• Vous vous rendez compte ? Ces étudiant·es pauvres qui sont obligé·es de rentrer dans "l’illégalité" ! ...

    « Ce n’est pas bien, mais ça permet de mieux manger » : face à la précarité, des étudiants tentés par l’illégalité – Libération
    https://www.liberation.fr/societe/ce-nest-pas-bien-mais-ca-permet-de-mieux-manger-face-a-la-precarite-des-e

    « Ce n’est pas bien, mais ça permet de mieux manger » : face à la précarité, des étudiants tentés par l’illégalité

    Faudrait qu"on explique à Libé que certains vols procèdent d’une plus juste répartition des richesses produites par les gueux et que si ces mêmes gueux se regroupaient en organisations militantes on pourrait appeler tout ça "autoréduction".

    Dire qu’on est obligé de tout faire soi-même pour rééduquer la "presse de gôôche" ... Quel naufrage !
    http://www.anarchisme.wikibis.com/autoreduction.php

    • M’enfin, c’est pas un article de propagande en faveur de jeunes irresponsables malhonnêtes, c’est un cri d’alerte ! Et puis la FAGE s’en occupe (il semble que, entre les magouilles socialistes et gauchistes, les coordinations, l’Unef, syndicat étudiant historique ait disparue).

      Voler au supermarché, sous-louer sans l’accord du propriétaire, #frauder les #transports : alors que plus d’un étudiant sur deux vit avec moins de 2 euros par jour, nombre d’entre eux se tournent vers des actes illicites pour survivre, malgré les risques.

      Chaque fois que Claire (1) va faire les courses, elle « oublie » toujours de passer des produits à la caisse. « Je vole du pesto, du houmous, du pain, tout ce qui peut se mettre au fond du sac », reconnaît l’étudiante de 22 ans. Avec la peur de finir le mois avec un chiffre négatif sur leur compte en banque, des étudiants mettent en place des stratégies illégales pour subvenir à leurs besoins. Du #vol au supermarché en passant par la sous-location sans l’accord du propriétaire ou encore la fraude des transports, les pratiques illicites sont variées, mais largement utilisées par des jeunes aux profils hétérogènes, dans des situations de vulnérabilité financière. S’ils savent qu’ils encourent des amendes particulièrement salées (jusqu’à 45 000 euros) et même de la prison, certains préfèrent courir le risque.

      « Comme beaucoup d’#étudiants, mes parents sont eux-mêmes #précaires. Je dois donc m’assumer seule. Mes 520 euros de bourses vont chaque mois dans mon #loyer, et je reçois 300 euros d’aides au logement qui me permettent de vivre. Tout part dans les courses, dans mon compte Izly [cagnotte pour payer les restaurants du Crous, ndlr], et pour maintenir des activités, avoir une vie sociale », explique Claire, qui vit à Strasbourg. Alors la jeune femme a commencé à voler au supermarché. « Je sais que ce n’est pas bien, mais ça permet de mieux manger, de ne pas se nourrir de pâtes tous les jours. Sur un ticket de caisse à 30 euros, j’économise en moyenne 10 à 15 euros. Et honnêtement, je suis à 10 euros près. »

      « Du déodorant, des serviettes hygiéniques »

      Ariane, 28 ans, estime que le vol lui permet surtout d’avoir accès à des produits de meilleure qualité. Elle vise particulièrement les #caisses_automatiques. « Je vole de bonnes bouteilles d’huile d’olive, des steaks de soja, mais aussi des produits de première nécessité comme du déodorant ou des serviettes hygiéniques », assume la doctorante en sciences sociales, qui estime faire entre 40 et 60 euros d’économies par mois. Pour elle, la pratique n’est pas un tabou entre étudiants, au contraire, mais elle peut conduire à certains débats. « Certains trouvent que ça n’est pas #éthique, mais je sais que je ne le ferais jamais chez des petits commerçants », assure Sarah, 23 ans, étudiante à Brest (Finistère), qui reconnaît subtiliser parfois jusqu’à 50 euros de courses au supermarché. Elle n’est pas boursière et ses parents ne l’aident pas financièrement. « J’ai un job alimentaire en grande surface à côté de mes études. Ça me permet tout juste de payer mon loyer, de manger et d’avoir une vie sociale : aller au cinéma, faire des pique-niques avec mes copains… Mais je fais beaucoup l’impasse sur les bars, c’est trop cher », raconte l’étudiante en master de sciences sociales.

      Interview
      Précarité étudiante : « Les constats sont alarmants »
      A l’occasion d’un stage obligatoire qu’elle a dû réaliser à Rennes, la jeune femme a sous-loué un appartement illégalement, et fait de même avec le sien. « A la base, je voulais faire les choses correctement, mais Rennes, c’était trop cher. En sous-loc, je payais 230 euros par mois, bien moins cher qu’une location. De mon côté, je sous-louais aussi mon appartement à des étudiants dans une situation comme la mienne. Ça n’a jamais été dans un but lucratif. C’était surtout pour ne pas me retrouver dans le rouge », précise-t-elle. Pendant ses quatre années d’études à Brest, elle reconnaît également n’avoir jamais payé d’abonnement aux transports. « L’abonnement est à 200 euros l’année, ça me serait revenu à 800 euros en quatre ans. Alors finalement, je n’ai payé que deux amendes à 50 euros », calcule-t-elle. Mais à l’instar de Claire, elle reconnaît bénéficier d’un privilège : « En tant que jeune femme blanche, je ne me fais pas souvent contrôler. »

      « Un cri d’alerte »

      En stage à Paris pour un mois, où les prix des titres de transport ont augmenté en ce début d’année, Alice, 23 ans, a elle aussi commencé à frauder. « J’avais d’abord privilégié l’option Vélib’, mais avec 40 minutes de trajet, j’ai commencé à frauder le métro. Je passais avec les gens dans les portes battantes – les tourniquets, c’est la honte, il faut passer dessous… » raconte-t-elle. En ne payant pas l’abonnement au mois à 88,80 euros, et en privilégiant la fraude, elle estime avoir économisé une soixantaine d’euros. « Ça m’arrivait de payer parfois des tickets à l’unité quand j’avais de gros changements à faire » [à cause des risques accrus de #contrôle ], précise la jeune femme, qui étudie à Strasbourg à l’année. Alice n’est pas boursière mais ses parents ne lui envoient de l’argent que le 18 du mois. « Après les fêtes, je n’avais juste pas assez pour payer l’abonnement », s’excuse-t-elle.

      Pour Elisa Mangeolle, porte-parole de la Fédération des associations générales étudiantes (Fage), ces témoignages ne sont pas isolés : « On le voit vraiment comme un cri d’alerte. Il faut agir à la source. Ce ne sont pas des jeunes qui volent ou qui fraudent pour le plaisir. C’est une expression supplémentaire de la #pauvreté étudiante. » Selon une étude de l’association d’#aide_alimentaire Linkee, réalisée sur plus de 5 000 de ses bénéficiaires et parue en février 2024, « Trois étudiants sur quatre disposent de moins de 100 euros par mois, soit moins de 3,33 euros par jour, pour s’alimenter, se soigner […], s’habiller, se cultiver, se divertir, etc. Plus de la moitié des étudiants ont même moins de 50 euros de reste à vivre par mois, soit moins d’1,67 euros par jour. » Claire l’assure : « Je ne volerais pas si j’étais riche. Et pour moi être riche, c’est pouvoir ne pas se poser la question des prix. » Pour répondre à ces situations, la Fage demande une réforme « en profondeur des #bourses ». « Il faut que l’on s’adapte aux ressources des étudiants et non celles de leurs parents. Certains parents n’aident pas, peu ou n’ont pas les moyens d’aider leurs enfants dans leurs études », estime la représentante étudiante. Une réforme des bourses avait été prévue pour 2025 avant d’être reportée à 2026 par Patrick Hetzel, le précédent ministre de l’Enseignement supérieur.

  • Contre l’agro-industrie, une opération « caddies gratuits » dans un hypermarché Auchan
    https://reporterre.net/Contre-l-agro-industrie-une-operation-caddies-gratuits-dans-un-hypermarc

    70 militants et paysans de la Confédération paysanne ont bloqué un hypermarché Auchan près de Tours, le 14 décembre. Douze caddies de produits liés à l’agro-industrie ont été obtenus pour de la distribution alimentaire.

    Lait Lactel, huile d’olive Puget et Lesieur, fruits, légumes et miel importés… Dans les rayons de l’hypermarché Auchan de Saint-Cyr-sur-Loire, près de Tours (Indre-et-Loire), une dizaine de militants remplissent incognito leurs caddies de produits qui ne sont pas choisis au hasard : tous participent aux pertes de revenus des paysans. C’est alors qu’une musique festive résonne à l’entrée du magasin. Brandissant des drapeaux de la Confédération paysanne, environ 70 militants bloquent les caisses avec une rangée de caddies. « On est déter’ contre les actionnaires ! » scandent-ils.

    #aide_alimentaire #autoréduction #grande_distribution

  • #Sécurité_Sociale_de_l’Alimentation : de l’utopie à la réalité

    Étendre le principe de la Sécurité sociale à l’alimentation en permettant à tous les Français d’acheter des produits conventionnés, choisis démocratiquement, grâce à une carte dédiée. Le principe de la Sécurité sociale alimentaire est simple, sa mise en oeuvre moins. Celle-ci implique en effet une bataille majeure contre les acteurs qui gèrent aujourd’hui ce secteur, notamment l’agro-business et la grande distribution, mais aussi l’obsession libre-échangiste de l’Union européenne. Petit à petit, l’idée essaime pourtant un peu partout en France, à travers des expérimentations locales. Alors qu’une proposition de loi pour une massification a été déposée, des questions majeures, portant notamment sur le financement, cherchent encore des réponses.

    Il y a un peu plus d’un an, les Restos du Cœur lançaient une vaste campagne d’appel aux dons, annonçant être submergés face à une demande croissante d’une partie de la population n’arrivant plus à se nourrir face à l’inflation. Encore aujourd’hui, la crise reste d’actualité, les files d’attente pour l’aide alimentaire ne disparaissent pas du paysage français. A titre d’exemple, un rapport publié le 17 octobre par l’association Cop1, révèle que 36 % des étudiants sautent régulièrement un repas faute de moyens, tandis que 18 % d’entre eux dépendent de l’aide alimentaire. Par ailleurs, l’isolement social accompagne les difficultés alimentaires : « 41 % des étudiant.e.s se sentent toujours ou souvent seul.e.s », contre 19 % dans la population générale. La crise cependant n’épargne pas les autres tranches d’âge. Le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire ne baisse pas, atteignant aujourd’hui 2,4 millions, selon le dernier rapport d’activités des Banques Alimentaires.
    Une réponse démocratique à la faim et à la misère agricole

    À l’autre extrémité de la chaîne de production, l’agonie du monde paysan et agricole se prolonge. Alors que les élections des chambres d’agriculture se tiendront en janvier 2025 et que l’UE s’apprête à signer un désastreux traité de libre-échange avec le MERCOSUR, les tensions restent vives. Dans un contexte de forte couverture médiatique, les mouvements agricoles tentent de décrocher de nouveaux engagements : une rémunération juste du travail, le partage équitable de la valeur ou le rééquilibrage des rapports de force face à la grande distribution. À cela s’ajoutent des revendications pour des simplifications administratives, certaines pourtant, enfermées dans le modèle de l’agro-business, vont à l’encontre des objectifs écologiques.

    Pour toutes ces raisons, l’idée d’une Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA) fait son chemin. Encore peu connue, cette proposition se construit à travers diverses expérimentations, et apparaît de plus en plus souhaitable à chaque nouvelle crise. À l’occasion de la journée mondiale de l’alimentation, le 16 octobre 2024, plusieurs publications se sont penchées sur le sujet. Le 14 octobre, l’Institut Rousseau argumente l’idée d’une « sécurité sociale de l’alimentation » en soulignant « l’urgence d’une rupture avec le système alimentaire actuel ». Quelques jours plus tôt, la Fondation Jean Jaurès publiait une note appelant à la création de nouveaux droits pour agir sur les déterminants de santé. Ces deux rapports mettent en lumière des enjeux majeurs et bien réels.

    Seulement, mettre uniquement en avant certaines dimensions de la Sécurité Sociale de l’Alimentation risque d’en limiter l’ambition, ou du moins de ne pas en percevoir le sens profond. En se focalisant sur des enjeux concrets tels que les inégalités alimentaires ou la santé publique, on peut perdre de vue une finalité première de la SSA : celle de la transformation profonde des institutions et d’une réinvention de la citoyenneté par la démocratisation du processus de production, de distribution et de consommation de l’alimentation. Cet objectif exige une rupture et l’émergence d’institutions nouvelles. Il s’agit ici de questionner la chaîne alimentaire dans son ensemble. Ainsi, parler de crise paysanne et de crise alimentaire peut nous amener à en oublier la division accrue du travail, et donc des étapes intermédiaires. Matériellement, la démocratisation de l’assiette par la SSA remet au centre du jeu l’organisation de l’agro-industrie, de l’industrie de transformation alimentaire et celle de la grande distribution. Ce retour aux principes démocratiques de la SSA doit alors se faire au regard des stratégies de généralisation et des leçons tirées des expérimentations en cours.

    La SSA : entre idée neuve et reprise historique

    L’histoire de la Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA) se situe à l’intersection de l’innovation théorique et de la réactivation de politiques historiques. Mais quels sont les fondements de cette idée qui a émergé au début des année 2010 au sein de la société civile et qui est aujourd’hui défendue par divers acteurs ?

    La proposition d’une Sécurité sociale d’alimentation vise à étendre les principes du régime général de sécurité sociale dont nous profitons tous, établi en 1946 sous l’égide du ministre Ambroise Croizat, en les appliquant aux domaines de l’alimentation et de l’agriculture. L’objectif est de construire une organisation démocratique du système alimentaire. Cette initiative s’inspire de l’héritage de la Sécurité sociale, dont l’histoire est analysée entre autres par le collectif Réseau Salariat, ainsi que les contributions théoriques du sociologue Bernard Friot et les travaux de l’économiste Nicolas Da Silva.

    Depuis plusieurs années, un ensemble de collectifs, d’associations et de syndicats s’organisent sur le terrain. L’année 2019 marque la création d’un réseau national pour la promotion d’une Sécurité sociale de l’alimentation, conçu comme un espace commun permettant le partage des travaux. Ce réseau rassemble notamment des acteurs comme ISF Agrista, le Réseau CIVAM, Réseau Salariat, ou encore le syndicat agricole de la Confédération paysanne, ainsi que de nombreuses associations et collectifs locaux. La création de ce collectif représente un tournant historique, visant à structurer les échanges auparavant bilatéraux pour faire un premier état des lieux et amorcer un mouvement capable de porter ce projet dans le débat public.

    Le mouvement prend appui sur plusieurs constatations. À la base des problèmes identifiés se trouve l’impossibilité de transformer l’agriculture sans l’adoption de politiques alimentaires de transformation en profondeur. De plus, il devient impératif de dépasser le modèle de l’aide alimentaire basé sur le don, pour garantir un accès universel et autonome à une alimentation choisie. C’est ainsi qu’on peut être amenés à réfléchir à partir du « déjà-là » et des réussites passées, notamment de l’établissement d’une organisation démocratique et universelle dans l’économie de la santé entre 1946 et 1959, rendue possible grâce à la branche maladie du régime général de sécurité sociale.

    Concrètement, la mise en place de la Sécurité Sociale de l’Alimentation s’appuie sur trois piliers fondamentaux. Le premier est l’universalité : la SSA s’appliquerait à toutes et tous, sans distinction. Cette approche peut surprendre, car elle inclut également les plus aisés. Pourtant, c’est bien cette universalité qui garantit la force et la légitimité de la mesure. Elle vise à éliminer les mécanismes d’exclusion et de discrimination, cherchant à rompre avec le contrôle social et administratif associé au « statut de la pauvreté » et donc à la stigmatisation des bénéficiaires. En faisant de l’accès à l’alimentation un droit universel, la SSA défie également l’argument de « l’assistanat ». Notre histoire sociale et politique, depuis 1789, montre en effet que les politiques universelles sont à même de créer et de stabiliser les droits de manière durable.

    Le deuxième pilier de la Sécurité Sociale de l’Alimentation repose sur un système de financement autonome, structuré autour de mécanismes de cotisations plutôt que sur la redistribution étatique. L’objectif est ainsi de limiter les risques de remises en cause futures, de détricotage, pour mieux pérenniser le système face aux arbitrages opposés aux politiques de solidarité.

    Enfin, le troisième pilier de la Sécurité sociale de l’alimentation repose sur un conventionnement des produits alimentaires, pensé pour être véritablement démocratique. Ce processus de décision collective est au cœur du « droit à l’alimentation » et permet aux citoyens de reprendre la maîtrise de la chaîne alimentaire. Concrètement, les acteurs du système alimentaire seraient sélectionnés et évalués selon un cahier des charges ou une charte reflétant les attentes citoyennes. Ce troisième pilier ouvre largement la porte aux expérimentations, car un conventionnement démocratique ne se décrète pas et ne s’impose pas d’en haut : il se forge plutôt par la pratique du terrain.

    Pour concrétiser le projet de SSA, plusieurs scénarios sont envisagés. L’un d’entre eux propose un versement mensuel de 100 à 150 euros minimum sur une « carte de sécurité sociale », ou comme une extension de la carte Vitale, afin de garantir un accès suffisant à une alimentation saine. Ce montant, attribué aux parents pour les mineurs (sauf dans des cas spécifiques), servirait exclusivement à l’achat d’aliments auprès de producteurs et structures conventionnées. Les études montrent que 150 euros par mois par personne représentent un seuil minimal pour commencer à assurer un droit à l’alimentation. Cependant, comme le précise Mathieu Dalmais, agronome et membre de l’association Ingénieurs sans frontière, il reste loin d’être suffisant pour une alimentation équilibrée et digne en France.
    Le droit à l’alimentation : condition de l’épanouissement de la citoyenneté

    Il faut commencer par constater l’absence d’application effective d’un droit pourtant reconnu comme fondamental : le droit à l’alimentation. Ce droit, inscrit au niveau international dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), adopté par l’Assemblée générale des Nations unies en 1966, demeure encore largement absent dans de nombreuses régions du monde. La France n’est pas en reste. En analysant les textes de droit international et les lois françaises, Dominique Paturel, chercheuse à l’Institut national de l’agriculture, de l’alimentation et de l’environnement (INRAE) et membre du collectif Démocratie Alimentaire, met en lumière les lacunes de la législation française en matière de sécurité alimentaire.

    A titre d’exemple, l’article 61 de la loi « EGalim » de 2018, introduit la lutte contre la précarité en visant à « favoriser l’accès à une alimentation favorable à la santé aux personnes en situation de vulnérabilité économique ou sociale ». Cependant, le texte privilégie l’aide alimentaire, refermant ainsi toute perspective de mise en place d’un véritable système de sécurité sociale. Il précise en effet que cette aide est fournie par « l’Union Européenne, l’État ou des acteurs associatifs », soulignant un rôle majeur des associations. Ce modèle, largement insuffisant, pose deux problèmes majeurs. D’une part, il limite l’élaboration d’un accompagnement durable, laissant aux associations la gestion d’un besoin prioritaire, tandis que l’État se désengage. D’autre part, il réduit l’accès à l’alimentation à un besoin individuel, sans reconnaître l’alimentation comme un droit fondamental qui caractérise le développement de la citoyenneté de l’individu au sein de la société. La loi « EGalim 2 » adoptée en octobre 2021 ne constitue aucunement un changement de philosophie.

    Les textes en vigueur légitiment ainsi une situation hautement problématique : sous prétexte de lutter contre le gaspillage, la France réduit le droit à l’alimentation à une simple aide alimentaire. Ce modèle peut contraindre plusieurs millions de personnes (entre 2 et 4 millions selon les chiffres en vigueur de l’INSEE rapportés par l’Observatoire des inégalités), à bénéficier du « surplus » de l’agrobusiness, issu d’un système productiviste et industriel. En favorisant un modèle de citoyenneté davantage consumériste et passif que véritablement actif, la puissance publique oriente vers une consommation faussement solidaire et démocratique.

    Pourtant, l’idée d’un droit à l’alimentation peut être sans crainte comparé à des mobilisations historiques telles que la Révolution de février 1848, qui posa les fondations d’une République démocratique et sociale. Parmi les revendications, celle du « droit au travail » incarnait une réponse au paupérisme, portée depuis les années 1830 par des mouvements socialistes ainsi que la société civile engagée sur la question sociale. À l’époque, il s’agissait d’élargir une citoyenneté politique nouvellement acquise pour intégrer des droits sociaux autour de l’organisation du travail, et donc de l’existence quotidienne des classes populaires. Comme le souligne l’historienne et philosophe Michèle Riot-Sarcey, ce moment historique donna naissance à une volonté citoyenne de reprendre en main son destin : « Le moindre citoyen s’estime alors en droit de s’exprimer, en réunion, dans la rue, au sein des clubs. […] La révolution de février 1848 a su transformer cette coutume en expression de la volonté et donc de la souveraineté du peuple. ».
    Une organisation démocratique de l’économie

    La SSA se dessine au sein d’un paradigme écologique nous imposant de repenser le rapport entre l’individu, son environnement et sa liberté de décision. L’enjeu est de favoriser une véritable démocratisation de l’économie, s’appuyant sur des mécanismes de planification participative, où les citoyens sont directement impliqués dans la prise de décision, non plus dans un processus consultatif mais où le dernier mot leur revient. Cette approche contraste nettement avec la démocratie libérale actuelle, qui se limite souvent à une participation à travers le vote, laissant ensuite les décisions quotidiennes aux mains des élus, sans mandat impératif.

