.

      En premier lieu, j’aimerais souligner à nouveau que, contrairement à une idée largement diffusée, le masculin générique n’est pas considéré comme neutre par le cerveau. En l’état actuel des connaissances, l’affirmation que le masculin générique induit un biais des représentations vers le masculin spécifique est un fait établi, faisant l’objet d’un consensus scientifique. Remettre ce point en question s’apparente donc aujourd’hui à de la désinformation. Le fait que de prétendu·e·s expert·e·s n’hésitent pas à s’exprimer sur le sujet sans se donner la peine de se documenter sur les recherches et les données empiriques est révélateur de leur degré d’ « idéologie », pour reprendre un terme souvent utilisé contre les défenseurs et défenseuses de l’écriture inclusive.

      Par ailleurs, parmi les critiques de notre étude, certains et certaines remettent en cause le caractère scientifique de l’approche psycholinguistique en général. Ces personnes se réclament d’un niveau d’exigence scientifique supérieur en demandant un degré de preuve inaccessible (particulièrement aux sciences du vivant) ou des recherches irréalisables, et en affirmant que l’existence d’autres facteurs non pris en compte invalide le domaine d’étude. Ce comportement est la marque d’un biais de non-confirmation, qui consiste à fixer des normes plus strictes, voire inatteignables, pour les hypothèses qui vont à l’encontre de nos attentes : à vrai dire, les mêmes critiques pourraient être utilisées pour disqualifier l’intégralité des recherches en sciences cognitives, y compris les plus communément admises comme l’existence de biais cognitifs. Dans son livre « Le Sexe et la Langue » consacré à la dénonciation de l’écriture inclusive comme « manipulation militante prenant la langue en otage d’une manœuvre d’intimidation idéologique », le linguiste Jean Szlamowicz consacre quelques pages aux données psycholinguistiques. S’il concède du bout des lèvres que « certains chercheurs en psycholinguistique tentent des « expériences » pour prouver cette activation de représentations [de représentations masculines] », c’est pour préciser immédiatement que « quelle que soit l’expérience, on arrivera toujours à produire des chiffres et des corrélations ». Ceci illustre bien la stratégie consistant à disqualifier tout un champ de recherche dès lors que certains de ses résultats ne vont pas dans le sens de nos convictions.

      Ces deux attitudes consistant à nier un consensus scientifique, soit par simple omission soit en rejetant comme non-scientifique un domaine d’étude vieux de plus d’un siècle, rappellent les arguments du climato-négationnisme et d’autres formes de dénialisme. Avec de tels « inclusivo-sceptiques », la polémique sur le point médian a peu de chance de s’apaiser.

      Illustration : Photographie de Lawrence Schwartzwald « Reading Series – three women reading on a park bench in Washington square Park, October 4, 2013″.

      Références

      Brauer, M., & Landry, M. (2008). Un ministre peut-il tomber enceinte  ? L’impact du générique masculin sur les représentations mentales. L’Année psychologique, 108(2), 243‑272.

      Chatard-Pannetier, A., Guimont, S., & Martinot, D. (2005). Impact de la féminisation lexicale des professions sur l’auto-efficacité des élèves  : Une remise en cause de l’universalisme masculin  ? L’Année psychologique, 105(2), 249‑272. https://doi.org/10.3406/psy.2005.29694

      Gygax, P., & Gabriel, U. (2008). Can a Group of Musicians be Composed of Women ? Generic Interpretation of French Masculine Role Names in the Absence and Presence of Feminine Forms. Swiss Journal of Psychology, 67(3), 143‑151. https://doi.org/10.1024/1421-0185.67.3.143

      Gygax, P., Zufferey, S., & Gabriel, U. (2021). Le cerveau pense-t-il au masculin  ?  : Cerveau, langage et représentations sexistes. Le Robert.

      Stahlberg, D., & Sczesny, S. (2001). Effekte des generischen Maskulinums und alternativer Sprachformen auf den gedanklichen Einbezug von Frauen. [Effect of the generic use of the masculine pronoun and alternative forms of speech on the cognitive visibility of women.]. Psychologische Rundschau, 52, 131‑140. https://doi.org/10.1026/0033-3042.52.3.131

      Stahlberg, D., Sczesny, S., & Braun, F. (2001). Name Your Favorite Musician  : Effects of Masculine Generics and of their Alternatives in German. Journal of Language and Social Psychology, 20(4), 464‑469. https://doi.org/10.1177/0261927X01020004004

      Tibblin, J., Weijer, J. van de, Granfeldt, J., & Gygax, P. (2023). There are more women in joggeur·euses than in joggeurs  : On the effects of gender-fair forms on perceived gender ratios in French role nouns. Journal of French Language Studies, 33(1), 28‑51. https://doi.org/10.1017/S0959269522000217

      Vainapel, S., Shamir, O. Y., Tenenbaum, Y., & Gilam, G. (2015). The dark side of gendered language  : The masculine-generic form as a cause for self-report bias. Psychological Assessment, 27(4), 1513‑1519. https://doi.org/10.1037/pas0000156

      Vervecken, D., Gygax, P., Gabriel, U., Guillod, M., & Hannover, B. (2015). Warm-hearted businessmen, competitive housewives ? Effects of gender-fair language on adolescents’ perceptions of occupations. Frontiers in Psychology, 6. https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2015.01437

      Xiao, H., Strickland, B., & Peperkamp, S. (2023). How Fair is Gender-Fair Language ? Insights from Gender Ratio Estimations in French. Journal of Language and Social Psychology, 42(1), 82‑106. https://doi.org/10.1177/0261927X221084643

      http://dbao.leo-varnet.fr/2023/12/19/reponse-aux-reactions-sur-lecriture-inclusive

      #réponses #FAQ #arguments #argumentaire

    • Langage inclusif : pour le #cerveau, le neutre n’est pas neutre

      Il est désormais bien établi que l’utilisation du masculin générique engendre des représentations mentales déséquilibrées en faveur du masculin. Pour autant, toutes les formes d’écriture inclusive sont-elles aussi efficaces pour contrer ce biais ? Dans une étude récente parue dans la revue Frontiers in Psychology, une équipe de scientifiques a démontré que les formulations neutres, sans marque de genre grammatical, ne permettent pas d’éliminer complètement le biais vers le masculin, au contraire des formes doubles qui mentionnent à la fois le masculin et le féminin.

      Depuis quelques décennies, le langage inclusif suscite régulièrement de vifs débats de société. Dans ce contexte, la psycholinguistique — la science qui s’intéresse à la compréhension du langage par le cerveau — permet d’apporter un regard scientifique sur certains aspects de ce sujet polémique.

      Jusqu’à présent, les recherches dans le domaine se sont essentiellement concentrées sur les effets du masculin générique : par exemple, dire « les chanteurs » pour désigner un groupe composé de femmes et d’hommes. De nombreuses études ont montré de façon répétée et dans plusieurs langues que, même si la grammaire autorise une interprétation générique du masculin, cette règle engendre dans notre cerveau des représentations mentales majoritairement masculines. En parallèle, d’autres travaux comparant le masculin générique avec différentes formes de langage inclusif ont conclu que ce dernier permettait de susciter des représentations moins biaisées en faveur du masculin. Dans leur étude, Léo Varnet, chargé de recherche CNRS au Laboratoire des systèmes perceptifs1 , Elsa Spinelli, membre du Laboratoire de psychologie et de neurocognition2 et Jean-Pierre Chevrot, membre du Laboratoire de linguistique et didactique des langues étrangères et maternelles3 , ont exploré plus avant les différences entre deux stratégies d’écriture inclusive : la neutralisation du genre (par exemple, dire « les choristes » au lieu de « les chanteurs ») et la re-féminisation (par exemple : « les chanteurs et les chanteuses », ou « les chanteur·euse·s » en utilisant le point médian).

