• Notes anthropologiques (XL)

    Georges Lapierre

    https://lavoiedujaguar.net/Notes-anthropologiques-XL

    Naissance de la religion (I)
    La fonction sociale du sacrifice

    Pour l’immense majorité des historiens ou des sociologues, pour ne pas évoquer les archéologues et autres paléontologues, la religion apparaît avec l’homme : c’est l’esprit qui émane et dépasse la société proprement dite et avec lequel la société entretient une forme de communication, c’est la thèse mise en avant par Durkheim, par exemple. Loin de moi, l’idée de critiquer ce point de vue, je voudrais seulement dans les notes qui vont suivre émettre l’hypothèse que la religion commence avec le sacrifice et avec l’idée d’une dette contactée par cette même société vis-à-vis de son propre esprit, perçu alors comme esprit séparé. Tant que l’esprit social se trouvait immanent à la société, faisant corps avec elle, la question du sacrifice et de la dette ne se posait pas encore. Il est bien possible que la religion apparaisse avec cette séparation que met au jour le rituel du sacrifice.

    Mon point de départ est l’échange cérémoniel et j’avance que le sacrifice est un échange cérémoniel tronqué. L’autre, l’autre clan avec lequel j’échangeais des cadeaux, a disparu et à sa place s’est substitué un dieu. Et je me demande pourquoi ? (...)

    #anthropologie #religion #sacrifice #Grèce_ancienne #Odyssée #aristocratie #échanges #don #offrande #défi #réciprocité #allégeance #subordination

  • [#photo] Coup de foudre rétinien pour le travail de Alvaro Laiz, photographe espagnol spécialisé dans l’anthropologie et le photojournalisme environnemental.
    Son site : http://www.alvarolaiz.com

    Trois séries parmi d’autres :
    Série The Hunter, sur la mort d’un chasseur : http://www.alvarolaiz.com/the-hunter


    Vidéo : https://vimeo.com/151300503

    Série Wonderland sur la vie au delta Amacuro au Vénézuela : http://www.alvarolaiz.com/wonderland


    Vidéo : https://vimeo.com/74714086

    Série Transmongolian au nom éponyme : http://www.alvarolaiz.com/transmongolian


    Vidéo : https://vimeo.com/49072623

    Fiche wikipedia https://en.wikipedia.org/wiki/Alvaro_Laiz [en]
    Compte instagram : https://www.instagram.com/alvarolaiz

    #Alavaro_Laiz #photo #photographe #photographie #arts_visuels #journalisme #anthropologie

  • #Mondial féminin : une anthropologue #Argentine sur les routes de France
    https://lemediapresse.fr/international/mondial-feminin-une-anthropologue-argentine-sur-les-routes-de-france

    Féministe et Argentine, l’anthropologue #Nemesia Hijos a passé l’essentiel du mois de juin en France pour couvrir le méga-événement sportif. Et raconter les transformations du #Football féminin en cours dans son pays. 

    #International #Sport #Anthropologie #Boca_Juniors #Coupe_du_Monde #Egalite #Féminisme #Genre #NiUnaMenos

  • Notes anthropologiques (XXXIX)

    Georges Lapierre

    https://lavoiedujaguar.net/Notes-anthropologiques-XXXIX

    Et si nous parlions encore une fois d’argent ? (III)
    Le grand commerce

    À mon arrivée au Mexique, il y a maintenant deux jours, ce qui m’a frappé d’emblée en discutant avec les gens est bien l’importance que peut prendre l’argent dans leur vie. En Europe aussi l’argent a bouleversé de fond en comble la vie des gens ; au Mexique, il la bouleverse. C’est l’odeur de l’argent semblable à celle du sang qui a engendré dans tout le pays les cartels du capitalisme sauvage et la longue liste des meurtres impunis. C’est lui qui dicte la politique du président de la République mexicaine face aux puissances du Nord. C’est bien enfin cette actualité d’un chambardement qui distingue les pays qui seront toujours « en voie de développement » des pays du premier monde. C’est bien cette nécessité impérieuse de l’argent qui jette les habitants du Salvador, du Guatemala, du Honduras, du Nicaragua, de Colombie et du Venezuela sur les routes de l’exil, c’est elle aussi qui condamne les Mexicains à quitter leur famille, leur village ou leur quartier pour les États-Unis. Il s’agit d’un véritable exode et tous ces êtres humains qui se dirigent désespérément et au péril de leur vie en direction des pays du premier monde sont les victimes de la guerre qui fait rage actuellement. Cette guerre n’est pas à venir, elle est le malheur quotidien des hommes et des femmes. C’est une guerre contre l’humain. Encore faut-il, dans la confusion que cette guerre fait régner dans les esprits, tenter de préciser ce qu’est l’humain et chercher à définir ce qui s’oppose à lui. (...)

    #anthropologie #monnaie #Mexique #Grèce_antique #Nouvelle-Guinée #don #humanité #société #Odyssée #esclave

  • Notes anthropologiques (XXXVII)

    Georges Lapierre

    https://lavoiedujaguar.net/Notes-anthropologiques-XXXVII

    Et si nous parlions encore une fois d’argent ?
    L’argent comme monnaie d’échange

    Le sens du mot monnaie est ambigu, il peut désigner tout objet permettant des échanges : des couvertures, des nattes, des fèves de chocolat ou tout autre objet pouvant servir de moyen d’échange. Le mot est pris alors dans le sens général de « monnaie d’échange ». Cette monnaie d’échange, que l’on pourrait qualifier d’« universelle » est reconnue comme telle par les partenaires de l’échange soit qu’elle se trouve utilisée sous cette forme dans une société donnée, et de ce fait reconnue par tous les membres de ladite société, soit qu’elle ait été acceptée provisoirement comme telle après entente préalable entre les partenaires d’un échange. Nous voyons bien que la « monnaie d’échange » n’a rien d’universel et que c’est un abus de langage de parler à son sujet de « marchandise universelle » ou d’« une marchandise qui contiendrait toutes les marchandises », ce serait penser notre société (ou notre civilisation) comme universelle, comme la seule possible, comme unique. La monnaie d’échange est conventionnelle, c’est une convention sociale en relation avec une société bien définie, ou alors une convention établie provisoirement. Prétendre, par exemple, que l’argent est la monnaie universelle c’est se soumettre à l’impérialisme qui est le propre de notre civilisation partie à la conquête de l’univers. (...)

    #anthropologie #histoire #échanges #don #argent #monnaie #marchandise #Maurice_Godelier #Marx #Malinovski #Mauss

  • Notes anthropologiques (XXXVI)

    Georges Lapierre

    https://lavoiedujaguar.net/Notes-anthropologiques-XXXVI

    L’idée et son devenir (II)

    Nous devons garder à l’esprit cette évocation d’un monde originel au sein duquel l’humain peut s’exprimer et se révéler. Ce monde des origines est tenace et accrocheur et il est arrivé à survivre jusqu’à notre époque, à résister tant bien que mal à l’envahissement d’un monde qui lui est contraire. Pourtant le monde marchand, négateur de l’humain, est en train de prendre une importance considérable jusqu’à repousser dans des zones de plus en plus marginales l’expression non aliénée de l’humain.

    Le marchand se défie de l’humain, il fixe le retour et le rend obligatoire. Cette défiance de l’humain, cette absence fâcheuse mais obstinée de reconnaissance d’autrui, s’impose peu à peu comme une norme de comportement dans le premier monde : chat échaudé craint l’eau froide. Une flèche empoisonnée a pénétré le cœur de la femme et de l’homme, lui causant une énorme et implacable souffrance. Cette souffrance est tue, elle est devenue indicible. Comment en sommes-nous arrivés là ? L’activité marchande bouleverse les mœurs et nous bouleverse insidieusement. (...)

    #anthropologie #humanité #État #commerce #aliénation

    • La richesse, ce qui était directement vécu par la personne, passe de l’humain à la chose, elle se fait apparente. Le capital est bien toujours l’effectivité de l’idée de richesse qui se fait visible mais l’idée elle-même s’est éloignée des hommes et des femmes pour continuer à agir pour son propre compte par le moyen des femmes et des hommes. L’argent mesure la puissance de l’idée : concentré, il représente le capital, l’idée dans son effectivité et cette idée dans son effectivité est devenue l’apanage de ceux que l’on nomme capitalistes ; diffus, il représente la monnaie, la mise en pratique de l’idée, l’échange de tous avec tous.

      #richesse #échange #pouvoir

  • La Recomposition des mondes
    Trois questions à Alessandro Pignocchi

    Ernest London, Alessandro Pignocchi

    https://lavoiedujaguar.net/La-Recomposition-des-mondes-Trois-questions-a-Alessandro-Pignocchi

    Considérant que le concept de « nature » est une récente création occidentale qui permet d’organiser le monde en la considérant comme ressource ou sanctuaire, Alessandro Pignocchi lui oppose la plupart des autres peuples qui ne la distinguent pas de la culture. Les Indiens d’Amazonie, par exemple, développent des relations sociales avec les plantes et les animaux, identiques à celles entretenues avec les humains. « Au prisme de l’anthropologie, la protection de la nature apparaît comme le prolongement, indissociable, de l’exploitation. » « Notre concept de nature favorise cette relation de sujet à objet (qui se focalise sur l’utilisation) et occulte les riches relations de sujet à sujet (fondées sur la prise en compte empathique de l’autre) que nous pourrions nouer avec les non-humains. » Découvrant qu’existent en France des endroits où cette « révolution cosmologique est déjà en cours », il décide de se rendre sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes et raconte sa rencontre avec « des gens qui ont conscience d’habiter un territoire commun, un territoire qu’ils cherchent à partager au mieux, entre humains et non-humains ». (...)

