• Les origines néolibérales de l’antiglobalisme

    « Globalistes » contre « Nationalistes », cette nouvelle ligne de fracture politique masque la vérité : les nationalistes populistes cherchent moins à défendre un modèle social qu’à s’affranchir des contraintes internationales imposés par les règles du #libre-échange. Leur but est en réalité d’aller vers plus de #capitalisme, et de contester le droit des nations non-blanches à intégrer équitablement le jeu du libre-échange mondial.

    Depuis que Trump a installé le conflit entre les « nationalistes » et les « globalistes » comme l’antagonisme politique central, il a été repris en chœur par tous les « populistes » sans exception, de Farage à Orban en passant par Salvini et Bolsonaro. Marine Le Pen a ainsi déclaré dans un récent entretien accordé à Breitbart (le média auparavant dirigé par Bannon) : « Le globalisme est un esprit post-national […] Il porte en lui l’idée que les #frontières doivent disparaître, y compris les protections que ces frontières apportent habituellement à une #nation. Elle repose sur l’idée que ce sont les #marchés tout puissants qui décident de tout. Ce concept de globalisme est poussé par des technocrates qui ne sont jamais élus et qui sont les personnes typiques qui dirigent les choses à Bruxelles dans l’Union européenne. Les gens qui croient aux nations – les nationalistes – c’est exactement le contraire. Ils croient que les nations sont le moyen le plus efficace de protéger la #sécurité, la #prospérité et l’#identité nationales pour s’assurer que les gens prospéreront dans ces nations. »

    À l’intérieur de cette opposition, le « nationalisme » est implicitement compris comme la défense des populations attaquées par la #globalisation_économique, le retour de la #souveraineté de l’#Etat-nation et le « #protectionnisme ». Dans un entretien accordé l’an passé au Figaro, #Emmanuel_Todd estimait qu’un renversement était en train de se produire, aux États-Unis avec le protectionnisme de #Trump : « Une génération avait mis à bas, avec le néolibéralisme de Reagan, la société qu’avait instaurée l’#Etat-providence rooseveltien ; une nouvelle génération d’Américains est en train de balayer aujourd’hui le modèle des années 1980 » ; et au #Royaume-Uni, avec le #Brexit où, alors que « Thatcher était une figure du néolibéralisme aussi importante que Reagan, […] notre plus grande surprise a été de voir la #droite conservatrice assumer le Brexit et discuter à présent ses modalités, et même s’engager à tâtons dans un #conservatisme de “gauche” ».

    Mais la rupture produite par les populistes va-t-elle effectivement dans le sens annoncé par Todd, d’une limitation du #libre-échange, d’un recul du néolibéralisme et d’un #conservatisme_social ? Rien n’est moins sûr dès que l’on s’intéresse à la provenance de ce #nationalisme_anti-globaliste.

    De Thatcher au Brexit : nations souveraines et #libre_entreprise

    Avant d’être soutenu par une partie des ouvriers britanniques déclassés, le Brexit trouve ses origines dans l’#euroscepticisme du Parti conservateur britannique dont la figure de proue a été… #Thatcher. C’est son célèbre discours devant le Collège de l’Europe à Bruges en septembre 1988 qui a fait émerger le think-tank du « Groupes de Bruges » réunissant des Tories eurosceptiques dont #Alan_Sked et #Nigel_Farage, et dont bientôt sortirait le #UKIP conduisant le Royaume-Uni au Brexit. Thatcher tançait dans son discours le « super-État européen exerçant une nouvelle domination depuis Bruxelles », elle opposait l’Europe existante de la #communauté_économique_européenne, celle de la #bureaucratie, du #centralisme et du #protectionnisme à l’#Europe de la #libre-entreprise, du #libre-échange et de la #déréglementation qu’elle appelait de ses vœux.

    Il fallait surtout en finir avec le protectionnisme à l’égard du monde extra-européen de façon à réconcilier les nations européennes avec les « marchés réellement globaux ». La critique de l’Europe ne portait cependant pas seulement sur les contraintes pesant sur la #libre_entreprise, la recherche d’une identité européenne transcendante faisait aussi courir le risque d’une disparition des #identités_nationales avec leurs coutumes et leurs traditions. Contre ce « méga-État artificiel », il fallait concevoir l’Europe comme une « famille de nations ».