    Alors que la citoyenneté contemporaine est largement construite autour du statut de consommateur et que le pouvoir de consommation constitue l’inclusion sociale, la démocratie alimentaire vise un dépassement des fonctions discriminantes de l’alimentation en tant que déterminant social. Tanguy Martin, membre d’ISF Agrista, co-auteur avec Sarah Cohen de l’ouvrage La démocratie dans nos assiettes (2024), souligne que la Sécurité sociale de l’alimentation s’appuie sur une analyse structurelle des systèmes de domination, repensant en profondeur les rapports de pouvoir qui façonnent notre système alimentaire : « La démocratie dans son sens premier va fondamentalement à l’encontre de la logique de l’accumulation du capital qui régit aujourd’hui en grande partie les activités humaines et surtout organise l’espace social et matériel à partir de sa logique ».

    La SSA n’impose pas, elle cherche à convaincre. Pourtant, ce principe est parfois encore difficile à comprendre dans les sphères militantes au fort capital culturel. Face à l’urgence de la bifurcation écologique, celles-ci sont souvent tentées par l’imposition de mesures strictes. Tanguy Martin abonde dans ce sens, rappelant qu’au départ, la proposition avait surpris certains milieux, où la mise en place de critères spécifiques était perçue comme évidente et urgente. Or, le conventionnement démocratique vise à légitimer socialement des décisions radicales qui pourraient, appliquées autrement, sembler punitives. Pour lui, il s’agit avant tout d’une question de principe que de « pragmatisme », puisqu’il permet d’ancrer ces choix dans une démarche collective et partagée : « tout ce qu’on met en place de manière autoritaire ne fonctionne pas », tout en insistant, « si nous voulons partager des idées fortes, comme celle d’une décroissance de la production et de la consommation d’énergie, nous devons le décider collectivement ».

    Cet aspect central de l’organisation démocratique de la Sécurité sociale de l’alimentation est avant tout pédagogique. Elle rappelle l’expérience récente de la Convention Citoyenne pour le Climat qui – bien qu’ayant été en grande partie ignorée par le pouvoir politique – a démontré qu’un groupe de citoyens, non spécialistes, pouvait s’informer de manière rigoureuse, débattre avec des avis divergents, et aboutir à des propositions de politiques macro-économiques sérieuses et radicales. C’est là que réside la profondeur du conventionnement démocratique : il active le citoyen en mobilisant sa capacité à s’auto-éduquer socialement et renforce ainsi son engagement dans la prise de décision.

    La démocratie alimentaire doit s’emparer pleinement de cette question de classe, du capital culturel, mais aussi du capital économique, d’autant plus nécessaire face aux limites de l’incitation à consommer bio et local. En effet, le coût élevé de l’alimentation plus saine tend à en faire un réflexe de classe qu’il devient urgent de dépasser. Alors que l’incitation à consommer bio devient contre-productive et suscite des caricatures, illustrant les limites atteintes dans l’espace social, la SSA représente une avancée vers un modèle supérieur. Elle redonne aux citoyens un pouvoir d’agir et la fierté d’accéder à des produits issus de l’agriculture biologique ou de haute qualité, sans que cela dépende d’un privilège économique ou d’une logique de distinction sociale.

    Le conventionnement démocratique des acteurs devient ainsi un levier de participation pour une nouvelle planification démocratique de l’économie, orientée vers les impératifs écologiques. Aujourd’hui en France, le secteur de la grande distribution – principal point d’approvisionnement de la population et secteur fort de l’économie du pays – est dominé par quatre grandes enseignes, qui concentrent l’essentiel des ventes selon les données de 2023 : E.Leclerc (23,8 % de part de marché), Carrefour (19,7 %), Les Mousquetaires (16,7 %) et Système U (12 %). Cette concentration n’est pourtant que la partie visible de l’iceberg de l’« agro-industrie », révélant l’emprise croissante des grands groupes sur nos choix alimentaires.

    Autre exemple, l’annonce récente du géant Lactalis de réduire de 9 % sa collecte de lait en France d’ici 2030 illustre l’irresponsabilité de ces groupes envers la pérennité des fermes françaises tout comme illustre une stratégie visant à mettre en concurrence les producteurs laitiers à l’échelle mondiale. Cette approche s’oppose frontalement à l’idée d’une prise de décision citoyenne et démocratique sur la localisation de la production. L’organisation démocratique de l’alimentation soulève également la question cruciale de la répartition des terres. Alors que l’agro-industrie accapare les terres, la perspective du conventionnement citoyen doit s’emparer de l’enjeu foncier.

    Reste à concevoir l’institutionnalisation de cette planification démocratique de l’alimentation, visant à stimuler une politisation active des citoyens. Le débat est ouvert : avons-nous déjà les outils nécessaires, qu’il suffirait de réinventer, ou devons-nous créer un nouveau langage, de nouvelles institutions et des espaces inédits pour concrétiser le conventionnement démocratique ? Cette réflexion sur les moyens de donner corps à cette gouvernance citoyenne est déjà engagée à travers plusieurs expérimentations.
    La SSA à Cadenet : une expérimentation en milieu rural

    L’initiative est audacieuse, elle sollicite l’imagination politique. Elle revient à « utopier » : c’est-à-dire se situer dans ces interstices entre rêveries et réalité. Comme l’affirme le sociologue Erik Olin Wright, les utopies réelles ne sont faites ni pour l’idéaliste ni pour le réaliste ; elles sont des pratiques concrètes qui ouvrent les possibles d’un futur alternatif.

    La carte du site du collectif national pour la Sécurité sociale de l’alimentation permet de visualiser la répartition des initiatives locales à travers le pays : on compte plus d’une vingtaine de projets aux appellations variées. Régulièrement, de nouveaux projets rejoignent le mouvement, comme la « caisse commune de l’alimentation » récemment créée à Brest (Finistère). Les expérimentations s’adaptent aux spécificités locales : même si l’universalité et le financement par cotisation sociale restent aujourd’hui impossibles à mettre en œuvre à cette échelle, ces projets ont le mérite de placer la pratique démocratique au centre de leurs démarches. Sur le terrain, l’implantation locale devient donc un exercice de démocratie en acte qui alimente la théorie.

    Lancée en 2021, l’expérimentation de Cadenet dans le Vaucluse, département parmi les plus défavorisés de la métropole, se distingue d’autres initiatives souvent basées en milieu urbain. Après une première année de travail et la création d’un « Comité de pilotage » composé de citoyens engagés, les années 2022 et 2023 ont concrétisé la naissance d’une première convention citoyenne locale. La démarche, exigeante, s’organise sur six mois de rencontres hebdomadaires, permettant aux participants de se former par l’échange et de construire une base d’informations commune. Le groupe accueille également des experts pour éclairer chaque étape de la chaîne de production alimentaire.

    Éric Gauthier, membre de l’association Au Maquis, qui participe au projet, a été frappé par l’engouement suscité dès le départ : « Ce qui était frappant, c’est la construction des pensées ensemble, tout en cherchant une égalisation des savoirs », observe-t-il. « On s’est interrogés sur notre façon de s’organiser, sur nos objectifs et la manière de les atteindre tout en laissant place à la controverse et la porte ouverte aux retours sur les décisions ».

    Rapidement, dans des espaces publics mis à disposition ou chez les militants lorsque les salles municipales sont indisponibles, les premières réunions permettent de lancer un travail initial : retracer l’histoire du territoire et élaborer une « carte de l’avenir alimentaire désirable ». Ces moments vont au-delà de l’organisation formelle, ils dépassent la simple expression des voix pour tisser des relations plus profondes. Des liens immatériels se forgent, des amitiés se nouent. Les ateliers se prolongent souvent jusqu’à tard le soir. Au fil des semaines et des mois, les participants ne sont plus de simples voisins. Ils partagent, apprennent à se connaître, à se comprendre, échangent rires et anecdotes. Tout cela va bien au-delà du projet initial. Une association a été créée : le Collectif Local d’Alimentation de Cadenet (CLAC).

    La création d’une caisse commune représente une étape cruciale pour le projet, nécessitant plus de dix mois de préparation à Cadenet. Le groupe a dû réfléchir à un modèle de financement pour le lancement, puis à une solution permettant de pérenniser l’initiative. Dans toutes les expérimentations, le financement devient le nerf de la guerre. Les collectifs doivent l’affronter, penser malgré les blocages qu’ils rencontrent. Il faut savoir faire tout en sachant qu’on ne peut pas mettre en place l’idée d’un système de cotisation universelle. Ce sera pour plus tard, en attendant, on plante déjà quelques germes à l’échelon local.

    Dans le cas de Cadenet, un soutien financier de la Fondation de France a permis de constituer cette caisse, l’expérimentation ayant fait le choix collectif de se passer de fonds publics. D’autres initiatives, quant à elles, fonctionnent sur le principe de la mutualisation. La caisse commune de Cadenet a officiellement ouvert en avril 2024, après de longs mois de préparation et des étapes clés. La sélection des habitants bénéficiaires a été pensée de manière démocratique. Les membres du collectif ont informé les villageois, distribué des tracts et participé à des événements locaux comme le salon des associations, pour présenter ce nouvel organe démocratique à l’échelle locale. En investissant les places, les marchés, et en réactivant des méthodes de diffusion de proximité telles que le bouche-à-oreille, ils ont créé un véritable élan communautaire. Une réunion publique a réuni 70 volontaires, dont 33 ont été tirés au sort pour participer.

    Faute de monnaie locale, et confronté aux contraintes de gestion, le collectif a opté pour un système temporaire de remboursement plutôt qu’une distribution directe d’euros avant achat. Concrètement, les habitants bénéficiaires de l’expérimentation peuvent, chaque mois, se faire rembourser près de 8.000 produits conventionnés dans des points de ventes, en se présentant à l’association gérant la caisse munis de leurs justificatifs. Pour permettre l’organisation du système de conventionnement un groupe de travail a été créé pour définir une grille de critères de conventionnement des producteurs et des lieux de ventes. Les critères sont basés sur des notations allant de 1 à 10, ils concernent entre autres le respect des normes environnementales, la taille de l’unité de production, dans la mesure du possible l’indépendance vis-à-vis de l’agro-industrie, mais aussi le bien être au travail des salariés sur les sites de production.

    Preuve de la capacité d’adaptation et de l’enthousiasme qui animent autour du projet, suite à la fermeture inattendue de l’épicerie, principal point de vente des produits conventionnés, un groupe s’est formé en parallèle de l’expérimentation pour racheter les locaux et investir dans un système alimentaire local autonome. Cette initiative illustre une fois de plus le dépassement de l’idée initiale : le lancement d’une démocratie alimentaire suscite un enthousiasme qui dépasse les cadres initiaux du militantisme et vient dessiner une action citoyenne sur des espaces publics et privés autrement investis.

    Vers une généralisation trop rapide ?

    Si des expérimentations de ce type permettent aux participants de se familiariser avec de nouvelles méthodes de gestion d’un système alimentaire, le saut d’échelle vers une généralisation apparaît plus difficile à réaliser. Le 15 octobre dernier, le député écologiste Charles Fournier a déposé une proposition de loi visant à expérimenter une « sécurité sociale de l’alimentation », soutenue et co-signée par trois parlementaires de chaque groupe du Nouveau Front Populaire. Concrètement, ce texte propose la création et le financement de caisses alimentaires pour une période expérimentale de cinq ans, avec un fonctionnement inspiré de celui des caisses locales de santé qui ont précédé la mise en place de la Sécu. La proposition se fonde sur des expérimentations citoyennes déjà en cours un peu partout en France (Montpellier, Saint-Etienne, Lyon ou le département de la Gironde), tout en soulignant la nécessité d’un soutien financier et humain pour en garantir la pérennité et l’élargissement. Il prend modèle sur l’initiative « Territoire zéro chômeur de longue durée », instaurée en 2016, qui cherche à mettre fin à la privation durable d’emploi à l’échelle d’un territoire, en se basant sur le principe historique du droit au travail et créant des emplois dans des domaines non-pourvus localement.

    Dans la conjoncture actuelle, les conditions d’adoption d’un tel texte sont quasi inexistantes. Dans un contexte dominé par la pression du capital et des marchés financiers, et face à une Assemblée nationale peu favorable, exposer la SSA pourrait risquer de diluer son impact ou de « griller des cartouches ». Les militants s’interrogent : est-il temps de lancer une campagne officielle à grande échelle, incluant les médias, des actions sur l’espace public ou encore des démarches auprès des organisations politiques ? Ou bien faut-il encore attendre une fenêtre propice avec plus de retours des expériences locales et un poids politique suffisant pour maximiser les chances de succès dans la bataille de la généralisation ?

    L’introduction des débats sur la SSA au Parlement soulève également la question de la composition des organes décisionnaires chargés de superviser l’expérimentation. À ce sujet, l’article 2 propose la création d’un « conseil scientifique et citoyen » pour suivre le projet, dont la « composition [serait] fixée par décret » plutôt que par une participation directe des citoyens. Ce conseil aurait pour mission d’évaluer le dispositif et de remettre « un rapport d’ensemble au Parlement et aux ministres en charge de l’alimentation, de l’agriculture et de la solidarité » avec des recommandations pour l’avenir. Cela pose à nouveau l’incontournable question d’un réel pouvoir citoyen sur les décisions finales, et inversement des autres intérêts pouvant faire pression sur les élus.

    On peut aussi se questionner sur la structure de l’association chargée de gérer le fonds national d’expérimentation de la SSA : selon l’article 3 du texte, le conseil d’administration serait également défini par décret en Conseil d’État, avec une liste de catégories de représentants, sans garantir pour autant une participation démocratique citoyenne équilibrée, voire majoritaire. Or, au regard de l’histoire de la Sécurité Sociale, où les luttes d’influence ont souvent opposé des intérêts divergents, il s’agit d’un enjeu majeur.

    Ce débat sur la stratégie à adopter se reflète également au sein des organisations militantes œuvrant pour la mise en place de la Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA). Dans les espaces de travail communs, la diversité des cultures politiques engendre parfois des tensions, mais aussi de belles coopérations, avec un déploiement d’efforts sur divers fronts. Un consensus émerge cependant : préserver la SSA comme un projet collectif et non personnalisé, un bien commun que chacun peut défendre à sa manière, selon ses compétences et ses ressources.

    Le chemin reste également long pour faire de la Sécurité Sociale de l’Alimentation une priorité des programmes des organisations politiques de gauche. À titre d’exemple, la mesure n’était pas directement présente dans les principaux programmes lors de l’élection présidentielle de 2022, bien que la France insoumise proposait une « expérimentation visant à une garantie universelle d’accès à des aliments choisis » et EELV promettait une « démocratie alimentaire » offrant « une alimentation choisie, de qualité, en quantité suffisante et accessible à toute la population quels que soient ses revenus ». Aucune mention de la SSA en revanche dans le volet « Instaurer la souveraineté alimentaire par l’agriculture écologique et paysanne » du programme de la NUPES ou dans le contrat de législature élaboré en urgence par le Nouveau Front Populaire.

    Dans le monde syndical et agricole, le constat est similaire. L’idée de la Sécurité Sociale de l’Alimentation y reste largement méconnue, souligne Clément Coulet, qui a participé en animation tournante au collectif SSA pour le compte des CIVAM et par ailleurs rédacteur au Vent Se Lève. Il faut dire que les principales organisations syndicales – notamment l’alliance FNSEA-Jeunes Agriculteurs et la Coordination Rurale – défendent des politiques agro-industrielles, qu’elles soient orientées vers le libre-échange mondialiste ou vers le nationalisme économique. Le Réseau CIVAM (Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural) et le troisième syndicat agricole, la Confédération Paysanne, font toutefois figure d’exception, participant depuis plusieurs années aux réflexions collectives autour de cette initiative.

    Philippe Jaunet, paysan bio installé à Yzernay dans le Maine-et-Loire et militant pour « des pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement », souligne l’importance d’une démocratisation du monde agricole : « L’objectif est aujourd’hui de redonner un sens à la terre et à la production par l’intervention citoyenne ». Il précise que cette intervention pourrait remettre en question la logique corporatiste du système alimentaire, et notamment celle de la production agricole, encore trop opaque. « Actuellement, les citoyens n’interviennent pas, ce qui permet à certaines organisations de monopoliser les instances de décision concernant les politiques mises en place ». Il prend notamment pour exemple le modèle de subventions de la Politique Agricole Commune (PAC), créée en 1962, aujourd’hui principal poste de dépense de l’Union européenne, dont la France bénéficie à hauteur de 9,5 milliards d’euros. Ce système financé par deux fonds européens – le Fonds européen agricole de garantie, FEAGA) et le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) – redistribue des aides aux agriculteurs sans consultation publique pour informer la population et lui permettre d’intervenir.

    L’échelon européen pose enfin un autre problème pour la mise en place d’une Sécurité Sociale de l’Alimentation : les États membres sont dépossédés par l’Union européenne en matière de politique agricole, qui organise une mise en concurrence interne au marché européen et externe, via les traités de libre-échange. Mettre en œuvre la SSA impliquera d’une manière ou d’une autre une remise en cause de ce modèle de concurrence tous azimuts, et donc un lien avec les mouvements européens et internationaux pour une agriculture plus juste.

    La SSA ne se limite donc pas à une solution conjoncturelle face aux crises actuelles, elle s’inscrit dans un héritage social et démocratique, éveillant une citoyenneté active et collective autour de la terre et de l’assiette. En ce sens, elle incarne la résistance à un système en bout de course et l’image d’un souffle transformateur qui se lève. Que ce soit la poursuite d’un « déjà-là » communiste ou l’émergence d’une société éco-socialiste, la Sécurité sociale de l’Alimentation appartient au futur. Une alternative qu’il reste largement à bâtir. En somme, cela revient à choisir entre être collectivement libres jusqu’au fond de l’assiette ou ne pas l’être dans le dogme de la consommation passive.

    https://lvsl.fr/securite-sociale-de-lalimentation-de-lutopie-a-la-realite
    #alimentation #SSA #aide_alimentaire #expérimentation #faim #France #agriculture #droit_à_l'alimentation #souveraineté_alimentaire

  • La #Sécurité_sociale_de_l’alimentation essaime à gauche malgré beaucoup d’obstacles

    Proposition de loi, expérimentation dans un arrondissement de Paris : l’idée de promouvoir une alimentation saine, durable et produite dans des conditions éthiques s’installe. Mais des #obstacles, notamment financiers, demeurent.

    D’ordinaire, Patricia* distribue à tout-va des colis remplis de denrées. Bénévole de longue date aux Restos du cœur, la quinquagénaire se trouve au meilleur poste d’observation pour déceler les limites de l’#aide_alimentaire. « On ne peut pas donner aux gens qui viennent de la nourriture supplémentaire ; ils ne choisissent pas ce qu’ils mangent. »

    Alors, mi-septembre, elle s’est jointe aux 80 personnes venues dans la salle de la Flèche d’or, dans le XXe arrondissement de Paris, pour dessiner un autre horizon et lancer les premiers jalons pour une expérimentation de la Sécurité sociale de l’alimentation (SSA) dans ce quartier.

    Une trentaine de dispositifs de ce type ont été déjà lancés à travers la France, comme à #Bordeaux, #Montpellier ou #Paris, pour promouvoir un modèle plus vertueux en matière sanitaire, écologique et sociale comme le précise, sur son site, le collectif SSA.

    Moyennant une cotisation, dont le montant sera déterminé lors des réflexions qui seront menées, les participant·es reçoivent chaque mois au minimum 100 euros à dépenser dans les magasins partenaires qui proposent des denrées saines et durables, produites dans de bonnes conditions. Pour démarrer, 100 ou 150 personnes de l’arrondissement vont être choisies pour tester le dispositif. Puis, le principe une fois rodé, 500 personnes pourront en bénéficier.

    Ce temps préparatoire, au cours duquel les habitant·es de l’arrondissement vont pouvoir adhérer au comité citoyen décisionnaire qui devra ensuite réfléchir aux modalités pratiques du projet, est crucial, selon #Lila_Djellali, adjointe au maire du XXe, chargée de l’économie sociale et solidaire (ESS) et de l’alimentation durable. L’élue écologiste a porté cette idée et fait la promotion de la #démocratie_alimentaire, partout, y compris auprès de député·es qui l’ont écoutée.

    Car cette initiative parisienne n’est pas l’unique preuve de l’intérêt grandissant pour la Sécurité sociale de l’alimentation. Treize député·es de gauche et écologistes, avec à leur tête #Charles_Fournier, ont déposé le 15 octobre une #proposition_de_loi en ce sens.

    Elle entend mettre en place une #expérimentation de cinq ans pour tendre vers l’instauration d’une sécurité sociale de l’alimentation. Des territoires volontaires, une trentaine, pourront, avec l’appui de l’État par un fonds national, tester ce dispositif. Un comité scientifique et citoyen accompagnera les expérimentations pour les évaluer.