    #bande_dessinée #anthropologie #critique_sociale #Notre-Dame-des-Landes #ZAD #territoire #nature #culture #gilets_jaunes

  • Notes anthropologiques (XXXV)

    Georges Lapierre

    https://lavoiedujaguar.net/Notes-anthropologiques-XXXV

    L’Idée et son devenir (I)

    Ces notes anthropologiques ne sont qu’une maigre exploration de l’humain, une contribution limitée et brouillonne à sa connaissance ; elles forment l’ébauche d’une investigation, sans plus. Elles demandent à être reprises avec plus de constance et de profondeur. Dans ces notes, le sujet ne se distingue pas de son objet ; il ne cherche pas à se différencier de ce qui constitue l’objet de son investigation. Le sujet n’est rien d’autre qu’un moment de l’humain, le résultat en chair, en os et en esprit d’un monde, et ce monde est celui de l’humain. Le sujet qui pense et qui écrit est une actualisation momentanée de l’humain, c’est ainsi que le sujet et l’objet de sa réflexion ne se distinguent pas. Dans une civilisation de l’argent — et l’argent n’est que le mode d’expression dominant de la pensée (ou, si l’on veut, de l’humain) —, le sujet a été enfanté par l’argent, il est l’enfant de l’argent, qu’il le veuille ou non. L’argent est sa dimension humaine (ou, plus surement, inhumaine), sa vérité, en quelque sorte — ce qu’ont du mal à accepter ceux qui se consacrent aux sciences dites humaines, psychiatres, sociologues et anthropologues, historiens ou autres philosophes. Se tenir à l’écart de cette implication c’est une façon de tenir le monde à l’écart de sa critique (...)

    #anthropologie #Antonin_Artaud #Van_Gogh #échange #Maurice_Godelier #coutume #don #potlatch #valeur #Marx #Nouvelle-Guinée #Davos #aliénation #bien_commun

  • Energie, hiérarchie et origine de l’inégalité

    Je vous livre un très grand extrait d’une étude publié le 24 avril de cette année. J’ai, par soucis pour une lecture fluide, enlevé les références bibliographiques mais je pense que je vais les remettre tant elles sont importantes.

    Où devrions-nous chercher pour comprendre l’origine de l’inégalité ? Je propose une fenêtre de preuves inhabituelle : les sociétés modernes. Je suppose que la preuve de l’origine de l’inégalité est codée dans la structure institutionnelle des sociétés industrielles. Pour tester cette idée, j’utilise un modèle pour projeter les tendances modernes dans le passé. Ce modèle prend la relation moderne entre énergie, hiérarchie et inégalité et crée une image rétrospective de l’origine de l’inégalité. Les résultats sont globalement cohérents avec les preuves disponibles. Le modèle prédit une explosion des inégalités avec le passage de la cueillette à l’agriculture, suivi d’un plateau. Cette découverte ouvre potentiellement une nouvelle fenêtre de preuve sur l’origine de l’inégalité.

    L’origine de l’inégalité est l’un des grands mystères de l’évolution sociale de l’homme. Pendant la plus grande partie de notre histoire, nous avons vécu dans de petits groupes farouchement égalitaires [1]. Mais il y a environ 10 000 ans, quelque chose a changé [2, 3]. Pour des raisons qui restent mal comprises, nous avons commencé à abandonner notre état ancestral et avons commencé à permettre à certaines personnes de disposer de beaucoup plus de ressources que d’autres. Au début, l’inégalité était l’exception, mais elle s’est rapidement répandue jusqu’à devenir la forme d’organisation la plus répandue.

    Cette grande transition a intrigué les scientifiques pendant des siècles [2–11]. Mais comme l’origine de la vie, l’origine de l’inégalité est frustrante et difficile à étudier. Le problème est que les origines restent liées au passé, ce qui signifie que les preuves sont rares. Malgré tout, nous avons progressé. Avec beaucoup d’efforts, nous avons trouvé trois « fenêtres » d’éléments de preuve sur l’origine de l’inégalité : le récit archéologique [10-19], les sociétés traditionnelles survivantes [20-25] et le récit écrit de l’inégalité [26-30].

    Ces fenêtres se concentrent soit sur des sociétés disparues depuis longtemps, soit sur des sociétés dont la forme est archaïque. C’est parfaitement raisonnable, mais cela limite également les preuves que nous pouvons découvrir. Les archives archéologiques et écrites sur les inégalités seront toujours rares. Et les sociétés traditionnelles disparaissent rapidement du monde. Compte tenu des limites de ces fenêtres, où pourrait-on chercher ailleurs pour étudier l’origine de l’inégalité ? Je suggère que nous puissions nous inspirer de la biologie de l’évolution.

    L’une des avancées majeures dans l’étude de l’origine de la vie a été la découverte que l’ADN des organismes vivants contient une histoire codée de leur évolution [31]. Est-ce que quelque chose de semblable pourrait être vrai des sociétés humaines ? La structure sociale des sociétés modernes pourrait-elle contenir une histoire codée de l’origine de l’inégalité ? Je teste cette possibilité ici. J’utilise les institutions comme corollaire social de l’ADN. Les institutions sont des systèmes d’organisation transmis d’une génération à l’autre. Je pense que nous pouvons utiliser les tendances institutionnelles modernes pour déduire l’origine de l’inégalité.

    En regardant les sociétés modernes, [l’auteur] trouve deux tendances importantes (...). Premièrement, les sociétés qui utilisent plus d’énergie ont tendance à avoir des institutions plus grandes. Deuxièmement, les institutions modernes sont organisées hiérarchiquement et le revenu augmente rapidement avec le rang. Quel est le lien avec l’origine de l’inégalité ? La clé est que la croissance de la taille de l’institution peut être interprétée comme la croissance de la hiérarchie. L’idée est que, au fur et à mesure que la hiérarchie se développe, elle concentre les ressources au sommet, conduisant potentiellement à une plus grande inégalité. La tendance moderne est à une plus grande utilisation de l’énergie et à une plus grande hiérarchie. Pour en déduire l’origine des inégalités, je propose d’inverser cette tendance et de la projeter en arrière dans le temps. J’appelle cela l’hypothèse de « l’énergie-hiérarchie-inégalité » (EHI).

    Je vous passe les détails et je me suis intéressé à la discussion :

    Les Limites du modèle

    Le modèle énergie-hiérarchie-inégalité est construit sur la corrélation et n’est pas destiné à répondre aux questions de causalité. C’est une limitation, mais c’est aussi la raison principale pour laquelle le modèle fournit des informations.

    Le modèle prend deux corrélations en entrée :
    (1) la corrélation entre la consommation d’énergie et la taille de l’établissement ; et
    (2) la corrélation entre le pouvoir hiérarchique et le revenu.

    Le modèle n’explique pas pourquoi ces corrélations existent. Au lieu de cela, il explique pourquoi ils pourraient être importants pour l’origine de l’inégalité.

    Le modèle indique que si ces tendances existaient dans le passé, elles impliquent que des inégalités se sont produites pendant la transition vers l’agriculture.

    Même si cela fonctionne au niveau de la corrélation, c’est un aperçu important. Cela suggère que les tendances modernes ouvrent une nouvelle fenêtre sur l’origine de l’inégalité. La tâche des recherches futures consiste à utiliser cette fenêtre pour mieux comprendre les causes ultimes.

    Causalité

    Pour l’hypothèse EHI, comprendre le lien de causalité signifie expliquer nos deux corrélations. Nous voulons savoir pourquoi la croissance de la consommation d’énergie est liée à la croissance de la hiérarchie et pourquoi le revenu augmente avec le pouvoir hiérarchique. Répondre à ces questions dépasse le cadre de cet article. Mais [l’auteur va spéculer] ici.

    [Il] soupçonne que l’énergie est liée à la hiérarchie via une boucle de rétroaction, ce qui signifie que la causalité fonctionne dans les deux sens. [Il] pense cela parce que des preuves différentes suggèrent des directions causales différentes. L’effondrement de l’Union soviétique est un exemple où la hiérarchie semble être le moteur de la consommation d’énergie. Lorsque le gouvernement soviétique s’est effondré, la consommation d’énergie dans les anciens États soviétiques a considérablement diminué. Comme il n’y avait pas de pénurie mondiale d’énergie à l’époque, on peut raisonnablement en déduire que l’effondrement des institutions a entraîné une baisse de la consommation d’énergie.

    Mais nous pouvons aussi penser aux raisons de la causalité inverse - quand l’énergie pousse (ou limite) la croissance de la hiérarchie. Ceci est lié à la théorie de la stratification sociale fondée sur les surplus. Dans les sociétés agraires, le surplus d’énergie des agriculteurs est trop petit pour supporter de nombreux travailleurs non agricoles. Ainsi, il y a peu de place pour une classe de gestion. Mais si le surplus augmentait, il pourrait assouplir ces limites et permettre le développement de la hiérarchie. Ceci suggère que la croissance énergétique pourrait entraîner la croissance de la hiérarchie.

    Ces deux exemples suggèrent que la causalité peut aller dans les deux sens : l’énergie peut conduire à la croissance de la hiérarchie et inversement. Démêler ce processus de causalité est une tâche difficile pour les recherches futures.

    Qu’est-ce qui cause la relation entre le revenu et le pouvoir hiérarchique ? [l’auteur] pense que cela est probablement causé par de nombreux facteurs différents. Dans les hiérarchies despotiques (telles que les plantations à esclaves), les supérieurs peuvent avoir recours à la contrainte et à la force brutale pour tirer leurs revenus. Mais dans les hiérarchies moins despotiques, l’idéologie est probablement plus importante. La substance de ces idéologies diffère, mais la fonction est toujours la même : justifier le pouvoir des élites. Les sociétés traditionnelles justifient souvent le pouvoir par le biais de la parenté - en faisant remonter la lignée à un ancêtre fondateur. Les sociétés féodales utilisent la religion, comme dans le droit divin des rois. Les sociétés capitalistes utilisent la propriété pour justifier le pouvoir. Dans chaque société, l’idéologie justifie à la fois l’autorité des élites et leur meilleur accès aux ressources. Pour comprendre pourquoi le revenu est lié au pouvoir hiérarchique, [l’auteur] pense que nous devons comprendre les idéologies qui légitiment le pouvoir. Ces idéologies ont été bien étudiées, mais il reste beaucoup à apprendre.

