Les « antifas », voilà l’ennemi désigné. Alors que les manifestations pacifiques, mais aussi les émeutes, se multiplient dans les villes américaines, Donald Trump a confirmé, dimanche 31 mai, qu’il considérait la mouvance comme responsable.
« Les Etats-Unis vont inscrire ANTIFA dans la catégorie des organisations terroristes », a tweeté le président, qui a appelé un peu plus tard les maires et les gouverneurs démocrates à « s’endurcir » : « Ces gens [les manifestants ou les émeutiers, pas évident à déterminer dans le contexte] sont ANARCHISTES. »
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La déclaration de Donald Trump, dimanche, se heurte donc à une réalité plus complexe. Elle n’a de plus aucune valeur pratique et juridique.
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Donald Trump avait déjà, en juillet 2019, agité la menace de classement en groupe terroriste (sur Twitter également), comparant « ANTIFA » au gang ultraviolent américano-salvadorien MS-13. Il rebondissait sur une résolution (symbolique) défendue par deux sénateurs républicains, Ted Cruz (Texas) et Bill Cassidy (Louisiane) qui souhaitaient que les antifas soient désignés comme une « organisation de terrorisme intérieur », citant l’agression d’un journaliste conservateur, le blocage d’un bureau de la police de l’immigration (ICE) et la révélation de l’identité d’agents du service.
Un acte politique, sans implication juridique
Autre obstacle à la volonté présidentielle, la « catégorie des organisations terroristes » n’existe pas pour le terrorisme intérieur aux Etats-Unis. La loi fédérale définit bien ce dernier, mais la législation ne prévoit aucune incrimination spécifique ou liste de groupes susceptibles d’être sanctionnés. Le financement ou le soutien sont susceptibles de poursuites uniquement si l’organisation est étrangère.
De même, une enquête sur un groupe « terroriste » local ne peut être déclenchée que s’il est soupçonné d’un crime – violences, meurtres – alors que toute activité étrangère peut provoquer des investigations sur le terrorisme international.
Et si un terroriste sans lien avec l’étranger commet une tuerie de masse, il sera, simplement, si l’on peut dire, poursuivi pour assassinats – et éventuellement « crime de haine ». La décision de qualifier un acte de « terrorisme intérieur » est donc purement politique, sans implication juridique.
« La décision de Trump de poster ce tweet est calculée, il s’agit de rallier sa base », poursuit ce très bon connaisseur de la mouvance, qui s’inquiète, dans un climat déjà tendu, que ce ciblage constitue un « signal pour l’extrême droite, en les encourageant à croire qu’ils peuvent mener leurs propres attaques de justiciers contre les manifestants en toute impunité ». Des incidents ont déjà été répertoriés ce week-end.
Le ministre de la justice, William Barr, a louvoyé entre cette réalité et les déclarations présidentielles, dimanche, en assurant que « la violence organisée et menée par Antifa et d’autres groupes similaires en relation avec les émeutes est du terrorisme intérieur et sera traitée comme tel ». M. Barr a également expliqué que « pour identifier les organisateurs (…) la police fédérale utilise son réseau de 56 tasks forces antiterroristes régionales du FBI ». En somme, elle fait avec ce qui existe déjà.
Le sacro-saint premier amendement de la Constitution
Car le FBI – qui est à la fois un service de renseignement et un service de police judiciaire – n’a jamais cessé, depuis les années 1950, de surveiller, d’enquêter et parfois de déstabiliser les mouvements militants de gauche ou de défense des droits civiques, qu’ils soient radicaux ou pas. Le bureau de l’inspecteur général, l’autorité de contrôle du gouvernement fédéral, s’en est encore ému en 2010 au terme de quatre ans d’enquête.
Il y a un peu plus d’un an, l’organisation non gouvernementale Property of the People a ainsi obtenu le dossier d’une enquête sur le groupe antifasciste By Any Means Necessary (BAMN), étiqueté « DT [terrorisme intérieur] – extrémisme anarchiste », après une contre-manifestation de BAMN lors d’un rassemblement de nazis et de membres du Ku Klux Klan (KKK) à Sacramento, en Californie.
Les militants étaient accusés « d’avoir assisté à un rassemblement du Ku Klux Klan et agressé un militant nazi ». Les investigations n’avaient pas abouti, notamment parce que les activités de BAMN sont protégées au titre du premier amendement à la Constitution américaine sur la liberté religieuse, d’expression et de rassemblement. Tout comme, en face, celles du KKK et des nazis.
C’est la limite la plus forte, constitutionnelle, et au cœur de l’identité américaine, qui bloque aux Etats-Unis toute législation sur la question du terrorisme intérieur ou même des groupes professant des idéologies de haine : le sacro-saint premier amendement. Considérer systématiquement la mouvance « antifa » comme un groupe terroriste en serait une violation, et le FBI s’y est toujours refusé. Est-ce à dire que la déclaration de Donald Trump restera sans effets concrets du côté des forces de l’ordre ? Le militant interrogé, qui en a vu d’autres, est certain que « cela sera utilisé comme une justification pour viser des organisations spécifiques, comme la “peur rouge” par le passé. »
Laurent Borredon