Située à une vingtaine de kilomètres d’#Auch, dans un paysage coloré et verdoyant où les champs de tournesols côtoient les champs de blé en cours de moisson, se trouve la petite commune de #Boulaur (~180 habitants).
Une #abbaye dans les champs
Après avoir quitté la route départementale, en prenant la direction du centre ville, une immense croix de plusieurs mètres annonce à ma gauche l’entrée du village tout proche. A ma droite, quelques bâtiments mélangent matériels agricoles et présence religieuse. Ce domaine est celui de l’#abbaye_Sainte_Marie_de_Boulaur ( « Bon lieu » ), fondée au XIIe siècle par Pétronille de Chemillé (abbesse de Fontevraud), Guillaume II d’Andozile (archevêque d’Auch) et Sanche Ier (comte d’Astarac, dont sa veuve Longuebrune fut première abbesse de l’abbaye de Boulaur). La plupart des bâtiments sont inscrits au titre des monuments historiques. L’abbaye dépend du diocèse d’Auch, dont Mgr Maurice Gardès est l’archevêque.
En 1949 quelques #moniales_cisterciennes s’installent définitivement dans l’abbaye. Elles sont aujourd’hui au nombre de vingt-neuf, âgées de 25 ans à 94 ans.
A mon arrivée dans la cours de l’abbaye, l’espace est envahi par un retentissant « Joyeux anniversaire » . Des rires et une animation bonne enfant se déplacent de l’autre côté d’un mur mitoyen en direction d’un chemin tout proche. Séparé d’eux par une grille en fer forgé, les moniales, accompagnées de quelques laïcs, se figent sur le chemin visible aux yeux de tous. Placé au milieu, un cadeaux emballé dans un grand drap blanc attend son futur propriétaire. La petite foule commence à entourer le présent puis, une immense clameur, des rires et… un bruit de moteur. La foule s’écarte. La communauté vient de recevoir en cadeau d’anniversaire un quad qu’une moniale s’empresse de conduire à travers champs ! Son retour est accueilli par un chant a cappella improvisé Et Cantique Magnificat.
Femme, religieuse et agricultrice
Les moniales cisterciennes de Boulaur ne sont pas uniquement des #religieuses occupées à suivre la #Règle_de_St_Benoît ou leurs sept prières quotidiennes. Ce sont aussi des agricultrices dont le travail manuel est « porté par une recherche de sens » selon les mots d’une moniale, « un projet de vie » où la pratique de l’agriculture est, pour une autre moniale, en lien direct avec « la promotion de la vie » .
Posant la question de savoir si la publication de l’encyclique « Laudato si‘ » du pape François, en 2015, a eu une influence dans leur démarche, une moniale me confirma que ce texte fut reçu par la communauté comme « un encouragement de leur démarche » . Un autre moniale parla de « joindre le soin des hommes au soins de la terre » , mais sans faire référence au care.
Sur les 45 hectares de leur terre agricole gersoise, ces moniales cisterciennes sèment, récoltent, transforment et conduisent aussi bien un tracteur qu’un troupeau de vaches.
Comment ont-elles appris le métier d’agricultrice ? Certaines moniales viennent du milieu agricoles, d’autres ont fait des études en agronomie, d’autres enfin ne disposaient pas de bagages particuliers. Mais toutes ont au moins appris un certain savoir-faire en suivant les conseils des agriculteurs et agricultrices proches de l’abbaye. Quelques-unes ont fait la démarche d’aller visiter plusieurs exploitations agricoles modernes afin de « voir ce qui se fait de mieux » au niveau des machines, des technologies, des pratiques… Et si le machinisme « permet de soulager les sœurs des efforts physiques liés à l’agriculture » , ce machinisme ne doit pas retirer le sens qu’elles donnent au travail.
La pratique du travail agricole a fait l’objet de nombreuses réflexions. Les modèles agricoles dominants ne répondaient pas à leurs attentes. Quid des divers types de pollution et des multiples formes de gaspillage dans le monde agricole ? Réflexions aussi autour des questions d’économies d’énergie. Le tout dans une démarche de développement durable, sensible à l’écologie. Mais il ne me sera fait aucune référence à l’écologie intégrale pourtant liée à « Laudato si‘ » .