    Nous devons également prendre au sérieux les pratiques sociales qui évoluent pour contrôler le pouvoir des élites. Dans les sociétés modernes, cela inclurait les syndicats et le contrôle démocratique. Il existe de fortes preuves que les syndicats limitent les inégalités. Cela suggère qu’en organisant des individus de rang inférieur, les syndicats contrôlent le pouvoir des élites. Il est également prouvé que le contrôle démocratique limite les revenus des élites. Par exemple, les PDG américains des secteurs réglementés par le gouvernement gagnent moins que les PDG des secteurs non réglementés. Et la rémunération des élites dans le secteur public sous contrôle démocratique est bien inférieure à celle du secteur privé. À titre d’exemple, le président des États-Unis gagne environ 40 fois moins que les PDG des plus grandes entreprises américaines.

    S’il existe de nombreuses causes plausibles à la relation pouvoir-revenu, leur étude nous ramène au problème de la mesure. Je me suis concentré sur le pouvoir hiérarchique, car il était facile à quantifier. Mais lorsque nous essayons de regarder "sous le capot" de ce pouvoir, la mesure devient difficile. Par exemple, comment mesurons-nous l’effet d’une idéologie ? Pour comprendre la causalité, nous devons lutter contre ces difficultés. Encore une fois, ceci est une tâche pour les recherches futures.

    Émergence de la hiérarchie.

    Bien que nous comprenions mal les mécanismes à l’œuvre, [l’auteur] voudrais spéculer sur l’histoire de l’origine racontée par le modèle EHI. Cela suggère que l’origine de l’inégalité peut être reformulée en tant qu’émergence d’une hiérarchie. Mais cela soulève une question. Après des centaines de milliers d’années de vie dans des sociétés (relativement) égalitaires, pourquoi les humains choisiraient-ils soudainement de s’organiser en hiérarchies despotiques ?

    Les scientifiques ont longtemps été perplexes sur cette question. La hiérarchie at-elle un avantage, comme le soutient la théorie fonctionnaliste ? Ou était-ce une question de contrainte, comme le prétend la théorie des conflits ? Ou bien l’émergence de la hiérarchie a-t-elle impliqué à la fois la fonction et la contrainte ? Je pense que ce dernier est le plus probable. Sans avantage fonctionnel, il est difficile de comprendre pourquoi une hiérarchie serait créée. Mais sans coercition, il est difficile de comprendre les grandes inégalités qui existent au sein des hiérarchies.

    Commençons par les avantages de la hiérarchie. Les preuves modernes indiquent que la hiérarchie augmente avec la consommation d’énergie. L’une des interprétations est que la hiérarchie permet ou est nécessaire pour une plus grande utilisation de l’énergie (pour une interprétation différente, voir Bichler S, Nitzan J. Growing Through Sabotage : Energizing Hierarchical Power. Capital as Power Working Papers. 2017 ;2017(02). ). Si cela est vrai, nous devons alors poser deux questions. Premièrement, pourquoi utiliser plus d’énergie est-il avantageux ? Deuxièmement, pourquoi la hiérarchie est-elle obligée d’utiliser plus d’énergie ?

    En ce qui concerne la première question, si la vie est la lutte pour l’énergie, alors utiliser plus d’énergie peut donner un avantage compétitif à un organisme (ou à un groupe d’organismes). C’est l’idée qui sous-tend le principe de puissance maximale, qui tente de donner une base énergétique à la forme physique darwinienne. Il propose que les organismes (et les écosystèmes) évoluent pour maximiser le pouvoir - le flux d’énergie par unité de temps. Bien qu’il ait un certain support empirique, le principe de la puissance maximale reste controversé.

    Néanmoins, il existe des exemples clairs où l’utilisation de plus d’énergie est avantageuse pour les groupes humains. Le plus remarquable est la guerre. L’évolution de l’armement militaire évolue vers des armes de plus en plus dévastatrices (arcs et flèches, armes à feu, missiles et ogives nucléaires). Cela se réduit à l’énergétique : la capacité de destruction d’une arme est proportionnelle à la quantité d’énergie dégagée. Il suffit de regarder l’histoire des conquêtes européennes pour voir comment un meilleur armement a conduit à un avantage collectif. Une plus grande utilisation d’énergie peut également permettre des avantages en termes de reproduction. Par exemple, dans les sociétés traditionnelles existantes, les sociétés agraires ont généralement une fertilité supérieure à celle des chasseurs-cueilleurs et des horticulteurs. Pour résumer, utiliser plus d’énergie peut être avantageux dans la compétition entre groupes. Nous pouvons considérer cela comme une forme de « sélection de groupe ». L’idée est que les groupes qui utilisent plus d’énergie surpassent les groupes qui utilisent moins d’énergie.

    Mais pourquoi une plus grande consommation d’énergie est-elle associée à une plus grande hiérarchie ? Une possibilité est que l’utilisation de plus d’énergie nécessite une plus grande coordination sociale et la hiérarchie est le moyen le plus efficace d’y parvenir. Voici [le] raisonnement de l’auteur.

    L’augmentation de la consommation d’énergie implique de profonds changements technologiques. Plus particulièrement, l’ampleur et la complexité de la technologie augmentent. [Il] suggère que cette complexité croissante nécessite plus de coordination sociale. C’est là qu’intervient la hiérarchie. Alors que les humains peuvent s’organiser sans hiérarchie, l’échelle semble limitée. Le problème est que la sociabilité humaine a probablement des limites biologiques. Les individus ne peuvent généralement pas entretenir plus de quelques centaines de relations sociales. La hiérarchie contourne ces limites. Un membre d’une hiérarchie n’a besoin d’interagir qu’avec son supérieur direct et ses subordonnés directs. Cela permet à la taille du groupe de croître sans avoir besoin de davantage d’interactions sociales.

    Si la hiérarchie confère des avantages énergétiques (via la coordination), nous pouvons imaginer l’émergence d’une boucle de rétroaction : L’organisation hiérarchique permet une coordination à grande échelle qui permet ensuite une plus grande utilisation de l’énergie, puis une plus grande hiérarchie (et ainsi de suite). Cela explique pourquoi l’énergie et la hiérarchie vont de pair. Mais cela pose un problème. Pour la grande majorité de l’histoire humaine, l’organisation hiérarchique était négligeable. Clairement, il n’y avait pas de boucle de rétroaction énergie-hiérarchie. Que manque-t-il ?

    L’ingrédient manquant est la distribution des ressources au sein de la hiérarchie. Le problème est que la hiérarchie est une arme à double tranchant. Cela permet une plus grande coordination, mais cela mène aussi au despotisme. La chaîne de commandement imbriquée confère un pouvoir énorme aux personnes les mieux classées. Lorsque ce pouvoir est utilisé (de manière prévisible) à des fins personnelles, il engendre de grandes inégalités. Cela expliquerait pourquoi le revenu est doté d’un pouvoir hiérarchique. L’inégalité qui en résulte signifie que la hiérarchie peut ne pas profiter aux individus de rang inférieur. Si les gains matériels de la coordination sont accaparés par les élites, il est peut-être préférable que les individus de rang inférieur quittent la hiérarchie. La stabilité d’une hiérarchie dépend donc de l’avantage net pour les individus de rang inférieur. S’il n’y a pas d’avantage, la hiérarchie sera instable.

    Pour la majorité de l’histoire de l’humanité, les coûts du despotisme hiérarchique l’emportait probablement sur les avantages de la hiérarchie pour la coordination. Nous savons que les chasseurs-cueilleurs modernes (et vraisemblablement les plus anciens également) répriment agressivement les individus à la recherche du pouvoir. Sans une source d’énergie concentrée (telle que l’agriculture), les avantages d’une coordination à grande échelle étaient probablement marginaux. Par conséquent, la hiérarchie n’était pas tolérée car elle ne conférait aucun avantage.

    Cela a probablement changé pendant la révolution néolithique. Les détails restent mal compris, mais on peut en déduire que les avantages d’une coordination à grande échelle ont augmenté. Ceci est probablement lié au sédentarité et au développement de l’agriculture. L’irrigation a probablement aussi joué un rôle important. [l’auteur] soutiens que pendant la révolution néolithique, la boucle de rétroaction énergie-hiérarchie s’est installée. En conséquence, le pouvoir hiérarchique est devenu plus concentré. De manière prévisible, les élites ont utilisé leur pouvoir à des fins personnelles, ce qui a entraîné l’apparition d’inégalités.

    Jusqu’à présent, [l’auteur a ] traité l’inégalité comme un effet de la hiérarchie. Mais cela peut en réalité jouer un rôle dans la croissance de la hiérarchie. [Il a] soutenu que la croissance de la hiérarchie dépend de l’avantage net des individus de rang inférieur. Un moyen d’accroître cet avantage consiste à augmenter les rendements de la coordination hiérarchique (par le biais de changements environnementaux ou technologiques). Mais un autre moyen d’augmenter l’avantage net consiste à diminuer le despotisme hiérarchique. Si les gains de la hiérarchie sont répartis plus équitablement, le bénéfice net pour les membres de rang inférieur est supérieur.

    Ce raisonnement signifie que l’inégalité peut jouer un rôle causal dans la croissance de la hiérarchie et dans la croissance de l’utilisation de l’énergie. Ceci est une spéculation, mais cela cadre avec l’inférence selon laquelle le despotisme hiérarchique décroît avec la consommation d’énergie [voir figure du texte originale]. Peut-être que la limitation du despotisme hiérarchique est une condition préalable à l’industrialisation ? Ou autrement dit, est-il possible d’avoir une économie industrielle construite sur l’esclavage - le mode d’organisation humaine le plus despotique ? Ce sont des questions ouvertes qui méritent d’être examinées.