    Le libre-échange d’une part et le nationalisme d’autre part que Thatcher opposait à la bureaucratie régulatrice de Bruxelles, n’étaient du reste pas séparés, mais bien d’un seul tenant : « Je n’eus d’autre choix, affirme-t-elle dans ses mémoires, que de brandir le drapeau de la #souveraineté_nationale, de la #liberté_du_commerce et de la #liberté_d’entreprise – et de combattre ». On se situe donc à mille lieux d’un nationalisme qui chercherait à s’établir en rempart contre la #mondialisation économique et le libre-échange : c’est au contraire la récupération de la #souveraineté_nationale qui, en s’affranchissant des contraintes supranationales européennes, doit permettre aux peuples de se réconcilier avec le libre-échange mondialisé.

    Or cette position nationale-néolibérale, qui veut faire de la nation britannique l’actrice directe de son inscription dans la #mondialisation_économique, est celle de tous les principaux brexiters, Farage en tête, mais aussi de tous les défenseurs d’un « hard brexit » parmi l’establishment Tory, de #Boris_Johnson à #Jacob_Ress-Mogg en passant par #Steven_Baker et #Dominic_Rabb. Au deuxième semestre 2018, une enquête de Greenpeace a révélé que #David_Davis, l’ancien secrétaire au Brexit de #Theresa_May, #Owen_Paterson, l’ancien secrétaire à l’agriculture et à l’environnement de David Cameron, et #Shanker_Singham, un expert commercial de l’Institute of Economic Affairs, s’étaient rendus en Oklahoma au cours d’un voyage financé par le lobby agro-industriel américain pour préparer avec des membres de l’administration Trump un accord commercial bilatéral post-Brexit, prévoyant notamment l’importation en Angleterre de #poulet lavé au chlore et de #bœuf aux hormones.

    Paterson, en déplorant qu’un tel accord soit impossible dans le cadre actuel des réglementations de l’Union européenne, a tweeté qu’il était essentiel que « le Royaume-Uni ait le contrôle de ses tarifs et de son cadre réglementaire ». C’est peu de dire qu’on est loin du « #conservatisme_de_gauche » … Au contraire, comme l’avait anticipé Thatcher, la récupération de la souveraineté nationale face à l’#Union_européenne est le moyen de plus de #déréglementation et de libre-échange.

    Anti-globalisme et libre-échangisme mondialisé chez #Rothbard

    Qu’en est-il aux États-Unis ? « La génération qui est en train de balayer le modèle des années 1980 » est-elle, à la différence du Royaume-Uni, en rupture avec le néolibéralisme de Reagan ? La droite radicale qui a contesté l’héritage de Reagan pour finalement aboutir à l’élection de Donald Trump s’est construite au tournant des années 1990 dans les marges du Parti républicain. Réunissant des « paléo-libertariens » autour de #Murray_Rothbard et #Lew_Rockwell et des « paléo-conservateurs » autour de Patrick Buchanan, ce mouvement s’appelait « paléo » parce qu’il revendiquait un retour à la #Droite_originaire (#Old_Right) du Parti républicain entre les années 1930 et 1950 qui défendait l’#isolationnisme et les intérêts de la nation américaine (#America_First) contre l’#interventionnisme_militaire, mais aussi la #liberté_individuelle, le gouvernement minimal et la propriété privée contre le #New_Deal et le #Welfare_state. Il s’était formé pour contester la prise du pouvoir sous #Reagan puis l’hégémonie sous Bush des néoconservateurs et leur imposition du #Nouvel_ordre_mondial. Leur critique s’est incarnée dans les campagnes des primaires républicaines de #Buchanan en 1992 et 1996.

    Ce que ciblaient les paléo dans le Nouvel ordre mondial, c’était un super-étatisme internationaliste, un système mondial de Welfare-warfare state, où l’importation de la « démocratie globale » partout dans le monde par l’interventionnisme américain sous l’égide de l’ONU se conjuguait à un gouvernement économique mondial de type keynésien. Les termes de « globalisme » et de globaloney étaient utilisés notamment par Rothbard au début des années 1990 pour décrier ce système et ils étaient empruntés au vocabulaire de la Old Right pour qui ils désignaient déjà ce complexe internationaliste de l’interventionnisme extérieur onusien et de la perspective d’un New Deal global que ses membres critiquaient dans les politiques de Franklin Roosevelt et Harry Truman.

