• Il ne suffit pas de vouloir une #écologie_antiraciste : le #zéro_déchet, la #colonialité et moi

    On parle souvent des #écologies_décoloniales. On voit moins les #écologies_coloniales interroger leur propre colonialité. C’est ce qu’on va faire ici, en étudiant la colonialité dans le zéro déchet et les écologies de la #sobriété.

    #Colonial n’est pas un compliment. Et si j’étais du mauvais côté ? Si mon #écologie était une de ces écologies coloniales qui s’ignorent ? Plus j’y pense plus c’est crédible, plus je creuse plus ça devient évident. Dans ce billet, je tente de conscientiser la dimension coloniale du #zero_waste et des écologies similaires.

    Pour ça je vais dérouler les implicites du « point de vue zéro déchet » et montrer ce qu’ils ont de problématique. L’idée est de partir du #zéro_gaspillage et d’arriver à la #décolonialité. J’essaie de baliser un parcours qui aide mes camarades écologistes à voir en quoi iels sont concerné⋅es par la #critique_décoloniale, de tracer un chemin que d’autres pourraient emprunter, sans forcément connaître cette pensée en amont.

    Je pars du zéro #gaspillage parce que c’est là où je suis, ce que je connais le mieux, mais la colonialité que je découvre concerne l’écologie de façon beaucoup plus large.

    Des écueils et une méthode

    Mais il y a des écueils. En tant qu’européen blanc issu d’une famille de colons1 je suis mal placé pour comprendre les questions de colonialité et de #racisme. Bénéficier d’avantages dans un système de pouvoir produit de l’#ignorance chez les dominant·es, une incapacité à reconnaître des choses évidentes du point de vue des dominé⋅es2.

    À supposer que je surmonte cet obstacle, je ne suis toujours pas légitime. En abordant ces sujets, je risque d’invisibiliser la voix de personnes plus compétentes que moi et sur qui s’appuie ma réflexion. Même si j’identifie des limites réelles à l’approche zéro gaspillage, je ne suis pas expert en #décolonialité.

    Alors pourquoi parler du sujet ? D’abord parce qu’on n’avancera jamais si j’attends de me sentir à l’aise pour discuter de racisme et de colonialité. Mon écologie est d’une #blanchité aveuglante : étudier sa colonialité est une façon d’adresser une partie du problème. Ensuite, parce que je ne prétends pas produire un discours scientifique ou exhaustif. Je présente un témoignage, un parcours de conscientisation personnel, limité et imparfait.

    Dans les paragraphes qui suivent, j’aborde un à un des aspects du zéro déchet. Pour chaque aspect j’émets une critique, puis je la rattache à une facette de la colonialité. C’est cette dernière qui donne une unité aux défauts présentés ici.

    Un « nous » d’humanité générale

    Préserver « nos #ressources », changer « nos modes de productions », réduire « nos #déchets » : les discours zero waste utilisent régulièrement le possessif « #nos ». Ce n’est pas un usage fréquent, mais il n’est pas anecdotique. On peut même résumer l’approche zéro gaspillage à On peut même résumer l’approche zéro gaspillage à « ne pas faire de nos ressources des déchets3 » (je souligne).

    Mais qui est derrière ces possessifs ? À quel « #nous » renvoient ces expressions ? Je ne crois pas qu’ils ciblent un groupe limité de personnes physiques, des gens qu’on pourrait compter. C’est un « nous » général, qui désigne un ensemble plus abstrait. Selon moi, il englobe toute l’humanité.

    Puisque le zéro déchet pense à l’échelle mondiale, qu’il s’intéresse à l’#intérêt_commun et est anthropocentré, son horizon semble bien être celui de l’#humanité. J’en fais l’expérience dans mes propres textes, quand j’écris « nos besoins », « notre situation » ou « notre planète » dans les articles précédents.

    Un point de vue de nulle part

    Mais les écologistes qui tiennent ces discours en France ne représentent pas toute l’humanité. Ils et elles sont situées sur toute une série de plans : social, économique, géographique… Avec ce « nous », iels endossent un point de vue désitué et désincarné, qui ne correspond à personne. Ce faisant, iels invisibilisent leur propre situation d’énonciation concrète et oublient son impact sur leurs façons d’agir et leur rapport au monde.

    Dans un mouvement inverse, iels invisibilisent la pluralité des voix et la diversité des points de vue au sein des groupes humains. En prétendant que leur voix est universelle, capable d’exprimer celle de « l’humanité », ces écologistes minorent la place des #désaccords, des #conflits et des #hiérarchies entre êtres humains.

    Ce double mouvement n’est possible que pour des personnes habituées à être légitimes, écoutées, à bénéficier d’avantages au sein d’un #système_de_pouvoir. Elles ne perçoivent pas ce que leur position a de singulier et ne s’étonnent pas que leur voix puisse énoncer des normes valables partout. Cette attitude semble correspondre à une facette de la colonialité, qui véhicule un #universalisme, voire un #universalisme_blanc.

    L’illusion d’une #humanité_unie

    Tout se passe comme si l’appartenance à la même espèce créait un lien fort entre les humains, que de ce simple fait, chaque membre de l’espèce avait des intérêts communs ou convergents. De quoi toutes et tous « nous » réunir dans même groupe : l’humanité.

    Les êtres humains auraient collectivement un intérêt commun à maintenir un climat stable et biodiversité abondante. Chacun⋅e aurait une bonne raison, même indirecte ou lointaine, d’agir dans ce sens. Par exemple, si je ne veux pas souffrir d’une chaleur mortelle lors de canicules intenses et fréquentes. Ou si j’ai peur que des guerres pour les ressources en eau, en terres fertiles, en ressources énergétiques ou en métaux adviennent sur mon territoire.

    Mais est-ce vraiment ce qu’on constate ? Partout les #intérêts_divergent, y compris dans des petits groupes. Qui a vraiment les mêmes intérêts que sa famille, ses ami⋅es ou ses collègues ? Plus le collectif est large, moins on trouve d’unité, d’uniformité et d’intérêts partagés. Les liens qu’on y découvre sont faibles, indirects et peu structurants. Chercher des #intérêts_convergents et significatifs à l’échelle de l’humanité semble largement illusoire.

    D’autant que certains ne sont même pas d’accord sur les limites de ce groupe. Qui compte comme un être humain ? Quand certains déshumanisent leurs ennemis en prétendant qu’iels sont des vermines. Que leur génocide n’en est pas un, puisqu’iels ne sont même pas « humains ». Qu’on peut en faire des esclaves, les dominer et les tuer « comme des animaux », puisqu’iels ne sont ne sont pas comme « nous ».

    Une faiblesse militante

    Pour la géographe #Rachele_Borghi, croire que nous somme toustes « dans le même bateau » est un des symptômes de la colonialité (Décolonialité & privilège, p. 110). Et c’est bien de ça qu’il s’agit : les écologies de la sobriété semblent croire que nous partageons la même situation critique, toustes embarqués dans un seul bateau-planète.

    Cette vision explique en partie l’insistance du zéro gaspillage sur la #non-violence et la #coopération. Le mouvement pousse à voir ce qui rapproche les personnes, ce qu’elles ont à gagner en collaborant. Il regarde l’intérêt général, celui qui bénéficie à « tout le monde », sans considération de #race, de #classe, de #genre, et ainsi de suite. Il passe un peu vite ce que chaque groupe a à perdre. Il ignore trop facilement les inimitiés profondes, les conflits irréconciliables et les #rapports_de_force qui traversent les groupes humains.

    Cette attitude constitue une véritable faiblesse militante. Faute d’identifier les tensions et les rapports de force, on risque d’être démuni lorsqu’ils s’imposent face à nous. On est moins capable de les exploiter, de savoir en jouer pour faire avancer ses objectifs. Au contraire, on risque de les subir, en se demandant sincèrement pourquoi les parties prenantes refusent de coopérer.

    Le spectre de l’#accaparement_des_ressources

    Plus profondément, un tel point de vue active un risque d’accaparement des #ressources. Si on pense parler au nom de l’humanité et qu’on croît que tous les êtres humains ont objectivement des intérêts convergents, il n’y a plus de conflits sur les ressources. Où qu’elles soient sur Terre, les #ressources_naturelles sont « nos » ressources, elles « nous » appartiennent collectivement.

    En pensant un objet aussi large que « l’humanité », on évacue la possibilité de conflits de #propriété ou d’#usage sur les ressources naturelles. L’humanité est comme seule face à la planète : ses divisions internes n’ont plus de pertinence. Pour assurer sa survie, l’humanité pioche librement dans les ressources naturelles, qui sont au fond un patrimoine commun, quelque chose qui appartient à tout le monde.

    Dans cette perspective, je peux dire depuis la France que j’ai des droits4 sur la forêt amazonienne au Brésil, car elle produit un air que je respire et abrite d’une biodiversité dont j’ai besoin. Cette forêt n’appartient pas vraiment à celles et ceux qui vivent à proximité, qui y ont des titres de propriété, ou même à l’État brésilien. C’est un actif stratégique pour l’humanité entière, qui « nous » appartient à tous et toutes.

    Sauf que rien ne va là-dedans. À supposer qu’on ait tous et toutes des droits sur certains #biens_communs, ça ne veut pas dire qu’on ait des droits équivalents. La forêt amazonienne m’est peut-être utile, dans un grand calcul mondial très abstrait, mais ce que j’en tire est infime comparé à ce qu’elle apporte à une personne qui vit sur place, à son contact direct et régulier.

    Les ressources naturelles sont ancrées dans des territoires, elles font partie d’écosystèmes qui incluent les humains qui vivent près d’elles. « Tout le monde » n’est pas aussi légitime à discuter et décider de leur avenir. N’importe qui ne peut pas dire que ce sont « ses » ressources, sans jamais avoir été en contact avec.

    Une attitude de colon

    Croire l’inverse, c’est faire preuve d’une arrogance crasse, adopter l’attitude d’un colon, qui arrivant de nulle part dit partout « Ceci est à moi » sur des terrains exploités par d’autres. Il faut une assurance démesurée, un sentiment de légitimité total, pour dire « nos ressources » en parlant de celles qui sont littéralement à autrui.

    Les écologistes qui adoptent ce point de vue ne semblent pas conscient⋅es que leur vision fait écho à des #logiques_prédatrices qui elles aussi, se sont parées de discours positifs et altruistes à leurs époques. Après la mission civilisatrice, la #mission_écologique pourrait prendre le relais. On ne viendrait plus exploiter les richesses des colonies pour l’Europe, mais protéger les ressources naturelles pour l’humanité. Un risque d’autant moins théorique qu’on a déjà évoqué les ambiguïtés et l’utilitarisme du zéro déchet.

    L’#impensé_colonial se manifeste aussi par une absence d’inversion des rôles. On pense le monde comme plein de ressources pour « nous », mais on ne pense jamais « chez soi » comme une ressource pour les autres. Quand on parle de l’épuisement des ressources en sable, on n’imagine pas renoncer aux plages françaises pour satisfaire les besoins d’autres pays qui veulent fabriquer du béton.

    Le « nous » d’humanité générale éclate en morceaux : son caractère fictif devient manifeste. Mis face à une #prédation qui touche à des ressources situées sur notre #territoire, nous, Français⋅es, cessons de considérer que tout est un #bien_commun et que nos intérêts se rejoignent avec ceux du reste du monde. Les crises du climat, de la biodiversité et de l’eau n’ont pas disparues. Mais notre approche ne permet plus d’y pallier.

    Une approche individualiste et dépolitisante

    Un autre défaut de l’approche zéro gaspillage est son aspect individualiste. Le zero waste veut prendre en compte les intérêts de toutes les parties prenantes, mais sa méthode d’action consiste à ne pas consulter les personnes. On s’informe sur ce qui leur arrive, sur leurs conditions de vie et de travail, mais on n’entre pas en contact avec elles. On veut agir pour ces personnes, mais sans devoir leur parler.

    Je vois trois dimensions à cette attitude. D’abord, une telle discussion est matériellement impossible : il y a trop de parties prenantes dans la production mondiale. L’ambition de toutes les prendre en considération est vouée à l’échec. Ensuite, une écologie qui imagine prendre en compte l’intérêt de toute l’humanité n’a pas besoin de parler aux autres. Elle croit pouvoir se projeter dans leurs situations et connaître leurs intérêts. Enfin, un certain mépris de classe n’est pas à exclure. On n’a pas envie de parler à celles et ceux qu’on estime inférieur⋅es : les fréquenter rend visible la #domination et les #injustices dont on profite.

    Depuis ma situation individuelle, je tente d’agir pour les autres, mais sans construire de liens explicites, de relations bidirectionnelles. C’est tout l’inverse d’une approche collective et politique. Certes, la matière et le cycle de vie des objets créent un lien invisible entre les personnes, mais il en faut plus pour créer des solidarités concrètes – pas juste des relations économiques entre clients et fournisseurs.

    Alors que le zéro gaspillage est un projet politique, dont le concept central est intrinsèquement politique, j’ai l’impression qu’il a du mal à dépasser une approche individuelle, à construire de l’#action_collective et des #solidarités. Il reste en ça prisonnier d’une époque néolibérale où les modèles mentaux partent de l’individu, parfois y restent, et souvent y retournent.

    Un risque de #paternalisme

    L’approche zéro gaspillage comporte aussi un risque de paternalisme (https://plato.stanford.edu/entries/paternalism). Si on définit l’intérêt d’autrui sans échanger avec lui, sans écouter sa voix et ses revendications explicites, on va décider seul de ce qui est bon pour lui, de ce qui correspond à ses besoins. On va considérer comme dans son intérêt » des choix que la personne rejetterait, et rejeter des choix qu’elle jugerait positifs pour elle. C’est précisément ce qu’on appelle du paternalisme : agir « dans l’intérêt » d’une personne, contre la volonté explicite de cette personne elle-même.

    Pensez aux travailleurs et travailleuses de la décharge de déchets électroniques d’Agbogbloshie au Ghana (https://fr.wikipedia.org/wiki/Agbogbloshie), qui sont interviewés dans le documentaire Welcom to Sodom (https://www.welcome-to-sodom.com). Iels expliquent que travailler là est là meilleure situation qu’iels ont trouvé, que c’est pire ailleurs : pas sûr qu’iels soient enthousiastes à l’idée d’une réduction globale des déchets. Certes, leur environnement serait moins pollué, leur santé moins en danger, etc. mais leur source de revenu disparaîtrait. Une écologie qui minore les désaccords, la diversité des points de vue et les conflits possibles montre encore une fois ses limites.

    Ce risque de paternalisme rejoint la question de la colonialité. Les Européens et les Européennes ont une longue tradition de hiérarchisation des races, qui met les blancs en haut et les personnes colonisées non-blanches en bas. Les personnes qu’on envahit, domine et tue sont présentées comme incapables de savoir ce qui est bon pour elles. Mais le colonisateur « sait ». Il est prêt à « se sacrifier » pour l’intérêt de ces peuples, qui « ne lui rendent pourtant pas ». Un tel point de vue s’exprime notoirement dans le poème raciste et colonialiste de l’écrivain Rudyard Kipling, Le fardeau de l’homme blanc (https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Fardeau_de_l%27homme_blanc).

    Mais n’est-ce pas quelque chose de similaire qu’on entend, quand j’écris dans l’article précédent (https://blog.whoz.me/zerowaste/le-point-de-vue-zero-dechet) que le zéro gaspillage consiste à mettre son intérêt direct en retrait, au profit de celui d’une personne plus loin dans la chaîne de production ? Le mépris s’est (peut-être) effacé, mais le discours sur le sacrifice altruiste est toujours là.

    Une position centrale qui interroge

    Avec la sobriété, les écologistes occidentaux trouvent une narration qui leur donne une place centrale, positive et active dans la lutte contre les injustices climatiques. Ce sont elles et eux qui proposent d’engager les sociétés contemporaines vers un #futur_désirable. Iels produisent des idées et expérimentent des pratiques qu’iels appellent à devenir la norme (#réemploi, #réparation, etc.). À la fois innovantes, précurseures, bienveillantes, ces personnes n’ont presque rien à se reprocher et plus de raison de se sentir coupables.

    Mais on devrait interroger une #narration qui vous donne la meilleure place, légitime vos choix et vos actions, sans jamais leur trouver d’aspects négatifs. Un tel #discours semble trop parfaitement bénéficier à celui ou celle qui s’y retrouve pour ne pas éveiller un soupçon.

    Je peine à ne pas voir dans la sobriété une sorte de version non-interventionniste du « #sauveur_blanc 5 ». Au lieu de prendre l’avion pour aller « aider » des enfants pauvres dans un pays du Sud, on « agit » à distance, par des effets indirects, incertains, et à moyen terme.

    On s’épargne l’aspect grossièrement raciste et paternaliste d’un « #tourisme_humanitaire » qui intervient sur place, perturbe les dynamiques locales, et laisse les conséquences à gérer à d’autres. Mais cet horizon d’agir de chez soi pour les dominés me semble prolonger des logiques similaires. On passe au sauveur « sans contact », qui sauve par un ruissellement de sobriété.

    On reste dans l’idée de porter secours aux « victimes » d’un système… dont on est l’un des principaux bénéficiaires. Un système construit par son pays, ses institutions, voire ses ancêtres… Et qui nous fabrique par notre éducation et nos socialisations.

    Des logiques d’#appropriation

    D’autant que les écologistes de la sobriété font preuve d’attitudes questionnables, qui tranchent avec leurs postures altruistes. Si j’ai les moyens d’acheter neuf, mais que je choisis l’occasion, je fais une excellente affaire, bien au-delà de l’intention écologique. On peut voir ça comme une façon pour un riche de récupérer des ressources peu chères, qui auraient sinon bénéficié à d’autres catégories sociales.

    En glanant Emmaüs et les #recycleries solidaires, les riches écolos s’introduisent dans des espaces qui ne leur étaient pas destinés au départ. Leur pouvoir économique peut même déstabiliser les dynamiques en place. Emmaüs s’alarme de la baisse de qualité des dons reçus, les objets de valeur étant détournés par des nouveaux #circuits_d’occasion orientés vers le profit ou la #spéculation (#Vinted, néo-friperies « #vintage », etc.).

    Par ailleurs, la façon dont les écologistes de la sobriété se réapproprient des pratiques antérieures questionne. Éviter le gaspillage, emprunter plutôt qu’acheter, composter, réparer, consigner : ces pratiques n’ont pas été inventées par le zéro déchet. L’approche zero waste leur donne surtout une nouvelle justification, une cohérence d’ensemble, et les repositionne au sein de la société.

    Des pratiques anciennement ringardes, honteuses, ou marginales deviennent soudainement à la mode, valorisées, et centrales quand des privilégié·es s’en emparent. L’histoire de ces usages est effacée, et les écolos les récupèrent comme marqueurs de leur groupe social. Une logique qui rappelle celle de l’#appropriation_culturelle, quand un groupe dominant récupère des éléments d’une culture infériorisée, les vide de leur signification initiale et en tire des bénéfices au détriment du groupe infériorisé.

    Une vision très abstraite

    Ma dernière critique porte sur le caractère très abstrait du zéro gaspillage. Les concepts centraux du mouvement présentent un fort niveau d’#abstraction. J’ai détaillé le cas du « gaspillage », mais on peut aussi évoquer les idées de « ressource » ou de « matière ».

    Une « #ressource » n’est pas vraiment une réalité concrète : le mot désigne la chose prise comme moyen d’un objectif, intégrée à un calcul utilitaire qui en fait une variable, un élément abstrait. La « #matière » elle-même relève d’une abstraction. Ce n’est pas un composé précis (de l’aluminium, de l’argile, etc.), mais la matière « en général », détachée de toutes les caractéristiques qui permettent d’identifier de quoi on parle exactement.

    Les dimensions géopolitiques, économiques et sociales liées à une « ressource » naturelle particulière, ancrée dans un territoire, sont impensées. Paradoxalement le zéro déchet insiste sur la matérialité du monde via des concepts qui mettent à distance le réel concret, la matière unique et spécifique.

