#autofinancement

  • Pourquoi prendre le train coûte si cher

    Le lieu commun selon lequel prendre le train est un choix écologique, mais trop coûteux, est en partie fondé. Pour développer le rail, les pouvoirs publics doivent choisir de l’avantager résolument.

    Peu de gens le contestent : prendre le train pour partir en vacances ou aller travailler, c’est bon pour le #climat. En TGV, l’empreinte carbone est de 70 à 80 fois moindre qu’en avion ou en voiture sans passager. Même si l’on compare les émissions moyennes des TER (peu remplis et roulant pour partie au fioul) à celles d’une voiture bien remplie, le gain reste non négligeable.

    Néanmoins, ce choix est parfois coûteux. D’après une étude de Greenpeace (https://www.greenpeace.fr/espace-presse/nouveau-rapport-le-train-deux-fois-plus-cher-que-lavion-en-europe), pour relier de grandes villes européennes distantes de moins de 1 500 km, le train est en moyenne deux fois plus cher que l’avion. C’est même 2,6 fois en France ! En outre, le sentiment est répandu que les prix du rail empirent, selon un sondage mené pour le Réseau action climat (RAC).

    De fait, d’après l’Insee, le prix du train de voyageurs a nettement augmenté après la pandémie. Mais depuis 2019, cette hausse (13 %) n’est pas supérieure à l’inflation. Et même si certains trajets (comme Londres-Barcelone) sont terriblement chers en train, il ne faut pas généraliser trop vite. Le #rail reste globalement avantageux, si l’on en croit les chiffres de l’Autorité de régulation des transports.

    Ainsi, sur une même distance, le TAGV (TGV et autres trains « aptes à la grande vitesse ») est en moyenne moins coûteux qu’un #avion classique. L’avion low cost, certes, est bien meilleur marché, mais lorsqu’il existe, le TAGV low cost fait aussi bien. Quant au trajet en autoroute, il revient beaucoup plus cher s’il est effectué seul : il faut être plus de deux pour faire de vraies économies en prenant la voiture.

    Sur des distances courtes, là aussi, le prix du TER – très bas pour les abonnés – est en moyenne inférieur au coût de la voiture en solo (11,2 cts/km), conclut une étude de la Fédération nationale des associations d’usagers du train (Fnaut) (https://www.fnaut.fr/uploads/2020/09/281.pdf). Surtout qu’il ne s’agit que d’un coût marginal : le coût moyen, incluant l’achat et l’entretien de la voiture, l’assurance etc., est de plus du triple !

    De nombreuses variables

    Reste que ces moyennes cachent de grandes disparités. Dans certains cas, la voiture ou l’avion sont bel et bien moins chers. Les prix varient en effet selon la ligne, le moment du voyage, mais aussi celui de la réservation, augmentant en fonction du remplissage : c’est le #yield_management.

    Une pratique que la #SNCF défend car elle permet d’optimiser le remplissage et d’offrir des places à petit prix. Sauf pour ceux qui ne peuvent décaler leur voyage… ou qui n’arrivent pas à anticiper leur achat – un motif de renoncement au train presque aussi fréquent (16 % des sondés) que le prix dans l’absolu (22 %), selon le RAC.

    La #comparaison avec la voiture dépend du nombre de passagers. Celle avec l’aérien, de la distance parcourue. « Une fois en l’air, l’avion ne coûte presque rien », souligne l’économiste Yves Crozet.

    Le train, lui, a besoin de lourdes #infrastructures pour rouler. Elles sont financées par un #droit_d’usage_des_voies, qui augmente avec les kilomètres. Acquitté au gestionnaire du réseau, ce « #péage » constitue une grosse part du coût, qui monte à près de 40 % dans le cas des #TGV. Plus le trajet est long, donc, plus l’avion a l’avantage…

    « Le train, c’est très lourd et structurellement très cher », estime plus généralement le professeur à Sciences Po Lyon. Par exemple, explique-t-il, les compagnies à bas coût peuvent maximiser le remplissage des avions en effectuant un petit nombre de liaisons entre deux villes. Le train, lui, subit des flux déséquilibrés entre matin et soir, semaine et week-end, etc.

    Il y a aussi les #frais_de_personnel, environ un tiers des charges de la SNCF (hors formation). Ils seraient particulièrement élevés en France : ainsi, les coûts de roulage des TER sont supérieurs de 60 % à ceux de leurs équivalents allemands, selon un rapport du Sénat (https://www.senat.fr/rap/r21-570/r21-5706.html#fn18).

