#anti_journalisme

  • J – 42 : Jérôme Ferrari vient de publier un livre d’une très rare élégance. Il s’agit de la reprise de ses chroniques hebdomadaires pour le journal La Croix . Il se passe quelque chose.

    L’élégance c’est comprendre d’emblée les limites d’un tel exercice et les rappeler dès la première chronique, on me confie une rubrique, je suis auteur de romans, fussent-ils fameux, ils le sont, professeur de philosophie au lycée, je suis donc guère plus qu’un autre pour m’exprimer sur des sujets d’actualité, à tous les coups ce que je vais écrire ne sera pas beaucoup plus éclairé que les convictions d’un homme de la rue, oui, mais voilà on me le propose, le climat politique de ce pays est délétère et d’une certaine manière, dans l’écriture malgré tout modeste de ces chroniques je ne pourrais pas faire pire en terme de compétences que ce que les puissants font de l’exercice du pouvoir, refuser ce serait une faute morale.

    Et il n’y pas là de fausse élégance, Jérôme Ferrari entre directement et courageusement, tête baissée, dans la mêlée, il s’était promis de ne pas intervenir sur le sujet de la Corse, pays de ses origines, chères à son cœur, le premier fait saillant de la tenue de cette rubrique se passe en Corse, et comment en quelques formules admirablement écrites, Jérôme Ferrari parvient à démontrer la très grande faute des continentaux depuis toujours en Corse, un mépris sans remède pour les Corses rangés et rabaissés de facto au rang des grands primates et quel autre peuple pourrait connaître un tel mépris public sans que de telles déclarations soient poursuivies en justice devant les grandes cours internationales ?

    Jérôme Ferrari écrit comme personne, le style élégant sert une élégance de pensée, Jérôme Ferrari est un chroniqueur extrêmement dur avec les puissants dont il expose la veulerie, les calculs étroits et une très grande conscience de classe et, au contraire, a une compréhension fraternelle pour les réprimés auxquels il prête son verbe tellement haut. On note qu’au sein même des médias une telle façon de procéder tranche singulièrement. Par ailleurs Jérôme Ferrari a le bon goût d’attaquer les puissants là même où ils sont extraordinairement faillibles, sur la langue et celle des puissants est percluse de non-dits et d’impensés qui sont ici exposés avec justesse et c’est là un biais remarquable, c’est celui de l’écrivain qui découvre que c’est précisément son arme, une véritable arme de destruction massive, là même où ce dernier se croyait ivre de lectures de chevalerie, l’écrivain se rend compte de sa véritable puissance de feu. C’est le moment idéal qu’il choisit pour poser les armes, de son point de vue la seule attitude qui vaille, du point de vue de ses lecteurs c’est un allié de taille qui fait retraite. Avec élégance. Et une immense intelligence.

    Quel grand dommage se dit-on, à la lecture de cette petite centaine de pages, que ce soient de tels hommes et femmes qui soient à ce point conscients que l’exercice du pouvoir doit se faire avec raison et qui en sont systématiquement écartés par d’autres hommes et femmes qui eux montrent tous les jours les limites d’une pensée admirablement étroite. Et entièrement préoccupée par le maintien au pouvoir, pour finalement n’en rien faire, ce serait heureux, des conneries monumentales dictées par des calculs de court terme dont ils sont les seuls bénéficiaires, c’est-à-dire, plus ou moins l’exact contraire de ce qui est attendu d’eux, surtout.

    Et quel immense paradoxe celui qui veuille que ceux qui comme Jérôme Ferrari s’estiment d’emblée incompétents dans l’exercice du pouvoir feraient tellement mieux que ceux qui n’ont aucun doute et qui tous les jours font la preuve de leur incompétence crasse. Et nul, certainement pas Jérôme Ferrari ou ses semblables, feraient pire.

    #qui_ca