    Les député·es entendent ainsi répondre à deux crises persistantes. Celle du monde agricole et aux inégalités structurelles d’accès à une alimentation suffisante et de qualité.

    Dans la salle de la Flèche d’or, ces problématiques sont bien identifiées. Patricia, la bénévole des Restos du cœur, se réjouit de l’émergence de cette alternative. « La Sécurité sociale de l’alimentation s’adresse à tout le monde, aucun justificatif n’est nécessaire, c’est une bonne solution pour ceux qui ont honte de demander de l’aide pour manger. »

    De son côté, Ouardia, une sexagénaire algérienne sans emploi, n’est pas sûre d’avoir bien compris le concept. Elle peine à croire que de l’argent va lui être donné, à elle, une femme sans papiers qui « ne connaît plus le goût de la viande » faute de pouvoir s’en offrir. Elle ne demande qu’à bien manger, elle qui adore cuisiner des produits frais.

    Avant d’être élue dans le XXe arrondissement, Lila Djellali a travaillé dans la restauration et est consultante en création de restaurants. Elle apprécie dans ce projet sa souplesse et son adaptation à chaque contexte local. En effet, les bénéficiaires décident eux-mêmes quels produits vont pouvoir être financés par ce biais. Et surtout, elle loue sa « vocation à aider toute la chaîne, c’est-à-dire les agriculteurs et les agricultrices locales, mais aussi des commerces de proximité et aussi les habitants du XX e dont certains connaissent la précarité ».

    Mener une #bataille_culturelle

    L’anthropologue #Bénédicte_Bonzi, fort critique des dispositifs traditionnels d’aide alimentaire, va accompagner, avec d’autres chercheurs, l’assemblée dans la mise en œuvre du projet. Pour elle, le modèle actuel est à bout de souffle, parce qu’il ne permet pas à tout le monde de se nourrir, et encore moins de manière saine et durable.

    Pire, il met en difficulté celles et ceux qui doivent produire cette alimentation. Alors il faut lui substituer quelque chose de plus adéquat, et non pas « un énième projet social de lutte contre la pauvreté ». Elle reste persuadée qu’il est parfaitement possible d’essaimer à travers la France en créant les conditions nécessaires pour que les personnes intéressées par cette révolution « systémique » se mettent « au travail ».

    Le député écologiste Charles Fournier adhère en tout point au projet, « magnifique », mais reconnaît qu’il doit être consolidé. Il assume : cette proposition de loi a aussi pour objectif de faire exister ce sujet dans un spectre large à gauche et surtout dans le débat public. Pour ce faire, il aimerait qu’elle soit inscrite à l’ordre du jour d’une niche parlementaire du groupe écologiste.

    Cette bataille culturelle doit encore être menée car les obstacles à la généralisation à large échelle d’un tel principe sont légion. Cosignataire de la proposition de loi, l’écologiste Boris Tavernier, nouveau député de Lyon, où a été aussi lancée à la rentrée une expérimentation, connaît le sujet par cœur, en tant que cofondateur de l’association Vrac, en faveur de l’#alimentation_durable.

    Pragmatique, l’élu rêve de donner un élan supplémentaire à la SSA mais recommande aussi d’avancer par paliers. Il considère que l’enjeu de ces expérimentations est de prouver que « la démocratie alimentaire fonctionne ». Pour lui, à leur issue, « il faudra tirer le maximum d’enseignements de ces expérimentations pour les massifier au niveau national et en faire une vraie loi organique ».

    D’autres, au contraire, ne sont pas convaincus par la possibilité de décliner l’idée dans tous les territoires. Le député socialiste Guillaume Garot est de ceux-là. Ancien ministre délégué chargé de l’agroalimentaire sous la présidence Hollande, il a fait de l’#accès_à_l’alimentation son combat. Encore plus dans un contexte d’inflation. Il est le père de la loi de 2016 interdisant le gaspillage alimentaire.

    Mais il n’a pas cosigné la proposition de loi sur la SSA, bien que l’idée soit selon lui « stimulante » et « très intéressante du point de vue des valeurs de solidarité et de partage ». Mais il juge qu’il y a encore « beaucoup de haies à franchir avant que ce soit généralisable ».

    Le principal obstacle qu’il identifie : le #coût global (chiffré par le collectif SSA à 120 milliards d’euros) et pour chacun. Surtout dans un moment « où il y a un débat très vif sur la fiscalité dans le pays, ce qui pose la question de l’efficacité des politiques publiques, de l’efficacité des politiques de redistribution ». Lui plaide plutôt en faveur de la mise en œuvre d’une tarification solidaire dans les cantines scolaires, de l’école jusqu’au lycée, et de « vrais programmes d’éducation à l’alimentation ».

    Le #financement : principal obstacle

    Les soutiens de la Sécurité sociale de l’alimentation ne sont pas imperméables à cette critique. Boris Tavernier considère que pour éviter de trop grever les finances des caisses, il faut parvenir à créer un équilibre social parmi les participant·es qui les financent à hauteur de leurs moyens. « L’un des trois piliers aujourd’hui de la sécurité sur l’alimentation reste l’#universalité. Donc si on ne sélectionne que des publics précaires, je pense qu’on rate quelque chose. Parce que les classes moyennes, elles ne mangent pas bien non plus forcément ou comme elles veulent. »

    Le député préconise aussi de bien étudier la question des financements, notamment avec ce fonds national qui sera abondé en partie par l’État, les collectivités locales et enfin par les cotisations des bénéficiaires. « Ce qu’on arrive à voir dans l’expérience de Montpellier, précise Boris Tavernier, c’est que le montant des cotisations des personnes qui participent représentent à peu près 60 % des 100 euros donnés. Et le reste arrive grâce à des fondations privées ou des collectivités locales. »

    Mais comment, dans un contexte déficitaire, convaincre ces dernières de financer ces caisses ? La proposition de loi des parlementaires de gauche prévoit des compensations financières par l’État et les collectivités, financées par une taxe sur les tabacs.

    Ce « changement de société » s’accompagne aussi d’autres questions épineuses. Boris Tavernier craint que des structures comme la FNSEA – le premier syndicat agricole – ou les « lobbies agroalimentaires classiques » freinent tous ces projets. Sans oublier la grande distribution, parfois seule présente dans des endroits isolés : « Faudra-t-il discuter avec elle ? Pour certains militants et militantes, ce n’est pas entendable. »

    Lila Djellali s’est fait une raison. Une généralisation à très grande échelle obligerait « l’agro-industrie et les grandes surfaces à reprendre la main ». Ce qui n’est pas souhaitable selon elle. Mais malgré cette limite identifiée, l’élue considère la #SSA comme un levier qui offre une « acculturation » aux questions d’alimentation à l’ère des scandales agro-alimentaires à répétition.

    https://www.mediapart.fr/journal/france/101124/la-securite-sociale-de-l-alimentation-essaime-gauche-malgre-beaucoup-d-obs
    #alimentation

    • L’élue verte du XX7me (Hidalgo circus) est dans le civil consultante créatrice de restaurant... La petite bourgeoisie culturelle a un boulevard devant elle pour gérer (avec la mafia de l’agroalimentaire, la FNSEA et tutti frutti « toute la misère du monde »...

  • Nourrir #Paris en temps de #crise(s) : l’aide alimentaire à l’épreuve de la pandémie
    https://metropolitiques.eu/Nourrir-Paris-en-temps-de-crise-s-l-aide-alimentaire-a-l-epreuve-de-

    Les confinements décidés lors de l’épidémie du #Covid-19 ont détérioré l’accès à l’alimentation des classes populaires. Une enquête menée en région parisienne montre comment les acteurs de l’aide alimentaire se sont adaptés, tout en soulignant les fragilités du système à plus long terme. L’aide alimentaire recourt à trois principaux modes de distribution : les colis alimentaires, les repas prêts à consommer et les épiceries sociales (Accardo, Brun et Lellouch 2022). Ces dispositifs sociaux et d’urgence sont #Terrains

    / #aide_alimentaire, #confinement, Covid-19, #système_alimentaire, #alimentation, Paris, #Île-de-France, précarité, crise, (...)

    #précarité #résilience
    https://metropolitiques.eu/IMG/pdf/corne-etal.pdf

  • Guerre Israël-Hamas : l’ONU suspend l’aide alimentaire dans le nord de la bande de Gaza, en proie « au chaos et à la violence »
    https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/20/guerre-israel-hamas-l-onu-suspend-l-aide-alimentaire-dans-le-nord-de-la-band

    Guerre Israël-Hamas : l’ONU suspend l’aide alimentaire dans le nord de la bande de Gaza, en proie « au chaos et à la violence »
    Le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations unies a annoncé suspendre de nouveau la distribution de l’aide dans le nord de la bande de Gaza

    Le Monde avec AFP
    Publié aujourd’hui à 15h04, modifié à 15h43

    Le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations unies a annoncé, mardi 20 février, suspendre de nouveau la distribution de l’aide dans le nord de la bande de Gaza. Il avait déjà suspendu, il y a trois semaines, l’envoi d’aide alimentaire dans le nord de l’enclave, ravagée par plus de quatre mois de guerre, après une frappe israélienne contre un camion d’une autre agence onusienne. Toutefois, le PAM a repris ses livraisons dimanche, mais, depuis, ses camions ont été « pillés » ou visés par des tirs dans un contexte de « chaos total et de violence », a-t-il déclaré dans un communiqué.

    Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Sous les bombes, Gaza menacée de famine

    L’objectif était de faire entrer, dans cette région du petit territoire palestinien, dix camions d’aide alimentaire par jour pendant sept jours consécutifs, afin « d’aider à endiguer la vague de faim et de désespoir et de commencer à bâtir la confiance parmi la population dans le fait qu’il y aurait suffisamment de nourriture pour tous ».

    Mais, dimanche, un convoi faisant route vers la ville de Gaza « a été cerné par une foule de gens affamés ». Les personnels du PAM sont parvenus à repousser les assaillants tentant de monter à bord des camions avant d’« essuyer des tirs » dans Gaza. Et lundi, plusieurs camions « ont été pillés » entre les villes de Khan Younès et Deir Al-Balah, et un chauffeur a été molesté.

    Une « explosion » du nombre de décès d’enfants dans la bande
    « La décision de suspendre les livraisons dans le nord de la bande de Gaza n’a pas été prise à la légère, car nous savons que cela signifie que la situation sur place va se détériorer davantage, et un plus grand nombre de personnes seront menacées de mourir de faim », souligne l’agence.

    Le PAM a averti lundi qu’un manque de nourriture alarmant, une malnutrition galopante et une propagation rapide des maladies pourraient entraîner une « explosion » du nombre de décès d’enfants dans la bande.

    Au moins 90 % des enfants de moins de cinq ans à Gaza sont touchés par une ou plusieurs maladies infectieuses, selon un rapport de l’Unicef, de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et du PAM. « La faim et la maladie sont une combinaison mortelle », a déclaré Michael Ryan, chargé des situations d’urgence au sein de l’OMS, dans un communiqué.

    Au total 2,2 millions de personnes sont menacées de famine dans la bande de Gaza, selon l’ONU.

    #faim #aide_alimentaire #ONU #PAM #génocide

  • La #France qui a #faim avec #Bénédicte_Bonzi et #Guillaume_Le_Blanc

    Rencontre d’une anthropologue spécialiste de la faim et d’un philosophe qui a beaucoup écrit sur la #précarité pour penser les erreurs d’un pays riche où 8 millions de Français doivent recourir à l’#aide_alimentaire tandis que 10 millions de tonnes de #nourriture sont jetées par an en France.

    Pour comprendre l’#absurdité de ce #paradoxe et la faillite de notre #agriculture_productiviste, nous recevons l’anthropologue Bénédicte Bonzi qui a mené une longue étude aux #Restos_du_coeur. Sur le terrain, elle mesure la #souffrance de #bénévoles qui constatent que leur action, loin d’aider à sortir de la #pauvreté, consiste surtout à maintenir une #paix_sociale en évitant des vols et des #émeutes_de_la_faim.

    Et si, dans une société démocratique, l’urgence consistait moins à donner de la nourriture que des #droits pleins et entiers ? Le regard du philosophe Guillaume Le Blanc nous permettra de questionner la #violence qui s’exerce contre les plus pauvres. Comment penser la #vulnérabilité au cœur de la cité ?

    https://audioblog.arteradio.com/blog/215851/podcast/219681/la-france-qui-a-faim-avec-benedicte-bonzi-et-guillaume-le-blanc

    #audio #podcast

  • « En sociologie, la prise en compte du ressenti peut aider à identifier les inégalités les plus critiques », Nicolas Duvoux
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/20/en-sociologie-la-prise-en-compte-du-ressenti-peut-aider-a-identifier-les-ine

    La sociologie ne peut prétendre à la neutralité, puisqu’elle est une science étudiant la société au sein de laquelle elle émerge. Elle est prise dans les divisions et conflits sociaux, elle met au jour des formes de contrainte et de domination auxquelles elle ne peut rester indifférente. De quel côté penchons-nous ?, demandait à ses pairs le sociologue américain Howard Becker, dans un texte majeur (« Whose Side Are We on ? », Social Problems, 1967). Cependant, cette discipline n’a pas vocation à se substituer à la politique et aux choix collectifs qui relèvent du débat public. La contribution qu’elle peut apporter est de formuler un diagnostic aussi précis que possible sur les dynamiques sociales et la différenciation de leurs effets selon les groupes sociaux.

    L’inflation et la hausse des prix alimentaires très forte depuis l’année 2022 affectent beaucoup plus durement les ménages modestes. Ceux-ci consacrent en effet une part plus importante de leurs revenus à ce poste de consommation. Le relever revient à formuler un constat objectif. De même, la hausse des taux d’intérêt immobiliers exclut davantage de l’accès à la propriété les ménages sans apport (plutôt jeunes et de milieux populaires) que les autres. Il y va ainsi des évolutions de courte durée, mais aussi de celles de longue durée : le chômage touche plus fortement les moins qualifiés, les ouvriers et employés, même s’il n’épargne pas les cadres, notamment vieillissants ; la pauvreté touche davantage les jeunes, même si elle n’épargne pas les retraités.
    Formuler un diagnostic suppose d’éviter deux écueils qui se répondent et saturent un débat public fait d’oppositions, voire de polarisation, au détriment d’une compréhension de l’état de la société. La littérature du XIXe siècle – comme les sciences sociales avec lesquelles elle a alors partie liée – a souvent oscillé entre d’un côté une représentation misérabiliste du peuple, en soulignant la proximité des classes laborieuses et des classes dangereuses, et de l’autre une vision populiste qui exalte les vertus des classes populaires. Claude Grignon et Jean-Claude Passeron l’ont montré dans un livre qui a fait date (Le Savant et le Populaire, Gallimard, 1989). De la même manière, le débat public semble aujourd’hui osciller entre un optimisme propre aux populations favorisées économiquement et un catastrophisme des élites culturelles.

    Cruel paradoxe

    Pouvoir envisager l’avenir de manière conquérante vous place du côté des classes aisées ou en ascension. Cette thèse a un enjeu politique évident : le rapport subjectif à l’avenir nous informe sur la position sociale occupée par un individu et non sur sa représentation de la société. Pour ne prendre qu’un exemple, sur la fracture entre les groupes d’âge, on n’est guère surpris qu’en pleine période inflationniste le regain de confiance en son avenir individuel soit le privilège quasi exclusif [d’un %] des seniors. Il faut être déjà âgé pour penser que l’on a un avenir, cruel paradoxe d’une société qui fait porter à sa jeunesse le poids de la pauvreté et de la précarité de l’emploi, au risque de susciter une révolte de masse.
    Peut-être est-ce un signe de l’intensité des tensions sociales, nombre d’essais soulignent le décalage entre la réalité d’une société où les inégalités sont relativement contenues et le pessimisme de la population. Les dépenses de protection sociale sont parmi les plus élevées du monde, sinon les plus élevées. En conséquence de ces dépenses, les Français jouissent d’un niveau d’éducation, d’égalité et d’une sécurité sociale presque sans équivalent. Ces faits sont avérés.

    Mais le diagnostic ne se borne pas à ce rappel : les données objectives qui dressent le portrait d’une France en « paradis » sont, dans un second temps, confrontées à l’enfer du « ressenti », du mal-être, du pessimisme radical exprimé par les Français, souvent dans des sondages. Ainsi, dans « L’état de la France vu par les Français 2023 » de l’institut Ipsos, il apparaît que « 70 % des Français se déclarent pessimistes quant à l’avenir de la France ». Les tenants de la vision « optimiste », qui se fondent sur une critique du ressenti, tendent à disqualifier les revendications de redistribution et d’égalité.

    Or l’écart entre le « ressenti » et la réalité objective des inégalités peut être interprété de manière moins triviale et surtout moins conservatrice. Cet écart peut être travaillé et mis au service d’un diagnostic affiné de la situation sociale, un diagnostic qui conserve l’objectivité de la mesure tout en se rapprochant du ressenti.

    Une autre mesure de la pauvreté

    La notion de « dépenses contraintes » en porte la marque : ce sont les dépenses préengagées, qui plombent les capacités d’arbitrage des ménages, notamment populaires, du fait de la charge du logement. Entre 2001 et 2017, ces dépenses préengagées occupent une part croissante du budget, passant de 27 % à 32 %, selon France Stratégie. « Le poids des dépenses préengagées dans la dépense totale dépend d’abord du niveau de vie. Il est plus lourd dans la dépense totale des ménages pauvres que dans celle des ménages aisés, et l’écart a beaucoup augmenté entre 2001 (6 points d’écart) et 2017 (13 points d’écart). »
    Cette évolution et le renforcement des écarts placent de nombreux ménages – même s’ils ne sont pas statistiquement pauvres – en difficulté. La volonté de rapprocher « mesure objective » et « ressenti » permet de prendre une tout autre mesure de la pauvreté, qui double si l’on prend en compte le niveau de vie « arbitrable » , soit le revenu disponible après prise en compte des dépenses préengagées.

    De ce point de vue, l’équivalent du taux de pauvreté, c’est-à-dire la part des personnes dont le revenu arbitrable par unité de consommation est inférieur à 60 % du niveau de vie arbitrable médian, s’établissait à 23 % en 2011, selon des travaux réalisés par Michèle Lelièvre et Nathan Rémila pour la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques. Ce chiffre atteint même 27 % si l’on prend en compte les dépenses peu compressibles, comme l’alimentation. Comparativement, le taux de pauvreté tel qu’on le définit traditionnellement se fixait en 2011 à 14,3 %. L’augmentation de la fréquentation des structures d’aide alimentaire témoigne des difficultés croissantes d’une part conséquente de la population.

    Le parti du catastrophisme

    L’optimisme empêche de penser les réalités dans toute leur violence et d’identifier les remèdes qui conviennent le mieux à ces maux. Le catastrophisme doit également être évité. Il a tendance à accuser exclusivement les super-riches dans la genèse des maux sociaux, en mettant en avant une explosion des inégalités démentie par les faits, si l’on exclut le patrimoine et la forte augmentation de la pauvreté dans la période post-Covid-19. En prenant le parti du catastrophisme, la sociologie, et avec elle la société, s’exonérerait d’un travail de fond.
    Un certain nombre de points soulignés par ceux qui critiquent le pessimisme restent vrais. La société française a connu une relative mais réelle démocratisation de l’accès à des positions privilégiées. Les postes d’encadrement n’ont cessé d’augmenter en proportion de la structure des emplois, une partie non négligeable de la population – y compris au sein des catégories populaires – a pu avoir accès à la propriété de sa résidence principale, a pu bénéficier ou anticipe une augmentation de son patrimoine. Les discours sur la précarisation ou l’appauvrissement généralisés masquent la pénalité spécifique subie par les groupes (jeunes, non ou peu qualifiés, membres des minorités discriminées, femmes soumises à des temps partiels subis, familles monoparentales) qui sont les plus affectés et qui servent, de fait, de variable d’ajustement au monde économique. Le catastrophisme ignore ou feint d’ignorer les ressources que les classes moyennes tirent du système éducatif public par exemple.

    Le catastrophisme nourrit, comme l’optimisme, une vision du monde social homogène, inapte à saisir les inégalités les plus critiques et les points de tension les plus saillants, ceux-là mêmes sur lesquels il faudrait, en priorité, porter l’action. La prise en compte du ressenti peut aider à les identifier et à guider le débat et les décideurs publics, à condition de ne pas entretenir de confusion sur le statut des informations produites, qui ne se substituent pas aux mesures objectives, mais peuvent aider à les rapprocher du sens vécu par les populations et ainsi à faire de la science un instrument de l’action.

    Nicolas Duvoux est professeur de sociologie à l’université Paris-VIII, auteur de L’Avenir confisqué. Inégalités de temps vécu, classes sociales et patrimoine (PUF, 272 pages, 23 euros).

    voir cette lecture des ressorts du vote populaire RN depuis les années 2000
    https://seenthis.net/messages/1027569

    #sociologie #inflation #alimentation #aide_alimentaire #dépenses_contraintes #revenu_arbitrable #revenu #pauvreté #chômage #jeunesse #femmes #mères_isolées #précarité #taux_de_pauvreté #patrimoine #inégalités #riches #classes_populaires

    • « Les inégalités sont perçues comme une agression, une forme de mépris », François Dubet - Propos recueillis par Gérard Courtois, publié le 12 mars 2019
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/03/12/francois-dubet-les-inegalites-sont-percues-comme-une-agression-une-forme-de-

      Entretien. Le sociologue François Dubet, professeur émérite à l’université Bordeaux-II et directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), vient de publier Le Temps des passions tristes. Inégalités et populisme (Seuil, 112 p., 11,80 €).