      Cette étude s’appuie sur un protocole expérimental particulier permettant de détecter des différences fines dans le temps mis par le cerveau pour traiter le genre des mots. Une liste de vingt-deux mots épicènes — c’est-à-dire sans marque de genre grammatical — commençant par une voyelle et non-stéréotypés a été sélectionnée, parmi lesquels « enfant », « adulte », ou encore « architecte ». Deux phrases étaient présentées successivement aux participants et participantes de l’expérience, qui devaient juger si la seconde phrase, commençant par « il » ou « elle », était une continuation correcte de la première. Cette première phrase contenait l’un des mots épicènes, soit dans une forme neutre (par exemple : « L’architecte surveille les travaux en cours »), soit dans une forme double utilisant le point médian (par exemple : « Un·e architecte surveille les travaux en cours »). Les scientifiques ont étudié en particulier le temps nécessaire au cerveau pour conclure que la seconde phrase commençant par « il » ou « elle » était compatible avec la première.

      Les résultats de la première expérience indiquent que les formes neutres ne permettent pas de contrecarrer totalement le biais en faveur du masculin. Ainsi, par exemple, le mot « l’adulte » n’a pas de genre grammatical défini, pourtant les participants et participantes de l’étude l’interprètent plus facilement comme un adulte de genre masculin, et mettent donc légèrement plus de temps à identifier qu’il peut également s’agir d’une adulte. Ceci indique que, même en l’absence de toute marque de genre, notre cerveau présente un biais par défaut en faveur du masculin. Les auteurs et autrices de l’étude proposent plusieurs interprétations en soulignant notamment que les termes épicènes sont majoritairement employés au masculin (ainsi, « enfant » est souvent employé dans des phrases reposant sur le masculin générique comme « Ils attendent un enfant »). Ceci pourrait expliquer pourquoi les locuteurs et locutrices du français ont ensuite tendance à associer majoritairement les termes épicènes au genre masculin.

      Dans un second temps, la même expérience a été reproduite en utilisant cette fois le point médian. Les résultats obtenus indiquent que le déséquilibre de temps de traitement entre le masculin et le féminin était alors totalement éliminé : la présence explicite des marques masculine et féminine force le cerveau à considérer les deux alternatives.

      Cette étude éclaire à quel point le cerveau est profondément affecté par le biais de genre dans le langage : il tend à présupposer le masculin même face à des phrases n’employant pas le masculin générique. La stratégie de re-féminisation qui fait apparaître les formes masculines et féminines des mots (par exemple, « Françaises, Français ») apparaît donc la plus efficace pour susciter des représentations mentales équilibrées.

      https://www.inshs.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/langage-inclusif-pour-le-cerveau-le-neutre-nest-pas-neutre

      signalé ici (@touti)
      https://seenthis.net/messages/1023975

  • Why Ada Lovelace Day matters | Science | The Guardian
    https://www.theguardian.com/science/sifting-the-evidence/2015/oct/13/why-ada-lovelace-day-matters
    https://i.guim.co.uk/img/static/sys-images/Guardian/Pix/pictures/2015/10/12/1444685308186/98a32e1c-4856-4f95-a8d8-f3f7b0e88dc3-bestSizeAvailable.png?width=1200&heig

    We know that women are underrepresented in science, and because of initiatives like Ada Lovelace Day, and organisations like ScienceGrrl, there are more and more people attempting to do something about the unconscious biases that may well be responsible for the discrepancy. But women are not the only group underrepresented.

    Ada herself was a wealthy and highly educated woman. And these days academia still has more than its fair share of white, middle class employees. Perhaps as well as Ada Lovelace Day we need a day championing scientists, engineers and mathematicians who don’t fit this mould, in the hope that increasing the visibility of these people will encourage more diversity in future.

    Of course, more needs to change than just visibility. The culture of academia needs to change in order for it to be a place that everyone can thrive. Unconscious biases are problematic and hard to remove precisely because they are unconscious. I may have been overlooked or belittled because I’m a woman - equally it’s likely I may have unconscious biases of my own. It isn’t just men who rate CVs with women’s names at the top as being of lower quality, the study that investigated this found that women did so too.

    The harder question is how do we counter and overcome these unconscious biases. Being aware of the problem is the first step. Professor Athene Donald has a practical list of suggestions that I think is brilliant - and most can be applied to equality and diversity in science beyond gender. Encouraging diversity in academia benefits everyone, so what better time than Ada Lovelace Day to highlight the work of a woman that you think is inspirational, so that her achievement can inspire others.

    With Athene’s permission, I have listed her suggestions below:

    Call out bad behaviour whenever and wherever you see it – in committees or in the street. Don’t leave women to be victimised;
    Encourage women to dare, to take risks;
    Act as a sponsor or mentor (if you are just setting out there will still always be people younger than you, including school children, for whom you can act);
    Don’t let team members get away with demeaning behaviour, objectifying women or acting to exclude anyone;
    Seek out and remove microinequities wherever you spot them;
    Refuse to serve on single sex panels or at conferences without an appropriate level of female invited speakers;
    Consider the imagery in your department and ensure it represents a diverse group of individuals;
    Consider the daily working environment to see if anything inappropriate is lurking. If so, do something about it.
    Demand/require mandatory unconscious bias training, in particular for appointment and promotion panels;
    Call out teachers who tell girls they can’t/shouldn’t do maths, physics etc;
    Don’t let the bold (male or female) monopolise the conversation in the classroom or the apparatus in the laboratory, at the expense of the timid (female or male);
    Ask schools about their progression rates for girls into the traditionally male subjects at A level (or indeed, the traditionally female subjects for boys);
    Nominate women for prizes, fellowships etc;
    Tap women on the shoulder to encourage them to apply for opportunities they otherwise would be unaware of or feel they were not qualified for;
    Move the dialogue on from part-time working equates to ‘isn’t serious’ to part-time working means balancing different demands;
    Recognize the importance of family (and even love) for men and women;
    Be prepared to be a visible role model;
    Gather evidence, data and anecdote, to provide ammunition for management to change;
    Listen and act if a woman starts hinting there are problems, don’t be dismissive because it makes you uncomfortable;
    Think broadly when asked to make suggestions of names for any position or role.

    #Ada_Lovelace_Day #Women_in_science #Egalité

  • Semaine de l’égalité des sexes 2024 : les femmes méritent de meilleures condition

    Les syndicats du Canada demandent aux chefs de partis politiques fédéraux de saisir l’occasion offerte en cette Semaine de l’égalité des sexes pour s’engager à améliorer les conditions des femmes.

