• Pour mon père, un garçon qui parlait avec une fille avait forcément une idée derrière la tête. Tous sont des violeurs, toutes sont des putains, sauf sa mère bien sûr. Cette insulte revenait toujours quand le maître du foyer, l’homme de la maison, celui qui possède les bijoux de famille, se mettait en colère. D’ailleurs, pour être sûr que je n’étais pas une putain, du moins pas encore, il lui fallut bien le vérifier par lui-même. C’est à ce moment-là que la guerre entre lui et moi a commencé. Quand il a voulu poser sa bouche sur la mienne et ses mains sur mon sexe. Je l’ai mordu, griffé, frappé. J’ai utilisé les poings. Ma réputation était faite, j’étais une folle, une hystérique. Harceler ma mère ne lui suffisait pas. Il voulait posséder toutes les femmes, toutes les femelles. Pour m’éduquer, il m’obligea un jour, sous prétexte de s’assurer que je sortais le chien, à le retrouver dans un parking où stationnaient une dizaine de camping-cars. Quand les portes s’ouvraient, je voyais la femme, le lit et le mâle qui sortait ou entrait. Sans discontinuer, les mâles entraient et sortaient, entraient et sortaient, entraient et sortaient… Des hommes en voiture s’arrêtaient à ma hauteur pour me demander : « C’est combien la pipe ? » Ni le chien ni mes douze ans ne les inquiétaient. Puis mon père, son affaire une fois conclue, arriva en voiture et klaxonna. Je suis alors montée dans la voiture avec le chien, une colère noire dans le cœur.

      Aucune intimité n’était possible sous le toit du mâle paranoïaque qui devait régir son foyer. J’écrivais déjà et, bien sûr, il trouva mes écrits, en rit et les partagea avec toute la famille. Ma mère et mon frère ne voulurent jamais me croire, mon frère affirmait : « Ma sœur est folle ». Je ne pouvais donc compter que sur moi-même pour me défendre. Tant de rage contenue quand des étrangers affirmaient que mon père était un homme si drôle, si intelligent, si serviable, si sympathique.

  • « Cette nouvelle est le tout premier texte d’Andrea DWORKIN traduit au Québec (et en langue populaire) par deux journalistes du magazine La Vie en Rose, Françoise Guénette et Claudine Vivier, en 2001. Elles ont gracieusement autorisé sa réédition sur TRADFEM. » https://tradfem.wordpress.com/2020/05/12/les-angoisses-existentielles-de-bertha-schneider-par-andrea-dwork #violencesexiste #andreadworkin #tradfem #sexualité #femmes #hommes #berthaschneider

  • Si l’on comprend que les femmes vivent une exploitation et une violence systématiques, alors la défense de quoi que ce soit, l’acceptation de quoi que ce soit qui promeut ou qui perpétue cette exploitation et cette violence exprime une haine des femmes, un mépris de leur liberté et de leur dignité. Et tout effort visant à entraver des initiatives législatives, sociales ou économiques qui amélioreraient la condition des femmes, si radicales ou réformistes que soient ces initiatives, exprime ce même mépris. On ne peut tout simplement être à la fois pour et contre l’exploitation des femmes : pour quand elle procure du plaisir, contre dans l’abstrait ; pour quand elle est lucrative, contre en principe ; pour quand personne ne nous regarde, contre quand on pourrait nous voir. Si l’on comprend à quel point les femmes sont exploitées - la nature systématique de l’exploitation et son assise sexuelle -, aucune justification politique ou éthique n’autorise à faire moins que le maximum, avec toutes nos ressources, pour mettre fin à cette exploitation. L’antiféminisme a servi de couverture au sectarisme le plus flagrant et il en a été le véhicule. S’il a pu être crédible comme couverture et efficace comme véhicule, c’est que la haine des femmes n’est politiquement réprouvée ni à droite ni à gauche. L’antiféminisme est manifeste partout où la subordination des femmes est activement perpétuée ou attisée ou justifiée ou passivement acceptée, parce que la dévaluation des femmes est implicite dans chacune de ces positions. La haine des femmes et l’antiféminisme, si agressive ou discrète que soit leur expression, sont synonymes en pratique, inséparables, souvent impossibles à distinguer, souvent interchangeables, et toute acceptation de l’exploitation des femmes - dans n’importe quel domaine, pour n’importe quelle raison, de n’importe quelle manière - incarne, signifie et soutient cette haine et cet antiféminisme.

    Andrea Dworkin, Les femmes de droite, chapitre 6 : L’antiféminisme, pp. 197-198.

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    Une fiche de lecture du livre : http://antisexisme.wordpress.com/2012/12/20/les-femmes-de-droite

    Sur le site de l’éditeur :
    http://www.editions-rm.ca/livre.php?id=1436