      Reprenant l’expression de Spinoza, vous estimez que la société est dominée par les « passions tristes ». Quelles sont-elles et comment se sont-elles imposées ?

      Comme beaucoup, je suis sensible à un air du temps porté sur la dénonciation, la haine, le #ressentiment, le sentiment d’être méprisé et la capacité de mépriser à son tour. Ce ne sont pas là seulement des #émotions personnelles : il s’agit aussi d’un #style_politique qui semble se répandre un peu partout. On peut sans doute expliquer ce climat dangereux de plusieurs manières, mais il me semble que la question des #inégalités y joue un rôle essentiel.

      Voulez-vous parler du creusement des inégalités ?

      Bien sûr. On observe une croissance des inégalités sociales, notamment une envolée des hyper riches qui pose des problèmes de maîtrise économique et fiscale essentiels. Mais je ne pense pas que l’ampleur des inégalités explique tout : je fais plutôt l’hypothèse que l’expérience des inégalités a profondément changé de nature. Pour le dire vite, tant que nous vivions dans une société industrielle relativement intégrée, les inégalités semblaient structurées par les #classes sociales : celles-ci offraient une représentation stable des inégalités, elles forgeaient des identités collectives et elles aspiraient à une réduction des écarts entre les classes [et, gare à la revanche ! à leur suppression]– c’est ce qu’on appelait le progrès social. Ce système organisait aussi les mouvements sociaux et plus encore la vie politique : la #gauche et la #droite représentaient grossièrement les classes sociales.

      Aujourd’hui, avec les mutations du capitalisme, les inégalités se transforment et se multiplient : chacun de nous est traversé par plusieurs inégalités qui ne se recouvrent pas forcément. Nous sommes inégaux « en tant que » – salariés ou précaires, diplômés ou non diplômés, femmes ou hommes, vivant en ville ou ailleurs, seul ou en famille, en fonction de nos origines… Alors que les plus riches et les plus pauvres concentrent et agrègent toutes les inégalités, la plupart des individus articulent des inégalités plus ou moins cohérentes et convergentes. Le thème de l’#exploitation de classe cède d’ailleurs progressivement le pas devant celui des #discriminations, qui ciblent des inégalités spécifiques.

      Pourquoi les inégalités multiples et individualisées sont-elles vécues plus difficilement que les inégalités de classes ?

      Dans les inégalités de classes, l’appartenance collective protégeait les individus d’un sentiment de mépris et leur donnait même une forme de fierté. Mais, surtout, ces inégalités étaient politiquement représentées autour d’un conflit social et de multiples organisations et mouvements sociaux. Dans une certaine mesure, aussi injustes soient-elles, ces inégalités ne menaçaient pas la dignité des individus. Mais quand les inégalités se multiplient et s’individualisent, quand elles cessent d’être politiquement interprétées et représentées, elles mettent en cause les individus eux-mêmes : ils se sentent abandonnés et méprisés de mille manières – par le prince, bien sûr, par les médias, évidemment, mais aussi par le regard des autres.

      Ce n’est donc pas simplement l’ampleur des inégalités sociales qui aurait changé, mais leur nature et leur perception ?
      Les inégalités multiples et individualisées deviennent une expérience intime qui est souvent vécue comme une remise en cause de soi, de sa valeur et de son identité : elles sont perçues comme une agression, une forme de #mépris. Dans une société qui fait de l’#égalité_des_chances et de l’#autonomie_individuelles ses valeurs cardinales, elles peuvent être vécues comme des échecs scolaires, professionnels, familiaux, dont on peut se sentir plus ou moins responsable.

      Dans ce régime des inégalités multiples, nous sommes conduits à nous comparer au plus près de nous, dans la consommation, le système scolaire, l’accès aux services… Ces jeux de comparaison invitent alors à accuser les plus riches, bien sûr, mais aussi les plus pauvres ou les étrangers qui « abuseraient » des aides sociales et ne « mériteraient » pas l’égalité. L’électorat de Donald Trump et de quelques autres ne pense pas autre chose.

      Internet favorise, dites-vous, ces passions tristes. De quelle manière ?

      Parce qu’Internet élargit l’accès à la parole publique, il constitue un progrès démocratique. Mais Internet transforme chacun d’entre nous en un mouvement social, qui est capable de témoigner pour lui-même de ses souffrances et de ses colères. Alors que les syndicats et les mouvements sociaux « refroidissaient » les colères pour les transformer en actions collectives organisées, #Internet abolit ces médiations. Les émotions et les opinions deviennent directement publiques : les colères, les solidarités, les haines et les paranoïas se déploient de la même manière. Les #indignations peuvent donc rester des indignations et ne jamais se transformer en revendications et en programmes politiques.

      La démultiplication des inégalités devrait renforcer les partis favorables à l’égalité sociale, qui sont historiquement les partis de gauche. Or, en France comme ailleurs, ce sont les populismes qui ont le vent en poupe. Comment expliquez-vous ce « transfert » ?

      La force de ce qu’on appelle les populismes consiste à construire des « banques de colères », agrégeant des problèmes et des expériences multiples derrière un appel nostalgique au #peuple unique, aux travailleurs, à la nation et à la souveraineté démocratique. Chacun peut y retrouver ses indignations. Mais il y a loin de cette capacité symbolique à une offre politique, car, une fois débarrassé de « l’oligarchie », le peuple n’est ni composé d’égaux ni dénué de conflits. D’ailleurs, aujourd’hui, les politiques populistes se déploient sur tout l’éventail des politiques économiques.

      Vous avez terminé « Le Temps des passions tristes » au moment où émergeait le mouvement des « gilets jaunes ». En quoi confirme-t-il ou modifie-t-il votre analyse ?

      Si j’ai anticipé la tonalité de ce mouvement, je n’en avais prévu ni la forme ni la durée. Il montre, pour l’essentiel, que les inégalités multiples engendrent une somme de colères individuelles et de sentiments de mépris qui ne trouvent pas d’expression #politique homogène, en dépit de beaucoup de démagogie. Dire que les « gilets jaunes » sont une nouvelle classe sociale ou qu’ils sont le peuple à eux tout seuls ne nous aide guère. Il faudra du temps, en France et ailleurs, pour qu’une offre idéologique et politique réponde à ces demandes de justice dispersées. Il faudra aussi beaucoup de courage et de constance pour comprendre les passions tristes sans se laisser envahir par elles.

      #populisme

  • « Le plus dur est de les voir pleurer » : comment les bénévoles des Restos du Coeur apprennent à dire non aux bénéficiaires
    https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/puy-de-dome/clermont-ferrand/le-plus-dur-est-de-les-voir-pleurer-comment-les-benevol

    L’hiver approche. Et à Clermont-Ferrand, comme ailleurs, les Restos du Coeur sont contraints de refuser pour la première fois des bénéficiaires. Une angoisse du quotidien pour les bénévoles qui doivent annoncer la mauvaise nouvelle aux personnes précaires.

    Dans le centre de distribution des Restos du Cœur situé au cœur de Clermont-Ferrand, la queue s’allonge. À l’intérieur, dans la salle d’attente, Rima, ticket numéroté à la main, tape du pied. Elle attend son tour pour pouvoir s’inscrire pour la campagne d’hiver. Elle semble stressée : “J’espère qu’on pourra m’accepter. J’ai entendu dire qu’ils refusaient des gens en ce moment”. Son tour arrive. Catherine, bénévole, l’accueille dans son bureau. Rima dévoile ses comptes : son allocation d’adulte handicapé, le nombre d’enfants, le montant du loyer, ses dépenses en électricité, … Tout y passe. Après calcul, le logiciel est formel : le barème a été dépassé. Catherine murmure, bien embêtée : “Je suis désolée. Ça ne va pas être possible. Au niveau de nos barèmes, vous êtes un peu au-dessus. Je suis désolée. On ne va pas pouvoir vous accorder l’aide alimentaire”. Rima se mure dans le silence. Elle semble dépitée par la nouvelle. La bénévole tente de la rassurer : “Mais, vous aurez quand même droit à d’autres aides des #Restos_du_Coeur. Je vais vous donner une carte hors alimentaire. C’est-à-dire que si vous avez besoin de vêtements ou de services autres que l’alimentaire, vous pourrez toujours en bénéficier”. La femme repart avec son chariot - qu’elle comptait remplir - vide. 

    Une formation pour être prêt à dire “non”

    Pour la première fois, en plus de 30 ans d’existence, l’association d’aide aux plus précaires, créée par Coluche, doit limiter le nombre de bénéficiaires pour la campagne d’hiver 2023.

    une fable apologétique. en fait, depuis les années 90, il faut satisfaire à des « critères sociaux » pour être « bénéficiaire ». c’est ces critères qui sont durcis actuellement en raison de l’augmentation des demandes et faute de ressources.

    #barème (modifié) #pauvres #pauvreté #alimentation

  • La #pauvreté s’insinue dans la vie des #femmes_âgées

    Le #rapport sur « l’état de la pauvreté 2023 » publié mardi 14 novembre par le #Secours_catholique montre que la pauvreté s’aggrave en France. Elle frappe en premier lieu les #mères_isolées mais aussi les #femmes_seules, et notamment celles de plus de 55 ans. #Témoignages.

    FontenayFontenay-le-Comte (Vendée).– Alors qu’elle déguste une salade de pommes de terre aux œufs et au thon dans la grande salle d’accueil du Secours catholique de Fontenay-le-Comte, en Vendée, Christiane grimace. La septuagénaire a la bouche criblée d’aphtes, favorisés par certains aliments. La faute aux noix et au chocolat qu’elle a reçus dans son colis des Restos du cœur. Mais elle n’a plus le choix, son alimentation est conditionnée par l’aide alimentaire. Elle n’aurait jamais imaginé en arriver à cette extrémité.

    Dix jours avant la fin du mois, Christiane n’a plus rien. Même pas de quoi se payer ses cigarettes, qui la « font tenir ». Assise à côté d’elle, Nathalie, 61 ans, raconte avoir perdu quatre kilos en quelques mois. Les repas sont frugaux et ses soucis financiers lui coupent l’appétit.

    Un karaoké se prépare non loin d’elles, dans la même salle. Une première pour distraire les bénéficiaires et bénévoles de cette antenne du Secours catholique qui arrivent peu à peu.

    Les parcours de Christiane et Nathalie témoignent d’une aggravation de la pauvreté, surtout chez les femmes, alerte le Secours catholique dans son rapport annuel publié mardi 14 novembre. Les mères isolées sont surreprésentées, suivies des femmes seules, démontre l’association.

    L’étude se fonde sur environ 50 000 fiches renseignées par les personnes accueillies en 2022. De fait, la précarité féminine a régulièrement augmenté ces vingt dernières années. Les femmes représentent désormais 57,5 % des personnes rencontrées par l’association, contre 52,6 % en 1999. Les mères isolées représentent 25,7 % des bénéficiaires. 20,9 % sont des femmes seules.

    Les femmes isolées âgées de plus de 55 ans sont elles aussi de plus en plus nombreuses à solliciter une aide, peut-on lire dans le rapport : « Ces femmes rencontrent des situations de précarité singulières, notamment dues à l’isolement qu’elles subissent. Elles n’ont pas les ressources pour faire face aux charges qu’elles doivent supporter, souvent seules. » Ce qui témoigne « d’une précarisation des adultes isolés vieillissants, éloignés du marché du travail ou dont les faibles pensions de retraite sont insuffisantes pour mener une vie décente ».

    Élodie Gaultier, responsable du secteur Sud-Vendée pour le Secours catholique, confirme que les personnes accueillies sont principalement des femmes.

    Dans le département, plus de 14 000 foyers sont soutenus par le Secours catholique. « Les profils que nous croisons ici sont souvent des personnes qui ont plus de 50 ans. Elles peuvent se retrouver seules parce qu’elles sont veuves ou divorcées. D’autres ont toujours été célibataires. »

    Certaines sont si isolées qu’elles ne viennent pas seulement pour obtenir une aide matérielle. « Elles viennent aussi parce qu’elles sont seules et qu’elles ont besoin de discuter. J’avais rencontré une personne dont je n’entendais presque pas le son de la voix parce qu’elle n’avait plus l’habitude de parler à d’autres personnes… » La fracture numérique isole aussi, ajoute Élodie Gaultier. Et la hausse des prix de l’alimentation (6,8 % en 2022) fragilise les foyers modestes.

    Lorsqu’elle était active, Christiane était comptable dans plusieurs entreprises. Elle a élevé seule sa fille, sans aucune aide. Mais elle n’a pas été rémunérée à la hauteur de son travail et le ressent comme une injustice cruelle. « Je me suis fait exploiter parce qu’on ne m’a jamais fait cotiser une retraite de cadre alors que j’avais toutes les responsabilités de l’entreprise sur mon dos. Les heures, je ne les comptais pas non plus. Je ne voyais pas le problème financier à ce moment-là, mais c’est un tort. Maintenant j’en paye les pots cassés. »

    La septuagénaire touche 1 200 euros de retraite, juste en dessous du seuil de pauvreté, fixé à 60 % du revenu médian, soit environ 1 210 euros par mois. Plusieurs dépenses l’accablent, dont l’énergie, en forte hausse (+ 23,1 %).

    Son chauffage électrique consomme beaucoup, malgré les travaux d’isolation réalisés par son propriétaire. Elle a dû s’acquitter de 1 000 euros de régularisation en fin d’année alors qu’elle paye déjà 146 euros par mois. La Caisse d’allocations familiales lui a avancé la somme, qu’elle finit de rembourser.

    Avec un loyer de 500 euros et d’autres dépenses incompressibles, Christiane suffoque. Elle a contracté auprès d’Emmaüs un autre prêt sans intérêt, de 1 500 euros, prélevé à hauteur de 43 euros par mois pour encore un an et demi. La retraitée devait absolument s’acheter une voiture. Être véhiculée est indispensable dans cette zone rurale, même si Christiane l’utilise le moins possible en raison du prix de l’essence.

    Nathalie, la sexagénaire énergique, a été maîtresse de maison dans un foyer pour adultes handicapés, physiques et mentaux. Elle aimait se rendre utile. Il y a trois ans, elle a été placée en invalidité en raison de plusieurs pathologies chroniques.

    Aujourd’hui, elle touche une pension d’invalidité et une rente d’invalidité versée par la mutuelle de son ancien employeur, soit 860 euros. « Il me reste 180 euros pour acheter de quoi manger, de quoi me nourrir, de quoi bouger. Et pour la moindre chose qu’on doit faire, les courses ou les rendez-vous médicaux, il faut la voiture. Ça coûte cher. »

    Sa dernière fille, âgée de 20 ans, a quitté le domicile familial il y a quelques mois. Nathalie l’a déclaré, son aide pour le logement (APL) a été recalculée. Elle a reçu une notification de dette. « Le mot fait peur, je leur dois 200 euros. »

    Nathalie paye plus de 450 euros de loyer pour sa maison à l’écart de tout, dans une commune du Marais poitevin. Elle va devoir déménager en janvier, faute de moyens, dans un appartement moins spacieux, « de 80 m2 à 45 m2 ». Elle est en plein dans le tri. C’est difficile. Il n’y a pas de garage, pas de cave, rien pour stocker. « J’ai beaucoup pleuré, je suis quelqu’un qui essaie d’aller de l’avant pour ne pas sombrer parce que c’est facile de sombrer. »
    « Pas toute seule dans cette situation »

    Si Christiane compte le moindre centime, c’est parce qu’elle s’est trouvée en surendettement, sans chéquier, ni carte bleue mais avec une carte de retrait plafonnée. Elle n’a pas droit au découvert. Il y a quelques années, elle s’est associée avec une personne pour de l’immobilier mais l’entreprise a mal tourné.

    L’ancienne comptable s’est retrouvée à assumer seule des dettes importantes. Elle a dû vendre la maison qu’elle avait fait construire « pour être tranquille à la retraite, pour ne pas avoir de loyer, justement ». Elle s’est « privée de vacances pour payer la maison ». Depuis six ans, elle loue son ancienne maison.

    Un crève-cœur. Comme de devoir se tourner vers le Secours catholique et l’aide alimentaire. « C’est très difficile, parce qu’on se sent descendue très, très bas. Pour l’amour propre, c’est très humiliant. » Elle fréquente l’épicerie solidaire de l’association et les Restos du cœur.

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    Le rapport annuel du Secours catholique en quelques chiffres

    En 2022, le Secours catholique a accueilli 1 027 500 personnes dans 2 400 lieux dédiés, grâce à 3 500 équipes locales et 60 000 bénévoles. Un chiffre en nette augmentation (près d’un tiers) par rapport aux 780 000 bénéficiaires de 2021.

    Leur niveau de vie médian a baissé de 7,6 % en un an. Il s’établit à 538 euros par mois, soit 18 euros par jour, pour subvenir à tous leurs besoins, dont le logement.

    25,7 % des ménages rencontrés au Secours catholique sont des mères isolées. 20,9 % sont des femmes seules.

    Une femme sur dix accueillie au Secours catholique a plus de 55 ans.

    Près de 30 % des femmes vivent dans un logement précaire.

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    Le Secours catholique a permis à Nathalie et Christiane de partir en séjour une semaine à Lourdes, dans les Pyrénées, en septembre. Elles en conservent un souvenir ému. Cela leur a permis retrouver une forme de sociabilité, avec des personnes qui les comprennent. « Je me suis aperçue que je n’étais pas toute seule dans cette situation », confirme Christiane.

    La pauvreté s’insinue partout et empêche tout. Nathalie a réussi à faire baisser à 100 euros sa facture d’électricité mensuelle. Pour cela, elle a réduit le chauffage et mis systématiquement « trois épaisseurs de vêtements et [s]on peignoir ». L’ancienne maîtresse de maison détaille. « Je ne mange plus énormément mais parce que je ne peux plus manger des choses que j’aime comme le poisson. » Elle s’en tient à un menu type. « Du pain, du jambon, des pâtes et des œufs. Du thon et des sardines. Pas de viande, parce que c’est hors de prix. »

    Nathalie aime aussi tricoter, faire du crochet, de la couture. Mais le matériel est onéreux. Idem pour la photo. « Il faut bouger pour avoir de beaux paysages. » Impensable avec le coût du carburant.

    Outre les privations matérielles, la pauvreté grignote aussi les liens sociaux. Christiane a été longtemps trésorière d’une association de sa commune. Elle a démissionné au début de l’année car elle ne pouvait plus suivre le rythme des sorties et des repas. Sans en donner la raison. Sa fille n’est pas au courant du détail des difficultés de sa mère. Christiane se refuse à l’accabler.

    Son moral est au plus bas. « J’avais peur de la mort, mais là je suis prête à partir. Parce que j’ai l’impression que je ne sers plus à rien », soupire-t-elle.

    Nathalie a elle aussi un moral vacillant, mais essaie de dépasser ses coups de déprime. « En fait, c’est le Secours catholique qui m’a sortie de tout ça en début d’année. Ça fait deux ans que je viens mais avant je prenais ce dont j’avais besoin à l’épicerie solidaire, je payais, je partais aussitôt, parce que c’était tellement affligeant pour moi de devoir faire ça. Je voulais être digne, moi, et ça, c’est compliqué d’accepter de venir ici. » Aujourd’hui, elle s’implique comme bénévole à la boutique solidaire.

    L’année prochaine sera pire, elle sera à la retraite. Elle percevra 534 euros. Nathalie n’a pas pu cumuler beaucoup de trimestres. Elle a enchaîné des petits contrats et des périodes de chômage. À chaque grossesse, elle s’est arrêtée trois ans pour s’occuper de son bébé. Elle a ensuite élevé seule ses trois enfants.

    Elle a conscience de cette inégalité de genre, même si elle ne souhaite pas s’étaler sur sa propre histoire. « Les femmes ont voulu devenir indépendantes, c’est une belle chose, mais on ne leur a pas donné assez de moyens pour le devenir. C’est-à-dire que si on veut élever nos enfants seules parce qu’on est avec un homme avec qui c’est compliqué, on ne nous aide pas forcément. »

    À cet égard, le parcours de Nathalie est commun. Le rapport le décrit : « Celles qui travaillent sont moins bien payées, plus souvent à temps partiel subi, et leurs carrières hachées se traduisent par de faibles retraites. » Pour le moment, Nathalie essaie de « ne pas penser » à ce basculement pour ne pas s’effondrer.

    https://www.mediapart.fr/journal/france/141123/la-pauvrete-s-insinue-dans-la-vie-des-femmes-agees
    #femmes

    • État de la pauvreté en France 2023

      En 2022, au Secours Catholique-Caritas France, 59 700 bénévoles répartis dans près de 2 400 lieux d’accueil ont rencontré 1 027 500 personnes. Ce sont 552 400 adultes et 475 100 enfants qui ont ainsi été accompagnés. Le recueil d’information annuel, réalisé via les fiches statistiques extraites d’un échantillon représentatif des dossiers d’accueil, concerne 49 250 ménages en 2022. Il permet l’étude des situations de pauvreté des personnes rencontrées cette même année. Ce rapport comprend deux grandes parties fondées sur les statistiques collectées par l’association : un dossier thématique qui porte cette année sur les conditions de vie des femmes rencontrées par l’association et le profil général qui compte 16 fiches décrivant les caractéristiques sociodémographiques, les situations face à l’emploi ainsi que les ressources et conditions de vie des ménages rencontrés.

      https://www.secours-catholique.org/m-informer/publications/etat-de-la-pauvrete-en-france-2023
      #statistiques #chiffres

    • Pourquoi les femmes sont-elles plus exposées à la pauvreté ?