    Le zéro déchet mobilise aussi ce que lea philosophe non-binaire #Timothy_Morton appelle des #hyperobjets : « l’humanité », la « planète », le « climat », les « générations futures »… Ces objets s’inscrivent dans un espace gigantesque et une temporalité qui dépasse la vie humaine. Ils sont impossibles à voir ou toucher. Quand on parle de « l’humanité » ou de « la planète », on cible des choses trop grosses pour être appréhendées par l’esprit humain. Ce sont des outils intellectuels inefficaces pour agir, qui mènent à une impasse politique.

    Cette fois-ci, le lien à la colonialité m’apparaît mois clairement. Je saisis qu’il y a un lien entre ces abstractions et la modernité intellectuelle, et que la #modernité est intimement liée à la colonisation. J’ai déjà parlé de la dimension calculatoire, optimisatrice et utilitariste du zéro déchet, mais la connexion précise avec la colonialité m’échappe6.

    Balayer devant sa porte

    Bien sûr, tout ce que je dis dans ce billet vaut aussi pour mon travail et les articles précédents. Mes critiques concernent autant le zéro déchet en général que la manière spécifique que j’ai de l’aborder. La colonialité que je reconnais dans le zero waste ne m’est pas extérieure.

    Et encore, ma position sociale et raciale font que je passe forcément à côté de certaines choses. Je sais que mes textes sont marqués de colonialité et de blanchité, par des aspects que je ne perçois pas, ou mal.

    Alors que la blanchité de l’écologie est le point de départ de ma réflexion, j’ai échoué à penser directement le lien entre suprématie blanche et sobriété. Cette réflexion sur la colonialité pourrait n’être qu’un détour, un moyen de ne pas aborder le problème, en en traitant un autre.

    Dans l’impasse

    Le système économique que le zéro gaspillage nous fait voir comme absurde a une histoire. Il est l’héritier de la colonisation du monde par l’Europe depuis le 15e siècle. Il naît d’un processus violent, d’exploitation et de #dépossession de personnes non-blanches par les européens. Son racisme n’est pas un aspect extérieur ou anecdotique.

    Une écologie qui veut sérieusement remettre en cause ce système ne peut pas être composée que de personnes blanches. Au-delà de ses « bonnes » intentions7, une #écologie_blanche est condamnée à reproduire des logiques de domination raciale et coloniale. En ne prenant pas en compte ces dominations, elle prolonge les façons de faire et de penser qui ont conduit à la crise climatique.

    Mais il ne suffit pas de vouloir une écologie décoloniale et antiraciste : il faut comprendre le problème avec l’écologie qui ne l’est pas. C’est ce j’ai tenté de faire dans cet article, malgré ma compréhension limitée de ces sujets. Le risque d’être imprécis, insuffisant, ou même erroné m’a semblé plus faible que celui ne pas en parler, ne pas ouvrir la discussion.

    Et pour qu’elle continue, je vous invite à vous intéresser à celles et ceux qui m’ont permis de recoller les morceaux du puzzle, de reconnaître un motif colonial dans le zéro gaspillage. Ils et elles ne parlent jamais de zéro déchet, rarement d’écologie, mais sans leurs apports, cet article n’existerait pas.

    En podcast

    Kiffe ta race (Rokhaya Diallo, Grace Ly)
    Le Paris noir (Kévi Donat)
    Code Noir (Vincent Hazard)
    Des Colonisations (Groupe de recherche sur les ordres coloniaux)
    Décolonial Voyage (Souroure)
    Décoloniser la ville (Chahut media)
    Isolation termique (Coordination Action Autonome Noire)
    Je ne suis pas raciste, mais (Donia Ismail)

    En livre & articles

    L’ignorance blanche (Charles W. Mills)
    Décolonialité & Privilège (Rachele Borghi)
    Amours silenciées (Christelle Murhula)
    La charge raciale (Douce Dibondo)
    La domination blanche (Solène Brun, Claire Cosquer)
    Le racisme est un problème de blancs (Reni Eddo-Lodge)
    Mécanique du privilège blanc (Estelle Depris)
    Voracisme (Nicolas Kayser-Bril)

    En vidéo

    Histoires crépues

    Notes

    Mes grands-parents et mon père naissent dans le Protectorat français de Tunisie. Ma famille quitte la Tunisie six ans après l’indépendance, lors de la crise de Bizerte. ↩︎
    J’hérite de cette idée générale de sa version spécifique proposée par Charles W. Mills dans son article L’ignorance blanche. ↩︎
    On retrouve cette idée dans Recyclage, le grand enfumage en 2020, même si la formulation de Flore Berligen (p. 15) est plus subtile. À l’inverse, cet article de 2015 reprend littéralement la formule. ↩︎
    Pas au sens de « droit » reconnu par un État ou une structure supra-nationale. C’est un droit au sens de revendication légitime, qui possède une valeur impersonnelle et qui mérite d’être prise en compte par tous et toutes, indépendamment de qui formule cette revendication. C’est un usage du mot « droit » qu’on retrouve en philosophie. ↩︎
    Toutes les personnes qui font du zéro déchet et prônent la sobriété ne sont évidemment pas blanches. Mais vu la quantité de blancs et de blanches dans le mouvement, on ne peut pas faire abstraction de cette dimension pour réfléchir à cette écologie. ↩︎
    Ma copine me souffle que le lien est simple : tout notre système intellectuel (politique, épistémologique, etc.) est produit par des colonisateurs. Il accompagne et légitime la colonisation. Même si je suis d’accord, c’est trop long à détailler à ce stade de l’article. ↩︎
    N’oubliez pas : le racisme n’est jamais une question d’intention. Ce sont les effets concrets et la domination qui constituent un acte comme raciste, pas l’intention de la personne qui le commet. ↩︎

    https://blog.whoz.me/zerowaste/il-ne-suffit-pas-de-vouloir-une-ecologie-antiraciste-le-zero-dechet-la-col
    #dépolitisation #individualisme #innovations #second_hand

  • Pourquoi acceptons-nous l’inacceptable ?

    Et comment construire une #santé_mentale_collective ?

    Les #injustices_sociales en France, comme la réforme des retraites, les discriminations raciales et la violence policière, sont exacerbées par des politiques migratoires répressives et des discours xénophobes. Les communautés LGBTQIA+, notamment les personnes trans, subissent aussi des attaques violentes et des régressions législatives. Ces inégalités sont systématiques et marginalisent des millions de personnes. Cependant, malgré ces luttes et mobilisations, une #résignation collective persiste, en partie à cause de mécanismes psychologiques invisibles qui rendent l’inacceptable acceptable.

    Malgré ces défis, des mouvements comme les Gilets jaunes ou les luttes féministes et antiracistes/décoloniales montrent que la #colère et la #résistance existent. Mais pourquoi ces élans s’essoufflent-ils ? Cette question dépasse les seules causes économiques et politiques, elle touche à des mécanismes psychologiques profonds. Ces mécanismes qui nous poussent à accepter l’inacceptable peuvent être déconstruits. En repensant la #santé_mentale comme un enjeu collectif, nous pouvons transformer notre manière de percevoir l’#injustice, en créant des espaces de #solidarité et d’#action commune. C’est à travers cette réinvention de notre rapport à l’autre et à la société que nous pourrons espérer changer les choses.

    Les mécanismes psychologiques de l’acceptation de l’inacceptable

    S’habituer à l’inacceptable ou le biais d’#adaptation

    Imaginez un bruit constant dans votre environnement, comme celui d’un ventilateur. Au début, ce bruit vous dérange, mais à mesure qu’il persiste, votre cerveau l’intègre et vous finissez par ne plus le remarquer. Ce phénomène, appelé #biais_d’adaptation, joue un rôle similaire face aux conditions de vie dégradées.

    Dans les sociétés contemporaines, ce biais se manifeste par l’#acceptation progressive de situations pourtant insupportables : précarité croissante, dégradation des services publics, ou explosion des prix de l’énergie. Par exemple, en France, le démantèlement progressif des hôpitaux publics, documenté par des sociologues comme Pierre-André Juven (La casse du siècle : À propos des réformes de l’hôpital public), a conduit à une pénurie de soignants et de lits. Pourtant, cette réalité est perçue comme une « #nouvelle_normalité » à laquelle il faudrait s’adapter, et non comme un #problème_systémique à résoudre.

    Ce phénomène se retrouve également dans des sphères plus personnelles. Prenons l’exemple du monde professionnel : un travailleur qui, année après année, voit ses #conditions_de_travail se dégrader – une #surcharge de tâches, des heures supplémentaires non payées, ou des #pressions_managériales croissantes – finit souvent par intégrer ces contraintes comme faisant partie du « métier ». Il rationalise : « C’est comme ça partout » ou « Je dois m’estimer chanceux d’avoir un emploi. » Pourtant, ces #ajustements_psychologiques masquent souvent une #souffrance profonde. En acceptant ces conditions, le salarié s’adapte à un #environnement_hostile sans remettre en question la structure qui en est responsable.

    De la même manière, les personnes racisées développent des #stratégies_d’adaptation face aux discriminations systémiques. Un exemple frappant est celui des #contrôles_au_faciès. Pour beaucoup, cette pratique récurrente devient une « #routine » : éviter certains quartiers, anticiper les interactions avec la police en préparant leurs papiers, ou encore minimiser l’expérience en se disant que « cela aurait pu être pire ». Ces #stratégies_d’ajustement sont des #mécanismes_de_survie, mais elles renforcent également la #banalisation de l’#injustice. Comme le souligne le sociologue Abdellali Hajjat dans ses travaux sur l’islamophobie et les discriminations, cette #normalisation contribue à invisibiliser les #violences_structurelles, car les individus finissent par intégrer ces traitements comme des faits inévitables de leur quotidien.

    D’un point de vue psychologique, cette #capacité_d’adaptation est un #mécanisme_de_protection : notre cerveau tend à minimiser les #chocs_émotionnels en « normalisant » ce qui devrait être exceptionnel. Mais cette adaptation, si elle nous protège individuellement, nous empêche collectivement de reconnaître l’#urgence_d’agir et peut paralyser l’#action_collective.

    L’#effet_de_normalisation : rendre l’injustice ordinaire

    Autre mécanisme à l’œuvre : l’effet de #normalisation. Les inégalités sociales, souvent présentées comme inévitables dans les discours politiques et médiatiques, finissent par être acceptées comme un état de fait.

    Prenons l’exemple des écarts de richesse. Lorsqu’un PDG gagne 400 fois le salaire moyen de ses employés, cette réalité devrait susciter l’indignation. Mais les récits dominants – comme celui de la « méritocratie » ou du « risque entrepreneurial » – transforment ces écarts en phénomènes normaux, voire légitimes. Les médias jouent ici un rôle central : en valorisant des figures comme Elon Musk ou Jeff Bezos, ils participent à cette construction idéologique. Comme l’explique le sociologue Pierre Bourdieu dans Sur la télévision, les médias ne se contentent pas de relater les faits : ils contribuent à modeler notre perception de ce qui est acceptable ou non.

    Cet effet de normalisation s’étend aussi à d’autres domaines. Les politiques d’#austérité, par exemple, sont souvent présentées comme des « nécessités économiques », rendant leurs conséquences – licenciements, fermetures de services publics – moins contestables. Les #discours_politiques insistent obstinément sur des #impératifs comme « réduire la dette publique » ou « améliorer la compétitivité », occultant les impacts humains et sociaux de ces choix. En nous habituant à ces récits, nous acceptons ce qui devrait être combattu.

    Cependant, il est essentiel de souligner que cette normalisation n’est ni totale ni irréversible. De nombreux travailleurs et travailleuses refusent ces conditions et s’organisent pour les contester. Les mouvements sociaux, les grèves et les luttes syndicales témoignent d’une résistance active face à cette normalisation.

    On peut par exemple observer le cas des femmes de chambre de l’hôtel Radisson Blu à Marseille déjà traitée par mon collègue Guillaume Etievant dans son article dédié. Après plusieurs mois de grève en 2024, ces travailleuses ont obtenu des augmentations salariales, une réduction des horaires de travail, et des compensations pour les heures supplémentaires. Elles ont ainsi mis en lumière les conditions de travail inacceptables qui étaient perçues comme normales dans l’industrie hôtelière, et ont prouvé qu’une organisation collective peut renverser cette « normalité ». En comparaison, la #lutte du personnel de l’hôtel Ibis Batignolles à Paris, bien qu’elle ait pris fin, illustre également comment les conditions de travail dégradées peuvent être confrontées par la mobilisation collective.

    Ces #grèves illustrent un point crucial : en conscientisant les mécanismes de normalisation, il devient possible d’agir collectivement. Identifier ces récits qui banalisent l’injustice, les déconstruire, et s’organiser pour les contester sont des étapes indispensables pour transformer une indignation individuelle en une action collective. Ainsi, si l’effet de normalisation est puissant, il n’est pas insurmontable. Les #résistances_collectives montrent qu’il est possible de refuser l’inacceptable et de poser les bases d’une société plus juste.

    Le biais d’#impuissance apprise : quand l’échec paralyse

    Enfin, le #biais_d’impuissance_apprise joue un rôle crucial dans notre passivité face aux injustices. Décrit par le psychologue #Martin_Seligman dans les années 1960, ce biais se développe lorsqu’un individu, confronté à des situations où ses efforts ne produisent aucun effet, finit par croire qu’il est incapable de changer quoi que ce soit.

    Sur le plan collectif, ce biais se manifeste après des mouvements sociaux réprimés ou qui échouent à obtenir des victoires significatives. Les manifestations massives contre la réforme des retraites en France en 2023, bien qu’intenses, n’ont pas empêché son adoption. Pour beaucoup, ce type d’échec renforce un sentiment d’inutilité de l’#action_politique. Cette #impuissance_apprise n’est pas seulement un phénomène individuel : elle est renforcée par des stratégies institutionnelles. La #répression_policière, les discours dénigrant les grèves ou les mobilisations, ou encore la lenteur des changements politiques contribuent à installer ce #sentiment_d’impuissance. Ces mécanismes participent à la #reproduction_des_inégalités en paralysant toute velléité de contestation comme l’indique la sociologue Monique Pinçon-Charlot.

    Ces #biais_cognitifs – l’adaptation, la normalisation et l’impuissance apprise – agissent de manière insidieuse pour nous maintenir dans l’acceptation de l’inacceptable. Les comprendre, c’est déjà commencer à s’en libérer. Mais ces mécanismes ne suffisent pas à expliquer la #passivité_collective : ils s’articulent à des structures sociales et économiques qui les renforcent.

    La #charge_psychologique_individuelle dans un système oppressif

    L’#individualisation des #problèmes_sociaux

    Beaucoup de personnes se retrouvent à vivre des situations difficiles, comme le chômage ou la pauvreté, dans la solitude, se sentant souvent responsables de leur propre sort. Cette #culpabilisation est renforcée par un #discours_dominant qui fait porter la faute sur l’individu, et non sur le système qui produit ces inégalités. C’est désormais bien connu, il suffit de “#traverser_la_rue” pour trouver du travail. Pourtant, il n’y a pas de honte à être confronté à des difficultés qui échappent à notre contrôle. Le #chômage, par exemple, est largement le résultat d’un marché du travail précarisé et d’une économie qui valorise l’exploitation plutôt que le bien-être. Il est essentiel de rappeler qu’il n’y a aucun aveu d’échec à se retrouver dans une situation où les structures économiques et sociales sont défaillantes. Ce n’est pas un échec personnel, mais bien une conséquence de l’organisation injuste du travail et des ressources.

    Le #capitalisme_émotionnel : une #aliénation des sentiments

    Le “capitalisme émotionnel” désigne la manière dont notre société capitaliste transforme nos #émotions en une #responsabilité_personnelle et une marchandise. Dans ce système, il nous est constamment demandé de « rester positif », de « faire face » et de « réussir malgré les difficultés », en particulier dans des contextes d’injustice sociale et économique. L’idée de la « #résilience », souvent véhiculée par les médias et les institutions, devient un impératif moral : si vous échouez à être heureux malgré les adversités, c’est de votre faute. Cette pression constante pour gérer nos émotions comme une #performance_individuelle fait partie d’un processus plus large d’#aliénation_émotionnelle. En d’autres termes, nous sommes poussés à croire que nos émotions et notre bien-être sont des éléments que nous pouvons maîtriser par la #volonté seule, alors qu’ils sont en réalité fortement influencés par les conditions sociales et économiques. Cela nous empêche de voir que nos luttes intérieures ne sont pas des défaillances, mais des réponses normales à des systèmes qui ne répondent pas aux besoins fondamentaux des individus.
    Le #capitalisme_émotionnel est donc un outil de contrôle social, car il détourne notre attention des causes profondes de notre #mal-être (injustices sociales, précarité, discriminations) et nous fait croire que notre souffrance est une question d’#aptitude_personnelle à surmonter les épreuves. Cela crée un sentiment de culpabilité, car on nous fait porter la #responsabilité de nos émotions et de notre résilience, sans jamais questionner les #structures_sociales qui alimentent cette #souffrance.

    Construire une santé mentale collective : la santé mentale comme #bien_commun

    Pour dépasser les limites de l’individualisme, il est essentiel de repenser la santé mentale comme un bien commun. Plusieurs initiatives inspirées des luttes féministes et des communautés marginalisées ont démontré que des structures communautaires de soutien peuvent offrir des solutions alternatives. Par exemple, les centres sociaux autogérés ou les réseaux d’entraide pour les travailleurs précaires permettent de créer des espaces où les personnes peuvent partager leurs expériences et trouver du soutien, loin des logiques de consommation des soins traditionnels. Ces espaces permettent de reconstruire des liens sociaux, de se soutenir mutuellement et de remettre en question l’#isolement imposé par les structures capitalistes.

    Dépolitiser l’#aide_psychologique individuelle pour la repolitiser

    L’accès aux #soins_psychologiques n’est pas égalitaire. Pour beaucoup, les thérapies sont hors de portée, soit en raison des coûts, soit à cause de l’absence de structures accessibles dans certains quartiers ou pour certaines populations. De plus, tous les thérapeutes ne partagent pas nécessairement une vision progressiste ou collective de la #santé_mentale. Il est donc essentiel de ne pas considérer la #thérapie comme une solution unique ou universelle à des problèmes sociaux qui sont avant tout politiques.
    Plutôt que de pathologiser systématiquement les effets du système sur les individus, il est plus pertinent de reconnaître que les #souffrances_psychologiques, dans de nombreux cas, sont des réponses normales à des conditions sociales et économiques injustes. Cependant, cela ne veut pas dire que la santé mentale doit être entièrement politisée de manière simpliste ou que l’on doit jouer aux « apprentis sorciers » de la #psychiatrie. L’enjeu est de comprendre qu’un #soutien_psychologique efficace doit tenir compte du contexte social et des inégalités qui peuvent fragiliser un individu. Les modèles de soutien collectifs, comme les #thérapies_communautaires ou les initiatives de santé mentale qui se nourrissent des #luttes_sociales (féministes, anticapitalistes, etc.), offrent des alternatives intéressantes. Elles ne visent pas à remplacer les #soins_individuels mais à compléter une approche qui permet de sortir de l’isolement, de reconnaître la dimension sociale des souffrances et d’offrir des #espaces_d’entraide où les individus peuvent se sentir soutenus collectivement.

    L’action politique comme remède à l’impuissance

    Redonner un sens à l’action collective est essentiel pour contrer le #sentiment_d’impuissance que beaucoup de personnes ressentent face aux injustices sociales. Participer à des #mouvements_sociaux peut être un moyen puissant de reconstruire l’#espoir et de lutter contre l’isolement. Cependant, il est important de souligner qu’il n’y a aucune culpabilité à ne pas être impliqué dans ces actions. Chacun évolue à son rythme, et l’#engagement_politique ne doit pas être un fardeau supplémentaire. Ce qui est essentiel, c’est d’être conscient des dynamiques collectives et de comprendre que, même si l’engagement direct dans les luttes peut sembler difficile ou épuisant, il existe des façons diverses et variées de soutenir la justice sociale. Il n’est pas nécessaire de répondre à une injonction de « se bouger le cul » pour se sentir utile. Beaucoup de personnes, éssoré.e.s par des oppressions systémiques telles que la toxicité managériale, le racisme, le validisme ou les violences faites aux personnes LGBTQIA+, peuvent se retrouver dans une situation de souffrance où chaque geste peut sembler trop lourd. La #solidarité ne se limite pas à l’action visible ; elle peut aussi passer par la création d’espaces de soutien, le partage d’informations, ou simplement par l’écoute et la compréhension. L’important est de trouver des moyens de participer, à son rythme et selon ses capacités.

