• Adrian Daub, La Pensée selon la tech. Le paysage intellectuel de la Silicon Valley
    https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/32235

    https://cfeditions.com/pensee-tech

    La Pensée selon la tech est un livre passionnant pour qui s’intéresse aux influences intellectuelles et philosophiques des gourous de la tech américaine et aux stratagèmes des entreprises du secteur de la Silicon Valley. Il montre par quels procédés communicationnels la Silicon Valley transforme à son avantage une réalité souvent peu brillante. Elle n’invente pas nécessairement les idées mais les absorbe de manière très superficielle pour servir ses intérêts. Des lieux communs teintés d’académisme s’enracinent dans des traditions américaines anciennes et le tissu local. Leur banalité facilite leur recyclage, tandis que la passivité dispense de toute discussion. Entrepreneurs, bailleurs de fonds, leaders d’opinion, journalistes continuent à exporter les théories et le style de la Silicon Valley, grâce aux enseignements de la contre-culture des années 1960.

    Observateur clairvoyant, A. Daub livre un témoignage vivant issu de son vécu professoral dans le campus de Stanford. Des anecdotes servent d’accroches à des propos plus généraux tout en les illustrant. Le lecteur est fréquemment pris à partie. L’essai tire sa dynamique de ces effets de style et de sa liberté de ton. Il est loin d’être neutre : l’auteur livre un regard sans concession sur des pratiques qui ont droit de cité mais qui sont tout sauf égalitaires. On devine une certaine indignation sous la dénonciation de la casse sociale qui touche les femmes et tout un pan invisibilisé de travailleurs démunis. C’est pourquoi A. Daub montre la voie vers une pensée critique sur cette partie du monde que beaucoup de pays envient et cherchent à copier sans prendre garde à ses spécificités et ses côtés sombres. Son livre sonne comme un avertissement à ne pas reproduire le modèle tel quel. Il pousse à faire évoluer la représentation que l’on s’en fait et la vision des professionnels du secteur.

    #Adrian_Daub #Silicon_Valley

  • Adrian Daub, La Pensée selon la tech. Le paysage intellectuel de la Silicon Valley | Cairn.info
    https://www.cairn.info/revue-questions-de-communication-2023-1-page-441.htm

    La Pensée selon la tech est un livre passionnant pour qui s’intéresse aux influences intellectuelles et philosophiques des gourous de la tech américaine et aux stratagèmes des entreprises du secteur de la Silicon Valley. Il montre par quels procédés communicationnels la Silicon Valley transforme à son avantage une réalité souvent peu brillante. Elle n’invente pas nécessairement les idées mais les absorbe de manière très superficielle pour servir ses intérêts. Des lieux communs teintés d’académisme s’enracinent dans des traditions américaines anciennes et le tissu local. Leur banalité facilite leur recyclage, tandis que la passivité dispense de toute discussion. Entrepreneurs, bailleurs de fonds, leaders d’opinion, journalistes continuent à exporter les théories et le style de la Silicon Valley, grâce aux enseignements de la contre-culture des années 1960.


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    Observateur clairvoyant, A. Daub livre un témoignage vivant issu de son vécu professoral dans le campus de Stanford. Des anecdotes servent d’accroches à des propos plus généraux tout en les illustrant. Le lecteur est fréquemment pris à partie. L’essai tire sa dynamique de ces effets de style et de sa liberté de ton. Il est loin d’être neutre : l’auteur livre un regard sans concession sur des pratiques qui ont droit de cité mais qui sont tout sauf égalitaires. On devine une certaine indignation sous la dénonciation de la casse sociale qui touche les femmes et tout un pan invisibilisé de travailleurs démunis. C’est pourquoi A. Daub montre la voie vers une pensée critique sur cette partie du monde que beaucoup de pays envient et cherchent à copier sans prendre garde à ses spécificités et ses côtés sombres. Son livre sonne comme un avertissement à ne pas reproduire le modèle tel quel. Il pousse à faire évoluer la représentation que l’on s’en fait et la vision des professionnels du secteur.

    #Adrian_Daub #Pensée_tech #Silicon_Valley

  • La pensée selon la tech - Un Spicilège
    https://unspicilege.org/index.php?post/La-pens%C3%A9e-selon-la-tech

    En sa qualité de professeur en littérature comparée, universitaire renommé, Adrian Daub nous livre ici un essai sur les influences littéraires et philosophiques des grands noms de la tech. Divisé en 7 sections, chacune d’entre elles aborde un courant de pensée précis et la manière dont il est perçu et utilisé dans la Silicon Valley.
    Nous volons donc des théories de McLuhan sur l’importance de posséder un média plutôt que son contenu à celles de René Girard sur les désirs mimétiques en passant par le randianisme (objectivisme) ou l’échec selon Samuel Beckett.

    L’esthétique du génie qui règne sur le secteur de la tech repose encore et toujours sur cette espèce de courage purement gestuel, sur le déguisement des petites choses du quotidien en grands actes de non-conformisme, voire de résistance. Vous répétez ce que les gens disent autour de vous et vous pouvez qualifier cela de libre-pensée. Vous investissez l’argent de certaines personnes pour exploiter le travail d’autres personnes, et vous pouvez qualifier cela de prise de risques.

    Comme il est facile de s’en rendre compte, La pensée selon la tech est un ouvrage assez pointu faisant appel à des références soutenues qui rendent parfois difficile l’accès aux thèses défendues. Cependant, avec un peu de concentration et de persévérance, porté par l’humour et les capacités littéraires de son auteur, il permet de dresser un portrait assez édifiant des grandes valeurs guidant les choix des acteurs-clés du secteur.
    Si ça n’est pas une surprise de se rendre compte qu’ils recyclent beaucoup d’idées conservatrices en leur donnant un look novateur, si leur storytelling autour de la valorisation de l’échec ou de la disruption n’est pas un coup de théâtre, en savoir plus sur les origines de ces idées éclaire beaucoup sur le fond de leurs pensées (le chapitre sur le randianisme ayant pour moi été le plus parlant).

