• #Université, service public ou secteur productif ?

    L’#annonce d’une “vraie #révolution de l’Enseignement Supérieur et la Recherche” traduit le passage, organisé par un bloc hégémonique, d’un service public reposant sur des #carrières, des #programmes et des diplômes à l’imposition autoritaire d’un #modèle_productif, au détriment de la #profession.

    L’annonce d’une « #vraie_révolution » de l’Enseignement Supérieur et la Recherche (ESR) par Emmanuel Macron le 7 décembre, a pour objet, annonce-t-il, d’« ouvrir l’acte 2 de l’#autonomie et d’aller vers la #vraie_autonomie avec des vrais contrats pluriannuels où on a une #gouvernance qui est réformée » sans recours à la loi, avec un agenda sur dix-huit mois et sans modifications de la trajectoire budgétaire. Le président sera accompagné par un #Conseil_présidentiel_de_la_science, composé de scientifiques ayant tous les gages de reconnaissance, mais sans avoir de lien aux instances professionnelles élues des personnels concernés. Ce Conseil pilotera la mise en œuvre de cette « révolution », à savoir transformer les universités, en s’appuyant sur celles composant un bloc d’#excellence, et réduire le #CNRS en une #agence_de_moyen. Les composantes de cette grande transformation déjà engagée sont connues. Elle se fera sans, voire contre, la profession qui était auparavant centrale. Notre objet ici n’est ni de la commenter, ni d’en reprendre l’historique (Voir Charle 2021).

    Nous en proposons un éclairage mésoéconomique que ne perçoit ni la perspective macroéconomique qui pense à partir des agrégats, des valeurs d’ensemble ni l’analyse microéconomique qui part de l’agent et de son action individuelle. Penser en termes de mésoéconomie permet de qualifier d’autres logiques, d’autres organisations, et notamment de voir comment les dynamiques d’ensemble affectent sans déterminisme ce qui s’organise à l’échelle méso, et comment les actions d’acteurs structurent, elles aussi, les dynamiques méso.

    La transformation de la régulation administrée du #système_éducatif, dont nombre de règles perdurent, et l’émergence d’une #régulation_néolibérale de l’ESR, qui érode ces règles, procède par trois canaux : transformation du #travail et des modalités de construction des #carrières ; mise en #concurrence des établissements ; projection dans l’avenir du bloc hégémonique (i.e. les nouveaux managers). L’action de ces trois canaux forment une configuration nouvelle pour l’ESR qui devient un secteur de production, remodelant le système éducatif hier porté par l’État social. Il s’agissait de reproduire la population qualifiée sous l’égide de l’État. Aujourd’hui, nous sommes dans une nouvelle phase du #capitalisme, et cette reproduction est arrimée à l’accumulation du capital dans la perspective de #rentabilisation des #connaissances et de contrôle des professionnels qui l’assurent.

    Le couplage de l’évolution du système d’ESR avec la dynamique de l’#accumulation, constitue une nouvelle articulation avec le régime macro. Cela engendre toutefois des #contradictions majeures qui forment les conditions d’une #dégradation rapide de l’ESR.

    Co-construction historique du système éducatif français par les enseignants et l’État

    Depuis la Révolution française, le système éducatif français s’est déployé sur la base d’une régulation administrée, endogène, co-construite par le corps enseignant et l’État ; la profession en assumant de fait la charge déléguée par l’État (Musselin, 2022). Historiquement, elle a permis la croissance des niveaux d’éducation successifs par de la dépense publique (Michel, 2002). L’allongement historique de la scolarité (fig.1) a permis de façonner la force de travail, facteur décisif des gains de productivité au cœur de la croissance industrielle passée. L’éducation, et progressivement l’ESR, jouent un rôle structurant dans la reproduction de la force de travail et plus largement de la reproduction de la société - stratifications sociales incluses.

    À la fin des années 1960, l’expansion du secondaire se poursuit dans un contexte où la détention de diplômes devient un avantage pour s’insérer dans l’emploi. D’abord pour la bourgeoisie. La massification du supérieur intervient après les années 1980. C’est un phénomène décisif, visible dès les années 1970. Rapidement cela va télescoper une période d’austérité budgétaire. Au cours des années 2000, le pilotage de l’université, basé jusque-là sur l’ensemble du système éducatif et piloté par la profession (pour une version détaillée), s’est effacé au profit d’un pilotage pour et par la recherche, en lien étroit avec le régime d’accumulation financiarisé dans les pays de l’OCDE. Dans ce cadre, l’activité économique est orientée par l’extraction de la valeur financière, c’est à dire principalement par les marchés de capitaux et non par l’activité productive (Voir notamment Clévenot 2008).
    L’ESR : formation d’un secteur productif orienté par la recherche

    La #massification du supérieur rencontre rapidement plusieurs obstacles. Les effectifs étudiants progressent plus vite que ceux des encadrants (Piketty met à jour un graphique révélateur), ce qui entrave la qualité de la formation. La baisse du #taux_d’encadrement déclenche une phase de diminution de la dépense moyenne, car dans l’ESR le travail est un quasi-coût fixe ; avant que ce ne soit pour cette raison les statuts et donc la rémunération du travail qui soient visés. Ceci alors que pourtant il y a une corrélation étroite entre taux d’encadrement et #qualité_de_l’emploi. L’INSEE montre ainsi que le diplôme est un facteur d’amélioration de la productivité, alors que la productivité plonge en France (voir Aussilloux et al. (2020) et Guadalupe et al. 2022).

    Par ailleurs, la massification entraine une demande de différenciation de la part les classes dominantes qui perçoivent le #diplôme comme un des instruments de la reproduction stratifiée de la population. C’est ainsi qu’elles se détournent largement des filières et des établissements massifiés, qui n’assurent plus la fonction de « distinction » (voir le cas exemplaire des effectifs des #écoles_de_commerce et #grandes_écoles).

    Dans le même temps la dynamique de l’accumulation suppose une population formée par l’ESR (i.e. un niveau de diplomation croissant). Cela se traduit par l’insistance des entreprises à définir elles-mêmes les formations supérieures (i.e. à demander des salariés immédiatement aptes à une activité productive, spécialisés). En effet la connaissance, incorporée par les travailleurs, est devenue un actif stratégique majeur pour les entreprises.

    C’est là qu’apparaît une rupture dans l’ESR. Cette rupture est celle de la remise en cause d’un #service_public dont l’organisation est administrée, et dont le pouvoir sur les carrières des personnels, sur la définition des programmes et des diplômes, sur la direction des établissements etc. s’estompe, au profit d’une organisation qui revêt des formes d’un #secteur_productif.

    Depuis la #LRU (2007) puis la #LPR (2020) et la vague qui s’annonce, on peut identifier plusieurs lignes de #transformation, la #mise_en_concurrence conduisant à une adaptation des personnels et des établissements. Au premier titre se trouvent les instruments de #pilotage par la #performance et l’#évaluation. À cela s’ajoute la concurrence entre établissements pour l’#accès_aux_financements (type #Idex, #PIA etc.), aux meilleures candidatures étudiantes, aux #labels et la concurrence entre les personnels, pour l’accès aux #dotations (cf. agences de programmes, type #ANR, #ERC) et l’accès aux des postes de titulaires. Enfin le pouvoir accru des hiérarchies, s’exerce aux dépens de la #collégialité.

    La généralisation de l’évaluation et de la #sélection permanente s’opère au moyen d’#indicateurs permettant de classer. Gingras évoque une #Fièvre_de_l’évaluation, qui devient une référence définissant des #standards_de_qualité, utilisés pour distribuer des ressources réduites. Il y a là un instrument de #discipline agissant sur les #conduites_individuelles (voir Clémentine Gozlan). L’important mouvement de #fusion des universités est ainsi lié à la recherche d’un registre de performance déconnecté de l’activité courante de formation (être université de rang mondial ou d’université de recherche), cela condensé sous la menace du #classement_de_Shanghai, pourtant créé dans un tout autre but.

    La remise en question du caractère national des diplômes, revenant sur les compromis forgés dans le temps long entre les professions et l’État (Kouamé et al. 2023), quant à elle, assoit la mise en concurrence des établissements qui dépossède en retour la profession au profit des directions d’établissement.

    La dynamique de #mise_en_concurrence par les instruments transforme les carrières et la relation d’#emploi, qui reposaient sur une norme commune, administrée par des instances élues, non sans conflit. Cela fonctionne par des instruments, au sens de Lascoumes et Legalès, mais aussi parce que les acteurs les utilisent. Le discours du 7 décembre est éloquent à propos de la transformation des #statuts pour assurer le #pilotage_stratégique non par la profession mais par des directions d’établissements :

    "Et moi, je souhaite que les universités qui y sont prêtes et qui le veulent fassent des propositions les plus audacieuses et permettent de gérer la #ressource_humaine (…) la ministre m’a interdit de prononcer le mot statut. (…) Donc je n’ai pas dit qu’on allait réformer les statuts (…) moi, je vous invite très sincèrement, vous êtes beaucoup plus intelligents que moi, tous dans cette salle, à les changer vous-mêmes."

    La démarche est caractéristique du #new_management_public : une norme centrale formulée sur le registre non discutable d’une prétérition qui renvoie aux personnes concernées, celles-là même qui la refuse, l’injonction de s’amputer (Bechtold-Rognon & Lamarche, 2011).

    Une des clés est le transfert de gestion des personnels aux établissements alors autonomes : les carrières, mais aussi la #gouvernance, échappent progressivement aux instances professionnelles élues. Il y a un processus de mise aux normes du travail de recherche, chercheurs/chercheuses constituant une main d’œuvre qui est atypique en termes de formation, de types de production fortement marqués par l’incertitude, de difficulté à en évaluer la productivité en particulier à court terme. Ce processus est un marqueur de la transformation qui opère, à savoir, un processus de transformation en un secteur. La #pénurie de moyen public est un puissant levier pour que les directions d’établissement acceptent les #règles_dérogatoires (cf. nouveaux contrats de non titulaires ainsi que les rapports qui ont proposé de spécialiser voire de moduler des services).

    On a pu observer depuis la LRU et de façon active depuis la LPR, à la #destruction régulière du #compromis_social noué entre l’État social et le monde enseignant. La perte spectaculaire de #pouvoir_d’achat des universitaires, qui remonte plus loin historiquement, en est l’un des signaux de fond. Il sera progressivement articulé avec l’éclatement de la relation d’emploi (diminution de la part de l’emploi sous statut, #dévalorisation_du_travail etc.).

    Arrimer l’ESR au #régime_d’accumulation, une visée utilitariste

    L’État est un acteur essentiel dans l’émergence de la production de connaissance, hier comme commun, désormais comme résultat, ou produit, d’un secteur productif. En dérégulant l’ESR, le principal appareil de cette production, l’État délaisse la priorité accordée à la montée de la qualification de la population active, au profit d’un #pilotage_par_la_recherche. Ce faisant, il radicalise des dualités anciennes entre système éducatif pour l’élite et pour la masse, entre recherche utile à l’industrie et recherche vue comme activité intellectuelle (cf. la place des SHS), etc.

    La croissance des effectifs étudiants sur une période assez longue, s’est faite à moyens constants avec des effectifs titulaires qui ne permettent pas de maintenir la qualité du travail de formation (cf. figure 2). L’existence de gisements de productivité supposés, à savoir d’une partie de temps de travail des enseignants-chercheurs inutilisé, a conduit à une pénurie de poste et à une recomposition de l’emploi : alourdissement des tâches des personnels statutaires pour un #temps_de_travail identique et développement de l’#emploi_hors_statut. Carpentier & Picard ont récemment montré, qu’en France comme ailleurs, le recours au #précariat s’est généralisé, participant par ce fait même à l’effritement du #corps_professionnel qui n’a plus été à même d’assurer ni sa reproduction ni ses missions de formation.