    Pour résumer, [l’auteur] pense que pour comprendre la relation énergie-hiérarchie-inégalité, il faut fusionner les théories fonctionnelles et conflictuelles de la stratification sociale. Cela nécessite de comprendre ce que Wilson appelle « le problème fondamental de la vie sociale ». L’idée est que les groupes coopératifs battent les groupes non coopératifs. Mais les individus égoïstes battent les individus désintéressés au sein des groupes. La hiérarchie met bien en évidence les deux aspects de ce problème. C’est un puissant outil de coordination qui présente des avantages potentiels pour le groupe. Mais il est également prévisible qu’il est utilisé à des fins égoïstes, ce qui entraîne une grande inégalité. Cette façon de penser peut constituer un outil important pour comprendre l’origine de l’inégalité.

    Fix B (2019) Energy, hierarchy and the origin of inequality. PLoS ONE 14(4) : e0215692. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0215692
    #Préhistoire #Anthropologie #Inégalités

    https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0215692
    https://journals.plos.org/plosone/article/figure/image?id=10.1371/journal.pone.0215692.g014&size=inline

  • De l’âge de Pierre aux micropuces : comment de minuscules outils peuvent avoir fait de nous des humains : la technologie de la miniaturisation nous distingue des autres primates.

    Les anthropologues ont longtemps fait le cas que l’élaboration d’outils est l’un des comportements clés qui séparaient nos ancêtres humains d’autres primates. Un nouveau document, cependant, fait valoir que ce n’était pas la fabrication d’outils qui a mis les homininés à part -c’était la miniaturisation des outils.

    Tout comme les minuscules transistors ont transformé les télécommunications il y a quelques décennies, nos ancêtres de l’âge de pierre ont ressenti l’envie de fabriquer des outils minuscules. "C’est un besoin auquel nous avons été éternellement confrontés et qui a conduit notre évolution." dit Justin Pargeter, un anthropologue à l’Université Emory et auteur principal de l’article. "La miniaturisation est la chose que nous faisons. "

    La revue l’anthropologie évolutive publie le document—le premier aperçu complet de la miniaturisation des outils préhistoriques. Elle propose que la miniaturisation soit une tendance centrale dans les technologies de l’Homininé qui remonte à au moins 2,6 millions ans.

    « Lorsque d’autres singes utilisaient des outils en pierre, ils ont choisi de les garder sous la forme de leur grande taille et sont restés dans les forêts où ils ont évolué, » dit le co-auteur John Shea, professeur d’anthropologie à l’université Stony Brook. "Les homininés ont choisi de les miniaturiser et sont allés partout, transformant des habitats autrement hostiles pour répondre à nos besoins changeants. "

    L’article montre la façon dont les flocons de pierre de moins d’un pouce de longueur—utilisé pour percer, couper et gratter- sont ressortis dans les dossiers archéologiques pour des sites sur tous les continents (...).

    Ces petits flocons de pierre,(...) étaient comme les lames de rasoir jetables ou des trombones d’aujourd’hui -omniprésent, facile à faire et facilement remplacés.

    Il identifie trois points de flexion pour la miniaturisation dans l’évolution de l’Homininé. Le premier pic s’est produit il y a environ 2 millions années, entraîné par la dépendance croissante de nos ancêtres aux flocons de pierre à la place des ongles et des dents pour les tâches de découpe, de tranchage et de perçage. Un deuxième pic a eu lieu quelque temps après 100 000 ans avec le développement d’armes à grande vitesse, comme l’arc et la flèche [il y a sûrement une erreur ici car l’arc est apparu vers 12000BP] , qui nécessitaient des inserts en pierre légères. Un troisième pic de miniaturisation s’est produit il y a environ 17 000 ans. La dernière ère glaciaire se terminait, forçant certains humains à s’adapter aux changements climatiques rapides, à l’élévation des niveaux de la mer et à l’accroissement des densités de population. Ces changements ont accru la nécessité de conserver les ressources, y compris les roches et les minéraux nécessaires pour fabriquer des outils.

    (...)

    From Stone Age chips to microchips : How tiny tools may have made us human : The technology of miniaturization set hominins apart from other primates — ScienceDaily

    Manuel Will, Christian Tryon, Matthew Shaw, Eleanor M. L. Scerri, Kathryn Ranhorn, Justin Pargeter, Jessica McNeil, Alex Mackay, Alice Leplongeon, Huw S. Groucutt, Katja Douze, Alison S. Brooks. Comparative analysis of Middle Stone Age artifacts in Africa (CoMSAfrica). Evolutionary Anthropology : Issues, News, and Reviews, 2019 ; DOI : 10.1002/evan.21772

    #Préhistoire #Paléolithique #outils #industrie_microlithique #Anthropologie #2MaBP

  • Les anthropologues de l’Université d’Oxford ont découvert ce qu’ils considèrent être sept règles morales universelles.

    Les règles : aider votre famille, aider votre groupe, rendre les faveurs, être courageux, renvoyer aux supérieurs, répartir les ressources de manière équitable et respecter la propriété des autres, ont été trouvées dans une enquête de 60 cultures du monde entier.

    Des études antérieures ont examiné certaines de ces règles à certains endroits - mais aucune ne les a toutes examinées dans un grand échantillon représentatif de sociétés. La présente étude, publiée dans le volume 60, no. 1 numéro de Current Anthropology, d’Oliver Scott Curry, de Daniel Austin Mullins et de Harvey Whitehouse, est l’enquête interculturelle sur la morale la plus vaste et la plus complète jamais réalisée.

    L’équipe de l’Institut d’anthropologie cognitive et évolutive d’Oxford (...) a analysé les comptes rendus ethnographiques d’éthique de 60 sociétés, comprenant plus de 600 000 mots de plus de 600 sources.

    Oliver Scott Curry, auteur principal et chercheur principal à l’Institut d’anthropologie cognitive et évolutive, a déclaré : "Le débat entre les universalistes moraux et les relativistes moraux a fait rage depuis des siècles, mais nous avons maintenant des réponses à apporter. Comme prévu, ces sept règles morales semblent être universelles dans toutes les cultures. Tous partagent un code moral commun. Tous conviennent que coopérer, promouvoir le bien commun est la bonne chose à faire."

    L’étude a testé la théorie selon laquelle la moralité a évolué pour promouvoir la coopération et que, du fait qu’il existe de nombreux types de coopération, il existe de nombreux types de moralité.

    – Selon cette théorie de la « morale en tant que coopération », la sélection de la parenté explique pourquoi nous nous sentons tenus de prendre soin de nos familles et pourquoi nous avons horreur de l’inceste.
    – Le mutualisme explique pourquoi nous formons des groupes et des coalitions (il y a de la force et de la sécurité dans les nombres), et donc pourquoi nous valorisons l’unité, la solidarité et la loyauté.
    – L’échange social explique pourquoi nous faisons confiance aux autres, rendons service en échange, ressentons de la culpabilité et de la gratitude, faisons amende honorable et pardonnons.
    – Et la résolution des conflits explique pourquoi nous nous livrons à des démonstrations coûteuses de prouesses telles que le courage et la générosité, pourquoi nous nous en remettons à nos supérieurs, pourquoi nous divisons les ressources contestées équitablement et pourquoi nous reconnaissons la possession antérieure.

    La recherche a tout d’abord révélé que ces sept comportements coopératifs étaient toujours considérés comme moralement bons. Deuxièmement, des exemples de la plupart de ces mœurs ont été trouvés dans la plupart des sociétés. Point crucial, il n’existait aucun contre-exemple - aucune société dans laquelle aucun de ces comportements n’était considéré moralement mauvais. Et troisièmement, ces mœurs ont été observées avec une fréquence égale sur tous les continents ; ils n’étaient pas l’apanage exclusif de "l’Ouest" ni d’aucune autre région.

    Parmi les Amhara d’Éthiopie, "faire fi de l’obligation de parenté est considéré comme une déviation honteuse, indiquant un caractère pervers". En Corée, il existe une "éthique communautaire égalitaire [d’assistance] mutuelle et de coopération entre voisins [et] une forte solidarité au sein du groupe". "La réciprocité est observée à chaque étape de la vie des Garo [et] occupe une place très importante dans la structure sociale des valeurs des Garo." Parmi les Maasaï, "ceux qui s’accrochent aux vertus guerrières sont toujours très respectés" et "l’idéal sans compromis du guerrier suprême [implique] un engagement ascétique à se sacrifier ... au cœur de la bataille, comme une suprême démonstration de loyauté courageuse . " Les Bemba manifestent "un profond respect pour l’autorité des anciens". L ’"idée de justice" des Kapauku s’appelle "uta-uta, demi-moitié ... [dont le sens] se rapproche beaucoup de ce que nous appelons l’équité." Et chez les Tarahumara, "le respect de la propriété des autres est la clé de voûte de toutes les relations interpersonnelles".

    L’étude a également détecté une « variation sur un thème » - bien que toutes les sociétés semblaient s’accorder sur les sept règles morales de base, leur manière de les hiérarchiser ou de les hiérarchiser variait. L’équipe a maintenant mis au point un nouveau questionnaire sur les valeurs morales afin de recueillir des données sur les valeurs morales modernes. Elle examine également si la variation interculturelle des valeurs morales reflète la variation de la valeur de la coopération dans différentes conditions sociales.

    Selon son co-auteur, le professeur Harvey Whitehouse, les anthropologues sont particulièrement bien placés pour répondre aux questions de longue date concernant les universels moraux et le relativisme moral. "Notre étude était basée sur des descriptions historiques de cultures du monde entier ; ces données ont été recueillies avant et indépendamment de l’élaboration des théories que nous étions en train de tester. Les travaux futurs permettront de tester des prédictions plus précises du théorie en rassemblant de nouvelles données, encore plus systématiquement, sur le terrain ".

    "Nous espérons que ces recherches contribueront à promouvoir la compréhension mutuelle entre personnes de cultures différentes ; nous apprécierons ce que nous avons en commun et comment et pourquoi nous différons", a ajouté M. Curry.

