Lors de sa séance du 19 février 2025, le Conseil fédéral a pris connaissance d’un #avis_de_droit portant sur la persécution des Yéniches et des Manouches/Sintés réalisé sur mandat du Département fédéral de l’intérieur (DFI). Le gouvernement reconnaît que les actes perpétrés dans le cadre du programme « Œuvre des enfants de la grand-route » doivent être qualifiés de « crimes contre l’humanité » selon les critères du #droit_international_public actuel. Il tient à réitérer les excuses formulées en 2013 à l’égard des personnes et des communautés touchées pour les injustices commises. Le DFI déterminera en collaboration avec ces communautés s’il y a lieu, au-delà des mesures prises jusqu’ici, d’élargir le travail de mémoire déjà effectué.
Jusqu’en 1981, une série de mesures de #coercition à des fins d’assistance et de placements extrafamiliaux ont frappé plus d’une centaine de milliers d’enfants et d’adultes sur le territoire suisse. Les victimes de ces actes sont des personnes issues de milieux défavorisés ou dont le mode de vie ne correspond pas aux normes sociales de l’époque. Parmi elles, on compte des individus qui pratiquent un mode de vie itinérant, par exemple les Yéniches et les Manouches/Sintés. Le principal artisan de ces enlèvements d’enfants est l’« Œuvre des enfants de la grand-route », un programme de la fondation Pro Juventute. Entre 1926 et 1973, les responsables de cette opération, avec l’aide des autorités, retirent à leurs parents environ 600 enfants yéniches pour les placer de force dans des foyers, des maisons de correction et des familles d’accueil, en violation des principes de l’État de droit. Des Manouches/Sintés font également partie des victimes. En outre, des adultes qui ont fait l’objet d’un placement extrafamilial pendant leur minorité sont mis sous tutelle ou placés dans des institutions, frappés d’une interdiction de mariage et, dans certains cas, stérilisés de force. Outre #Pro_Juventute, des organisations caritatives religieuses et des autorités ont également été actives, de sorte qu’on estime à environ 2000 le nombre de placements.
Dans le courant des années 1970 et 1980, ces pratiques se heurtent de plus en plus souvent aux critiques de l’opinion publique. Des voix s’élèvent, les milieux politiques exigent qu’un travail de mémoire soit réalisé. En 1988 et 1992, le Parlement, sur la proposition du Conseil fédéral, accorde un total de 11 millions de francs pour la constitution d’un « fonds de #réparation destiné aux ‘#enfants_de_la_grand-route’ ». En 2013, le Conseil fédéral présente ses excuses à toutes les victimes de mesures de coercition à des fins d’assistance et de placements extrafamiliaux. Depuis, la Confédération a lancé et mis en œuvre différentes mesures visant à poursuivre le travail de mémoire et à dédommager les personnes lésées (voir encadré).
Avis de droit
Au mois de novembre 2021, l’Union des associations et représentants des nomades suisses (UARNS) demande à la Confédération de reconnaître qu’un génocide a été commis à l’encontre des Yéniches et des Manouches/Sintés suisses dans le cadre du programme « Œuvre des enfants de la grand-route ». Au mois de janvier 2024, l’association Radgenossenschaft der Landstrasse exige la reconnaissance d’un « génocide culturel ».
Au vu de la gravité des accusations, le DFI décide de faire appel à un expert indépendant. Au mois de mars 2024, en concertation avec les auteurs des deux demandes, il charge le professeur Oliver Diggelmann (titulaire de la chaire de droit international public, droit européen, droit public et philosophie politique de l’Université de Zurich) de réaliser un avis de droit. Ce mandat a pour objectif de déterminer si, en vertu du droit international public, la Suisse porte la responsabilité d’un crime de « génocide » ou d’un « crime contre l’humanité » à l’encontre des Yéniches et des Manouches/Sintés.