    Les victoires obtenues par des mouvements sociaux, comme l’augmentation du salaire minimum ou la reconnaissance des droits des travailleurs, ont un impact psychologique direct : elles brisent le sentiment d’impuissance et rappellent qu’il est possible de transformer la réalité. Ces victoires, bien qu’elles puissent sembler petites à l’échelle globale, nourrissent l’espoir et renforcent la solidarité. Faire de la #justice_sociale une condition de la santé mentale implique de revendiquer des #politiques_publiques qui réduisent les inégalités et permettent à chacun de vivre dignement. Des propositions telles que l’accès gratuit aux soins psychologiques sont des leviers importants pour garantir une santé mentale collective et émancipée.

    Les mécanismes psychologiques qui nous poussent à #accepter_l’inacceptable ne sont ni inévitables ni figés. En comprenant mieux ces biais, en décryptant l’effet de normalisation et en reconnaissant l’impact de l’individualisation des problèmes sociaux, nous pouvons démystifier cette #résignation_collective. Nous avons le pouvoir de déconstruire ces dynamiques à travers l’éducation, la solidarité et, surtout, l’action collective. Ce processus n’est pas facile, mais il est possible. Changer de regard sur les inégalités, c’est déjà commencer à les transformer. Ce n’est pas un effort solitaire, mais une démarche collective, qui commence par la reconnaissance des souffrances et la volonté d’agir ensemble pour y remédier.

    https://www.frustrationmagazine.fr/pourquoi-acceptons-nous-l-inacceptable

    #invisibilisation #accès_aux_soins #psychologie

    déjà signalé par @gorekhaa :
    https://seenthis.net/messages/1092977

  • Violemment arrêtés, des paysans dénoncent le « deux poids, deux mesures » entre syndicats agricoles
    https://reporterre.net/Violemment-arretes-des-paysans-denoncent-le-deux-poids-deux-mesures-entr

    La férocité des arrestations et le déferrement « injustifié » de deux de leurs « camarades », illustre la différence de traitement entre la Confédération paysanne et la FNSEA et la Coordination rurale, estime Laurence Marandola.

    De fait, un peu partout en France ces dernières semaines, des permanences parlementaires, des locaux de l’Office français de la biodiversité et des bureaux d’associations environnementales ont été emmurés, voire dégradés, des véhicules de service ont été endommagés, du fumier, de la paille et des détritus ont été déversés, par les membres de ces deux syndicats.

    Des actions réalisées dans leur quasi-totalité sous l’œil bienveillant des gendarmes et policiers, et sans aucune conséquence judiciaire. « Si des militants écologistes faisaient un dixième des violences qu’ils commettent, ils feraient face à une sévère répression policière. C’est absolument inadmissible et très révélateur du deux poids, deux mesures », réagit Antoine Gatet, à la tête de France Nature Environnement.

    Gaspard Manesse dresse un constat similaire.« Dans un cas, il y a des dégradations qui valent des dizaines de milliers d’euros, des actes caractérisés d’un point de vue judiciaire, et il ne se passe rien. Dans l’autre, on parle d’une manifestation symbolique, sans violence, et la réponse est brutale », compare l’exploitant en bio dans le sud des Yvelines.

    La raison tiendrait au fait que, contrairement aux autres syndicats, la Confédération paysanne « appuie là où ça fait mal ». « Lors de leurs actions, la Coordination rurale et la FNSEA ne remettent pas en cause le système économique et agro-industriel établi. Nous, on pointe les responsables effectifs de la disparition des paysans, de la destruction du vivant et des conditions de la vie sur Terre, déroule-t-il. C’est pour cela qu’ils réagissent de manière complètement disproportionnée. »

  • La Ville de #Montréal devra indemniser les victimes de #profilage_racial par les policiers

    La Ville de Montréal vient d’être condamnée à verser des milliers de dollars aux personnes victimes de profilage racial qui ont été interpellées sans raison par des agents du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

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    Visée par une action collective, la Ville de Montréal devra verser 5000 $ à chaque personne victime de profilage racial interpellée par des policiers du SPVM entre 2017 et 2019.

    Il y a eu près de 40 000 #interpellations de personnes racisées au cours de cette période.

    Les Autochtones ont 6 fois plus de risques d’être interpellés que les Blancs, les populations noires, 3,5 fois plus, et les personnes arabes, 2,6 fois plus, selon un rapport de 2023.

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    « Il s’avère indéniable que le phénomène du profilage racial se manifeste au sein du SPVM depuis nombre d’années. Des membres de groupes racisés en sont victimes et font ainsi l’objet, sans justification, d’#interventions_policières présentant un lien avec leur appartenance raciale ou ethnique », déclare sans ambages un #jugement de la Cour supérieure, rendu mardi.

    La Ligue des Noirs du Québec menait une #action_collective contre la Ville de Montréal pour que chaque personne racisée interpellée sans motif entre 2017 et 2019 soit indemnisée à hauteur de 5000 $.

    Selon des données transmises par la Ville de Montréal dans le cadre du procès, il y a eu près de 40 000 interpellations de personnes racisées au cours de cette période.

    Un des avocats qui ont mené cette bataille, Jacky-Éric Salvant, estime qu’entre 10 000 et 30 000 victimes de profilage pourraient se manifester à la suite du jugement.

    Au début de l’action collective, la Ligue des Noirs du Québec évaluait le montant de la poursuite à 170 millions. Elle visait particulièrement les personnes issues des communautés noires, arabes, latinos et autochtones.
    5000 $ par personne

    La juge Dominique Poulin oblige Montréal à verser 5000 $ à chaque personne « interpellée sans justification qui a subi du profilage racial », et 2500 $ aux personnes interpellées dont les données personnelles n’ont pas été enregistrées par les policiers.

    Celles qui ont en plus été arrêtées et détenues sans raison devront établir les #dommages_moraux et matériels qu’elles ont subis, pour recevoir la somme appropriée.

    Les parties vont retourner devant le juge pour discuter des modalités de versement des indemnités.

    La mairesse de Montréal, Valérie Plante, avait témoigné dans le cadre de ce procès en février 2023.

    La Ville a reconnu l’existence de profilage racial au sein de son service de police, ainsi que la présence de #biais_systémiques, mais elle affirmait que le profilage était loin d’être généralisé, rappelle le jugement.

    Jugement historique

    « La Ville contribue au phénomène du profilage racial en demandant à ses policiers de faire de la #prévention et de procéder à des interpellations, dans un contexte de #racisme_systémique, où les #prédictions de policiers sont nécessairement appelées à reposer sur des #biais conscients et inconscients, en appliquant des pratiques susceptibles de cibler de façon particulière les membres de groupes racisés », écrit la juge Poulin, dans sa décision, qui fait une centaine de pages.

    Selon la Ligue des Noirs, il s’agit d’un jugement #historique.

    « Ce jugement va marquer l’histoire parce que nous sommes la première organisation qui a poursuivi une ville pour profilage racial au Québec et on a obtenu un jugement favorable », souligne le président de l’organisme, Max Stanley Bazin.

    Il s’agirait aussi du premier jugement au #Canada qui indemnise les victimes de profilage, ajoute Me Jacky-Éric Salvant, avocat d’Alexandre Lamontagne, celui qui représente les victimes dans le cadre de l’action collective.

    Un genou sur le cou

    M. Lamontagne, un homme noir, a été interpellé par des policiers en août 2017 alors qu’il marchait tout bonnement sur le trottoir dans le Vieux-Montréal, sortant d’un bar. « Hey, est-ce que je peux t’aider ? », lui aurait lancé un agent, sans raison, selon son témoignage rapporté dans le jugement.

    Se sentant agressé, M. Lamontagne a une altercation avec les policiers et leur demande de s’identifier. Alors que la tension monte de part et d’autre, les policiers plaquent l’homme au sol, l’un d’eux lui met un genou sur le cou et ils lui passent les menottes, tandis que trois autres voitures de police arrivent en renfort.

    M. Lamontagne passe le reste de la nuit en prison et reçoit trois constats d’infraction pour avoir fait du bruit, avoir continué un acte interdit et ne pas avoir emprunté le trottoir, accusations qui seront par la suite abandonnées.

    Les policiers ont raconté en cour une version différente, mais la juge Poulin ne l’a pas retenue, s’appuyant notamment sur des images vidéo.

    Alexandre Lamontagne a dû être soigné pour des spasmes musculaires à la suite de l’incident, en plus de se sentir humilié et dénigré. Le jugement lui accorde 5000 $ en indemnisation.

    « Que les personnes responsables de l’application des lois et règlements ne respectent pas les droits et libertés qui sont garantis par les chartes, c’est un grave problème », fait remarquer Max Stanley Bazin, qui s’attend à d’importants changements de la part de la Ville de Montréal à la suite du jugement.
    Risque plus grand pour les non-Blancs

    La décision de la juge Poulin s’appuie en bonne partie sur le témoignage et le rapport de l’expert Victor Armony au sujet du profilage racial au SPVM.

    Avec deux autres chercheurs, M. Armony a étudié la question à la demande du corps policier, et son rapport, rendu en 2023, concluait que les Autochtones avaient 6 fois plus de risques d’être interpellés que les Blancs, les populations noires, 3,5 fois plus, et les personnes arabes, 2,6 fois plus.

    Malgré ce constat, le chef du SPVM, Fady Dagher, avait refusé de décréter un moratoire sur les interpellations, comme le recommandait le rapport.

    « La Ville continuera de déployer des efforts sans précédent pour lutter contre le profilage racial. En tant que première administration à avoir reconnu l’existence du racisme systémique, nous continuerons de travailler, avec l’ensemble de nos partenaires et des organisations publiques de Montréal, afin que chaque citoyenne et citoyen se sente en sécurité et bénéficie des mêmes droits », a réagi le cabinet de la mairesse Valérie Plante, dans une communication écrite.

    En réaction au jugement, la Ligue des droits et libertés (LDL) rappelle que les policiers n’ont pas le pouvoir au Québec de faire des interpellations en vertu de la loi ou de la common law. « Les interpellations policières bafouent les droits et libertés des personnes interpellées et sont une source connue et documentée de profilages racial et social systémiques », souligne Lynda Khelil, porte-parole de la LDL.

    « La LDL exhorte la Ville de Montréal à ne pas faire appel de ce jugement et à y donner suite de façon urgente, notamment en interdisant aux policiers du SPVM de faire des interpellations, une bonne fois pour toutes. »

    https://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-faits-divers/2024-09-03/la-ville-de-montreal-devra-indemniser-les-victimes-de-profilage-racial-par-
    #indemnisation #police #forces_de_l'ordre #Canada #justice

    via @freakonometrics
    ping @karine4 @cede

  • Le meilleur remède contre l’éco-anxiété

    https://bonpote.com/le-meilleur-remede-contre-leco-anxiete

    #kevin_jean
    https://mesurs.cnam.fr/laboratoire-mesurs/kevin-jean--1398727.kjsp#

    “Ne soyez plus éco-anxieux, soyez éco-furieux”
    C’est donc peut-être en mettant l’accent, dans les titres de presse ou dans les sujets du 20h, plus sur les causes des #dégradations_environnementales que sur leurs impacts présents ou attendus, qu’on peut espérer transformer l’éco-anxiété, forme d’angoisse face à une menace floue et mal cernée, en éco-colère. C’est le fameux “ne soyez plus #éco-anxieux, soyez #éco-furieux” de Frédéric Lordon, qui fait, au-delà de la formule, l’objet de travaux de #recherche récents.

    Car en effet, l’#éco-anxiété ou la colère climatique semble bien être un tremplin à l’engagement pour les causes environnementales. Dans une étude conduite en 2022 par l’université de Yale, les personnes qui exprimaient un sentiment de détresse climatique (près de 10% de l’échantillon d’étude, en gardant en tête que cette proportion est très dépendante de la formulation de la question posée) rapportaient bien plus fréquemment être passées à l’action pour la cause climatique, de la signature de pétition à l’investissement personnel dans des organisations environnementales. 

    Source : https://climatecommunication.yale.edu/publications/distress-about-climate-change-and-climate-action

    L’éco-anxiété peut donc constituer un tremplin à l’action collective, mais, et c’est là une bonne nouvelle qu’il ne faut pas se lasser de partager, l’action collective pourrait bien être le meilleur remède à l’éco-anxiété. En effet, une étude conduite en 2022 auprès de jeunes américains suggérait que l’engagement au sein d’actions collectives pouvait jouer le rôle de tampon face au risque que l’éco-anxiété peut représenter pour la santé mentale.

    Dans l’étude en question, parmi les jeunes déclarant être affectés par l’éco-anxiété, celles et ceux qui par ailleurs étaient engagé(e)s dans des actions collectives en faveur du climat étaient moins affecté(e)s par des troubles dépressifs. Si ces premiers résultats méritent d’être confirmés dans d’autres études, ils corroborent largement les témoignages de nombreux activistes ou scientifiques engagés pour le climat, de Cyril Dion à Jean Jouzel. 
    [...]

    L’éco-anxiété : un tremplin vers l’action ?
    Rappelons-le, l’éco-anxiété constitue une #réaction saine et justifiée face à l’ampleur des #menaces_écologiques. C’est bien plus la réaction inverse, le déni ou le #cynisme, qui se rapproche du #pathologique

    La succession des événements climatiques extrêmes, et sans doute encore plus les renoncements répétés des élites à répondre à l’ampleur des crises écologiques, constituent le moteur de la diffusion de l’éco-anxiété, y compris chez les populations vulnérables ou défavorisées. 

    Il peut être tentant de chercher des manières individuelles de gérer ce trouble, mais il ne faut pas s’y tromper : c’est bien l’action collective, et elle seule, qui est à même de s’attaquer au moteur du mal.

    Le mouvement écologique a tout intérêt à s’efforcer de faire de l’éco-anxiété un tremplin vers l’action, en communiquant sur les causes ou les freins à l’action plutôt que sur les désastres à venir. Il semblerait d’ailleurs au passage que cibler les opposants à l’action climatique – pétroliers, lobbyistes, politiques – dans des messages en faveur du climat soit particulièrement efficace.

    Il est d’autant plus justifié de le faire car l’#action_collective pourrait bien apporter une certaine forme de soulagement à l’éco-anxiété, et ainsi s’avérer être également une forme de remède à l’échelle individuelle.

  • Se réapproprier la science | Camille Rullán
    https://cabrioles.substack.com/p/se-reapproprier-la-science-camille

    L’affirmation selon laquelle « la science est neutre » est en soi une déclaration politique, qui s’aligne sur les intérêts de la classe dominante. Ce qui est qualifié de politique est ce qui remet en question l’idéologie invisible et hégémonique. D’où la nécessité de comprendre les manières dont le capital et le pouvoir influencent la production, les usages, ainsi que la nature de la science et, de manière plus critique, de réinventer les manières dont nous pratiquons la science. Il n’y a pas de héros qui puisse nous donner cela. Le seul moyen d’avancer est l’action collective. Source : Science for the People via (...)

  • Vendanges sauvages chez Bernard Arnault dans le Var !


    Ce dimanche matin - à l’appel des Soulèvements de la Terre et de la Confédération Paysanne - 300 personnes ont investi dans le Var une parcelle de vignes de #ChateaudEsclans accaparée par le groupe #LVMH dirigé par le milliardaire Bernard Arnault.




    Deux convois différents se sont rejoints au pied des rangs en chantant « Ô Bernard Arnault, espèce de blaireau, on vient vendanger chez toi ! » sur l’air d’avertissement frondeur du mouvement des gilets jaunes ou encore « Bernard si tu savais, ton pinard ce qu’on en fait. Du jus ! Du jus ! Aucune hésitation ! On boit, on boit, à la révolution ! ».



    Après une distribution de 200 sécateurs, nous sommes passés directement des déclarations d’intentions à l’action et avons entrepris de vendanger sans plus attendre les profits des spéculateurs ! Les gendarmes qui avaient suivi le cortège en nous spécifiant en vain l’interdiction de pénétrer sur des terrains privés ainsi que les agents de sécurité « pacific » (sic) de LVMH se sont tenus en retrait.




    Suite à la vendange rapide d’1,5 tonne de raisins, nous avons déambulé parmi les vignes puis sur la départementale jusqu’à la future cave de #lvmh, encore en chantier. Nous y avons alors déployé des pressoirs et foulé le raisins pour en faire plus de 1000 litres de jus redistribué aux participant.es et en soutien à la ZAP de Pertuis , expulsée mais encore en mouvement pour empêcher la bétonisation de dizaines d’hectares de terres maraîchères. Ce raisin était initialement destiné par Bernard Arnault à la production de la cuvée Whispering Angels. C’est sur ce domaine que le milliardaire revendique fièrement de produire le rosé le plus cher du monde. Nous avons ainsi repris notre part des anges et une petite revanche de classe qui en appelle d’autres.





    Cette action était la seconde - en quelques mois- des Soulèvements de la Terre et de la Confédération paysanne sur des vignobles livrés à la spéculation. La première - dans le Jura en mars - avait réuni des centaines de personnes pour reprendre et nettoyer une vigne qu’un obscur fond d’investissement laissait mourir. (https://lessoulevementsdelaterre.org/blog/dans-le-jura-600-personnes-reprennent-la-terre-aux-aux-spe)



    Le vignoble du Var est lui aussi la proie d’investisseurs qui font flamber le prix du foncier et placent l’avenir du territoire sous la mainmise de grands groupes. Cette nouvelle reprise de terres visait donc à s’en prendre en action à l’accaparement des terres agricoles et la financiarisation qui en découle. Nous invitons à décliner et multiplier à l’envie partout dans le pays ces initiatives de récoltes des fruits de l’accaparement et de ponction directe dans le porte-monnaie des bénéficiaires de jet-privés et de golfs arrosés cet été.

    Cette action inaugurale de la saison 4 des soulèvements de la terre, venue clôturer 2 jours d’assemblées, sera bientôt suivie d’une mobilisation nationale pour stopper le nouveau chantier de méga-bassine qui menace chaque jour de démarrer à Saint-soline dans les Deux-Sèvres malgré un été de sécheresse sans précédent. Guettez les réseaux sociaux des #SoulèvementsdelaTerre, un rendez-vous pour se rejoindre en masse sur le terrain devrait tomber des les jours qui viennent ! #PasUneBassinedePlus #ManifdeFindeChantier - https://lessoulevementsdelaterre.org/blog/pas-une-bassine-de-plus


    La terre aux paysan.nes et celles et ceux qui en prennent soin ! Accapareurs et spéculateurs, hors de nos vignes et de nos vies !

  • Cet été, des activistes ont choisi le sabotage, ils expliquent leurs actions
    https://ricochets.cc/Cet-ete-des-activistes-ont-choisi-le-sabotage-ils-expliquent-leurs-actions

    Face à l’urgence des désastres climatiques, écologiques (et donc sociaux) en cours et qui s’aggravent, des activistes n’attendent plus de miracles, ils agissent directement en sabotant des infrastructures qui nuisent à l’intérêt collectif. Golfs, SUV... Ils ont saboté, ils racontent - Mégabassines débâchées, pneus dégonflés, golfs rebouchés… Cet été, les activistes ont choisi le sabotage pour se faire entendre. Ils expliquent aujourd’hui leurs actions. Face à la sécheresse, ils dénoncent l’accaparement de (...) #Les_Articles

    https://reporterre.net/Golfs-SUV-Ils-ont-sabote-ils-racontent

  • À #Pont-Audemer, les projets locaux se dessinent entre chercheurs, décideurs et citoyens

    Lancer des projets de développement local durable, tels que l’implantation de parcs éoliens ou la restriction de la circulation des voitures à Paris, implique chaque fois de consulter un grand nombre d’acteurs, et en premier lieu, les personnes qui vivent et travaillent sur le territoire concerné.

