On parle souvent de la « réémergence » de l’antisémitisme en France – en situant d’ailleurs ce phénomène à des dates différentes, des années 60 aux années 80. Cette expression laisserait entendre que l’antisémitisme aurait donc disparu dans l’immédiat après-guerre, en tous cas comme fait social. Nombreux sont ceux – témoins et historiens [1]
[1] À quelques notables exceptions près. Cf. en particulier...
– qui n’ont eu de cesse de soutenir cette idée somme toute optimiste, au moins dans le court terme. Les consciences auraient été « encore secouées par la révélation toute récente des atrocités nazies et la découverte du génocide systématiquement pratiqué à l’encontre du peuple juif [2]
[2] René Rémond, préface de David Lazar, L’Opinion française...
». Et René Rémond de poursuivre :
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« La pitié, l’indignation, la mauvaise conscience s’unissaient pour éteindre dans l’opinion tout vestige d’antisémitisme. Il y a des antisionistes, peu nombreux du reste […], mais d’antisémitisme, point. »
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Interrogées en 1994, deux personnalités de la Résistance confirment cette analyse : Charles Lederman se souvient que « dans l’après-guerre, l’antisémitisme était devenu une maladie honteuse [3]
[3] Propos recueillis le 4 juin 1994 par Cécile Amar, L’Antiracisme...
» tandis que pour Jean Pierre-Bloch, « la Résistance a tué l’antisémitisme primaire [4]
[4] Interview effectuée le 26 janvier 1994. Ibid., p. ...
».
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De telles affirmations ne peuvent que laisser l’historien perplexe et l’inciter à étudier la question plus avant [5]
[5] Cet article constitue la première ébauche d’un ouvrage...
. Une opinion publique gangrenée par la xénophobie et l’antisémitisme dès les années 30 (pour ne pas remonter plus loin dans le temps), restée ensuite largement atone face à la marginalisation et à l’exclusion sociale des Juifs, au moins jusqu’à l’été 1942, a-t-elle pu se débarrasser soudainement de ses a priori et de ses fantasmes et ne plus éprouver ni animosité ni méfiance vis-à-vis des Juifs [6]
[6] Dont le nombre en France, au lendemain de la #guerre,...
? Le choc né de la découverte des camps et la prise de conscience de la réalité tragique de la « solution finale » suffiraient-ils à expliquer semblable revirement ? L’antisémitisme serait-il relégué désormais dans l’univers idéologique de quelques extrémistes isolés ?
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D’autres commentateurs considèrent plutôt quant à eux que l’antisémitisme n’avait certes pas disparu, mais que l’horreur de la #Shoah interdisait de l’exprimer ouvertement, en tous cas jusqu’à ce que le temps érodât les émotions les plus vives. Cela voudrait-il dire que les vieux stéréotypes anti-juifs ont été enfouis pendant plusieurs années, voire quelques décennies, avant que le « refoulé » n’effectue son « retour » ?
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Les archives de l’après-guerre commencent à s’ouvrir, de nombreux organes de presse ont été conservés et la consultation de ces documents permet au moins d’affiner le questionnement.