    C’est le résultat de l’évolution longue. L’#enseignement est la part délaissée, et les étudiants et étudiantes ne sont plus au cœur des #politiques_universitaires : ni par la #dotation accordée par étudiant, ni pour ce qui structure la carrière des universitaires (rythmée par des enjeux de recherche), et encore moins pour les dotations complémentaires (associées à une excellence en recherche). Ce mouvement se met toutefois en œuvre en dehors de la formation des élites qui passent en France majoritairement par les grandes écoles (Charle et Soulié, 2015). Dès lors que les étudiants cessaient d’être le principe organisateur de l’ESR dans les universités, la #recherche pouvait s’y substituer. Cela intervient avec une nouvelle convention de qualité de la recherche. La mise en œuvre de ce principe concurrentiel, initialement limité au financement sur projets, a été élargie à la régulation des carrières.

    La connaissance, et de façon concrète le niveau de diplôme des salariés, est devenu une clé de la compétitivité, voire, pour les gouvernements, de la perspective de croissance. Alors que le travail de recherche tend à devenir une compétence générale du travail qualifié, son rôle croissant dans le régime d’accumulation pousse à la transformation du rapport social de travail de l’ESR.

    C’est à partir du système d’#innovation, en ce que la recherche permet de produire des actifs de production, que l’appariement entre recherche et profit participe d’une dynamique nouvelle du régime d’accumulation.

    Cette dynamique est pilotée par l’évolution jointe du #capitalisme_financiarisé (primauté du profit actionnarial sur le profit industriel) et du capitalisme intensif en connaissance. Les profits futurs des entreprises, incertains, sont liés d’une part aux investissements présents, dont le coût élevé repose sur la financiarisation tout en l’accélérant, et d’autre part au travail de recherche, dont le contrôle échappe au régime historique de croissance de la productivité. La diffusion des compétences du travail de recherche, avec la montée des qualifications des travailleurs, et l’accumulation de connaissances sur lequel il repose, deviennent primordiaux, faisant surgir la transformation du contenu du travail par l’élévation de sa qualité dans une division du travail qui vise pourtant à l’économiser. Cela engendre une forte tension sur la production des savoirs et les systèmes de transmission du savoir qui les traduisent en connaissances et compétences.

    Le travail de recherche devenant une compétence stratégique du travail dans tous les secteurs d’activité, les questions posées au secteur de recherche en termes de mesure de l’#efficacité deviennent des questions générales. L’enjeu en est l’adoption d’une norme d’évaluation que les marchés soient capables de faire circuler parmi les secteurs et les activités consommatrices de connaissances.

    Un régime face à ses contradictions

    Cette transformation de la recherche en un secteur, arrimé au régime d’accumulation, suppose un nouveau compromis institutionnalisé. Mais, menée par une politique néolibérale, elle se heurte à plusieurs contradictions majeures qui détruisent les conditions de sa stabilisation sans que les principes d’une régulation propre ne parviennent à émerger.

    Quand la normalisation du travail de recherche dévalorise l’activité et les personnels

    Durant la longue période de régulation administrée, le travail de recherche a associé le principe de #liberté_académique à l’emploi à statut. L’accomplissement de ce travail a été considéré comme incompatible avec une prise en charge par le marché, ce dernier n’étant pas estimé en capacité de former un signal prix sur les services attachés à ce type de travail. Ainsi, la production de connaissance est un travail entre pairs, rattachés à des collectifs productifs. Son caractère incertain, la possibilité de l’erreur sont inscrits dans le statut ainsi que la définition de la mission (produire des connaissances pour la société, même si son accaparement privé par la bourgeoisie est structurel). La qualité de l’emploi, notamment via les statuts, a été la clé de la #régulation_professionnelle. Avec la #mise_en_concurrence_généralisée (entre établissements, entre laboratoires, entre Universités et grandes écoles, entre les personnels), le compromis productif entre les individus et les collectifs de travail est rompu, car la concurrence fait émerger la figure du #chercheur_entrepreneur, concerné par la #rentabilisation des résultats de sa recherche, via la #valorisation sous forme de #propriété_intellectuelle, voire la création de #start-up devenu objectifs de nombre d’université et du CNRS.

    La réponse publique à la #dévalorisation_salariale évoquée plus haut, passe par une construction différenciée de la #rémunération, qui rompt le compromis incarné par les emplois à statut. Le gel des rémunérations s’accompagne d’une individualisation croissante des salaires, l’accès aux ressources étant largement subordonné à l’adhésion aux dispositifs de mise en concurrence. La grille des rémunérations statutaires perd ainsi progressivement tout pouvoir organisationnel du travail. Le rétrécissement de la possibilité de travailler hors financements sur projet est indissociable du recours à du #travail_précaire. La profession a été dépossédée de sa capacité à défendre son statut et l’évolution des rémunérations, elle est inopérante à faire face à son dépècement par le bloc minoritaire.

    La contradiction intervient avec les dispositifs de concurrence qui tirent les instruments de la régulation professionnelle vers une mise aux normes marchandes pour une partie de la communauté par une autre. Ce mouvement est rendu possible par le décrochage de la rémunération du travail : le niveau de rémunération d’entrée dans la carrière pour les maîtres de conférences est ainsi passé de 2,4 SMIC dans les années 1980 à 1,24 aujourd’hui.

    Là où le statut exprimait l’impossibilité d’attacher une valeur au travail de recherche hors reconnaissance collective, il tend à devenir un travail individualisable dont le prix sélectionne les usages et les contenus. Cette transformation du travail affecte durablement ce que produit l’université.

    Produire de l’innovation et non de la connaissance comme communs

    Durant la période administrée, c’est sous l’égide de la profession que la recherche était conduite. Définissant la valeur de la connaissance, l’action collective des personnels, ratifiée par l’action publique, pose le caractère non rival de l’activité. La possibilité pour un résultat de recherche d’être utilisé par d’autres sans coût de production supplémentaire était un gage d’efficacité. Les passerelles entre recherche et innovation étaient nombreuses, accordant des droits d’exploitation, notamment à l’industrie. Dans ce cadre, le lien recherche-profit ou recherche-utilité économique, sans être ignoré, ne primait pas. Ainsi, la communauté professionnelle et les conditions de sa mise au travail correspondait à la nature de ce qui était alors produit, à savoir les connaissances comme commun. Le financement public de la recherche concordait alors avec la nature non rivale et l’incertitude radicale de (l’utilité de) ce qui est produit.

    La connaissance étant devenue un actif stratégique, sa valorisation par le marché s’est imposée comme instrument d’orientation de la recherche. Finalement dans un régime d’apparence libérale, la conduite politique est forte, c’est d’ailleurs propre d’un régime néolibéral tel que décrit notamment par Amable & Palombarini (2018). Les #appels_à_projet sélectionnent les recherches susceptibles de #valorisation_économique. Là où la #publication fait circuler les connaissances et valide le caractère non rival du produit, les classements des publications ont pour objet de trier les résultats. La priorité donnée à la protection du résultat par la propriété intellectuelle achève le processus de signalement de la bonne recherche, rompant son caractère non rival. La #rivalité exacerbe l’effectivité de l’exclusion par les prix, dont le niveau est en rapport avec les profits anticipés.

    Dans ce contexte, le positionnement des entreprises au plus près des chercheurs publics conduit à une adaptation de l’appareil de production de l’ESR, en créant des lieux (#incubateurs) qui établissent et affinent l’appariement recherche / entreprise et la #transférabilité à la #valorisation_marchande. La hiérarchisation des domaines de recherche, des communautés entre elles et en leur sein est alors inévitable. Dans ce processus, le #financement_public, qui continue d’endosser les coûts irrécouvrables de l’incertitude, opère comme un instrument de sélection et d’orientation qui autorise la mise sous contrôle de la sphère publique. L’ESR est ainsi mobilisée par l’accumulation, en voyant son autonomie (sa capacité à se réguler, à orienter les recherches) se réduire. L’incitation à la propriété intellectuelle sur les résultats de la recherche à des fins de mise en marché est un dispositif qui assure cet arrimage à l’accumulation.

    Le caractère appropriable de la recherche, devenant essentiel pour la légitimation de l’activité, internalise une forme de consentement de la communauté à la perte du contrôle des connaissances scientifiques, forme de garantie de sa circulation. Cette rupture de la non-rivalité constitue un coût collectif pour la société que les communautés scientifiques ne parviennent pas à rendre visible. De la même manière, le partage des connaissances comme principe d’efficacité par les externalités positives qu’il génère n’est pas perçu comme un principe alternatif d’efficacité. Chemin faisant, une recherche à caractère universel, régulée par des communautés, disparait au profit d’un appareil sous doté, orienté vers une utilité de court terme, relayé par la puissance publique elle-même.

    Un bloc hégémonique réduit, contre la collégialité universitaire

    En tant que mode de gouvernance, la collégialité universitaire a garanti la participation, et de fait la mobilisation des personnels, car ce n’est pas la stimulation des rémunérations qui a produit l’#engagement. Les collectifs de travail s’étaient dotés d’objectifs communs et s’étaient accordés sur la #transmission_des_savoirs et les critères de la #validation_scientifique. La #collégialité_universitaire en lien à la définition des savoirs légitimes a été la clé de la gouvernance publique. Il est indispensable de rappeler la continuité régulatrice entre liberté académique et organisation professionnelle qui rend possible le travail de recherche et en même temps le contrôle des usages de ses produits.

    Alors que l’université doit faire face à une masse d’étudiants, elle est évaluée et ses dotations sont accordées sur la base d’une activité de recherche, ce qui produit une contradiction majeure qui affecte les universités, mais pas toutes. Il s’effectue un processus de #différenciation_territoriale, avec une masse d’établissements en souffrance et un petit nombre qui a été retenu pour former l’élite. Les travaux de géographes sur les #inégalités_territoriales montrent la très forte concentration sur quelques pôles laissant des déserts en matière de recherche. Ainsi se renforce une dualité entre des universités portées vers des stratégies d’#élite et d’autres conduites à accepter une #secondarisation_du_supérieur. Une forme de hiatus entre les besoins technologiques et scientifiques massifs et le #décrochage_éducatif commence à être diagnostiquée.

    La sectorisation de l’ESR, et le pouvoir pris par un bloc hégémonique réduit auquel participent certaines universités dans l’espoir de ne pas être reléguées, ont procédé par l’appropriation de prérogatives de plus en plus larges sur les carrières, sur la valorisation de la recherche et la propriété intellectuelle, de ce qui était un commun de la recherche. En cela, les dispositifs d’excellence ont joué un rôle marquant d’affectation de moyens par une partie étroite de la profession. De cette manière, ce bloc capte des prébendes, assoit son pouvoir par la formation des normes concurrentielles qu’il contrôle et développe un rôle asymétrique sur les carrières par son rôle dominant dans l’affectation de reconnaissance professionnelle individualisée, en contournant les instances professionnelles. Il y a là création de nouveaux périmètres par la norme, et la profession dans son ensemble n’a plus grande prise, elle est mise à distance des critères qui servent à son nouveau fonctionnement et à la mesure de la performance.