    Rothbard puisait notamment son inspiration chez un historien révisionniste de la Seconde Guerre mondiale dont il avait été proche, Harry Elmer Barnes. De plus, dans les années 1970, alors que la Guerre du Vietnam était encore en cours, des anti-impérialistes avec qui il collaborait avaient déjà remis au goût du jour la critique du globalisme. Lorsque la globalisation économique se concrétisa dans la première moitié des années 1990 avec l’Alena puis la création de l’OMC, ces nouveaux éléments devinrent partie intégrante de sa critique et les nouvelles cibles de l’attaque contre le « globalisme ». Rothbard dénonçait l’Alena comme du « commerce bureaucratique réglementé » conçu par « un sinistre Establishment centriste dont le dévouement à la liberté et au libre-échange s’apparente à celui de Leonid Brejnev ». L’Alena entraînait en particulier une harmonisation des législations vers le haut qui allait contraindre les entreprises américaines à se soumettre aux normes environnementales et au droit du travail contraignants des législations canadiennes et mexicaines contrôlées par des syndicalistes et des socialistes.

    Tout ce « mercantilisme » ne signifiait rien d’autre selon lui que la spoliation que les élites politiques mondiales opéraient sur le libre-échange véritable au détriment de la masse des gens qui ne pouvaient en jouir directement. Il alertait sur la perte de souveraineté que représentait l’Alena qu’il comparait au « super-étatisme de la Communauté européenne » car cet accord imposait la mise sur pied d’« institutions d’un super-gouvernement internationaliste arrachant la prise de décision des mains des Américains ». Face à cette « politique globaliste » (globalist policy), une « nouvelle coalition populiste » et « un nouveau nationalisme américain » devaient être définis : il fallait abroger l’Alena, se retirer de toutes les agences gouvernementales supranationales (ONU, OIT, UNESCO, etc.), stopper l’aide au développement et durcir les conditions d’immigration qui provoquaient l’élargissement de l’État social, au nom d’authentiques marchés libres.

    Comme chez Thatcher, on est à l’opposé d’une critique du libre-échange ; le nationalisme est au contraire là aussi un moyen de sauver le libre-échange mondialisé qui est confisqué par les institutions supranationales bureaucratiques et socialisantes – en un mot « globalistes ».

    Lorsque les populistes s’attaquent au « globalisme », ils emboîtent le pas d’une critique qui ne visait pas à l’origine la mondialisation des échanges de biens et de services, mais au contraire le super-étatisme des élites politiques mondiales qui parasitent le fonctionnement du libre-échange mondialisé. Une distinction conceptuelle s’impose donc entre le « globalisme » et le « mondialisme », puisque dans les cas des héritages de Thatcher ou de Rothbard, l’anti-globalisme va de pair avec un mondialisme libre-échangiste absolument revendiqué.
    Anti-globalisme et hiérarchie des nations de Buchanan à Trump

    Aux États-Unis, après la seconde campagne de Buchanan pour les primaires républicaines de 1996, les premiers doutes des libertariens ont cependant laissé place à la rupture avec les paléo-conservateurs autour de la question du protectionnisme et des barrières tarifaires. La rupture fut définitivement consommée en 1998 avec la publication du livre de Buchanan The Great Betrayal. How American Sovereignty and Social Justice Are Being Sacrified to the Gods of the Global Economy. C’est dans ce livre que Buchanan affirme son attachement au « nationalisme économique » et qu’il fait du « conflit » entre les « nationalistes » et les « globalistes » le « nouveau conflit de l’époque qui succède à la Guerre froide »[1], définissant la ligne que reprendront littéralement Bannon et Trump. Soutenant le protectionnisme industriel, il déplace le contenu de l’anti-globalisme dans le sens de la défense des intérêts économiques nationaux contre la mondialisation du libre-échange.

    Cependant, l’opposition simple entre le nationalisme économique à base de protectionnisme industriel et le libre-échange illimité mérite d’être approfondie. D’abord, Buchanan est toujours resté un adversaire résolu de l’État-providence et The Great Betrayal est surtout une défense de l’économie américaine pré-New Deal où l’existence de barrières tarifaires aux importations a coïncidé avec une période de croissance. Pour autant, cette période a été marquée par de fortes inégalités économiques et sociales.

    Ensuite, dans le cas de Trump, l’usage qu’il fait du protectionnisme est pour le moins pragmatique et ne relève pas d’une position de principe. Lorsqu’il a baissé drastiquement fin 2017 l’impôt sur les sociétés, il a montré que sa défense de l’emploi américain ne convergeait pas nécessairement avec la « justice sociale ». Ciblant certaines industries correspondant à son électorat comme l’automobile, il se sert surtout des barrières tarifaires aux importations comme d’une arme parfois purement psychologique et virtuelle, parfois effective mais temporaire, dans une guerre commerciale qui peut aboutir à davantage de libre-échange.