    Les contraintes de la SNCF – comme la faible polyvalence des salariés – sont aux antipodes des modèles « extrêmement agressifs » des compagnies aériennes low cost, qui « poussent les coûts sur les salariés – ceci sur la planète entière », souligne Christian Desmaris, également économiste à Sciences Po Lyon.

    Prendre en compte les #coûts_externes

    Ces conséquences négatives – pollution, épuisement des salariés – mais non assumées financièrement par les entreprises, appelées « coûts externes » en économie, ne font généralement pas l’objet de pénalités pour les transporteurs les plus polluants ou les moins respectueux de leurs salariés.

    Certes, les émissions de CO2 des vols internes à l’UE sont bien soumises à des quotas. Mais jusqu’ici, la plupart étaient alloués gratuitement (ils seront bientôt payants1). De plus, le kérosène n’est pas taxé, et les vols internationaux sont exonérés de TVA (10 % sur le train et les vols intérieurs), bien que soumis à la taxe « Chirac » de solidarité, soit 2,63 euros en « classe éco » vers l’UE2.

    La #route ne bénéficie pas a priori des mêmes avantages. Les automobilistes paient de multiples #taxes sur le carburant, incluant une #contribution_carbone. Néanmoins, les prélèvements sont loin de couvrir les coûts que chaque véhicule engendre pour la société, en particulier en ville, à en croire une étude du Trésor (https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2021/04/27/les-usagers-de-la-route-paient-ils-le-juste-prix-de-leurs-circu). Des « #externalités » qui comprennent, outre les émissions, l’usage de la route, le bruit, la pollution de l’air, les embouteillages et les accidents3.

    L’estimation des #coûts_externes dépend d’hypothèses et de valeurs discutables, souligne Yves Crozet dans un article. Elle éclaire néanmoins le besoin d’instaurer des prélèvements adaptés pour les compenser. Attention, toutefois, prévient le chercheur : même si le train engendre moins d’externalités, ses usagers ne paient pas non plus (et même encore moins) son coût pour la société. Il est en effet peu taxé et largement financé par les collectivités.

    Du moins… certains trains. Le transport ferroviaire conventionné avec les régions (TER) ou l’Etat (Intercités, trains de nuit) est ultra-subventionné : les pouvoirs publics assument les trois quarts de son coût. Lequel s’avère élevé, car ces trains emportent en moyenne peu de passagers. Difficile donc de les juger désavantagés face à leurs concurrents.

    Il en va autrement des #trains_à_grande_vitesse, dont le #modèle_économique historique est basé sur l’#autofinancement. Ce sont donc les passagers, en France, qui paient l’essentiel de l’infrastructure, les « péages » étant répercutés sur les billets. Et ces péages sont les plus élevés d’Europe, surtout pour les lignes à grande vitesse : 2 à 2,5 fois plus par train pour chaque kilomètre qu’en Espagne ou en Allemagne, presque 5 fois plus qu’en Italie.

    Même si l’écart par voyageur est moindre – car les TAGV en France emportent plus de passagers –, tout voyage est ainsi très coûteux pour les opérateurs, qui sont incités à limiter les circulations.

    C’est une des raisons pour lesquelles la SNCF a réduit son nombre de rames : la capacité totale de ses TGV a diminué de 14 % de 2013 à 2023, calcule le cabinet Trans-Missions (https://www.trans-missions.eu/y-a-t-il-moins-de-tgv-en-circulation-aujourdhui-quil-y-a-10-ans). Conséquence : avec la forte demande actuelle, ces trains sont souvent complets et les prix s’envolent vite. De nouvelles rames n’arriveront pas avant 2025.

    Promouvoir des #tarifs_sociaux et investir dans l’infrastructure

    Le coût des péages est aussi « une barrière à l’entrée » sur le marché français, ajoute Christian Desmaris. L’ouverture à la concurrence, lancée fin 2020, reste en effet timide : face au TGV, seules #Trenitalia et la #Renfe opèrent un petit nombre de trains. Sur le Paris-Lyon, l’arrivée de la compagnie italienne a été suivie d’une nette baisse de prix (https://www.alternatives-economiques.fr/concurrence-va-t-faire-baisser-prix-tgv-francais/00107606). Il est néanmoins trop tôt pour dire si la #concurrence produira à long terme les bénéfices espérés : plus de trains, des prix plus bas et un meilleur service.