    Même s’il est évident que la participation de tous est essentielle au bon déroulement du pilotage, de la concrétisation et du développement des projets, la prise en compte des citoyens est particulièrement difficile. Elle exige d’entendre et d’inclure les différents points de vue, et de les concilier tant sur le plan des objectifs et résultats à atteindre que sur les méthodes à mettre en œuvre.

    La convention citoyenne pour le climat nous a récemment donné un exemple criant de la difficulté à dépasser les bonnes intentions et à intégrer les avis et souhaits d’une population. Une difficulté qui peut produire à terme des effets inverses à ceux recherchés si elle n’est pas surmontée.

    Du côté des élus et représentants de l’État, le risque est en effet de tomber dans une vision politique un peu figée des enjeux de développement local. Quant aux chercheurs et scientifiques sollicités pour diagnostiquer et conseiller, le principal écueil est d’être trop abstrait et trop éloigné des attentes et des besoins locaux. Comment repenser alors leur place dans ces processus de décisions ?

    Pour répondre à cet enjeu, il existe une démarche de terrain, inclusive, réflexive et participative appelée la recherche-action. Elle part du postulat que les problèmes environnementaux, sociaux et économiques sont vécus par les acteurs locaux, sur le terrain. Pour les comprendre et mieux les résoudre, agents de l’État, élus, chercheurs et citoyens ont par conséquent intérêt à se regrouper pour réfléchir et produire des savoirs permettant d’agir collectivement en toute connaissance. Cela implique de créer des méthodes de participation où tous sont impliqués de façon équitable.

    C’est dans cette voie que se sont engagés plusieurs acteurs de Pont-Audemer, dans l’Eure, une commune déjà impliquée dans des processus de transition écologique et solidaire et souhaitant aller encore plus loin dans le développement local durable.
    L’expérience de Pont-Audemer

    Entre septembre 2019 et juin 2020, une démarche de recherche-action a été menée collectivement pour nourrir les projets de cette commune. L’université de Caen Normandie a proposé à la ville de Pont-Audemer d’être l’objet d’un module de formation par l’action, le principe étant que les étudiants apprennent en agissant. Cette commune, située au cœur de la Normandie, est assez petite pour être appréhendée en peu de temps. Elle a mené et fait l’objet de nombreux diagnostics préalables à l’action et avait déjà mis en œuvre des opérations entrant dans le cadre de la transition écologique et solidaire.

    Le projet a mis en relation plusieurs catégories d’acteurs : des habitants, des associations, des enseignants-chercheurs, des fonctionnaires étudiants en formation continue, des fonctionnaires territoriaux, le maire, des responsables d’équipements publics comme une médiathèque ou un théâtre, des entreprises et des professionnels de divers secteurs comme des chefs de rayons dans la grande distribution ou des agriculteurs.

    Le travail en commun a fait émerger des axes de travail à privilégier dans le champ de la culture, des circuits courts, des tiers lieux, des modes doux de déplacement et de la mise en valeur du patrimoine naturel, avec en toile de fond l’économie sociale et solidaire.

    Les méthodes de participation et d’implication ont été multiples et diverses : l’observation participante – qui consiste à observer en essayant de se mettre à la place des autres – l’enquête par questionnaire, l’atelier, la réalisation d’entretiens, de réunions régulières… Autant de techniques qui favorisent l’immersion et l’interaction. L’analyse des territoires et des projets potentiels – valorisation des productions agricoles locales, réhabilitation des anciens lieux industriels, préservation des lieux naturels remarquables, implication des populations dans les projets – se fait alors au plus proche des acteurs et des agents, elle vient compléter les approches et raisonnements théoriques.

    Les fonctionnaires étudiants accompagnés par les enseignants-chercheurs accèdent en allant sur le terrain à des connaissances par le vécu. Les échanges avec les acteurs de la vie locale permettent de rendre poreuse la frontière entre les théories et les pratiques.

    Les acteurs expriment la vision du monde (théorie) qui sous-tend leurs choix et actes : entre autres, l’idée d’un développement endogène s’appuyant sur les forces déjà présentes sur le territoire a rassemblé beaucoup de protagonistes. La prise en compte de la pauvreté dans le raisonnement économique, qui d’un point de vue théorique n’est pas si courante, est aussi une préoccupation de bon nombre d’acteurs, dont l’épicerie sociale. Les étudiants et chercheurs remettent quant à eux en question leurs savoirs en les confrontant à la réalité de terrain (pratiques). Les acteurs deviennent chercheurs, les chercheurs deviennent acteurs.

    Concrètement, le travail réalisé sur la capacité de la Risle, la rivière qui traverse Pont-Audemer, à fédérer les habitants, illustre bien l’efficacité de la démarche. Le travail collectif de terrain a permis de rassembler les différents participants autour de l’organisation d’un atelier participatif pour inviter la population à s’exprimer sur le rôle de la Risle dans l’identité de la ville ou sur des idées d’aménagements.
    Partager les réalités du terrain

    Cette recherche-action a toutefois révélé une difficulté pour certains acteurs à changer de posture. Les agents de l’État mis en situation d’étudiants dans le cadre d’un Diplôme universitaire ont dû s’affranchir d’une démarche descendante habituelle.

    Parallèlement, certains acteurs locaux n’attendant plus de solutions qui seraient venues « d’en haut » avaient du mal à intégrer la démarche, en particulier tous ceux qui se sentent délaissés par les politiques publiques et victimes du désengagement de l’État. La prise en compte de la conjoncture a par ailleurs perturbé le calendrier de la recherche-action et les possibilités d’interaction entre les personnes impliqués (élections municipales, Covid).

    Plus généralement, la démarche a mis en évidence des « visions dépolitisées » de la cité, quand par exemple un projet de diffusion de l’usage du vélo vient résoudre un problème ponctuel, conjoncturel, de stationnement et d’embouteillage sans réellement s’insérer dans une pensée plus globale de long terme. Il conviendrait d’envisager plus largement la question de la mobilité en lien avec l’articulation vie professionnelle et vie privée, travail et loisir, travail en présentiel et télétravail, horaires normaux et décalés… En fait, la démarche a parfois révélé un manque de conceptions partagées du monde, qui aident pourtant à l’action collective.

    Mais l’expérience a aussi mis en lumière l’intérêt d’échanger et de collaborer dans la durée. Elle a créé des relations de confiance en encourageant la circulation et le partage de l’information, et la liberté pour tous de prendre des initiatives.

    Les acteurs se sont pris au jeu de la recherche participative, et les chercheurs ont intégré les opportunités et freins rencontrés par les praticiens, devenant ainsi facilitateurs et animateurs. Les différentes approches disciplinaires des chercheurs se complètent par ailleurs pour produire des analyses systémiques et interdisciplinaires entre économie sociale et solidaire et géographie sociale. Cela a permis, si ce n’est de co-construire une vision du monde commune, au moins de partager de manière constructive les réalités vécues sur le terrain.

    https://theconversation.com/a-pont-audemer-les-projets-locaux-se-dessinent-entre-chercheurs-dec
    #développement_local #participation #recherche-action #RAP #recherche-action_participative #transition #transitions #ESS #économie_sociale_et_solidaire #pédagogie #théorie #pratique #développement_endogène #pauvreté #épicerie_sociale #Risle #atelier_participatif #mobilité #action_collective #confiance #circulation_des_savoirs

  • Gilets Jaunes, l’urgence de l’acte – Stathis Kouvélakis
    https://www.contretemps.eu/gilets-jaunes-urgence-acte-kouvelakis

    Ce qui caractérise à cet égard le mouvement des GJ, et révèle sa fragilité, c’est plutôt la profusion d’aspirants à la direction, à la fois au niveau local, régional et national. Pour l’instant, au niveau national, la corde semble être tenue par le trio, désormais scindé, de la France en colère Eric Drouet – Priscillia Ludosky – Maxime Nicolle. Le « serment du jeu de Paume » du 13 décembre, suivi par le rassemblement devant l’Hôtel de ville de Paris le 7 janvier, ouvert par la lecture d’une lettre adressée à Macron et suivi d’un cortège vers l’Assemblée, et, point d’orgue de la série, l’organisation réussie d’un rassemblement d’ampleur nationale à Bourges le 12 janvier sont autant d’initiatives qui témoignent d’une volonté évidente de conquérir une position de #leadership et de traduire sur le terrain de l’action de rue les succès acquis sur les #réseaux_sociaux. L’objectif est confirmé par la « scission » devenue à présent publique (via facebook naturellement) au sein de ce trio et qui semble relever exclusivement du jeu banal d’ambitions personnelles rivales[47].

    Cette évolution relève incontestablement du processus très classique de constitution et d’institutionnalisation d’un groupe. A ceci près que, du fait de l’unanimisme identitaire du mouvement des GJ, redoublé du refus (pour l’instant du moins) de toute autre forme de coordination que les réseaux sociaux, fait de ces questions l’objet d’une dénégation de principe. A l’évidence, rien ne déplairait plus à Maxime Nicolle ou Eric Drouet, et sans doute aussi à leurs nombreux « followers », que d’admettre leurs ambitions de leader, fût-ce dans un cadre différent que celui d’un parti politique. Pourtant, ce serait là faire œuvre de clarté, qui permettrait, entre autres choses, de les questionner sur leurs orientations, leur confusionnisme idéologique, leur rôle dans la propagation des théories délirantes d’un Philippe Argillier[48], ou dans la diffusion de propos racistes et complotistes sur le pacte de Marrakech, le rôle des « lobbies » et de « la finance », ou la caution apportée à la pancarte antisémite qui décorait la tribune du rassemblement de Bourges du 12 janvier etc. En réalité, il y a fort à parier que, s’il veut se prémunir de dérives trop prévisibles, et se doter d’une pérennité et d’une efficacité, le mouvement est condamné à réinventer la roue, à savoir trouver des formes de structuration, créer des #espaces_de_délibération et de coordination, bref se soumettre aux lois universelles d’une #action_collective démocratique. Les tentatives en cours de structurer à l’échelle nationale un processus de délégation émanant d’assemblées générales, une « assemblée des assemblées » telle que le propose notamment l’appel des GJ de Commercy[49], représente à l’évidence un enjeu crucial. Leur succès serait un pas vers un mouvement qui pourrait contribuer à la reprise en main de leur vie par les opprimé.e.s et les exploité.e.s, et s’ouvrir, sans garantie aucune, à une perspective émancipatrice.

    Les forces de la #gauche sociale et politique peuvent y contribuer, la question de l’utilité de leur existence même ne manquerait pas de se poser s’il en allait autrement. Il y a toutefois des conditions à cela, dont la satisfaction, disons-le, paraît assez lointaine à l’heure actuelle. L’attitude des directions syndicales, qui confine à l’aveuglement, est particulièrement alarmante. Au lieu de voir dans le mouvement, au minimum, une occasion pour s’affronter avec le macronisme et arracher de véritables concessions, bien au-delà de l’annulation de deux taxes injustes, elles se sont confinées dans le rôle parfaitement illusoire de médiation avec un pouvoir autoritaire et discrédité, allant même jusqu’à lui prêter main-forte au moment où celui-ci apparaissait le plus en difficulté[50]. Quant à la gauche politique, celle qui ne rechigne pas à aller au combat, lorsqu’elle ne s’est pas coupée du mouvement, elle refuse de se saisir de ces contradictions et de les politiser, se contentant de surfer sur les affects qu’il suscite ou de projeter sur lui des schémas, si ce n’est des fantasmes, manifestement inopérants et dépassés. Ce mouvement n’est certainement pas le modèle de toute mobilisation future, mais on peut parier que nombre de ses innovations, et des questions qu’elles posent, resurgiront, sous une forme ou une autre, dans la période à venir. Ne pas comprendre qu’il peut en sortir tout autre chose que tout ce à quoi les mouvements sociaux de la période antérieure nous ont habitué revient à s’exposer à de terribles déconvenues. Or, il convient d’y insister, compte tenu de la profondeur de la crise politique, le temps est dense, ce qui est une autre façon de dire qu’il est compté. On ne saurait accorder trop d’importance aux enquêtes d’opinion, mais on ne peut écarter d’un revers de main les indices qui suggèrent que seule l’#extrême-droite semble pour l’instant profiter de la situation. On le peut d’autant moins que le profil de la plupart des porte-paroles et aspirants leaders des GJ, et la persistance de certains symboles dans les actions les plus emblématiques du mouvement[51], a de quoi susciter l’inquiétude.

     

    Passer à l’acte

    Dans l’hypothèse, peu probable, qu’il s’arrête ou décline rapidement sans laisser de traces durables, qu’aura appris d’utile le mouvement des GJ à celles et ceux pour qui le combat social et politique n’a pas commencé le 24 novembre dernier ? Au moins ceci : qu’il est possible de gagner un soutien majoritaire, d’ébranler en profondeur un pouvoir autoritaire en étant dix fois moins nombreux dans la rue que dans une manifestation syndicale et sans passer par la case des journées de grève « saute-mouton » (ou annoncées comme sur un planning d’examens) comme celles que nous avons connu depuis maintenant de trop nombreuses années. Qu’il est légitime, n’en déplaise aux belles âmes, de se défendre face au déchaînement répressif de l’État et que la contre-violence de celles et ceux qui luttent n’est pas toujours contre-productive, que ses effets dépendent d’une perception de la situation qui relève avant tout d’une compréhension politique. Que l’initiative d’une mobilisation d’envergure peut être prise, pas toujours mais en certaines occasions du moins, par des novices, qui manquent d’expérience, qui feront inévitablement des erreurs, mais qui sont également dépourvus du poids des routines bureaucratiques et des défaites intériorisées qui inhibent la pensée et l’agir des plus aguerris. Qu’il faut aussi commencer par s’organiser là où on peut et comme on peut, qu’un rond-point ou un parking peuvent devenir un foyer d’action collective, mais garder également à l’esprit que, pour gagner, il faut également savoir en sortir, aller voir ailleurs et rencontrer autrui pour construire une lutte commune.

    Le mouvement nous aura également appris que si l’on veut obtenir « plus », ou plutôt : autre chose, que des annulations de taxes sur les carburants ou des hausses de CSG, si on aspire à des choses très immédiates et simples comme des augmentations de salaires, le rétablissement de la législation du travail et la remise en cause de son infinie précarisation, il faudra s’y prendre autrement.

    On en conviendra, ce n’est déjà pas si mal…

    On peut également formuler les choses ainsi : le mouvement des GJ peut se comprendre comme une critique en acte de cette impuissance de plus en plus insupportable dans laquelle la gauche sociale et politique s’est enferrée au cours de cette dernière période, et dont l’origine remonte aux défaites sur lesquelles s’est achevé le siècle passé. Il est illusoire de penser que ce mouvement apporte de lui-même des réponses d’ensemble. Dans ce qui a précédé, nous nous sommes efforcés de montrer en quoi il achoppe également sur des obstacles bien visibles et, pour une large part, bien prévisibles, qui prolongent certaines des tendances parmi les plus sombres de la situation présente. Mais l’événement crée également le besoin, et, pour une part, les conditions d’une nouvelle rencontre. En ce sens, son signifiant le plus important n’est sans doute pas celui, à vrai dire insignifiant, d’un gilet d’automobiliste fluorescent mais bien celui d’« acte » qui scande cette séquence depuis son commencement. Si ces « actes » doivent aboutir à autre chose qu’à une série qui s’étire vers un enlisement terminal, c’est bien cette rencontre qu’il s’agit de construire, pour que cette scansion devienne celle d’un véritable passage à l’acte.

    #Gilets_jaunes

    • Ce qui ressort en revanche clairement, c’est la mise en avant de l’#unanimité en tant que trait constitutif du mouvement. Elle se traduit par l’affichage de revendications pouvant faire immédiatement #consensus, le RIC en est l’exemple-type, et la mise et l’écart des points qui prêtent à controverse, ou sont susceptibles d’en créer. Certes, tous les mouvements sociaux mettent en avant des revendications unifiantes, c’est même leur geste fondateur et une condition indispensable à leur succès. Une telle unification n’est toutefois pas donnée d’emblée, elle se construit au cours de la mobilisation elle-même, par une combinaison de débats et d’effets en retour induits par l’action collective elle-même. L’unanimisme des GJ est d’un autre ordre, il relève d’une dimension proprement #identitaire. En l’absence d’espaces de délibération à l’échelle du mouvement, les revendications ne sont pas débattues, mais plutôt adoptées « par acclamation », ou son strict équivalent qu’est la propagation mimétique-sérielle sur les réseaux sociaux. Les GJ ne se conçoivent pas d’ailleurs comme un « mouvement », ils n’agissent pas en vue de convaincre ou d’entraîner d’autres secteurs du peuple – on remarquera du reste un désintérêt quasi-total à l’égard de toute idée d’extension ou d’élargissement du mouvement – car ils « sont » « le peuple », une croyance largement entretenue par la nouvelle forme d’« entre-soi » induite par le fonctionnement des réseaux sociaux. Et « le » peuple en question ne peut qu’être homogène et unanime. Le rejet de la représentation et de toute médiation s’effectue ainsi au profit de la présence, de l’immédiateté et de la transparence supposées qu’autorise le recours aux réseaux sociaux ou à l’interconnaissance informelle comme seuls outils de coordination et de communication.

  • Les vertus de l’inexplicable – à propos des « gilets jaunes » | AOC media - Analyse Opinion Critique
    https://aoc.media/opinion/2019/01/08/vertus-de-linexplicable-a-propos-gilets-jaunes

    par Jacques Rancière

    Les révoltes n’ont pas de raisons. En revanche, elles ont une logique. Et celle-ci consiste précisément à briser les cadres au sein desquels sont normalement perçues les raisons de l’ordre et du désordre et les personnes aptes à en juger. Ces cadres, ce sont d’abord des usages de l’espace et du temps. Significativement ces « apolitiques » dont on a souligné l’extrême diversité idéologique ont repris la forme d’action des jeunesses indignées du mouvement des places, une forme que les étudiants en révolte avaient eux-mêmes empruntée aux ouvriers en grève : l’occupation.

    l y a là assurément bien des raisons de souffrir. Mais souffrir est une chose, ne plus souffrir en est une tout autre. C’est même le contraire. Or les motifs de souffrance que l’on énumère pour expliquer la révolte sont exactement semblables à ceux par lesquels on expliquerait son absence : des individus soumis à de telles conditions d’existence n’ont en effet normalement pas le temps ni l’énergie pour se révolter.

    Il faudrait parfois prendre les choses à l’envers : partir précisément du fait que ceux qui se révoltent n’ont pas plus raisons de le faire que de ne pas le faire – et souvent même un peu moins. Et à partir de là, s’interroger non sur les raisons qui permettent de mettre de l’ordre dans ce désordre mais plutôt sur ce que ce désordre nous dit sur l’ordre dominant des choses et sur l’ordre des explications qui normalement l’accompagne.

    Plus que tous ceux des années récentes, le mouvement des gilets jaunes est le fait de gens qui normalement ne bougent pas : pas des représentants de classes sociales définies ou de catégories connues pour leurs traditions de lutte. Des hommes et femmes d’âge moyen, semblables à ceux que nous croisons tous les jours dans les rues ou sur les routes, sur les chantiers et les parkings, portant pour seul signe distinctif un accessoire que tout automobiliste est tenu de posséder. Ils se sont mis en marche pour la plus terre-à-terre des préoccupations, le prix de l’essence : symbole de cette masse vouée à la consommation qui soulève le cœur des intellectuels distingués ; symbole aussi de cette normalité sur laquelle repose le sommeil tranquille de nos gouvernants : cette majorité silencieuse, faite de purs individus éparpillés, sans forme d’expression collective, sans autre « voix » que celle que comptent périodiquement les sondages d’opinion et les résultats électoraux.