    Dans l’USMCA (United States-Mexico-Canada Agreement), l’accord de l’Alena renégocié, si 75% des composants d’une automobile devront être fabriqués aux États-Unis pour qu’elle soit exemptée de barrières douanières (contre 62, 5% avec l’Alena), en revanche le marché laitier canadien sera davantage ouvert aux fermiers américains, tandis que Trump a récemment supprimé les barrières aux importations d’acier et d’aluminium venant du Mexique et du Canada, pour inciter ces pays à ratifier l’USMCA. S’il continue de se servir des droits de douane punitifs dans la guerre commerciale avec la Chine, il a recherché davantage de libre-échange avec l’Union européenne.

    Enfin, lorsque des journalistes demandèrent à Buchanan de quel économiste il s’inspirait, il répondit qu’il s’agissait de Wilhelm Röpke[2], l’un des principaux fondateurs de l’ordo-libéralisme, la forme prise par le néolibéralisme en Allemagne qui inspira la politique économique de Ludwig Erhardt sous Adenauer. Or Röpke n’était pas un thuriféraire, mais bien au contraire un opposant farouche au « nationalisme économique » et au « protectionnisme » qui représentait des fléaux pour l’ordre économique international qu’il cherchait à construire[3]. Cependant, il estimait que le libre-échange mondial ne pouvait intégrer les nations postcoloniales, car il n’avait été possible avant la première guerre mondiale que parmi le cercle des nations occidentales partageant un même ordre de valeurs culturelles et religieuses.

    Cette insistance sur des conditions extra-économiques morales et spirituelles au développement économique fait qu’il revendique une « troisième voie » appelée « économie humaine » entre le libre-échange purement fondé sur la concurrence et la social-démocratie. En cohérence avec cette « économie humaine », il s’engagea publiquement en faveur du maintien de l’apartheid en Afrique du Sud parce que les Noirs sud-africains se situaient « à un niveau de développement qui excluaient la véritable intégration spirituelle et politique avec les Blancs hautement civilisés »[4].

    Son nationalisme n’était finalement pas dirigé contre le libre-échange, mais pour un ordre hiérarchique international fondé sur des conditions de développement économiques différenciées, ne laissant pas aux nations non blanches les moyens d’intégrer le libre-échange mondial. Lorsque Buchanan tempête contre l’immigration et la reconquista économique mexicaine menaçant la culture américaine, il se situe effectivement dans le sillage de la position nationale-néolibérale de Röpke. Dans un débat télévisé en vue des élections européennes de 2019, Marine Le Pen promettait elle aussi, du reste, d’opposer au « capitalisme sauvage » une « économie humaine ».

    Lorsque des universitaires ou des commentateurs, y compris à gauche, insistent sur les aspects économiques positifs pour les populations, du nationalisme anti-globaliste, ils se méprennent absolument sur les origines comme sur les politiques menées par les populistes nationalistes. Ceux-ci revendiquent la récupération de la souveraineté nationale et critiquent les règles transnationales de la globalisation économique, non pour protéger leur modèle social et le droit du travail de leur population, mais pour s’affranchir de ce qui resterait en elles de contraintes environnementales ou sociales, et s’en servir comme tremplin vers plus de capitalisme et de libre-échange, ou pour contester le droit des nations non-blanches à intégrer équitablement le jeu du libre-échange mondial. Dans cette bataille, ce sont les national-néolibéraux qui affrontent les globalistes néolibéraux, dans une course qui pousse le monde dans une direction toujours plus mortifère, et ne comporte pas le moindre aspect positif.

    https://aoc.media/analyse/2019/10/28/les-origines-neoliberales-de-lantiglobalisme

    #nationalisme #globalisme #anti-globalisme #néolibéralisme #néo-libéralisme #populisme #discours_de_Bruges #industrie_agro-alimentaire #boeuf

    ping @karine4

  • Quoi qu’il en soit, Trump ne quittera pas la Syrie et l’Afghanistan Stephen Gowans - 2 Janvier 2019 - Investigaction
    https://www.investigaction.net/fr/117672

    Il ne fait que transférer le fardeau sur les alliés et compter davantage sur les mercenaires

    Le retrait annoncé des troupes américaines de #Syrie et la diminution des troupes d’occupation en #Afghanistan ne correspondent très probablement pas à l’abandon par les #États-Unis de leurs objectifs au #Moyen-Orient, mais bien plutôt à l’adoption de nouveaux moyens pour atteindre les buts que la politique étrangère américaine vise depuis longtemps. Plutôt que de renoncer à l’objectif américain de dominer les mondes arabe et musulman par un système colonialiste et une occupation militaire directe, le président #Donald_Trump ne fait que mettre en œuvre une nouvelle politique – une politique basée sur un transfert plus important du fardeau du maintien de l’#Empire sur ses alliés et sur des soldats privés financés par les monarchies pétrolières.