    Les grandes entreprises aggravent la crise de l’abordabilité pour les travailleuses et travailleurs et leurs familles, provoquant une hausse vertigineuse du coût du logement, de l’épicerie et d’autres produits de première nécessité. Cette crise fait mal à tout le monde, mais elle est beaucoup plus difficile pour les personnes pour qui les ressources sont déjà limitées, notamment les femmes et les personnes d’identités de genre diverses.

    https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/10/04/semaine-de-legalite-des-sexes-2024-les-femmes-

    #feminisme #egalité #canada

  • « #Care » : comment l’étude du #travail_domestique permet de réécrire l’histoire

    La notion de care s’est imposée dans le langage courant et politique pour qualifier l’ensemble des activités – rémunérées ou non – qui consistent à prendre soin des autres et de leur cadre de vie ; à assurer le « #travail_reproductif » et non seulement « productif ». Cela recouvre notamment les métiers ou pratiques sociales d’#aide_à_la_personne, les secteurs infirmiers ou médicaux, ou encore un grand nombre de tâches dites « domestiques ».

    Les économistes féministes se sont depuis longtemps approprié cette notion pour mettre en valeur des formes de travail exercées par les #femmes et non reconnues socialement et dans les #statistiques économiques, en particulier le #travail_domestique_non_rémunéré. Il ne s’agit pas d’essentialiser des différences entre hommes et femmes mais au contraire de partir du principe que rendre visibles toutes les formes de travail est une étape nécessaire vers l’#égalité, la #reconnaissance_sociale et économique et le partage de ces tâches.

    En outre, alors que les mutations sociales et technologiques du XXe siècle ont diminué le temps de travail consacré au care et les tâches domestiques, il est probable que le vieillissement de la population inverse cette tendance. Il implique en particulier une augmentation de la demande de soin et d’aide à la personne, pratiques qui peuvent être rémunérées ou non, reposant dans ce dernier cas sur des liens familiaux ou amicaux.

    La loi de 2019 sur les congés de proche aidant et les discussions récurrentes sur les pénuries de personnel pour l’aide à domicile montrent combien nos sociétés se préparent – encore trop lentement et difficilement – aux mutations économiques et sociales causées par le vieillissement.

    #Valorisation_monétaire du travail domestique

    Il y a évidemment un débat au sein des économistes quant à l’opportunité de compter le travail de care domestique qui n’apparaît pas dans les statistiques officielles et donc de lui donner une #valeur_monétaire. Outre les difficultés méthodologiques de cette quantification, la question est de savoir si valoriser les pratiques non rémunérées comme un travail salarié ne va pas à l’encontre de l’éthique du care en mettant sur le même plan des formes de travail non équivalentes.

    La réponse que les économistes féministes apportent à cette question est que la construction de statistiques et la valorisation monétaire est aujourd’hui le meilleur moyen de montrer l’ampleur du #travail_féminin et la persistance des inégalités entre femmes et hommes au sein du ménage hétérosexuel (voir le récent résumé de Nancy Folbre présentant ces arguments et la recherche dans ce domaine, dont la première contribution remonte à l’ouvrage de Margaret Reid, Economics of household production, publié en… 1934).

    Depuis #Margaret_Reid, et encore plus depuis la réappropriation du concept de care en économie dans les années 1980 et 1990, notamment par Nancy Folbre, les économistes ont donc tenté de quantifier le travail domestique, dans le passé quasi-essentiellement exercé par les femmes. L’objectif est de voir comment cette comptabilisation change notre vision du #développement_économique, habituellement mesuré par des salaires et le temps de travail masculins, puis par le #produit_intérieur_brut, qui exclut les tâches domestiques.

    Il existe des tentatives actuelles pour inclure les estimations du travail domestique dans le #PIB, mais seule l’histoire économique permet de prendre la mesure du #biais que l’absence de prise en compte du travail féminin dans les statistiques cause à nos représentations du développement économique.

    Dans un article récemment paru dans le Journal of Economic History, « Careworn : The Economic History of Caring Labor » (https://www.cambridge.org/core/journals/journal-of-economic-history/article/careworn-the-economic-history-of-caring-labor/68D8EDEB50DCF2AB012433755741108B), la professeure d’histoire économique Jane Humphries cherche à produire une telle estimation pour l’Angleterre sur très longue période, de 1270 à 1860. Ses précédentes recherches ont déjà révolutionné l’#histoire_économique en montrant comment la prise en compte du travail des enfants, puis la construction de séries de salaire des femmes, changeaient le récit traditionnel de la révolution industrielle du XIXe siècle.

    Humphries commence par rappeler le paradoxe des recherches actuelles d’histoire économique quantitative qui ont entrepris de calculer des séries de PIB, de niveau de vie et de prix depuis le Moyen-Âge (voir notamment les travaux de #Robert_Allen et #Stephen_Broadberry). Le calcul d’évolution des prix repose en effet sur la définition d’un panier de biens représentatif de la consommation de base (viande, lait, céréales etc.). Mais l’essentiel du travail des femmes nécessaire pour transformer ces biens de base en consommation domestique, nécessaire pour soutenir le travail rémunéré de l’homme du foyer, n’est pas pris en compte dans les statistiques de production !

    Soutien au travail de l’homme salarié

    Elle rappelle aussi les nombreuses heures nécessaires pour maintenir l’#hygiène dans un foyer, avant la généralisation de l’eau courante et des sanitaires au XXe siècle. Rassemblant de nombreuses sources d’origine et fréquence différentes sur le temps de travail domestique et sur le #salaire horaire de ce travail lorsqu’il était rémunéré, Humphries tente de calculer la valeur totale du travail domestique qui était nécessaire pour qu’un foyer puisse subsister, permettant à l’homme de s’en absenter pour travailler au-dehors.

    Même ses estimations les plus basses montrent qu’au moins 20 % de la production totale de valeur (ce que nous appelons aujourd’hui PIB) était consacrée aux #tâches_domestiques – et sont donc absentes de nos mesures habituelles Et si ce chiffre n’était pas plus important dans le passé qu’aujourd’hui, c’est que l’autrice valorise le travail féminin au prix du salaire des femmes de l’époque, qui était très inférieur à celui des hommes.

    Notons que l’article ne quantifie que les tâches domestiques liées à la consommation et l’entretien du foyer ; l’autrice souligne qu’elle n’a pas quantifié ce qui touche au « travail reproductif », en particulier la mise au monde et l’allaitement des enfants.

    Mais la professeure d’histoire économique s’intéresse ici davantage à l’évolution du coût et temps du travail domestique – relativement au #travail_salarié – au cours des siècles. Elle remarque en particulier une forte augmentation du travail domestique, et de sa valeur relative, lors de la « révolution industrieuse » du XVIIIe siècle, précédant la « révolution industrielle » du XIXe siècle.

    Regard biaisé sur l’économie

    A la suite des travaux de #Jan_de_Vries, on parle de « #révolution_industrieuse » pour caractériser l’augmentation du temps de travail (en termes de nombre d’heures salariées) causée par la nécessité de maintenir ou accroître le niveau de consommation du ménage. De manière cohérente avec le fait que la révolution industrieuse coïncidait avec une diversification et multiplication des biens de consommation, Humphries montre que le travail domestique nécessaire pour soutenir le travail de l’homme salarié augmentait en même temps que ce dernier.