    Les dispositifs mis en place au nom de l’#excellence_scientifique sont des instruments pour ceux qui peuvent s’en emparer et définissant les critères de sélection selon leur représentation, exercent une domination concurrentielle en sélectionnant les élites futures. Il est alors essentiel d’intégrer les Clubs qui en seront issus. Il y a là une #sociologie_des_élites à préciser sur la construction d’#UDICE, club des 10 universités dites d’excellence. L’évaluation de la performance détermine gagnants et perdants, via des labels, qui couronnent des processus de sélection, et assoit le pouvoir oligopolistique et les élites qui l’ont porté, souvent contre la masse de la profession (Musselin, 2017).

    Le jeu des acteurs dominants, en lien étroit avec le pouvoir politique qui les reconnait et les renforce dans cette position, au moyen d’instruments de #rationalisation de l’allocation de moyens pénuriques permet de définir un nouvel espace pour ceux-ci, ségrégué du reste de l’ESR, démarche qui est justifié par son arrimage au régime d’accumulation. Ce processus s’achève avec une forme de séparatisme du nouveau bloc hégémonique composé par ces managers de l’ESR, composante minoritaire qui correspond d’une certaine mesure au bloc bourgeois. Celles- et ceux-là même qui applaudissent le discours présidentiel annonçant la révolution dont un petit fragment tirera du feu peu de marrons, mais qui seront sans doute pour eux très lucratifs. Toutefois le scénario ainsi décrit dans sa tendance contradictoire pour ne pas dire délétère ne doit pas faire oublier que les communautés scientifiques perdurent, même si elles souffrent. La trajectoire choisie de sectorisation déstabilise l’ESR sans ouvrir d’espace pour un compromis ni avec les personnels ni pour la formation. En l’état, les conditions d’émergence d’un nouveau régime pour l’ESR, reliant son fonctionnement et sa visée pour la société ne sont pas réunies, en particulier parce que la #rupture se fait contre la profession et que c’est pourtant elle qui reste au cœur de la production.

    https://laviedesidees.fr/Universite-service-public-ou-secteur-productif
    #ESR #facs #souffrance

  • « Affirmer que la #transition_énergétique est impossible, c’est le meilleur moyen de ne jamais l’engager »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/01/22/affirmer-que-la-transition-energetique-est-impossible-c-est-le-meilleur-moye

    Partant du double constat selon lequel il n’y a jamais eu, par le passé, de remplacement d’une source d’énergie par une autre ; et que les transformations énergétiques se sont toujours faites de manière additive (les énergies s’ajoutant les unes aux autres), certains historiens en déduisent, à tort selon nous, qu’il n’y aurait aucun horizon pour une sortie des fossiles. Cette sortie des fossiles (le « transitioning away from fossil fuels », dans le langage forgé à la COP28) serait donc condamnée par avance.

    Tel est le message récurrent de Jean-Baptiste Fressoz [chroniqueur au Monde] notamment, dans ses ouvrages ou tribunes, qui visent toutes à réfuter ce qu’il considère comme « la fausse promesse de la transition ».

    Or, ce déclinisme écologique est non seulement grandement infondé, mais également de nature à plomber les ambitions dans la lutte contre le changement climatique. Affirmer que la transition est impossible, c’est le meilleur moyen de ne jamais l’engager. A rebours de ce défaitisme, nous voulons ici affirmer, avec force, qu’il est possible de réussir cette transition.

    Certes, à l’exception des années de crise – financière en 2008-2009, sanitaire en 2020-2021 –, les émissions de CO2 n’ont jamais cessé d’augmenter, bien que sur un rythme ralenti, d’environ + 1 % annuel au cours des années 2010, contre + 3 % annuels dans les années 2000. Car, dans le même temps, la population mondiale continuait à augmenter, tout comme la satisfaction des besoins énergétiques d’une part croissante de cette population.

    Pourtant le désempilement des énergies a déjà lieu dans certaines régions du monde : c’est le cas en Europe, par exemple, qui a engagé sa transition énergétique. Parallèlement, des acteurs de plus en plus nombreux – Etats, entreprises, chercheurs, citoyens – intègrent aujourd’hui la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre dans leurs stratégies et comportements. L’ambition n’est pas encore assez affirmée, la mise en œuvre des transformations pas assez rapide et efficace, mais le mouvement est enclenché. Comment l’ignorer ?

    Sobriété, efficacité et investissements
    Le 11 janvier, Fatih Birol, directeur de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), indiquait que les capacités installées dans l’année en énergies renouvelables avaient augmenté de 50 % entre 2022 et 2023. Pour la part des renouvelables dans la production d’électricité, l’AIE attend le passage de 29 % à 42 % en 2028 (de 12 % à 25 % pour les seules énergies éolienne et solaire). Depuis 1975, le prix des panneaux photovoltaïques est passé de 100 dollars par watt à moins de 0,5 dollar par watt aujourd’hui, soit une réduction de 20 % du coût pour chaque doublement des capacités installées ; c’est la mesure du taux d’apprentissage de la technologie. Et alors que la question du stockage de l’électricité devient de plus en plus cruciale, on constate le même taux d’apprentissage pour les batteries : depuis 1992, chaque fois que double le nombre de batteries produites, leur coût diminue de 18 %.

    Il est clair que ces progrès spectaculaires ne contredisent pas la thèse de l’additivité des énergies : si depuis 2016 les investissements dans les énergies décarbonées dépassent largement les investissements dans les énergies fossiles, ces derniers ont à nouveau augmenté après la baisse de 2020. Et la sortie des fossiles ne se vérifiera vraiment que le jour où l’augmentation de la production d’énergie décarbonée sera supérieure en volume à celle de la consommation totale d’énergie.

    Pour atteindre cet objectif, sobriété et efficacité énergétique sont indispensables afin de maîtriser la croissance de la demande. Mais il est également évident que sobriété et efficacité ne suffiront pas. Pour atteindre le plafonnement des émissions avant 2030, il faudra décupler les investissements dans ces énergies décarbonées, et notamment dans les pays du Sud, afin de faire baisser le volume des énergies fossiles : c’est la condition sine qua non pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris. Nous sommes conscients qu’il s’agit d’un processus long et difficile, mais osons le dire : il n’y a pas d’autre solution, et nous pouvons y arriver.

    De nouvelles alliances s’imposent
    Serions-nous condamnés par l’histoire ? Faut-il prendre acte de notre impuissance supposée, ou poser un renversement complet du système comme condition préalable à la transition ? Dans les deux cas, cela serait très risqué, et franchement irresponsable.

    Car il n’y a pas de fatalité ! On trouve sur le site du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) une citation d’Albert Camus : « Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prédire, mais de le faire. » C’est dans cette perspective que s’inscrivent tous les acteurs des COP et des négociations internationales – que certains stigmatisent comme un « grand cirque » –, pour qui « dire, c’est faire ».

    Evidemment, dire ne suffit pas, et il faut aussi mobiliser des moyens puissants, politiques et financiers. Il faut également affronter ceux – lobbys industriels et politiques – qui, par fatalisme ou par intérêt, freinent cette transformation. Enfin, comme le suggère le philosophe Pierre Charbonnier, la création de nouvelles alliances s’impose entre ceux qui ont compris que la transition servait leurs intérêts, et surtout ceux de leurs enfants.

    La démarche des sciences de la nature et de la physique consiste à s’appuyer sur des constats d’observation pour en tirer des lois immuables. Elle s’applique mal cependant aux sciences sociales. Mais ces obstacles ne doivent pas empêcher de penser l’avenir, à la manière de Gaston Berger, le père de la prospective, qui ne cessait de rappeler : « Demain ne sera pas comme hier. Il sera nouveau et il dépendra de nous. Il est moins à découvrir qu’à inventer. »

    Signataires : Anna Creti, économiste, chaire Economie du climat, université Paris-Dauphine ; Patrick Criqui, économiste, CNRS, université Grenoble-Alpes ; Michel Derdevet, président de Confrontations Europe, Sciences Po ; François Gemenne, politiste, HEC Paris ; Emmanuel Hache, économiste, IFP énergies nouvelles et Institut de relations internationales et stratégiques ; Carine Sebi, économiste, chaire Energy for Society, Grenoble Ecole de Management.

  • Gaza: A Ghastly Window into the Crisis of Global Capitalism - The Philosophical Salon
    https://thephilosophicalsalon.com/gaza-a-ghastly-window-into-the-crisis-of-global-capitalism

    As the world watches in horror over the mounting death toll of Palestinian civilians and Israel faces charges before the International Court of Justice for the Crime of Genocide, the carnage in Gaza gives us a ghastly window into the rapidly escalating crisis of global capitalism. Connecting the dots from the merciless Israeli destruction of Gaza to this global crisis requires that we step back to bring into focus the big picture. Global capitalism faces a structural crisis of overaccumulation and chronic stagnation. But the ruling groups also face a political crisis of state legitimacy, capitalist hegemony, and widespread social disintegration, an international crisis of geopolitical confrontation, and an ecological crisis of epochal proportions.

    Global corporate and political elites are in a drunkard’s hangover from the world capitalist boom of the late twentieth and early twenty-first centuries. They have had to acknowledge that the crisis is out of control. In its 2023 Global Risk Report, the World Economic Forum warned that the world confronts a “polycrisis” involving escalating economic, political, social, and climactic impacts that “are converging to shape a unique, uncertain and turbulent decade to come.” The Davos elite may be clueless as to how to resolve the crisis but other factions of the ruling groups are experimenting with how to mold interminable political chaos and financial instability into a new and more deadly phase of global capitalism.

    Traduction disponible ici : http://dndf.org/?p=21248#more-21248

    #accumulation_capitaliste #génocides #barbarie #surnuméraires (élimination des)

  • Transition énergétique : pour Agnès Pannier-Runacher, « la transformation à engager est d’une ampleur comparable à celle de la première révolution industrielle »
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/11/21/transition-energetique-pour-agnes-pannier-runacher-la-transformation-a-engag

    Transition énergétique : pour Agnès Pannier-Runacher, « la transformation à engager est d’une ampleur comparable à celle de la première révolution industrielle »

    Pour qui voulait encore en douter, une preuve supplémentaire que le capitalisme est à la recherche de sa sauvegarde à travers la "transition énergétique" (qui succède bien entendu au "développement durable" en attendant la prochaine trouvaille des élites dirigeantes). Où est la prochaine source d’accumulation, viiiiite !

    Pannier-Runacher, si parfait exemple de la déconnexion des hauts fonctionnaires avec le monde réel.

    #capitalisme #accumulation #panique (on la sent un peu quand même)
    #paywall (mais en fait à ce stade je crois bien que je m’en fous)

    • Ah mais non, pas question : tu vas boire le calice jusqu’à la lie. Et pouvoir t’endormir en rêvant de voitures électriques (qui consommeront moins de carburant) pilotées par Agnès Pannier-Nulle-à-chier qui fera rien qu’à demander gentiment à Patrick Pouyanné d’éviter de produire davantage d’hydrocarbures à l’horizon 2030.
      On ne saurait trop conseiller à la ministre (de la trahison énergétique) de se déguiser en éolienne : cela lui donnera un prétexte pour pouvoir continuer à brasser du vent.

      https://justpaste.it/apdke

      Ah mais tiens, ça me revient : on lui dit aussi de rapatrier les avoirs qu’elle détient dans des établissements financiers de Guernesey, de Hong Kong et de l’état américain du Delaware et de nous raconter une belle histoire de décarbonation ?

      https://disclose.ngo/fr/article/petrole-et-paradis-fiscaux-les-interets-caches-de-la-ministre-de-la-transi

      ♫♪ Perenco, raconte-nous histoire. Perenco, raconte-nous une histoire ...♪♫

  • Le capitalisme : un système économique à l’agonie, un ordre social à renverser

    Cercle Léon Trotsky n°159 (22 février 2019)

    Le texte : https://www.lutte-ouvriere.org/publications/brochures/le-capitalisme-un-systeme-economique-lagonie-un-ordre-social-renvers

    Sommaire :

    La dynamique du capitalisme… et ses contradictions
    – Le travail humain, source de la valeur ajoutée
    – Le secret du #capital
    – La #reproduction_du_capital et ses #contradictions
    – La baisse du #taux_de_profit
    – Le capital, un produit collectif
    – La révolution sociale, une nécessité
    – L’#accumulation_du_capital… et de ses contradictions
    – Sans révolution sociale, la putréfaction continue

    Le #capitalisme aujourd’hui
    – Une courte phase de reconstitution des forces productives
    – Un #taux_de_profit restauré au détriment des travailleurs
    – La financiarisation de l’économie
    – La politique des banques centrales
    – L’#endettement général de la société… et ses conséquences
    – La #finance draine la plus-value créée dans la production
    – La flambée de la bourse et les #Gafam
    – La faiblesse des #investissements productifs
    – Baisse de la #productivité du travail
    – L’#intelligence_artificielle (#IA) et la fin du travail ?
    – La #Chine, moteur de la croissance mondiale ?
    – L’#informatique, nouvelle révolution industrielle ?

