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  • Un long chemin - Hypothèses pour une autonomie organisée – ACTA
    https://acta.zone/un-long-chemin-hypotheses-pour-une-autonomie-organisee

    De nombreuses analyses à chaud ont déjà été produites sur les origines de la crise sanitaire, sa gestion, ses conséquences pour les classes populaires et la nécessité de s’auto-organiser pour y faire face. Désormais, il est établi que la crise protéiforme, sanitaire mais aussi politique, sociale et économique que nous traversons, est dans son origine, son développement, sa gestion, ses conséquences, proprement capitaliste. Cela se décline à la fois dans les rapports entre mode de production et destruction de l’environnement1et dans une gestion politique de la pandémie qui privilégie le marché au détriment de la santé et plus largement un contexte de destruction des services publics amorcé depuis des décennies.

    L’accélération et la densité des crises générées par le capitalisme complique toujours plus sa capacité à produire l’illusion d’une viabilité et laisse penser qu’il y aura toujours moins de répits dans les temps à venir, les crises étant déjà un état permanent pour les peuples qui affrontent l’impérialisme ou qui subissent de plein fouet la destruction de leur contexte écologique. La dynamique mortifère et autoritaire dans laquelle le capitalisme continue de nous enfoncer révèle autant les enjeux propres à sa survie en tant que forme d’organisation sociale, que la nécessité de nous structurer pour pouvoir le détruire. Plus que jamais il faut agir en fonction de l’urgence planétaire, tout en partant de l’expérience des luttes sans brûler les étapes d’un processus de recomposition pour l’offensive globale. Ce texte fait donc quelques propositions à partir de notre expérience récente et de la crise actuelle, sans fatalisme ni optimisme béat, mais avec la conviction forte que les peuples sont plus que jamais en mesure de renverser l’état des choses existant.

    [...] Historiquement, de nombreuses organisations de solidarité de plus ou moins grande échelle ont accompagné les pratiques des mouvements révolutionnaires. Mais ceux-ci l’ont fait sans confondre buts et moyens : la solidarité et l’entraide sont des moyens pratiques, parmi d’autres, qui doivent permettre de détruire le système produisant les inégalités. De notre point de vue, l’auto-défense est avant tout un repli tactique mais ne peut se substituer à la perspective de rassembler durablement en vue de socialiser la santé et les moyens de production. Dans ce cadre, nos pratiques restent assignées à occuper l’espace laissé vacant par l’État, et à devoir composer avec des moyens contraints par les rapports asymétriques dans lesquels elles se déploient. Elles ne pourront jamais que constituer une « offre » concurrente et inégale face à l’État ou oeuvrer à la construction de zones libérées partiellement de celui-ci. Elles n’impliquent aucunement une prise de conscience de la nécessité de le détruire, et laissent de côté le fait que les zones « libérées » sont bien vite reconquises, détruites, absorbées par la logique expansive du capital. Autant qu’il n’y a pas de mécanicité entre accroissement de l’antagonisme de classe et situation révolutionnaire, l’idée de la « contagiosité » des formes d’auto-organisation vers le communisme est pour nous un non-sens. Prise comme une perspective politique stratégique, l’auto-organisation se limite à la possibilité de subversions parcellaires des conditions de la reproduction de la force de travail, mais échoue à penser la réappropriation des moyens de production, et ne peut se substituer à l’autonomie politique de la classe comme condition révolutionnaire.

    Il n’y a pas de mécanicité entre le durcissement de l’antagonisme de classe, les révoltes qu’il induit, l’auto-organisation, et la victoire5 : sacraliser le moment de l’explosion ou de la subversion comme horizons et potentiels points de bascule nous empêche de penser les outils qui puissent permettre un dépassement, et de nous atteler à leur développement. Notre incapacité à bâtir un cadre culturel d’organisation commun se traduit aujourd’hui très concrètement par la résurgence et la prolifération de théories conspirationnistes et crypto-fascistes entourant le virus et la classe politique, d’une critique morale sur sa corruption, avec pour seule perspective qu’une fois le confinement fini, nous reprenions la rue et renversions ce gouvernement. Cette incapacité à produire l’idée commune d’un dépassement et à s’organiser pour celui-ci nous effraie. Les exemples récents que furent les révoltes dans les pays arabes, par-delà les spécificités de chacune d’elles, nous rappellent ce que signifie une insurrection qui défait un gouvernement mais ne peut s’attaquer au système qui le produit, et de la réaction inévitable qu’elle appelle, que l’on voit germer aujourd’hui à l’aune de cette crise mais aussi depuis de nombreuses années, dans le souhait du retour d’un État national fort.

    Pour penser cette riposte, il ne faut donc ni céder au sentiment de puissance des temps forts du mouvement social, lorsqu’il se radicalise et se fait déborder spontanément, ou bien à la satisfaction tirée des luttes locales et spécialisées. Même quand celles-ci excèdent la forme groupusculaire, toutes ces pratiques au mieux regroupées dans la forme de la constellation ou du réseau, seront vouées à l’éternel cycle de décomposition/recomposition une fois les mouvements sociaux passés, les liens affinitaires défaits, ou lorsque la gestion des forces uniquement vues par le bas nous fera inévitablement stagner ou nous épuiser. L’aspect diffus de ce qui compose aujourd’hui l’autonomie face à l’événement historique, vu ce qui se profile en termes de crise financière et de restauration autoritaire du pouvoir, nous pousse à envisager qu’il n’y ait même plus de possibilités de recomposition, mais plutôt un anéantissement total.

    #antagonimse #solidarité #autonomie