    Is It Good to Cooperate?: Testing the Theory of Morality-as-Cooperation in 60 Societies | Current Anthropology: Vol 60, No 1
    https://www.journals.uchicago.edu/doi/10.1086/701478

    Oliver Scott Curry, Daniel Austin Mullins, Harvey Whitehouse. Is It Good to Cooperate? Testing the Theory of Morality-as-Cooperation in 60 Societies. Current Anthropology, 2019; 60 (1): 47 DOI: 10.1086/701478

    #Préhistoire #Anthropologie #Evolutionisme #Comparatisme

    • J’ai du mal à croire à celui ci : « répartir les ressources de manière équitable » à cause de la différence de valence des sexes (il semble que ces recherches aient fait l’impasse sur les femmes et les questions de genres) et aussi par le fait que ceci entre en contradiction avec celle ci : « renvoyer aux supérieurs » qui implique hiérarchisation et privilèges (c’est à dire répartition inéquitable des ressources). Dans la culture française par exemple on s’accommode très bien moralement d’une répartition inégale des ressources selon le mythe du mérite .

      Celui ci est assez étonnant aussi « respecter la propriété des autres » quant on sais que les femmes ont à peine 1% de la propriété terrienne sur terre. Et j’ai pas l’impression que la propriété même de leur propre corps soit respecté sur cette planète, vu que les femmes (et les enfants) sont considéré comme appartenant à des hommes dans la plus part des cultures dont j’ai connaissance, dont les cultures dérivantes de la bible.

      Pour l’interdit de l’inceste, c’est de le dénoncé et de le porter à la connaissance de la collectivité qui est interdit. C’est une notion à géométrie variable, il suffit de changer les règles de la famille pour que l’inceste devienne acceptable socialement (les familles nobles européennes en sont de bons exemples). C’est d’ailleurs pas un crime ni un délit dans le droit français. Ni dans la bible qui est très évasive dans la genèse à ce sujet.

      Ca me semble quant même très androcentré ces 7 règles, et peut être que ce texte respecte en fait la meta règle misogyne de faire comme si les femmes n’étaient pas vraiment humaines et ne parler que d’hommes à hommes.

      Les 7 sous règles des hommes sont en fait : « Aider votre famille à s’approprier les femmes et les enfants qu’elles portent , aider votre groupe masculin à dominer des autres , rendre les faveurs que vous reconnaissez comme tel entre hommes , être courageux selon des valeurs virilistes , renvoyer aux supérieurs de la hiérarchie patriarcale , répartir les ressources de manière équitable entre hommes et respecter la propriété des autres hommes , ont été trouvées dans une enquête de 60 cultures patriarcales du monde entier. »

      L’étude est signé par trois hommes, Oliver Scott Curry, Daniel Austin Mullins, Harvey Whitehouse ca explique peut être ce problème de #male_gaze

      Il y a je croi une faute dans le titre c’est « Current Andropology » qu’il fallait comprendre.

    • @aude_v Oui ça date un peu : Submitted : May 13, 2016
      Accepted : Dec 22, 2017, Online : Feb 08, 2019. Après, tout dépend sur quelles sociétés l’étude a été faite...

      @reka l’expression est « deferring to superiors ». Peut-on le traduire par « Rendre-compte aux supérieurs ? ».

      @mad_meg il est « normal » que ces règles soient androcentrées puisque les sociétés étudiées le sont. Ce ne sont pas des règles absolues (et d’ailleurs y en a-t-il ?).
      Ceci dit, je comprends ton point de vue. Une étude d’une femme sur la condition féminine dans ces sociétés aurait nuancé le résultat... ou pas : en effet, ton point de vue est daté de notre époque OU s’il ne l’est pas, cela voudrait dire que les femmes de cette société n’ont pas pu s’exprimer ce qu’il aurait fallu démontrer et ce que je ne peux faire en l’état actuel de mes connaissances en anthropologie/ethnographie de ces peuples (désolé).

    • il est « normal » que ces règles soient androcentrées puisque les sociétés étudiées le sont. Ce ne sont pas des règles absolues (et d’ailleurs y en a-t-il ?).

      Ce qui est pas « normal » c’est de pas le dire et prétendre que ces règles sont universelles alors qu’elles adoptent un point de vue sexiste et ne s’appliquent qu’à une minorité, et de ne même pas prendre la peine de mentionné cette spécificité.

    • Ce que tu dis est intéressant car il semblerait que cette inégalité soit quelque chose d’assimilée i.e. connue par les ethnologues, anthropologues et même archéologues et que par ce fait, elle ne fasse pas l’objet d’une mention particulière. Je prends pour argument le fait que les articles des publications scientifiques (sauf celles qui font état bien sûr d’une recherche sur le genre ou pour lesquelles le genre entre en ligne de compte) ne la mentionnent pas alors que les livres plus grand public peuvent le faire. J’en veux pour exemple « Naissance de la figure, l’art du Paléolithique à l’âge du Fer » de J.-P. Demoule, 2007 réed. 2017 que je relie actuellement et où il est mentionné p.67 : « (...) de même que toutes les sociétés humaines sont caractérisées par l’oppression, à des degrés variables, des femmes par les hommes ».

  • Stone Age Cave Symbols May All Be Part of a Single Prehistoric Proto-Writing System
    https://kottke.org/19/03/stone-age-cave-symbols-may-all-be-part-of-a-single-prehistoric-proto-writing

    While studying some of the oldest art in the world found in caves and engraved on animal bones or shells, paleoanthropologist Genevieve von Petzinger has found evidence of a proto-writing system that perhaps developed in Africa and then spread throughout the world.

    https://www.youtube.com/watch?v=hJnEQCMA5Sg

  • Entretien avec Nastassja Martin
    « Le sentiment du sublime disparaît
    avec la sécurité de celui qui le regarde »

    Benoît Labre, Nastassja Martin

    https://lavoiedujaguar.net/Entretien-avec-Nastassja-Martin-Le-sentiment-du-sublime-disparait-av

    Le Comptoir : Vous êtes partie en Alaska, synonyme de nature sauvage pour nous, de wilderness nord-américaine… Qu’avez-vous trouvé là-bas ?

    L’Alaska peut difficilement être pensé comme un territoire uniforme. Pour schématiser, disons que dans la première Alaska dans laquelle j’ai vécu, américaine, j’ai trouvé exactement cela : la wilderness vierge et sauvage telle que nous la fantasmons en Europe, les grands espaces pleins d’animaux et quasi vides d’humains. Pourtant j’ai été frappée, en arrivant sur mon terrain à Gwich’aazhee (Fort Yukon), de réaliser la perte de tous les éléments qui composaient pour moi le tableau de cette Grande Nature, extérieure, a-humaine et transcendante. Dans ce village Gwich’in délabré, pas le moindre signe d’animaux sauvages. Alors que partout sur les routes alaskiennes, on croise élans et caribous régulièrement, ici au beau milieu de la taïga subarctique, ils avaient disparu de la circulation. Ne semblaient subsister ici que ruines et left-overs d’un Occident arrivé trop vite et trop fort, déjà recrachés sur les berges de la rivière Yukon avant d’avoir pu être digérés. (...)

    #anthropologie #Alaska #entretien #nature #culture #Descola #Bruno_Latour #Edward_Tylor #animisme #écologie #Occident

  • Notes anthropologiques (XXXII)

    Georges Lapierre

    https://lavoiedujaguar.net/Notes-anthropologiques-XXXII

    L’Idée comme capital (IV)
    Petit aperçu concernant l’histoire grecque
    De la fin du Néolithique à la naissance de la cité

    Nous pouvons supposer, si nous suivons les conclusions des chercheurs, que l’âge néolithique fut marqué en Grèce par l’existence de peuples divisés en tribus et en clans formant une peuplade assez homogène dite préhellénique répartie dans des villages de pêcheurs, d’agriculteurs et d’éleveurs, se consacrant parfois à un nomadisme limité dans le temps et dans l’espace. Vers la fin du troisième millénaire, des peuples venus de l’intérieur des terres comme les Indo-Européens dits grecs, hellènes ou achéens ont progressivement envahi la péninsule grecque, cette pénétration est marquée dans un premier temps par des destructions, puis il semblerait que la société se soit recomposée progressivement en assimilant ces nouveaux venus qui auraient alors constitué une aristocratie guerrière maîtresse de vastes domaines. Nous pouvons aussi supposer que cette arrivée de nouveaux venus connaîtra des vagues successives modifiant chaque fois, mais selon le même schéma général reposant sur la domination d’une aristocratie guerrière, des sociétés qui s’étaient plus ou moins stabilisées avec le temps. (...)

    #anthropologie #Néolithique #commerce #échange #Crète #civilisations #Cnossos

  • Notes anthropologiques (XXXI)

    Georges Lapierre

    https://lavoiedujaguar.net/Notes-anthropologiques-XXXI

    Le capital comme idée ou l’Idée comme capital (III)
    L’art du détournement ou la mésaventure des colliers de perles wampum

    Le capital est l’idée qui nous meut, qui met en mouvement toute la société, qui fait en sorte que tous communiquent avec tous. En partant de cette observation ou constat, j’en arrive à la conclusion suivante : le capital (comme idée) est présent dans toutes les sociétés et c’est une idée qui se fait apparente, qui existe le plus souvent comme apparence. Dans notre civilisation cette apparence de l’idée est la monnaie ; le capital est moins visible, plus caché, plus immatériel, même s’il peut à tout moment se transformer en monnaie sonnante et trébuchante. La monnaie elle-même peut prendre plusieurs aspects, pièces en or ou en argent, billets de banque, etc., et jusqu’à revêtir de temps à autre les objets de valeur d’autres sociétés. Ce don de transformation et de métamorphose prouve, s’il en était besoin, que nous avons bien affaire à une idée et non seulement à des choses ou à des objets. L’argent contient l’idée de l’échange, pour cette raison, il est à la fois le capital, l’idée qui se trouve à l’origine des échanges, et moyen qui permet les échanges, monnaie. (...)