    Un triptyque observé dans d’autres pays d’Europe, notamment en Italie. Mais chez le voisin transalpin, un coup de pouce décisif a joué : la baisse du tarif des péages décidée par l’Etat. Elle aurait même déclenché un cercle vertueux, la hausse du nombre de trains et de passagers accroissant au bout du compte les recettes pour le réseau. Le cabinet Sia Partners estime qu’une dynamique semblable serait possible en France si l’on baissait les péages de 20 % (https://afra.fr/actualites-afra/colloque-2023-comment-renforcer-le-rail-pour-reussir-la-transition-energetique).

    Or, pour l’instant, c’est tout le contraire qui est prévu : une hausse soutenue des péages jusqu’en 2030, avec déjà 8 % en 2024. Cette augmentation est critiquée. Dans le rapport cité plus haut, les sénateurs la jugent peu soutenable et appellent à un nouveau modèle dans lequel l’Etat financerait lui-même les #investissements dans le réseau, comme dans d’autres pays d’Europe, pour développer le train.

    Toutefois, serait-il juste que les impôts financent le TAGV ? Patricia Pérennes, du cabinet Trans-Missions, en doute, car la mobilité à grande vitesse bénéficie surtout aux plus favorisés. Si on veut la rendre plus accessible à certaines catégories de population, il vaut mieux « redynamiser les tarifs sociaux », aujourd’hui limités sur ce type de train, estime cette économiste.

    Mais pour développer l’usage du rail, la priorité selon elle est ailleurs : « Investir dans l’infrastructure classique » afin d’avoir des trains plus fiables, réguliers, sur des plages horaires étendues. Une meilleure offre, donc, notamment autour des métropoles.

    Sur ce sujet, le gouvernement a annoncé l’an dernier un plan de 100 milliards d’euros pour le ferroviaire, qui vise notamment à créer des « #RER » métropolitains. Son financement reste flou, mais une contribution fiscale des concessions autoroutières et des grands aéroports a été votée fin 2023.

    L’Etat a aussi lancé un « #Pass_Rail » destiné aux 16-28 ans. Coûtant 49 euros par mois et disponible entre juin et août 2024, il permet à ses détenteurs de prendre le train en illimité en France, hors TAGV et trains d’Île-de-France. Cependant, beaucoup d’économistes expriment des réserves sur ce type de mesures qui se traduisent parfois par une baisse des recettes et une saturation du réseau. En Allemagne, où une mesure similaire a été testée (sans limite d’âge), 5 % seulement des trajets effectués avec le Pass auraient été réalisés en voiture s’il n’existait pas. À court terme, le #report_modal s’avère donc limité.

    Plus largement, baisser le prix du train n’entraînerait pas de report massif vers le rail, juge Yves Crozet, qui note qu’aujourd’hui, « les TGV sont déjà pleins ». Pour vraiment limiter la part des transports les plus émetteurs, offrir une alternative, même bon marché, ne suffit pas. Il faut également les « embêter », affirme l’économiste : leur imposer des contraintes. Cela peut notamment passer par un prix plus élevé, qui prendrait vraiment en compte leurs externalités.

    https://www.alternatives-economiques.fr/prendre-train-coute-cher/00112094

    #prix #train #transport_ferroviaire #tarification

    • En tout cas, ça doit bien rapporter ! le toulouse-paris en TGV ouigo est toujours plein. Arrivée en gare de Montparnasse, tu peux compter jusqu’à 20 wagons avec un étage, à la louche près de 3000 personnes qui débarquent sur le quai. Et ni bar restaurant, ni même de bouteille d’eau, voire la veille du départ on t’annonce en pleine canicule que ton wagon risque d’avoir une clim en panne.

    • Au delà de la question de l’investissement, j’ai l’impression qu’il y a une impasse dans cet article sur la question de la tarification. Jusqu’aux années 90, en France, la tarification s’opérait au km, mettant en place une péréquation territoriale de fait. Brutalement on est passé au « yield management », la saloperie néolibérale qui veut que, plus il y a demande prévue sur un trajet, plus c’est cher.
      Avant cette révolution scélérate, je m’en rappelle très bien, le calcul était de dire que la bagnole c’était rentable à partir de 3 ou 4 (et non pas 2 ou 3 comme dit dans l’article, qui commence son raisonnement après le meurtre de la tarification kilométrique). Ça change pas mal la donne.

      Retour à la tarification kilométrique !