    La #révolution_sociale, seule voie pour sortir de l’impasse
    – Les forces productives sont plus que mûres pour le #socialisme
    – Réimplanter une #conscience_de_classe, reconstruire des partis révolutionnaires

    #lutte_de_classe #parti_ouvrier #parti_révolutionnaire #communisme #classe_ouvrière

  • Ralentir ou périr. L’#économie de la #décroissance

    Loin d’être le remède miracle aux crises auxquelles nous faisons face, la croissance économique en est la cause première. Derrière ce phénomène mystérieux qui déchaine les passions, il y a tout un #système_économique qu’il est urgent de transformer.

    Dans cet essai d’économie accessible à tous, #Timothée_Parrique vient déconstruire l’une des plus grandes mythologies contemporaines : la poursuite de la #croissance. Nous n’avons pas besoin de produire plus pour atténuer le #changement_climatique, éradiquer la #pauvreté, réduire les #inégalités, créer de l’#emploi, financer les #services_publics, ou améliorer notre #qualité_de_vie. Au contraire, cette obsession moderne pour l’#accumulation est un frein au #progrès_social et un accélérateur de l’#effondrement écologique.

    Entre produire plus, et polluer moins, il va falloir choisir. Choix facile car une économie peut tout à fait prospérer sans croissance, à condition de repenser complètement son organisation.

    C’est le projet de ce livre. Explorer le chemin de #transition vers une économie de la #post-croissance.

    https://www.seuil.com/ouvrage/ralentir-ou-perir-timothee-parrique/9782021508093

    #livre

    signalé aussi par @olivier_aubert ici :
    https://seenthis.net/messages/973364

  • Origine(s) de la #violence
    https://fr.unesco.org/courier/2020-1/origines-violence

    Le changement d’économie (de la prédation à la production), qui très tôt engendra un changement radical des structures sociales, semble avoir joué un rôle majeur dans le développement des conflits. Contrairement à l’exploitation des ressources sauvages, la production d’aliments permet l’option d’un surplus de nourriture qui a fait naître le concept de « propriété » et, par conséquent, l’apparition des inégalités. Très vite, les denrées stockées suscitèrent des convoitises et provoquèrent des luttes internes mais aussi, butins potentiels, des conflits entre communautés.

    Comme en témoigne, au cours du néolithique, l’émergence en Europe des figures du chef et du guerrier (visibles dans l’art rupestre et les sépultures), ce changement d’économie a également entraîné une hiérarchisation au sein des sociétés agropastorales avec l’apparition d’une élite et de castes, dont celle des guerriers et son corollaire, celle des esclaves nécessaires notamment aux travaux agricoles. De plus, l’apparition d’une élite avec ses intérêts et ses rivalités propres provoqua des luttes internes pour le pouvoir et des conflits intercommunautaires.

    Ce n’est qu’à partir de 5 500 ans avant notre ère, avec l’arrivée de nouveaux migrants, que les traces de conflits entre villages deviennent nettement plus fréquentes. Elles vont se multiplier à l’âge du bronze, qui débute 3 000 ans avant notre ère. C’est durant cette période, marquée par l’apparition de véritables armes de guerre en métal, que celle-ci s’institutionnalise.

    #propriété #accumulation #inégalités #hiérarchie

  • Deux démontages en règle du concept de "transition" extrêmement sourcés et chiffrés, comme toujours avec Jean-Baptiste Fressoz.

    Jean-Baptiste Fressoz, Pour une histoire des symbioses énergétiques et matérielles, 2021
    https://sniadecki.wordpress.com/2022/08/11/fressoz-symbioses

    Ces dernières années ont vu paraître de nombreux ouvrages portant sur l’histoire de l’énergie. On peut se réjouir de ce renouveau d’intérêt, on peut aussi regretter que ces ouvrages se soient placés sous la bannière de la « transition ». Avec l’urgence climatique, ce mot a acquis un tel prestige, une telle centralité, que les historiens en sont venus à l’employer pour décrire toutes sortes de processus, y compris ceux qui furent, à rigoureusement parler, des additions énergétiques

    Jean-Baptiste Fressoz, La « transition énergétique », de l’utopie atomique au déni climatique, 2022
    https://sniadecki.wordpress.com/2022/08/12/fressoz-utopie-atomique

    Cet article propose une généalogie de la « transition énergétique » aux États-Unis, après la seconde guerre mondiale. Comme s’est construite cette vision particulière du passé et du futur de l’énergie ? Quels experts l’ont portée ? Dans quel contexte politique, scientifique et industriel a-t-elle émergé ? Et quel rapport entretient-elle avec l’histoire de l’énergie ? En répondant à ces questions, cet article contribue à trois historiographies. La première est celle de la fabrique de l’ignorance ou « agnotologie ». Les campagnes climatosceptiques des compagnies pétrolières ont déjà été bien étudiées par les historiens des sciences [3] et je voudrais contribuer à cette question en décalant le regard. Je m’intéresse moins au climatoscepticisme stricto-sensu qu’à une forme plus subtile, plus acceptable et donc beaucoup plus générale de désinhibition face à la crise climatique : la futurologie de « la transition énergétique ». Or au sein de cette dernière, l’histoire, un certain type d’histoire de l’énergie, a joué et continue de jouer un rôle crucial.

    […]

    Cet article montre que si la notion de transition n’est pas un bon descripteur des transformations passées c’est tout simplement parce que ce n’était pas son but : l’idée ne vient pas d’une observation du passé, mais de l’anticipation du futur ; elle ne vient pas des historiens, mais du milieu de la prospective énergétique.

    Enfin, cet article propose une histoire – partielle car centrée sur la généalogie de la transition – d’un domaine encore peu exploré par les historiens : celui de la futurologie énergétique [10]. Il se base sur l’étude de rapports d’experts, de discours et de visualisations qui traitent à la fois du passé et du futur de l’énergie.

    #Jean-Baptiste_Fressoz #transition #énergie #Histoire #climat #écologie #nucléaire #accumulation #capitalisme

  • Le Covid-19, la #crise écologique et le « #capitalisme de catastrophe » – CONTRETEMPS
    https://www.contretemps.eu/covid19-capitalisme-catastrophe

    Depuis la fin du XXe siècle, la #mondialisation capitaliste a de plus en plus adopté la forme de chaînes de #marchandises interconnectées contrôlées par des sociétés transnationales, reliant diverses zones de production, principalement dans le « Sud global », avec un pic de la #consommation, de la #finance et de l’#accumulation mondiales, principalement dans le « Nord global ». Ces chaînes de marchandises constituent les principaux circuits matériels du capital à l’échelle mondiale qui constituent le phénomène de l’impérialisme tardif caractérisé par la montée du capital financier monopolistique généralisé.[1]

    Dans ce système, les #rentes impériales exorbitantes provenant du contrôle de la production mondiale sont obtenues non seulement par la domination/distribution (arbitrage) mondiale du #travail, par laquelle les transnationales ayant leur siège au centre du système surexploitent le travail industriel à la périphérie, mais aussi, de plus en plus, par l’arbitrage mondial des #terres, par lequel les transnationales de l’#agroalimentaire exproprient des terres (et de la main-d’œuvre) bon marché dans le Sud global afin de produire des cultures d’exportation destinées principalement à être vendues dans le Nord global[2].

  • Silvia Federici : « Le capitalisme est structurellement sexiste » par Olivier Doubre | Politis
    https://www.politis.fr/articles/2019/05/silvia-federici-le-capitalisme-est-structurellement-sexiste-40458

    Silvia Federici : Non, je ne peux pas dire cela ! J’ai beaucoup lu Marx et je considère qu’il est l’auteur absolument fondamental pour comprendre le #capitalisme jusqu’à aujourd’hui, ce système fondé sur l’exploitation du travail humain, le travail aliéné et le travail non payé. Je reconnais également sa contribution à la théorie féministe, avec sa conception de la nature humaine comme produit social et historique. J’admets tout cela, mais je demeure en désaccord avec lui sur bien des points. En particulier, le fait qu’il considère le capitalisme comme un mal nécessaire et que celui-ci aurait même une mission historique (par rapport aux périodes précédentes) de libération de l’humanité, avec le développement de l’industrie et de la productivité du travail. Mais je crois que cette conception s’est révélée ensuite tout à fait aveugle, puisqu’on sait aujourd’hui que l’industrialisation est en train de détruire la richesse sociale et non de produire la base matérielle d’une société plus juste.

    De même, la croyance de Marx dans le développement du capitalisme comme un facteur d’unification de la population mondiale et de nivellement des inégalités sociales est erronée : il n’a pas été capable de comprendre que le capitalisme est structurellement raciste et sexiste. Car il ne s’agit pas d’une ­anomalie ou d’une période temporaire lors d’une phase de son développement. Le capitalisme, ou plutôt l’accumulation capitaliste, est une accumulation de hiérarchies et d’inégalités intrinsèquement nécessaires à l’organisation et à la division du travail dans la production. Et celles-ci sont nécessaires au capitaliste pour son accumulation du travail non payé, qui n’existe pas seulement durant la journée de travail rémunérée. Car, au moyen du salaire qui fait vivre tout un foyer, le capitalisme parvient à mobiliser et à exploiter les non-salariés (dont les femmes sont une grande part) dans toute l’économie productive. Pour toutes ces raisons, je ne peux pas me définir comme marxiste !

  • Land Grabs Are Partly To Blame For Skyrocketing Violence In Central America | HuffPost
    https://www.huffpost.com/entry/landgrabs-central-america_b_586bf1a6e4b0eb58648abe1f

    onduras is not the only country where this is happening. Large corporations have been taking control of rural land in many parts of the world over the last decade. That access is sometimes lawful but other times shadowy, and it is sometimes accompanied by brutal armed conflict against unarmed peasants. Globally, land grabs accelerated in the mid-2000s, putting a large number of smallholders in crisis. Large foreign corporations joined in, and there have been killings and terrorizing of smallholders who fight back.

    #landgrabing #honduras #accumulation_primitive

  • Fêtes himalayennes, les derniers #Kalash

    L’exposition présente le peuple Kalash, une communauté vivant dans un rapport sacré à la nature au cœur de trois étroites vallées de l’#Himalaya, au nord-ouest du #Pakistan. Au nombre de trois mille, ces #éleveurs de chèvres et cultivateurs de céréales partagent leur territoire avec des esprits invisibles, des « fées ». Ils demeurent l’ultime société polythéiste de l’arc himalayen. D’un solstice à l’autre, les saisons se succèdent au fil du parcours, fidèle à la conception cyclique du temps des Kalash.