    Au-delà d’un pamphlet, La pensée selon la tech est autrement plus éclairant pour se faire une opinion sur l’idéologie qui guide ceux qui tiennent une bonne partie de nos vies entre leurs mains. La mienne est faite.

    N’oubliez pas d’éteindre...

    #Adrian_Daub #Pensée_tech

  • Oblique-s
    http://www.oblique-s.org/?page=documentation

    « Voici un livre sur l’histoire des idées d’un monde qui aime faire croire que ses idées n’ont pas d’histoire (…) et sont présentées comme inévitables. »
    Professeur de littérature comparée à Stanford, Adrian Daub déconstruit la narration marketing de la Silicon Valley, ses figures, ses principes et ses « entreprises qui finissent par reconfigurer vos idéaux pour justifier leur modèle économique. »
    L’enjeu est de se pourvoir en outils analytiques pour répondre à la puissance de l’amnésie et d’une soit-disante loi naturelle.
    Daub met en avant plusieurs figures historiques incontournables des années 60 (Marshall McLuhan, Richard Buckminster Fuller, Ayn Rand, Stewart Brand) qui ont fait converger contre-culture et business plan en réponse aux pouvoirs de l’État, remis partout en question à l’époque. L’informatique avait alors tous les atouts d’un outil de liberté.
    McLuhan écrivait déjà : « tout le monde doit vivre dans la proximité maximale créée par notre implication électrique dans la vie d’autrui. »
    Ayn Rand, autrice et philosophe, prônait l’individualisme héroïque avec comme figure centrale l’entrepreneur visionnaire, quasi-messie. C’est particulièrement vrai dans La Grève, œuvre essentielle pour comprendre ce qui peut passer par la tête de Zuckerberg, Thiel ou Musk.
    Plus étonnant, on trouve comme influence le français René Girard mais dont la pensée chrétienne a bon dos pour justifier la mainmise de quelques uns sur tous.
    Daub s’attaque à quelques concepts idiots comme la disruption qui prétend au radicalisme socio-économique en réduisant la pensée de Schumpeter dans Capitalisme, socialisme et démocratie en 1942 à une formule : la destruction créatrice qui justifierait tout alors qu’elle est la fin d’un système.
    « La Silicon Valley traduit des concepts informatiques en théories psychologiques et platitudes du développement personnel » écrit Daub.

    En conclusion : « Est-il possible que cette histoire ne se résume pas à une bande de geeks ne comprenant rien à la philosophie ? »

    Autres livres que je conseille : Aux sources de l’utopie numérique de Fred Turner et Du satori à la Silicon Valley de Theodore Roszak
    (Trad. Annie Lemoine)

    https://www.adriandaub.com

    C&F éditions

    #Pensée_tech #Adrian_Daub

  • Comprendre les origines de la pensée tech : Plongée dans l’idéologie de la Silicon Valley avec Adrian Daub | Philonomist.
    https://www.philonomist.com/fr/entretien/comprendre-les-origines-de-la-pensee-tech
    https://www.philonomist.com/sites/default/files/styles/opengraph_preview/public/2022-12/Apple+Silicon%20Valley.jpg

    Dans la Silicon Valley, on cultive, outre les start-up à succès, une certaine forme d’idéologie qui revisite à sa sauce l’œuvre de nombreux intellectuels, de Schumpeter à René Girard. Plongée au cœur de la pensée des acteurs de la tech californienne en compagnie d’Adrian Daub, enseignant à Stanford, auteur de La Pensée selon la tech (C&F éditions, 2022).

    Propos recueillis par Nils Markwardt.

     

    Dans ses premiers temps, la Silicon Valley était fortement marquée par la contre-culture. Comment s’est installée cette étrange liaison entre le mouvement hippie et l’industrie de la tech ?

    Adrian Daub : Cette liaison forte entre les deux a, d’un côté, des raisons régionales en Californie du Nord, mais elle est aussi marquée par une culture d’entreprise spécifique. On trouve dans la Silicon Valley de nombreuses entreprises qui puisent largement dans cette éthique anti-autoritaire et anti-élitaire des années soixante, qui tenta de recréer la Corporate America selon les règles de la commune hippie. Et la plupart des entreprises s’en nourrissent encore aujourd’hui. Par exemple en soulignant l’élément horizontal, coloré et anticonformiste.

    Cela dit, l’héritage de la contre-culture n’apparaît pas seulement dans le style de ces entreprises. En contraste avec les soixante-huitards en Allemagne, la contre-culture californienne a eu pour spécificité de fonder un nombre étonnant d’entreprises et d’avoir fait du commerce. Ce qui tenait au fait que l’économie était considérée comme un contrepoids potentiel à un État américain à l’époque surpuissant, ainsi qu’au complexe militaro-industriel. Quand on dit, donc, que le libéralisme radical qu’on rencontre dans la Silicon Valley est un ajout tardif à l’héritage hippie proprement dit, ce n’est pas vrai. Le libéralisme radical était déjà inscrit dans les communes hippies, dès lors qu’on attribuait un plus grand potentiel progressiste à l’entreprise qu’à l’État.

     

    “McLuhan a tourné au positif la supposition que les nouveaux médias allaient totalement transformer la vie des gens”

     

    Vous décrivez dans votre livre toute une série de penseuses et de penseurs qui – souvent aussi par des chemins sinueux – ont exercé une influence sur la Silicon Valley. Vous commencez par le spécialiste canadien des médias et de la littérature Marshall McLuhan (1911-1980), qui a forgé la célèbre formule « The medium is the message ». Comment ses théories se sont-elles développées pour devenir une sorte de rayonnement d’arrière-plan de l’industrie tech ?