      Dans son rapport annuel sur l’« État de la pauvreté », paru ce mardi 14 novembre, le Secours catholique alerte sur la #précarité croissante des femmes, indissociable des charges qui pèsent sur elles de manière structurelle.

      Le constat est sans appel : la pauvreté s’incarne de plus en plus au féminin. Alors qu’elles constituaient déjà la moitié des bénéficiaires du Secours catholique à la fin des années 1980, les femmes sont aujourd’hui largement surreprésentées avec près de 60 % des demandes, selon le rapport annuel de l’association basé sur les statistiques issues des 1 027 500 personnes qui l’ont sollicitée en 2022.

      Ce chiffre s’inscrit dans un contexte d’aggravation de la pauvreté, puisque le niveau de vie médian constaté a baissé de 7,6 % en un an. Il s’établissait à 538 euros par mois en 2022 (contre 579 euros en 2021), soit 18 euros par jour pour subvenir à tous les besoins, dont le logement. Pire, trois quarts des bénéficiaires survivent très en dessous du seuil de pauvreté, avec moins de 40 % de cette somme – par comparaison, ils étaient 65 % en 2017.

      Cette tendance s’explique notamment par la forte #inflation des #prix de l’#alimentation (+ 6,8 % en 2022) et de l’#énergie (+ 23,1 %). Selon les auteurs du rapport, « tout porte à croire que cette dégradation se poursuit en 2023, comme en atteste la forte hausse du nombre de personnes faisant appel à l’#aide_alimentaire des associations ».

      https://www.humanite.fr/societe/femmes/pourquoi-les-femmes-sont-elles-plus-exposees-a-la-pauvrete

  • Tribunal administratif de Paris : Distribution de repas dans un secteur délimité des dixième et dix-neuvième arrondissements de Paris : l’arrêté du préfet de police du 9 octobre 2023 l’interdisant du 10 octobre au 10 novembre 2023 est suspendu.
    http://paris.tribunal-administratif.fr/Actualites-du-Tribunal/Espace-presse/Distribution-de-repas-dans-un-secteur-delimite-des-dixi

    #préfet #tribunal_administratif #aide_alimentaire

    • A Paris, la justice suspend l’interdiction de distribuer des repas dans le nord-est de la capitale

      Une semaine après la décision prise par la préfecture de police, l’arrêté a été suspendu ce mardi 17 octobre par le tribunal administratif, saisi par l’association Utopia56, mettant en doute la nécessité de la mesure.

      Les distributions de repas principalement destinées aux exilés, sans-abri et toxicomanes peuvent reprendre dans le nord-est parisien. Il y a une semaine, la préfecture de police de Paris avait pris une mesure dans un secteur du Xe et XIXe arrondissement de la capitale les interdisant, prétextant des « nuisances récurrentes » et des « attroupements […] en bord de voirie créant un danger pour elles-mêmes et pour autrui ». Dans la foulée, l’association Utopia 56 avait demandé un référé en suspension, soutenu par d’autres associations.
      « Petites victoires »

      L’audience a eu lieu hier au tribunal administratif, aboutissant ce mardi à une suspension de l’arrêté préfectoral. « La juge estime qu’il existe un doute sérieux quant à la nécessité de la mesure prise par le préfet de police pour préserver l’ordre public », détaille le communiqué de presse du tribunal. « La mesure d’interdiction de distribution de repas crée une situation d’urgence en raison de la taille du périmètre d’interdiction et de la saturation des autres dispositifs d’aide alimentaire », peut-on aussi y lire.

      « Ce sont des petites victoires que l’on prend volontiers compte tenu du contexte », a réagi Nikolaï Posner, porte-parole d’Utopia 56. « Sur les fondements avancés par la préfecture de police, il n’y avait pas grand-chose. Aujourd’hui, on gagne sur le plan moral, mais les personnes continuent malheureusement de souffrir. Dans ce secteur, il y a une présence policière avec pour objectif de mettre fin aux campements et aux points de fixation. Cette réalité de démanteler les points de rassemblement, de mettre une pression policière, on la voit depuis des années », regrette-t-il. La préfecture de Police de Paris n’a de son côté pas réagi pour le moment. Après cette décision provisoire, le tribunal précise qu’il rendra un jugement « au fond » dans quelques mois.

      https://www.liberation.fr/societe/a-paris-la-justice-suspend-linterdiction-de-distribuer-des-repas-dans-le-

      #justice #distribution_alimentaire #France #Paris #distribution_de_repas #aide_alimentaire #arrêté #utopia_56

  • Restos du cœur : « L’aide alimentaire est à bout de souffle »
    https://reporterre.net/Restos-du-coeur-L-aide-alimentaire-est-a-bout-de-souffle

    Il y a eu le Covid, ainsi que la hausse de l’inflation des produits alimentaires. Mais c’est avant tout notre système économique qui creuse les inégalités. Les salaires n’augmentent pas suffisamment, les écarts de revenus se sont accrus, et des personnes qui travaillent ne peuvent pas payer leurs charges, dont l’alimentation. Quand on touche les minimas sociaux ou un petit salaire, l’alimentation est en effet l’une des variables d’ajustement dans un budget, avec des effets (et des coûts) importants sur la santé et le bien-être. Tout cela devrait nous enjoindre à réfléchir au problème de façon globale : que veut dire se nourrir ? De quelle alimentation parle-t-on ? Quelle est la vie des paysans, à l’autre bout de la chaîne ? Bref, il est important d’appréhender ces enjeux de façon systémique, plutôt que de se pencher seulement sur une partie du problème.

  • #Précarité_alimentaire : « Les a priori sur les pauvres représentent un frein politique puissant »

    La crise liée à l’#inflation met en lumière la réalité de millions de personnes qui dépendent de l’#aide_alimentaire. Benjamin Sèze est l’auteur de “Quand bien manger devient un luxe” (Les Éditions de l’Atelier, 2023), une enquête fouillée sur la réalité de la précarité alimentaire en #France. Interview.

    « Ça ne coûte pas plus cher de bien manger », disait la réclame de Casino. Un slogan publicitaire, mais aussi une idée reçue démontée pied à pied dans l’ouvrage de Benjamin Sèze, “Quand bien manger devient un luxe. En finir avec la précarité alimentaire”, (Les Éditions de l’Atelier, 2023) : https://editionsatelier.com/boutique/accueil/372-quand-bien-manger-devient-un-luxe--9782708254114.html

    Alors que l’inflation des #prix de l’#alimentation culmine à plus de 21 % sur deux ans, cette enquête jette une lumière crue sur les millions de personnes qui dépendent de l’aide alimentaire. Mais aussi sur celles qui ne peuvent se nourrir comme elles le souhaiteraient.

    Ce livre invite à changer de regard sur l’aide alimentaire et sur l’accès à une alimentation saine et durable. Il envisage également de véritables #politiques_publiques « pour en finir avec la précarité alimentaire ». Interview.
    Inflation, hausse du nombre de bénéficiaires… Récemment, les Restos du cœur ont tiré la sonnette d’alarme. Doit-on lire cette séquence comme un épiphénomène ou comme le révélateur d’une crise plus profonde ?

    À chaque crise, il y a une montée de la précarité alimentaire. Il y a à la fois une augmentation des ménages concernés qui, du fait d’une baisse des revenus ou d’un accroissement des charges, se retrouvent pris à la gorge. Mais il y a aussi une montée de l’intensité de la précarité pour les ménages qui sont déjà en difficulté. On ne peut pas seulement parler de nouveaux pauvres. Cette crise révèle des situations de précarité existantes qui se sont intensifiées.
    Dans votre ouvrage, vous mettez en exergue le fait que des millions de personnes dépendent de l’aide alimentaire. Un pourcentage en augmentation depuis 15 ans…

    Oui, même depuis 30 ans. Les chiffres peuvent différer, mais, aujourd’hui, on sait qu’on est au moins autour de 5 millions de personnes qui dépendent de l’aide alimentaire.

    Le dernier chiffre sur l’insécurité alimentaire porte le nombre de personnes concernées à 8 millions. On ne parle pas que des personnes qui recourt à l’aide alimentaire, mais aussi des personnes qu’on considère en situation d’insécurité alimentaire par rapport à certains critères.

    À partir de là, on se rend compte que l’aide alimentaire va bien au-delà des personnes les plus marginalisées de notre société. Le public de l’aide alimentaire, c’est un peu monsieur et madame tout le monde. Ce sont les étudiants précaires de la classe moyenne, le travailleur précaire, le chômeur de longue durée, la mère seule, le petit retraité…

    Pour beaucoup de personnes, c’est une aide qui est pérenne depuis plusieurs années et parfois jusqu’à la fin de leur vie. Je pense aux retraités, il y a des femmes qui ont travaillé avec de petits salaires, en temps partiel, et qui se retrouvent avec des pensions d’environ 700 euros.

    Nous sommes complétement sortis de l’objectif initial de l’aide alimentaire qui, dans les années 80, était celui d’une aide d’urgence, ponctuel. Nous sommes arrivés à un système d’approvisionnement parallèle au marché classique pour des millions de personnes en France.
    Est-ce le résultat de choix politiques ?

    C’est la résultante de choix et de non-choix politiques. L’existence de ce système caritatif repose sur quatre grands acteurs que sont les Restos du cœur, la Croix rouge, le Secours populaire et les banques alimentaires.

    Aujourd’hui, l’État se repose sur ce système qui est porté par des acteurs associatifs qui, eux-mêmes, dépendent du bon vouloir des citoyens de donner de l’argent ou de s’engager bénévolement pour pouvoir assurer le fonctionnement de ces structures.

    De ce fait, les gouvernements successifs n’ont entamé aucune réflexion politique sur la lutte contre la précarité alimentaire. L’État se contente de soutenir ces acteurs à coup de millions d’euros.

    Mais c’est aussi la résultante de choix politiques, dans la mesure où depuis sa création, au milieu des années 80, le système d’aide alimentaire a eu d’autres finalités que sa finalité sociale. Dès le début, l’aide alimentaire a servi à écouler les stocks de produits agricoles stockés par les États pour éviter que les prix agricoles ne s’effondrent.

    Avec la politique agricole commune (PAC), on a demandé aux producteurs européens de surproduire avec le risque que les cours des produits agricoles ne s’effondrent en même temps que le revenu des agriculteurs. Pour éviter cela, les États achetaient le surplus.

    La création de ce système d’aide alimentaire a donc été une opportunité d’écouler ces stocks et de faire une politique anti-gaspillage de ces stocks et une politique de maintien des prix agricoles.

    Ensuite, l’aide alimentaire a été détaché de la PAC, mais on l’a remplacée par un autre objectif, celui de la lutte contre le gaspillage de l’industrie agroalimentaire. Depuis la loi “Garot” de 2016, les supermarchés sont obligés de se mettre en lien avec des associations pour distribuer leurs invendus et éviter le gaspillage alimentaire.
    Quelles sont les limites de cette politique ?

    Il permet la non-réflexion sur la surproduction et le gaspillage de l’industrie agroalimentaire. Mais ça pose aussi un certain nombre de problèmes en termes de qualité de l’alimentation et d’adéquation par rapport aux besoins des personnes.

    On sait que l’aide alimentaire est une nourriture essentiellement de mauvaise qualité nutritionnelle. Les maladies liées à une mauvaise alimentation sont surreprésentées parmi le public de l’aide alimentaire.

    Ça pose également un problème de dignité. Comment s’envisage-t-on en tant que citoyen quand, pour remplir un besoin aussi primaire que celui de se nourrir et de nourrir sa famille, on dépend du don des autres, des invendus des supermarchés, donc de ce que les autres n’ont pas voulu acheter ?
    Vous le soulignez dans votre livre, la précarité alimentaire ne concerne pas seulement les personnes qui ont recours à l’aide alimentaire…

    Selon une étude du Crédoc, une personne sur deux se débrouille sans l’aide alimentaire. Aujourd’hui, on se rend compte qu’il y a deux fois plus de personnes en précarité ou en insécurité alimentaire que de personnes qui recourt à l’aide alimentaire.

    Il y a différentes raisons à cela. Certains ne rentrent pas dans les critères pour s’inscrire à la distribution de colis. D’autres ne sont pas informés ou sont trop éloignés des points de distribution. Il y a aussi, plus simplement, des questions de dignité. Un refus de perdre sa liberté, son autonomie dans son alimentation, devoir aller dans un lieu stigmatisant, bénéficier du don des autres pour se nourrir…

    Beaucoup de personnes préfèrent s’en passer et utilisent d’autres stratégies. On va être là dans de la privation, l’aide de proches et le recours à une alimentation à bas coup, souvent de mauvaise qualité.

    Olivier de Schutter (ancien rapporteur pour le droit à l’alimentation, à l’ONU, NDLR) regrette que l’aide alimentaire et l’alimentation low cost servent de substitut à des politiques sociales plus protectrices. L’État se repose sur ces deux piliers. Il y a l’idée que pour les gens qui ont peu de moyens, il existe toute une gamme de produits à bas coût. L’idée que le marché est bien fait.

    Sauf que c’est une illusion. On ne prend pas en compte le fait que des millions de personnes sont contraintes dans leur alimentation. Elles sont obligées d’acheter des produits qui ne correspondent ni à leurs besoins ni à leurs goûts et qui, objectivement, ne sont pas bons pour elles.
    Dans votre livre, vous battez en brèche l’idée qu’il y aurait des « goûts de pauvres ». Récemment, dans les colonnes de Ouest France, Olivia Grégoire, la ministre chargée des PME, du commerce, de l’artisanat et du tourisme, appelle à réintroduire des cours de cuisine à l’école pour lutter contre l’inflation alimentaire. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

    La question de l’éducation à une meilleure alimentation n’est pas une mauvaise idée en soi, mais elle le devient quand elle ne concerne que les précaires. Elle est inefficace pour énormément de ménages en situation de précarité alimentaire qui n’ont absolument pas besoin d’être éduqués. Par ailleurs, elle est stigmatisante.

    Depuis 20 ans, les questions sur les pesticides, les OGM, l’obésité infusent dans le débat public. Aujourd’hui, tout le monde est plus ou moins au courant de ce qu’est une alimentation saine et durable et des intérêts d’une telle alimentation.

    Par ailleurs, il y a une étude du Crédoc qui montre que les plus gros consommateurs de produits sucrés sont les CSP+. Sauf qu’ils consomment par ailleurs autre chose. Le problème de la précarité alimentaire, c’est surtout la non-consommation de certains produits comme les fruits et légumes.

    Les a priori sur les pauvres représentent un problème, un frein politique puissant. S’ils sont pauvres, ils sont présumés irresponsables, mauvais gestionnaires et fainéants. À partir de là, ça oriente la réflexion politique. Il s’agira de faire des dons en nature et pas en liquide au risque que les pauvres achètent des écrans plats.

    Les préjugés sur les pauvres, c’est aussi ce qui justifie l’aide alimentaire. À partir du moment où on considère que les pauvres sont responsables de leur situation, on ne se questionne pas sur les raisons de la pauvreté et sur les dysfonctionnements de notre société. On n’a pas de réflexion systémique, on envisage la pauvreté comme une espèce de verrue sur un corps sain, comme une anomalie dans un système qui fonctionne, un monde à part.

    Donc, on n’est pas choqués que pour ces gens-là les règles ne soient pas les mêmes. On n’est pas choqués que ces gens-là doivent dépendre du don des autres pour pouvoir manger. Par contre, on est choqués quand il refuse les produits qui ont atteint la date de péremption. On est choqués quand les associations refusent des lasagnes à la viande de cheval.
    À quoi pourraient ressembler des politiques publiques de lutte contre la précarité alimentaire ?

    Il y a de nombreuses pistes de réflexions. La précarité alimentaire est souvent le produit d’autres formes de précarité. C’est-à-dire que l’alimentation est une variable d’ajustement, comme le chauffage, quand le budget est trop serré.

    Une politique de lutte contre la précarité alimentaire ne vise pas forcément l’alimentation. Ça peut passer par une hausse des minimas sociaux, une augmentation des bas salaires. Ça peut être des politiques publiques de protection sociale qui vont aboutir à améliorer les conditions d’alimentation des ménages.

    À Grande-Synthe, ils ont mis en place Minimum Social Garantie (MSG). Une aide de la commune pour compléter le revenu des ménages qui n’atteignent pas le seuil de pauvreté. Après une évaluation, ils se sont rendu compte que cette augmentation de revenu, pour la plupart, partait dans l’alimentation.

    La stratégie de l’aide financière est intéressante, elle permet de redonner de l’autonomie et de la liberté aux ménages dans leur consommation alimentaire. Lever une première contrainte de l’aide alimentaire qui n’est pas des moindres sur les questions de dignité et puis mettre en adéquation l’alimentation par rapport à ses besoins.

    Il pourrait aussi y avoir une politique incitative sur la structure de l’offre alimentaire. Sur la structure de l’offre des supermarchés, sur les recettes des industriels qui transforment les produits… Sur les questions de santé, il y a des recommandations en fixant des taux minimaux en gras, en sel, en sucre dans les produits. Ce sont seulement des recommandations. Sur la fiscalité, en taxant les produits de trop mauvaises qualités, mais avec le risque de pénaliser les précaires si rien n’est proposé à côté. Avec les aides, on peut favoriser la production de produits sains et durables

    Mais on en est bien loin d’une vraie réflexion politique… Pour le trimestre anti-inflation, le gouvernement n’a même pas réuni un collège de spécialiste de la santé pour déterminer des produits de bases sur lesquels baisser les prix. Le gouvernement à laisser ça au libre choix des enseignes qui ont décrété ces panels selon leurs propres critères. Ça a été plus ou moins rectifié, mais les premiers paniers ne comportaient même pas de fruits et légumes. Par contre, il y avait des sodas et des produits ultra-transformés.

    https://www.bondyblog.fr/opinions/precarite-alimentaire-les-a-priori-sur-les-pauvres-representent-un-frein-p
    #alimentation #préjugés #pauvres #pauvreté

  • « L’aide alimentaire n’est pas la solution à la pauvreté » | Alternatives Economiques
    https://www.alternatives-economiques.fr/laide-alimentaire-nest-solution-a-pauvrete/00108050

    Début septembre, les Restos du cœur, l’une des grandes associations d’aide alimentaire avec le Secours populaire, la Croix rouge et les Banques alimentaires, a tiré la sonnette d’alarme : il lui manque 35 millions d’euros. Rapidement, le gouvernement a annoncé qu’il donnerait 15 millions, Bernard Arnauld, PDG de LVMH, a promis 10 millions d’euros. Les Bleus y sont eux aussi allés de leurs annonces, et on ne compte plus les mobilisations de grandes entreprises pour la cause.

    https://justpaste.it/aztd6

    #aide_alimentaire #pauvreté

  • Incapables de faire face à l’afflux de demandeurs, les Restos du cœur appellent à l’aide

    L’association a annoncé qu’elle allait devoir éconduire 150 000 personnes. Le gouvernement a promis 100 balles par tête (15 millions d’€), mais pas de Mars.

    « Nous demandons des réponses concrètes, précises, immédiates, et le lancement d’un plan d’urgence alimentaire. » Le président des #Restos_du_cœur, Patrice Douret, a adressé un appel à l’aide aux « forces politiques et aux forces économiques » lors du « 13 heures » de TF1, dimanche 3 septembre. Il décrit une « situation inédite » : jamais, depuis leur création en 1985 par Coluche, les Restos du cœur n’avaient aidé autant de monde – ils ont déjà accueilli 1,3 million de personnes cette année, contre 1,1 million en 2022. Et jamais l’association n’avait autant dépensé, du fait de ces besoins accrus et de l’inflation : elle doit acheter plus du tiers de la nourriture qu’elle distribue et faire face aux surcoûts d’électricité, de transports…
    « A ce rythme-là, si on ne fait rien, les Restos du cœur pourraient [comme l’école et l’hôpital] mettre la clé sous la porte d’ici trois ans ». Ils vont « réduire fortement » le nombre de personnes accueillies pour se concentrer sur ceux qui ont les plus faibles « restes à vivre ». « On devra aussi réduire les quantités pour tous ceux qu’on pourra accueillir ».
    (...) Avec les trois autres associations bénéficiant de l’#aide_alimentaire européenne – les banques alimentaires, le Secours populaire et la Croix-Rouge –, il a demandé au printemps à rencontrer Maquereau. Il a aussi appelé, dans une tribune au Monde, à renforcer le Soutien européen à l’aide alimentaire. Sans résultat.

    Cette fois, des élus de nombreux partis (HellFI, RN, Pécéèfe, EELV, Répoublicains, P$) se sont émus de la situation, plusieurs ont soutenu l’idée du « plan d’urgence alimentaire ». Les Mousquetaires et Carrefour ont promis d’effectuer des dons et d’organiser des #collectes.