    Le modus operandi de Trump en matière de relations étrangères a été constamment guidé par l’argument que les alliés des États-Unis ne parviennent pas à peser leur poids et devraient contribuer davantage à l’architecture de la sécurité américaine. Recruter des alliés arabes pour remplacer les troupes américaines en Syrie et déployer des #mercenaires (appelés par euphémisme des fournisseurs de sécurité) sont deux options que la Maison-Blanche examine activement depuis l’année dernière. De plus, il existe déjà une importante présence alliée et mercenaire en Afghanistan et le retrait prévu de 7000 soldats américains de ce pays ne réduira que marginalement l’empreinte militaire occidentale.

    Le conflit entre le secrétaire américain à la Défense #Jim_Mattis et Trump quant à leurs visions du monde est perçu à tort comme l’expression d’opinions contradictoires sur les objectifs américains plutôt que sur la manière de les atteindre. Mattis privilégie la poursuite des buts impériaux des États-Unis par la participation significative de l’armée américaine tandis que Trump favorise la pression sur les alliés pour qu’ils assument une plus grande partie du fardeau que constitue l’entretien de l’empire américain, tout en embauchant des fournisseurs de sécurité pour combler les lacunes. Le but de Trump est de réduire la ponction de l’Empire sur les finances américaines et d’assurer sa base électorale, à qui il a promis, dans le cadre de son plan « #America_First », de ramener les soldats américains au pays.

    Fait significatif, le plan de Trump est de réduire les dépenses des activités militaires américaines à l’étranger, non pas comme fin en soi mais comme moyen de libérer des revenus pour l’investissement intérieur dans les infrastructures publiques. De son point de vue, les dépenses pour la république devraient avoir la priorité sur les dépenses pour l’#Empire. « Nous avons [dépensé] 7 mille milliards de dollars au Moyen-Orient », s’est plaint le président américain auprès des membres de son administration. « Nous ne pouvons même pas réunir mille milliards de dollars pour l’infrastructure domestique. »[1] Plus tôt, à la veille de l’élection de 2016, Trump se plaignait que Washington avait « gaspillé 6 trillions de dollars en guerres au Moyen-Orient – nous aurions pu reconstruire deux fois notre pays – qui n’ont produit que plus de terrorisme, plus de mort et plus de souffrance – imaginez si cet argent avait été dépensé dans le pays. […] Nous avons dépensé 6 trillions de dollars, perdu des milliers de vies. On pourrait dire des centaines de milliers de vies, parce qu’il faut aussi regarder l’autre côté. » [2]

    En avril de cette année, Trump « a exprimé son impatience croissante face au coût et à la durée de l’effort pour stabiliser la Syrie » et a parlé de l’urgence d’accélérer le retrait des troupes américaines. [3] Les membres de son administration se sont empressés « d’élaborer une stratégie de sortie qui transférerait le fardeau américain sur des partenaires régionaux ». [4]

    La conseiller à la Sécurité nationale, #John_Bolton, « a appelé Abbas Kamel, le chef par intérim des services de renseignement égyptiens pour voir si le Caire contribuerait à cet effort ». [5] Puis l’#Arabie_ saoudite, le #Qatar et les Émirats arabes unis ont été « approchés par rapport à leur soutien financier et, plus largement, pour qu’ils contribuent ». Bolton a également demandé « aux pays arabes d’envoyer des troupes ». [6] Les satellites arabes ont été mis sous pression pour « travailler avec les combattants locaux #kurdes et arabes que les Américains soutenaient » [7] – autrement dit de prendre le relais des États-Unis.

    Peu après, #Erik_Prince, le fondateur de #Blackwater USA, l’entreprise de mercenaires, a « été contactée de manière informelle par des responsables arabes sur la perspective de construire une force en Syrie ». [8] À l’été 2017, Prince – le frère de la secrétaire américaine à l’Éducation #Betsy_De_Vos – a approché la Maison Blanche sur la possibilité de retirer les forces étasuniennes d’Afghanistan et d’envoyer des mercenaires combattre à leur place. [9] Le plan serait que les monarchies pétrolières du golfe Persique paient Prince pour déployer une force mercenaire qui prendrait la relève des troupes américaines.