    Occuper, c’est aussi créer un temps spécifique : un temps ralenti au regard de l’activité habituelle, et donc un temps de mise à distance de l’ordre habituel des choses ; un temps accéléré, au contraire, par la dynamique d’une activité qui oblige à répondre sans cesse à des échéances pour lesquelles on n’est pas préparé. Cette double altération du temps change les vitesses normales de la pensée et de l’action. Elle transforme en même temps la visibilité des choses et le sens du possible. Ce qui était objet de souffrance prend une autre visibilité, celle de l’injustice.

    Il est vrai que cette « volonté » peut prendre elle-même la forme d’une revendication : le fameux référendum d’initiative citoyenne. Mais la formule de la revendication raisonnable cache en fait l’opposition radicale entre deux idées de la démocratie : d’un côté la conception oligarchique régnante : le décompte des voix pour et des voix contre en réponse à une question posée. De l’autre, sa conception démocratique : l’action collective qui déclare et vérifie la capacité de n’importe qui à formuler les questions elles-mêmes. Car la démocratie n’est pas le choix majoritaire des individus. C’est l’action qui met en œuvre la capacité de n’importe qui, la capacité de ceux qui n’ont aucune « compétence » pour légiférer et gouverner.

    #Gilets_jaunes #Démocratie

    • Expliquer les « gilets jaunes » ? Qu’entend-on par expliquer ? Donner les raisons pour lesquelles advient ce qu’on n’attendait pas ? Celles-ci, de fait, manquent rarement. Et pour expliquer le mouvement des « gilets jaunes », elles viennent à foison : la vie dans des zones périphériques abandonnées par les transports et les services publics comme par les commerces de proximité, la fatigue de longs trajets quotidiens, la précarité de l’emploi, les salaires insuffisants ou les pensions indécentes, l’existence à crédit, les fins de mois difficiles…

      Il y a là assurément bien des raisons de souffrir. Mais souffrir est une chose, ne plus souffrir en est une tout autre. C’est même le contraire. Or les motifs de souffrance que l’on énumère pour expliquer la révolte sont exactement semblables à ceux par lesquels on expliquerait son absence : des #individus soumis à de telles conditions d’existence n’ont en effet normalement pas le temps ni l’énergie pour se révolter.

      L’explication des raisons pour lesquelles les gens bougent est identique à celle des raisons pour lesquelles ils ne bougent pas. Ce n’est pas une simple inconséquence. C’est la logique même de la #raison_explicatrice. Son rôle est de prouver qu’un mouvement qui a surpris toutes les attentes n’a pas d’autres raisons que celles qui nourrissent l’ordre normal des choses, qu’il s’explique par les raisons mêmes de l’immobilité. Elle est de prouver qu’il ne s’est rien passé qui ne soit déjà connu, d’où l’on tire, si l’on a le cœur à droite, la conclusion que ce mouvement n’avait pas de raison d’être, ou, si l’on a le cœur à gauche, qu’il est tout à fait justifié mais que, malheureusement, il a été mené au mauvais moment et de la mauvaise façon par des gens qui n’étaient pas les bons. L’essentiel est que le monde reste divisé en deux : il y a les gens qui ne savent pas pourquoi ils bougent et les gens qui le savent pour eux.
      Il faudrait parfois prendre les choses à l’envers : partir précisément du fait que ceux qui se révoltent n’ont pas plus raisons de le faire que de ne pas le faire – et souvent même un peu moins. Et à partir de là, s’interroger non sur les raisons qui permettent de mettre de l’ordre dans ce désordre mais plutôt sur ce que ce désordre nous dit sur l’ordre dominant des choses et sur l’ordre des explications qui normalement l’accompagne.
      Plus que tous ceux des années récentes, le mouvement des gilets jaunes est le fait de gens qui normalement ne bougent pas : pas des représentants de classes sociales définies ou de catégories connues pour leurs traditions de lutte. Des hommes et femmes d’âge moyen, semblables à ceux que nous croisons tous les jours dans les rues ou sur les routes, sur les chantiers et les parkings, portant pour seul signe distinctif un accessoire que tout automobiliste est tenu de posséder. Ils se sont mis en marche pour la plus terre-à-terre des préoccupations, le prix de l’essence : symbole de cette masse vouée à la consommation qui soulève le cœur des intellectuels distingués ; symbole aussi de cette normalité sur laquelle repose le sommeil tranquille de nos gouvernants : cette majorité silencieuse, faite de purs individus éparpillés, sans forme d’expression collective, sans autre « voix » que celle que comptent périodiquement les sondages d’opinion et les résultats électoraux.

      Les #révoltes n’ont pas de raisons. En revanche, elles ont une logique. Et celle-ci consiste précisément à briser les cadres au sein desquels sont normalement perçues les raisons de l’ordre et du désordre et les personnes aptes à en juger. Ces cadres, ce sont d’abord des #usages de l’espace et du temps. Significativement ces « apolitiques » dont on a souligné l’extrême diversité idéologique ont repris la forme d’action des jeunesses indignées du mouvement des places, une forme que les étudiants en révolte avaient eux-mêmes empruntée aux ouvriers en grève : l’#occupation.
      Occuper, c’est choisir pour se manifester comme collectivité en lutte un lieu ordinaire dont on détourne l’affectation normale : production, circulation ou autre. Les « gilets jaunes » ont choisi ces #ronds-points, ces non-lieux autour desquels des automobilistes anonymes tournent tous les jours. Ils y ont installé matériel de propagande et baraquements de fortune comme l’avaient fait ces dix dernières années les anonymes rassemblés sur les places occupées.
      Occuper, c’est aussi créer un #temps_spécifique : un temps ralenti au regard de l’activité habituelle, et donc un temps de mise à distance de l’ordre habituel des choses ; un temps accéléré, au contraire, par la dynamique d’une activité qui oblige à répondre sans cesse à des échéances pour lesquelles on n’est pas préparé. Cette double altération du temps change les vitesses normales de la pensée et de l’action. Elle transforme en même temps la visibilité des choses et le sens du possible. Ce qui était objet de souffrance prend une autre visibilité, celle de l’#injustice. Le refus d’une taxe devient le sentiment de l’injustice fiscale puis le sentiment de l’injustice globale d’un ordre du monde. Quand un collectif d’égaux interrompt la marche normale du temps et commence à tirer sur un fil particulier – taxe sur l’essence, aujourd’hui, sélection universitaire, réforme des pensions ou du code du travail, hier – c’est tout le tissu serré des inégalités structurant l’ordre global d’un monde gouverné par la loi du profit qui commence à se dérouler.

      Ce n’est plus alors une demande qui demande satisfaction. Ce sont deux mondes qui s’opposent. Mais cette opposition de mondes creuse l’écart entre ce qui est demandé et la logique même du mouvement. Le négociable devient #non_négociable. Pour négocier on envoie des #représentants. Or les « gilets jaunes », issus de ce pays profond qu’on nous dit volontiers sensible aux sirènes autoritaires du « populisme », ont repris cette revendication d’horizontalité radicale que l’on croit propre aux jeunes anarchistes romantiques des mouvements Occupy ou des ZAD. Entre les égaux assemblés et les gestionnaires du pouvoir oligarchique, il n’y a pas de négociation. Cela veut dire que la #revendication triomphe par la seule peur des seconds mais aussi que sa victoire la montre dérisoire par rapport à ce que la révolte « veut » par son développement immanent : la fin du pouvoir des « représentants », de ceux qui pensent et agissent pour les autres.
      Il est vrai que cette « volonté » peut prendre elle-même la forme d’une revendication : le fameux référendum d’initiative citoyenne. Mais la formule de la revendication raisonnable cache en fait l’opposition radicale entre deux idées de la démocratie : d’un côté la conception oligarchique régnante : le décompte des voix pour et des voix contre en réponse à une question posée. De l’autre, sa conception démocratique : l’#action_collective qui déclare et vérifie la capacité de n’importe qui à formuler les questions elles-mêmes. Car la démocratie n’est pas le choix majoritaire des individus. C’est l’action qui met en œuvre la capacité de n’importe qui, la capacité de ceux qui n’ont aucune « compétence » pour légiférer et gouverner.

      Entre le pouvoir des égaux et celui des gens « compétents » pour gouverner, il peut toujours y avoir des affrontements, des négociations et des compromis. Mais derrière ceux-ci, il reste l’abîme du rapport non négociable entre la #logique_de_l’égalité et celle de l’inégalité. C’est pourquoi les révoltes restent toujours au milieu du chemin, pour le grand déplaisir et la grande satisfaction des savants qui les déclarent vouées à l’échec parce que dépourvues de « stratégie ». Mais une stratégie n’est qu’une manière de régler les coups à l’intérieur d’un monde donné. Aucune n’enseigne à combler le fossé entre deux mondes. « Nous irons jusqu’au bout », dit-on à chaque fois. Mais ce bout du chemin n’est identifiable à aucun but déterminé, surtout depuis que les États dits communistes ont noyé dans le sang et la boue l’espérance révolutionnaire. C’est peut-être ainsi qu’il faut comprendre le slogan de 1968 : « Ce n’est qu’un début, continuons le combat. » Les commencements n’atteignent pas leur fin. Ils restent en chemin. Cela veut dire aussi qu’ils n’en finissent pas de recommencer, quitte à changer d’acteurs. C’est le réalisme – inexplicable – de la révolte, celui qui demande l’impossible. Car le possible lui est déjà pris. C’est la formule même du pouvoir : no alternative .

      #égalité #égaux

  • « Le mouvement des “gilets jaunes” n’est pas un rassemblement aux revendications hétéroclites », Jean-Yves Dormagen et Geoffrey Pion
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/12/27/le-mouvement-des-gilets-jaunes-n-est-pas-un-rassemblement-aux-revendications

    D’après une étude de terrain réalisée à Dieppe, les deux chercheurs Jean-Yves Dormagen et Geoffrey Pion estiment, dans une tribune au « Monde », qu’il existe un socle de #revendications sociales et politiques parmi les militants.

    Tribune. Dieppe (Seine-Maritime), 30 000 habitants, premier port pour la coquille Saint-Jacques en Normandie, se trouve être un bastion du mouvement des « #gilets_jaunes ». Un des tout premiers groupes Facebook appelant à la manifestation du 17 novembre y a été créé. Il comptait près de 16 000 membres à sa fermeture, le 25 novembre.
    Ici, le mouvement a été immédiatement d’une ampleur exceptionnelle : le 17 novembre, plus de 1 000 personnes garnissaient la dizaine de ronds-points bloqués à l’entrée de la ville (dont 405 sur le rond-point d’Auchan, selon un comptage policier) et sur les départementales en direction d’Abbeville, de Beauvais, de Rouen et de Fécamp. Nous avons voulu profiter d’une présence sur le terrain pour évaluer et mesurer dès le départ ce qui se passait sous nos yeux.

    Rapidement, les chiffres proposés par le ministère de l’intérieur nous ont paru bien faibles. On citait des chiffres concernant le nombre de manifestants relevés à une heure H. Mais contrairement à ce que nous observions directement au quotidien sur le terrain, rien ne rendait compte de l’important roulement des « gilets jaunes » sur les #ronds-points, ni de la solidarité active de la population envers le mouvement – en lui apportant bois, nourriture et encouragements – comme du soutien passif que manifestaient de très nombreux automobilistes en mettant leur gilet jaune sur le pare-brise.

    Etonnant soutien populaire
    Nous nous sommes alors donné les moyens de mesurer précisément ces différentes formes de soutien. Les 26 et 27 novembre par exemple, nous avons réalisé un comptage à partir de 900 véhicules passant sur le rond-point d’Intermarché à Rouxmesnil-Bouteilles : 44 % d’entre eux arboraient un gilet jaune. Un nouveau comptage portant sur 3 291 véhicules était réalisé dans une cinquantaine de quartiers dieppois et de villages alentour, les 2 et 3 décembre : 38 % des véhicules ont alors le gilet jaune sur le pare-brise.

    Cette #solidarité n’a pas cessé de s’afficher depuis, comme en attestent les 32 % de gilets jaunes toujours présents sur les pare-brises des véhicules dieppois le 19 décembre. Le succès des pétitions contre l’augmentation des taxes débuté le 26 novembre à Arques-la-Bataille apportait une autre confirmation de cet étonnant soutien #populaire. En moins d’une semaine, les autres ronds-points l’avaient reprise et près de 14 000 personnes l’avaient déjà signée.

    Nous avons mené une étude systématique de ces signatures, pour ne pas en rester à de simples impressions qui se révèlent parfois trompeuses. Il ressort de l’analyse spatiale des signataires que 22 % des Dieppois et 15 % des Dieppoises ont signé cette pétition. Ce soutien d’un niveau très inhabituel se révèle maximal chez les 18-39 ans (24 %) et décroît l’âge avançant.

    Face à la nécessité de se structurer, de trouver un mode démocratique de désignation de #messagers et de hiérarchisation des revendications, des « gilets jaunes » nous ont alors sollicités pour les aider à mettre en place une consultation citoyenne. Celle-ci est réalisée le 9 décembre par des questionnaires-papier sur les quatre ronds-points toujours occupés à Dieppe (Arques-la-Bataille, Leclerc Rouxmesnil-Bouteilles, Euro Channel Neuville-lès-Dieppe et Auchan Dieppe).

    Plusieurs dizaines de « gilets jaunes » proposent durant toute la journée aux automobilistes et aux piétons de remplir ce questionnaire, dans leur voiture ou dans les abris de fortune construits sur les ronds-points. Le succès, là encore, dépasse les attentes et face à la volonté de répondre de nombreuses personnes, des questionnaires devront être réimprimés tout au long de la journée.

    Un premier mouvement social pour 54 %
    Nous avons analysé ces questionnaires qui représentent un matériel de première main tout à fait inédit sur les « gilets jaunes » eux-mêmes. Nous nous concentrerons ici sur les 822 répondants (sur 1 549) qui déclarent avoir participé « au moins une fois » à un rassemblement sur un rond-point depuis le 17 novembre. Parmi ces 822 « gilets jaunes » « actifs », 58 % sont des hommes et 42 % des femmes. Les 25-54 ans en représentent 60 %, quand les très jeunes adultes (18-24 ans) comptent pour 10 % et les plus de 65 ans, 9 %. Les salariés forment le gros des « gilets jaunes » (61 %) suivis par les #retraités (16 %), les #travailleurs_indépendants (6 %) et les #chômeurs (6 %) [là encore, l’hybride "chômeur en activité à temps réduit" semble passer à la trappe, misère de la #sociologie, ndc] .

    Il s’agit de leur première participation à un mouvement social pour 54 % d’entre eux. Ce qui montre à quel point ce mouvement rassemble des citoyens peu habitués à l’#action_collective et souvent éloignés de la politique. Un noyau dur de quasiment 14 % de « gilets jaunes » est présent presque tous les jours, soutenus par plus de 40 % qui sont présents régulièrement. Les 46 % restant ont fait acte de présence au moins une fois.

    Le soutien au mouvement, la détermination à durer dans le temps, donc à s’organiser et à se trouver démocratiquement des porte-parole fait l’objet d’un puissant consensus. C’est là un point très important qui démontre que le mouvement des « gilets jaunes » n’est pas vécu par ses principaux protagonistes comme un simple mouvement revendicatif et ponctuel : 91 % des « gilets jaunes » souhaitent s’organiser en un mouvement structuré et durable et 80 % pensent même qu’ils doivent se doter de messagers/porte-parole démocratiquement élus pour les représenter.

    « Très mauvaise » opinion du gouvernement
    Contrairement à une idée reçue qui a beaucoup circulé, le mouvement des « gilets jaunes » n’est pas un rassemblement hétérogène réunissant des revendications hétéroclites. Bien au contraire, ce mouvement s’organise autour d’un socle de revendications sociales et politiques qui font la quasi-unanimité parmi les participants actifs. La consultation organisée à Dieppe et alentour le confirme. Treize revendications ont été soumises à l’avis des « gilets jaunes » dieppois pour mieux déterminer leurs priorités.

    Le rétablissement de l’ISF, la revalorisation du smic, l’annulation de l’augmentation du prix du carburant, l’augmentation des retraites, la baisse des impôts directs, l’augmentation des impôts pour les plus grosses entreprises, le maintien et le soutien des petits commerces locaux, la réforme des rémunérations des élus et l’interdiction des délocalisations d’entreprises sont plébiscitées par plus de 90 % des « gilets jaunes » comme « prioritaires » ou « très prioritaires ».

    Enfin, le rejet du gouvernement et du chef de l’Etat contribue lui aussi à cimenter le mouvement : 77 % des « gilets jaunes » dieppois ont une « très mauvaise » opinion du gouvernement et plus des deux tiers d’entre eux jugent comme « très prioritaire » la démission ou la destitution du président de la République. Ce qui confirme encore une fois combien ce mouvement mêle indissociablement dimension sociale et dimension politique. D’ailleurs aujourd’hui, c’est le « RIC » – le référendum d’initiative citoyenne – qui a remplacé la suppression des taxes sur le diesel comme revendication prioritaire des « gilets jaunes » présents sur les ronds-points.

    Cette monographie du mouvement des « gilets jaunes », dans une ville typique de la France périphérique, montre son ampleur à l’échelle locale, la profondeur du soutien populaire dont il bénéficie, son homogénéité, et surtout – ce qui est peut-être le plus important – sa volonté de se structurer et de durer au-delà des premières revendications conjoncturelles qui lui ont permis d’émerger.

  • A Saint-Nazaire : « Je ne suis pas en lutte, je suis une lutte » 15 DÉCEMBRE 2018
    PAR PIERRE-YVES BULTEAU

    L’ancienne sous-préfecture de la ville de Loire-Atlantique a fait place à une réquisition citoyenne. Le lieu a été baptisé « Maison du peuple ». De façon autogérée, on y discute du sens de la démocratie, comme de l’impact de la lutte sur ceux qui la mènent.

    Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), de notre envoyé spécial.- « Je ne suis pas en lutte, je suis une lutte. » Jonathan, que tout le monde ici appelle affectueusement Yoyo, est un gaillard aux cheveux gominés, à la voix voilée par les gaz lacrymos respirés et les centaines de roulées grillées. Alors qu’il était en train de monter un restaurant avec son frère, il a tout arrêté. « Tellement j’ai trouvé en ce lieu du cœur et de l’humanité. »

    La Maison du peuple de Saint-Nazaire représente le symbole de ce qui se joue depuis cinq semaines, partout en France. Un relais populaire et autogéré créé en réponse à « un monde soudain devenu injustifiable aux yeux de tous », selon la formule de l’écrivaine Leslie Kaplan.

    Ancienne agence Assedic, devenue un temps sous-préfecture, le bâtiment de centre-ville a récemment été vendu par l’État à un promoteur immobilier. « Il avait prévu d’en faire sortir 72 logements, explique Ludovic, en taxant une clope à Yoyo. Le permis de démolition était signé. Les pelleteuses devaient tout raser. Au lieu de ça, on l’occupe depuis le 24 novembre dernier. »

    La démolition architecturale a laissé place à la construction des consciences. Une réquisition citoyenne pour une insurrection des intelligences. Passée la frêle grille d’un vert oxydé, ce ne sont que sourires et attentions aux traits tirés qui vous accueillent. Comme si la quinzaine d’habitants à temps complet avait décidé de prolonger le mouvement, au-delà des ronds-points de la zone portuaire, malgré les annonces faites à la télévision par Emmanuel Macron, contre les récents appels à la désunion.

    Il faut dire que le peuple en gilets jaunes nazairien connaît bien l’endroit. « La plupart en étaient soit usagers, soit salariés », glisse, entre deux taffes, Ludovic, qui raconte la genèse de l’occupation : « Cela part d’une impro générale qui finit en impro géniale ! Au départ du mouvement, nous demandons à rencontrer le sous-préfet. Devant son refus, une prise de paroles démarre. Et là, le déclic. On se dit que l’on va symboliquement occuper l’ancienne sous-préfecture de la ville. » La Maison du peuple est née.