    La ministre des solidarités, Aurore Bergé a indiqué que l’aide alimentaire du gouvernement avait été portée à 156 millions d’euros cette année et que, « dans les prochains jours, 15 millions d’euros » seront « mis sur la table » pour aider les Restos du cœur à « passer cette période », et 6 millions d’euros débloqués en faveur des associations d’aide aux tout-petits. Elle a elle-aussi lancé « un appel solennel aux grandes entreprises », qui avaient su se mobiliser pour la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame de Paris, et compte les recevoir rapidement, en même temps que les présidents des grandes associations de solidarité.

    Cette annonce « ne répond pas à l’urgence », puisque « même en réduisant le nombre de personnes accueillies et les quantités données, nous avons besoin de 35 millions d’euros pour terminer notre exercice à l’équilibre en mars, réagit le pédégé des Restos. De plus, arnaque classique, les 15 millions annoncés englobent une dizaine de millions d’euros déjà budgétés dans le cadre du plan “Mieux manger pour tous”.

    Les autres grands acteurs de l’aide alimentaire soulignent l’urgence à agir. « Nous recevons moins de dons de nourriture de la #grande_distribution et de l’#industrie_agroalimentaire, et nous avons moins d’aides européennes que durant la crise sanitaire, tandis que les besoins augmentent fortement, résume Laurence Champier, D.G. des B.A.. Nous sommes obligés de rationner les associations que nous aidons et de limiter leur nombre. Notre secteur a besoin de crédits suffisants et pérennes, d’autant plus que les particuliers risquent de moins pouvoir donner ! »
    Côté du Secours pop : « Nous accompagnons désormais 3,5 millions de personnes, y compris de plus en plus d’étudiants, de retraités et des personnes qui travaillent. Nous essayons de partager plutôt que de refuser des gens, car il y en a déjà beaucoup trop qui sont en dehors des radars, explique le D.G. de l’association, Thierry Robert. Il faut plus de soutien, et aussi plus d’accompagnement humain de la part de l’Etat. Nos bénévoles constatent combien la dématérialisation des services publics prive de nombreuses personnes de leurs droits. »
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/09/04/l-appel-a-l-aide-des-restos-du-c-ur-confrontes-a-une-situation-inedite_61876

    #alimentation #plan_d’urgence_alimentaire

  • Pour une #Sécurité_Sociale_de_l’Alimentation (#Dominique_Paturel)

    Cette réflexion a pris naissance en 2013 [1], dans les échanges entre deux personnes dont l’une est issue du monde agricole et l’autre de la recherche. L’un comme l’autre, nous constations l’enfermement des personnes recevant de l’#aide_alimentaire, dans une grande difficulté à s’émanciper des dispositifs de distribution et ce, malgré les discours et les pratiques portés par des professionnels ou des bénévoles bienveillants.

    En s’appuyant sur la conception développée par Tim Lang de la démocratie alimentaire, nous ne pouvions que nous rendre compte que l’accès à l’alimentation « libre » d’une part et à une alimentation produite plus sainement d’autre part, était d’une inégalité flagrante. La caractéristique de cette inégalité est qu’elle est banalisée par le fait que nous sommes tous des mangeurs, invisibilisant ainsi les rapports de classe. En outre, les politiques sociales et sanitaires généralisent ces inégalités par la désignation d’une population dite vulnérable et à laquelle on destine des dispositifs assistanciels. Le présupposé repose sur une conception libérale de la solidarité basée sur une approche néo-paternaliste. Les cadres de pensée qui ont servi à sortir la France de la faim d’après-guerre, sont les mêmes qui empêchent aujourd’hui de voir la situation dégradée du côté de ce que j’appelle l’accès à la « fausse bouffe » et non à l’alimentation.

    En approfondissant notre réflexion, il nous a semblé que tant que l’accès ne serait pas consolidé conformément aux valeurs républicaines, à savoir un accès égalitaire, solidaire et libre, les injustices demeureraient quant aux conséquences sociales et sanitaires. Un modèle de protection sociale pour tous orienté sur un accès égalitaire à une alimentation reconnectée aux conditions de sa production, s’est imposé et c’est cette piste que nous avons suivie. Il s’agissait de reprendre la main sur le(s) système(s) alimentaire(s) par tous les habitants en France et d’être dans les conditions pour le faire : la réponse ne pouvait pas rester que du seul côté des citoyens « éclairés » ou militants. Le modèle de la sécurité sociale nous a semblé le bon cadre pour avancer. À partir de là deux pistes ont été suivies :

    – La première incarnée par Ingénieurs sans frontières [2] qui propose « une carte d’assurance alimentaire » ;
    – La deuxième inscrite dans l’ensemble de nos travaux et qui est au cœur du séminaire Démocratie Alimentaire.

    Aujourd’hui la transition alimentaire est essentiellement mise en œuvre du côté du changement des pratiques alimentaires des mangeurs. Mais l’alimentation étant considérée comme une marchandise comme une autre, à savoir soumise aux rapports de force existant sur le marché, (et même si les initiatives de tous ordres sont bienvenues), la transformation ne sera pas au rendez-vous sans un changement radical de l’offre. Et ce d’autant plus, que le système industriel agro-alimentaire est transnational et que le début de la réflexion de Tim Lang sur sa proposition de démocratie alimentaire part de ce constat : les états ont bien du mal à intervenir aujourd’hui dans la régulation de ce système.

    Trois points d’appui au fondement de la Sécurité Sociale de l’Alimentation :

    – Le premier est la reconnaissance du droit à l’alimentation ;
    – Le second est la réorientation des outils de politique publique existant en matière d’accès à l’alimentation et en particulier la restauration collective ;
    – Le troisième, l’attribution d’une allocation à l’ensemble de la population pour accéder à des produits frais sur le modèle des allocations familiales.

    Mais pour que ce système puisse se construire, il nous faut rappeler des éléments de conception qui doivent être socialisés : l’alimentation n’est pas seulement le résultat d’une production agricole ou de transformation agro-industrielle. Il est nécessaire de s’appuyer sur une vision systémique qui prend en compte les quatre activités nécessaires à l’alimentation des humains de tout temps : celle de la production, celle de la transformation, celle de la distribution et celle de la consommation. Ce sont l’ensemble de ces activités qui forment système et les aborder de façon déconnectée soutient le modèle industriel, nous laissant dans une vision minimaliste de l’alimentation comprise alors comme denrée ou produit.

    De plus, l’alimentation comme fait social total, comporte des dimensions sociale, culturelle, économique, politique, biologique, etc. On ne peut donc la réduire au seul slogan « les gens ont faim, il faut leur donner à manger », slogan repris de façon globale dans tous les dispositifs de distribution d’aide alimentaire en France et en Europe.

    L’alimentation correspond aussi à un modèle ancré dans une histoire nationale. En France, manger ensemble et faire la cuisine sont beaucoup plus important que la qualité des produits et leur provenance. Les gaulois réglaient déjà les problèmes politiques par de grands banquets (Ariès, 2016) [3], d’où l’importance de manger ensemble pour construire du lien social et faire société. On peut ainsi comprendre pourquoi les institutions d’actions sociales et de travail social utilisent l’alimentation comme moyen autour de ce qui est leur mission, à savoir lutter contre l’exclusion sociale. Mais, concevoir l’alimentation comme moyen est aujourd’hui contreproductif pour assurer la transition alimentaire dans la perspective des changements climatiques à l’œuvre et stopper les effets délétères de l’alimentation industrielle.

    La Sécurité Sociale de l’Alimentation doit donc s’appuyer sur l’ensemble de ces éléments pour asseoir sa légitimité. Elle se situe du côté de la transformation alimentaire, de la prévention en santé publique et non curative comme actuellement. Elle fait partie d’une politique de l’alimentation qui doit se désencastrer de ministères de tutelles comme l’agriculture, la santé ou la cohésion sociale. Il ne s’agit pas de créer un xième ministère mais bien de comprendre cette politique comme transversale. Cependant dans un pays centralisé comme la France avec des institutions verticales, une politique transversale a de fortes chances d’être minorée. D’où la proposition de doter cette instance de moyens conséquents et d’obliger les politiques engageant une des activités du système alimentaire à s’inclure (pour partie) dans la politique alimentaire et non d’œuvrer de façon segmentée : la Sécurité Sociale de l’Alimentation devient alors l’outil majeur pour actionner la transition alimentaire.

    Le second point d’appui est de mobiliser les outils de politiques publiques existants au service de ce dispositif, en particulier la restauration collective publique. Nous partons du constat que les lieux, le matériel, les compétences sont présents à travers la mise à disposition de quatre à cinq repas par semaine à midi : pourquoi ne pas utiliser ces ressources en direction de la population habitant ou travaillant en proximité de ces équipements le soir et 7 jours sur 7. Par ailleurs, on peut également en profiter pour réorienter la production et la transformation en redirigeant l’offre alimentaire à l’échelle territoriale.

    D’autres outils existent déjà et il s’agirait de renforcer la cohérence au service de la Sécurité Sociale de l’Alimentation : en soutenant les marchés d’intérêts nationaux dans les régions pour approvisionner les villes et villages et les engager dans la transformation des compétences des intermédiaires ; en cessant de segmenter les plans incitatifs (Climat, alimentation, urbanisme, etc.) et en recherchant comment les articuler ; en concevant des instances démocratiques à l’échelle des territoires de vie pour décider des politiques alimentaires liées à la réalité sociale et concevoir les hybridations nécessaires pour garantir un accès à tous, etc.

    Le troisième point d’appui est celui de l’attribution d’une allocation pour tous les habitants en France, fléchée sur l’achat de produits frais : fruits, légumes, produits laitiers, viande, poisson. Ces aliments sont souvent absents pour les familles à petits budgets et sont remplacés par des aliments ultra-transformés. Cette mesure fléchée peut aussi participer à la relocalisation des activités du système alimentaire.

    Élaborer un tel dispositif permettrait de faire exploser le « plafond de verre » auquel se confronte une multitude d’initiatives issues de la société civile organisée et de l’économie sociale et solidaire : ainsi la Sécurité Sociale de l’Alimentation, outre les effets sur la santé, participerait réellement à la transition écologique.

    –-

    [1] http://www1.montpellier.inra.fr/aide-alimentaire/index.php/fr

    [2] https://www.isf-france.org/articles/pour-une-securite-sociale-alimentaire

    [3] Eh non ce n’est pas une invention de Goscinny et Uderzo. Ariès, Paul (2016) Une histoire politique de l’alimentation. Du paléolithique à nos jours. Paris, édition Max Milo.

    https://www.chaireunesco-adm.com/Pour-une-Securite-Sociale-de-l-Alimentation
    #sécurité_alimentaire #sécurité_sociale #alimentation #distribution_alimentaire #alternative #démocratie_alimentaire #Tim_Lang #accès_à_l'alimentation #inégalités #rapports_de_classe #classe_sociale #assistance #néo-paternalisme #solidarité #fausse_bouffe #protection_sociale #transition_alimentaire #droit_à_l'alimentation #restauration_collective #politiques_publiques #allocation #santé_publique #sécurité_sociale_alimentaire

    • Vers une sécurité sociale de l’alimentation

      Le projet de sécurité sociale de l’alimentation, porté depuis plus de dix ans par un collectif d’associations et de chercheurs.ses, tente d’étendre le principe de la sécurité sociale d’après-guerre au droit à l’alimentation.
      La séance de l’Université des Savoirs Associatifs organisée par le CAC le 12 octobre prochain permettra de faire un état des lieux de ce projet et en savoir plus sur les expérimentations de caisse locale de sécurité sociale de l’alimentation (SSA). Échange avec Dominique Paturel, chercheuse à l’INRAE et membre du collectif pour une SSA et Maxime Scaduto de la caisse SSA de Strasbourg.

      Le projet de sécurité sociale de l’alimentation, porté depuis plus de dix ans par un collectif d’associations et de chercheurs.ses, tente d’étendre le principe de la sécurité sociale d’après-guerre au droit à l’alimentation.

      En s’appuyant sur une économie redistributive et un modèle qui s’extrait de l’économie dictée par le marché, il nourrit notre réflexion sur la « démarchandisation » du monde associatif que nous portons au sein de l’observatoire citoyen de la marchandisation des associations.

      Il est une des pistes que nous explorons dans une volonté de repenser les modalités de subventions des associations, pour les dégager de la commande publique et des jeux politiques, redonner du pouvoir citoyen sur leur attribution et répartition, pour repenser un modèle de financement appuyé sur la co-construction et non la contractualisation.

      "Créons une sécurité sociale de l’alimentation pour enrayer le faim". Les signataires de la tribune publiée dans Reporterre en 2020, pendant la période du Covid, nous alertent : "en France, nous peinons aujourd’hui encore à mettre à l’abri de la faim, y compris en dehors de toute période de crise, alors que c’est du « droit à l’alimentation » dont il devrait être question dans une démocratie". Et ils nous proposent un mode d’emploi des "caisses locales de conventionnement" à l’instar des caisses de la sécurité sociale.

      La Confédération Paysanne nous rappelle les 3 principes d’une SSA : l’universalité, le financement par la cotisation et le conventionnement démocratique.

      La Sécurité sociale de l’alimentation

      Cherche à répondre aux enjeux de sortie d’un modèle agro-industriel qui nous amène dans le mur en terme de sécurité alimentaire, d’écologie, de biodiversité et d’accès à une alimentation de qualité pour toutes et tous,
      Remplacerait le système actuel d’aide alimentaire qui est à revoir de fond en comble puisqu’il se base actuellement sur le système productiviste du secteur agro-industriel afin de lui permettre d’écouler ces stocks,
      Sortirait les personnes pauvres d’une assignation à l’aide alimentaire qui, comme le démontre très bien Bénédicte Bonzi dans son livre, « Faim de droits », contient de la violence tant pour les bénévoles que les personnes bénéficiaires sommées de se nourrir avec ce qui est rejeté par le système agro-industriel dans un pays où la nourriture existe en abondance.
      Interroge la question du droit à une alimentation de qualité pour une part non négligeable de la population puisqu’on estime aujourd’hui que 7 millions de personnes sont en situation de précarité alimentaire, soit une augmentation de 15 à 20 % par rapport à 2019. Un chiffre sous-estimé par rapport aux besoins réels, la demande d’aide alimentaire restant une démarche souvent difficile ou mal connue.

      Le système actuel d’aide alimentaire est en outre encadré par tout un ensemble de contrôle qui n’est pas sans rappeler celui qui entoure les chômeurs, comme s’il fallait, en quelque sorte, infliger une double peine aux personnes en situation de précarité.

      La séance de l’Université des Savoirs Associatifs organisée par le CAC le 12 octobre prochain (en présentiel ou en visio) permettra de faire un état des lieux de ce projet, d’en savoir plus sur les expérimentations de caisse locale de sécurité sociale de l’alimentation et en particulier celle de Strasbourg. Nous échangerons avec Dominique Paturel, chercheuse à l’Inrae et membre du collectif pour une sécurité sociale de l’alimentation et Maxime Scaduto de la caisse de sécurité sociale de l’alimentation de Strasbourg.

      Encore des patates !? (https://www.civam.org/ressources/reseau-civam/type-de-document/magazine-presse/bande-dessinee-encore-des-patates-pour-une-securite-sociale-de-lalimentation) est une bande dessinée pédagogique qui, à l’aide d’annexes, présente les enjeux et les bases de la réflexion à l’origine du projet de Sécurité sociale de l’alimentation.

      https://blogs.mediapart.fr/collectif-des-associations-citoyennes/blog/260923/vers-une-securite-sociale-de-lalimentation

      #sécurité_sociale_de_l'alimentation

    • « Encore des patates ?! » Pour une sécurité sociale de l’alimentation

      Grâce au dessin de Claire Robert, le collectif SSA a élaboré un outil pédagogique pour découvrir le projet de sécurité sociale de l’alimentation : une bande dessinée !

      Humoristique et agréable, cette bande dessiné est également enrichies d’annexes qui apportent de nombreux éléments sur les enjeux agricoles et alimentaires, le fonctionnement du régime général de sécurité sociale entre 1946 et 1967 et les bases sur lesquelles s’ancrent la réflexion du projet de sécurité sociale de l’alimentation.

      Cette bande dessinée est un moyen de vous faire partager nos constats d’indignation et d’espoir… et de vous inviter à partager les vôtres, à se rassembler, et peut être demain, reprendre tous ensemble le pouvoir de décider de notre alimentation !

      https://www.civam.org/ressources/reseau-civam/type-de-document/magazine-presse/bande-dessinee-encore-des-patates-pour-une-securite-sociale-de-lalimentation

      #BD #bande_dessinée

  • Plus de 3 millions de bénéficiaires de l’aide alimentaire en France – Libération
    https://www.liberation.fr/societe/plus-de-3-millions-de-beneficiaires-de-laide-alimentaire-en-france-202211

    Alors que la France connaît une vague inflationniste, l’Insee a rendu publiques ses données sur les personnes ayant recours aux réseaux associatifs de distribution de nourriture. Quatre bénéficiaires sur cinq souffrent de « privations alimentaires ».

    C’est un « portrait social » dressé ce mercredi par l’Insee qui tombe à point nommé. Alors que le sujet de la précarité alimentaire est brûlant, face à la flambée vertigineuse du prix des denrées, l’institut vient de rendre public ses travaux annuels sur les évolutions économiques et sociales en France. Avec cette fois-ci un éclairage particulier sur les bénéficiaires de l’aide alimentaire. Entre novembre et décembre 2021, les statisticiens de l’Insee ont ainsi enquêté auprès de ces personnes, en grande difficulté financière, qui se rendent dans un ou des centres associatifs de distribution d’aide afin de recevoir ou acheter des produits alimentaires. En intégrant tous les individus composant le ménage de ces bénéficiaires, l’Insee estime qu’entre 3,2 et 3,5 millions de personnes ont reçu en 2021 des aides alimentaires (colis, achats en épiceries solidaires ou distribution de repas prêts à consommer) par le réseau associatif.

    #aide_alimentaire #pauvreté #caritatif

    • L’embrouille des millions, quelle honte.

      Si tu calcules bien, réduit à 3 personnes qui ont faim toute l’année, et avec un fond de 60€, ça fait 20€ par personne, sur 365 jours ça fait à peine 6 cents par jour par personne si tout l’argent leur est bein reversé. Bon appétit les amis, vous reprendrez bien un peu de papier journal trempé dans l’eau pour le midi mais seulement l’année prochaine hein.

      En intégrant tous les individus composant le ménage de ces bénéficiaires, l’Insee estime qu’ entre 3,2 et 3,5 millions de personnes ont reçu en 2021 des aides alimentaires (colis, achats en épiceries solidaires ou distribution de repas prêts à consommer) par le réseau associatif.

      Certes, les données datent de l’année dernière, mais elles se révèlent éclairantes à l’aune du contexte inflationniste de 2022. Contexte qui a convaincu le Conseil national de l’alimentation (CNA) de recommander, en octobre dernier, d’inscrire le droit à l’alimentation dans la législation française pour en « garantir l’accès à tous et toutes ». Contexte qui a également valu à la première ministre, Elisabeth Borne, d’annoncer en début de mois la création d’un « fonds pour une aide alimentaire durable »de 60 millions d’euros en 2023

      #Borne_lahonte

    • on se souvient qu’une loi contre le gaspillage alimentaire (2016) avait fini par imposer qu’une partie des commerces cèdent leurs invendus alimentaires en voie de péremption ou périmés à des assos lorsqu’elles en font la demande, sous certaines conditions, elles ont supposées être habilitées https://solidarites-sante.gouv.fr/affaires-sociales/lutte-contre-l-exclusion/lutte-contre-la-precarite-alimentaire/article/habilitations-a-l-aide-alimentaire?TSPD_101_R0=087dc22938ab20

      dès 2018, des start-up de la récup se sont monté pour monétiser les invendus de manière plus dividualisée et flexible que ce que permettent les entrepôts de la grande distribution déjà sur le créneau (introuvables en centre-villes). leurs clients passent d’abord, et pour le meilleur.

      Chaque jour, des aliments frais sont gaspillés dans des commerces, simplement parce qu’ils n’ont pas été vendus à temps. L’application Too Good To Go permet aux utilisateurs d’acheter des Paniers Surprise [sic] composés de produits invendus à petits prix.

      Tu peux sauver un repas [sic] en quelques clics, et ainsi contribuer à réduire un peu la quantité de gaspillage alimentaire ! Alors, es-tu un vrai Waste Warrior.

      Réveille l’aventurier qui est en toi, parce que le panier peut être composé de plein de produits différents !

      https://toogoodtogo.be/fr-be/blog/mon-premier-toogoodtogo

      #marchandisation

  • Précarité étudiante : le gouvernement va débloquer 10 millions d’euros pour aider les associations d’aide alimentaire
    https://www.bfmtv.com/societe/precarite-etudiante-le-gouvernement-va-debloquer-10-millions-d-euros-pour-aid

    Un fonds de solidarité va être mis en place par l’exécutif pour financer 300.000 colis de courses alimentaires jusqu’à la fin de l’hiver.
    Le gouvernement réagit. Les étudiants sont de plus en plus nombreux à se rendre tous les jours à l’aide alimentaire. Face à cette situation, selon les informations de BFMTV, la ministre de l’Enseignement supérieur Sylvie Retailleau et le ministre des Solidarités Jean-Christophe Combe vont annoncer ce mardi la mise en place d’un fonds de solidarité de 10 millions d’euros.