    À l’instar d’Ayn Rand ou de Hermann Hesse, McLuhan fait partie de ces penseuses et penseurs qui ont été absorbés par la contre-culture californienne et ont ensuite souvent été interprétés d’une manière un peu différente de l’image qu’ils avaient d’eux-mêmes. Dans le cas de McLuhan, deux raisons expliquent pourquoi il est devenu important pour la branche de la tech. D’une part, parce qu’il a ôté aux hommes la peur des nouveaux médias en masquant l’élément conservateur de la critique culturelle. Ou plus exactement : il a tourné au positif la supposition, relevant du pessimisme culturel, que les nouveaux médias allaient totalement transformer la vie des gens. Alors que les hippies avaient vainement tenté, pendant une dizaine d’années, de créer des contenus pour bâtir une meilleure société, le message que leur adressait McLuhan leur paraissait tout à fait séduisant. Car celui-ci porte en lui la promesse suivante : au lieu de se contenter de ne fournir aux hommes que des contenus auxquels ils ne réagissent pas, on pourrait changer la polarité des gens pour l’orienter vers le média lui-même. Que les hommes soient retournés par les médias n’a donc, dans cette lecture, rien de mauvais. Au contraire.

    La deuxième raison : si l’on veut réellement comprendre ce qui se passe, il faut, selon McLuhan, se détourner du contenu et aller vers la forme – ou, justement, vers la plateforme. Chez McLuhan lui-même, ce fut dans un premier temps plutôt une intervention méthodologique. Il a souligné le fait que les spécialistes des médias comme lui ne devraient pas se concentrer autant sur les contenus, mais plutôt analyser comment sont transmis ces contenus, quels messages véhicule le média lui-même. Pourtant, cela aussi avait déjà chez McLuhan une composante légèrement morale. Selon le principe : celui qui regarde trop les contenus est naïf. Or, cela a des conséquences très concrètes dans la Silicon Valley. Seul est considéré comme du travail ce qui crée des plateformes et des médias. Les contenus, en revanche, sont là pour tous ceux qui ne sont pas assez géniaux pour écrire des codes. C’est-à-dire par exemple les « consommateurs » qui approvisionnent gratuitement Yelp en évaluations sur les restaurants, ou Facebook en posts.

     

    Un autre penseur sur lequel vous travaillez est René Girard (1923-2015), anthropologue français de la culture et ancien professeur à Stanford. Il s’est surtout fait connaître avec sa « théorie mimétique », selon laquelle tous nos souhaits sont, dans une certaine mesure, des copies : nous voulons toujours avoir ce qu’ont les autres. Il va de soi que c’est intéressant, par exemple, pour les fondateurs des réseaux sociaux. Vous décrivez tout de même le fait que l’influence de Girard repose aussi sur la nature de sa pensée. Pourquoi ?

    Ce qui est important, chez Girard, c’est le niveau formel, et avant tout l’élément contre-intuitif. Car sa théorie ne signifie pas que la majorité du désir humain est d’ordre mimétique – ça n’aurait en soi rien qui puisse susciter la controverse –, mais plutôt que cela concerne chaque désir, c’est-à-dire que tous nos souhaits sont des souhaits copiés. Or c’est justement ce caractère absolu, que beaucoup de personnes commenceraient par rejeter parce qu’ils considèrent que certains de leurs souhaits sont authentiques, qu’on considère comme une force dans la Valley. De cette manière, la théorie de Girard devient une forme de contre-savoir et de doctrine secrète, et Girard lui-même une sorte de prophète de la radicalité gratuite.

     

    Dans quelle mesure ?

    Si l’on en croit Girard, le monde est constitué d’une tout autre manière que nous le percevons en général. Et il est surtout beaucoup moins intéressant. Car avec l’idée du désir mimétique, le monde paraît tout à coup beaucoup plus homogène. Ce qui est amusant, naturellement, c’est que l’unique lieu auquel s’applique effectivement la théorie de Girard – où, donc, tous veulent la même chose –, serait une start-up de diplômés de Stanford, de jeunes gens qui sont issus du même segment très spécifique du système éducatif et d’une région spécifique. Mais ces mêmes personnes peuvent paradoxalement s’expliquer, avec l’œuvre de Girard, que l’humanité est en réalité comme eux, ce qui leur permet de dire à l’humanité ce dont elle a réellement besoin. Si l’on demandait à ces diplômés de Stanford combien d’autres personnes ils connaissent réellement, ils pourraient répondre qu’ils n’ont aucun besoin de les connaître, puisqu’ils ont leur Girard. Cette radicalité, et cette universalité en réalité intenable de la théorie de Girard, permet de tirer, à partir du cercle formé par un petit groupe homogène, des conclusions concernant la grande masse.

     

    “Tout ce qui existe mérite à présent d’être ‘disrupté’”

     

    L’une des notions centrales de la Silicon Valley est la disruption. Sur le plan de l’histoire des idées, cela remonte au concept de la « destruction créatrice », qui a été forgé par l’économiste Joseph Schumpeter (1883-1950). Si ce n’est que Schumpeter partait de l’idée que la « destruction créatrice » menait au bout du compte au socialisme, dès lors que la disruption permanente provoquait chez les hommes un besoin croissant de régulation économique. Aujourd’hui, toutefois, la disruption n’est pas un argument contre, mais pour le capitalisme. Comment en est-on arrivé là ?

    S’il s’agit de savoir quelles conséquences a le capitalisme, Marx et Engels pensaient qu’il déboucherait sur la révolution. Schumpeter croyait au contraire que le capitalisme serait de plus en plus encerclé par des réformes et déboucherait ainsi peu à peu sur le socialisme. Il ne portait même pas un regard particulièrement positif sur ce phénomène, mais à son époque, dans les années 1940, il partait justement du principe qu’on ne pourrait pas l’empêcher. Ensuite, dans les années 1980, le concept de « destruction créatrice » a été peu à peu tourné dans le sens positif et s’est élevé plus tard, dans l’industrie de la tech, au rang de véritable théodicée de l’hypercapitalisme [une théodicée est un récit permettant d’expliquer la contradiction apparente entre la bonté et la toute-puissance de Dieu d’une part, et l’existence du mal de l’autre, ndlr]. Tout ce qui existe mérite à présent d’être « disrupté ».