    #anthropologie #échange #capital #monnaie #origine #marchands #État

  • Naissance et mort au Paléolithique récent européen (par Ana Minski) – Le Partage
    http://partage-le.com/2019/02/naissance-et-mort-au-paleolithique-recent-europeen-par-ana-minski

    L’#obstétrique a été construite par des hommes à une époque où les femmes étaient exclues de toutes les fonctions décisionnelles, et où leur parole n’avait pas la moindre importance. Les médecins ont donc décrit l’accouchement à travers le prisme des #stéréotypes de genre et à une époque où la #médecine était obsédée par l’hystérie. Il était attendu des femmes qu’elles soient posées, fragiles, discrètes, silencieuses et sujettes aux évanouissements délicats. Ainsi les femmes ont-elles été dépossédées par les hommes de leur capacité naturelle à mettre au monde, et ainsi la position allongée, l’immobilité et le silence furent-ils imposés aux parturientes sous peine de risquer leur vie et celle du bébé. D’où cette peur très répandue de l’accouchement. D’ailleurs, certains croient encore au dilemme obstétrical qui a pourtant été sérieusement remis en question en 2006[5]. Des textes ethnologiques témoignent également de la capacité des femmes à mettre au monde leur enfant seule, dans la jungle, derrière un buisson, dans la rivière, sans l’aide de personne et sans difficulté apparente. Les femmes, libérées des mythes patriarcaux, savent mieux que n’importe quel spécialiste diplômé comment se positionner pour l’expulsion du bébé : accroupie, dans l’eau ou à quatre pattes[6].

    L’environnement et le milieu socio-culturel ont également un impact considérable sur la grossesse et au moment de l’accouchement. Des études épigénétiques ont permis de démontrer l’importance de l’accouchement par voie naturelle pour l’immunité du jeune enfant, mais aussi le rôle de l’intervention sur la parturiente. Avec le développement de l’agriculture, une simplification alimentaire a entraîné des risques importants de malnutrition et a rendu le sevrage difficile[7]. Quoi qu’en disent les obstétriciens, la femme n’est pas condamnée à mourir en couches ou à souffrir atrocement sans l’aide de la médecine moderne.

  • Notes anthropologiques (XXX)

    Georges Lapierre

    https://lavoiedujaguar.net/Notes-anthropologiques-XXX

    Le capital comme idée ou l’Idée comme capital (II)
    L’art du détournement ou la mésaventure des pierres trouées
    de l’île de Yap

    Le capital est une idée qui agit, il est l’idée du genre qui se fait effective, il est l’idée qui génère le genre humain. Ce n’est pas une idée ordinaire, il est l’Idée avec majuscule, l’Idée majuscule, celle qui génère l’être humain et qui donne naissance à la pensée, et l’anime. Le capital est l’idée du genre qui anime l’être humain. Il est à la fois l’idée qui constitue l’être, qui constitue l’intimité corporelle de l’homme et de la femme, celle qui anime le sujet, une idée éminemment subjective, mais cette idée créatrice du sujet, du sujet pensant, se matérialise, se fait objective, elle apparaît, elle se fait apparente, elle devient visible. Elle manifeste son universalité en devenant apparente, en prenant forme, en devenant objet du désir et de la passion de tout un chacun, elle déborde le sujet, l’individu, femme ou homme, elle devient un article de foi, un consensus social, elle concentre et cristallise l’esprit d’une communauté, l’esprit créateur de la vie collective, générant la vie sociale. Elle devient un objet fascinant, un objet magique et la magie fonctionne. À l’origine de l’humain, se trouve la pensée magique. Du fait de notre suffisance, nous ne voulons pas le reconnaître, et pourtant… En elle (ou dans le capital) se conjuguent intériorité et extériorité. Les deux, intériorité et extériorité, s’y mélangent et c’est bien ce qui constitue l’énigme ou le mystère du capital. (...)

    #anthropologie #monnaie #capital #Yap #échange #fête #don #potlatch #David_O’Keefe #Maurice_Godelier

  • Comment faire face au présent ?
    https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-2eme-partie/comment-faire-face-au-present


    Nous recevons #Philippe_Descola, professeur au Collège de France, où il occupe la chaire d’Anthropologie de la nature, à l’occasion de la soirée spéciale Nuit des Idées à la Bibliothèque nationale de France (BNF). Comment affronter le présent, ses enjeux, ses défis, et l’avenir qu’il porte en germe ?

    Pas encore écouté

  • Comment changer le cours de l’#histoire | Eurozine
    https://www.eurozine.com/comment-changer-le-cours-de-lhistoire

    Depuis des siècles, le récit expliquant les origines de l’#inégalité sociale est simple. Pendant la plus grande partie de leur histoire, les hommes vécurent dans des petits groupes égalitaires de #chasseurs-cueilleurs. Puis vint l’#agriculture, accompagnée de la #propriété privée, puis la naissance des #villes signifiant l’émergence de la #civilisation à proprement parler. Si la civilisation eut bien des aspects déplorables (les guerres, les impôts, la bureaucratie, la patriarchie, l’esclavage, etc.), elle rendit également possibles la littérature écrite, la science, la philosophie et la plupart des autres grands accomplissements humains.

    Tout le monde, ou presque, connaît les grandes lignes de cette histoire. Depuis l’époque de Jean-Jacques #Rousseau, au moins, elle a informé notre conception de la forme générale et de la direction de l’histoire humaine. Cela est d’autant plus important que ce #récit définit dans le même temps ce que nous percevons comme nos possibilités #politiques. La plupart d’entre nous considère la civilisation, et donc l’inégalité, comme une triste nécessité. Certains rêvent du retour à un #passé #utopique, de la découverte d’un équivalent industriel au “#communisme primitif” ou même, dans les cas les plus extrêmes, de la destruction complète de la civilisation et du retour à une vie de cueillette. Personne, cependant, ne remet en cause la structure élémentaire de cette histoire.

    Et pourtant, ce récit est fondamentalement problématique.

    Car il n’est pas vrai.

    • Pfiou je viens enfin de finir cet article de vulgarisation de l’actualité des connaissances archéo-anthropologiques (oui ça fait deux semaines que je le lis en plusieurs fois…). Il est vraiment super important, je trouve !

      Le premier pavé dans la mare sur notre liste concerne les origines et l’étendue de l’agriculture. La vision selon laquelle celle-ci a constitué une transition majeure dans les sociétés humaines ne repose plus sur aucun fondement solide. Dans les parties du monde où plantes et animaux furent d’abord domestiqués, il n’y eut en fait aucun “revirement” discernable du Cueilleur du Paléolithique à l’Agriculteur du Néolithique. La “transition” entre une vie reposant essentiellement sur des ressources sauvages à une autre fondée sur la production alimentaire s’étendit spécifiquement sur quelque chose comme trois mille ans. Alors que l’agriculture mit au jour la possibilité de concentrations de la richesse plus inégales, dans la plupart des cas, ceci ne commença que des millénaires après ses débuts. Entre les deux périodes, des individus dans des zones aussi retirées que l’Amazonie et le Croissant fertile du Moyen-Orient s’essayaient à l’agriculture pour voir ce qui leur convenait, une “agriculture ludique” si l’on veut, alternant annuellement entre les modes de production, autant qu’ils allaient et venaient en matière de structures sociales.

      […]

      Selon toute évidence, cela n’a plus aucun sens d’utiliser des expressions comme “la révolution agricole” lorsque l’on traite de processus aussi démesurément longs et complexes. Comme il n’y eut pas d’État semblable à l’Éden, à partir duquel les agriculteurs purent démarrer leur marche vers l’inégalité, il y a encore moins de sens à parler de l’agriculture comme ce qui donna naissance aux rangs et à la propriéte privée. S’il y a une chose à dire, c’est que c’est parmi ces populations – les peuples du “Mésolithique” – qui refusèrent l’agriculture pendant les siècles de réchauffement de l’Holocène précoce, que l’on trouve une stratification s’enracinant progressivement

      […]

      Dans au moins certains cas, comme au Moyen-Orient, les premiers agriculteurs semblent avoir consciemment développé des formes alternatives de communauté, pour accompagner leur mode de vie de plus plus intensif en travail. Ces sociétés néolithiques semblent remarquablement plus égalitaires lorsqu’on les compare à celles de leurs voisins chasseurs-cueilleurs, avec une hausse spectaculaire de l’importance économique et sociale des femmes, clairement reflétée dans leur vie rituelle et leurs arts

      […]

      Ces découvertes récentes montrent combien nos connaissances de la distribution et de l’origine des premières villes sont faibles, et combien aussi ces villes sont beaucoup plus vieilles que les systèmes de gouvernement autoritaire et d’administration par l’écrit que nous supposions jusqu’alors nécessaires à leur fondation. Et dans les centres mieux établis de l’urbanisation – la Mésopotamie, la vallée de l’Indus, le bassin de Mexico – il y a de plus en plus de preuves que les premières villes étaient organisées selon des règles consciemment égalitaires, les conseils municipaux conservant une autonomie significative par rapport au gouvernement central. Dans les deux premiers cas, les villes avec des infrastructures civiques sophistiquées fleurissaient pendant plus d’un demi-millénaire, sans aucune trace de sépultures et monuments royaux, sans grandes armées ou autres moyens de coercition à grande échelle, ni indice d’un contrôle bureaucratique direct sur la vie de la plupart des citoyens.

      […]

      Les cités égalitaires, même les régions confédérées, sont des lieux communs historiques. Ce que ne sont pas les familles et ménages égalitaires. Une fois que le verdict historique sera tombé, nous verrons que la perte la plus douloureuse des libertés humaines commença à petite échelle – au niveau des relations de genre, des groupes d’âge et de la servitude domestique – c’est-à-dire le type de relations où la plus grande intimité s’accompagne simultanément des plus profondes formes de violence structurelle. Si nous voulons vraiment comprendre comment il est devenu un jour acceptable pour les uns de transformer la richesse en pouvoir, et pour les autres de se faire dire que leurs besoins et que leurs vies ne comptaient pas, c’est bien là qu’il faudrait regarder. C’est là aussi, prédisons-nous, que le travail, le plus âpre qui soit, de création d’une société libre, devra se dérouler.