    Reste à l’organiser. De la déclaration officielle d’habitation à l’élaboration d’un contrat électricité avec justificatifs et tout le tralala administratif, la vie commune s’imagine autour de règles débattues en assemblée, toutes centrées sur ce principe fondateur : « On a emprunté un lieu en bon état et, quoi qu’il advienne, on le rendra en bon état », lance Jonathan avant de partir prendre son quart au niveau du rond-point des Six-Croix.

    Par cette autodiscipline, qui a notamment vu l’alcool des premiers jours prohibé, les occupants de la Maison du peuple devancent aussi leur possible expulsion par la force publique. « Même si les flics ne nous gênent pas, précise Ludovic, et ce malgré un dépôt de plainte du promoteur. » Pas vraiment de quoi inquiéter ce militant, passé par Attac et les collectifs pour le climat. « Il y a tellement de choses profondes qui se jouent ici, un tel apprentissage de la démocratie, qu’on a du mal à s’imaginer que tout puisse s’arrêter. »

    Après trois semaines d’occupation, l’arrêt de ce bouillonnement, peu en parlent, tous y pensent. Et, alors que le coup de mou des AG quotidiennes, de la planification de l’occupation du port, de la gestion des envies diverses et variées se fait ressentir, le coup de boost arrive parfois par le bus.

    Comme en ce lendemain d’allocution présidentielle, qui voit cette retraitée pousser la grille de la Maison du peuple. Ludovic l’accueille de son doux sourire. Nous l’appellerons Annette. « Ce n’est pas que je n’aie pas envie de vous donner mon nom mais mon mari ne sait pas que je suis ici et, en plus, glisse-t-elle rieuse, il a voté pour Macron. » C’est sa petite-nièce qui lui a soufflé l’existence du lieu. « Moi, je n’ai pas à me plaindre, j’ai une bonne retraite, ça va. Si je suis là, c’est parce que j’ai un fils qui n’a plus de boulot, une fille en plein burn-out et un futur gendre, futur licencié. Je n’ai jamais fait de politique avant mais là, après avoir écouté Macron, je l’ai trouvé tellement lamentable qu’aujourd’hui, j’ai envie de m’engager. »

    Comme Annette, ils sont une cinquantaine à avoir franchi le pas. Pas un raz-de-marée. Une révolution intérieure pour une prise de conscience collective. Felipe est de ceux-là. La boule rasée de près, le teint buriné, ce salarié en levage-manutention « n’a jamais été militant ». Rencontré sur la petite terrasse qui borde l’entrée du bâtiment, il dit être venu et surtout resté « parce qu’ici, on se sent écouté, on peut décider. Étranglé par le quotidien, à la Maison du peuple, on apprend à se dépouiller du superflu pour gagner tellement plus ».

    Ce n’est pas Morgane qui dira le contraire. Son intervention lors de la première AG concernant le blocage de la zone portuaire va rester, pour longtemps encore, gravée dans les mémoires. « Je me souviens, c’était lors de la préparation de la première occupation du port. La tension était en train de monter. Personne n’était d’accord sur la stratégie à adopter et puis je me suis levée, j’ai dit qu’on était là pour apprendre, qu’on ferait sûrement des erreurs, qu’on en tirerait des leçons et que, de toute façon et quoi qu’il se passe, nous continuerons d’avancer. »

    « C’était tellement émouvant, rebondit Ludovic, un de ces moments magiques que seule la lutte peut vous apporter. » Un apprentissage en vitesse accélérée. Une transformation qui a également foudroyé Erwan. Depuis qu’il a poussé la grille de la Maison du peuple, il a troqué ses heures quotidiennes de jeux vidéo au profit du débat politique. « Avant, jamais tu ne m’aurais fait lire un bouquin, discuter autour d’un thème d’actualité. Aujourd’hui, je ne peux plus m’en passer », jubile-t-il.

    « Ce sont tous ces moments qui m’ont fait devenir amoureux de ce lieu, avoue Ludovic. Depuis trois semaines dans cette maison, depuis cinq semaines sur les ronds-points, on voit les exclus de la parole légitime, les privés de l’action collective reprendre le pouvoir. C’est extraordinaire. J’en ai pleuré. » Tous parlent d’un « accouchement citoyen ». Tous savent aussi que, pour durer, il va leur falloir « maintenir le lien, aujourd’hui créé ».

    La tête dans le quotidien, « épuisés par un rythme de fou », les gilets jaunes nazairiens ont trouvé le temps d’accueillir des délégations venues de Rennes, Lorient, Cholet et projettent même de converger avec leurs homologues de Commercy. Une conjonction des appels « pour préserver cette dynamique et les émancipations qui en ont surgi ». « C’est le truc qui me préoccupe le plus, dit encore Ludovic. Ne pas perdre ça. C’est tellement fort ce que l’on vit que ça ne peut pas s’arrêter comme ça. » D’autres parlent d’établir un pont avec les syndicats.

    C’est en tout cas l’avis de ce syndicaliste retraité, croisé sur le balcon de l’ancienne agence Assedic. « Si on ne se fédère pas, on est morts », tente-t-il de lancer. « Si on entre dans ce genre de calculs, de plans stratégiques, on risque de tout perdre », contrebalance Yoyo. « La mobilisation doit continuer hors de certains codes, poursuit Ludovic. Les habitants de la Maison du peuple ne les maîtrisent pas et c’est ce qui donne le côté précieux de cette mobilisation. Si on rétablit ces codes, ils risquent tous de partir et ça, rien que d’y penser, j’en ai la boule au ventre. »

    Pour continuer de rêver à demain, les gilets jaunes nazairiens comptent « sur l’intelligence collective des gens. Sur cette confiance solidement établie qui va nous permettre de trouver le rebond ». Dans une atmosphère studieuse d’où se dégagent des effluves entremêlés de pâte à crêpes et de café, certains occupants travaillent à l’idée d’organiser des « portes ouvertes » de la Maison du peuple. « Il faut profiter du fait que Saint-Nazaire soit une ville politisée, à l’identité ouvrière encore forte, pour continuer de construire un imaginaire collectif. » Arrivée depuis à peine une heure, Annette est déjà emballée, elle qui est ici « pour aider la génération de ses enfants ».

    Un engagement tracé, en lettres capitales au pinceau noir, sur une pancarte posée au détour d’un couloir. Il y est écrit ceci : « Un avenir pour nos enfants et… » Un suspens en forme de suite à imaginer. Avec les rêves, l’action et la vie en commun en guise de piliers.

    #GILETSJAUNES #MAISON_DU_PEUPLE #SAINT_NAZAIRE #Gilets_jaunes

    https://www.mediapart.fr/journal/france/151218/saint-nazaire-je-ne-suis-pas-en-lutte-je-suis-une-lutte

  • Les gilets jaunes et les « leçons de l’histoire » – Le populaire dans tous ses états - Gérard Noiriel
    https://noiriel.wordpress.com/2018/11/21/les-gilets-jaunes-et-les-lecons-de-lhistoire

    [...] La première différence avec les « #jacqueries » médiévales tient au fait que la grande majorité des #individus qui ont participé aux blocages de samedi dernier ne font pas partie des milieux les plus défavorisés de la société. Ils sont issus des milieux modestes et de la petite classe moyenne qui possèdent au moins une voiture. Alors que « la grande jacquerie » de 1358 fut un sursaut désespéré des gueux sur le point de mourir de faim, dans un contexte marqué par la guerre de Cent Ans et la peste noire.

    La deuxième différence, et c’est à mes yeux la plus importante, concerne la coordination de l’action. Comment des individus parviennent-ils à se lier entre eux pour participer à une lutte collective ? Voilà une question triviale, sans doute trop banale pour que les commentateurs la prennent au sérieux. Et pourtant elle est fondamentale. A ma connaissance, personne n’a insisté sur ce qui fait réellement la nouveauté des gilets jaunes : à savoir la dimension d’emblée nationale d’un mouvement spontané. Il s’agit en effet d’une protestation qui s’est développée simultanément sur tout le territoire français (y compris les DOM-TOM), mais avec des effectifs localement très faibles. Au total, la journée d’action a réuni moins de 300 000 personnes, ce qui est un score modeste comparé aux grandes manifestations populaires. Mais ce total est la somme des milliers d’actions groupusculaires réparties sur tout le territoire.

    Cette caractéristique du mouvement est étroitement liée aux moyens utilisés pour coordonner l’action des acteurs de la lutte. Ce ne sont pas les organisations politiques et syndicales qui l’ont assurée par leurs moyens propres, mais les « réseaux sociaux ». Les nouvelles technologies permettent ainsi de renouer avec des formes anciennes « d’action directe », mais sur une échelle beaucoup plus vaste, car elles relient des individus qui ne se connaissent pas. Facebook, twitter et les smartphones diffusent des messages immédiats (SMS) en remplaçant ainsi la correspondance écrite, notamment les tracts et la presse militante qui étaient jusqu’ici les principaux moyens dont disposaient les organisations pour coordonner l’action collective ; l’instantanéité des échanges restituant en partie la spontanéité des interactions en face à face d’autrefois.

    Toutefois les réseau sociaux, à eux seuls, n’auraient jamais pu donner une telle ampleur au mouvement des gilets jaunes. Les journalistes mettent constamment en avant ces « réseaux sociaux » pour masquer le rôle qu’ils jouent eux-mêmes dans la construction de l’action publique. Plus précisément, c’est la complémentarité entre les réseaux sociaux et les chaînes d’information continue qui ont donné à ce mouvement sa dimension d’emblée nationale. Sa popularisation résulte en grande partie de l’intense « propagande » orchestrée par les grands médias dans les jours précédents. Parti de la base, diffusé d’abord au sein de petits réseaux via facebook, l’événement a été immédiatement pris en charge par les grands médias qui ont annoncé son importance avant même qu’il ne se produise. La journée d’action du 17 novembre a été suivie par les chaînes d’information continue dès son commencement, minute par minute, « en direct » (terme qui est devenu désormais un équivalent de communication à distance d’événements en train de se produire). Les journalistes qui incarnent aujourd’hui au plus haut point le populisme (au sens vrai du terme) comme Eric Brunet qui sévit à la fois sur BFM-TV et sur RMC, n’ont pas hésité à endosser publiquement un gilet jaune, se transformant ainsi en porte-parole auto-désigné du peuple en lutte. Voilà pourquoi la chaîne a présenté ce conflit social comme un « mouvement inédit de la majorité silencieuse ».

    Une étude qui comparerait la façon dont les #médias ont traité la lutte des cheminots au printemps dernier et celle des gilets jaunes serait très instructive. Aucune des journées d’action des cheminots n’a été suivie de façon continue et les téléspectateurs ont été abreuvés de témoignages d’usagers en colère contre les grévistes, alors qu’on a très peu entendu les automobilistes en colère contre les bloqueurs.

    Je suis convaincu que le traitement médiatique du mouvement des gilets jaunes illustre l’une des facettes de la nouvelle forme de démocratie dans laquelle nous sommes entrés et que Bernard Manin appelle la « démocratie du public » (cf son livre Principe du gouvernement représentatif, 1995). [...]

    C’est toujours la mise en œuvre de cette citoyenneté #populaire qui a permis l’irruption dans l’espace public de #porte-parole[s] qui étai[en]t socialement destinés à rester dans l’ombre. Le mouvement des gilets jaunes a fait émerger un grand nombre de porte-parole de ce type. Ce qui frappe, c’est la diversité de leur profil et notamment le grand nombre de femmes, alors qu’auparavant la fonction de porte-parole était le plus souvent réservée aux hommes. La facilité avec laquelle ces leaders populaires s’expriment aujourd’hui devant les caméras est une conséquence d’une double démocratisation : l’élévation du niveau scolaire et la pénétration des techniques de communication audio-visuelle dans toutes les couches de la société. Cette compétence est complètement niée par les élites aujourd’hui ; ce qui renforce le sentiment de « mépris » au sein du peuple. Alors que les ouvriers représentent encore 20% de la population active, aucun d’entre eux n’est présent aujourd’hui à la Chambre des députés. Il faut avoir en tête cette discrimination massive pour comprendre l’ampleur du rejet populaire de la politique politicienne.

    Mais ce genre d’analyse n’effleure même pas « les professionnels de la parole publique » que sont les journalistes des chaînes d’information continue. En diffusant en boucle les propos des manifestants affirmant leur refus d’être « récupérés » par les syndicats et les partis, ils poursuivent leur propre combat pour écarter les corps intermédiaires et pour s’installer eux-mêmes comme les porte-parole légitimes des mouvements populaires. En ce sens, ils cautionnent la politique libérale d’Emmanuel Macron qui vise elle aussi à discréditer les structures collectives que se sont données les classes populaires au cours du temps.

    https://seenthis.net/messages/736409
    #histoire #luttes_sociales #action_politique #parole

    • La couleur des #gilets_jaunes
      par Aurélien Delpirou , le 23 novembre
      https://laviedesidees.fr/La-couleur-des-gilets-jaunes.html

      Jacquerie, révolte des périphéries, revanche des prolos… Les premières analyses du mouvement des gilets jaunes mobilisent de nombreuses prénotions sociologiques. Ce mouvement cependant ne reflète pas une France coupée en deux, mais une multiplicité d’interdépendances territoriales.
      La mobilisation des gilets jaunes a fait l’objet ces derniers jours d’une couverture médiatique exceptionnelle. Alors que les journalistes étaient à l’affut du moindre débordement, quelques figures médiatiques récurrentes se sont succédé sur les plateaux de télévision et de radio pour apporter des éléments d’analyse et d’interprétation du mouvement. Naturellement, chacun y a vu une validation de sa propre théorie sur l’état de la société française. Certains termes ont fait florès, comme jacquerie — qui désigne les révoltes paysannes dans la France d’Ancien Régime — lancé par Éric Zemmour dès le vendredi 16, puis repris par une partie de la presse régionale [1]. De son côté, Le Figaro prenait la défense de ces nouveaux ploucs-émissaires, tandis que sur Europe 1, Christophe Guilluy se réjouissait presque de la fronde de « sa » France périphérique — appelée plus abruptement cette France-là par Franz-Olivier Giesbert — et Nicolas Baverez dissertait sur la revanche des citoyens de base.

      Au-delà de leur violence symbolique et de leur condescendance, ces propos répétés ad nauseam urbi et orbi disent sans aucun doute moins de choses sur les gilets jaunes que sur les représentations sociales et spatiales de leurs auteurs. Aussi, s’il faudra des enquêtes approfondies et le recul de l’analyse pour comprendre ce qui se joue précisément dans ce mouvement, il semble utile de déconstruire dès maintenant un certain nombre de prénotions qui saturent le débat public. Nous souhaitons ici expliciter quatre d’entre elles, formalisées de manière systématique en termes d’opposition : entre villes et campagnes, entre centres-villes et couronnes périurbaines, entre bobos et classes populaires, entre métropoles privilégiées et territoires oubliés par l’action publique. À défaut de fournir des grilles de lecture stabilisées, la mise à distance de ces caricatures peut constituer un premier pas vers une meilleure compréhension des ressorts et des enjeux de la contestation en cours.

    • Classes d’encadrement et prolétaires dans le « mouvement des gilets jaunes »
      https://agitationautonome.com/2018/11/25/classes-dencadrement-et-proletaires-dans-le-mouvement-des-gilets-

      La mobilisation protéiforme et interclassiste des « gilets jaunes » donne à entendre une colère se cristallisant dans des formes et des discours différents selon les blocages et les espaces, créant une sorte d’atonie critique si ce n’est des appels romantiques à faire peuple, comme nous le montrions ici.
      [Des gilets jaunes à ceux qui voient rouge
      https://agitationautonome.com/2018/11/22/des-gilets-jaunes-a-ceux-qui-voient-rouge/]

      Reste un travail fastidieux : s’intéresser à une semaine de mobilisation à travers les structures spatiales et démographiques qui la traversent et qui nous renseignent sur sa composition sociale.

    • Gérard Noiriel : « Les “gilets jaunes” replacent la question sociale au centre du jeu politique », propos recueillis par Nicolas Truong.

      Dans un entretien au « Monde », l’historien considère que ce #mouvement_populaire tient plus des sans-culottes et des communards que du poujadisme ou des jacqueries.

      Historien et directeur d’études à l’EHESS, Gérard Noiriel a travaillé sur l’histoire de l’immigration en France (Le Creuset français. Histoire de l’immigration, Seuil, 1988), sur le racisme (Le Massacre des Italiens. Aigues-Mortes, 17 août 1893, Fayard, 2010), sur l’histoire de la classe ouvrière (Les Ouvriers dans la société française, Seuil, 1986) et sur les questions interdisciplinaires et épistémologiques en histoire (Sur la « crise » de l’histoire, Belin, 1996). Il vient de publier Une histoire populaire de la France. De la guerre de Cent Ans à nos jours (Agone, 832 p., 28 euros) et propose une analyse socio-historique du mouvement des « gilets jaunes ».

      Qu’est-ce qui fait, selon vous, l’originalité du mouvement des « gilets jaunes », replacé dans l’histoire des luttes populaires que vous avez étudiée dans votre dernier livre ?

      Dans cet ouvrage, j’ai tenté de montrer qu’on ne pouvait pas comprendre l’histoire des #luttes_populaires si l’on se contentait d’observer ceux qui y participent directement. Un mouvement populaire est une relation sociale qui implique toujours un grand nombre d’acteurs. Il faut prendre en compte ceux qui sont à l’initiative du mouvement, ceux qui coordonnent l’action, ceux qui émergent en tant que porte-parole de leurs camarades, et aussi les commentateurs qui tirent les « enseignements du conflit ». Autrement dit, pour vraiment comprendre ce qui est en train de se passer avec le mouvement des « gilets jaunes », il faut tenir tous les bouts de la chaîne.

      Je commencerais par la fin, en disant un mot sur les commentateurs. Etant donné que ce conflit social est parti de la base, échappant aux organisations qui prennent en charge d’habitude les revendications des citoyens, ceux que j’appelle les « professionnels de la parole publique » ont été particulièrement nombreux à s’exprimer sur le sujet. La nouveauté de cette lutte collective les a incités à rattacher l’inconnu au connu ; d’où les nombreuses comparaisons historiques auxquelles nous avons eu droit. Les conservateurs, comme Eric Zemmour, ont vu dans le mouvement des « gilets jaunes » une nouvelle jacquerie. Les retraités de la contestation, comme Daniel Cohn-Bendit, ont dénoncé une forme de poujadisme. De l’autre côté du spectre, ceux qui mettent en avant leurs origines populaires pour se présenter comme des porte-parole légitimes des mouvements sociaux, à l’instar des philosophes Michel Onfray ou Jean-Claude Michéa, se sont emparés des « gilets jaunes » pour alimenter leurs polémiques récurrentes contre les élites de Sciences Po ou de Normale Sup. Les « gilets jaunes » sont ainsi devenus les dignes successeurs des sans-culottes et des communards, luttant héroïquement contre les oppresseurs de tout poil.

      La comparaison du mouvement des « gilets jaunes » avec les jacqueries ou le poujadisme est-elle justifiée ?

      En réalité, aucune de ces références historiques ne tient vraiment la route. Parler, par exemple, de jacquerie à propos des « gilets jaunes » est à la fois un anachronisme et une insulte. Le premier grand mouvement social qualifié de jacquerie a eu lieu au milieu du XIVe siècle, lorsque les paysans d’Ile-de-France se sont révoltés contre leurs seigneurs. La source principale qui a alimenté pendant des siècles le regard péjoratif porté sur ces soulèvements populaires, c’est le récit de Jean Froissart, l’historien des puissants de son temps, rédigé au cours des années 1360 et publié dans ses fameuses Chroniques. « Ces méchants gens assemblés sans chef et sans armures volaient et brûlaient tout, et tuaient sans pitié et sans merci, ainsi comme chiens enragés. » Le mot « jacquerie » désignait alors les résistances des paysans que les élites surnommaient « les Jacques », terme méprisant que l’on retrouve dans l’expression « faire le Jacques » (se comporter comme un paysan lourd et stupide).
      Mais la grande jacquerie de 1358 n’avait rien à voir avec les contestations sociales actuelles. Ce fut un sursaut désespéré des gueux sur le point de mourir de faim, dans un contexte marqué par la guerre de Cent Ans et la peste noire. A l’époque, les mouvements sociaux étaient localisés et ne pouvaient pas s’étendre dans tout le pays, car le seul moyen de communication dont disposaient les émeutiers était le bouche-à-oreille.

