Incendies, sécheresses... La #forêt française va mal. Pour la sauver, Emmanuel Macron veut renouveler 10 % de la surface forestière en dix ans. Une promesse choc mais qui inquiète ONG et scientifiques. Ils alertent sur la complexité de ce milieu qui requiert « prudence et discernement ».
Planter pour sauver la forêt : tel était, fin 2023, l’un des mantras écolos d’Emmanuel Macron. Alors que les étés caniculaires ont mis à rude épreuve les massifs forestiers ces dernières années, le chef de l’Etat a même fixé un objectif très ambitieux : mettre en terre un milliard d’arbres d’ici à 2032. Un chantier énorme, qui implique de renouveler l’équivalent de 10 % de la surface boisée française et devrait coûter 8 à 10 milliards d’euros.
L’immense défi du stockage de carbone
« Nous jouons à la roulette russe avec notre planète ! » : l’avertissement n’émane pas d’une organisation écologiste en mal de notoriété, mais du patron de l’ONU, António Guterres, le 5 juin dernier.
Alors que le réchauffement climatique s’accroît à un « rythme sans précédent », comment inverser la tendance ? Le défi est titanesque. D’autant que baisser – même drastiquement – nos émissions ne suffira pas : il va nous falloir, aussi, absorber une grande partie de ce CO2 qui s’accumule dans l’atmosphère et nous menace tant.
C’est tout l’enjeu de la sauvegarde et de la restauration de ce que les scientifiques appellent les « puits de carbone ». Forêts, océans, prairies… Tous ces écosystèmes sont capables d’absorber des quantités colossales de gaz à effet de serre, et donc de nous rendre un sacré service. Des chercheurs planchent, eux, sur des solutions techniques pour aspirer et stocker le carbone émis.
« Le Nouvel Obs » a choisi de mettre en lumière le rôle clé de ces initiatives. A travers une série de reportages, réalisés grâce au Centre européen du Journalisme (EJC) et à son programme « Solutions Journalism Accelerator », soutenu par la fondation Gates, nous vous emmenons à la découverte de ces ingénieurs, forestiers, agriculteurs qui refusent de baisser les bras. Et s’efforcent de renforcer ces si précieux alliés.
De fait, l’heure est grave tant notre forêt se porte mal. En dix ans, la mortalité des arbres a grimpé de 80 % et leur capacité d’absorption du CO₂ – on parle de « puits de carbone » – s’est effondrée de moitié, alors même qu’ils sont censés être de précieux alliés contre le changement climatique.
Dans la forêt de Tronçais, considérée comme l’une des plus belles futaies de chênes d’Europe, 15 à 20 % des jeunes chênes meurent avant d’avoir atteint leur maturité, notamment en raison du manque d’eau. Dans le Grand Est, où les scolytes prolifèrent à cause du réchauffement climatique et déciment les épicéas, la situation est déjà critique puisque les forêts de ce territoire sont si affaiblies qu’elles émettent désormais du CO₂. Et d’autres régions pourraient vite connaître le même bouleversement. « Au rythme actuel, les forêts françaises pourraient émettre plus de carbone qu’elles n’en absorbent dès 2026 », avertit le climatologue Philippe Ciais, du Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement du Commissariat à l’Energie atomique (CEA).
Au niveau mondial, la dynamique est plus préoccupante encore : selon une étude que le chercheur vient de publier, les forêts et les sols ont seulement absorbé entre 1,5 milliard et 2,6 milliards de tonnes de CO₂ en 2023. Contre 9,5 milliards en 2022 !
Une approche simpliste ?
Si l’état des forêts est critique, l’ambition élyséenne a néanmoins été accueillie fraîchement par nombre de forestiers, scientifiques et défenseurs de l’environnement. « Ce chiffre est un excellent coup de com, mais il traduit une approche comptable et simpliste de la forêt », égratigne Sylvain Angerand, membre de l’ONG Canopée. Comme d’autres esprits critiques, cet ingénieur forestier redoute que ce plan de relance n’encourage les coupes rases.