    #polythéisme
    http://www.museedesconfluences.fr/fr/evenements/f%C3%AAtes-himalayennes-les-derniers-kalash
    #exposition #musée_des_confluences #Lyon

    Je partage avec vous un petit extrait de l’expo :


    #richesse #course_au_prestige #prestige #se_ruiner #accumulation #surplus #distribution_des_richesses #fête #louanges #générosité #gadeirak #gouvernement #pouvoir #minorités

  • The Darker Side of Western Modernity: Global Futures, Decolonial Options

    During the Renaissance and the Enlightenment, coloniality emerged as a new structure of power as Europeans colonized the Americas and built on the ideas of Western civilization and modernity as the endpoints of historical time and Europe as the center of the world. Walter D. Mignolo argues that coloniality is the darker side of Western modernity, a complex matrix of power that has been created and controlled by Western men and institutions from the Renaissance, when it was driven by Christian theology, through the late twentieth century and the dictates of neoliberalism. This cycle of coloniality is coming to an end. Two main forces are challenging Western leadership in the early twenty-first century. One of these, dewesternization is an irreversible shift to the East in struggles over knowledge, economics, and politics. The second force is decoloniality Mignolo explains that decoloniality requires delinking from the colonial matrix of power underlying Western modernity to imagine and build global futures in which human beings and the natural world are no longer exploited in the relentless quest for wealth accumulation.


    https://www.dukeupress.edu/the-darker-side-of-western-modernity
    #colonialisme #colonisation #décolonialité #livre #Renaissance #Lumières #pouvoir #civilisation #modernité_occidentale #théologie_chrétienne #accumulation_des_richesses
    ping @reka

  • Interview avec Silvia Federici dans la Wochenzeitung :
    https://www.woz.ch/1822/durch-den-mai-mit-karl-marx-5/die-halten-uns-wirklich-fuer-bloed

    Also ich bezeichne mich nicht als marxistische Feministin, auch wenn andere das tun. Von Karl Marx trennen mich elementare Unterschiede, dennoch hat seine Analyse meine Arbeit stark geprägt. Wir brauchen Marx, um unsere gegenwärtige Welt und die Dynamiken des sich perpetuierenden Kapitalismus zu verstehen. Marx hat einen grossen Beitrag an die feministische Theorie geleistet – zum Beispiel mit seiner zentralen These, dass es keine «menschliche Natur» gibt, sondern dass sich Menschen durch gewisse Kämpfe und in Abhängigkeit von den historischen Bedingungen zu dem machen, was sie sind. Dies hat uns Feministinnen geholfen, das Bild der ewigen Weiblichkeit und eine essenzialistische Auffassung des Frauseins zu durchbrechen.

    #féminisme #communisme

  • Les routes de l’#esclavage (1/4)
    476-1375 : au-delà du désert

    Domination, violence, profit : le système criminel de l’esclavage a marqué l’histoire du monde et de l’humanité. Au fil de ses routes, cette série documentaire retrace pour la première fois la tragédie des traites négrières. Captivant et implacable. Premier volet : de la chute de Rome en 476 à la fin du XIVe siècle.

    Après la chute de Rome en 476, les peuples (Wisigoths, Ostrogoths, Berbères, Slaves, Byzantins, Nubiens et Arabes) se disputent les ruines de l’Empire. Tous pratiquent l’asservissement – « esclave » viendrait du mot « slave ». Mais au VIIe siècle émerge un Empire arabe. Au rythme de ses conquêtes se tisse, entre l’Afrique et le Moyen-Orient, un immense réseau de traite d’esclaves, dont la demande ne cesse de croître et qui converge vers Bagdad, nouveau centre du monde. Après la révolte des Zanj – des esclaves africains –, qui s’achève dans un bain de sang, le trafic se redéploie vers l’intérieur du continent. Deux grandes cités commerciales et marchés aux esclaves s’imposent : Le Caire au nord, et Tombouctou au sud, place forte de l’Empire du Mali d’où partent les caravanes. Au fil des siècles, les populations subsahariennes deviennent la principale « matière première » de ce trafic criminel.

    https://www.arte.tv/fr/videos/068406-001-A/les-routes-de-l-esclavage-1-4

    #film #documentaire #Afrique #Empire_romain #histoire #pratique_généralisée #traite #Fustat #économie #Nubie #guerre #violence #butins_de_guerre #Bagdad #main-d'oeuvre #Islam #Berbères #dromadaires #Sahara #Tombouctou #Empire_du_Mali #or #altérité #Touareg #essentialisme #fatalité #Basora #Le_Caire #esclaves_domestiques #paternalisme #négation_de_l'être #domination #esclavage_doux #oasis #Atlas_catalan

    #Catherine_Coquery-Vidrovitch :

    Dans l’Empire arabo-musulman, « l’#esclave n’était pas différencié par sa couleur, ça ne comptait pas. L’esclave était différencié par sa #culture. Il n’avait pas la culture du dominant »

    #géographie_culturelle #domination

    #Ibrahima_Thioub, université Cheickh Anta Diop, Sénégal :

    « Pour mettre en esclavage un individu, un des phénomènes importants c’est de le construire comme autre, de construire une #altérité. Les sociétés humaines ont des registres assez larges. On peut utiliser la différence de #couleur_de_peau, la différence de #religion. Dans la #traite_trans-saharienne, on va combiner les deux ».

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Ibrahima_Thioub

    Ibrahima Thioub :

    « L’intérêt des maîtres, c’est de faire croire à l’individu qu’il est esclave non pas parce qu’un jour on lui a opposé un rapport de force qui est réversible, mais parce que, par sa nature, il est destiné à être un esclave. C’est une #idéologie extrêmement forte. Si votre sang est considéré comme un sang servile, et que cette nature vous la transmettez à votre descendance, il devient impossible de sortir du phénomène esclavagiste »

    Selon ce qui est dit dans ce reportage, 3,5 millions d’Africains ont circulé sur les routes de l’esclavage entre le 7ème et le 14ème siècle.

  • #Saison_brune

    Dans Saison brune, #Philippe_Squarzoni tisse un récit inédit, qui entremêle analyses scientifiques et interviews de spécialistes, considérations personnelles et hommages au cinéma, enquête politique et essai engagé.

    Le #livre est découpé en six chapitres. Les trois premiers sont précédés de trois interludes portant sur les commencements d’une oeuvre. Les trois derniers sont suivis de trois interludes sur les fins.

    Les deux premiers chapitres sont consacrés aux aspects scientifiques du réchauffement : le fonctionnement du climat, la description de l’effet de serre, l’augmentation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère durant l’époque moderne. Mais aussi l’expertise menée par le GIEC, l’attribution du réchauffement aux activités humaines, les différents scénarios d’augmentation des températures à venir, les risques d’effets de seuil, les risques de rétroactions positives.

    Dans les deux chapitres suivants, Philippe Squarzoni alterne entre l’examen des conséquences à venir du #réchauffement_climatique (fonte des glaciers, montée des eaux, multiplication des tempêtes, risques de sécheresse dans certaines régions...) et les questionnements du narrateur et de sa compagne face à cette situation inédite. Que faire à un niveau individuel ? Que faire quand ce qui est en cause est la production d’énergie, l’industrie, les transports, le bâtiment, l’agriculture ? Par où, par quoi commencer ? Nécessaire mais dérisoire, sans proportion par rapport à l’ampleur de ce qu’il faudrait accomplir, le niveau individuel semble largement insuffisant.

    Dans les deux derniers chapitres, Squarzoni élargit son questionnement et examine les possibilités de réduction des émissions et les différents scénarios énergétiques qui s’offrent à nos sociétés (énergies renouvelables, nucléaire, progrès technologiques, maîtrise de l’énergie...).
    Entre les insuffisances des unes, et les faux espoirs des autres, il décrit une alternative possible qui permettrait d’éviter les conséquences les plus graves du réchauffement climatique. Et les choix politiques, les modèles de société, que ces scénarios impliquent. Une porte s’ouvre. Saurons-nous la franchir ?

    Saurons-nous inventer une civilisation plus sobre capable de prendre en compte les questions écologiques ? Nos sociétés sauront-elles éviter les conséquences les plus graves du réchauffement climatique, tout en préservant la liberté et la démocratie ?

    Dans un album chargé de nostalgie, qui est probablement le plus personnel de ses livres politiques, Philippe Squarzoni livre un essai qui donne à espérer, mais reste très pessimiste sur la réalisation de cet espoir au vu de la nature de la crise, de l’ampleur des changements à accomplir, et du fonctionnement de nos sociétés.


    https://www.editions-delcourt.fr/special/saisonbrune
    #BD #bande_dessinée #changement_climatique #climat #effondrement #collapsologie #nucléaire #énergie #climatoscepticisme #climategate #ressources #sobriété_énergétique #efficacité_énergétique #croissance #économie_verte #technologie #capitalisme #Léon_Bourgeois #solidarisme #protocole_de_kyoto #transports #permis_d'émission #finance #biens_communs #dette_écologique #responsabilité #transition #transition_écologique #démocratie #libéralisme_politique #éolienne #énergie_solaire #énergie_éolienne #charbon #pétrole #accumulation #sobriété #modération #bien-être #dépassement_global

    • Dans le pipeline de la pensée managériale, qui crache du bullshit à jet continu, la dernière trouvaille à la con a pour nom la « holacratie ». Comme les penseurs du management sont pressés et ne regardent pas trop au détail, ils ont cru pouvoir décalquer à l’identique, et à leur propre usage, la holarchie d’Arthur Koestler, mais sans voir que le mot procédait par contraction pour éviter le hiatus holo-archie – le pouvoir (archie) du tout (holon). Dans l’entreprise holocrate (et non holacrate – il ne s’agit pas du pouvoir de la holà...), il n’y a supposément plus de pouvoir central, car le pouvoir appartient à tous : plus de de hiérarchie, plus de commandement, autonomie partout. Les plus idiots se sont empressés de conclure qu’on avait enfin trouvé la formule vraie du capitalisme à visage humain. Il faudrait leur demander d’imaginer ce qui se passera au moment où un retournement de conjoncture enverra l’entreprise dans le rouge, et où et comment les actionnaires, et le dirigeant nommé par eux, suggéreront aux salariés de s’administrer la holocratie.

      […]

      On pouvait pourtant trouver, et de longue date, de quoi nous prévenir de cette épouvante en marche, et plus généralement des prétentions contemporaines de l’entreprise de fonctionner à la joie, à l’amour et à la concorde. On peut ainsi lire ceci dans les Pensées de Pascal : « Es-tu moins esclave pour être aimé et flatté de ton maître ? Tu as bien du bien esclave, ton maître te flatte. Il te battra tantôt ».

      Plus près de nous, voici ce que Marguerite Yourcenar met dans la bouche d’un de ses personnages antiques dans Les mémoires d’Hadrien : « Je doute que toute la philosophie du monde parvienne à supprimer l’esclavage : on en changera tout au plus le nom. Je suis capable d’imaginer des formes de servitude pires que les nôtres, parce que plus insidieuses : soit qu’on réussisse à transformer les hommes en machine stupides et satisfaites, qui se croient libres alors qu’elles sont asservies, soit qu’on développe chez eux, à l’exception des loisirs et des plaisirs humains, un goût du travail aussi forcené que la passion de la guerre chez les races barbares. À cette servitude de l’esprit ou de l’imagination humaine, je préfère encore notre esclavage de fait ».