    Ce cas montre aussi, cependant, que ce que la Valley appelle penser ne vient pas seulement des entreprises. Car il est certes vrai que si une entreprise comme Uber maintient à un niveau élevé le culte de la disruption, c’est que ce dernier lui sert à légitimer son modèle économique. Mais il est tout aussi vrai que de telles entreprises ne pourraient pas le faire sans soutiens dans les médias, la politique et les universités, qui prolongent ce culte de la disruption. Combien de fois avons-nous dû par exemple entendre, ces quatre dernières années, que Donald Trump ne détruisait pas seulement les normes, mais qu’il était un disruptive president, ce qui présentait aussi des avantages ? Le modèle de la disruption a été transposé à tous les domaines possibles de la société, on en a fait une variante spéciale de la gouvernementalité néolibérale, variante qui permettait de tout expliquer et de tout remettre en ordre – qu’il s’agisse des sociétés de taxi ou des universités.

     

    Une métamorphose douteuse analogue a été infligée, dans la Silicon Valley, à la fameuse phrase de Samuel Beckett « Déjà essayé. Déjà échoué. […] Échoue mieux. » Dans sa nouvelle Cap au pire, publiée en 1983, l’écrivain avait formulé cette phrase pour exprimer l’idée mélancolique que l’échec est une partie intégrante de la vie, au terme de laquelle attend toujours la mort inéluctable. Dans la lecture qu’on en fait en Californie du Nord, cette sentence est au contraire devenue un impératif d’auto-optimisation.

    Tout à fait. Ici, on met l’accent sur le « mieux ». Mais ça n’a pas toujours été le cas. Après l’éclatement de la première bulle internet [bulle spéculative liée aux secteurs de l’informatique et des télécommunications à la fin des années 1990, ndlr], beaucoup de personnes dans la Valley se sont consciemment demandé ce qui leur était arrivé et quelles leçons ils pouvaient en tirer – même s’il ne devait pas y avoir de prochaine fois. Cela a changé à partir de la crise financière de 2008. Après cette date, on a en quelque sorte universalisé l’échec. Et ce, dans une situation dans laquelle rien ne pouvait en réalité échouer dans la Silicon Valley. Alors que tout s’effondrait autour de la Valley, à commencer par les banques et les compagnies d’assurances, là-bas, les choses continuaient leur ascension.

     

    “Dans la Valley, la possibilité d’échouer et manière dont on le fait dépendent fortement de qui l’on est déjà”

     

    Le culte de l’échec ne fonctionnait plus à présent que rétrospectivement. Les gens qui réussissaient racontaient qu’eux aussi avaient un jour subi un atterrissage en catastrophe. Des gens, donc, venus dans la Valley en provenance de Stanford ou de Harvard, avaient un jour eux grillé un million, en avaient reçu un autre et étaient ensuite devenus d’une richesse incroyable. C’est bien entendu un affront pour tous ceux pour qui l’échec signifie tout autre chose. Que l’on puisse échouer, et comment, dépend fortement, dans la Valley, de qui l’on est déjà. L’échec n’est rien de définitif, mais constitue uniquement un point intéressant sur notre CV.

    Je cite dans le livre l’exemple de Theranos, une start-up du secteur de la biotech qui s’est retrouvée en 2019 impliquée dans un scandale d’escroquerie. Dans sa centrale de Palo Alto se trouvait une citation du basketteur Michael Jordan dans laquelle celui-ci disait qu’il avait fait plus de 9 000 mauvais lancers dans sa carrière, perdu plus de 200 matchs et raté 26 fois le dernier jet, c’est-à-dire qu’il n’avait pas cessé d’échouer, mais que c’était la seule raison pour laquelle il y était arrivé. C’est exemplaire. Car les gens pour lesquels l’échec est intéressant ne sont jamais que des personnes comme Jordan, J. K. Rowling ou Mark Zuckerberg. Et ce, parce que cela apparaît comme le prélude d’un succès inconcevable.

     

    Vous écrivez pourtant aussi dans le livre qu’au moins, Mark Zuckerberg admet en termes résolus à quel point il a été privilégié de ce point de vue.

    Oui, cela m’a effectivement surpris de manière très positive. Dans le discours qu’il a tenu devant des diplômés d’Harvard, il a reconnu en 2017 que Facebook avait certes constitué un risque pour lui, mais pas au sens où il l’aurait été pour beaucoup d’autres. Si l’affaire avait capoté, il aurait pu revenir à Harvard et tout aurait été en ordre. Mais ça n’aurait pas été le cas pour beaucoup d’autres personnes de sa connaissance. On peut certes douter qu’il connaisse réellement autant de gens répondant à ce critère. Mais il était important qu’il le dise aussi ouvertement. Car il reconnaissait ainsi à quel point le culte de l’échec met entre parenthèses les éléments social et physique. Des facteurs comme l’appartenance ethnique, le genre ou l’âge. Car de tout cela dépend par exemple qui a la possibilité et le droit d’échouer – et qui ne l’a pas.

    #Adrian_Daub #Silicon_Valley #Disruption #Pensée_Tech

  • The changing ideology of Silicon Valley | The Economist
    https://www.economist.com/podcasts/2022/12/14/the-changing-ideology-of-silicon-valley

    Podcast avec Margaret O’Mara et Adrian Daub.

    STARTUP FOUNDERS in Silicon Valley are often motivated by an almost religious idealism: young tech workers, looking to move fast and break things, want to use technology to make the world a better place. But 2022 has brought about a reckoning: the business models of once-star firms, such as Uber and Meta, are under threat; the allure of the dishevelled whizz-kid has been undermined by the downfall of Sam Bankman-Fried; and the expense of Palo Alto has pushed plucky startups out. The Bay Area has often been populated by liberals, but many of tech’s heroes, like Elon Musk and Marc Andreessen, have shifted to the right.

    On this week’s podcast, hosts Mike Bird, Soumaya Keynes and Alice Fulwood ask whether Silicon Valley has lost its religion. Margaret O’Mara, professor of history at the University of Washington, reveals the Valley’s past. And Adrian Daub, the author of “What Tech Calls Thinking”, tells us that the secret of the successful founder is to bamboozle regulators while they make a bit more money. Runtime: 41 min

    #Adrian_Daub

  • Adrian Daub on Cancel Culture: “Only the famous white man apparently never speaks for himself” News
    https://www.dailynewsen.com/politics/adrian-daub-on-cancel-culture-only-the-famous-white-man-apparently-h856

    Can you still say “Indian” today? Every year, alleged speaking bans are discussed - and people forget that there is little new in such debates. Literary scholar Adrian Daub, who teaches in Stanford, California, has written a book about this phenomenon. “In the beginning there was the accusation of communism,” he says. Today even Putin is warning of the cancel culture. “For him, too, it has the function of distracting from the actual topic: declaring a culture war if the war is not going so well,” said Daub in an interview with ntv.de.