Il y a bien crime contre l’humanité, mais pas génocide
La conclusion de l’avis de droit est que les enlèvements d’enfants ainsi que la volonté de briser les liens familiaux afin d’éliminer le mode de vie nomade et d’assimiler les Yéniches et les Manouches/Sintés doivent être qualifiés de « crimes contre l’humanité » selon les critères en vigueur du droit international public, au sens du Statut de Rome de la Cour pénale internationale. D’après le droit actuel, l’État a été coresponsable des faits commis. La persécution des Yéniches et des Manouches/Sintés n’aurait pas été possible sans le concours des autorités à tous les niveaux de l’État (Confédération, cantons et communes). La Confédération a notamment entretenu des rapports étroits ‒ tant au niveau des personnes que sur le plan financier ‒ avec la fondation Pro Juventute, qui dirigeait le programme « Œuvre des enfants de la grand-route ». Cependant, bien que des faits constitutifs d’un « crime contre l’humanité » soient constatés, on n’est pas en présence, d’un point de vue juridique, d’un génocide (culturel). En effet, l’état de fait « génocide culturel » (anéantissement de l’existence culturelle) n’existe pas en droit international public. Selon l’avis de droit, il n’y a pas non plus « génocide » au sens le plus strict, puisqu’on n’observe pas l’« intention génocidaire » (intention d’anéantir physiquement ou biologiquement des êtres humains) nécessaire à l’établissement d’un tel crime.
Le Conseil fédéral réitère ses excuses
Le Conseil fédéral a pris aujourd’hui connaissance des résultats de l’avis de droit. Il a adressé une lettre à la communauté des Yéniches et des Manouches/Sintés, dans laquelle il réitère les excuses formulées par le gouvernement à l’égard des victimes de mesures de coercition à des fins d’assistance et de placements extrafamiliaux, et souligne que les Yéniches et les Manouches/Sintés font notamment partie de ces victimes. Par ailleurs, la cheffe du Département fédéral de l’intérieur, la conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider, a personnellement exprimé aujourd’hui la compassion du Conseil fédéral à l’égard des représentants de la communauté des Yéniches et des Manouches/Sintés. Elle a aussi rappelé la nécessité de ne pas oublier les injustices commises. Dans ce contexte, le DFI, en dialogue avec les personnes concernées, déterminera d’ici fin 2025 s’il y a lieu, au-delà des mesures prises jusqu’ici, d’élargir le travail de mémoire déjà effectué.
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Mesures déjà prises pour la réalisation d’un travail de mémoire relatif aux mesures de coercition à des fins d’assistance et aux placements extrafamiliaux (liste non exhaustive)
– En 1983, la Confédération publie un rapport intitulé Les nomades en Suisse ‒ situation, problèmes, recommandations. En 1998, la Confédération commande une étude historique sur les actes commis dans le cadre du programme « Œuvre des enfants de la grand-route ».
– Depuis 1986, la Confédération verse chaque année des contributions à l’association Radgenossenschaft der Landstrasse et, depuis 1997, également à la fondation Assurer l’avenir des gens du voyage suisses.
– En 1988 et 1992, l’Assemblée fédérale, sur demande du Conseil fédéral, accorde un total de 11 millions de francs pour la constitution d’un fonds de réparation destiné aux victimes du programme « Œuvre des enfants de la grand-route ».
– En 2013, le Conseil fédéral présente ses excuses à toutes les personnes ayant subi avant 1981 des mesures de coercition à des fins d’assistance ou des placements extrafamiliaux.
– En 2014, la loi fédérale sur la réhabilitation des personnes placées par décision administrative entre en vigueur. En outre, un fonds d’aide immédiate est constitué.
– En 2017, la loi fédérale sur les mesures de coercition à des fins d’assistance et les placements extrafamiliaux antérieurs à 1981 entre en vigueur. Cette loi prévoit notamment des contributions de solidarité à l’attention des personnes concernées (dont les Yéniches et les Manouches/Sintés), le conseil et le soutien des victimes ainsi qu’une étude scientifique.