      BAM !!!

      #anthropologie #archéologie #vulgarisation #Histoire #préhistoire #structure_sociale #État #inégalité #David_Graeber #David_Wengrow #Rousseau #chasseurs-cueilleurs #agriculture
      critique de #Jared_Diammond et #Francis_Fukuyama entre autre
      @nicolasm :)

  • What People Actually Say Before They Die - Insights into the little-studied realm of last words
    https://www.theatlantic.com/family/archive/2019/01/how-do-people-communicate-before-death/580303

    On savait déja qu’à l’exception des héros face au peleton d’exécution personne n’a jamais prononcé des mots dignes de sa vie passée. Cet article décrit ce qui se passe en réalité avec la parole des moribonds. Conclusion : il n’y a pas grand chose et le peu qu’on apercoit de l’extérieur est si individuel que la science n’a pas encore trouvé de méthide pour le décrire.

    #mort #religion #athéisme #psychologie #anthropologie

  • Homo domesticus. Une histoire profonde des premiers États

    Ernest London

    https://lavoiedujaguar.net/Homo-domesticus-Une-histoire-profonde-des-premiers-Etats

    À la recherche de l’origine des États antiques, James C. Scott, professeur de science politique et d’anthropologie, bouleverse les grands récits civilisationnels. Contrairement à bien des idées reçues, la domestication des plantes et des animaux n’a pas entraîné la fin du nomadisme ni engendré l’agriculture sédentaire. Et jusqu’il y a environ quatre siècles un tiers du globe était occupé par des chasseurs-cueilleurs tandis que la majorité de la population mondiale vivait « hors d’atteinte des entités étatiques et de leur appareil fiscal ».

    La première domestication, celle du feu, est responsable de la première concentration de population. La construction de niche de biodiversité par le biais d’une horticulture assistée par le feu a permis de relocaliser la faune et la flore désirables à l’intérieur d’un cercle restreint autour des campements. La cuisson des aliments a externalisé une partie du processus de digestion. Entre 8000 et 6000 avant notre ère, Homo sapiens a commencé à planter toute la gamme des céréales et des légumineuses, à domestiquer des chèvres, des moutons, des porcs, des bovins, c’est-à-dire bien avant l’émergence de sociétés étatiques de type agraire. (...)

    #James_C._Scott #histoire #anthropologie #Homo_sapiens #chasseurs-cueilleurs #agriculture #Mésopotamie #esclavage #État #empires_fantômes

    • Contre le blé, contre l’Etat, Joseph Confavreux

      L’anthropologue anarchiste James C. Scott publie un ouvrage détonnant qui, à l’appui des récentes découvertes de l’archéologie, remet en cause le grand récit civilisationnel fondé sur l’agriculture céréalière, la sédentarité et l’État.

      James C. Scott est éleveur de moutons et dit se sentir « personnellement offensé chaque fois qu’on cite les moutons comme synonyme de comportement conformiste de masse, de pusillanimité et d’absence d’individualité », alors que cela fait 8 000 ans que l’homme a sélectionné les moutons précisément pour les domestiquer et les rendre toujours plus dociles.

      James C. Scott est aussi un des anthropologues les plus singuliers du monde, auteur d’un travail au long cours sur les comportements infrapolitiques (Petit éloge de l’anarchisme), les logiques du pouvoir de l’État moderne (Seeing like a State) ou les peuples sans État, notamment ceux d’Asie du Sud (Zomia ou l’art de ne pas être gouverné).

      homo-domesticusSon dernier livre, que viennent de traduire les éditions La Découverte, s’intitule Homo Domestiscus. Une histoire profonde des premiers États, et combine ce qu’il a pu personnellement observer en matière de domestication des animaux ou des hommes avec des décennies de travail sur les rapports entre les marges et les centres, les nomades et les États, les gouvernés et les gouvernants, les prétendus barbares et les soi-disant civilisés.
      Il se nourrit, aussi et surtout, des récentes avancées de l’archéologie qui, grâce notamment à de nouvelles techniques de recherche, viennent de plus en plus souvent bousculer les savoirs solidifiés dans les livres scolaires et appris par des générations d’écoliers. La récente et impressionnante Histoire des civilisations, sous-titrée Comment l’archéologie bouleverse nos connaissances, également publiée par les éditions La Découverte et codirigée par l’archéologue Jean-Paul Demoule, s’inscrivait aussi dans ce moment singulier où l’archéologie change notre regard sur le passé, et peut-être ainsi sur le présent.

      Homo domesticus assume d’être une synthèse, voire parfois une forme de braconnage sur des territoires qui ne sont pas ceux de l’anthropologue. Scott définit d’ailleurs lui-même son ouvrage comme le « rapport d’exploration d’un intrus ». Mais son sens du récit et son érudition tout-terrain rendent sa thèse principale très convaincante, tout en permettant au lecteur d’apprendre, au passage, pourquoi les chimpanzés ont un intestin trois fois plus grand que le nôtre, quel est le métabolisme du blé sauvage ou comment lire l’épopée de Gilgamesh…

      Cette thèse consiste à démonter le grand récit civilisationnel de la révolution néolithique et de l’essor de l’humanité, selon lequel « l’agriculture venait se substituer au monde barbare, sauvage, primitif, brutal et sans loi des chasseurs-cueilleurs et des nomades ». Pour l’anthropologue, même si l’on a longtemps supposé que « l’agriculture avait été un grand pas en avant pour l’humanité en termes de bien-être, de nutrition et de temps libre », initialement, « c’est plutôt le contraire qui est vrai ».

      L’hypothèse implicite que la récolte d’une culture plantée serait plus fiable que le rendement des espèces sauvages serait ainsi fausse, « dans la mesure où les espèces sauvages, par définition, ne sont présentes que sur des sites où elles peuvent prospérer ». Celles et ceux qui voient dans l’agriculture sédentaire un pas majeur dans l’avancée de la civilisation négligent en plus les « risques de crise de subsistance impliqués par un mode de vie sédentaire et par la nécessité concomitante de planter, de soigner et de protéger des espèces cultivées ».

      Les avancées récentes de l’archéologie révèlent que les chasseurs-cueilleurs n’avaient rien « de ces populations désemparées, mal nourries, toujours au bord de la famine, qu’imagine l’ethnologie populaire ». Et permettent de mieux comprendre que la « sécurité alimentaire des chasseurs-cueilleurs reposait précisément sur la mobilité et sur la diversité des ressources auxquelles ils avaient accès ».

      À partir du moment où l’on remet en question l’hypothèse fondamentale de la supériorité et de la plus grande attractivité de l’agriculture sédentaire par rapport à toutes les formes de subsistance antérieures, il devient clair, pour le chercheur, « que ladite hypothèse repose elle-même sur un présupposé plus profond et plus enraciné qui n’est, lui, pratiquement jamais remis en cause : à savoir que l’existence sédentaire serait elle-même supérieure et plus attrayante que les formes de subsistance fondées sur la mobilité ».

      51bn3kwdvel-sx329-bo1-204-203-200Dans ce livre, dont le titre original est Against the Grain : A Deep History of the Earliest States, Scott avance donc l’hypothèse du lien étroit entre les céréales et la constitution d’États jugés coercitifs par l’anarchiste qu’il est depuis des décennies. Pour lui, « seules les céréales sont vraiment adaptées à la concentration de la production, au prélèvement fiscal, à l’appropriation, aux registres cadastraux, au stockage et au rationnement ». Ce qui explique pourquoi l’économie de tous les États antiques reposait sur les céréales et pourquoi « l’histoire n’a pas gardé trace de l’existence d’États du manioc, du sagou, de l’igname, du taro, du plantain, de l’arbre à pain ou de la patate douce ».
      Il s’ensuit pour Scott que « l’émergence de l’État ne devient possible que lorsqu’il n’existe guère d’autres options qu’un régime alimentaire dominé par les céréales domestiquées ». La « clé du lien » entre l’État et les céréales serait donc le fait que « seules ces dernières peuvent servir de base à l’impôt, de par leur visibilité, leur divisibilité, leur “évaluabilité”, leur “stockabilité”, leur transportabilité. »

      « Myopie historique »

      À partir de là, James C. Scott juge donc qu’on surestime très largement la révolution néolithique qui « a entraîné un appauvrissement de la sensibilité et du savoir pratique de notre espèce face au monde naturel, un appauvrissement de son régime alimentaire, une contraction de son espace vital et aussi, sans doute, de la richesse de son existence rituelle ».

      arton2238-a8443Une surévaluation intimement liée à la manière dont les progrès de la civilisation ont été « codifiés par les premiers grands royaumes agraires ». Comme dans Zomia, l’anthropologue juge nécessaire de se départir de la « téléologie de l’État » et d’une « histoire stato-centrée ». Une histoire « impartiale » supposerait, selon lui, qu’on accorde à l’État « un rôle beaucoup plus modeste que celui qu’on lui attribue normalement », même s’il n’est pas étonnant que l’État ait fini par dominer les grands récits archéologiques et historiques.
      En effet, outre l’hégémonie de la forme État dans le monde actuel, « la majeure partie des recherches archéologiques et historiques dans le monde sont parrainées par l’État, ce qui en fait souvent une sorte d’autoportrait narcissique », écrit Scott, en notant qu’on a toujours privilégié l’excavation des grandes ruines historiques sur des indices plus faibles d’installation humaine, que les dernières techniques archéologiques permettent de mieux repérer.