    L’objectif est de soutenir les initiatives locales de distribution d’aide alimentaire, en contribuant au financement de 15.000 colis de courses alimentaires par semaine jusqu’à la fin de l’hiver (soit 300.000 colis).

    15 000 colis hebdo pour plus de deux millions d’étudiants, ici, l’argent public ruisselle au compte goutte

    #étudiants #aide_alimentaire #caritatif

  • Grano : una guerra globale

    Secondo molti osservatori internazionali, la guerra in corso in Ucraina si esprimerebbe non solo mediante l’uso dell’artiglieria pesante e di milizie ufficiali o clandestine, responsabili di migliaia di morti, stupri e deportazioni. Esisterebbero, infatti, anche altri campi sui quali il conflitto, da tempo, si sarebbe spostato e che ne presuppongono un allargamento a livello globale. Uno di questi ha mandato in fibrillazione gli equilibri mondiali, con effetti diretti sulle economie di numerosi paesi e sulla vita, a volte sulla sopravvivenza, di milioni di persone. Si tratta della cosiddetta “battaglia globale del grano”, i cui effetti sono evidenti, anche in Occidente, con riferimento all’aumento dei prezzi di beni essenziali come il pane, la pasta o la farina, a cui si aggiungono quelli dei carburanti, oli vari, energia elettrica e legno.
    La questione del grano negli Stati Uniti: il pericolo di generare un tifone sociale

    Negli Stati Uniti, ad esempio, il prezzo del grano tenero, dal 24 febbraio del 2022, ossia dall’inizio dell’invasione russa dell’Ucraina, al Chicago Mercantile Exchange, uno dei maggiori mercati di riferimento per i contratti cerealicoli mondiali, è passato da 275 euro a tonnellata ai circa 400 euro dell’aprile scorso. Un aumento esponenziale che ha mandato in tensione non solo il sistema produttivo e distributivo globale, ma anche molti governi, legittimamente preoccupati per le conseguenze che tali aumenti potrebbero comportare sulle loro finanze e sulla popolazione. In epoca di globalizzazione, infatti, l’aumento del prezzo del grano tenero negli Stati Uniti potrebbe generare un “tifone sociale”, ad esempio, in Medio Oriente, in Africa, in Asia e anche in Europa. I relativi indici di volatilità, infatti, sono ai massimi storici, rendendo difficili previsioni di sviluppo che si fondano, invece, sulla prevedibilità dei mercati e non sulla loro instabilità. Queste fibrillazioni, peraltro, seguono, in modo pedissequo, le notizie che derivano dal fronte ucraino. Ciò significa che i mercati guardano non solo agli andamenti macroeconomici o agli indici di produzione e stoccaggio, ma anche a quelli derivanti direttamente dal fronte bellico e dalle conseguenze che esso determinerebbe sugli equilibri geopolitici globali.
    I processi inflattivi e la produzione di grano

    Anche secondo la Fao, per via dell’inflazione che ha colpito la produzione di cereali e oli vegetali, l’indice alimentare dei prezzi avrebbe raggiunto il livello più alto dal 1990, ossia dall’anno della sua creazione.

    Le origini della corsa a questo pericoloso rialzo sono molteplici e non tutte direttamente riconducibili, a ben guardare, alla sola crisi di produzione e distribuzione derivante dalla guerra in Ucraina. I mercati non sono strutture lineari, dal pensiero algoritmico neutrale. Al contrario, essi rispondono ad una serie molto ampia di variabili, anche incidentali, alcune delle quali derivano direttamente dalle ambizioni e dalle strategie di profitto di diversi speculatori finanziari. I dati possono chiarire i termini di questa riflessione.

    Il Pianeta, nel corso degli ultimi anni, ha prodotto tra 780 e 800 milioni di tonnellate di grano. Una cifra nettamente superiore rispetto ai 600 milioni di tonnellate prodotte nel 2000. Ciò si deve, in primis, alla crescita demografica mondiale e poi all’entrata di alcuni paesi asiatici e africani nel gotha del capitalismo globale e, conseguentemente, nel sistema produttivistico e consumistico generale. Se questo per un verso ha sollevato gran parte della popolazione di quei paesi dalla fame e dalla miseria, ha nel contempo determinato un impegno produttivo, in alcuni casi monocolturale, che ha avuto conseguenze dirette sul piano ambientale, sociale e politico.
    Il grano e l’Africa

    L’area dell’Africa centrale, ad esempio, ha visto aumentare la produzione agricola in alcuni casi anche del 70%. Eppure, nel contempo, si è registrato un aumento di circa il 30% di malnutrizione nella sua popolazione. Ciò è dovuto ad un’azione produttiva privata, incentivata da fondi finanziari internazionali e governativi, che ha aumentato la produzione senza redistribuzione. Questa produzione d’eccedenza è andata a vantaggio dei fondi speculativi, dell’agrobusiness o è risultata utile per la produzione occidentale, ma non ha sfamato la popolazione locale, in particolare di quella tradizionalmente esposta alla malnutrizione e alla fame. Un esempio emblematico riguarda l’Etiopia e i suoi 5 milioni circa di cittadini malnutriti. Questo paese dipende ormai interamente dagli aiuti alimentari e umanitari. Allo stesso tempo, migliaia di tonnellate di grano e di riso etiope sono esportate ogni anno in Arabia Saudita per via del land grabbing e degli accordi economici e finanziari sottoscritti. In Sudan si registra il medesimo fenomeno. Il locale governo ha infatti ceduto 1,5 milioni di ettari di terra di prima qualità agli Stati del Golfo, all’Egitto e alla Corea del Sud per 99 anni, mentre risulta contemporaneamente il paese al mondo che riceve la maggiore quantità di aiuti alimentari, con 6 milioni di suoi cittadini che dipendono dalla distribuzione di cibo. Basterebbe controllare i piani di volo degli aeroporti di questi paesi per rendersi conto di quanti aerei cargo decollano giornalmente carichi di verdura fresca e rose, con destinazione finale gli alberghi degli Emirati Arabi e i mercati di fiori olandesi. Come ha affermato l’ex direttore dell’ILC (International Land Coalition), Madiodio Niasse: «La mancanza di trasparenza rappresenta un notevole ostacolo all’attuazione di un sistema di controllo e implementazione delle decisioni riguardo alla terra e agli investimenti ad essa inerenti».

    L’Angola ha varato un piano di investimenti così ambizioso da attrarre sei miliardi di dollari esteri nel solo 2013. Prima dello scoppio del conflitto civile, durato trent’anni, questo paese riusciva a nutrire tutti i suoi abitanti ed esportava caffè, banane e zucchero. Oggi, è costretto a comprare all’estero metà del cibo destinato al consumo interno, mentre solo il 10% della sua superficie arabile è utilizzata. Ciò nonostante, ha ritenuto legittimo incentivare l’accaparramento dei propri terreni agricoli da parte di multinazionali dell’agrobusiness e fondi finanziari di investimento. Ragioni analoghe guidano Khartoum a negoziare migliaia di ettari con i paesi del Golfo. Tra il 2004 e il 2009, in soli cinque paesi, Mali, Etiopia, Sudan, Ghana e Madagascar circa due milioni e mezzo di ettari coltivabili sono finiti nel portafoglio finanziario di multinazionali e dei fondi sovrani.
    Non solo Ucraina

    Quanto descritto serve per superare un’ottica monofocale che tende a concentrarsi, per ciò che riguarda il tema della terra e del grano, esclusivamente sull’Ucraina. Nello scacchiere globale della produzione e dell’approvvigionamento rientrano, infatti, numerosi paesi, molti dei quali per anni predati o raggirati mediante accordi capestro e obblighi internazionali che hanno fatto del loro territorio un grande campo coltivato per i bisogni e i consumi occidentali.
    Il ruolo della Russia

    Anche la Russia, in quest’ambito, svolge un ruolo fondamentale. Mosca, infatti, ha deciso di conservare per sé e in parte per i suoi alleati, a fini strategici, la propria produzione cerealicola, contribuendo a generare gravi fibrillazioni sui mercati finanziari di tutto il mondo. Nel 2021, ad esempio, il paese governato da Putin era il primo esportatore di grano a livello mondiale (18%), piazzandosi sopra anche agli Stati Uniti. Questa enorme quantità di grano esportato non risulta vincolata come quello occidentale, ma riconducibile al consumo interno e al bilanciamento dei relativi prezzi per il consumatore russo che in questo modo paga meno il pane o la carne rispetto ad un occidentale. Non è però tutto “rose e fiori”. Sulla Russia incidono due fattori fondamentali. In primis, le sanzioni occidentali che limitano i suoi rapporti commerciali e impediscono a numerose merci e attrezzature di entrare, almeno in modo legale, per chiudere la filiera produttiva e commerciale in modo controllato. Secondo, l’esclusione della Russia dai mercati finanziari comporta gravi conseguenze per il paese con riferimento alla situazione dei pagamenti con una tensione crescente per il sistema finanziario, bancario e del credito. Non a caso recentemente essa è stata dichiarata in default sui circa 100 milioni di dollari di obbligazioni che non è riuscita a pagare. In realtà, il default non avrà un peso straordinario almeno per due ragioni. In primo luogo perché il paese è da molto tempo economicamente, finanziariamente e politicamente emarginato. Secondo poi, il fallimento sarebbe dovuto non alla mancanza di denaro da parte della Russia, ma alla chiusura dei canali di trasferimento da parte dei creditori. A completare il quadro, c’è una strategica limitazione delle esportazioni di grano da parte ancora della Russia nei riguardi dei paesi satelliti, come ad esempio l’Armenia o la Bielorussia. Ciò indica la volontà, da parte di Putin, di rafforzare le scorte per via di un conflitto che si considera di lungo periodo.
    Il grano “bloccato”

    A caratterizzare questa “battaglie globale del grano” ci sono anche altri fattori. Da febbraio 2020, ad esempio, circa 6 milioni di tonnellate di grano ucraino sono bloccati nel porto di Mikolaiv, Odessa e Mariupol. È una quantità di grano enorme che rischia di deperire nonostante lo stato di crisi alimentare in cui versano decine di paesi, soprattutto africani. Sotto questo profilo, i paesi occidentali e vicini all’Ucraina dovrebbero trovare corridoi speciali, militarmente difesi, per consentire l’esportazione del cereale e successivamente la sua trasformazione a tutela della vita di milioni di persone. D’altra parte, sui prezzi intervengo fattori non direttamente riconducibili all’andamento della guerra ma a quelli del mercato. Ad esempio, l’aumento del costo delle derrate cerealicole si deve anche all’aumento esponenziale (20-30%) dei premi assicurativi sulle navi incaricate di trasportarlo, attualmente ferme nei porti ucraini. Su questo aspetto i governi nazionali potrebbero intervenire direttamente, calmierando i premi assicurativi, anche obtorto collo, contribuendo a calmierai i prezzi delle preziose derrate alimentati. Si consideri che molti industriali italiani del grano variamente lavorato stanno cambiando la loro bilancia di riferimento e relativi prezzi, passando ad esempio dal quintale al chilo e aumentando anche del 30-40% il costo per allevatori e trasformatori vari (fornai e catene dell’alimentare italiano).
    Le ricadute di una guerra di lungo periodo

    Una guerra di lungo periodo, come molti analisti internazionali ritengono quella in corso, obbligherà i paesi contendenti e i relativi alleati, a una profonda revisione della produzione di grano. L’Ucraina, ad esempio, avendo a disposizione circa 41,5 milioni di ettari di superficie agricola utile, attualmente in parte occupati dai carri armati russi e da un cannoneggiamento da artiglieria pesante e attività di sabotaggio, vende in genere il 74% della sua produzione cerealicola a livello globale. Non si tratta di una scelta politica occasionale ma strategica e di lungo periodo. L’Ucraina, infatti, ha visto aumentare, nel corso degli ultimi vent’anni, la sua produzione di grano e l’ esportazione. Si consideri che nel 2000, il grano ucraino destinato all’esportazione era il 60% di quello prodotto. La strategia ovviamente non è solo commerciale ma anche politica. Chi dispone del “potere del grano”, infatti, ha una leva fondamentale sulla popolazione dei paesi che importano questo prodotto, sul relativo sistema di trasformazione e commerciale e sull’intera filiera di prodotti derivati, come l’allevamento. Ed è proprio su questa filiera che ora fa leva la Russia, tentando di generare fibrillazioni sui mercati, azioni speculative e tensioni sociali per tentare di allentare il sostegno occidentale o internazionale dato all’Ucraina e la morsa, nel contempo, delle sanzioni.

    Esiste qualche alternativa alla morsa russa su campi agricoli ucraini? Il terreno ucraino seminato a grano e risparmiato dalla devastazione militare russa, soprattutto lungo la linea Sud-Ovest del paese, può forse rappresentare una speranza se messo a coltura e presidiato anche militarmente. Tutto questo però deve fare i conti con altri due problemi: la carenza di carburante e la carenza di manodopera necessaria per concludere la coltivazione, mietitura e commercializzazione del grano. Su questo punto molti paesi, Italia compresa, si sono detti pronti ad intervenire fornendo a Zelensky mezzi, camion, aerei cargo e navi ove vi fosse la possibilità di usare alcuni porti. Nel frattempo, il grano sta crescendo e la paura di vederlo marcire nei magazzini o di non poterlo raccogliere nei campi resta alta. Ovviamente queste sono considerazioni fatte anche dai mercati che restano in fibrillazione. Circa il 70% dei carburanti usati in agricoltura in Ucraina, ad esempio, sono importanti da Russia e Bielorussia. Ciò significa che esiste una dipendenza energetica del paese di Zelensky dalla Russia, che deve essere superata quanto prima mediante l’intervento diretto dei paesi alleati a vantaggio dell’Ucraina. Altrimenti il rischio è di avere parte dei campi di grano ucraini pieni del prezioso cereale, ma i trattori e le mietitrici ferme perché prive di carburante, passando così dal danno globale alla beffa e alla catastrofe mondiale.

    Una catastrofe in realtà già prevista.
    Un uragano di fame

    Le Nazioni Unite, attraverso il suo Segretario generale, Antonio Guterres, già il 14 marzo scorso avevano messo in guardia il mondo contro la minaccia di un “uragano di fame” che avrebbe potuto generare conflitti e rivolte in aree già particolarmente delicate. Tra queste ultime, in particolare, il Sudan, l’Eritrea, lo Yemen, e anche il Medio Oriente.

    Gutierres ha parlato addirittura di circa 1,7 miliardi di persone che possono precipitare dalla sopravvivenza alla fame. Si tratta di circa un quinto della popolazione mondiale, con riferimento in particolare a quarantacinque paesi africani, diciotto dei quali dipendono per oltre il 50% dal grano ucraino e russo. Oltre a questi paesi, ve ne sono altri, la cui tenuta è in tensione da molti anni, che dipendono addirittura per il 100% dai due paesi in guerra. Si tratta, ad esempio, dell’Eritrea, della Mauritania, della Somalia, del Benin e della Tanzania.

    In definitiva, gli effetti di una nuova ondata di fame, che andrebbe a sommarsi alle crisi sociali, politiche, ambientali e terroristiche già in corso da molti anni, potrebbero causare il definitivo crollo di molti paesi con effetti umanitari e politici a catena devastanti.
    Il caso dell’Egitto

    Un paese particolarmente sensibile alla crisi in corso è l’Egitto, che è anche il più grande acquirente di grano al mondo con 12 milioni di tonnellate, di cui 6 acquistate direttamente dal governo di Al Si-si per soddisfare il programma di distribuzione del pane. Si tratta di un programma sociale di contenimento delle potenziali agitazioni, tensioni sociali e politiche, scontri, rivolte e migrazioni per fame che potrebbero indurre il Paese in uno stato di crisi permanente. Sarebbe, a ben osservare, un film già visto. Già con le note “Primavere arabe”, infatti, generate dal crollo della capacità di reperimento del grano nei mercati globali a causa dei mutamenti climatici che investirono direttamente le grandi economie del mondo e in particolare la Cina, Argentina, Russia e Australia, scoppiarono rivolte proprio in Egitto (e in Siria), represse nel sangue. L’Egitto, inoltre, dipende per il 61% dalla Russia e per il 23% dall’Ucraina per ciò che riguarda l’importazione del grano. Dunque, questi due soli paesi fanno insieme l’84% del grano importato dal paese dei faraoni. Nel contempo, l’Egitto fonda la sua bilancia dei pagamenti su un prezzo del prezioso cereale concordato a circa 255 dollari a tonnellata. L’aumento del prezzo sui mercati globali ha già obbligato l’Egitto ad annullare due contratti sottoscritti con la Russia, contribuendo a far salire la tensione della sua popolazione, considerando che i due terzi circa dei 103 milioni di egiziani si nutre in via quasi esclusiva di pane (chiamato aish, ossia “vita”). Secondo le dichiarazioni del governo egiziano, le riserve di grano saranno sufficienti per soddisfare i relativi bisogni per tutta l’estate in corso. Resta però una domanda: che cosa accadrà, considerando che la guerra in Ucraina è destinata ad essere ancora lunga, quando le scorte saranno terminate?

    Anche il Libano e vari altri paesi si trovano nella medesima situazione. Il paese dei cedri dipende per il 51% dal grano dalla Russia e dall’Ucraina. La Turchia di Erdogan, invece, dipende per il 100% dal grano dai due paesi coinvolti nel conflitto. Ovviamente tensioni sociali in Turchia potrebbero non solo essere pericolose per il regime di Erdogan, ma per la sua intera area di influenza, ormai allargatasi alla Libia, Siria, al Medio Oriente, ad alcuni paesi africani e soprattutto all’Europa che ha fatto di essa la porta di accesso “sbarrata” dei profughi in fuga dai loro paesi di origine.
    Anche l’Europa coinvolta nella guerra del grano

    Sono numerosi, dunque, i paesi che stanno cercando nuovi produttori di cereali cui fare riferimento. Tra le aree alle quali molti stanno guardando c’è proprio l’Unione europea che, non a caso, il 21 marzo scorso, ha deciso di derogare temporaneamente a una delle disposizioni della Pac (Politica Agricola Comune) che prevedeva di mettere a riposo il 4% dei terreni agricoli. Ovviamente, questa decisione è in funzione produttivistica e inseribile in uno scacchiere geopolitico mondiale di straordinaria delicatezza. Il problema di questa azione di messa a coltura di terreni che dovevano restare a riposo, mette in luce una delle contraddizioni più gravi della stessa Pac. Per anni, infatti, sono stati messi a riposo, o fatti risultare tali, terreni non coltivabili. In questo modo venivano messi a coltura terreni produttivi e fatti risultare a riposo quelli non produttivi. Ora, la deroga a questa azione non può produrre grandi vantaggi, in ragione del fatto che i terreni coltivabili in deroga restano non coltivabili di fatto e dunque poco o per nulla incideranno sull’aumento di produzione del grano. Se il conflitto ucraino dovesse continuare e l’Europa mancare l’obiettivo di aumentare la propria produzione di grano per calmierare i prezzi interni e nel contempo soddisfare parte della domanda a livello mondiale, si potrebbe decidere di diminuire le proprie esportazioni per aumentare le scorte. Le conseguenze sarebbero, in questo caso, dirette su molti paesi che storicamente acquistano grano europeo. Tra questi, in particolare, il Marocco e l’Algeria. Quest’ultimo paese, ad esempio, consuma ogni anno circa 11 milioni di tonnellate di grano, di cui il 60% importato direttamente dalla Francia. A causa delle tensioni politiche che nel corso degli ultimi tre anni si sono sviluppate tra Algeria e Francia, il paese Nord-africano ha cercato altre fonti di approvvigionamento, individuandole nell’Ucraina e nella Russia. Una scelta poco oculata, peraltro effettuata abbassando gli standard di qualità del grano, inferiori rispetto a quello francese.
    L’India può fare la differenza?

    Un nuovo attore mondiale sta però facendo il suo ingresso in modo prepotente. Si tratta dell’India, un paese che da solo produce il 14% circa del grano mondiale, ossia circa 90 milioni di tonnellate di grano. Questi numeri consentono al subcontinente indiano di piazzarsi al secondo posto come produttore mondiale dopo la Cina, che ne produce invece 130 milioni. L’India del Presidente Modhi ha usato gran parte della sua produzione per il mercato interno, anch’esso particolarmente sensibile alle oscillazione dei prezzi del bene essenziale. Nel contempo, grazie a una produzione che, secondo Nuova Delhi e la Fao, è superiore alle attese, sta pensando di vendere grano a prezzi vantaggiosi sul mercato globale. Sotto questo profilo già alcuni paesi hanno mostrato interesse. Tra questi, ad esempio, Iran, Indonesia, Tunisia e Nigeria. Anche l’Egitto ha iniziato ad acquistare grano dall’India, nonostante non sia di eccellente qualità per via dell’uso intensivo di pesticidi. Il protagonismo dell’India in questa direzione, ha fatto alzare la tensione con gli Stati Uniti. I membri del Congresso statunitense, infatti, hanno più volte sollevato interrogativi e critiche rispetto alle pratiche di sostegno economico, lesive, a loro dire, della libera concorrenza internazionale, che Nuova Delhi riconosce da anni ai suoi agricoltori, tanto da aver chiesto l’avvio di una procedura di infrazione presso l’Organizzazione mondiale per il Commercio (Omc). Insomma, le tensioni determinate dal conflitto in corso si intersecano e toccano aspetti e interessi plurimi, e tutti di straordinaria rilevanza per la tenuta degli equilibri politici e sociali globali.

    https://www.leurispes.it/grano-una-guerra-globale

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    • Après trois heures de voyage depuis Fort-Dauphin à travers les monts Anosy sur une piste cabossée faisant office de route nationale, le Grand Sud malgache apparaît, immense et isolé. Brutalement vert après deux longues années de sécheresse. En redescendant vers le plateau du Mandrare défilent champs de maïs et de mil, bordés de haies de cactus aux épaisses feuilles hérissées d’épines. Des enfants jouent dans des flaques disputées à de nonchalants zébus.