    En avril, Trump a annoncé : « Nous avons demandé à nos partenaires d’assumer une plus grande responsabilité dans la sécurisation de leur région d’origine. » [10] La rédaction en chef du Wall Street Journal a applaudi cette décision. Le plan de Trump, a-t-il dit, était « la meilleure stratégie » – elle mobiliserait « les opposants régionaux de l’Iran », c’est-à-dire les potentats arabes qui gouvernent à la satisfaction de Washington en vue du projet de transformer « la Syrie en un Vietnam pour l’Ayatollah ». [11]

    En ce moment, il y a 14 000 soldats américains reconnus en Afghanistan, dont la moitié, soit 7 000, seront bientôt retirés. Mais il y a aussi environ 47 000 soldats occidentaux dans le pays, y compris des troupes de l’#OTAN et des mercenaires (14 000 soldats américains, 7 000 de l’OTAN [12] et 26 000 soldats privés [13]). Diviser la contribution étasunienne de moitié laissera encore 40 000 hommes de troupes occidentales comme force d’occupation en Afghanistan. Et la réduction des forces américaines peut être réalisée facilement en engageant 7000 remplaçants mercenaires, payés par les monarques du golfe Persique. « Le retrait », a rapporté The Wall Street Journal, « pourrait ouvrir la voie à un plus grand nombre d’entrepreneurs privés pour assumer des rôles de soutien et de formation », comme le souligne « la campagne de longue date d’Erik Prince ». Le Journal a noté que le frère de la secrétaire à l’Éducation « a mené une campagne agressive pour convaincre M. Trump de privatiser la guerre ». [14]

    La démission de Mattis a été interprétée comme une protestation contre Trump, qui « cède un territoire essentiel à la Russie et à l’Iran » [15] plutôt que comme un reproche à Trump de se reposer sur des alliés pour porter le fardeau de la poursuite des objectifs étasuniens en Syrie. La lettre de démission du secrétaire à la Défense était muette sur la décision de Trump de rapatrier les troupes américaines de Syrie et d’Afghanistan et insistait plutôt sur « les alliances et les partenariats ». Elle soulignait les préoccupations de Mattis sur le fait que le changement de direction de Trump n’accordait pas suffisamment d’attention au « maintien d’alliances solides et de signes de respect » à l’égard des alliés. Alors que cela a été interprété comme un reproche d’avoir abandonné le fer de lance américain en Syrie, les Kurdes, Mattis faisait référence aux « alliances et aux partenariats » au pluriel, ce qui indique que ses griefs vont plus loin que les relations des États-Unis avec les Kurdes. Au contraire, Mattis a exprimé des préoccupations cohérentes avec une plainte durable dans le milieu de la politique étrangère américaine selon laquelle les efforts incessants de Trump pour faire pression sur ses alliés afin qu’ils supportent davantage le coût du maintien de l’Empire aliènent les alliés des Américains et affaiblissent le « système d’alliances et de partenariats » qui le composent. [16]

    L’idée, aussi, que la démission de Mattis est un reproche à Trump pour l’abandon des Kurdes, est sans fondement. Les Kurdes ne sont pas abandonnés. Des commandos britanniques et français sont également présents dans le pays et « on s’attend à ce qu’ils restent en Syrie après le départ des troupes américaines ». [17] Mattis semble avoir été préoccupé par le fait qu’en extrayant les forces américaines de Syrie, Trump fasse peser plus lourdement le poids de la sécurisation des objectifs étasuniens sur les Britanniques et les Français, dont on ne peut guère attendre qu’ils tolèrent longtemps un arrangement où ils agissent comme force expéditionnaire pour Washington tandis que les troupes américaines restent chez elles. À un moment donné, ils se rendront compte qu’ils seraient peut-être mieux en dehors de l’alliance américaine. Pour Mattis, soucieux depuis longtemps de préserver un « système global d’alliances et de partenariats » comme moyen de « faire progresser un ordre international le plus propice à la sécurité, à la prospérité et aux valeurs [des États-Unis], le transfert du fardeau par Trump ne parvient guère à « traiter les alliés avec respect » ou à « faire preuve d’un leadership efficace », comme Mattis a écrit que Washington devrait le faire dans sa lettre de démission.