Ces moniales ont développé depuis plusieurs années une activité agricole, « en agriculture biologique et en permaculture » , qui associe la production de fruits et de légumes à l’élevage de vaches laitières, de veaux et de cochons. Ceci en vue de fabriquer elles-mêmes sur place des produits alimentaires, comme des confitures, de la farine, du fromage et des pâtés qui sont vendus directement à l’abbaye (dans un espace spécialement dédié) ainsi que sur le marché de Samatan situé à une dizaine de kilomètres de l’abbaye ( « on privilégie les circuits courts » ). Enfin, elles ont développé une activité annexe de visites guidées et d’accueil en hôtellerie pour une capacité d’environ 40 personnes.
L’organisation des tâches et du temps
Au cours des échanges, je me rends compte qu’elles partagent leur emploi du temps en au moins quatre phases : une phase domestique (cuisine, ménage,…), une phase spirituelle (prière, étude…), une phase agricole (semis, récolte, transformation…) et une phase administrative-commerciale (budget, projets…).
Abbaye non mixte, féminine, la répartition des tâches et des rôles sont définis en interne, en fonction de leur place hiérarchique dans l’ordre (abbesse, moniale, novice) et de leurs compétences propres en liens avec les besoins de la communauté.
Cette grande diversité de tâches pour un nombre restreint d’actrices (29), même en faisant appel occasionnellement à de l’aide extérieure, demande à ce qu’une organisation relativement rigoureuse soit imposée et acceptée. Ceci afin de ne pas perdre du temps précieux ou que des tâches en attentes soient supportées par d’autres moniales en surplus de leurs tâches attribuées. Cette question du temps reviendra régulièrement au cours de mes échanges avec les moniales.
Les tâches et le temps qui sont alloués à chacune semblent devoir être respectés le plus scrupuleusement possible afin d’éviter une possible désorganisation de la communauté.
Start-up nation
Ces moniales se sont engagées dans un vaste projet qu’elles ont nommé « Grange cistercienne pour le XXIe siècle » . Cette nouvelle exploitation agricole devrait accueillir, outre un coin pédagogique, vingt-cinq vaches (contre neuf actuellement, de races Brune des Alpes et Jersiaise) et une douzaine de cochons (contre cinq aujourd’hui), « ce qui devrait multiplier par quatre ou cinq la production totale par rapport à aujourd’hui » .
Ce que les moniales nomment « un entreprenariat féminin » ou « une start-up du XIIe siècle façon XXIe siècle » , doit permettre à cette communauté cistercienne de « vivre de son travail » , à côté et en même temps que leur vie religieuse, c’est-à-dire joindre Ora et labora, ou plus précisément Ora, Lectio divina et labora .
J’avais remarqué que ces moniales avaient un sens particulièrement marqué pour la communication, avec deux sites internet, une page Facebook, un compte Instagram et une chaine Youtube. Mais curieusement, elles sont absentes de Twitter. Une prochaine étape ?
Cet ensemble de démarches, d’entreprenariat et de communication, s’inscrit dans « une logique territoriale » de (sur) visibilité, voire « une logique missionnaire » selon les mot d’une moniale.
Une agriculture féminine cistercienne qui se veut ouverte au monde
Loin de vouloir vivre en autarcie, ces moniales recherchent à multiplier les contacts et les interactions avec les différents acteurs locaux du monde agricoles, économiques ou touristiques… comme avec des institutions départementales, régionales, nationales et européennes afin de les aider, entre autre, à recueillir des financements. Fonds propres, crédits, subventions et dons divers constituent l’ensemble de leur capital économique.
Ces moniales ont impulsé plusieurs projets d’envergure et porté les plans de nouveaux ateliers de production de leur future exploitation. Elles ont sélectionné puis choisi des équipements agricoles les moins contraignant physiquement pour des femmes tout en étant performant mais sans courir après une agriculture trop high tech. Mélange de tradition et de modernité.
Le temps passant, peut-être plus vite que prévu dans cet espace particulier, je n’ai pas pu échanger plus en détail sur certains points évoqués ni en aborder de nouveaux. Ce sera peut-être pour une autre fois.
Je suis reparti sans rencontrer âme qui vive dans le village, jusqu’à ce que surgisse une moissonneuse qui rentrait de sa journée de travail, puis, à sa suite, un tracteur transportant une botte de foin. L’heure des entretiens et du travail agricole prenait fin en même temps.