Cette pratique, qui consiste à abattre tous les arbres d’une même parcelle en une seule fois, est souvent suivie d’une plantation en monoculture, c’est-à-dire avec une seule espèce d’arbre. Un procédé brutal et peu vertueux d’un point de vue écologique. Car en mettant à nu un terrain forestier et en retournant la terre, les coupes rases se révèlent non seulement désastreuses pour la biodiversité mais aussi pour le climat : alors que la moitié du CO2 stocké par une forêt est enfouie dans le sol, elles ont pour conséquence de libérer ce carbone dans l’atmosphère.
Or la politique forestière initiée sous Emmanuel Macron n’a fait qu’encourager ces coupes. Ainsi, le plan de relance élaboré en 2020, lors de la crise Covid, et dont l’une des ambitions était – déjà ! – de planter massivement des arbres (50 millions en deux ans), a très largement financé ce type d’opérations, selon un bilan réalisé par l’ONG Canopée.
En 2023, la publication d’un rapport du Conseil supérieur de la Forêt et du Bois (CSFB), qui dessine les orientations du gouvernement en la matière, a renforcé les inquiétudes : on peut y lire que pour atteindre l’objectif d’un milliard d’arbres, les plantations après coupes rases - dites plantations « en plein » - seront largement privilégiées.
« Un prétexte pour mener un grand remembrement »
Quels arbres seront coupés ? Le ministère de l’Agriculture, en charge de la politique forestière, se veut rassurant : seuls les arbres « dépérissants », « vulnérables » et « pauvres » seront supprimés. Mais ces critères sont vivement contestés. Sont par exemple considérées comme « dépérissantes » les parcelles où 20 % des arbres sont morts. Un chiffre bien trop bas, pour Sylvain Angerand, qui estime que l’« on est en train de condamner par anticipation des forêts qui pourraient ne pas mourir ».
Son ONG redoute, par ailleurs, que le plan ne crée un « effet d’aubaine » : des propriétaires pourraient être tentés de « sacrifier » les arbres existants en vue de toucher de l’argent public pour replanter. « Le gouvernement se sert du climat comme d’un prétexte pour mener un grand remembrement », accuse Sylvain Angerand, convaincu que l’objectif d’un milliard d’arbres n’a pas pour mission première d’aider la forêt à s’adapter au changement climatique, mais plutôt « aux besoins de l’industrie du bois, qui réclament des parcelles de résineux toujours plus standardisées ».
Comment armer réellement les massifs forestiers pour qu’ils résistent à un climat qui se réchauffe ? Partout en France, des forestiers expérimentent d’autres approches. A la tête d’AviSilva, une entreprise d’expertise et de gestion forestière basée dans les Alpes-de-Haute-Provence, Nicolas Luigi applique, dans les forêts méditerranéennes et montagnardes où il intervient, les principes de la « sylviculture mélangée à couvert continu » (SMCC). Une appellation barbare, qui cache un mode de gestion plus doux, où la coupe rase n’est qu’une solution de dernier recours.
A rebours du modèle dominant qui, pour des questions de rentabilité, privilégie les parcelles constituées d’arbres d’une seule essence et du même âge, Nicolas Luigi s’efforce, lui, de diversifier leur composition, persuadé que « c’est en complexifiant les écosystèmes, et non en les uniformisant, qu’on les rendra plus résilients ».
Cette diversité permet le maintien d’une forme de fraîcheur sous les arbres, salutaire – pour eux aussi ! – en temps de canicule. C’est également une façon de se prémunir contre toute mauvaise surprise, alors que l’on peine encore à déterminer quelles essences parviendront à s’adapter à une France plus chaude de 2, 3 ou 4 °C. « Dans un contexte de fortes incertitudes, il est essentiel de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier et de se défaire de l’idée qu’il y aurait des essences miracles », plaide l’ingénieur forestier de 43 ans, tandis qu’il nous fait visiter l’une des parcelles dont il a la gestion, dans les environs de Sisteron. S’y mélangent pins noirs, cèdres, chêne pubescent, sorbiers, alisiers, sapins ou encore tilleuls…
« Leur temporalité n’est pas la même que la nôtre »
Des arbres, Nicolas Luigi en coupe et en plante, mais jamais sur la totalité d’une parcelle, ni sans avoir observé minutieusement au préalable le fonctionnement de l’écosystème, les interactions des arbres entre eux, la qualité du sol, l’exposition à la lumière, etc.