    Daub himself recently experienced how serious the Cancel Culture fighters are about freedom of expression: he was not allowed to attend a conference on this topic in Stanford.

    ntv.de: Let’s start with the question that is at the heart of the debate about “cancel culture”: what can one still say today?

    Adrian Daub: That is of course difficult to answer. Certainly the way we talk and what we talk about and the reaction we provoke has changed over the past thirty years, but that’s normal. Society is constantly going through developments that change what can be said and tolerated in public space. My suspicion is that the trigger for the cancel culture debate is a fairly normal process. We used to use certain words and eventually we stopped using them.

    There are no bans?

    Times are changing and we are changing with them. There is no conspiracy behind this. The assumption of the warners against a cancel culture - as with the political correctness before it - is that the amount of what can be said is reduced. I don’t think that’s verifiable.

    So where does the lawsuit about speaking bans come from?

    One reason is that we are more connected. We listen to each other more - if not necessarily better. Thirty years ago, no one noticed how certain groups were talking somewhere. Groups and their communication were more homogeneous and could not be looked up on the Internet. This is certainly a qualitative difference in our world, which understandably evokes a justified fear. For example, we want to communicate openly on the Internet, but we find that such communication is visible to many more people than if we say something quickly in the canteen. We need to extend polite structures that we are used to using in our circle of acquaintances and colleagues to people on the Internet. All this is not without.

    You mentioned political correctness: cancel culture has a history. How far back does that go?

    In the beginning there was the accusation of communism in the USA: the claim that the universities were hotbeds of Marxist indoctrination.

    You mean the McCarthy era of the early 1950s, when actual and alleged communists were persecuted in the United States.

    The accusation of Marxist infiltration was never really successful in the US because it is clearly a conspiracy myth. Of course there were Marxist professors in US universities in the 1950s, 60s and 70s, but there was always something quirky about the claim that massive subversion took place there. This was different with the allegation of political correctness. This convinced a majority of Americans that a totalitarian, left-wing orthodoxy was being established in the colleges. The critics of alleged political correctness then no longer appeared as hard anti-communists, but as defenders of liberalism - even if many of them were anything but liberal themselves. Nevertheless, the warning against political correctness was compatible with people who see themselves as left-wing or left-liberal.

    That is the powerful thing about the concept of political correctness, which did not appear for nothing in 1990/91, i.e. at the moment when the Cold War was over and the old ideological patterns no longer threatened to emerge: with political correctness, the old could Camp thinking can be reactivated without having to talk like Joe McCarthy in the early 1950s.

    In Germany, a scientific freedom network collects examples of “attacks on scientific freedom”. In the latest case there, an article in the FAZ is quoted, according to which a philosophy seminar at the University of Leipzig was “stormed by transgender activists”. Are all the cases the network lists just exceptions?

    Of course there are such examples. But I advocate seeing that in perspective. It can be assumed that something is constantly happening somewhere that potentially threatens to curtail one or the other’s freedom of expression. The question is how to deal with it - whether and at what point it is suitable for a broad diagnosis of the present. I think it’s good that there is a network that supports the lecturer and offers help. The aim of such a database, however, is to support the grand narrative that freedom of expression is generally threatened - not just in a specific seminar room in Leipzig, but throughout Germany.

    You deny that.

    I don’t know the Leipzig case. But in almost every one of these cases, not enough is known. There is definitely a history. Maybe that makes the case worse, maybe less bad. In any case, I would dispute that the aggregate of individual cases shows that there is a general cultural shift. I know that from the US databases. It also states that such cases are increasing. I would argue that they are increasing because people are specifically looking for them. These cases have been collected for a long time, but under the keyword “Cancel Culture” only since 2018/19. I can refer to cases from 2008, 2009 or 2010 that are not listed there. And in many cases that are in there, I know that the representation does not correspond to the truth. The point is: With the current data situation, it is not possible to measure whether freedom of expression at universities in the USA or in Germany is increasingly under threat.

    In your book you write that linguistic changes that have been going on for decades are always “experienced as new and sudden”.

    In these discourses it is constantly asserted that something happened “well” one way or another, or that it happened “recently”. Then you examine the case and realize that it was several years or even decades ago. Since the 1990s, an increase in political correctness or cancel culture has been suggested. There is constant talk of a future in which one can no longer say anything, in which - in the case of the USA - Shakespeare can no longer be taught at universities because he is an old white man. This specific concern has been around since the 1980s - but Shakespeare is still being taught! Another example: In Germany there was another debate about whether one could say “Indian”. This discussion also dates back to the 1990s: in 1992, an author in the “Zeit” made fun of the fact that one now had to say “Native American”. The same applies to the foam kiss or the schnitzel with paprika sauce: For thirty years we have always had the same discussion about the same words, which are said to always be acutely threatened.

    As a rule, behind the accusation of cancel culture is the fear or the accusation that “the left” wants to silence other voices.

    That’s the bizarre thing about it: At the end of this fight for freedom of expression, for the right-wing and conservative freedom of expression fighters, there is actually always a curtailment of the freedom of expression of others. On the one hand, that’s paradoxical, but the longer I’ve been involved with the discourse on canceling culture, the more I’ve noticed that not letting others have their say is actually the secret principle behind the complaint about the canceling “clouds”. In the German discourse in particular, it is always pretended that cancel culture is the opposite of debate. But if you look closely, you realize that it’s just a particularly tough debate. This is often not a problem at all.

    Do you have an example?

    I think it’s entirely plausible that trans people, who are really not doing particularly well in our society, engage in debates a little more. I don’t see how one could debate one’s own existence with Socratic detachment. Just like Black Lives Matter. If a black man says: I don’t want to be murdered - then this demand can be expressed a little more passionately. These are debates that are being fought hard, but they are still debates. And taking that seriously, and taking the other side seriously, saves those who immediately complain about the cancellers. People want to force others out of the debate, deny their ability to satisfy - the “woken”, the trans people, the politically correct.