    Le président russe #Vladimir_Poutine a accueilli l’annonce de Trump avec scepticisme. « Nous ne voyons pas encore de signes du retrait des troupes américaines », a-t-il déclaré. « Depuis combien de temps les États-Unis sont-ils en Afghanistan ? Dix-sept ans ? Et presque chaque année, ils disent qu’ils retirent leurs troupes. » [18] Le #Pentagone parle déjà de déplacer les troupes américaines « vers l’#Irak voisin, où environ 5000 soldats étasuniens sont déjà déployés », et qui ‘déferleront’ en Syrie pour des raids spécifiques ». [19] Cette force pourrait aussi « retourner en Syrie pour des missions spéciales si des menaces graves surgissent » [20] ce qui pourrait inclure les tentatives de l’armée syrienne de récupérer son territoire occupé par les forces #kurdes. De plus, le Pentagone conserve la capacité de continuer de mener des « frappes aériennes et de réapprovisionner les combattants kurdes alliés avec des armes et du matériel » depuis l’Irak. [21]

    Trump n’a jamais eu l’intention d’apporter à la présidence une redéfinition radicale des objectifs de la politique étrangère américaine, mais seulement une manière différente de les atteindre, une manière qui profiterait de ses prouesses autoproclamées de négociation. Les tactiques de négociation de Trump n’impliquent rien de plus que de faire pression sur d’autres pour qu’ils paient la note, et c’est ce qu’il a fait ici. Les Français, les Britanniques et d’autres alliés des Américains remplaceront les bottes étasuniennes sur le terrain, avec des mercenaires qui seront financés par les monarchies pétrolières arabes. C’est vrai, la politique étrangère des États-Unis, instrument pour la protection et la promotion des profits américains, a toujours reposé sur quelqu’un d’autre pour payer la note, notamment les Américains ordinaires qui paient au travers de leurs impôts et, dans certains cas, par leurs vies et leurs corps en tant que soldats. En tant que salariés, ils ne tirent aucun avantage d’une politique façonnée par « des #élites_économiques et des groupes organisés représentant les intérêts des entreprises », comme les politologues Martin Gilens et Benjamin I. Page l’ont montré dans leur enquête de 2014 portant sur plus de 1700 questions politiques américaines. Les grandes entreprises, concluaient les chercheurs, « ont une influence considérable sur la politique gouvernementale, tandis que les citoyens moyens et les groupes fondés sur les intérêts des masses n’ont que peu d’influence ou pas d’influence du tout ». [22] Autrement dit, les grandes entreprises conçoivent la politique étrangère à leur avantage et en font payer le coût aux Américains ordinaires. 

    C’est ainsi que les choses devraient être, selon Mattis et d’autres membres de l’élite de la politique étrangère américaine. Le problème avec Trump, de leur point de vue, est qu’il essaie de transférer une partie du fardeau qui pèse actuellement lourdement sur les épaules des Américains ordinaires sur les épaules des gens ordinaires dans les pays qui constituent les éléments subordonnés de l’Empire américain. Et alors qu’on s’attend à ce que les alliés portent une partie du fardeau, la part accrue que Trump veut leur infliger nuit est peu favorable au maintien des alliances dont dépend l’Empire américain. 

    Notes :
    1. Bob Woodward, Fear : Trump in the White House, (Simon & Shuster, 2018) 307.

    2. Jon Schwarz, “This Thanksgiving, I’m Grateful for Donald Trump, America’s Most Honest President,” The Intercept, November 21, 2018.

    3. Michael R. Gordon, “US seeks Arab force and funding for Syria,” The Wall Street Journal, April 16, 2018.

    4. Gordon, April 16, 2018.

    5. Gordon, April 16, 2018.

    6. Gordon, April 16, 2018.

    7. Gordon, April 16, 2018.

    8. Gordon, April 16, 2018.

    9. Michael R. Gordon, Eric Schmitt and Maggie Haberman, “Trump settles on Afghan strategy expected to raise troop levels,” The New York Times, August 20, 2017.

    10. Gordon, April 16, 2018.

    11. The Editorial Board, “Trump’s next Syria challenge,” The Wall Street Journal, April 15, 2018.

    12. Julian E. Barnes, “NATO announces deployment of more troops to Afghanistan,” The Wall Street Journal, June 29, 2017.

    13. Erik Prince, “Contractors, not troops, will save Afghanistan,” The New York Times, August 30, 2017.

    14. Craig Nelson, “Trump withdrawal plan alters calculus on ground in Afghanistan,” The Wall Street Journal, December 21, 2018.

    15. Helene Cooper, “Jim Mattis, defense secretary, resigns in rebuke of Trump’s worldview,” The New York Times, December 20, 2018.

    16. “Read Jim Mattis’s letter to Trump : Full text,” The New York Times, December 20, 2018.

    17. Thomas Gibbons-Neff and Eric Schmitt, “Pentagon considers using special operations forces to continue mission in Syria,” The New York Times, December 21, 2018.

    18. Neil MacFarquhar and Andrew E. Kramer, “Putin welcomes withdrawal from Syria as ‘correct’,” The New York Times, December 20, 2018.

    19. Thomas Gibbons-Neff and Eric Schmitt, “Pentagon considers using special operations forces to continue mission in Syria,” The New York Times, December 21, 2018.