    Plus les ménages avaient accès à de nouveaux produits (tissus, sucre, viande, thé etc.), plus les femmes devaient travailler pour que les hommes puissent les consommer et en profiter. Pour les femmes mariées, conclut-elle, la « révolution industrieuse » n’a pas coïncidé avec une augmentation du travail salarié mais a pris une forme domestique, obscurcissant ainsi encore plus la contribution des femmes à la #croissance_économique et l’amélioration du niveau de vie.

    Rappelons, comme Humphries elle-même, la fragilité de ces premières estimations qui reposent sur des sources incomplètes et des hypothèses statistiques fortes.

    Toutefois, ce travail a le mérite de mettre à nouveau en lumière combien notre regard sur l’histoire économique est biaisé si nous ne réalisons pas que l’activité économique mesurée au cours du temps (par les statistiques de prix, salaires et production) ne pouvait s’accomplir que parce qu’elle était rendue possible par le travail domestique des femmes. Celui-ci était pourtant invisible dans les statistiques de population ou de production qui devinrent au XIXe siècle un nouveau pilier de la gestion des Etats modernes et de la compréhension de l’économie.

    https://www.alternatives-economiques.fr/eric-monnet/care-letude-travail-domestique-permet-de-reecrire-lhi/00112088
    #rémunération #invisibilisation #économie #économie_féministe #quantification #rémunération #salaire

    • Care Provision and the Boundaries of Production

      Whether or not they provide subjective satisfaction to providers, unpaid services and non-market transfers typically contribute positively to total output, living standards, and the social climate. This essay describes some quantitative dimensions of care provision and reviews their implications for the measurement of economic growth and the explanation of relative earnings, including the gender wage differential. It also calls attention to under-explored aspects of collective conflict over legal rules and public policies that shape the distribution of the net costs of care provision.

      https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/jep.38.1.201

  • Les clairières libertaires, une #vie_communautaire d’anarchiste en 1900

    Fonder une communauté de vie et de travail hors du salariat pour montrer qu’une autre vie est possible : sans domination, reposant sur l’entraide et les rapports harmonieux entre femmes et hommes.

    Dans les années 1890, la voie avait été ouverte, entre autres, par le milieu libre de Stockel en Belgique ou la colonie Cecilia au Brésil. Au XXe siècle naissant, l’expérience est poursuivie en France. L’histoire discrète de ces essais libertaires serait sans doute restée muette si quelques historiens de l’anarchisme et du mouvement ouvrier n’avaient buté dessus et redonné un nom aux visages glanés sur les rares photos qui nous sont parvenues : Fortuné Henry, Sophia Zaïkowska, Georges Butaud…

    L’anarchisme individualiste émerge à la fin du XIXe siècle, mais il devient un courant visible dans les premières années du XXe siècle. Le principe de l’anarchisme individualiste, c’est que la révolution doit commencer déjà par soi-même, c’est-à-dire que l’on ne doit pas attendre d’un grand soir hypothétique que tout change, si les individus n’ont pas déjà changé eux-mêmes. Anne Steiner

    Ces vies particulières à la belle époque seront voilées par la Première Guerre mondiale et par la révolution russe de 1917, qui, par ricochet, rebattra souvent les cartes de ces milieux anarchistes.

    « lls ont comme credo que tout est politique, que le plus minuscule de nos gestes est politique. » Anne Steiner

    Leurs traces nous conduisent à Vaux dans la nature champêtre et à Aiglemont dans la forêt des Ardennes, où deux colonies voient parallèlement le jour en 1903.

    https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/lsd-la-serie-documentaire/les-clairieres-libertaires-une-vie-communautaire-d-anarchiste-en-1900-82

    #anarchisme #histoire #communauté_de_vie #communauté_de_travail #travail #salariat #domination #rapports_de_genre #égalité_hommes_femmes #Stockel #Belgique #colonie_Cecilia #Brésil #libertaires #communautés_libertaires #anarchisme_individualiste #politique #tout_est_politique #Vaux #Aiglemont #France
    #audio #podcast

    via @reka

  • Comment les idées d’#extrême_droite se sont #banalisées dans le monde "intellectuel français

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/07/05/comment-les-idees-d-extreme-droite-se-sont-banalisees-dans-le-monde-intellec

    La #propagation continue des idéologies #ultraconservatrices et néoréactionnaires dans l’espace public depuis une vingtaine d’années explique pourquoi une partie des intellectuels médiatiques inclinent vers le Rassemblement national et renoncent désormais au front républicain.

    La période d’extrême tension politique accentue le sentiment de #confusion idéologique. Vendredi 28 juin, à deux jours du premier tour des élections #législatives, lors desquelles la France peut basculer à l’extrême droite pour la première fois depuis le régime de #Vichy (1940-1944), l’essayiste Alain Finkielkraut devait donner une conférence au Cercle de Flore, l’espace de rencontres de l’Action française, à Paris.

    « Faut-il être moderne ? », devait se demander l’écrivain « mécontemporain » devant un parterre de royalistes. Se représenter l’auteur du Juif imaginaire (Seuil, 1980) et de L’Avenir d’une négation (Seuil, 1982) discourant devant un mouvement fondé par l’écrivain monarchiste Charles Maurras (1868-1952), antidreyfusard et antisémite notoire, a quelque chose de vertigineux, même si les inclinations antimodernes de l’Académicien sont bien connues. Celui dont les grands-parents et le père ont été déportés à Auschwitz, et dont la mère est une rescapée de la Shoah, devait donc dialoguer avec les héritiers du pamphlétaire du journal L’Action française (1908-1944). Charles Maurras disait du capitaine Dreyfus que « douze balles lui apprendr[aie]nt enfin l’art de ne plus trahir ». Le théoricien du « nationalisme intégral » qualifiait le socialiste Léon Blum (1872-1950), figure tutélaire du Front populaire, de « détritus humain », parlait de lui comme d’« un homme à fusiller, mais dans le dos », espérant dans les années 1940 qu’« avec Pétain nous sortions du tunnel de 1789 ».

    Devant le tollé, Alain Finkielkraut a annulé sa participation. « J’ai répondu à l’invitation d’anciens étudiants, mais aussi parce que des intellectuels très recommandables, comme les philosophes Marcel Gauchet, Pierre Manent et Olivier Rey s’y sont rendus avant moi », se défend-il. Et l’Action française « a rompu avec l’antisémitisme », fait observer M. Finkielkraut.

    « Levée générale des tabous »
    « Le juif n’est plus un ennemi pour l’extrême droite, confirme l’historien Laurent Joly, spécialiste de la France de Vichy. L’ennemi qui ronge le pays de l’intérieur pour ce courant, c’est le musulman. » Mais, précise l’auteur de Naissance de l’Action française (Grasset, 2015), le mouvement monarchiste reste profondément « révisionniste », au sens où « il considère que le maréchal Pétain fut un “bouclier” qui sauva des juifs français, au mépris de la vérité historique ».