    What does this “woke” actually mean? In Germany you hear the word almost exclusively as a battlefield term.

    In Germany, “woke” seems to mean anything. In the USA, wokeness has a long tradition as a term, like canceln it was originally an Afro-American word. It pointed to a feeling for social grievances, especially when the ideology of the majority, when the system is obscuring it. You stayed “awake”, looked closely, didn’t let anyone tell you anything - by the way, not only in relation to politics, in many songs the word appears with a view to a partner who is cheating on you. In the context of the Ferguson protests in 2015, the motto “stay woke” then reached the broader mainstream, especially via social networks. And was then hijacked by the right and conservatives. It is supposed to mean that someone is pursuing identity politics, that they consider themselves morally superior, that they are pseudo-religiously “awakened”.

    You also have to explain this: what is identity politics?

    Originally, identity politics within the American civil rights movement meant that marginalized identities were explicitly addressed instead of being tacitly included. A classic example: Black workers in the 1960s and 1970s were not helped when politicians talked about improving the situation of “the workers”. An African-American worker struggled and struggles with both socioeconomic injustice and racism. This is exactly what identity politics wants to draw attention to. Likewise in the women’s movement: black women still have their own battles to fight than white women. If they are not thought through, their concerns will get under the wheels.

    Didn’t that lead to people saying: only women are allowed to speak about women’s issues, only black people about black issues?

    Of course there are people on God’s big earth who say something like that. But I would caution against taking the debate contribution of a Twitter user named “Jennifer_123” more seriously than a fifty-year-old intellectual tradition. And vice versa, one has to say that she is actually critical of a lot of what is commonly associated with identity politics - think of Judith Butler, who actually wants to say: It is difficult to realize a political project for the liberation of women when you adheres to a very narrow understanding of who a woman actually is, yes, what femininity is. For good reason, identity politics has developed an allergy to being shared. The black civil rights movement in the USA already said yes: blacks must speak for blacks. It’s not enough for white people to talk about us. Which of course by no means ruled out alliances.

    You can take this approach too far, that’s for sure. But more often the discourse on identity politics is a projection. The “woken” left is accused of making interest-driven politics for individual groups, for women, homosexuals, trans people. Only the famous white man apparently never speaks for himself, but always only for common sense.

    Is there also right-wing or conservative identity politics?

    For right-wingers and conservatives, those “moved by identity politics” are always the others. But of course there is also conservative identity politics. Even the accusation of identity politics is extremely identity politics. It is supposed to suggest that certain gestures and ideas that you implicitly allow yourself are illegitimate in others.

    In preparing for this interview, I came across an event you were having at Stanford, a conference on Cancel Culture, with investor Peter Thiel, a Trump supporter, as a keynote speaker. Have you been there?

    I wasn’t allowed in.

    I beg your pardon?

    (laughs) Apparently I wasn’t free enough to go to the Freedom of Expression Summit. However, I have to say that after widespread criticism of their seclusion, they put a live stream online. But I would have loved to go. I already know Peter Thiel, but I would have liked to have met the psychologist Jordan Peterson, for example, who appears a lot in my book.

    The live stream didn’t interest you?

    Honestly no. How does Heine say? “I know the tune, I know the text, I also know the authors.” I was actually only interested in the event sociologically. After many years of dealing with the subject, it would have been exciting to get to know a few of these protagonists. Well, maybe I’ll watch the video.

    Incidentally, Peter Thiel has also been there for ages, I don’t think people in Germany realize that. In 1995 he co-authored the book The Diversity Myth: Multiculturalism and the Politics of Intolerance at Stanford with David Sacks. The blurb states, “This is a powerful exploration of the crippling impact that politically correct ’multiculturalism’ is having on higher education and academic freedom in the United States.” You can blame these people for many things, but not that they don’t keep playing the old hits.

    Why are they doing this? Don’t conservatives have issues of their own that they could use to move forward positively?

    Thiel is a special case. His aim is to discredit university education. His attack on “multiculturalism” is actually an attack on American liberal democracy. Among other things, he criticized women’s suffrage. His point is that certain Americans are not really Americans and should therefore not be included in public discourse and opinion-forming. I have the suspicion that he wants to weaken the cornerstones of a liberal, democratic order. In general, there are some among the cancel-culture warnings whose role models are Orban and Putin.

    Putin is now presenting himself as a bulwark against cancel culture.

    He’s been doing this for years. He keeps talking about cancel culture or “gender ideology”. The longer the Russian war of aggression against Ukraine lasts, the more. For him, too, it has the function of distracting from the actual topic: declaring a culture war when the war is not going so well. I can’t speak Russian enough to figure out where he got all this from, but he sounds amazingly like a right-wing US Republican. Putin knows all the classics like he’s hanging out in some anti-woken Facebook group. It goes so far that in March he met “Harry Potter” author J.K. Rowling because she too was allegedly “cancelled”. I could never have imagined that a dictator would justify a war in this way.

    Hubertus Volmer spoke to Adrian Daub

    #Adrian_Daub #Cancel_culture

  • Adrian Daub, La pensée selon la tech. Le paysage intellectuel de la Silicon Valley
    https://journals.openedition.org/lectures/57184?lang=fr