      […]

      Et ça c’est ce que je dis depuis des années à propos des coopératives VS toutes les autres entreprises (mais sans oublier que ça reste dans le capitalisme, du capitalisme plus ou moins démocratique donc) :

      Il y a ainsi de quoi rire beaucoup à l’expérience de pensée qui imagine Laurent Joffrin ou l’éditorialiste du Monde, dont les suites de mots ne sont qu’un long gargarisme sur le thème de la « démocratie », sommés de se prononcer sur ce fait étonnant que, dans la société de leur gargarisme, les hommes passent la moitié de leur temps éveillé sous des rapports d’obéissance, et puis, ceci aperçu, qui leur demanderait ce qu’ils pensent d’un projet politique, somme toute logique, d’extension réelle de la pratique démocratique à toutes les sphères de la vie commune – y compris, donc, la sphère de la production.

      […]

      Mais la difficulté de ces questions offre peut-être la raison même de commencer à les poser, et à les poser avec insistance, comme le seul moyen de hâter quelque chose qui nous ferait échapper à cette fulgurante prédiction, qui ne sort pas de quelque traité théorique mais d’un ouvrage d’un tout autre genre, célébrant à sa manière la préscience, pour ne pas dire les vertus oraculaires, du Côtes du Rhône, je veux bien sûr parler des Brèves de Comptoir, dans le millésime 1995 desquelles on trouve ceci : « On finira qu’on nous dira de nous torcher le cul les uns les autres, et ils diront on leur a donné du boulot ». 1995… Et qui ne voit que nous y sommes quasiment. Car, logiquement, en prolongeant la série : après Uber Drive et Uber Eat devraient venir Uber Poop ou Uber Wipe. Heureusement, ce tome 1995, particulièrement riche, ne nous laisse pas complètement désespéré, puisqu’on peut aussi y lire ceci : « À partir de dix millions de chômeurs, je crois qu’on peut sortir le soleil et les parasols ». L’idée générale, donc, ce serait bien ça : qu’on n’ait pas à attendre d’en arriver là pour sortir les parasols.

      #Lordon #Frédéric_Lordon #Bernard_Friot #capitalisme #travail #critique_du_travail éventuellement #critique_de_la_valeur mais sous un autre angle (et là il s’agit plutôt de proposition d’un autre mode de calcul de la valeur et non pas d’une abolition de la valeur)

    • À chacun des trois régimes d’#accumulation observables depuis la fin du XIXe siècle correspondent donc trois régimes d’affects de la mobilisation salariale. D’un point de vue analytique, le plus important, c’est le premier : le régime de la mobilisation par les peurs basales, les peurs de ne simplement pas pouvoir survivre – l’aiguillon de la #faim, disait Marx. Ce régime n’est pas un régime avant d’autres régimes, et comme les autres régimes. C’est le régime fondement de tous les régimes, le régime qui dit l’essence, la vérité ultime du rapport salarial comme rapport de #chantage à la survie même. S’employer ou crever : les capitalistes ont longtemps poursuivi de ramener la donnée du #travail telle qu’elle se présente aux individus à la pureté, à l’exclusivité, de cette alternative. Et comme ils n’y sont jamais complètement parvenus, ils ont été conduits à emprunter d’autres voies passionnelles, en apparence tout à fait contraires – en apparence seulement.

  • Jeff Bezos’ $100 billion: The case for expropriation - World Socialist Web Site

    https://www.wsws.org/en/articles/2017/11/27/pers-n27.html

    Jeff Bezos’ $100 billion: The case for expropriation
    27 November 2017

    After a Black Friday surge in Amazon’s stock value, CEO Jeff Bezos’ wealth surpassed the $100 billion mark, making him over $10 billion dollars richer than the world’s second wealthiest man, Microsoft CEO Bill Gates.

    The rise of the $100 billion man is a further milestone in the unprecedented growth of social inequality worldwide. Bezos’ wealth would make the robber barons of the 19th century green with envy.

    #Jeff_Bezos #riches #pauvres #accumulation

  • Paradise Papers, le seuil franchi ? | La plume d’un enfant du siècle
    https://marwen-belkaid.com/2017/11/15/paradise-papers-le-seuil-franchi

    Ces circuits nébuleux et opaques par lesquels s’évaporent l’#argent des Etats, ainsi que l’a très bien démontré Gabriel Zucman dans La #richesse cachée des nations : Enquête sur les paradis fiscaux, est consubstantiel de ce #capitalisme néolibéral financiarisé devenu complètement fou au sein duquel l’#accumulation illimité du capital est la seule religion de ces fêlés qui se croient sages. Loin d’être une dérive qu’il s’agit de corriger, l’évasion et la #fraude fiscales font partie intégrante du modèle politico-économique actuellement en place si bien que les Etats protègent de facto les fraudeurs – on pense ici au verrou de Bercy par exemple – ou favorisent cette optimisation fiscale qui, rappelons-le, est légale. C’est précisément dans la légalité de ces procédés d’évitement de l’impôt que réside le véritable scandale à l’heure où les Etats, en particulier ceux de l’Union Européenne, se sont liés les mains face aux grandes transnationales.

  • Les migrations, le Capital et l’État - via @paris
    https://paris-luttes.info/les-migrations-le-capital-et-l-8877

    La crise de reproduction des rapports sociaux capitalistes et la « crise des réfugiés »
    La publication de cette brochure a pour but de contribuer à l’analyse et à la critique de la politique de l’UE et de l’État grec pour le contrôle et la gestion biopolitique des migrations d’un point de vue prolétarien.

    Au cours des deux dernières années, l’accroissement important des migrations vers l’Union Européenne, dont la cause principale est l’intensification des conflits armés en Syrie, en Irak et en Afghanistan, s’est heurté d’une part à une intensification de la surveillance des frontières aboutissant à leur militarisation et d’autre part à la formation d’un nouveau cadre politique et légal grâce à l’accord conclu entre l’UE et la Turquie le 18 mars 2016 niant les principes de base du droit d’asile international. L’intérêt que nous portons au problème des migrations en tant que forme de la mobilité internationale des travailleurs, en tant qu’accumulation primitive permanente et en tant que forme autonome de l’activité du prolétariat, n’a rien d’académique. Nous cherchons au contraire à nous doter d’outils théoriques susceptibles de se révéler utiles dans l’élaboration de luttes communes aux prolétaires locaux et immigrants, en tant que partie intégrante du mouvement de classe en lutte contre le capital et l’État.

    Cette brochure contient un texte que nous avons rédigé en nous concentrant sur le cas de la Grèce, un texte de Wildcat [1], groupe radical allemand, se concentrant sur le cas de l’Allemagne en tant que pays d’accueil des migrants, et un article théorique rédigé par Nicholas De Genova, universitaire radical qui propose une analyse du contrôle de la liberté de mouvement en tant que fondement de la puissance souveraine de l’État capitaliste. [2]
    Le titre initial de la brochure est « Vogelfrei, migration, deportations, capital and its state » [3]

    #migrants #capitalisme #accumulation_primitive_permanente #luttes #théorie #brochure

  • De la #nature comme #stratégie d’#accumulation – CONTRETEMPS
    http://www.contretemps.eu/smith-nature-strategie-accumulation

    À un certain niveau, ceux que l’on appelle les conservateurs n’ont simplement pas encore compris les possibilités qu’offrait le #capitalisme environnemental, et c’est ce que l’histoire retiendra d’eux. Ils se placent, par ailleurs, du côté d’une industrie énergétique qui réalise des profits sans précédent tout en communiquant sur le terrain de l’#écologie. Tout comme l’exploitation de la main d’œuvre à bas coûts prolifère dans de nombreuses industries d’Asie, d’Amérique Latine et d’Afrique, l’expansion du capital étendue à la nature constitue encore une solide frontière de l’accumulation du capital, qu’il s’agisse de la prospection sur le vivant en Amazonie ou du forage dans l’Arctique états-unien. L’avant-garde de cette expansion envahissante, est aujourd’hui transplanétaire, avec bientôt la colonisation, l’exploration scientifique et l’exploitation de l’espace, que l’on considère encore couramment comme extérieur à l’ordre planétaire du monde humain.

  • Vers l’#autoritarisme ? Crise de la #démocratie libérale et #politique d’#émancipation – CONTRETEMPS
    http://www.contretemps.eu/autoritarisme-democratie-palheta

    Le #capitalisme n’a jamais été démocratique en lui-même, même au sens – tronqué et hypocrite – de la démocratie libérale ou parlementaire. Rien dans ses structures fondamentales n’impose l’existence d’un #gouvernement représentatif, du #suffrage universel, des libertés civiques, et encore moins de #droits sociaux limitant un tant soit peu l’#exploitation, sans même parler d’une démocratie conçue selon son étymologie comme #pouvoir populaire[1].

    Au contraire, le capitalisme n’a jamais cessé d’être profondément autoritaire et anti-démocratique. Ce qui a pu varier au cours de son histoire, ce ne fut jamais la présence ou non de l’#arbitraire et de la #violence – logés au cœur même du mode de #production capitaliste sous la forme de ce que Marx nommait le « #despotisme d’usine », ou plus largement de la #subordination des travailleurs aux propriétaires capitalistes –, mais le degré d’arbitraire du Capital et le niveau de violence de l’État capitaliste vis-à-vis des salariés mais aussi des petits paysans, dont on sait avec quelle brutalité ils furent (et sont) expropriés. Qu’on relise s’il est besoin les pages consacrées à l’#accumulation primitive dans le livre 1 du Capital.

    Il faut ajouter à cela que la construction de la démocratie libérale, en France particulièrement, s’est payée de l’#assujettissement colonial et s’est fondée sur un pacte national/racial, vouant les peuples #colonisés à l’exclusion de tout droit politique et à un traitement d’exception qui persiste en partie, sous des formes certes moins visibles, pour leurs descendants vivant en France, dont il s’agit d’écraser en permanence la capacité politique autonome[2].

    On ne saurait donc craindre que le capitalisme devienne autoritaire, car il l’a toujours été.

    #racisme

  • L’#agriculture ou la pire erreur de l’#histoire de l’humanité (par Jared Diamond & Clive Dennis) – Le Partage
    http://partage-le.com/2016/09/lagriculture-ou-la-pire-erreur-de-lhistoire-de-lhumanite-par-jared-diamo

    « L’agriculture est une invention humaine assez récente, et à bien des égards, ce fut l’une des idées les plus stupides de tous les temps. Les chasseurs-cueilleurs pouvaient subsister grâce à des milliers d’aliments sauvages. L’agriculture a changé tout cela, créant une dépendance accablante à quelques dizaines d’aliments domestiqués, nous rendant vulnérable aux famines, aux invasions de sauterelles et aux épidémies de mildiou. L’agriculture a permis l’#accumulation de ressources produites en surabondance et, inévitablement, à l’accumulation inéquitable ; ainsi la société fut stratifiée et divisée en #classes, et la #pauvreté finalement inventée ».

    • « Je ne pense pas que la plupart des chasseurs-cueilleurs cultivaient avant d’y être obligés, et lorsqu’ils ont fait la transition vers l’agriculture ils ont échangé la qualité pour la quantité »

      Donc c’est la contraception qu’il aurait fallu inventer.

