• #Crise économique : les leçons de #1848
    18 AVRIL 2020 PAR #ROMARIC_GODIN

    https://www.mediapart.fr/journal/france/180420/crise-economique-les-lecons-de-1848

    La violence de la crise économique du Covid-19 n’a guère de précédents en France en temps de paix que la crise de #1929 et celle de 1848. Cette dernière porte en elle un certain nombre de leçons et de mises en garde
    #Mediapart

    l’histoire ne se répète pas, c’est entendu. Pourtant, certaines circonstances du passé éclairent l’époque et mettent en garde contre les tentations de penser trop vite notre présent. La crise du #coronavirus a mis à terre l’économie capitaliste que l’on croyait invincible. Le commerce et l’industrie sont à l’arrêt, la « richesse » créée sera peut-être cette année la plus faible depuis quinze ans. Le PIB pourrait chuter de 10 à 15 %. Partout, l’État s’active pour amortir le choc, vient, en pompier du capitalisme, compenser les pertes. Les milliards pleuvent et les gouvernements aiguisent leurs discours les plus sociaux pour apaiser une éventuelle colère et former une hypothétique « union nationale ».

    Ce type de situation est assez rare en régime capitaliste en période de paix. Mais il est un précédent qui mérite qu’on s’y penche, celui de 1848. Certes, les deux époques sont différentes et les deux crises très lointaines en apparence. D’un côté, un virus, indépendant de la volonté des hommes, de l’autre, une révolution, produit de cette volonté. D’un côté, une économie capitaliste très avancée, de l’autre, un capitalisme naissant dans une société encore très largement rurale. Il ne s’agit pas de plaquer le passé sur le présent, mais de montrer comment les forces économiques et sociales ont réagi à une crise qui présente des éléments communs

    Le trône de Louis-Philippe est brûlé par les révolutionnaires en 1848 !. © DR

    Car ces éléments ne manquent pas. La crise de 2020 n’arrive pas comme un coup de tonnerre au cœur d’un temps radieux. Elle frappe un capitalisme en crise latente, qui se cherche, qui peine à se remettre de la crise de #2008 et qui souffre d’une croissance structurellement faible de sa productivité. Or la #révolution de février 1848 en France se produit dans un contexte économique du même type. Le capitalisme naissant subit depuis #1846 une crise financière et économique mondiale : l’emballement boursier autour des « nouvelles #technologies » d’alors, notamment les chemins de fer, s’est transformé en # qui a éclaté. La #surproduction générale est devenue évidente et plombe l’activité.

    Au début de 1848, la crise semble s’apaiser, mais au prix d’une forte intervention des autorités financières. La Caisse des dépôts a racheté massivement les actions de chemins de fer, la Banque de France a multiplié les avances aux entreprises, le Trésor a inondé le pays d’argent à coups d’émissions de dettes. Comme avant 2020 finalement, l’économie était sous perfusion et les moyens pour la soutenir immenses. Marie d’Agoult, femme de Franz Liszt (et mère de Cosima Wagner), résumait la situation en ce début d’année dans son Histoire de la révolution de 1848, qu’elle publia sous le pseudonyme de Daniel Stern : « Tous les ressorts étaient tendus, le moindre événement survenu à l’improviste pouvait les briser. »

    Cet événement inattendu fut la révolution des 22, 23 et 24 février 1848. Certes, avec la crise économique, la situation politique s’est tendue depuis deux ans en France. Le régime de Louis-Philippe se sent pourtant suffisamment fort pour refuser toute ouverture et toute réforme, notamment celle de l’élargissement du droit de vote. La période des révolutions parisiennes, nombreuses dans les années 1830, semble achevée. C’est donc sans inquiétude qu’il interdit un banquet de l’opposition prévu le 22 février. Et personne au sein de l’opposition n’y voit une occasion de renverser le régime. C’est pourtant ce qui se produit. Les Parisiens renversent la monarchie constitutionnelle en deux jours. Un gouvernement provisoire est installé qui proclame la République.

    La surprise est totale. Et, dans les milieux économiques, elle s’accompagne d’une panique complète. Car, comme l’ont souligné Karl Marx et Friedrich Engels en entame de leur Manifeste du Parti communiste paru en janvier, « un spectre plane sur l’Europe, celui du communisme ». La France est le laboratoire des pensées socialistes et communistes avec des penseurs comme Pierre-Joseph Proudhon, Louis Blanc, Étienne Cabet ou encore les disciples de Charles Fourier et du comte de Saint-Simon. De plus, le retour de la République, proclamé le 24 février, fait craindre un retour à la terreur de l’an II et ses mesures d’économie administrée. Le fameux choc tant redouté par Marie d’Agoult se produit.

    • “ Au début de 1848, la crise semble s’apaiser, mais au prix d’une forte intervention des autorités financières. La Caisse des dépôts a racheté massivement les actions de chemins de fer, la Banque de France a multiplié les avances aux entreprises, le Trésor a inondé le pays d’argent à coups d’émissions de dettes. ”

    • Selon les données du Projet Maddison, qui reconstitue les PIB du passé, en 1848, le PIB par habitant de la France a reculé de 6,5 % en parité de pouvoir d’achat de 1990. C’est un chiffre exceptionnel en temps de paix. D’après la même source, et jusqu’à cette année, une telle chute annuelle du PIB par habitant ne s’était jamais rencontrée depuis, en dehors des trois guerres de 1870, 1914-1918 et 1939-1945, que lors de la grande crise de 1929 où le PIB par habitant a reculé de plus de 7 % en 1931 et 1932. À titre de comparaison, la révolution de 1830 n’avait amputé cet agrégat que de 2,5 %, tandis que la crise de 2008 l’avait réduit de 3,5 %. Autrement dit : en 2020 comme en 1848, nous vivons un choc économique d’une violence rare en temps de paix, causé par un choc externe en partie politique (n’oublions pas que le confinement, origine de la crise actuelle, est une décision politique).