      Il a suffi de quelques jours consécutifs de pluies, mi-janvier, puis des averses apportées dans le sillage du cyclone Batsiraï début février, pour que la vie reprenne à nouveau sa place. Là où elle semblait condamnée.

      La route trace, cap à l’ouest, traverse Amboasary, gros bourg au débouché de vastes plantations de sisal, puis rejoint Ambovombe, capitale de la région de l’Androy et centre humanitaire où sont installés les bureaux régionaux des agences onusiennes et des ONG d’urgence chargées d’assurer les distributions de vivres jusqu’à la fin de la période de soudure et l’arrivée des récoltes. Le pire a été évité. « Nous avons mis le paquet pour qu’une crise alimentaire très sévère ne dégénère pas. Et jusqu’à présent, grâce à l’augmentation des rations dans les zones les plus critiques, nous considérons que nous avons réussi », assure Jean-Benoît Manhes, représentant adjoint de l’Unicef.

      Dans les trois provinces d’Androy, d’Anosy et d’Atsimo-Andrefana, qui composent le Grand Sud malgache – cette région semi-aride, abandonnée depuis des décennies aux cycles récurrents des sécheresses et de la faim, le « kéré » dans le dialecte local –, environ 1,4 million de personnes – soit près de 40 % de la population − ont toujours besoin d’assistance.

      Vulnérabilité

      Ce chiffre reste aussi important qu’en mai 2021, lorsque les indicateurs s’étaient soudainement assombris avec l’annonce de 28 000 personnes menacées de famine. Quelques semaines plus tard, le directeur exécutif du Programme alimentaire mondial (PAM), David Beasley, y avait vu, depuis Ambovombe, la « première famine climatique », fustigeant l’injustice imposée à un pays « qui n’a en rien contribué au réchauffement, mais qui en paie aujourd’hui le prix » . La formule avait fait mouche, reprise en boucle par les médias du monde entier. Jusqu’à être récupérée en novembre 2021 à la tribune de la 26e conférence des Nations unies sur le climat par le président malgache, Andry Rajoelina, pour exhorter les pays pollueurs à financer des mesures d’adaptation au nom de ses « compatriotes [qui] endurent le tribut d’une crise climatique à laquelle ils n’ont pas participé » .

      A la terrasse du Taliako, où se retrouvent les expatriés après leur journée sur le terrain, un employé du PAM, familier des théâtres humanitaires, ne peut garder ce qu’il a sur le cœur : « C’est la plus grande opération de marketing que j’aie vue depuis longtemps pour lever des fonds. Il y a des mots qu’il faut manier avec prudence », lâche-t-il en s’interrogeant sur l’ignorance réelle ou feinte de son patron, ex-gouverneur républicain de Caroline du Sud et proche de Donald Trump, nommé à la tête de l’institution en 2017.

      Les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) anticipent une diminution des précipitations et une multiplication des épisodes de sécheresse en Afrique australe d’ici à la fin du siècle. Une plus grande irrégularité des pluies et la multiplication des événements extrêmes y sont déjà des phénomènes observés.

      Mais, selon une étude publiée en décembre 2021 par l’initiative World Weather Attribution, le dérèglement climatique ne peut être rendu directement responsable de la sécheresse exceptionnelle enregistrée depuis 2019 dans le sud de la Grande Ile de l’océan Indien. Cette équipe scientifique internationale qui travaille sur les liens entre les événements climatiques extrêmes et le réchauffement estime que le déficit pluviométrique de 40 % par rapport à la normale, subi au cours des deux dernières années, ne s’est produit qu’une fois en cent trente-cinq ans. Trop peu, selon eux, pour conclure autrement qu’à « une manifestation de la variation naturelle du climat » . Ils rappellent en revanche la vulnérabilité d’une population rurale dont plus de 90 % vivent dans l’extrême pauvreté.

      Région laissée pour compte

      Depuis la première crise documentée pendant la période coloniale, en 1895, une quinzaine de kéré ont été recensés sans que les multiples promesses de plans de développement n’aient permis de changer le destin d’une région laissée pour compte, plus que les autres, par le pouvoir central. Trente ans après la famine de 1990, dont la gravité avait provoqué un sursaut de mobilisation, tout apparaît − ou presque − à recommencer.

      A Ambovombe, comme si l’urgence humanitaire était devenue une fatalité, le PAM s’est installé dans les locaux de l’ancien Commissariat général pour le développement intégré du Sud, institution défunte parmi d’autres.

      Il n’y a toujours pas de routes asphaltées. Pour se procurer de l’eau, les villageois doivent parcourir des distances qui peuvent se compter en dizaines de kilomètres. Dans le meilleur des cas, en charrette à zébu, et souvent, pour les femmes qui en ont la charge, à pied, un bidon sur la tête. Même le précieux périmètre irrigué de Behara, aménagé sur les alluvions fertiles des rives du Mandrare, a été délaissé. En mai 2021, c’est de cette zone rizicole jadis prospère qu’est venue l’alerte à la famine.

      « C’est moins dur aujourd’hui. Nous avons reçu de l’aide », témoigne Alphonse Monja, chef de l’un des fokontany (division administrative) de la commune, devant la file des ménages venus recevoir leur distribution mensuelle de vivres. Près d’un tiers d’entre eux bénéficie également d’une allocation monétaire financée par la Banque mondiale. Il préférerait cependant que soit réparé le canal d’irrigation qui lui permettait d’arroser son champ : « De nombreux experts sont venus. Ils ont fait des études puis je ne les ai jamais revus. Le canal est cassé depuis trente ans. Comment pouvons-nous assurer des récoltes avec des pluies de plus en plus irrégulières ? »

      Village après village, l’histoire se répète. Derrière son petit bureau en Formica, Fenolily, maire d’Ambazoa, énumère sans peine la liste des projets reçus par sa commune. Celle-ci, à moins d’une heure d’Ambovombe et proche de l’océan, présente les maux propres au Sud, avec ses paysages déboisés, ses vents forts qui érodent les sols, l’absence de sources d’eau et une population qui ne cesse de croître.

      Il n’est pas question pour l’élu de se plaindre des pirogues reçues pour s’initier à la pêche, même si l’activité a longtemps été considérée comme celle des parias, ni de l’introduction de semences plus résistantes à la sécheresse ou de la « formation en vie associative » dispensée aux agriculteurs. Mais il s’interroge : « On ne nous demande jamais de quoi nous avons besoin, des projets arrivent un beau jour de l’extérieur, durent quelques années, et puis on passe à autre chose. »

      « Une rente éphémère qu’il faut capter »

      A la sortie du village composé de petites cases en bois ou en tôles qui éblouissent sous le soleil, un bâtiment en ciment peint en blanc abrite une « unité de transformation de cactus » censée produire « un complément alimentaire pour les petits ruminants », porté par le Programme des Nations unies pour le développement. Il n’a jamais servi. Personne ici n’aurait l’idée ni les moyens de payer pour de la farine de cactus dont les animaux sont nourris gratuitement après avoir brûlé les épines.

      La chambre froide offerte pour faciliter le stockage des poissons est également à l’arrêt : pas d’argent pour le carburant qui permettrait de la faire tourner. La coopération allemande envisagerait de la doter de panneaux à énergie solaire.

      Au fil des ans, les populations, qui n’ont jamais attendu beaucoup de l’Etat, ont aussi perdu l’espoir que l’aide extérieure puisse transformer leur vie. « Elle n’est plus perçue que comme une rente éphémère qu’il faut capter, constate un économiste malgache fin connaisseur de la région. Chaque village possède sa stratégie. Mais l’argent est loin de toujours aller à ceux qui en ont le plus besoin et, finalement, le système censé secourir les plus fragiles a plutôt tendance à conforter les inégalités » , affirme-t-il, conscient du malaise suscité par ses propos.

      A côté des critères de « vulnérabilité » retenus par les agences pour établir les listes officielles des bénéficiaires de vivres ou de dons monétaires − et souvent perçus comme peu lisibles par les villageois − prévalent d’autres règles. Fixées cette fois au sein des communautés, par les individus qui ont du pouvoir sur le reste du groupe : chefs de lignage, riche usurier, etc. « Quand le PAM ou les ONG ont terminé leurs distributions officielles, chacun doit redonner ce qu’il a reçu et un nouveau partage est réalisé. Ce n’est pas un secret. Mais personne n’ira l’ébruiter, pour éviter les représailles », poursuit-il.

      « L’aide nous tue aussi à petit feu »

      Au marché hebdomadaire de Sampona, Nirina (elle n’a donné que son prénom) semble ignorer ces arrangements. Assise par terre, devant un carré de tissu sur lequel sont disposés des petits tas de figues, la jeune mère de cinq enfants sait seulement que « son nom a été effacé de l’ordinateur et qu’elle n’a jamais reçu d’aide » . Son village se trouve à quatre heures de marche. Les cactus restent sa seule nourriture, avec les quelques vivres qu’elle pourra s’acheter si la vente est bonne.

      Face à la « plus grave sécheresse depuis quarante ans », l’heure est à nouveau à un grand plan pour le Sud. Le président Rajoelina a organisé en juin 2021, à Fort-Dauphin, une conférence pour « l’émergence », dont il est ressorti une liste de projets plus ou moins ambitieux qu’il reste encore à financer.

      De son côté, la Banque mondiale a annoncé une enveloppe de 200 millions de dollars (182 millions d’euros) pour un programme baptisé Mionjo, ce qui signifie « se lever » en langue antandroy. « Depuis toutes ces années, des milliards de dollars ont été dépensés pour le Sud. Nous pouvons déplorer le manque de volonté politique des gouvernements successifs, mais nous devons aussi faire notre autocritique », soupire un bailleur.

      A Ambovombe, le jeune gouverneur de l’Androy n’attend que cela : « Cette région est qualifiée de manière infamante de cimetière de projets. Cela nous fait honte, mais que chacun prenne sa part. Nous ne sommes pas les seuls responsables de la pauvreté ici, blâme Lahimaro Soja, juriste de formation et originaire de la région. L’aide humanitaire sauve des vies lorsque frappe le kéré, mais elle nous tue aussi à petit feu. La population a fini par croire que c’est un droit, au point d’en devenir dépendante. Rien n’est facile dans le sud de Madagascar, mais nos enfants méritent un autre avenir. »

      Par Laurence Caramel (Ambovombe, Madagascar, envoyée spéciale)

      #Madagascar #kéré #sécheresse #famine #alimentation #aide_alimentaire #pauvreté

  • Le #Nigeria vide les camps de déplacés de #Maiduguri

    Ces réfugiés avaient fui les exactions de #Boko_Haram, mais le gouverneur de l’Etat de #Borno les presse aujourd’hui de revenir sur leurs terres, malgré le risque humanitaire et la présence du groupe #Etat_islamique en Afrique de l’Ouest.

    Un silence de plomb est tombé sur le camp de déplacés de #Bakassi. Il ne reste presque rien de ce gros village de fortune qui abritait, il y a encore quelques semaines, plus de 41 800 déplacés, à la sortie de la grande ville de Maiduguri, chef-lieu de l’Etat de Borno, dans le nord-est du Nigeria. Les tentes et les abris de tôle ont disparu, la clinique a fermé ses portes et les enclos de terre se sont vidés de leurs bêtes.

    Pendant sept ans, des dizaines de communautés fuyant les exactions des djihadistes de Boko Haram se sont réfugiées sur ce terrain, initialement occupé par des logements de fonction, aujourd’hui à l’abandon. Mais, le 19 novembre, les déplacés de Bakassi ont été réveillés au beau milieu de la nuit par une délégation officielle, venue leur annoncer qu’ils avaient onze jours pour plier bagage et reprendre le chemin de leurs champs.

    Dans les heures qui ont suivi, #Babagana_Zulum, le gouverneur de l’Etat de Borno, a supervisé en personne l’attribution d’une #aide_alimentaire et financière à chaque chef de famille présent : 100 000 nairas (215 euros) ont été versés pour les hommes et 50 000 nairas (107 euros) pour les femmes, ainsi qu’un sac de riz de 25 kilos, un carton de nouilles et cinq litres d’huile de friture. Une aide censée leur permettre de tenir trois mois, le temps de reprendre la culture de leurs terres ou de trouver un autre lieu de vie, à Maiduguri ou à proximité de leur terre d’origine.

    Le #plan_de_développement établi par les autorités indique qu’au moins 50 % des déplacés de l’Etat de Borno devront avoir quitté les camps d’ici à l’année prochaine et que tous les camps de l’Etat devront avoir fermé leurs portes d’ici à 2026. Pour l’heure, le gouverneur a ordonné la fermeture des #camps_officiels situés autour de la ville de Maiduguri, afin de pousser les populations vers l’#autonomie_alimentaire. Quatre camps, abritant environ 86 000 personnes, ont déjà fermé ; cinq autres, accueillant plus de 140 000 personnes, doivent suivre.

    Abus subis par les réfugiés

    Le gouvernement local, qui assure qu’il « ne déplace personne de force », a justifié sa décision en pointant notamment les #abus que les réfugiés subissent dans ces espaces surpeuplés, où ils sont victimes de #violences_sexuelles et à la merci des détournements de l’aide alimentaire d’urgence. Mais les moyens déployés pour vider les camps ne sont pas à la hauteur des besoins.

    « Pendant la distribution de l’aide au départ, les autorités ont demandé à tous les hommes célibataires de s’éloigner. Beaucoup de gens de mon âge n’ont rien reçu du tout », assure Dahirou Moussa Mohammed. Ce paysan de 25 ans a passé un peu plus d’un an dans le camp après avoir fui les territoires occupés par Boko Haram, où il dit avoir été emmené de force après l’invasion de son village par les djihadistes en 2014.

    Depuis que Bakassi a fermé ses portes, Dahirou s’est installé sur une dalle de béton nu, à quelques mètres seulement du mur d’enceinte désormais surveillé par des gardes armés. « Nous avons récupéré la toile de nos tentes, les structures en bois et les tôles de la toiture, et nous les avons déplacées ici », explique le jeune homme.

    Dans un communiqué publié le 21 décembre, l’organisation Human Rights Watch regrette le manque « de consultations pour préparer les déplacés à rentrer chez eux ou pour les informer des alternatives possibles » et rappelle qu’on ignore tout du sort de 90 % des personnes ayant quitté Bakassi fin novembre. « Les déplacements multiples risquent d’accroître les besoins dans des zones où la présence humanitaire est déjà limitée. Cela est particulièrement préoccupant, compte tenu des indicateurs d’#insécurité_alimentaire dans la région », note, de son côté, la coalition d’ONG internationales Forum Nigeria.

    2,4 millions de personnes menacées par la #faim

    Selon un rapport des Nations unies datant du mois d’octobre, 2,4 millions de personnes sont menacées par la faim dans le Borno, ravagé par douze années de conflit. L’inquiétude des ONG est encore montée d’un cran avec la publication d’une lettre officielle datée du 6 décembre, interdisant expressément les #distributions_alimentaires dans les communautés récemment réinstallées.

    « La création délibérée de besoins par les humanitaires ne sera pas acceptée. (…) Laissons les gens renforcer leur #résilience », a insisté le gouverneur lors d’une réunion à huis clos avec les ONG, le 21 décembre. Il les accuse de rendre les populations dépendantes de l’#aide_humanitaire sans leur proposer de solutions de développement à long terme, afin de continuer à profiter de la crise.

    Même si le projet de fermeture des camps de Maiduguri a été évoqué à de multiples reprises par les dirigeants du Borno ces dernières années, la mise à exécution de ce plan par le gouverneur Babagana Zulum a surpris tout le monde. « Les gens ont besoin de retrouver leurs terres et on comprend bien ça, sauf que le processus actuel est extrêmement discutable », s’alarme la responsable d’une ONG internationale, qui préfère garder l’anonymat étant donné le climat de défiance qui règne actuellement dans le Borno. « On ne sait même pas comment ils vont rentrer chez eux, vu la dangerosité du voyage, et nous n’avons aucun moyen de les accompagner », regrette-t-elle.

    « Il faut que le gouvernement local reconnaisse que la situation sécuritaire ne permet pas ces retours, pour l’instant. Dans le contexte actuel, j’ai bien peur que les déplacés ne soient poussés dans les bras des insurgés », appuie un humanitaire nigérian qui travaille pour une autre organisation internationale.

    C’est par crainte des violences que Binetou Moussa a choisi de ne pas prendre le chemin du retour. « Ceux qui ont tenté de rejoindre notre village d’Agapalawa ont vite abandonné. Il n’y a plus rien là-bas et il paraît qu’on entend chaque jour des coups de feu dans la brousse. Je ne veux plus jamais revivre ça ! », justifie la vieille femme, qui garde en elle le souvenir terrifiant de sa longue fuite à pied jusqu’à Maiduguri, il y a sept ans.

    Faute d’avoir pu rejoindre leur village, beaucoup de déplacés de Bakassi ont finalement échoué à #Pulka ou #Gwoza, à plus de 100 kilomètres au sud-est de la capitale régionale. « Ils dorment dehors, sur le marché, et ils n’ont même plus assez d’argent pour revenir ici ! », gronde Binetou, en tordant ses mains décharnées. Dans ces villes secondaires sécurisées par l’armée, la menace d’une attaque demeure omniprésente au-delà des tranchées creusées à la pelleteuse pour prévenir l’intrusion de djihadistes. Une situation qui limite les perspectives agricoles des rapatriés.

    Attaques probables

    Le groupe Etat islamique en Afrique de l’Ouest (Iswap) est effectivement actif dans certaines zones de réinstallation. « L’armée contrôle bien les villes secondaires à travers tout le Borno, mais ils ne tiennent pas pour autant les campagnes, souligne Vincent Foucher, chercheur au CNRS. L’Iswap fait un travail de fond [dans certaines zones rurales] avec des patrouilles pour prélever des taxes, contrôler les gens et même rendre la justice au sein des communautés. »

    Et bien que l’organisation Etat islamique se montre plus pacifique dans ses rapports aux civils que ne l’était Abubakar Shekau – le chef historique de Boko Haram, disparu en mai 2021 au cours d’affrontements entre factions djihadistes rivales –, les risques encourus par les populations non affiliées sont bien réels. « Si on renvoie des gens dans les villes secondaires, l’#Iswap pourrait bien les attaquer », prévient Vincent Foucher. Sans oublier les civils « partis travailler dans les territoires contrôlés par l’Iswap et qui ont été victimes des bombardements de l’armée ».

    Dans un rapport publié le 15 décembre, Amnesty International évoque les attaques qui ont ciblé des personnes rapatriées au cours de l’année 2021 à Agiri, New Marte et Shuwari. L’ONG ajoute que « certains ont été forcés [par les militaires] à rester dans les zones de réinstallation, malgré l’escalade de la violence ». D’un point de vue politique, la fermeture des camps serait un moyen de reconquérir des territoires et même de tenter de mettre un point final à un conflit de douze années. Même si cela revient, selon les termes de Vincent Foucher, à « laisser des gens avec peu de mobilité, encerclés par les djihadistes et forcés de cohabiter avec une armée sous pression ».

    https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/12/30/au-nigeria-la-fermeture-des-camps-de-deplaces-jette-des-milliers-de-personne

    #réfugiés #déplacés_internes #migrations #camps_de_réfugiés #fermeture #renvois #retour_au_pays (tag que j’utilise pour les réfugiés et pas les déplacés internes, en général, mais ça permettra de retrouver l’article, si besoin)

  • Ils ne voulaient plus aider les sans papiers : démission collective des bénévoles aux Restos du cœur de Fréjus - Var-Matin
    https://www.varmatin.com/humanitaire/ils-ne-voulaient-plus-aider-les-sans-papiers-demission-collective-des-bene

    Depuis quelques mois, des bénévoles des Restos du cœur ne souhaitaient plus se conformer à la charte qui stipule qu’ils doivent accueillir tous les bénéficiaires « sans discrimination et sans sélection ».

    #je_veux_aller_sur_Uranus

  • À #Roubaix, cinq fois plus de bénéficiaires de l’#aide_alimentaire au #Secours_populaire  ?

    Dans la ville aux mille cheminées, la #crise_sanitaire liée au #Covid-19 aurait fait exploser le recours des habitants à l’aide alimentaire - c’est ce qu’affirme un médecin généraliste roubaisien sur Twitter. Mediacités a vérifié le chiffre avancé.

    (#paywall)

    https://www.mediacites.fr/verifie-pour-vous/lille/2021/09/28/a-roubaix-cinq-fois-plus-de-beneficiaires-de-laide-alimentaire-au-secours-populaire%e2%80%af/?mc_cid=69d730af7e&mc_eid=623bab7b87
    #pauvreté #alimentation