La « régénération naturelle » est toujours privilégiée : le renouvellement se fait principalement à partir des graines issues des arbres en place. Nicolas Luigi n’intervient que par petites touches, en procédant seulement à des plantations « d’enrichissement », ou en coupant ici et là certains arbres pour en aider d’autres à croître. Une « sylviculture de la patience », selon lui plus efficace et moins risquée qu’un vaste chantier de reboisement.
Il en veut pour preuve les nombreux ratés des récents programmes de reboisement. Deux ans après avoir été mis en terre, 38 % des arbres plantés en plein dans le cadre du plan de relance de 2020 étaient déjà morts... Un taux d’échec énorme, qui démontre qu’il est bien plus raisonnable de s’appuyer sur les écosystèmes existants, en mettant en œuvre des transformations progressives, que de faire le pari de mesures drastiques. Pour Nicolas Luigi, « il ne s’agit pas de renoncer à agir, mais de le faire avec prudence et discernement ».
Moins clinquante qu’un vaste chantier de reboisement, considérée pendant des années avec dédain, la « sylviculture mélangée à couvert continu », reste minoritaire à l’échelle du territoire. Mais elle gagne du terrain, y compris au sein de l’Office national des forêts (ONF), où l’on s’est longtemps enorgueilli de faire pousser de grandes futaies régulières, mais où l’on constate que cette uniformité constitue aujourd’hui une vulnérabilité majeure. « La SMCC est un mode de gestion plus fin donc plus difficile, car il demande une certaine technicité, souligne Claire Nowak, responsable du service forêts au sein de l’établissement public.
" « Mais c’est la meilleure option pour se prémunir contre le changement climatique. » "
Elle continue néanmoins de se heurter à des obstacles, tant économiques que politiques. Car opter pour cette gestion implique de travailler sur une échelle de temps longue et donc de rompre avec les exigences de rentabilité à très court terme qui s’imposent à l’industrie du bois. En SMCC, on ne prélève par exemple jamais plus de 15 à 20 % du volume de bois d’une parcelle à la fois. « Nos forêts ne sont pas moins productives que les autres, assure Nicolas Luigi.
" Mais elles ne permettent pas une rentabilité sur dix ans. On ne voit pas la forêt seulement comme un stock de bois, mais aussi comme un capital dont il faut prendre soin pour le valoriser à long terme. » "
La « sylviculture mélangée à couvert continu » est surtout un mode de gestion peu adapté au temps politique et ses exigences d’immédiateté des résultats. Production de bois, aborption du CO2... « On demande aujourd’hui beaucoup de choses aux forêts, et ce dans un temps très court, juge Nicolas Luigi.
" Or on ne peut pas attendre d’elles qu’elles évoluent aussi vite que nos besoins. Leur temporalité n’est pas la même que la nôtre. » "
Plutôt que de s’en remettre une nouvelle fois à « des solutions qui entretiennent l’illusion d’une maîtrise absolue de la nature », l’ingénieur forestier est persuadé que, face au changement climatique, le moment est venu de changer de paradigme. Et d’accepter, au contraire, de « lâcher un peu prise ».
En Ile-de-France, des châtaigniers menacés de disparition
Il n’y a pas que dans le Grand Est et sur le pourtour méditerranéen que les forêts françaises souffrent. Cimes dégarnies, feuilles flétries et jaunies… En Ile-de-France aussi, plusieurs d’entre elles accusent le coup. Dans la forêt de Versailles (Yvelines), la maladie de l’encre, qui prolifère en raison du changement climatique, est même en train de décimer un nombre important de châtaigniers, désormais menacés de disparition. Pour sauver ces forêts franciliennes, l’ONF tente de diversifier leur composition, en introduisant notamment des essences plus adaptées au climat futur. Chaque année, des campagnes de plantation sont menées, mais uniquement sur de petites surfaces, de 1 à 3 hectares maximum.
Cet hiver, ce sont 200 000 arbres, d’une douzaine d’essences différentes, qui ont été plantés dans 25 forêts domaniales de la région : du chêne sessile, du chêne pubescent, du chêne tauzin - réputé plus résistant au stress hydrique - des pins maritimes, des pins laricio de Corse… S’il est beaucoup trop tôt pour en évaluer les résultats, ceux de la campagne précédente sont encourageants : 85 % des 210 000 arbres plantés vivent toujours, malgré un été 2023 particulièrement sec.