      Ce qui a fait la vraie nouveauté des « gilets jaunes », c’est la dimension d’emblée nationale d’une mobilisation qui a été présentée comme spontanée. Il s’agit en effet d’une protestation qui s’est développée simultanément sur tout le territoire français (y compris les DOM-TOM), mais avec des effectifs localement très faibles. Au total, la journée d’action du 17 novembre a réuni moins de 300 000 personnes, ce qui est un score modeste comparé à d’autres manifestations populaires. Mais ce total est la somme des milliers d’#actions_groupusculaires réparties sur tout le #territoire.

      « La dénonciation du mépris des puissants revient presque toujours dans les grandes luttes populaires »

      Comment peut-on expliquer qu’un mouvement spontané, parti de la base, sans soutien des partis et des syndicats, ait pu se développer ainsi sur tout le territoire national ?

      On a beaucoup insisté sur le rôle des réseaux sociaux. Il est indéniable que ceux-ci ont été importants pour lancer le mouvement. Facebook, Twitter et les smartphones diffusent des messages immédiats qui tendent à remplacer la correspondance écrite, notamment les tracts et la presse d’opinion, qui étaient jusqu’ici les principaux moyens dont disposaient les organisations militantes pour coordonner l’#action_collective ; l’instantanéité des échanges restituant en partie la spontanéité des interactions en face à face d’autrefois.

      Néanmoins, les #réseaux_sociaux, à eux seuls, n’auraient jamais pu donner une telle ampleur au mouvement des « gilets jaunes ». Les journées d’action du 17 et du 24 novembre ont été suivies par les chaînes d’#information_en_continu dès leur commencement, minute par minute, en direct. Le samedi 24 novembre au matin, les journalistes étaient plus nombreux que les « gilets jaunes » aux Champs-Elysées. Si l’on compare avec les journées d’action des cheminots du printemps dernier, on voit immédiatement la différence. Aucune d’entre elles n’a été suivie de façon continue, et les téléspectateurs ont été abreuvés de témoignages d’usagers en colère contre les grévistes. Cet automne, on a très peu entendu les automobilistes en colère contre les bloqueurs.

      Je pense que le mouvement des « gilets jaunes » peut être rapproché de la manière dont Emmanuel Macron a été élu président de la République, lui aussi par surprise et sans parti politique. Ce sont deux illustrations du nouvel âge de la démocratie dans lequel nous sommes entrés, et que Bernard Manin appelle la « démocratie du public » dans son livre Principe du gouvernement représentatif, Calmann-Lévy, 1995). De même que les électeurs se prononcent en fonction de l’offre politique du moment – et de moins en moins par fidélité à un parti politique –, les mouvements sociaux éclatent aujourd’hui en fonction d’une conjoncture et d’une actualité précises. Avec le recul du temps, on s’apercevra peut-être que l’ère des partis et des syndicats a correspondu à une période limitée de notre histoire, l’époque où les liens à distance étaient matérialisés par la #communication_écrite.

      La France des années 1930 était infiniment plus violente que celle d’aujourd’hui

      La journée du 24 novembre a mobilisé moins de monde que celle du 17, mais on a senti une radicalisation du mouvement, illustrée par la volonté des « gilets jaunes » de se rendre à l’Elysée. Certains observateurs ont fait le rapprochement avec les manifestants du 6 février 1934, qui avaient fait trembler la République en tentant eux aussi de marcher sur l’Elysée. L’analogie est-elle légitime ?

      Cette comparaison n’est pas crédible non plus sur le plan historique. La France des années 1930 était infiniment plus violente que celle d’aujourd’hui. Les manifestants du 6 février 1934 étaient très organisés, soutenus par les partis de droite, encadrés par des associations d’anciens combattants et par des ligues d’extrême droite, notamment les Croix de feu, qui fonctionnaient comme des groupes paramilitaires. Leur objectif explicite était d’abattre la République. La répression de cette manifestation a fait 16 morts et quelque 1 000 blessés. Le 9 février, la répression de la contre-manifestation de la gauche a fait 9 morts. Les journées d’action des « gilets jaunes » ont fait, certes, plusieurs victimes, mais celles-ci n’ont pas été fusillées par les forces de l’ordre. C’est le résultat des accidents causés par les conflits qui ont opposé le peuple bloqueur et le peuple bloqué.

      Pourtant, ne retrouve-t-on pas aujourd’hui le rejet de la politique parlementaire qui caractérisait déjà les années 1930 ?

      La défiance populaire à l’égard de la #politique_parlementaire a été une constante dans notre histoire contemporaine. La volonté des « gilets jaunes » d’éviter toute récupération politique de leur mouvement s’inscrit dans le prolongement d’une critique récurrente de la conception dominante de la citoyenneté. La bourgeoisie a toujours privilégié la délégation de pouvoir : « Votez pour nous et on s’occupe de tout ».

      Néanmoins, dès le début de la Révolution française, les sans-culottes ont rejeté cette dépossession du peuple, en prônant une conception populaire de la #citoyenneté fondée sur l’#action_directe. L’une des conséquences positives des nouvelles technologies impulsées par Internet, c’est qu’elles permettent de réactiver cette pratique de la citoyenneté, en facilitant l’action directe des citoyens. Les « gilets jaunes » qui bloquent les routes en refusant toute forme de récupération politique s’inscrivent confusément dans le prolongement du combat des sans-culottes en 1792-1794, des citoyens-combattants de février 1848, des communards de 1870-1871 et des anarcho-syndicalistes de la Belle Epoque.

      Lorsque cette pratique populaire de la citoyenneté parvient à se développer, on voit toujours émerger dans l’espace public des #porte-parole qui étaient socialement destinés à rester dans l’ombre. Ce qui frappe, dans le mouvement des « gilets jaunes », c’est la diversité de leurs profils, et notamment le grand nombre de femmes, alors qu’auparavant la fonction de porte-parole était le plus souvent réservée aux hommes. La facilité avec laquelle ces leaders populaires s’expriment aujourd’hui devant les caméras est une conséquence d’une double démocratisation : l’élévation du niveau scolaire et la pénétration des techniques de communication audiovisuelle dans toutes les couches de la société. Cette compétence est complètement niée par les élites aujourd’hui ; ce qui renforce le sentiment de mépris au sein du peuple. Alors que les ouvriers représentent encore 20 % de la population active, aucun d’entre eux n’est présent aujourd’hui à l’Assemblée. Il faut avoir en tête cette discrimination massive pour comprendre l’ampleur du rejet populaire de la politique politicienne.

      Si les chaînes d’information en continu ont joué un tel rôle dans le développement du mouvement, comment expliquer que des « gilets jaunes » s’en soient pris physiquement à des journalistes ?

      Je pense que nous assistons aujourd’hui à un nouvel épisode dans la lutte, déjà ancienne, que se livrent les #politiciens et les #journalistes pour apparaître comme les véritables représentants du peuple. En diffusant en boucle les propos des manifestants affirmant leur refus d’être récupérés par les syndicats et les partis, les médias poursuivent leur propre combat pour écarter les corps intermédiaires et pour s’installer eux-mêmes comme les porte-parole légitimes des mouvements populaires. Le fait que des journalistes aient endossé publiquement un gilet jaune avant la manifestation du 17 novembre illustre bien cette stratégie ; laquelle a été confirmée par les propos entendus sur les chaînes d’information en continu présentant ce conflit social comme un « mouvement inédit de la majorité silencieuse ».

      Pourtant, la journée du 24 novembre a mis à nu la contradiction dans laquelle sont pris les nouveaux médias. Pour ceux qui les dirigent, le mot « populaire » est un synonyme d’#audience. Le soutien qu’ils ont apporté aux « gilets jaunes » leur a permis de faire exploser l’Audimat. Mais pour garder leur public en haleine, les chaînes d’information en continu sont dans l’obligation de présenter constamment un spectacle, ce qui incite les journalistes à privilégier les incidents et la violence. Il existe aujourd’hui une sorte d’alliance objective entre les casseurs, les médias et le gouvernement, lequel peut discréditer le mouvement en mettant en exergue les comportements « honteux » des manifestants (comme l’a affirmé le président de la République après la manifestation du 24 novembre). C’est pourquoi, même s’ils ne sont qu’une centaine, les casseurs sont toujours les principaux personnages des reportages télévisés. Du coup, les « gilets jaunes » se sont sentis trahis par les médias, qui les avaient soutenus au départ. Telle est la raison profonde des agressions inadmissibles dont ont été victimes certains journalistes couvrant les événements. Comme on le voit, la défiance que le peuple exprime à l’égard des politiciens touche également les journalistes.

      Ceux qui ont qualifié de « poujadiste » le mouvement des « gilets jaunes » mettent en avant leur revendication centrale : le refus des nouvelles taxes sur le carburant. Cette dimension antifiscale était en effet déjà très présente dans le mouvement animé par Pierre Poujade au cours des années 1950.

      Là encore, je pense qu’il faut replacer le mouvement des « gilets jaunes » dans la longue durée pour le comprendre. Les luttes antifiscales ont toujours joué un rôle extrêmement important dans l’histoire populaire de la France. L’Etat français s’est définitivement consolidé au début du XVe siècle, quand Charles VII a instauré l’impôt royal permanent sur l’ensemble du royaume. Dès cette époque, le rejet de l’#impôt a été une dimension essentielle des luttes populaires. Mais il faut préciser que ce rejet de l’impôt était fortement motivé par le sentiment d’injustice qui animait les classes populaires, étant donné qu’avant la Révolution française, les « privilégiés » (noblesse et clergé), qui étaient aussi les plus riches, en étaient dispensés. Ce refus des injustices fiscales est à nouveau très puissant aujourd’hui, car une majorité de Français sont convaincus qu’ils payent des impôts pour enrichir encore un peu plus la petite caste des ultra-riches, qui échappent à l’impôt en plaçant leurs capitaux dans les paradis fiscaux.

      On a souligné, à juste titre, que le mouvement des « gilets jaunes » était une conséquence de l’appauvrissement des classes populaires et de la disparition des services publics dans un grand nombre de zones dites « périphériques ». Néanmoins, il faut éviter de réduire les aspirations du peuple à des revendications uniquement matérielles. L’une des inégalités les plus massives qui pénalisent les classes populaires concerne leur rapport au langage public. Dans les années 1970, Pierre Bourdieu avait expliqué pourquoi les syndicats de cette époque privilégiaient les revendications salariales en disant qu’il fallait trouver des mots communs pour nommer les multiples aspects de la souffrance populaire. C’est pourquoi les porte-parole disaient « j’ai mal au salaire » au lieu de dire « j’ai mal partout ». Aujourd’hui, les « gilets jaunes » crient « j’ai mal à la taxe » au lieu de dire « j’ai mal partout ». Il suffit d’écouter leurs témoignages pour constater la fréquence des propos exprimant un malaise général. Dans l’un des reportages diffusés par BFM-TV, le 17 novembre, le journaliste voulait absolument faire dire à la personne interrogée qu’elle se battait contre les taxes, mais cette militante répétait sans cesse : « On en a ras le cul », « On en a marre de tout », « Ras-le-bol généralisé ».
      « Avoir mal partout » signifie aussi souffrir dans sa dignité. C’est pourquoi la dénonciation du #mépris des puissants revient presque toujours dans les grandes luttes populaires et celle des « gilets jaunes » n’a fait que confirmer la règle. On a entendu un grand nombre de propos exprimant un #sentiment d’humiliation, lequel nourrit le fort ressentiment populaire à l’égard d’Emmanuel Macron. « L’autre fois, il a dit qu’on était des poujadistes. J’ai été voir dans le dico, mais c’est qui ce blaireau pour nous insulter comme ça ? » Ce témoignage d’un chauffeur de bus, publié par Mediapart le 17 novembre, illustre bien ce rejet populaire.

      Comment expliquer cette focalisation du mécontentement sur Emmanuel Macron ?

      J’ai analysé, dans la conclusion de mon livre, l’usage que le candidat Macron avait fait de l’histoire dans son programme présidentiel. Il est frappant de constater que les classes populaires en sont totalement absentes. Dans le panthéon des grands hommes à la suite desquels il affirme se situer, on trouve Napoléon, Clémenceau, de Gaulle, mais pas Jean Jaurès ni Léon Blum. Certes, la plupart de nos dirigeants sont issus des classes supérieures, mais jusque-là, ils avaient tous accumulé une longue expérience politique avant d’accéder aux plus hautes charges de l’Etat ; ce qui leur avait permis de se frotter aux réalités populaires. M. Macron est devenu président sans aucune expérience politique. La vision du monde exprimée dans son programme illustre un ethnocentrisme de classe moyenne supérieure qui frise parfois la naïveté. S’il concentre aujourd’hui le rejet des classes populaires, c’est en raison du sentiment profond d’injustice qu’ont suscité des mesures qui baissent les impôts des super-riches tout en aggravant la taxation des plus modestes.

      On a entendu aussi au cours de ces journées d’action des slogans racistes, homophobes et sexistes. Ce qui a conduit certains observateurs à conclure que le mouvement des « gilets jaunes » était manipulé par l’#extrême_droite. Qu’en pensez-vous ?

      N’en déplaise aux historiens ou aux sociologues qui idéalisent les résistances populaires, le peuple est toujours traversé par des tendances contradictoires et des jeux internes de domination. Les propos et les comportements que vous évoquez sont fréquents dans les mouvements qui ne sont pas encadrés par des militants capables de définir une stratégie collective et de nommer le mécontentement populaire dans le langage de la #lutte_des_classes. J’ai publié un livre sur le massacre des Italiens à Aigues-Mortes, en 1893, qui montre comment le mouvement spontané des ouvriers français sans travail (qu’on appelait les « trimards ») a dégénéré au point de se transformer en pogrom contre les saisonniers piémontais qui étaient embauchés dans les salins. Je suis convaincu que si les chaînes d’information en continu et les smartphones avaient existé en 1936, les journalistes auraient pu aussi enregistrer des propos xénophobes ou racistes pendant les grèves. Il ne faut pas oublier qu’une partie importante des ouvriers qui avaient voté pour le Front populaire en mai-juin 1936 ont soutenu ensuite le Parti populaire français de Jacques Doriot, qui était une formation d’extrême droite.

      Comment ce mouvement peut-il évoluer, selon vous ?

      L’un des côtés très positifs de ce mouvement tient au fait qu’il replace la question sociale au centre du jeu politique. Des hommes et des femmes de toutes origines et d’opinions diverses se retrouvent ainsi dans un combat commun. La symbolique du gilet jaune est intéressante. Elle donne une identité commune à des gens très différents, identité qui évoque le peuple en détresse, en panne sur le bord de la route. Néanmoins, il est certain que si le mouvement se pérennise, les points de vue différents, voire opposés, qui coexistent aujourd’hui en son sein vont devenir de plus en plus visibles. On peut, en effet, interpréter le combat antifiscal des « gilets jaunes » de deux façons très différentes. La première est libérale : les « gilets jaunes » rejetteraient l’impôt et les taxes au nom de la liberté d’entreprendre. Selon la seconde interprétation, au contraire, est qu’ils combattent les inégalités face à l’impôt, en prônant une redistribution des finances publiques au profit des laissés-pour-compte.

      L’autre grand problème auquel va se heurter le mouvement concerne la question de ses représentants. Les nombreux « gilets jaunes » qui ont été interviewés dans les médias se sont définis comme les porte-parole de la France profonde, celle qu’on n’entend jamais. Issus des milieux populaires, ils sont brutalement sortis de l’ombre. Leur vie a été bouleversée et ils ont été valorisés par les nombreux journalistes qui les ont interviewés ou filmés. Beaucoup d’entre eux vont retomber dans l’anonymat si le mouvement se donne des porte-parole permanents. Ce qui risque d’affaiblir la dimension populaire de la lutte, car il y a de grandes chances que ces représentants soient issus de la classe moyenne, c’est-à-dire des milieux sociaux ayant plus de facilité pour s’exprimer en public, pour structurer des actions collectives.

    • « Gilets jaunes », les habits neufs de la révolte fiscale, entretien avec l’historien Nicolas Delalande, par Anne Chemin

      Selon l’historien Nicolas Delalande, le mouvement actuel s’inscrit dans une longue tradition de contestation, qui conspue l’Etat tout en réclamant sa protection.

      Chercheur au Centre d’histoire de Sciences Po, ­Nicolas Delalande, spécialiste de l’histoire de l’Etat, des solidarités et des inégalités, est l’un des maîtres d’œuvre de l’Histoire mondiale de la France (Seuil, 2017). Il a publié Les Batailles de l’impôt. Consentement et résistances de 1789 à nos jours (Seuil, 2011). Il publie en février 2019 un livre sur l’internationalisme ouvrier de 1864 à 1914, La Lutte et l’Entraide (Seuil, 368 pages, 24 euros).

      Pouvez-vous situer le mouvement des « gilets jaunes » par rapport aux « révoltes fiscales » apparues depuis les années 1970 en France et aux Etats-Unis ?

      La révolte fiscale a souvent été présentée comme un archaïsme, une forme de mobilisation « pré-moderne » que la démocratie libérale et le progrès économique devaient rendre résiduelle. Le mouvement poujadiste des années 1950 fut ainsi interprété comme l’ultime résistance d’un monde de petits artisans et de commerçants voué à disparaître. Ce qui était censé appartenir au monde d’avant est pourtant toujours d’actualité…

      Le mouvement des « gilets jaunes » s’inscrit dans une vague de regain des contestations fiscales. C’est dans les années 1970, aux Etats-Unis, que le thème de la « révolte fiscale » fait son retour. Disparate et composite, cette mobilisation contre le poids des taxes sur la propriété débouche sur l’ultralibéralisme des années Reagan (1981-1989). Le mouvement du Tea Party, lancé en 2008, radicalise plus encore cette attitude de rejet viscéral de l’impôt. Il n’est pas sans lien avec la désignation de Donald Trump comme candidat républicain en 2016.

      En France, c’est dans les années 1980 que l’antifiscalisme refait surface comme langage politique. Après la crise de 2008, les protestations se multiplient, dans un contexte d’augmentation des impôts et de réduction des dépenses. La nouveauté des « gilets jaunes », par rapport aux « pigeons » ou aux « bonnets rouges », tient à l’absence de toute organisation patronale ou syndicale parmi leurs initiateurs.

      Ces mouvements rejettent en général les étiquettes politiques ou syndicales. Comment définiriez-vous leur rapport au politique ?

      Au-delà des militants d’extrême droite qui cherchent sûrement à en tirer profit, la mobilisation touche des catégories populaires et des classes moyennes qui entretiennent un rapport distant avec la politique au sens électoral du terme : beaucoup déclarent ne plus voter depuis longtemps. Cela ne veut pas dire que les messages portés ne sont pas de nature politique. Le rejet des élites, du centralisme parisien et des taxes en tout genre appartient à un répertoire politique, celui des « petits contre les gros », dont l’origine, en France, remonte à la fin du XIXe siècle. Aux Etats-Unis, c’est aussi dans les années 1890 que naît le « populisme », un courant de défense des petits fermiers contre les trusts et l’oligarchie. Son originalité est d’être favorable à la régulation, plutôt qu’hostile à toute forme d’intervention publique.

      Au XXe siècle, les mouvements antifiscaux penchaient plutôt à droite. Est-ce toujours le cas aujourd’hui ?

      Parler au nom des contribuables, dans les années 1930, est très situé politiquement. En 1933, la « Journée nationale des contribuables » rassemble des adversaires convaincus de la gauche qui sont hostiles à la « spoliation fiscale et étatiste ». Les commerçants ferment leurs boutiques, les manifestants défilent en voiture et en camion, et on appelle à monter à Paris pour défier le pouvoir. La coagulation des mécontentements prend alors une connotation antirépublicaine qui culmine lors de la journée du 6 février 1934.