    20. Gibbons-Neff and Schmitt, December 21, 2018.

    21. Gibbons-Neff and Schmitt, December 21, 2018.

    22. Martin Gilens and Benjamin I. Page, “Testing Theories of American Politics : Elites, Interest Groups, and Average Citizens,” Perspectives on Politics, Fall 2014.
    Traduit par Diane Gilliard
    Source : https://gowans.wordpress.com/2018/12/22/no-matter-how-it-appears-trump-isnt-getting-out-of-syria-and-afgha

  • Exclusive: White House weighs tightening U.S. food aid shipping rules - sources | Reuters
    https://www.reuters.com/article/us-usa-trump-aid-exclusive-idUSKBN19K33S

    President Donald Trump’s administration is preparing an executive order that will require all U.S. food aid to be transported on American ships, according to four sources with knowledge of the deliberations.

    Currently, 50 percent of such aid must be transported on U.S.-flagged vessels. The sources said Trump is considering going as far as doubling that to 100 percent, a move likely to stir opposition from both Republicans and Democrats.
    […]
    Although unlikely to have any significant effect on the $4 trillion global cargo shipping industry, the initiative touted as part of Trump’s “#America_First” platform may slow food aid getting to millions of people and do little to create jobs, critics said.

    Aid groups, and members of Congress from both parties have been working for years to lower, or eliminate, the 50 percent shipping requirement. The United States, the world’s largest provider of humanitarian assistance, spent about $2.8 billion on foreign food aid in 2016. About half of that is estimated to go to shipping and storage.

    The conservative-leaning American Enterprise Institute said in a November report that shipping food aid on U.S.-flagged vessels costs 46 percent more than aid shipped at internationally competitive rates and can take as much as 14 weeks longer.

    • Contre-ordre…

      Exclusive : Trump Drops Plans for Order Tightening Food Aid Shipping Rules-Sources - The New York Times
      https://www.nytimes.com/reuters/2017/06/30/us/politics/30reuters-usa-trump-aid.html

      Senator Bob Corker, the Republican chairman of the Senate Foreign Relations Committee, stopped short of confirming information about the order but said he had discussed the issue with Trump and that he understands that the shift would have increased the cost of food aid and caused more people to starve.

      I had a good conversation today with President Trump,” Corker said in a statement emailed to Reuters.

      As a businessman, he understands that expanding the cargo preference would substantially drive up the cost of food aid and cause more people to starve around the world,” Corker said.

      Il faut dire que R. P. Corker Jr milite depuis longtemps pour la suppression de l’obligation existante de transport sous pavillon états-unien de 50% de l’aide alimentaire.

      Quant aux motivations…

      Corker has been pushing for years to reform the U.S. food aid program, including by eliminating the cargo preference. He said in his statement he looked forward to working with Congress and the administration to achieve “long overdue reforms.

      After hearing about the possible executive order, several members of Congress called the White House to express their concern, congressional aides said.

      The administration’s budget proposal has suggested slashing foreign aid in general while increasing defense spending.

      That plan was also met with stiff opposition in Congress, as lawmakers argued that “#soft_power” options such as food and medical aid and disaster recovery assistance can be effective tools in foreign policy that should not be discounted.

  • Trump uses energy speech to outline general election pitch - The Washington Post
    https://www.washingtonpost.com/politics/trump-to-deliver-energy-policy-speech-in-north-dakota/2016/05/26/9c232d2c-2363-11e6-b944-52f7b1793dae_story.html

    Presumptive Republican presidential candidate Donald Trump unveiled an “#America_first” energy plan he said would unleash unfettered production of oil, coal, natural gas and other energy sources to push the United States toward energy independence.

    But the speech, delivered at the annual Williston Basin Petroleum Conference in Bismarck, North Dakota, went far beyond energy, as Trump laid out, in his most detail to date, a populist general election pitch against likely rival Hillary Clinton.

    She’s declared war on the American worker,” Trump said of Clinton, reading from prepared remarks in a stadium packed with thousands.
    […]
    In March, Clinton said, “We’re going to put a lot of coal miners and coal companies out of business.” She has since walked back the remark, calling it “a misstatement” and outlining a plan to help displaced coal workers.

    Trump said Thursday he would do everything he could “free up the coal” and bring back thousands of coal jobs lost amid steep competition from cheaper natural gas and regulations designed to cut air pollution and reduce greenhouse gases blamed for global warming.

    They love it,” Trump said of those who work in coal mines. “We’re going to bring it back and we’re going to help those people because that’s what they want to do.