      De plus, les « documents écrits sont invariablement produits par et pour l’État ». Même si bon nombre de peuples nomades connaissaient l’écriture, « ils écrivaient généralement sur des matériaux périssables (écorce, feuille, bambou, roseau) et pour des raisons étrangères aux préoccupations d’un État (comme mémoriser des sortilèges ou des poèmes d’amour) ».

      Décentrer ainsi l’Histoire pour éclairer les zones oubliées par les récits officiels permet notamment de montrer que l’émergence de l’État apparaît en réalité très longtemps après la naissance de l’agriculture sédentaire et ne lui est pas liée, même si cette forme d’organisation sociale demeure, en général, réticente aux zones humides, désertiques ou montagneuses.

      Scott rappelle à ce sujet que les premiers établissements sédentaires de l’histoire de l’humanité sont apparus dans des zones humides, dont le rôle a été largement sous-estimé, pour au moins trois raisons. D’abord en raison de « l’association presque irrésistible entre l’idée de civilisation et les principales céréales : blé, orge, riz et maïs ». Ensuite, parce qu’il s’agissait de cultures largement orales n’ayant laissé derrière elles aucun témoignage écrit. Enfin, parce que cette myopie historique vis-à-vis des sociétés des zones humides pourrait être liée à leur « incompatibilité écologique avec la centralisation administrative et le contrôle par le haut. Ces sociétés reposaient en effet sur ce qu’on appelle aujourd’hui des biens collectifs ou des communs – plantes, animaux et espèces aquatiques sauvages auxquelles toute la communauté avait accès. Il n’existait aucune ressource dominante unique susceptible d’être monopolisée ou contrôlée et encore moins taxée par un centre politique ».

      Décentrer l’histoire permet aussi de comprendre que les premiers États étaient, en réalité, non seulement très fragiles, mais éphémères et réversibles. « Dans la plupart des cas, les périodes d’interrègne, de fragmentation et de décadence étaient plus fréquentes que les phases de domination efficace et stable. » En outre, explique Scott, « dans une grande partie du monde, l’État, même lorsqu’il était robuste, n’était qu’une institution saisonnière. Récemment encore, en Asie du Sud-Est, pendant les averses annuelles de la mousson, il n’était guère capable de projeter sa puissance au-delà des murs du palais royal ».

      Pour l’anthropologue, il a existé plusieurs lignes de faille, « sous-produits de l’émergence de l’État lui-même », liées aux conséquences épidémiologiques de la concentration sans précédent des espaces cultivés, des humains et du bétail, ainsi que des parasites et agents pathogènes, liées également aux effets écologiques plus insidieux de l’urbanisme ou encore aux répercussions d’une agriculture reposant sur l’irrigation intensive et entraînant une déforestation et une salinisation des sols.

      Rompre ainsi l’hypnose provoquée par les récits « narrant la fondation d’une dynastie ou exaltant sa période classique, alors que les périodes de désintégration et de désordre ne laissent que peu ou pas de trace », permet notamment de saisir les nombreux « mouvements de fuite des territoires contrôlés par les premiers États en direction de leur périphérie ». Mouvements dont les traces, « dans la mesure où ils contredisent le récit qui met en scène l’État en tant que porteur de civilisation et bienfaiteur de ses sujets », sont « confinées dans d’obscurs documents juridiques ».

      La Grande Muraille sur le site de Mutianyu
      La Grande Muraille sur le site de Mutianyu
      Le lecteur apprend ainsi que la Grande Muraille de Chine servait tout autant à retenir les paysans Han et les contribuables qu’à faire obstacle aux incursions barbares. Ce fait que les premiers États n’aient pas réussi à retenir leur population est, pour Scott, le signe que « c’est seulement par le biais de diverses formes de servitude que les premiers États ont réussi à capturer et à fixer une bonne partie de leurs populations ».
      « Homo sapiens n’a-t-il pas lui-même été domestiqué ? »

      La mise en cause du récit traditionnel de la civilisation par James Scott n’est pas seulement, pour lui, un moyen de rendre justice à un passé moins linéaire que la vision que nous en avons d’habitude. Elle est aussi une façon de repenser le présent, et notamment le fait que nous acceptons comme quelque chose d’inévitable, voire de normal, de vivre dans des États inégalitaires et dont les premières fondations reposent sur la coercition et l’exploitation de leurs populations.

      41wndayie2l-sx303-bo1-204-203-200L’anthropologue réexamine ainsi « la conception de l’État chère à des théoriciens du contrat social tels que Hobbes et Locke, celle d’un pôle d’attraction irrésistible reposant sur la paix civile, l’ordre social et la sécurité personnelle ». Alors que, pour lui, la « formation des premiers États est pour une bonne part une entreprise coercitive », appuyée sur l’usage « extensif d’une main-d’œuvre servile » : prisonniers de guerre, semi-servage, esclaves, même si celui-ci était présent dans nombre de sociétés pré-étatiques.
      James C. Scott tient à réhabiliter des modes de vie classés comme « barbares » simplement parce qu’il refusaient les rets de l’État, et en particulier l’impôt, que le chercheur n’hésite pas à qualifier de « fléau » pour les populations intégrées aux premiers États, en évoquant les collectes en nature prélevées par l’État sous forme de céréales, de main-d’œuvre et de conscription.

      Il fait ainsi voler en éclats la ligne de démarcation censée passer entre les mondes dits barbares et les mondes prétendument civilisés, c’est-à-dire étatisés, notamment parce que les populations assujetties à l’État et les peuples sans État étaient en réalité des partenaires commerciaux naturels et fréquents, dont le négoce des peaux de castor des Amérindiens a été l’un des plus emblématiques. « Une telle symbiose engendrait une hybridité culturelle beaucoup plus intense que ce que la typique dichotomie “barbare-civilisé” pourrait laisser croire », écrit Scott.

      Pour lui, les « barbares » doivent davantage être compris comme les « jumeaux cachés de la civilisation », comme l’atteste notamment le fait qu’il est arrivé que ces derniers conquièrent l’État, comme ce fut le cas deux fois dans l’histoire de la Chine, avec la dynastie mongole des Yuan et la dynastie mandchoue des Qing, ainsi que dans celui d’Osman, le fondateur de l’Empire ottoman. Pour Scott, l’existence dite barbare a donc « été souvent plus facile, plus libre et plus saine que celle des membres des sociétés civilisées – du moins de ceux qui ne faisaient pas partie de l’élite ».

      À lire l’anthropologue, on peut même aller jusqu’à désigner « la longue période historique qui vit se côtoyer des États agraires relativement faibles et de nombreux peuples sans État, généralement équestres », comme un « âge d’or » des barbares, comparable à un moment où « le mouvement d’enclosure politique représenté par l’État-nation n’existait pas encore ». Pour lui, ces « barbares » étaient « presque à tous égards plus libres que les petits fermiers anglais de la fin du Moyen Âge et du début de l’ère moderne, dont on a tant vanté l’indépendance ».

      Ce détour par la proto-histoire est aussi, pour Scott, un moyen de réfléchir à la notion de domestication, et à la façon dont elle résonne aujourd’hui. Il rappelle en effet que le terme domestiquer est normalement considéré comme un verbe actif impliquant un complément d’objet direct. Mais, interroge-t-il, Homo sapiens n’a-t-il « pas lui-même été domestiqué, attelé au cycle interminable du labourage, du plantage, du désherbage, de la récolte, du battage, du broyage » ? Pour Scott, l’homme est quasiment devenu esclave des céréales, et a été domestiqué par son confinement, une plus forte densité démographique et de nouveaux modèles d’activité physique et d’organisation sociale…

      Ce qui interroge quand on sait que, par rapport à leurs ancêtres sauvages, les moutons ont connu une réduction de 24 % de la taille de leur cerveau au cours des 10 000 ans d’histoire de leur domestication ou que les furets ont des cerveaux 30 % plus petits que ceux des putois… « La réduction de la taille du cerveau et ses conséquences possibles semblent décisives pour rendre compte de la docilité des animaux domestiques en général », écrit James Scott, en se plaisant sans doute à imaginer ce que serait le cerveau d’un homme sauvage, en liberté et sans État.

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      Cette plongée dans la profondeur de l’histoire est, enfin, un moyen pour Scott de reprendre à nouveaux frais une notion à la mode, qui a pu être féconde pour alerter sur notre destinée civilisationnelle, mais s’avère également sidérante, voire paralysante : celle d’effondrement. Pour Scott, « dans son usage non réfléchi, la notion d’effondrement désigne une tragédie civilisationnelle affectant un grand royaume antique et ses réalisations culturelles ». Elle pourrait pourtant signifier « simplement un retour à la fragmentation de leurs parties constitutives, quitte à ce qu’elles se fédèrent de nouveau ultérieurement ».
      À lire l’anthropologue, une bonne partie de ce qui, dans l’histoire, est passé pour un effondrement n’était en réalité qu’une désagrégation au sens propre du terme : la réduction d’entités politiques de grande taille mais fragiles, à leurs composantes plus modestes et souvent plus stables, mais aussi souvent plus justes politiquement et socialement.

      Scott va jusqu’à effectuer alors un curieux, mais osé, « plaidoyer pour l’effondrement », en faisant l’hypothèse que ce qu’on désigne encore comme des siècles obscurs, des périodes intermédiaires ou des âges sombres a « en fait suscité un net gain de liberté pour de nombreux sujets des États antiques et une amélioration général du bien-être humain ». Une histoire à méditer pour les collapsologues ou les déclinistes contemporains…

    • Je connais mal cette littérature, mais je suppose que ces théories ont été confrontées et confirmées par les récits qu’on a des sociétés de #chasseurs-cueilleurs plus récentes, comme par exemple les sociétés #autochtones nord-américaines ? On a des témoignages du 17ème siècle de colons européens, par exemple :

      Un Français au « Royaume des bestes sauvages »
      #Paul_Lejeune, Lux, le 8 janvier 2009
      https://www.luxediteur.com/catalogue/un-francais-au-royaume-bestes-sauvages

      #Canada #Lux @lux_editeur