• La #géographie, c’est de droite ?

    En pleine torpeur estivale, les géographes #Aurélien_Delpirou et #Martin_Vanier publient une tribune dans Le Monde pour rappeler à l’ordre #Thomas_Piketty. Sur son blog, celui-ci aurait commis de coupables approximations dans un billet sur les inégalités territoriales. Hypothèse : la querelle de chiffres soulève surtout la question du rôle des sciences sociales. (Manouk Borzakian)

    Il y a des noms qu’il ne faut pas prononcer à la légère, comme Beetlejuice. Plus dangereux encore, l’usage des mots espace, spatialité et territoire : les dégainer dans le cyberespace public nécessite de soigneusement peser le pour et le contre. Au risque de voir surgir, tel un esprit maléfique réveillé par mégarde dans une vieille maison hantée, pour les plus chanceux un tweet ironique ou, pour les âmes maudites, une tribune dans Libération ou Le Monde signée Michel Lussault et/ou Jacques Lévy, gardiens du temple de la vraie géographie qui pense et se pense.

    Inconscient de ces dangers, Thomas Piketty s’est fendu, le 11 juillet, d’un billet de blog sur les #inégalités_territoriales (https://www.lemonde.fr/blog/piketty/2023/07/11/la-france-et-ses-fractures-territoriales). L’économiste médiatique y défend deux idées. Premièrement, les inégalités territoriales se sont creusées en #France depuis une génération, phénomène paradoxalement (?) renforcé par les mécanismes de #redistribution. Deuxièmement, les #banlieues qui s’embrasent depuis la mort de Nahel Merzouk ont beaucoup en commun avec les #petites_villes et #villages souffrant de #relégation_sociospatiale – même si les défis à relever varient selon les contextes. De ces deux prémisses découle une conclusion importante : il incombe à la #gauche de rassembler politiquement ces deux ensembles, dont les raisons objectives de s’allier l’emportent sur les différences.

    À l’appui de son raisonnement, le fondateur de l’École d’économie de Paris apporte quelques données macroéconomiques : le PIB par habitant à l’échelle départementale, les prix de l’immobilier à l’échelle des communes et, au niveau communal encore, le revenu moyen. C’est un peu court, mais c’est un billet de blog de quelques centaines de mots, pas une thèse de doctorat.

    Sus aux #amalgames

    Quelques jours après la publication de ce billet, Le Monde publie une tribune assassine signée Aurélien Delpirou et Martin Vanier, respectivement Maître de conférences et Professeur à l’École d’urbanisme de Paris – et membre, pour le second, d’ACADIE, cabinet de conseil qui se propose d’« écrire les territoires » et de « dessiner la chose publique ». Point important, les deux géographes n’attaquent pas leur collègue économiste, au nom de leur expertise disciplinaire, sur sa supposée ignorance des questions territoriales. Ils lui reprochent le manque de rigueur de sa démonstration.

    Principale faiblesse dénoncée, les #données, trop superficielles, ne permettraient pas de conclusions claires ni assurées. Voire, elles mèneraient à des contresens. 1) Thomas Piketty s’arrête sur les valeurs extrêmes – les plus riches et les plus pauvres – et ignore les cas intermédiaires. 2) Il mélange inégalités productives (le #PIB) et sociales (le #revenu). 3) Il ne propose pas de comparaison internationale, occultant que la France est « l’un des pays de l’OCDE où les contrastes régionaux sont le moins prononcés » (si c’est pire ailleurs, c’est que ce n’est pas si mal chez nous).

    Plus grave, les géographes accusent l’économiste de pratiquer des amalgames hâtifs, sa « vue d’avion » effaçant les subtilités et la diversité des #inégalités_sociospatiales. Il s’agit, c’est le principal angle d’attaque, de disqualifier le propos de #Piketty au nom de la #complexité du réel. Et d’affirmer : les choses sont moins simples qu’il n’y paraît, les exceptions abondent et toute tentative de catégoriser le réel flirte avec la #simplification abusive.

    La droite applaudit bruyamment, par le biais de ses brigades de twittos partageant l’article à tour de bras et annonçant l’exécution scientifique de l’économiste star. Mais alors, la géographie serait-elle de droite ? Étudier l’espace serait-il gage de tendances réactionnaires, comme l’ont laissé entendre plusieurs générations d’historiens et, moins directement mais sans pitié, un sociologue célèbre et lui aussi très médiatisé ?

    Pensée bourgeoise et pensée critique

    D’abord, on comprend les deux géographes redresseurs de torts. Il y a mille et une raisons, à commencer par le mode de fonctionnement de la télévision (format, durée des débats, modalité de sélection des personnalités invitées sur les plateaux, etc.), de clouer au pilori les scientifiques surmédiatisés, qui donnent à qui veut l’entendre leur avis sur tout et n’importe quoi, sans se soucier de sortir de leur champ de compétence. On pourrait même imaginer une mesure de salubrité publique : à partir d’un certain nombre de passages à la télévision, disons trois par an, tout économiste, philosophe, politologue ou autre spécialiste des sciences cognitives devrait se soumettre à une cérémonie publique de passage au goudron et aux plumes pour expier son attitude narcissique et, partant, en contradiction flagrante avec les règles de base de la production scientifique.

    Mais cette charge contre le texte de Thomas Piketty – au-delà d’un débat chiffré impossible à trancher ici – donne surtout le sentiment de relever d’une certaine vision de la #recherche. Aurélien Delpirou et Martin Vanier invoquent la rigueur intellectuelle – indispensable, aucun doute, même si la tentation est grande de les accuser de couper les cheveux en quatre – pour reléguer les #sciences_sociales à leur supposée #neutralité. Géographes, économistes ou sociologues seraient là pour fournir des données, éventuellement quelques théories, le cas échéant pour prodiguer des conseils techniques à la puissance publique. Mais, au nom de leur nécessaire neutralité, pas pour intervenir dans le débat politique – au sens où la politique ne se résume pas à des choix stratégiques, d’aménagement par exemple.

