#Évacuations de #Libye : l’interminable #attente des migrants dans le #centre_de_transit de #Gashora au #Rwanda
Depuis septembre 2019, le Rwanda accueille dans le centre de Gashora, à l’est du pays, des demandeurs d’asile évacués par l’#ONU des prisons libyennes. Depuis le pays est-africain, ces exilés attendent ensuite que leur dossier d’asile soit traité par un pays occidental. Irshad, jeune Darfouri, fait partie de ces « #évacués », mais son attente à Gashora s’éternise. Reportage.
« Ne vous inquiétez pas, je vous trouverai », nous a assuré Irshad au téléphone alors que nous descendions du minibus au carrefour principal de Gashora, une petite ville située à 40 km au sud-est de Kigali, au Rwanda. Le jeune homme, de nationalité soudanaise, nous a rapidement fait signe en venant à notre rencontre sur la seule route bitumée de la ville. « Vous avez de la chance d’être venus maintenant, la route est enfin construite », sourit-il. « Elle est moins cahoteuse ».
Irshad est l’un des 600 réfugiés du centre de transit de Gashora, qui accueille les migrants évacués de Libye dans le cadre d’un programme onusien appelé « #Mécanisme_de_transit_d'urgence » (#ETM). Mis en place par le Haut-commissariat aux réfugiés des Nations unies (#HCR) en 2019, ce programme vise à évacuer les publics vulnérables des centres de détention libyens, de les installer dans le centre rwandais, puis de les transférer dans un pays occidental – où leur dossier d’asile est accepté. ETM prévoit aussi la possibilité de rentrer dans son pays d’origine ou même de rester au Rwanda.
Sur la route principale de Gashora, ville située dans une région pauvre et encore meurtrie par le génocide d’il y a 30 ans, le revêtement de bitume a lui aussi été financé par le HCR. Nous marchons sur l’asphalte avec Irshad avant d’arriver devant la porte du #centre_de_transit. Le jeune homme nous invite à le suivre à l’étage d’un des bâtiments, dans une cafeteria avec vue sur la route flambant neuve. Nous apprenons qu’il s’agit du seul endroit à Gashora où les demandeurs d’asile du centre se retrouvent pour discuter et tuer le temps. Murs bleu turquoise et chaises en paille. Contrairement aux autres cafés du village, celui-ci ne sert pas de bière. « Et le cuisinier est érythréen », précise Irshad, nous faisant comprendre que la nourriture est bien meilleure ici que dans le reste du village.
« J’ai des amis qui ont été acceptés en France et aux États-Unis »
Le centre de Gashora est perçu par le HCR comme une réponse à la crise libyenne. Il permet dans le cadre du programme ETM d’offrir aux réfugiés un temps de répit au Rwanda avant de partir vers un pays tiers. Irshad, originaire du Darfour, attend cette fameuse réinstallation. Mais son transfert temporaire à Gashora s’est transformé en une attente permanente.
Il pensait pourtant que quitter le Rwanda ne serait qu’une question de temps. « J’ai des amis qui ont été acceptés en France et aux États-Unis », explique-t-il. Un jeune Érythréen assis à côté de lui, dans le café, doit quitter Gashora le jour même. Sa demande d’asile a été acceptée en France.
Mais pour Irshad, rien. Depuis son arrivée en 2022 au centre, il n’a toujours pas été « accepté » par un pays tiers. Sa demande de #réinstallation au Canada pour rejoindre sa sœur a été refusée il y a quelques mois. On ne lui a pas donné de raison, ni offert la possibilité de faire appel de la décision.
Les pays tiers peuvent, en effet, refuser certains dossiers. Les demandeurs d’asile doivent alors recommencer les procédures à zéro, depuis le Rwanda, et déposer un nouveau dossier de réinstallation vers un autre État. Cela peut prendre des mois voire des années.
« Je n’ai aucune idée de la raison pour laquelle ma demande vers le Canada a été refusée. Je vais devoir faire un nouveau dossier ailleurs, et cela risque de prendre des années […] Des demandeurs d’asile se trouvent à Gashora depuis l’ouverture de l’ETM en 2019 […] Ils essuient refus sur refus et n’ont d’autre choix que d’attendre et de continuer à déposer des demandes », continue le Soudanais.
Un parcours du combattant déploré par les ONG. « En théorie, les gens ne sont pas censés rester plus de six mois, ici. Ceux qui sont orientés vers Gashora sont des personnes vulnérables et qui devraient avoir de fortes chances d’obtenir le statut de réfugié », explique R.S., un responsable d’une ONG internationale, sous couvert d’anonymat.
L’enfer libyen
Irshad a hâte de rejoindre un pays occidental et de laisser les traumatismes de son exil derrière lui. Le jeune Soudanais raconte son histoire, semblable à mille autres avant lui : il a rejoint la Libye avec son grand frère en 2018 avant d’être brutalement séparé de lui. « Nous sommes montés dans deux embarcations différentes pour rejoindre l’Europe. La sienne a rejoint l’Italie, la mienne a été interceptée par les gardes-côtes libyens », explique-t-il. Irshad réessaiera sept fois la traversée, en vain.
