• Réinventons l’internationalisme (2/4) - La faillite d’un « anti-impérialisme à sens unique »

    Contre le campisme, cet anti-impérialisme à sens unique, qui traverse certains courants de la gauche, il faut tenir enfin compte de l’impérialisme russe. L’étudier de près, ce n’est pas inverser la bêtise campiste ; c’est affirmer que toute analyse qui ne le prendrait pas au sérieux se disqualifie d’elle-même. Le poutinisme est un danger mortel pour les peuples. D’où l’urgence de le combattre sans esprit de faiblesse. 2ème volet d’une réflexion intitulée « Face au nationalisme grand-russe, réinventons l’internationalisme ».

    L’un des pires aspects de cette attitude est de ne faire aucun cas des aspirations populaires des Ukrainiens, mais aussi, pour remonter plus loin, des grands mouvements démocratiques en #Ukraine, en Biélorussie, en Géorgie, au Kazakhstan. Les peuples en question sont réduits à des pions qui n’existent pas vraiment dans ce grand schéma historique abstrait dont le seul acteur véritable est l’Ennemi qui veut étendre sa domination mondiale. Il ne vient pas même pas à l’esprit du campiste de gauche que l’adhésion à l’OTAN de nombreux pays longtemps restés sous la coupe de l’URSS après 1945 était pour eux, faute de mieux, un gage de sécurité après toutes les agressions, annexions ou dépeçages qu’ils avaient subis dans leur histoire. Bien sûr, le réel est « toujours plus complexe », comme le répètent les « non-alignés », mais précisément ils devraient en tirer la leçon : les peuples disposent de leur autonomie, ils ne sont pas les marionnettes des grandes puissances. La pire faute politique du campisme est de considérer que les peuples ne sont rien, que tout se joue en haut. Ainsi le terrorisme islamiste aurait été dès le début à l’œuvre dans la révolution populaire syrienne de 2011. Ainsi les « révolutions de couleur », mobilisations populaires dans l’espace post-soviétique qui ont participé à partir des années 2000 au grand mouvement d’émancipation démocratique aux quatre coins du monde, n’auraient été que des formes déguisées de l’impérialisme américain. Ainsi l’occupation de la place Maidan en 2014, qui fait partie du grand cycle du mouvement d’occupation des places, aurait porté la marque des « néo-nazis ». 

    De ce schéma découle une « relativisation des responsabilités ». Le théoricien de l’altermondialisme et de la « gauche globale », autrefois mieux inspiré, Boaventura de Souza Santos, affirme ainsi sans sourciller que « la démocratie n’est qu’une façade (pantalla) des Etats-Unis » et compare le « coup d’État de 2014 » en Ukraine au golpe qui a renversé Dilma Roussef en 2016 au Brésil. Dans l’un et l’autre cas, il n’y aurait qu’une seule et même tentative d’étendre la sphère d’intérêts des États-Unis : « La politique de changement de régime ne vise pas à créer des démocraties, mais uniquement des gouvernements fidèles aux intérêts des États-Unis ». On ne peut mieux nier la subjectivité démocratique des peuples, réduite à des jouets dans la main de l’impérialisme américain (1). C’est oublier en outre que les multinationales américaines et européennes n’ont jamais autant prospéré que dans le régime mafieux et ultra répressif de Russie qui leur assurait une paix sociale absolue. En réalité, cet auteur ne fait que répéter la vieille doxa du vingtième siècle, comme si la Russie ou la Chine représentait une alternative « progressiste » au capitalisme occidental qu’il faudrait « ménager » parce qu’elle lui ferait contrepoids. En réalité, ces pays offrent des versions parmi les plus monstrueuses du capitalisme en ce qu’elles associent la pire des dictatures politiques sur la population et l’exploitation à outrance des richesses en faveur d’une toute petite classe de prédateurs ultrariches.

    https://blogs.mediapart.fr/pierre-dardot-et-christian-laval/blog/180322/reinventons-linternationalisme-24-la-faillite-d-un-anti-imperialisme

    #Russie #syrie #anti_impérialisme #gauche #anti_impérialisme_des_imbéciles