#11_jours

    • Cette lettre, envoyée d’Italie, comme une bouteille à la mer...

      Lettre d’Italie,

      Il est 00h28 à Brescia.

      « Je vous écris d’Italie, je vous écris donc depuis votre futur. Nous sommes maintenant là où vous serez dans quelques jours. Les courbes de l’épidémie nous montrent embrassés en une danse parallèle dans laquelle nous nous trouvons quelques pas devant vous sur la ligne du temps, tout comme Wuhan l’était par rapport à nous il y a quelques semaines. Nous voyons que vous vous comportez comme nous nous sommes comportés. Vous avez les mêmes discussions que celles que nous avions il y a encore peu de temps, entre ceux qui encore disent « toutes ces histoires pour ce qui est juste un peu plus qu’une grippe », et ceux qui ont déjà compris.

      D’ici, depuis votre futur, nous savons par exemple que lorsqu’ils vous diront de rester confinés chez vous, d’aucuns citeront Foucault, puis Hobbes. Mais très tôt vous aurez bien autre chose à faire. Avant tout, vous mangerez. Et pas seulement parce que cuisiner est l’une des rares choses que vous pourrez faire. Sur les réseaux sociaux, naîtront des groupes qui feront des propositions sur la manière dont on peut passer le temps utilement et de façon instructive ; vous vous inscrirez à tous, et, après quelques jours, vous n’en pourrez plus. Vous sortirez de vos étagères La Peste de Camus, mais découvrirez que vous n’avez pas vraiment envie de le lire.

      Vous mangerez de nouveau.

      Vous dormirez mal.

      Vous vous interrogerez sur le futur de la démocratie.

      Vous aurez une vie sociale irrésistible, entre apéritifs sur des tchats, rendez-vous groupés sur Zoom, dîners sur Skype.

      Vous manqueront comme jamais vos enfants adultes, et vous recevrez comme un coup de poing dans l’estomac la pensée que, pour la première fois depuis qu’ils ont quitté la maison, vous n’avez aucune idée de quand vous les reverrez.

      De vieux différends, de vieilles antipathies vous apparaîtront sans importance. Vous téléphonerez pour savoir comment ils vont à des gens que vous aviez juré de ne plus revoir.

      Beaucoup de femmes seront frappées dans leur maison.

      Vous vous demanderez comment ça se passe pour ceux qui ne peuvent pas rester à la maison, parce qu’ils n’en ont pas, de maison.

      Vous vous sentirez vulnérables quand vous sortirez faire des courses dans des rues vides, surtout si vous êtes une femme. Vous vous demanderez si c’est comme ça que s’effondrent les sociétés, si vraiment ça se passe aussi vite, vous vous interdirez d’avoir de telles pensées.

      Vous rentrerez chez vous, et vous mangerez. Vous prendrez du poids.

      Vous chercherez sur Internet des vidéos de fitness.

      Vous rirez, vous rirez beaucoup. Il en sortira un humour noir, sarcastique, à se pendre.

      Même ceux qui prennent toujours tout au sérieux auront pleine conscience de l’absurdité de la vie.

      Vous donnerez rendez-vous dans les queues organisées hors des magasins, pour rencontrer en personne les amis - mais à distance de sécurité.

      Tout ce dont vous n’avez pas besoin vous apparaîtra clairement.

      Vous sera révélée avec une évidence absolue la vraie nature des êtres humains qui sont autour de vous : vous aurez autant de confirmations que de surprises.

      De grands intellectuels qui jusqu’à hier avaient pontifié sur tout n’auront plus de mots et disparaîtront des médias, certains se réfugieront dans quelques abstractions intelligentes, mais auxquelles fera défaut le moindre souffle d’empathie, si bien que vous arrêterez de les écouter. Des personnes que vous aviez sous-estimées se révéleront au contraire pragmatiques, rassurantes, solides, généreuses, clairvoyantes.

      Ceux qui invitent à considérer tout cela comme une occasion de renaissance planétaire vous aideront à élargir la perspective, mais vous embêteront terriblement, aussi : la planète respire à cause de la diminution des émissions de CO2, mais vous, à la fin du mois, comment vous allez payer vos factures de gaz et d’électricité ? Vous ne comprendrez pas si assister à la naissance du monde de demain est une chose grandiose, ou misérable.

      Vous ferez de la musique aux balcons. Lorsque vous avez vu les vidéos où nous chantions de l’opéra, vous avez pensé « ah ! les Italiens », mais nous, nous savons que vous aussi vous chanterez la Marseillaise. Et quand vous aussi des fenêtres lancerez à plein tube I Will Survive, nous, nous vous regarderons en acquiesçant, comme depuis Wuhan, où ils chantaient sur les balcons en février, ils nous ont regardés.

      Beaucoup s’endormiront en pensant que la première chose qu’ils feront dès qu’ils sortiront, sera de divorcer. Plein d’enfants seront conçus.