Chacune des interceptions en mer l’a conduit en prison. En Libye, les autorités envoient automatiquement les migrants arrêtés en Méditerranée dans des centres de détention – où les exactions, les tortures, les viols sont légion. « Vous ne quittez la prison que si vous payez. Si vous ne pouvez pas payer, ils vous forcent à travailler. Vous devez essayer de rester en vie jusqu’à ce que quelqu’un paie pour vous ou qu’ils vous laissent partir », détaille-t-il en référence aux gardiens – ou aux milices - qui gèrent ces géôles libyennes.
Autour de nous, d’autres personnes prennent des chaises et s’installent à notre table. Ce sont des amis d’Irshad, ils sont originaires d’Érythrée, de Somalie du Soudan : ils se sont tous rencontrés à Gashora. Ils se joignent à la conversation. Leurs témoignages sur les mois passés en Libye font écho à l’histoire d’Irshad. Certains montrent les cicatrices laissées par les tortures qu’ils ont subies en détention, des marques luisantes sur leurs bras, leurs jambes et leur dos.
C’est aussi pour tenter de rompre ce cycle de violences que l’ONU a ouvert le centre de transit de Gashora. « J’ai accepté le programme du HCR parce que tout est mieux que d’être en Libye », continue Irshad. « Mais je ne savais pas que je resterais coincé ici pendant des années ».
« Il ne fait aucun doute qu’il vaut mieux être transféré au Rwanda que de rester en détention en Libye », explique de son côté l’humanitaire R.S. « Mais l’ETM n’est pas la solution miracle. C’est un moyen d’essayer de répondre en urgence à la situation dramatique qui prévaut en Libye. Mais ce n’est pas un exemple à suivre ». Sans compter que le centre de Gashora ne compte que 600 places. L’ONU estimait en décembre 2023 que le nombre de migrants en Libye dépassait les 700 000.
Le Rwanda, une alternative fiable pour les Européens
Aujourd’hui, de nombreux pays de l’Union européenne (UE) considèrent le Rwanda comme un partenaire potentiel dans leur politique migratoire - alors même que le régime de Paul Kagame fait l’objet d’une surveillance internationale pour ses atteintes aux droits de l’Homme.
En juillet dernier, le nouveau Premier ministre travailliste du Royaume-Uni, Keir Starmer, a mis fin au controversé « Plan Rwanda » qui prévoyait d’envoyer les migrants arrivés illégalement par « small boats » au Rwanda. Malgré l’échec de cet accord, l’externalisation de l’asile vers des pays tiers est toujours une option envisagée par de nombreux États membres de l’UE. L’Italie, par exemple, construit actuellement deux centres de détention en Albanie pour traiter les demandes d’asile des personnes secourues en mer.
En mai dernier, les ministres de l’Intérieur de 15 États membres de l’UE ont même signé une lettre adressée à Ylva Johansson, alors commissaire européenne aux Affaires intérieures, décrivant l’externalisation de l’asile vers des « pays tiers sûrs » comme une solution à la migration irrégulière. Ils ont également cité l’ETM comme un modèle de « solution durable ».
Mais le pays plait-il vraiment aux exilés ? Bien que le programme ETM offre la possibilité d’un séjour permanent au Rwanda, aucune des 2 000 personnes passées par Gashora n’a choisi d’y rester. « Personne ne veut rester au Rwanda », déclare Irshad, en regardant ses camarades. « Ce n’est pas parce que le Rwanda n’est pas sûr », poursuit-il. « Le Rwanda est très sûr si vous ne créez pas d’ennuis. Le problème, c’est qu’on n’a aucune certitude. Quelles garanties avons-nous que nous ne serons pas renvoyés au Soudan ? »
"Pas de travail au Rwanda"
L’autre obstacle réside dans le manque de perspectives professionnelles et économiques. « Il n’y a pas de travail pour les réfugiés au Rwanda. C’est un fait », affirme Irshad.
Les demandeurs d’asile du camp de Gashora ne sont pas autorisés à travailler, même si nombre d’entre eux se rendent dans les villes voisines et arrondissent l’allocation hebdomadaire qui leur est versée en travaillant au noir. "Vous savez combien je touche pour une journée de travail à Kigali ? demande Irshad. « 2 000 francs rwandais [environ 1,5 dollar américain]. Ici, un paquet de cigarettes coûte 1 500 francs rwandais. Comment pouvez-vous survivre ainsi ? »
« Je suis reconnaissant [envers l’ONU et le Rwanda] de m’avoir permis de quitter la Libye. Mais faire venir des migrants depuis l’Europe jusqu’ici pour traiter leur demande d’asile, c’est une très mauvaise idée. Les Rwandais ont du mal à trouver du travail. Comment peut-on s’attendre à ce que des réfugiés traumatisés par l’exil, qui ne connaissent pas le pays, ne parlent pas la langue puissent le faire ? »
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