    « Les outils ne nous contrôlent pas. Nous pouvons les contrôler et nous pouvons les refonder ». C’est au cœur de la Silicon Valley, à l’Université de Stanford, que Barack Obama prononce ces mots en avril 2022. En préconisant la régulation des plateformes numériques, perçues comme des menaces à la démocratie, l’ancien Président des États-Unis remet en cause un des nombreux mythes qui ont cours à propos des nouvelles technologies. C’est également ce que propose de faire Adrian Daub dans cet ouvrage traduit par Anne Lemoine. Ce court essai expose les idées communes au monde de la tech, leurs sources d’inspiration et surtout leurs contradictions, le tout avec un certain humour. La « tech » regroupe à la fois les entreprises technologiques ainsi que les médias qui commentent et analysent les évolutions de ce secteur économique. Pour dresser le portrait intellectuel de la Silicon Valley, Adrian Daub se fait observateur et s’appuie sur de nombreuses sources, au premier plan desquelles se trouvent les œuvres des auteurs et autrices qui ont influencé les acteurs de la tech, mais aussi des articles de la presse d’opinion états-unienne ainsi que divers documents (par exemple, les supports de cours suivis par Mark Zuckerberg à Harvard) et entretiens menés par l’auteur. Adrian Daub met en contexte et analyse également des conférences et interviews de personnes influentes comme Steve Wozniak (cofondateur d’Apple), Mark Zuckerberg (fondateur et dirigeant de Facebook), Elon Musk (directeur général de Tesla), Jack Dorsey (cofondateur de Twitter) ou encore Peter Thiel (cofondateur de PayPal). L’ouvrage se découpe en sept thématiques. Elles reprennent chacune un mythe qui participe à la pensée de la tech : le décrochage universitaire, la prévalence de la forme sur le contenu des plateformes numériques, l’esthétique du génie des dirigeants économiques, les communications interpersonnelles sur les plateformes numériques, le désir des utilisateurs, la disruption comme justification pour chaque innovation et la célébration de l’échec.

    #Adrian_Daub #Pensée_tech

  • Il ne doit pas nécessairement en être ainsi – Entre les lignes entre les mots
    https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2022/05/04/il-ne-doit-pas-necessairement-en-etre-ainsi

    Dans son avant propos Fred Turner souligne : « Daub ne se contente pas de déboulonner ces mythes, il montre comment et pourquoi tant de personnes s’y sont laissées prendre. S’il vous est déjà arrivé de vous demander pourquoi il est devenu si difficile d’appréhender les nouvelles technologies et leurs effets sur la société, ce livre est fait pour vous ».

    Les nouvelles technologies semblent participer d’un monde enchanté et dépolitisé. Les nouvelles dépendances, bien lucratives pour certains, induites par leur utilisation – l’ordiphone semble devenu une prothèse pour beaucoup – se masquent sous les termes d’utilité et de liberté, réduites aux individus connectés mais isolés.

    La critique semble interdite, dissoute sous une modernité naturalisée. C’est pourquoi, j’apprécie le travail d’édition de C&F sur ce sujet. J’avoue avoir souvent souri à la lecture de ce livre. Adrian Daub analyse successivement un certain nombre de mythes derrière des concepts aux contours peu précis : Décrochage, Contenu, Génie, Communication, Désir, Disruption, Echec.

    #Didier_Epsztajn #Adrian_Daub #Pensée_tech

  • Faut-il se méfier du parler tech ?
    https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2022/04/22/faut-il-se-mefier-du-parler-tech_6123298_4500055.html

    « Révolution », « autonomie », « disruption »… Ces termes « trustés » par l’univers des nouvelles technologies sont détournés de leur sens premier et infusent les conversations du quotidien. Plusieurs universitaires relèvent les risques de ce galvaudage.

    Par Nicolas Santolaria

    Depuis que nous vivons dans une « start-up nation », nous nous sommes habitués à voir fleurir dans les discours, voire dans les conversations de tous les jours, des termes issus de l’univers des nouvelles technologies, sans en interroger la portée. On ne parle pas ici de ces expressions qui traduisent une porosité croissante entre notre vision de l’humain et celle de la machine (être « en mode veille », par exemple, utilisable aussi bien à propos de votre OS que de vous-même), mais bien de termes que les zélateurs des nouvelles technologies diffusent volontairement dans la sphère publique, tout en en modifiant parfois subrepticement leur sens. Ainsi, depuis Steve Jobs et ses harangues en col roulé, la « révolution » n’est plus ce terme qui désigne le renversement populaire du pouvoir, mais le mot-clé servant à qualifier la sortie d’un nouvel iPhone.

    « Ces concepts et idées se veulent novateurs, mais ne sont en réalité que des thèmes éculés revêtus de sweats à capuche », estime Adrian Daub, de l’université Stanford

    Dans son ouvrage Servitudes virtuelles (Seuil, 320 pages, 21 euros), l’universitaire spécialiste des nouvelles technologies Jean-Gabriel Ganascia dresse un constat similaire, qu’illustrent bien les expressions « voitures autonomes » ou « armes autonomes ». L’autonomie, cette liberté de la volonté, se trouve ici réduite à l’idée d’une tâche à accomplir, constituant un « abus de langage ». Car si la voiture était réellement autonome, note avec humour Jean-Gabriel Ganascia, elle « ne vous conduirait pas nécessairement où vous le souhaitez, mais là où elle le déciderait ».
    Opération rhétorique

    Dans La Pensée selon la tech. Le paysage intellectuel de la Silicon Valley (C&F Editions, 184 pages, 22 euros), Adrian Daub, professeur de littérature comparée à l’université Stanford, avance que l’actuelle révolution numérique est aussi, en grande partie, une opération rhétorique assurant la promotion « de concepts et d’idées qui se veulent novateurs, mais qui ne sont en réalité que des thèmes éculés revêtus de sweats à capuche ». L’exemple le plus drôle que l’on trouve dans le livre est le mot mantra « disruption », utilisé à tout bout de champ pour désigner l’innovation de rupture, mais dont la genèse conceptuelle remonte en réalité au milieu du XIXe siècle.

    « La généalogie de l’idée de disruption est assez étrange. Ses plus vieux ancêtres sont probablement Karl Marx et Friedrich Engels, qui ont écrit dans Le Manifeste du Parti communiste (1848) que le monde capitaliste moderne se caractérise par “ce bouleversement continuel de la production, ce constant ébranlement de tout le système social” de sorte que, selon eux, “tout ce qui avait solidité et permanence s’en va en fumée”. » On le voit ici, le terme de disruption laisse imaginer une nouveauté radicale dans les manières de faire, là où il y a en réalité une continuité.