    • C’est l’inverse de la contraception qui s’est produit. Dans un documentaire diffusé sur Arte (Sous la peau) le sujet du passage à l’agriculture était évoqué car l’alimentation changeant (75 plantes différentes consommées par les chasseurs-cueilleurs, une dizaine pour les agriculteurs) les bactéries ingérées ont changé (l’apparition des caries date de cette époque...)
      Par ailleurs les agricultrice étaient de vraie bêtes de somme pour les hommes donc, comme il est dit dans cet article :
      « Libérées du besoin de transporter leurs bébés durant une existence nomade, et sous pression en raison du besoin en bras pour labourer les champs, les femmes agricultrices ont eu tendance à tomber plus souvent enceinte que leurs congénères chasseuses-cueilleuses »

      Le docu de Arte précisait que les chasseuses-cueilleuses avaient en moyenne 1 enfant tous les 4-5 ans (avortement, infanticides...), l’intervale est passé à 2 ans chez les agricultrices (pour éviter les corvées agricoles).

    • Oui, mais comme cela est expliqué dans l’article (et confirmé a priori par plusieurs recherches), l’agriculture est née car les êtres humains devenaient malgré tout trop nombreux pour le mode de vie « chasseur/cueilleur » et c’était donc un moyen de produire plus (et ça a « permis » de se reproduire encore plus, donc le mouvement était irrémédiable).

    • Cet ancien article de Jared Diamond (1987), illustre une fois de plus son obsession pour la croissance démographique comme moteur principal de l’évolution des activités humaines. Cette obsession a été particulièrement critiquée à l’occasion de ces livres De l’inégalité parmi les sociétés (1997) et Effondrement : Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie (2005) voir en particulier les articles de Daniel Tanuro et le livre collectif Questioning Collapse https://seenthis.net/messages/519656

      Sur les pistes d’explication du développement de l’agriculture, on peut écouter Jean-Denis VIGNE (Archéozoologue et biologiste au Muséum National d’Histoire naturelle) dans cette conférence de mars 2014 où il relate l’état des récentes recherches (en particulier à partir de la quarantième minute). Il souligne à quel point les différentes causalités sont mêlées et l’importance de l’évolution culturelle comme moteur :

      https://www.youtube.com/watch?v=YQVr0Q86RXw

      Sinon il y a aussi les émission de Jean Claude Ameisen Sur les Épaules de Darwin consacrée à la naissance et la diffusion de l’agriculture :

      https://www.youtube.com/watch?v=BMKeRny7uFM

      https://www.youtube.com/watch?v=Ah2zZRKTdRs

      Les passages où Jared Diamond soutien la thèse de la croissance démographique :

      Ces éléments suggèrent que les indiens des Dickson Mounds, à l’instar de beaucoup d’autres peuples primitifs, se sont mis à cultiver, non par choix, mais par nécessité, afin de nourrir leur population en constante augmentation.

      [...]

      L’agriculture pouvait soutenir une population bien plus importante que la chasse, en dépit d’une qualité de vie plus pauvre.

      [...]

      Tandis que les densités de population des chasseurs-cueilleurs s’élevèrent doucement à la fin des périodes glaciaires, des groupes durent choisir entre nourrir plus de bouches en s’orientant vers l’agriculture , et trouver des moyens pour limiter cette croissance . Quelques groupes choisirent la première solution, incapables d’anticiper les mauvais côtés de l’agriculture et séduits par l’abondance éphémère dont ils bénéficièrent jusqu’à ce que la croissance de la population rattrape l’augmentation de la production de nourriture. Ces groupes-là se reproduisirent en grand nombre, puis s’en vinrent décimer les groupes qui avaient choisi de rester chasseurs-cueilleurs, parce qu’une centaine d’agriculteurs mal nourris peuvent quand même combattre un seul chasseur-cueilleur isolé. Les chasseurs-cueilleurs n’ont pas vraiment abandonné leur mode de vie, mais ceux qui s’étaient montrés assez raisonnables pour le conserver ont été expulsés, sauf des régions dont les agriculteurs ne voulaient pas.

      A ce stade, il est utile de rappeler l’accusation banale qui prétend que l’archéologie est un luxe, préoccupé par le passé lointain et n’offrant aucune leçon pour le présent. Les archéologues étudiant l’avènement de l’agriculture ont reconstitué une période cruciale, celle où nous avons commis la pire erreur de l’histoire humaine. Sommés de choisir entre limiter la population ou essayer d’augmenter la production de nourriture, nous avons choisi cette dernière solution et ainsi subi la famine, la guerre, et la tyrannie.

      #néolithique

    • @fsoulabaille j’ai pas l’impression qu’on a lu le même texte. Tu dit que ce sont les hommes (avec un petit h, donc à l’exclusion des femmes) qui sont transformés en bêtes de somme, alors que l’article parle des femmes très clairement et donne des exemple de femmes qui portent les fardeaux les plus lourds tandis que les hommes se baladent les mains vides.

      Et je sais pas ou tu as lu que les femmes agricultrices évitent des corvées lorsqu’elles ont deux fois plus d’enfants que les femmes chasseuses-ceuilleuses. La différence c’est que les chasseuses-ceuilleuses devaient porter les enfants pendant presque 4 ans sur leur dos pour la cueillettes et la chasse puisqu’ils fallait se déplacé pour avoire des ressources. Alors que dans le système agricole sédentaire, elles peuvent les poser plus tot au sol à coté d’elles pour travailler plus et enfanter plus. C’est pas vraiment ce que j’appelle « évité des corvées », c’est plutot à l’inverse une multiplications des corvées et charges de travail pour les femmes.

      Encore aujourd’hui dans l’agriculture les femmes travaillent plus que les hommes puisqu’elles sont au champs, au transport des marchandises, doivent allé chercher l’eau, le bois pour le foyer, et aussi à la maison à faire les tâches domestiques, les repas, soins aux enfants, soins des vieux, des bêtes... J’ai jamais vu que les femmes agricultrices soient dispensé de travaille au prétexte d’être enceintes, mais elles sont par contre dispensé de reconnaissance de leur travail, de rémunération, d’une alimentation correcte... L’article ne dit pas que les femmes enceintes agricultrices se la coulent douce et ca serait bien de documenté cette affirmation qui me semble une déformation de la culture bourgeoise occidentale moderne.

      Il y a aussi le fait que les hommes agriculteurs se réservent les outils et en privent les femmes. Voire Paola Tabet à ce sujet. Les hommes utilisent le bœuf, ânes ou le cheval de trait pour tirer la charrue et les femmes font tout à la main, si c’est pas elles qui sont harnachées à la charrue avec les bête.

  • Le marxisme oublié de Foucault, Stéphane Legrand
    http://www.cairn.info/revue-actuel-marx-2004-2-page-27.htm

    « La société punitive » aborde le même problème que Surveiller et punir : expliquer l’apparition et la généralisation de la prison comme forme punitive au XIXe siècle, et part du même constat : on ne saurait l’expliquer par l’évolution idéologique des théories pénales, non plus que par l’histoire autonome des pratiques judiciaires. Mais il l’appréhende d’une toute autre manière : la forme-prison se rattacherait au développement tendanciel (qui lui est contemporain) de la formesalaire, qui en est historiquement jumelle. C’est parce que la gestion politique du temps et du rythme de vie des individus devient un enjeu majeur pour le pouvoir, que la forme du temps abstrait s’impose en même temps comme principe de mesure à l’appareil pénal et à l’appareil de production. On assiste alors à « l’introduction du #temps dans le système du pouvoir capitaliste et dans le système de la pénalité ». Ce qui permet au premier chef de penser l’homologie possible de deux institutions disciplinaires spécifiques, c’est alors un enjeu politique et économique : le contrôle du temps de la vie :

    « Ainsi ce qui nous permet d’analyser d’un seul tenant le régime punitif des délits et le régime disciplinaire du travail, c’est le rapport du temps de la vie au pouvoir politique : cette répression du temps et par le temps, c’est cette espèce de continuité entre l’horloge de l’atelier, le chronomètre de la chaîne et le calendrier de la prison » (C73, p. 67).

    Mais il faut encore comprendre historiquement, généalogiquement, comment, selon Foucault, le temps de la vie apparaît alors comme un problème politique majeur. Cette apparition est explicable si l’on prend en compte le fait que (dans « La société punitive » comme dans Surveiller et punir) l’institution prison n’est qu’un élément local dans un système de contrainte beaucoup plus large, que Foucault nomme à cette époque le coercitif, défini comme « dimension générale de tous les contrôles sociaux qui caractérisent des sociétés comme les nôtres » (C73, p. 82).
    Foucault aborde le coercitif à partir de l’histoire anglaise, où il est possible de repérer l’évolution d’un certain nombre de groupes sociaux ayant pour objectif la surveillance morale, le contrôle et la punition des populations. Ce qui caractérise ces instances, c’est, en usant d’un terme qu’affectionnait Foucault, qu’elles apparaissent à un niveau « capillaire » : dispersées et non centralisées elles correspondent plutôt à une forme d’autocontrôle des groupes sociaux. D’autre part, elles se donnent moins pour but de détecter et de sanctionner les crimes définis comme tels aux termes d’un code juridique, que d’intervenir sur les irrégularités de comportement, les fautes morales, les propensions psychologiques douteuses, ce que Foucault nomme, dans un vocabulaire criminologique moderne, « les conditions de facilitation de la faute » , dans le but de produire chez les sujets la formation d’habitudes valorisées. Or, Foucault remarque que ces groupements, nés pour réagir à l’incurie du pouvoir central, et souvent pour des motifs extrapolitiques (notamment religieux et économiques), se trouvent tendanciellement repris par l’appareil d’Etat, au cours du XVIIIe siècle. Cette étatisation tendancielle du coercitif répond à une exigence de prise en charge par l’appareil judiciaire des impératifs de moralisation nés en dehors de l’appareil d’Etat, ou encore comme le formule Foucault vise à « mettre en continuité le contrôle et la répression moraux d’une part, et la sanction pénale de l’autre. On assiste à une moralisation du système judiciaire ».

    Cette synthèse moralité-pénalité opérée par l’intégration à l’appareil d’Etat des dispositifs coercitifs, s’explique selon Foucault, assez classiquement, par le développement croissant de l’accumulation capitaliste. A mesure que la richesse s’incarne dans des stocks de plus en plus vastes, dans des moyens de production toujours plus regroupés, c’est en même temps une richesse disponible, facile à dérober ou du moins à détruire, qu’on met sous les mains de groupes de plus en plus nombreux d’ouvriers. Jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, le système judiciaire se caractérisait selon Foucault par une forte tolérance aux illégalismes, y compris populaires, dans la mesure où ces derniers étaient pour partie des vecteurs de l’implantation des rapports de production spécifiquement capitalistes. Mais cette tolérance devient beaucoup moins acceptable lorsque, les conditions sociales et économiques du travail ayant changé, c’est la nature et la signification de l’illégalisme populaire qui changent avec elles : il consiste de moins en moins à se soustraire à des droits, des corvées ou des prélèvements, et tend de plus en plus à se rabattre sur le vol ou la déprédation. L’étatisation du coercitif répondrait alors, selon Foucault, à la nécessité d’introduire entre l’ouvrier et cette richesse qu’on doit lui mettre dans les mains pour lui arracher le profit, quelque chose de plus que le simple interdit légal, quelque chose qui donne effectivité à l’interdit légal : « Il faut un supplément de code qui vienne compléter et faire fonctionner cette loi : il faut que l’ouvrier lui-même soit moralisé ».

    La disciplinarisation se présente alors, selon un ordre d’exposition dont on constate qu’il diffère en profondeur de celui qu’adoptera Surveiller et punir, comme la condition d’effectivité des rapports juridiques formels qui régissent la relation de travail, ou comme le dit Foucault : « Le contrat salarial doit s’accompagner d’une coercition qui est sa clause de validité » (idem, p. 127). En d’autres termes, c’est du point de vue des luttes de classe et de la construction sociale des rapports de production capitalistes, et donc des sujets disposés subjectivement à y figurer, que l’émergence historique de la disciplinarisation est ici pensée. Foucault, d’ailleurs, le dit dans des termes qui ne pourraient pas être plus clairs : le système coercitif est « l’instrument politique du contrôle et du maintien des rapports de production ».