    Alain Finkielkraut se défend de tout autre lien avec l’Action française comme de tout ralliement au parti de Marine Le Pen. « Le Rassemblement national [RN] n’est plus pétainiste, mais, entre l’Ukraine et la Russie, il a constamment choisi la Russie, et j’en tire toutes les conséquences », déclare-t-il. Toutefois, le rapprochement, et parfois même le basculement, d’une partie du monde intellectuel français vers les idées d’extrême droite est un long processus, qui s’est accéléré depuis une vingtaine d’années. Dans Le Rappel à l’ordre (Seuil, 2002), l’historien des idées Daniel Lindenberg (1940-2018) estimait que cette inflexion provenait de la « libido réactionnaire » et de la « levée générale des tabous » portées au tournant des années 1990-2000 par des intellectuels souvent venus de la gauche. Dans sa postface de 2016, il écrivait qu’elle s’était transformée en une véritable « révolution conservatrice ». Mais, dès 1981, l’écrivain Alain de Benoist, alors rédacteur en chef de Nouvelle école, qualifiait la « guerre culturelle » occidentaliste qu’il voulait mener de « gramscisme de droite ».

    Le concept, venu du fondateur du Parti communiste italien, Antonio Gramsci (1891-1937), désigne une hégémonie culturelle à conquérir sur le front non seulement politique mais aussi idéologique. Et celle-ci devait passer de gauche à droite. Issu d’une matrice néopaïenne, « le gramscisme de droite était trop ouvertement différentialiste et percutait trop frontalement la culture politique égalitaire française pour s’imposer », analyse le philosophe Serge Audier, auteur de La Pensée anti-68. Essai sur les origines d’une restauration intellectuelle (La Découverte, 2008).

    Les intellectuels d’extrême droite ont pris le temps de comprendre pourquoi la gauche était culturellement dominante depuis Mai 68 et les mouvements d’émancipation des années 1970. Ils ont veillé à ne plus se cantonner aux officines confidentielles, même si la revue Eléments, organe de la « nouvelle droite », recevait sondeurs, éditorialistes et intellectuels mainstream, invités à dénoncer le « gauchisme culturel », la « cancel culture » et le « camp du Bien », à la manière des poncifs trumpistes relayés par le conformisme antiprogressiste ambiant. Non sans complicités journalistiques, ils se sont engouffrés dans les émissions de commentaires où s’est répandue leur idéologie réactionnaire. Et les médias du milliardaire défenseur de l’Occident chrétien Vincent Bolloré sont arrivés, accentuant un mouvement qui avait déjà commencé.

    « L’extrême droite ne gagne pas la bataille des idées, elle gagne la bataille des “écrans”, qu’ils soient télévisuels ou ceux des réseaux sociaux », d’autant que « le mode algorithmique privilégie la binarisation et la radicalisation », précise la philosophe Cynthia Fleury. « Comment voulez-vous que les gens qui pensent “s’informer” en regardant des chaînes focalisées sur le traitement des faits divers, des crimes, des catastrophes, etc., ne soient pas enclins à croire des partis dont le fonds de commerce consiste à les exploiter pour alimenter des discours sécuritaires qu’ils présentent comme des programmes politiques ? », se demande l’historien Gérard Noiriel. Cette « nouvelle logique communicationnelle », poursuit-il, conduit à « une manipulation des émotions au détriment de la raison et de la place accordée aux explications ». Pour la mouvance conservatrice, expliquer équivaut à vouloir excuser. Et les analyses venues des sciences sociales sont régulièrement affublées du terme disqualifiant d’« excusisme ».

    Propagandistes du déclin
    L’offensive médiatique a produit des effets. Certains journalistes sont devenus de véritables courroies de transmission, d’autres ont tout simplement rejoint le RN, comme Philippe Ballard, ancien animateur d’émissions de débats sur LCI, réélu député dans l’Oise. Des convergences idéologiques se sont opérées et une « extrême droite “de gauche” », comme le dit le philosophe Jacques Rancière dans Les Trente Inglorieuses (La Fabrique, 2022), s’est peu à peu installée. La bataille idéologique de l’extrême droite a en effet consisté à capter des grandes valeurs démocratiques et de gauche en les vidant de leur substance émancipatrice et universaliste. Ainsi, « la République est devenue synonyme de l’ordre et de l’autorité ; l’Etat social est devenu l’Etat national réservé aux autochtones ; la laïcité a été lestée d’un contenu “civilisationnel” antimusulmans. En somme, l’identitarisme réactionnaire s’est niché au cœur du socle qui fait le “commun” de la République », relève Serge Audier.

    « Toute une partie de la gauche a sous-estimé la constance de cette droite contre-révolutionnaire », insiste le politiste Laurent Jeanpierre, qui a notamment dirigé, avec Christophe Charle, La Vie intellectuelle en France. Tome 2 (Seuil, 2016). Par paresse ou dédain, nombre d’intellectuels progressistes n’ont pas été curieux du ressort idéologique de ces propagandistes du déclin. Des percées, comme celle de l’essayiste Hervé Juvin, devenu député européen du RN en 2019 après avoir publié cinq ouvrages aux éditions Gallimard, aurait pu pourtant avertir du glissement de terrain. L’historien des idées Daniel Lindenberg fut l’un des premiers à en repérer l’émergence, notamment chez des romanciers tel Michel Houellebecq.

    Jacques Rancière a montré comment l’ancienne critique du communisme s’est muée en une critique de l’individualisme démocratique (La Haine de la démocratie, La Fabrique, 2005) ; les historiens des idées François Cusset et Serge Audier ont montré les ressorts d’un vaste « contre-Mai 68 » ; dans Récidive (PUF, 2018), le philosophe Michaël Fœssel a réfléchi aux échos contemporains de l’année 1938 ; et, dans Le Venin dans la plume (La Découverte, 2019), Gérard Noiriel a établi les correspondances entre le pamphlétaire antisémite et raciste Edouard Drumont (1844-1917) et Eric Zemmour, qui « légitime une forme de délinquance de la pensée ». Mais l’alerte ne fut jamais vraiment prise très au sérieux. Et, peu à peu, tous les étages de la fusée se sont agencés : des journalistes, des écrivains, des humoristes, des sportifs ou des cuisiniers ont rejoint les partis de la réaction française.

    Oppositions binaires
    La droite extrême, par contre, a lu les auteurs de gauche. Président de l’institut de sondage PollingVox, directeur de la formation des cadres au RN et actuellement en campagne dans la première circonscription des Hautes-Alpes, Jérôme Sainte-Marie fut sans doute l’un des artisans les plus actifs de ce retournement. Le croisement des analyses critiques du « bloc bourgeois », notamment portées par les économistes néomarxistes Bruno Amable et Stefano Palombarini, avec celles de la fracture territoriale menées par le géographe Christophe Guilluy sur la « France périphérique » ont, selon Serge Audier – qui a consacré un article à ce sujet dans la revue Cités (n° 82, 2020) –, « permis à Jérôme Sainte-Marie et d’autres de disposer d’une grille de lecture “bloc contre bloc” ».

    Prisés par la presse dextriste, les oppositions binaires entre les élites des grandes villes – les « anywhere » (qui viennent de partout) – et le peuple périurbain et rural – les « somewhere » (« qui sont ancrés quelque part ») –, comme dit le journaliste britannique David Goodhart, ont « renforcé cette matrice idéologique ». D’un côté, un bloc qualifié d’élitaire, libéral, bobo et mondialiste ; de l’autre, un bloc populaire considéré comme périphérique, local et patriote national. Une vision de la France « d’autant plus puissante que le clivage entre ouverture et repli caractérisait aussi l’idéologie macroniste qui pensait ainsi disposer d’une rente électorale », poursuit Serge Audier. C’est ainsi que, sur le plan idéologique, le RN a su trouver sa colonne vertébrale. D’autant que, en ciblant au moins autant Jean-Luc Mélenchon que Marine Le Pen, toute une partie de l’intelligentsia a changé de diable.