    « Généralement, les concepts présentent de l’intérêt parce qu’ils nous aident à établir des distinctions importantes », souligne Daub, mais les concepts mis en avant par la tech, eux, « servent souvent à brouiller ces distinctions ». Le terme de « contenu », par exemple, s’il désigne une matière indispensable à l’existence des plates-formes, s’accompagne de l’idée qu’il ne s’agit pas là d’un vrai travail (donc n’implique pas de rémunération en bonne et due forme, ni de contrat).

    Le fait de jouer ainsi sur les mots n’est pas fortuit, mais procède d’une véritable stratégie : les changements impulsés au travers du vocable sont frappés du « sceau de la loi naturelle », estime encore Daub, ce qui a pour effet de suspendre momentanément la critique, et de paralyser le régulateur, trop occupé à essayer de s’orienter dans ce nouveau brouillard sémantique. Si la production de contenu est un simple hobby, pourquoi alors la réguler ? Influencée entre autres par René Girard, Ayn Rand ou encore Marshall McLuhan, cette pensée de la tech nous invite in fine à voir le monde comme un univers empli de « problèmes » qui appellent une pressante réponse technologique ; « solutionnisme » univoque qui est déjà, en soi, problématique.

    Nicolas Santolaria

    #Adrian_Daub #Language #Disruption #Silicon_Valley

  • Les Livres de Philosophie: Adrian Daub : La pensée selon la tech. Le paysage intellectuel de la Silicon Valley
    https://les-livres-de-philosophie.blogspot.com/2022/03/adrian-daub-la-pensee-selon-la-tech-le.html

    Aimeriez-vous faire un petit tour dans la tête de Steve Jobs, Elon Musk, Jack Dorsey ou Peter Thiel ? Avec La pensée selon la tech, Adrian Daub déconstruit avec humour le paysage intellectuel de la Silicon Valley. Comprendre les éléments de langage, les lieux communs, les figures tutélaires et les idées portées par les entreprises technologiques est essentiel pour développer une critique efficace de leurs idéologies.
    Trop souvent, les prétendues idées créatives et novatrices de la tech ne sont que des résurgences de motifs anciens : du mythe du décrochage au cri de guerre de la « disruption », de l’éloge de l’échec à la manipulation du désir par l’entrepreneur, Adrian Daub dresse un panorama de la pensée de la Vallée et pointe ses ancrages dans les idées de René Girard et Ayn Rand, dans le New Age, la fondation Esalen de Big Sur et même dans les traditions américaines.

    Adrian Daub est professeur en littérature comparée à l’université Stanford. Observateur averti, il signe régulièrement des chroniques dans de nombreux journaux, notamment The Guardian et Frankfurter Allgemeine Zeitung. Il est l’auteur de plusieurs essais au carrefour de la philosophie politique et de la critique artistique.

    #Adrian_Daub

  • The Wirecard Scandal Could Only Have Happened in Germany | The New Republic
    https://newrepublic.com/article/162084/weird-extremely-german-origins-wirecard-scandal

    Adrian Daub a la dent aussi dure contre l’Allemagne qu’il l’a contre les brahamanes de la Silicon Valley.

    The “global player” is enticing for Germany because it is ultimately utopian. Germany would like to have its own Uber, its own Amazon, its own Google. Wirecard promised German media and politicians exactly that. But in order to have companies of this kind, it would have to dismantle the regulatory apparatus that German unions and politicians have fought to create over the course of more than a century. A scandal like Wirecard is powered by the dream that you could have an Uber without slashing workers’ protection—that one could hold on to what remains of the German social market economy while at the same time going all-in on laissez-faire capitalism.

    Similarly, German politicians have long suggested that the country needs to have “elite” universities, which seems to mean its own Harvards and Stanfords. The shininess of the great American models is premised on absurd student debt, on universities turning themselves into some mix of tax shelter and investment bank, and on the education system essentially laundering donor money unleashed by regressive tax schemes. German politics harbors the fantasy of having Harvard without all of the ravages that make Harvard possible, because it suggests a version of globalization without any of the drawbacks.

    The Wirecard scandal could be depicted as an example of global neoliberalism run amok. But it might actually be about a country that is less neoliberal than it would like to be—that has talked itself into believing that dismantling the regulatory state and the welfare state are a good idea but can’t get itself to actually do it. A country obsessed with being a global player, but ultimately far more comfortable in its provincialism than it cares to admit.

    #Adrian_Daub #Allemagne #Scandale #Wirecard

  • Comment l’idéologie de la tech a conquis le monde
    https://www.ladn.eu/tech-a-suivre/ideologie-silicon-valley-adrian-daub

    L’obsession pour la disruption, la fétichisation de l’échec… La Silicon Valley a semé ses concepts partout. Pourquoi, comment et pour quels résultats ? Réponses avec Adrian Daub, auteur de La pensée selon la tech.

    La disruption de tout (y compris ce qui fonctionne déjà bien), l’éloge de l’échec, le mythe du génie solitaire ou du décrochage scolaire... La Silicon Valley regorge de mythes et de mantras qui inondent ses pitchs et les déclarations de ses leaders. Cette idéologie puise ses concepts chez divers penseurs, de l’hyper libertarienne Ayn Rand à Karl Marx, en passant par l’économiste Joseph Schumpeter, la contre-culture hippie et le théoricien de la communication Marshall McLuhan. Toutes ces idées ont été passées à la moulinette des intérêts du secteur.

    Dans La pensée selon la tech, publié chez C&F Éditions en mars 2022, Adrian Daub, professeur en littérature comparée à Stanford, recense les origines de cette philosophie propre à la Silicon Valley, mais surtout ses conséquences pour la tech et tous les autres secteurs de l’économie qui s’en sont inspirés. Cet ouvrage très renseigné (tout en restant accessible et drôle) décrit surtout la manière dont cette idéologie est passée sous les radars car elle n’a longtemps pas été comprise comme telle. À la fin des années 2000, en pleine crise économique, les leaders de la tech nous ont fait croire que le capitalisme pouvait faire encore rêver grâce à ses idéaux. Aujourd’hui, si on les croit nettement moins, les conséquences de cette adhésion seraient encore parfaitement visibles.


    #Adrian_Daub #Pensée_tech #Interview