    Mais elle remplit un second rôle vis-à-vis des rapports de production, qui n’est pas seulement leur reproduction par le contrôle des résistances et des illégalismes populaires, mais aussi l’implantation, chez les producteurs immédiats, des #dispositions_subjectives requises par la production en vue du profit. Le corps de l’ouvrier, en effet, n’inquiète pas seulement en tant qu’il est, par ses besoins, la source de l’illégalisme de prédation et de déprédation : l’ouvrier qui #paresse, qui s’enivre, qui brûle son énergie en faisant la fête, ou encore qui vit à son rythme propre, n’opère pas moins une #soustraction à la richesse produite qu’il ne le ferait en pillant ou saccageant les docks ; il pratique alors ce que Foucault nomme un « #illégalisme_de_dissipation », c’est-à-dire qu’il pratique « l’illégalisme cette fois sur son propre corps, sur sa force de travail » (C73,7 mars, p. 148). Il pille le capital à même sa propre vie qu’il épuise, dérobant par là, non pas la richesse créée mais la condition même du profit. Il faut protéger le capital et les moyens de travail du travailleur, mais il faut aussi protéger la force de travail de son propre porteur, protéger du producteur immédiat la condition de la reproduction élargie.

    #société_punitive #forme_prison #forme_salaire #gestion_politique_du_temps #contrôle_du_temps_de_la_vie #Populations #coercitif #accumulation_capitaliste #illégalismes #travail #supplément_de_code (cf. Anti_0edipe) #disciplinarisation #rapports_de_production #Foucault

    • ... nous nous efforcerons de montrer que les concepts fondamentaux de la théorie foucaldienne des relations de pouvoir dans la « société disciplinaire » restent irrémédiablement aveugles si on ne les articule pas à une théorie de l’exploitation et à une théorie du mode de production capitaliste.

    • Quelqu’un ici aurait lu Marx & Foucault, Lectures, usages, confrontations ? un ouvrage collectif (malheureusement sans contribution de Stéphane Legrand) dont je note ici l’existence.

      La présentation de La Découverte

      Marx et Foucault : deux œuvres, deux pensées sans lesquelles on ne peut saisir le sens de notre présent. Pas de théorie critique qui puisse se passer de leurs concepts et de leurs analyses. Et pas de luttes qui ne renvoient à tel moment ou à tel aspect de leur héritage. Pourtant, de l’un à l’autre le passage ne va pas de soi. Les époques, les intentions, les philosophies même ne sont pas superposables. Hétérogènes donc, ces pensées font, l’une et l’autre, obstacle à tout « foucaldo-marxisme ».
      L’ouvrage vise à montrer des rapports mobiles et complexes, non des identités profondes ou des incompatibilités d’essence. Rapports de Foucault à Marx : il prend appui sur lui pour le déborder, l’envelopper, et parfois l’opposer à lui-même. Rapports de Foucault aux marxismes, sous leurs variantes les plus diverses, humaniste, existentialiste, althussérienne, qui n’ont cessé de composer les actualités changeantes de Foucault. Rapports des marxistes, d’hier et d’aujourd’hui, à Foucault : comment l’ont-ils lu ? Que lui ont-ils reproché, que lui ont-ils emprunté ? Qu’en font-ils aujourd’hui de neuf ?
      C’est donc l’actualité d’une lecture croisée de Marx et Foucault qui est au centre des contributions de cet ouvrage et qui ouvre sur un espace fécond pour l’avenir de la pensée critique.

      #livre

    • Foucault et « la société punitive », Frédéric Gros
      https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2010-4-page-5.htm

      Le propre du coercitif est finalement d’établir ce qu’on pourrait appeler l’extension du punitif, d’une part et, d’autre part, la continuité du punitif et du pénal. L’extension du punitif, c’est simplement l’idée qu’au fond être surveillé ou être évalué, c’est être puni. Par le jeu de cette synthèse établie, par le coercitif, entre la surveillance, l’examen et la peine, quand un médecin me pose des questions sur mon état de santé, quand un professeur m’interroge, quand un contremaître me demande comment j’ai travaillé ou un supérieur ce que j’ai fait, toutes ces questions dégagent aussitôt une certaine aura punitive. Le coercitif fait disparaître la possibilité d’une vigilance empreinte de sollicitude ou d’une simple neutralité scientifique. « Qui es-tu ? », « Comment vas-tu ? », « Qu’as-tu fait ? », « Que sais-tu ? », ces questions pourraient au fond ne rien manifester d’autre qu’une simple curiosité scientifique ou un souci éthique de l’autre. Par le coercitif, elles éveillent en chacun d’entre nous la #crainte d’être puni, si la réponse trahit un #écart par rapport à une #norme (de santé, d’instruction, de comportement, etc.), et même la certitude angoissée, si l’écart est trop grand, de finir en prison… (...)

      Mais il faut se demander une dernière chose : à quoi sert ce dispositif punitif généralisé ? La réponse du cours de 1973 est d’une netteté aveuglante, d’un grand tranchant : il sert à transformer le #temps_de_la_vie en #force_de_travail. Au fond, dit Foucault, tout le travail de Marx aura été de penser comment le #capitalisme prend en otage la force de travail, comment il l’aliène, l’exploite, comment il la transforme, pour son plus grand profit, en force productive. C’est cette alchimie de transformation dont le secret est donné à lire dans Le Capital. Mais, en amont, il convient de décrire la manière dont le temps de la vie, qui comprend la fête, la paresse, la fantaisie et les caprices du désir, a pu déjà être transformé en force de travail. Au fond les institutions coercitives n’ont d’autre but que cette transformation. Ce qu’elles pourchassent, dit Foucault, ce sont toutes les formes de la dissipation : l’imprévoyance, l’irrégularité, le désordre, tout ce par quoi le temps de la vie est inutilement dépensé ? « inutilement » pour le profit capitaliste. Le coercitif permettrait donc de faire coller le temps vivant des hommes au rythme des machines et aux cycles de la production.

    • il convient de décrire la manière dont le temps de la vie, qui comprend la fête, la paresse, la fantaisie et les caprices du désir, a pu déjà être transformé en force de travail

      Il y a malheureusement là une faille dans l’analyse foucaldienne (mais il n’est pas le seul, d’autres marxismes hétérodoxes s’y abiment, sans parler des marxismes traditionnels qui se contentent de glorifier le travail...)

      Le temps de vie ne peut être transformé en force de travail dans n’importe quelle condition. Il faut d’abord que soit opérée la dissociation entre activité productive (au sens du capital, c’est-à-dire productive de valeur) et activité improductive. Cette dissociation opère à un niveau logique et global (une totalité), mais aussi à l’intérieur de toute activité particulière. La capital ne peut donc pas tout saisir pour en faire une force de travail, il doit d’abord faire le grand partage entre ce qui concoure à sa reproduction (la valorisation de la valeur) et ce qui est indispensable à cette reproduction sans être producteur de valeur en soi (le travail domestique notamment). Cette dissociation est aussi celle des genres, tels qu’ils sont exprimés (y compris dans ces aspects psychologique et subjectif) de façon bien spécifique dans la société capitaliste. Chacun des genres devient le masque de ces deux faces dissociées (mais insécables) : force de travail d’un coté, simple reproduction de la vie au sens large de l’autre.

      Ainsi la part d’ombre du travail productif (de valeur), ce sont toutes les activités qui sont improductives, mais qui sont transformées par le mouvement du capital pour servir indirectement à sa reproduction (et qui sont souvent des conditions nécessaires à cette même reproduction : l’élevage préalable des petits humains pour en faire de futur producteur, par exemple). Le capital constitue ainsi tendanciellement ces activités improductives à son image (d’où le coercitif), mais cela n’en fait pas pour autant la possibilité d’y appliquer une force de travail (et donc une opportunité de reproduire le capital lui-même)

      C’est un point important, car la crise du capital, c’est le tarissement du travail productif (et donc l’impossibilité de reproduire le capital). Si toute activité pouvait être versée sans autre forme de procès dans la catégorie force de travail, le capital ne serait que mouvement perpétuel du même. D’un autre coté, la sortie du capital ne peut pas être simplement la promotion tout azimut des activités non productives lorsque celles-ci ne sont en fait que l’ombre porté du travail productif (et donc de la reproduction autotélique du capital)

    • @ktche, je ne sais trop que te répondre... tes remarques me semblent relever d’un travers théoricien (et paradoxalement économiciste, malgré la volonté de rompre avec l’orthodoxie marxiste) qui ne fait guère de place à la lutte, aux relations de pouvoir, à l’historicité. L’impossibilité de « reproduire le capital » est avant tout une question politique.
      Un des intérêt du travail de Foucault est précisément d’échapper aux automatismes d’une « dialectique » résolutive, de s’attacher à nouveau à la critique depuis une #analyse_concrète.
      La tradition ultra gauche française qui fait son miel des Manuscrits de 1844 (et ne lit les Grundrisse que depuis 1844), de la #théorie de l’aliénation, fidèle à la traduction par Rubel des écrits de Marx, à refuser, à juste titre, la #politique comme activité séparée, finit par refuser la politique tout court, préférant une attitude critique contemplative, dans l’attente de voir une inéluctable crise du capitalisme advenir. L’ objectivisme de la « théorie de la valeur » se résume à une forme plus ou moins sophistiquée de désarmement.

      Avec les marxistes bornés, nous avions une « théorie de la valeur travail » (en lieu et place dune critique de celle-ci). Tout cela est désormais bon pour les néolibéraux de tout poil, du PS à l’OCDE, occupés à restaurer sans cesse les conditions de la concurrence et une moralité qui leur soit adéquate (votre dignité est dans le travail).
      La « théorie de la valeur » prédit pour sa part la fin du capitalisme (consolation de la science) tout en éternisant les des rapports sociaux capitalistes.
      Nous avons besoin de valeurs nouvelles, forgées par des conflits, créées, pas de faire encore et encore, une « théorie de la valeur ».

    • La « théorie de la valeur » prédit pour sa part la fin du capitalisme (consolation de la science) tout en éternisant les des rapports sociaux capitalistes.

      Il n’y a pas de prédiction quant à la fin du capitalisme. Il s’agit d’analyser et de décrire sa décomposition (là où nombreux sont ceux qui le voient triomphant comme jamais). La dynamique propre du capital sape les conditions de sa propre reproduction. Ce constat ne conduit à aucun optimisme a priori. La décomposition n’est malheureusement pas la fin (ou alors une fin interminable...) mais plus probablement (et même visiblement si l’on observe les périphéries) une barbarisation.

      Par ailleurs, je mettrais en avant une théorie de la valeur-dissociation, qui justement ne s’en tient pas aux dimensions économiques de la socialisation capitaliste, mais prend en compte l’ombre portée du capital qui est aussi une part constitutive de cette socialisation. Cette part dissociée ne représente pas un pôle positif en soi et ne peut pas plus constituer un point d’appui indiscutable pour sortir du capital, car c’est bien la dissociation elle-même qui est constitutive du rapport social capitaliste.

      Enfin, je serais très réticent à identifier les oppositions abstrait/concret et théorique/pratique. Il y a malheureusement des pratiques très abstraites (i.e. qui participent de l’évidement de tout contenu) et heureusement des théories très concrètes (i.e. qui permettent d’identifier le caractère fétiche de la reproduction du quotidien et de dénaturaliser des fausses évidences)