    Mais le RN « ne ressemble plus à la vieille extrême droite », rétorque Alain Finkielkraut, intarissable contre cette gauche qui ne peut se passer de son meilleur ennemi et qui semble s’exclamer, affirme-t-il : « Le fascisme ne trépassera pas ! » Dans un entretien accordé en janvier 2022 à La Revue des deux mondes, l’historien Marcel Gauchet est explicite : « Tout cela est mort et enterré ou ne subsiste plus qu’à l’état résiduel. » L’ancien rédacteur en chef de la revue Le Débat en est convaincu : « Est réputé d’extrême droite le discours politique hostile à une immigration hors de contrôle et aux effets du multiculturalisme. » Et de conclure : « L’étiquette d’extrême droite fonctionne en réalité comme le moyen de disqualifier un discours qui dérange par rattachement à un passé honni. »

    Le RN est d’extrême droite, réplique Laurent Joly, notamment à cause de « sa focalisation sur l’identité et les immigrés », son aspect clanique qu’il s’attache à gommer – « il est difficile d’y faire une grande carrière sans être membre ou proche de la famille Le Pen » –, mais aussi en raison des propos sur les prétendus « comptes cachés de l’Etat ». Il l’est également en raison du projet de Jordan Bardella visant à interdire certaines hautes fonctions à des binationaux, « qui fait écho à la toute première loi adoptée par le régime pétainiste, le 12 juillet 1940 ». Cela dit, poursuit Gérard Noiriel, dans les années 1930, l’extrême droite antidémocratique « ne cherchait pas à prendre le pouvoir par les urnes ». Le caractère inédit de la situation dans laquelle nous sommes, indique l’auteur de Préférence nationale (Gallimard, collection « Tracts » no 55, 64 pages, 3,90 euros), c’est que, « pour la première fois dans l’histoire de la France, il est possible que l’extrême droite accède au pouvoir d’Etat par la voie électorale ».

    « Trahison des clercs »
    Certains intellectuels ont longtemps considéré que la majorité présidentielle était une digue politique face au RN. « Emmanuel Macron n’est pas un rempart au RN, mais une passerelle, déclare au contraire l’historien des idées François Dosse. Il a contribué à banaliser ses idées. » Le biographe de Cornelius Castoriadis et de Pierre Vidal-Naquet a été le professeur du futur président à Sciences Po. C’est grâce à lui qu’Emmanuel Macron a rencontré le philosophe Paul Ricœur, dont il fut assistant éditorial. Dans un entretien accordé à Valeurs actuelles sur la question migratoire, le 31 octobre 2019, le président de la République désigna les représentants des associations de défense des migrants comme des « droits-de-l’hommistes la main sur le cœur ». Emmanuel Macron juge désormais le programme du Nouveau Front populaire « totalement immigrationniste », a-t-il déclaré lors des commémorations du 84e anniversaire de l’appel du 18 juin. Comme le fait remarquer François Dosse, « c’est le mot employé par Jean-Marie Le Pen et tous les idéologues de l’extrême droite consacrés par Le Figaro, d’Eric Zemmour à Ivan Rioufol ».

    C’est aussi le terme du sociologue Paul Yonnet dans Voyage au centre du malaise français, publié en 1993 aux éditions Gallimard dans la collection « Le Débat », puis réédité en 2022 à L’Artilleur. Immigrationnisme : ce néologisme désigne « une valorisation de l’immigration justifiant l’opposition à toute mesure de contrôle ou de restriction de ses flux », explique Marcel Gauchet dans sa préface. Dans cette perspective, déclare-t-il, « la vocation » de la France n’est autre, en fin de compte, que de « disparaître en tant que patrie singulière, au nom des droits universels de ceux qui demandent à la rejoindre ».

    Dans une tribune parue le 21 juin dans Libération, l’historien #Patrick_Boucheron, professeur au Collège de France, estime qu’« Emmanuel Macron est sorti de l’histoire ». Ou bien il y rentrera « pour y occuper la place la plus infâme qui soit en République, celle des dirigeants ayant trahi la confiance que le peuple leur a accordée en ouvrant la porte à l’extrême droite, d’abord en parlant comme elle ». Une partie de la Macronie n’a, en effet, pas cessé de manier le vocable de la rhétorique ultraconservatrice, à l’image de Frédérique Vidal, alors ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, annonçant, le 14 février 2021, diligenter une enquête sur l’« islamo-gauchisme à l’université », ou bien du ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer, assurant dans un colloque à la Sorbonne, en janvier 2022, que le « wokisme » était un « virus » auquel il fallait trouver le « vaccin ». Des propos qui ont indigné de nombreux chercheurs, en particulier parce qu’il s’agit de termes utilisés en permanence par l’extrême droite, comme Marine Le Pen, qui déclare aujourd’hui que « le bloc islamo-gauchiste prône la disparition de l’ensemble de nos libertés » (Le Figaro, 16 juin), ou Eric Zemmour, expliquant à ses électeurs que « la propagande wokiste endoctrine [leurs] enfants à l’école ».

    Si le RN parvient au pouvoir, « un certain nombre d’intellectuels de droite, mais aussi de gauche, porteront une grave responsabilité », prévient Serge Audier, notamment en raison de « la guerre culturelle quotidienne pour acculer l’ensemble de la gauche et des écologistes dans un statut de minorité clivante, bobo, islamo-gauchiste, woke, etc. ». Le fait que « certains des intellectuels les plus médiatisés à droite – Alain Finkielkraut, Luc Ferry, Pascal Bruckner, Michel Onfray, etc. – ciblent prioritairement le NFP [Nouveau Front populaire], avec la caisse de résonance de puissants médias, est une nouvelle “trahison des clercs” qui risque de contribuer à l’effondrement démocratique en cours », dit-il.

    Sentiment de déclassement
    La gauche n’est pas non plus épargnée dans ses responsabilités. Historien de l’immigration, Gérard Noiriel trouve « symptomatique » que « le cri d’alarme » lancé il y a une vingtaine d’années par le philosophe américain Richard Rorty (1931-2007) ait été « complètement ignoré chez nous ». Celui-ci craignait que « le ressentiment qu’éprouvent les Américains peu instruits à l’idée de se voir dicter leurs manières par les diplômés universitaires » aboutisse à l’élection d’un « homme fort qui remettrait en cause les acquis dans la lutte contre les discriminations, le sexisme et le racisme », écrivait-il en 1998. Un texte « prémonitoire », rédigé une vingtaine d’années avant l’élection de Donald Trump. Les législatives n’étant qu’un préalable à l’élection présidentielle de 2027, « voilà ce qui nous guette aujourd’hui en France », prévient Gérard Noiriel.