      Mais la gauche n’est pas complètement absente de ces mouvements. Au XIXe siècle, les républicains et les socialistes furent souvent les premiers à critiquer le poids des taxes sur la consommation. Dans les années 1930 et au début du mouvement Poujade (1953-1958), les communistes ont soutenu des actions locales de protestation au nom de la dénonciation de l’injustice fiscale. Reste que la critique de l’injustice fiscale peut prendre des directions très différentes : certains appellent à faire payer les riches quand d’autres attaquent le principe même de l’impôt. En France, ces mouvements ont presque toujours été marqués par cette ambiguïté : on conspue l’Etat tout en réclamant sa protection.

      On a longtemps pensé que les révoltes fiscales disparaîtraient avec les régimes démocratiques, l’impôt devenant le fruit d’une délibération collective. Comment expliquer cette renaissance de la contestation fiscale ?

      La contestation antifiscale est toujours le symptôme d’un dysfonctionnement plus profond des institutions. La dévitalisation du pouvoir parlementaire, sous la Ve République, est à l’évidence une des causes profondes du phénomène. A l’origine, le Parlement devait assurer la représentation des citoyens, qui sont à la fois des contribuables et des usagers des services publics. La délibération devait produire le consentement, tout comme la capacité du pouvoir législatif à contrôler les dépenses de l’Etat. Dès lors que le pouvoir théorise sa verticalité et dénie la légitimité des corps intermédiaires, ne reste plus que le face-à-face surjoué entre le contribuable en colère et le dirigeant désemparé. L’émergence de ces formes nouvelles de protestation est la conséquence logique de cette incapacité du pouvoir à trouver des relais dans la société.

      Ce « ras-le-bol fiscal » ne s’accompagne pas d’un mouvement de refus de paiement de l’impôt. Est-ce le signe que malgré tout, le compromis fiscal est encore solide ?

      C’est une des constantes de la protestation fiscale en France : la rhétorique anti-impôts y est d’autant plus forte qu’elle ne remet pas en cause l’architecture globale des prélèvements. A ce titre, les formes discrètes d’évitement et de contournement de l’impôt auxquelles se livrent les plus favorisés sont bien plus insidieuses. Leur langage est certes plus policé, mais leurs effets sur les inégalités et l’affaissement des solidarités sont plus profonds.

      Les « gilets jaunes » protestent contre l’instauration d’une taxe destinée à décourager l’usage du diesel en augmentant son prix. Comment ces politiques de #gouvernement_des_conduites sont-elles nées ?

      Les projets de transformation des conduites par la fiscalité remontent au XIXe siècle. Des réformateurs imaginent très tôt que l’#Etat puisse, à travers la modulation de l’impôt, encourager ou sanctionner certains comportements. Cette fiscalité porte sur des sujets aussi divers que la natalité, le luxe ou la consommation d’alcool et de tabac. Mais on perçoit très vite que l’Etat pourrait trouver un intérêt financier à la perpétuation des conduites qu’il est censé combattre par l’impôt.

      Dire que la justice consisterait, au XXIe siècle, à transférer la charge de l’impôt du travail vers les activités polluantes est à cet égard un contresens lourd de malentendus. Une taxe sur le diesel, aussi vertueuse et nécessaire soit-elle, reste une taxe sur la consommation qui frappe un bien de première nécessité. La transition écologique a peu de chances d’aboutir si elle ne s’articule pas à une recherche de justice fiscale et sociale.

    • « Les “gilets jaunes” sont aussi le produit d’une succession d’échecs du mouvement social »

      Pour un collectif de membres d’Attac et de la fondation Copernic, le mouvement de revendications fera date en dépit de certains dérapages, car il peut permettre de dépasser une crise généralisée, qui touche également la #gauche.

      Tribune. La colère sociale a trouvé avec le mouvement des « gilets jaunes » une expression inédite. Le caractère néopoujadiste et antifiscaliste qui semblait dominer il y a encore quelques semaines et les tentatives d’instrumentalisation de l’extrême droite et de la droite extrême ont été relativisés par la dynamique propre du mouvement, qui s’est considérablement élargi, et la conscience que les taxes sur l’essence étaient « la goutte d’eau qui fait déborder le vase ».

      Quelques dérapages homophobes ou racistes, certes marginaux mais néanmoins détestables, et des incidents quelquefois graves n’en ternissent pas le sens. Ce mouvement d’auto-organisation populaire fera date et c’est une bonne nouvelle.

      Le mouvement des « gilets jaunes » est d’abord le symptôme d’une crise généralisée, celle de la représentation politique et sociale des classes populaires. Le mouvement ouvrier organisé a longtemps été la force qui cristallisait les mécontentements sociaux et leur donnait un sens, un imaginaire d’émancipation. La puissance du néolibéralisme a progressivement affaibli son influence dans la société en ne lui laissant qu’une fonction d’accompagnement des régressions sociales.

      Situation mouvante
      Plus récemment, le développement des réseaux sociaux a appuyé cette transformation profonde en permettant une coordination informelle sans passer par les organisations. L’arrogance du gouvernement Macron a fait le reste avec le cynisme des dominants qui n’en finit pas de valoriser « les premiers de cordée », contre « ceux qui fument des clopes et roulent au diesel ».

      Le mouvement se caractérise par une défiance généralisée vis-à-vis du système politique
      Les « gilets jaunes » sont aussi le produit d’une succession d’échecs du mouvement social. Ces échecs se sont accentués depuis la bataille de 2010 sur les retraites jusqu’à celle sur les lois Travail ou la SNCF, et ont des raisons stratégiques toutes liées à l’incapacité de se refonder sur les plans politique, organisationnel, idéologique, après la guerre froide, la mondialisation financière et le refus de tout compromis social par les classes dirigeantes. Nous sommes tous comptables, militants et responsables de la gauche politique, syndicale et associative, de ces échecs.

      Dans cette situation mouvante, la réponse de la gauche d’émancipation doit être la #politisation populaire. C’est sur ce terreau qu’il nous faut travailler à la refondation d’une force ancrée sur des valeurs qui continuent à être les nôtres : égalité, justice fiscale, sociale et environnementale, libertés démocratiques, lutte contre les discriminations.

      Ancrer une gauche émancipatrice dans les classes populaires

      On ne combattra pas cette défiance, ni l’instrumentalisation par l’extrême droite, ni le risque d’antifiscalisme, en pratiquant la politique de la chaise vide ou en culpabilisant les manifestants. Il s’agit bien au contraire de se donner les moyens de peser en son sein et de gagner la #bataille_culturelle et politique de l’intérieur de ce mouvement contre l’extrême droite et les forces patronales qui veulent l’assujettir.

      Deux questions sont posées par ce mouvement : celui de la misère sociale grandissante notamment dans les quartiers populaires des métropoles et les déserts ruraux ou ultrapériphériques ; celui de la montée d’une crise écologique et climatique qui menace les conditions d’existence même d’une grande partie de l’humanité et en premier lieu des plus pauvres.

      Il faut répondre à ces deux questions par la conjonction entre un projet, des pratiques sociales et une perspective politique liant indissolublement la question sociale et la question écologique, la redistribution des richesses et la lutte contre le réchauffement climatique. L’ancrage d’une gauche émancipatrice dans les classes populaires est la condition première pour favoriser une coalition majoritaire pour la justice sociale et environnementale.

      Annick Coupé, Patrick Farbiaz, Pierre Khalfa, Aurélie Trouvé, membres d’Attac et de la Fondation Copernic.

  • Action de groupe contre les GAFAM
    http://gafam.laquadrature.net

    Les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) nous font payer leurs services avec nos libertés.

    Notre liberté de conscience, les laissant accéder aux détails de notre esprit pour nous manipuler de façon individualisée et automatisée. Notre vie privée et notre intimité, sans laquelle nous ne pouvons plus nous construire nous-mêmes.

    Ce contrat est illicite : en démocratie, personne ne peut vendre ses libertés fondamentales. Ainsi, le droit interdit désormais qu’un service soit rémunéré par des données personnelles.

    Pour récupérer nos libertés, le 25 mai, La Quadrature du Net engagera une action collective contre chacun des GAFAM.

    Si vous ne l’avez pas déjà fait, il vous reste encore quelques jours pour rejoindre l’action collective contre chacun de ces fossoyeurs de l’Internet et de nos libertés...

    #Internet #Gafam #La_quadrature_du_net #vie_privée #action_collective #autodéfense_numérique

  • The fatal flaw of neoliberalism: it’s bad economics | News | The Guardian
    https://www.theguardian.com/news/2017/nov/14/the-fatal-flaw-of-neoliberalism-its-bad-economics

    As even its harshest critics concede, neoliberalism is hard to pin down. In broad terms, it denotes a preference for markets over government, economic incentives over cultural norms, and private entrepreneurship over collective action. It has been used to describe a wide range of phenomena – from Augusto Pinochet to Margaret Thatcher and Ronald Reagan, from the Clinton Democrats and the UK’s New Labour to the economic opening in China and the reform of the welfare state in Sweden.

    #néolibéralisme

  • – Ils lui ont arraché sa chemise au manager ?
    – Ouais, ils voulaient en découdre. (lu sur touiteure)
    Air France va porter plainte pour « violences aggravées » après une réunion agitée
    http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/10/05/air-france-confirmerait-2-900-suppressions-d-emplois-lors-d-un-cce-interromp

    La situation se tend à Air France. Plusieurs centaines de salariés ont envahi le siège de la société, interrompant la réunion du comité central d’entreprise (CCE) extraordinaire. Selon plusieurs sourcs syndicales, la direction venait de confirmer que 2 900 postes étaient menacés par le nouveau plan de #restructuration, principalement au sol. Un chiffre similaire à celui annoncé vendredi en conseil d’administration.

    Près d’une heure après le début de la réunion, « plusieurs centaines » de manifestants sont entrés dans le siège d’Air France aux cris de « De Juniac démission » et « On est chez nous ». Le PDG d’Air France, Frédéric Gagey, est sorti précipitamment, indemne. Mais des #salariés ont malmené leur directeur des ressources humaines (#DRH), Xavier Broseta. Sa chemise arrachée, il s’est enfui de la salle de réunion torse nu, entouré d’un important service d’ordre. Après ces événements, Air France a annoncé le dépôt d’une plainte pour « violences aggravées ». Le CCE qui devait reprendre à 14 h 30 ne reprendra pas lundi.

    Plus de cinq cents personnes avaient commencé à manifester à 10 heures devant le siège à l’appel d’une large intersyndicale intercatégorielle. « Gagey dégage », « le plan D ? Démission de la direction » ou « Valls arbitre vendu ! » pouvait-on lire sur les pancartes tenues par des salariés vêtus de leur uniforme. « Direction irresponsable » ou encore « ras-le-bol d’être mis les uns contre les autres », criaient certains devant les fenêtres du siège. Trois syndicats (FO, CGT et UNSA) ont également appelé les personnels à la grève.

    2 900 personnes menacées

    La mise en œuvre du plan « alternatif » au projet de développement « Perform 2020 » concernerait 300 pilotes, 900 PNC (hôtesses et stewards) et 1 700 personnels au sol, selon elles. La direction avait chiffré à 2 900 postes le sureffectif induit par ce « plan B », vendredi en conseil d’administration. Mais elle avait alors évoqué 700 postes menacés chez les PNC et 1 900 au sol.

    Le président d’Air France, Frédéric Gagey, a également confirmé que cinq avions quitteraient la flotte long-courrier en 2016, puis neuf autres en 2017. La compagnie dispose actuellement de 107 avions sur ce réseau, actuellement déficitaire pour moitié. Air France procèdera à des réductions de fréquences sur 22 lignes en 2016 et à une « plus forte saisonnalité » sur six autres lignes, qui « n’existeront que l’été ou l’hiver par exemple », a rapporté une source syndicale. En 2017, la compagnie fermera par ailleurs cinq lignes, en Inde et en Asie du sud-est, ont indiqué plusieurs sources.

    #management #action_collective

  • Halte aux contrôles de nos vies ! Pas d’cadeaux pour la CAF !... Exploités-Énervés
    http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=7846

    Ce jeudi 1er octobre, nous sommes allés accompagner N. à la #CAF de Lozère. Cette action fait suite à 2 #contrôles_domiciliaires de la CAF. Apparemment, le logiciel de traque des #allocataires avait ciblé N. .Le contrôleur l’accuse de ne pas avoir déclaré des cadeaux pour elle et ses enfants de la part de sa famille ainsi que « d’être enceinte en dehors de toute vie maritale » !!! La CAF lui a donc baissé son #RSA et en plus prélève un #trop-perçu. Après avoir parlementé pendant quelques minutes à l’accueil de la CAF de Mende, nous avons pu voir le responsable. Nous avons insisté pour avoir des explications et dénoncé la situation de traque des prétendus fraudeurs... et la dématérialisation qui se prépare de l’avis même du responsable en question. Après quelques réticences, la présence de plusieurs personnes et la distribution de tracts en parallèle à l’entrée a semblé peser en notre faveur. (...)

  • Au Brésil, des paysannes se sont attaqué aux arbres transgéniques
    http://www.reporterre.net/Au-Bresil-des-paysannes-se-sont

    Jeudi 5 mars, mille #femmes du Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (#MST), munies de bâtons et de couteaux, ont détruit des milliers de plants d’#eucalyptus transgéniques dans l’État de Sao Paulo, au #Brésil. Des vidéo montrent leur action.

    Venues des États de São Paulo, Rio de Janeiro and Minas Gerais, elles ont envahi le site de FuturaGene technology Brazil, une filiale de Suzano Timber Corp, dans la municipalité de Itapetininga, à 170 km de São Paulo. On peut les voir, sur une vidéo diffusée sur le site du MST (ci-dessous), le visage masqué par un foulard, casser et détruire les boutures dans les serres de l’entreprise.

    https://www.youtube.com/watch?v=M7K-xJyvek8#t=118


    #pesticides

  • Les précaires à la Direction Régionale de la Cohésion Sociale - AC ! Réseau - Agir contre le chômage et la précarité
    http://www.ac.eu.org/spip.php?article2203

    Cohésion sociale, c’est une de ces expressions à la mode dans les institutions, mais dont personne ne sait vraiment ce qu’elle veut dire : elle date de 2005, quand Jean Louis Borloo a « révolutionné » les politiques de l’emploi, en supprimant toutes les barrières légales qui empêchaient les employeurs de pourvoir à des besoins pérennes en recourant éternellement à des contrats aidés.

    Dix ans plus tard, le résultat est là : des salariés qui en sont à leur huitième contrat aidé pour les mêmes postes auprès des élèves en situation de handicap. Des précaires à qui l’on ne proposera jamais autre chose qu’un autre #CUI-CAE, alternant avec des périodes de chômage. Il y a une chose vraiment pratique avec ces contrats : comme ils sont à temps partiel, la plupart des salariéEs sont contraintEs de bosser en plus à côté, avec d’autres contrats en temps partiel. C’est ainsi que le précaire en charge d’un élève en situation de handicap le matin et l’après-midi , sera #vacataire à la cantine entre midi et deux, assurera l’étude le soir , ou sera animateur en centre de loisirs le mercredi, ou encore assurera du soutien scolaire le soir dans les associations. (...)
    En ce jour de #grève à l’Education Nationale, nous avions donc de très bonnes raisons de manifester à la Direction Régionale de la Jeunesse, des Sports et de la Cohésion Sociale : c’est le directeur en personne qui nous a reçus longuement, avec son équipe. Aucun d’entre eux n’a contesté le caractère scandaleux des situations décrites par les salariées dans l’Education Nationale : et pour cause, entre retards de salaires, impossibilité d’être recruté même en contrat précaire de droit public après deux ans de CUI-CAE, formations quasi-inexistantes et insertion zéro, le tableau n’est pas reluisant.

    Nous avons bien l’intention de nous inviter partout pour dénoncer la situation : en effet, les rectorats et celui de Versailles tout particulièrement ont choisi la politique de la porte fermée face aux luttes des précaires qu’ils emploient. « Traitons les comme des moins que rien, et ils ne feront rien » , telle semble la peu glorieuse stratégie adoptée par un employeur public qui devrait donner l’exemple.

    C’est peu glorieux et peu efficace : de l’#occupation de la Direction Générale du Travailà celle de la Direction Générale des Ressources Humaines de l’Education Nationale, de notre visite aux services du premier Ministre, à celle de la Direction Régionale de la Jeunesse, des Sports et de la Cohésion Sociale aujourd’hui, nous comptons bien nous faire entendre partout puisque nous ne sommes respectés nulle part.

    #AVS # AESH #précaires #action_collective #tract

  • Un #faux #Ministère allemand pour sauver de vraies vies syriennes
    http://fr.myeurop.info/2014/05/13/un-faux-minist-re-allemand-pour-sauver-de-vraies-vies-syriennes-13814

    Delphine Nerbollier

    Un #vrai-faux ministère lance un appel aux familles allemandes. Objectif : accueillir, le temps de la #guerre, les #enfants #syriens. Une #mascarade orchestrée de main de maître par un collectif d’acteurs engagés afin d’obliger la classe politique allemande à intervenir.

    La nouvelle est tombée sans prévenir. lire la suite

    #Société #INFO #Allemagne #Syrie #acteurs #action_collective #artistes #conflit #famille #Manuela_Schwezig #vie

  • Manifestation pour la qualité de l’enseignement, un échec bruxellois
    http://diffractions.info/2014-04-02-manifestation-pour-la-qualite-de-lenseignement-un-echec-br

    Aujourd’hui se sont déroulées des manifestations organisées par la FEF, le CEF et la VVS (diverses organisations étudiantes) pour une « qualité de l’enseignement », un peu partout en Belgique. Ce qui a été un échec, tout du moins pour Bruxelles.

    #politique #société #action_collective #action_politique #enseignement #financement #université

  • #Notre_Dame_des_Landes : Suivi en #direct de la manif du 22 février #Paris-Luttes.info
    https://paris-luttes.info/nantes-notre-dame-des-landes-suivi

    Le point sur la manif du 22 février à #Nantes par quelques Parisiens sur place. Article mis à jour régulièrement .

    Le parcours de la #manifestation a été interdit.
    Le gouvernement PS #CAC_40 - ou la sociale démocratie #Vinci, comme vous voudrez - cherche à diviser des opposants dont la diversité comme les contradictions sont réelles... sans y être parvenu jusqu’alors.

    #action_collective #lutte #police #socialisme #vitrine

  • A Cannes, sous la Palme d’or, la plaie de l’argent
    de Jacques Mandelbaum

    http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/05/27/a-cannes-sous-la-palme-d-or-la-plaie-de-l-argent_3417848_3232.html

    On sait depuis belle lurette, contrairement à ce que certains utopistes rêvèrent en d’autres temps, que le cinéma ne transforme pas le monde d’un iota. En revanche, sa force de témoignage reste intacte, comme sa capacité à pressentir, parfois, le monde qui vient. Si l’on en croit le bon cru des films sélectionnés au Festival de Cannes cette année, c’est une sorte d’Apocalypse qui se lève à l’horizon. Une juste rétribution à l’injustice triomphante, à la morgue insultante, au malheur écrasant. La raison de cette nausée ? Un mot y suffit : l’argent. Plus explicitement, Aura sacra fames, l’exécrable faim de l’or, pour citer l’antique Virgile.

    On ressort de ces films terrifié. Car on sent bien que l’espoir d’un monde meilleur, la ressource d’une action collective, les ont désertés. Le recours à la violence n’est plus l’appel rationnel au renversement d’un rapport de force. Il est un geste de lassitude et de rage, de dignité bafouée, de vengeance assouvie. Un pur acte de rétorsion à la violence continue qui s’exerce, au su et au vu de tous, sur les plus faibles. « Seule la violence aide où la violence règne », écrivait Brecht dans Sainte Jeanne des abattoirs, remarquable pièce rédigée durant la crise de 1929. On en est toujours là.