    Cette posture ne va pas de soi. En 1937, #Max_Horkheimer propose, dans un article clé, une distinction entre « #théorie_traditionnelle » et « #théorie_critique ». Le fondateur, avec #Theodor_Adorno, de l’#École_de_Francfort, y récuse l’idée cartésienne d’une science sociale détachée de son contexte et fermée sur elle-même. Contre cette « fausse conscience » du « savant bourgeois de l’ère libérale », le philosophe allemand défend une science sociale « critique », c’est-à-dire un outil au service de la transformation sociale et de l’émancipation humaine. L’une et l’autre passent par la #critique de l’ordre établi, dont il faut sans cesse rappeler la contingence : d’autres formes de société, guidées par la #raison, sont souhaitables et possibles.

    Quarante ans plus tard, #David_Harvey adopte une posture similaire. Lors d’une conférence donnée en 1978 – Nicolas Vieillecazes l’évoque dans sa préface à Géographie de la domination –, le géographe britannique se démarque de la géographie « bourgeoise ». Il reproche à cette dernière de ne pas relier les parties (les cas particuliers étudiés) au tout (le fonctionnement de la société capitaliste) ; et de nier que la position sociohistorique d’un chercheur ou d’une chercheuse informe inévitablement sa pensée, nécessitant un effort constant d’auto-questionnement. Ouf, ce n’est donc pas la géographie qui est de droite, pas plus que la chimie ou la pétanque.

    Neutralité vs #objectivité

    Il y a un pas, qu’on ne franchira pas, avant de voir en Thomas Piketty un héritier de l’École de Francfort. Mais son texte a le mérite d’assumer l’entrelacement du scientifique – tenter de mesurer les inégalités et objectiver leur potentielle creusement – et du politique – relever collectivement le défi de ces injustices, en particulier sur le plan de la #stratégie_politique.

    S’il est évident que la discussion sur les bonnes et les mauvaises manières de mesurer les #inégalités, territoriales ou autres, doit avoir lieu en confrontant des données aussi fines et rigoureuses que possible, ce n’est pas manquer d’objectivité que de revendiquer un agenda politique. On peut même, avec Boaventura de Sousa Santos, opposer neutralité et objectivité. Le sociologue portugais, pour des raisons proches de celles d’Horkheimer, voit dans la neutralité en sciences sociales une #illusion – une illusion dangereuse, car être conscient de ses biais éventuels reste le seul moyen de les limiter. Mais cela n’empêche en rien l’objectivité, c’est-à-dire l’application scrupuleuse de #méthodes_scientifiques à un objet de recherche – dans le recueil des données, leur traitement et leur interprétation.

    En reprochant à Thomas Piketty sa #superficialité, en parlant d’un débat pris « en otage », en dénonçant une prétendue « bien-pensance de l’indignation », Aurélien Delpirou et Martin Vanier désignent l’arbre de la #rigueur_intellectuelle pour ne pas voir la forêt des problèmes – socioéconomiques, mais aussi urbanistiques – menant à l’embrasement de banlieues cumulant relégation et stigmatisation depuis un demi-siècle. Ils figent la pensée, en font une matière inerte dans laquelle pourront piocher quelques technocrates pour justifier leurs décisions, tout au plus.

    Qu’ils le veuillent ou non – et c’est certainement à leur corps défendant – c’est bien la frange réactionnaire de la twittosphère, en lutte contre le « socialisme », le « wokisme » et la « culture de l’excuse », qui se repait de leur mise au point.

    https://blogs.mediapart.fr/geographies-en-mouvement/blog/010823/la-geographie-cest-de-droite

  • Préparation à l’agrégation interne d’histoire et de géographie : GÉOGRAPHIE DE LA FRANCE

    Quelques conseils de lecture (subjectifs) pour aborder cette question par trois grandes thématiques. D’autres thématiques (les montagnes en France, les littoraux en France, etc.) viendront dans d’autres posts (à suivre avec le hashtag #AgregInterneHG)

    LA FRANCE DES VILLES :
    Nombreux sont les ouvrages parus, il y a quelques années, sur cette thématique, qui était au programme des concours. Ma préférence va à l’ouvrage introductif publié chez Bréal, pour son efficacité. L’actualisation des chiffres peut se faire aisément avec un manuel très récent de classe de Première L/ES.

    DELPIROU, Aurélien, Hadrien DUBUCS et Jean-Fabien STECK, 2013, La France des villes, Bréal, collection Amphi Géographie, Paris.

    LES ESPACES RURAUX EN FRANCE :
    Un ouvrage très récent (et ils ne sont pas nombreux sur la question !) permet de faire le point sur la question des espaces ruraux, qui présente le grand avantage de ne pas oublier les territoires ultra-marins.

    BOURON, Jean-Benoît et Pierre-Marie GEORGES, 2015, Les territoires ruraux en France, Ellipses, Paris.

    LES ESPACES PRODUCTIFS EN FRANCE :
    Comme pour la France en villes, cette thématique a fait l’objet de nombreuses parutions du fait de la très récente question aux concours « La France : mutations des systèmes productifs ». Pour ne pas se « noyer » dans toutes ses parutions, l’ouvrage introductif d’Alexandra Monot (chez Bréal) « plante le décor » avec efficacité.

    MONOT, Alexandra, 2014, La France : mutations des systèmes productifs, Bréal, collection Amphi Géographie, Paris.

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