    Une gauche représentée par des partis de diplômés se serait largement déconnectée de certaines réalités et prendrait cette révolte contre les élites de plein fouet. Elle s’est parfois « embourbée dans des débats pour trancher ce qui importait le plus entre la race, le genre ou la classe », analyse Laurent Jeanpierre. Le vote pour le RN témoigne de la rancœur de ceux « d’en bas » contre ceux « d’en haut » et comporte des « bases ressentimistes », estime Cynthia Fleury. La précarisation et le sentiment de déclassement des classes populaires sont des ferments puissants. « Bien entendu, les déserts médicaux, le manque de services publics jouent un rôle capital dans certains territoires, mais ils ne me paraissent pas suffire à expliquer l’importance cruciale de l’idéologie identitaire et xénophobe », poursuit Serge Audier. En résumé, une partie des Français ne votent pas à l’extrême droite simplement parce qu’ils sont éloignés d’un pôle de santé, mais aussi parce que certains d’entre eux sont animés par un puissant rejet de l’étranger.

    L’un des points d’orgue de la confusion précipitée par la dissolution de l’Assemblée, c’est celui d’une partie des intellectuels français juifs prêts à voter pour le RN. Le retournement le plus saisissant est sans doute celui de Serge Klarsfeld. L’avocat et président des Fils et filles de déportés juifs de France a expliqué que, entre le NFP et le RN, il donnerait sa voix au second qui, dit-il, a fait sa « mue », « soutient Israël » et serait devenu « pro-juif ». Le couple Klarsfeld a même reçu, dans son appartement, le 19 février 2024, la présidente du RN, fille de Jean-Marie Le Pen, l’ancien leader du Front national qui expliquait en 1987 que les chambres à gaz étaient « un point de détail » de l’histoire de la seconde guerre mondiale.

    Signifiants chargés et puissants
    « Ça fout un coup », remarque l’écrivain #Régis_Debray. Il faut dire que ce « gaulliste d’extrême gauche », tel qu’il se définit lui-même en riant, connaît bien le célèbre chasseur de nazis. Compagnon de route du Che, Régis Debray a même préparé avec Serge Klarsfeld, depuis le Chili d’Allende, en 1972, l’enlèvement de Klaus Barbie, criminel nazi qui fit torturer Jean Moulin et ordonna la déportation de milliers de juifs, dont 44 enfants d’Izieu (Ain). L’opération a échoué, même si Barbie sera finalement extradé onze ans plus tard. Mais une amitié s’était nouée. Depuis L’Exil à domicile (Gallimard, 2022), Régis Debray se tient le plus souvent à l’écart de la mêlée. Sollicité par Le Monde afin d’analyser le chavirement politique historique en cours, l’ancien chargé de mission pour les relations internationales auprès de François Mitterrand, entre 1981 et 1985, ne cache pas son « trouble » devant « le passage de gauche à droite de nombre d’intellectuels juifs ».

    Justifiant son choix, Serge #Klarsfeld dit aujourd’hui que le RN est devenu « philosémite » et que « les musulmans ne manifestent pas leur attachement à la France ». Pourtant, remarque Régis Debray, « depuis l’affaire Dreyfus, les juifs sont ancrés à gauche. Et une partie de mes amis, que je considérais comme partisans de l’universel, semblent s’être repliés, face aux attaques, sur leur particularisme ». Si la recrudescence de l’antisémitisme est indéniable depuis l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre 2023 en Israël, « elle doit nous alerter mais pas nous faire oublier le massacre en cours à Gaza appuyé par l’extrême droite israélienne », explique Régis Debray.

    Alain #Finkielkraut considère Benyamin Nétanyahou comme « le pire premier ministre de l’histoire d’Israël » et estime qu’Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich, respectivement ministres israéliens de la sécurité nationale et des finances, sont « d’authentiques fascistes ». Mais il ajoute : « Je suis un adversaire résolu du RN. Cependant, si je dois choisir entre Raphaël Arnault, candidat de La France insoumise dans le Vaucluse et qui a salué l’“offensive sans précédent” du 7 octobre et la députée sortante du RN [Catherine Jaouen], je voterai la mort dans l’âme pour cette dernière. » Selon l’auteur de L’identité malheureuse (Stock, 2013), « appeler à faire barrage au RN sans condition, c’est considérer l’antisémitisme comme un point de détail ».

    Alain Finkielkraut se souvient que son père disait, avant de prendre sa décision chaque veille d’élection : « Est-ce bon pour les juifs ? » Et déclare : « Moi, je ne me suis jamais posé cette question, mais pour la première fois aujourd’hui je vote aussi en tant que juif. » Alain Finkielkraut souligne qu’il a voté au premier tour pour un candidat Ensemble. Régis Debray considère que « substituer l’ethnique au politique a quelque chose d’attristant. Aujourd’hui, on vote en fonction de son identité familiale, non d’un projet collectif. Ce n’est pas ce qu’on appelait la gauche, non ? Essayons de la sauvegarder ». Il signale qu’il a voté de son côté NFP.

    « Les voix juives sont plurielles, irréductibles aux personnalités médiatiques que l’on présente comme des défenseurs d’Israël ou des juifs, alors qu’elles sont principalement des porte-parole d’une offensive idéologique dont la proximité avec l’extrême droite, tant en France qu’en Israël, ne cesse de se préciser », analyse, quant à lui, le philosophe Ivan Segré, auteur de Misère de l’antisionisme (Editions de l’éclat, 2020).

    Rarement une campagne électorale aura mobilisé autant de signifiants aussi chargés et puissants. Et il n’est pas indifférent que la figure du maréchal Pétain soit revenue ces dernières années sur le devant de la scène, notamment par Eric Zemmour, qui a voulu imposer ses mots, ses thèmes et ses haines. Et qui a notamment popularisé la notion complotiste et xénophobe du « grand remplacement ». Sans doute ne faut-il pas minorer ce « transcendantal pétainiste de la France », analysé par le philosophe Alain Badiou, qui consiste à imputer une crise morale nationale à un événement émancipateur : 1789 pour les contre-révolutionnaires, le Front populaire pour Pétain, Mai 1968 pour la droite extrême d’aujourd’hui. Sans doute convient-il également de rappeler, avec l’historien israélien Zeev Sternhell (1935-2020), que le parti de la famille Le Pen incarne « le refus des valeurs intellectuelles et morales des Lumières françaises ». Contrairement à ce que disait Marx, l’histoire ne se répète pas toujours sous la forme d’une farce. Il est encore temps d’empêcher cette étrange défaite et, afin d’éviter une nouvelle trahison des clercs, toujours possible de sortir d’un « ni-ni » mortifère.

    #Nicolas_Truong

  • #L’arc_républicain : une mise au point - AOC media
    https://aoc.media/analyse/2024/07/01/larc-republicain-une-mise-au-point

    Seule la #gauche_sociale est fidèle à l’#idée_républicaine parce qu’elle veut la liberté et l’accès à une éducation de qualité pour tous et pas seulement pour quelques-uns. Ce n’est que lorsque de tels objectifs sont poursuivis que l’on peut dire, comme #Rousseau, que « l’intérêt public gouverne » et que « la chose publique est quelque chose ». Et c’est justement parce que notre société cesse tous les jours d’être la « chose de tous » (#res_publica) pour devenir celle de quelques-uns que beaucoup de ses membres rejettent l’idée même d’#égalité comme n’étant qu’une hypocrisie.

