C’est spectaculaire. Forte d’un gain de huit points par rapport aux Européennes 2019 (31,36% vs 23,34%) et quasiment le tiers des suffrages, la liste RN de Jordan Bardella est arrivée en tête dans presque toutes les catégories sociodémographiques testées dans notre enquête.
En termes de sexe et d’âge, elle a progressé de dix points dans l’électorat féminin (20% des voix en 2019, 30% aujourd’hui), confirmant la fin du gender gap spécifique à l’extrême-droite. La liste Bardella a également fait beaucoup mieux chez les moins de 25 ans, passant de 15% à 26% des voix.
La progression la plus importante se situe peut-être dans la classe moyenne, où le RN a clairement pris le leadership : les scores sont passés de 19% à 29% dans les professions intermédiaires (+10 points), de 16% à 29% chez les Bac +2 (+13). Le RN a aussi enregistré des gains supérieurs à 50% chez les cadres (de 13% à 20% des voix, +7), tout en renforçant son socle traditionnel (40% chez les employés, record à 54% chez les ouvriers, +14). C’est devenu le premier parti des salariés (36% des voix), du public (34%) comme du privé (37%). La concurrence est écrasée, c’est considérable. Le vote RN a par ailleurs aussi largement pénétré la catégorie Retraités, avec 29% des suffrages (22% en 2019).
En termes politiques, la liste Bardella a bénéficié de renforts de toutes parts : 8% des électeurs qui avaient choisi Jean-Luc Mélenchon à la Présidentielle 2022 et qui se sont déplacés aux Européennes ont cette fois choisi de voter RN, comme 9% de ceux qui avaient voté pour Fabien Roussel et 7% qui avaient voté pour Emmanuel Macron. Les transferts de voix provenant de la droite sont proportionnellement encore plus nombreux, avec près de 20% de l’électorat de Valérie Pécresse et 43% de l’électorat d’Eric Zemmour. A noter aussi l’excellent report de voix de l’électorat de Marine Le Pen, proche des 90% (4% partis vers Reconquête, 4% sur une petite liste).
Le socle électoral du Rassemblement National s’est donc considérablement renforcé et il n’y a guère qu’au sein des catégories très favorisées qu’il n’a pas joué la première place : chez ceux qui se classent dans les « milieux aisés ou privilégiés » (19% des voix pour 26% à la liste Renaissance) et chez ceux qui « arrivent à mettre beaucoup d’argent de côté » (15% vs 24% pour Renaissance).
Le RN s’est envolé et l’écart avec la liste de la majorité Présidentielle s’est d’autant plus creusé que cette dernière a perdu beaucoup des soutiens de 2019. Son score a diminué de plus de 60% chez les employés, les ouvriers, les chômeurs, mais c’est la baisse de 50% chez les cadres qui est la plus symptomatique. Avec 15% des suffrages (29% en 2019), la liste de la majorité présidentielle a été devancée dans cette catégorie à la fois par la liste PS-Place publique de Raphaël Glucksmann et par la liste RN, à égalité (20% chacune). Renaissance a également beaucoup perdu chez les jeunes (17% des voix en 2019 pour seulement 7% cette année chez les 25-34 ans).
A l’inverse, la liste PS-Place publique a vu ses scores multipliés par deux ou trois dans presque toutes les catégories testées, à l’exception notable des ouvriers (7% en 2019, 7% aujourd’hui) et des 18-24 ans (5% en 2019, 5% aujourd’hui). Partout ailleurs les progressions sont d’autant plus inédites qu’on partait de très bas. Sur l’ensemble du corps électoral, la progression de 7,6 points pour passer de 6,19% en 2019 à 13,8% correspond ainsi à une augmentation de 123%. Et on est largement au-delà pour de nombreuses catégories, avec par exemple un bond de 233% chez les cadres (de 6% à 20%). La liste PS-Place publique a devancé la liste Renaissance dans toutes les catégories d’actifs, mais est restée derrière chez les retraités et les catégories aisées. Politiquement, elle est parvenue à capter une large part du vote de gauche : 25% de l’électorat de Jean-Luc Mélenchon à la dernière Présidentielle, 30% de celui de Fabien Roussel, 32% de celui de Yannick Jadot, mais aussi 16% de celui d’Emmanuel Macron. Au coude à coude dans les intentions de vote avec la liste de la majorité présidentielle, la liste socialiste a incontestablement bénéficié d’un vote utile anti-Macron.
Les autres listes de gauche en ont forcément souffert. Le succès de la liste LFI de Manon Aubry auprès des jeunes lui a néanmoins permis d’obtenir un meilleur score qu’en 2019 (9,9% pour 6,3% en 2019, +3,6). Cette performance électorale (près du tiers des voix des 18-24 ans et 18% chez les 25-34 ans) est sans doute à rapprocher de la position très forte de LFI sur « la situation à Gaza », retenue parmi les principaux déterminants du vote par 22% des 18-24 ans, vs 6% sur l’ensemble des électeurs. L’élection a été en revanche beaucoup plus difficile pour les écologistes, tombés sous les 10% dans toutes les catégories socio-démographiques testées dans notre enquête. Passés de 13,5% des voix en 2019 à 5,5% cette année, les scores d’un scrutin à l’autre se sont presque inversés avec ceux de la liste PS-Place publique. A droite, la liste LR de François-Xavier Bellamy est également restée bloquée sous les 10%, sauf dans l’électorat de plus de 70 ans (12%), chez les Retraités CSP+ (11%) et au sein des classes moyennes supérieures (11%). A noter enfin une répartition très homogène du vote Reconquête, qui malgré le succès de la liste Bardella enregistre autour de 5% des voix dans quasiment toutes les catégories d’électeurs, à part les plus jeunes.