      Vos enfants suivront les cours en ligne, seront insupportables, vous donneront de la joie. Les aînés vous désobéiront, comme des adolescents ; vous devrez vous disputer pour éviter qu’ils n’aillent dehors, attrapent le virus et meurent. Vous essaierez de ne pas penser à ceux qui, dans les hôpitaux, meurent dans la solitude. Vous aurez envie de lancer des pétales de rose au personnel médical.

      On vous dira à quel point la société est unie dans un effort commun, et que vous êtes tous sur le même bateau. Ce sera vrai. Cette expérience changera à jamais votre perception d’individus. L’appartenance de classe fera quand même une très grande différence. Etre enfermé dans une maison avec terrasse et jardin ou dans un immeuble populaire surpeuplé : non, ce n’est pas la même chose. Et ce ne sera pas la même que de pouvoir travailler à la maison ou voir son travail se perdre. Ce bateau sur lequel vous serez ensemble pour vaincre l’épidémie ne semblera guère être la même chose pour tous, parce que ça ne l’est pas et ne l’a jamais été.
      À un certain moment, vous vous rendrez compte que c’est vraiment dur.

      Vous aurez peur. Vous en parlerez à ceux qui vous sont chers, ou alors vous garderez l’angoisse en vous, afin qu’ils ne la portent pas. Vous mangerez de nouveau.

      Voilà ce que nous vous disons d’Italie sur votre futur. Mais c’est une prophétie de petit, de très petit cabotage : quelques jours à peine. Si nous tournons le regard vers le futur lointain, celui qui vous est inconnu et nous est inconnu, alors nous ne pouvons vous dire qu’une seule chose : lorsque tout sera fini, le monde ne sera plus ce qu’il était. »

      #lettre #11_jours #futur #Italie #cuisiner #démocratie #vie_sociale #rire #humour_noir #confinement #monde_de_demain #balcons #unité_nationale #classe_sociale #inégalités #épidémie #travail #peur #prophétie

    • @cdb_77 @fil est-ce que cette image est disponible quelque part. J’aimerai bien l’imprimer et la coller autour de chez moi et la poser dans l’épicerie bio qui ne protège ni ses salariés ni ses clients.

    • @alexcorp Les chiffres ne sont certainement pas très valides, avec d’énormes doutes sur beaucoup de pays (dont Chine, Iran, US…), et pas seulement la France. Mais partout ils sont sous-évalués, et c’est ce qu’on a de mieux pour le moment.

      @touti L’image vient du Financial Times, il faut ajouter soi-même la mention « masques »

    • Ce n’est pas la première fois que je vois ce dessin que je trouvais démonstratif (il confortait la colère : ici, en gros, on a pas de masques), mais là ça me saute aux yeux : pourquoi la Chine est-elle placée dans la zone « no masks » sur ce graphique graffité en deux zones ’avec’ ou ’sans’ ?

    • J’ai vu une super interview en italien sur le masque. Le masque de chirurgien qui empêche de transmettre le virus aux autres (geste civique pour tou·tes) sans se protéger, le masque FFP2 qui empêche de le choper soi-même mais qui le dissémine allègrement venant de soi et devrait donc être réservé aux #travailleurs_exposés (en particulier les soignant·es), sachant qu’en l’absence de tests on ne sait pas qui est porteur et qui est à protéger...

      C’était super intéressant. Un masque est-il utile ? Non, pas pour marcher dans la rue, faire du vélo ou prendre sa caisse, seulement en cas d’interactions avec des personnes à moins de 2m et qui parlent ou éternuent (parler étant un super moyen de disséminer le virus, contrairement à respirer). Comment utiliser un masque ? Le mettre en le touchant le moins possible, ne jamais le retoucher, l’enlever par les élastiques, ne jamais le mettre en contact avec d’autres choses puisqu’il est vite dégueulasse... Si pénurie et impossibilité de le jeter, le désinfecter en l’exposant au soleil ou aux UV.

      Le médecin faisait un peu flipper sur l’usage des masques et sa conclusion est qu’un mauvais usage ne sert à rien, voire contribue à la dissémination, donc le laisser aux soignant·es. Ou tester, former aux règles d’hygiène les personnes porteuses pour améliorer notre réponse. Mais sur ça, on est à la ramasse.

      L’ignorance tue, que ce soit sur le statut de chacun·e (où sont les tests ???) soit que les gestes d’hygiène soient finalement mal connus ou compris (je veux bien que les personnes qui ont le virus ne sortent pas en pensant bien faire avec un FFP2 et je n’ai aucune idée moi-même d’un paquet de trucs comme la durée de tenue du virus sur un vêtement, une boîte d’œufs si j’en retrouve un jour ou un emballage plastique).

      Je n’ai pas la référence (et en ce moment il y a plein de fausse monnaie qui court, celui-ci disait expliquer les recommandations de l’OMS) mais je peux demander.