    Et enfin, il semble qu’aujourd’hui, pour obtenir son brevet de #républicanisme, il soit requis de proclamer haut et fort que l’on combat avec fermeté toute forme – non pas de racisme et d’exclusion – mais d’antisémitisme.

    Pourquoi cette exigence est-elle formulée avec une telle insistance ? Tout ce débat relève d’un chantage ignoble : soit vous soutenez inconditionnellement l’État d’Israël soit vous êtes antisémite. Quel rapport avec l’idée républicaine ? On a du mal à le comprendre. On peut être, comme le sont les républicains, indéfectiblement opposé à toute discrimination, à toute persécution, à tout rejet en raison de la religion, du genre, de l’ethnie, et être en même temps opposé à tout projet de colonisation du territoire d’un peuple par un autre peuple.

    Non seulement c’est possible mais cela semble logique et il ne manque pas de grandes voix juives à l’avoir dit avec force. On ne peut que s’étonner de voir des gens qui n’ont pas de mots assez durs pour condamner le nationalisme, le communautarisme, la définition ethnique de la nation, défendre bec et ongles un État qui revendique au contraire cette forme d’autodéfinition. Et on peut s’étonner aussi d’entendre des gens qui – ce n’est pas le cas du #Rassemblement_national – font, pour certains, preuve de contrition en reconnaissant que l’aventure coloniale était en profonde contradiction avec l’idée républicaine, proclamer haut et fort que ceux qui dénoncent la forme contemporaine de cet aventurisme ne sont pas républicains.

    Qui a dit qu’un peuple qui en opprime un autre ne saurait être libre ? Quiconque approuve aujourd’hui cette oppression ou accepte de fermer les yeux sur elle devrait réfléchir à cette maxime.

  • What Does = Mean ? Mathematicians Aren’t Sure – And That Could Be A Problem | IFLScience
    https://www.iflscience.com/what-does-mean-mathematicians-arent-sure-and-that-could-be-a-problem-746

    Il n’y a pas qu’en politique que la question de l’égalité est centrale ;-)

    In 1912, philosophers Bertrand Russell and Alfred North Whitehead did something they believed nobody had ever done before: they proved that 1 + 1 = 2.
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    It took them an entire book’s worth of setup, plus more than 80 pages of a second volume, to do it. It was, a reasonable person might conclude, slight overkill. And yet, in all that work, there’s one thing the pair were surprisingly sloppy about: they never defined what “=” means.

    But of course, why would they? Everyone knows what “equals” means; it’s like, the first thing you learn in preschool math! Except that, just like 1 + 1, the concept of mathematical equality is one that is far from simple or universal – and that’s becoming a big problem.
    What does “equals” mean?

    Now, don’t get us wrong: your average mathematician understands “=” pretty much the same way you do – albeit with a bit more jargon thrown in.

    “The meaning of x = y [is] that x and y are two names of the same identical object,” wrote logician and number theorist John Barkley Rosser in his 1953 textbook Logic for Mathematicians. “We place no restrictions on the nature of the object, so that we shall have equality not only between numbers […] as is common in mathematics, but between sets, or between functions, or indeed between the names of any logical object.”

    It’s vague, but workable. The problem comes when we try to explain this to computer scientists – or, even worse, the computers themselves.

    “Computer scientists [...], many years ago, isolated several different concepts of equality, and [have] a profound understanding of the subject,” wrote Kevin Buzzard, an algebraic number theorist and professor of pure math at Imperial College London, in a recent discussion paper on the concept posted to preprint server arXiv. “The three-character string “2 + 2”, typed into a computer algebra system, is not equal to the one-character string “4” output by the system, for example; some sort of “processing” has taken place. A computer scientist might say that whilst the numbers 2 + 2 and 4 are equal, the terms are not.”

    “Mathematicians on the other hand are extremely good at internalizing the processing and, after a while, ignoring it,” Buzzard continued. “In practice we use the concept of equality rather loosely, relying on some kind of profound intuition rather than the logical framework which some of us believe that we are actually working within.”
    Equality as an isomorphism

    The basic concept of equality goes back… well, probably as far as math itself – but if you ask a modern mathematician to delve a little deeper into what they mean by the word, there’s a decent chance they’ll try to explain it using something called “isomorphisms.”

    Coming from the ancient Greek for “equal form”, an isomorphism is, basically, just a way to get from one mathematical structure to another of the same type. There are some stipulations to it – it has to be reversible and bijective, for example – but other than that, they can be surprisingly vibes-based. Not for nothing is this the concept behind the old joke that mathematicians can’t tell the difference between a donut and a coffee cup: the two shapes are topologically isomorphic, and therefore, in a way, the same thing.

    “Isomorphism is equality,” Thorsten Altenkirch, Professor of Computer Science at the University of Nottingham, told New Scientist earlier this month. “I mean, what else? If you cannot distinguish two isomorphic objects, what else would it be? What else would you call this relationship?”

    Other uses of “equals” in math are equally fuzzy. Buzzard’s paper, based on a talk he gave at a Mathematical Logic and Philosophy conference in 2022, covers some of the most egregious offenders: for example, in “[Alexander] Grothendieck’s seminal work […] where he and Dieudonne develop the foundations of modern algebraic geometry,” he points out, “the word “canonique” appears hundreds of times […] with no definition ever supplied.”

    “Of course we certainly know what Grothendieck means,” he added. But “[interactive theorem prover] Lean would tell Grothendieck that this equality simply isn’t true and would stubbornly point out any place where it was used.”

    It’s a dichotomy that exemplifies the state of modern math. As ever purer fields are finding applications in the real world, mathematicians and computer scientists are leaning more than ever on AI and computers to inform their work. But these machines can’t rely on the appeal to intuition that human mathematicians have grown to accept: “As a mathematician, you somehow know well enough what you’re doing that you don’t worry too much about it,” Chris Birkbeck, a Lecturer in Number Theory at the University of East Anglia, told New Scientist. “Once you have a computer checking everything you say, you can’t really be vague at all, you really have to be very precise.”

    The problem of equality

    So, what are mathematicians to do? After all, it’s hard to think of a more fundamental problem than not having a definition of “=” in mathematical statements.

    Well, there are two potential options. One solution may be to overhaul math itself, perhaps by redefining equality to be the same thing – one might say “equal to” – canonical isomorphisms. But that may be just shunting the problem down the line, Buzzard cautioned: “[mathematician] Gordon James told me that he once asked John Conway what the word [canonical] meant, and Conway’s reply was that if you and the person in the office next to yours both write down a map from A to B, and it’s the same map, then this map is canonical,” he wrote. “This might be a good joke, but it is not a good definition.”

    Alternatively, a new class of mathematician may need to be brought up, Buzzard suggests – ones who can “fill in [the] holes” that currently plague the discipline. The advantages of this approach are practical, at least, he argues: “It’s very difficult to change mathematicians,” he told New Scientist. “You have to make the computer systems better.”

    Either way, it seems math is due for a rethink – and for those interested in the frontiers of computer-aided proofs, the sooner the better. Pinning down a definition of “equals” may seem like a basic problem, but it may end up having profound consequences for our future world – after all, as Russell and Whitehead pointed out after that seminal proof more than 100 years ago, the “proposition [that 1 + 1 = 2] is occasionally useful.”

    #Mathématiques #Logique #Egalité