    • La « tarification au km » c’est encore le cas en Suisse (et je prie tous les dieux du ciel pour que ça reste ainsi pour toujours), égal quel train du prend, le prix est déterminé par les km que tu parcours. Tu peux donc faire un bout avec un train. Descendre, reprendre un autre train, tout cela avec le même billet que tu as dans la main et alors que tu ne pensais pas t’arrêter...
      Il y a des « billets dégriffés » sur certains trajets à certaines heures si tu les prends à l’avance (sur les trains moins fréquentés). Un rabais, mais même si tu achète ton billet 10 minutes avant de partir tu sais EXACTEMENT COMBIEN CELA COÛTE TON TRAJET. Il y a un prix qui est fixe et est calculé selon les km. Tu peux le trouver cher ou pas, mais au moins tu sais combien ton trajet va te coûter.
      Et tu sais aussi que si tu achètes le fameux « abonnement demi-tarif », eh bhein... les billets que tu achètes sont à demi-tarif, ce qui signifie exactement la moitié du prix de base. Point.
      Simple, non ?

      #service_public

  • Doctorante, elle donnait des cours à la fac en étant au RSA

    Faire une thèse en #autofinancement relève du #parcours_du_combattant. À 33 ans, Clémence Moullé Prévost sort de sept ans et demi de doctorat en histoire de l’art et archéologie à l’Université de Rennes 2. Elle raconte la précarité, le #stress, l’#angoisse, avec en toile de fond, les dysfonctionnements d’une #université exsangue.

    La Rennaise Clémence Moullé Prévost, 33 ans, est l’un des personnages principaux du documentaire « Prof de fac, une vocation à l’épreuve », tourné à l’université Rennes 2. Pendant sept ans et demi, elle y a mené une thèse en histoire des arts, en autofinancement. De 2014 à 2022, elle a dû enchaîner les #petits_boulots en plus des heures de cours qu’elle donnait à la fac pour financer sa recherche.

    « Je suis la première à avoir fait des #études_supérieures dans ma famille », témoigne Clémence Moullé Prévost. Au cours de son master en histoire de l’art à Rennes 2, elle a fait un mémoire sur le patrimoine archéologique de l’île de Chypre. « Ça m’a passionné. J’ai donc déposé une proposition de sujet de thèse qui a été acceptée. » Mais elle n’a pas eu de financement. « En sciences humaines, c’est très compliqué de décrocher un contrat doctoral », donc la plupart des doctorants doivent s’autofinancer.

    Dès sa première année de ma thèse, l’étudiante a enchaîné les petits jobs. « J’ai été animatrice de colo, j’ai gardé les enfants, j’ai donné des cours particuliers, j’ai été surveillante d’internat la nuit et même agent d’accueil dans un musée. »

    Un salaire tous les six mois

    En 2016, Clémence Moullé Prévost a commencé à donner des cours à la fac en tant qu’attachée temporaire #vacataire (ATV). « C’était l’opportunité de commencer à enseigner à l’université, et au début c’était un complément de revenu. » Mais peu à peu, l’étudiante s’est rendue compte qu’il y avait beaucoup de choses clochait. « On ne savait jamais quand on allait signer notre contrat. Il y a même une année où je n’ai pas signé mon contrat avant novembre. »

    Le vrai problème, c’est que la rémunération n’est pas mensualisée, « on est payé qu’à la fin de chaque semestre, en fonction du nombre d’heures qu’on a données. Donc parfois, on ne reçoit notre paye que fin février, alors qu’on enseigne depuis la rentrée » . Financièrement, c’est très compliqué à gérer, ça crée du stress, de l’angoisse permanente…

    « Tu passes en mode survie »

    La première conséquence de tout ça, c’est la précarité. « Dans les pires mois, je me retrouvais au RSA. Je gagnais 500 € avec les APL. Tu passes en mode survie. Tu te retrouves à manger des pâtes ou à sauter des repas. » Faute de moyens financiers, elle « squattait chez des amies » . La jeune femme a contracté des dettes, notamment un prêt étudiant qu’elle doit encore rembourser.

    « Socialement, c’est hyper compliqué, parce que tu n’as pas de #revenu fixe, ni de vrai #statut_social. Ça impacte aussi la #vie_affective, parce qu’on ne peut pas se projeter. Parfois, ça crée une forme de #dépendance_financière vis-à-vis du conjoint. »

    « On le fait parce que ça a du sens »

    La recherche permanente d’argent impacte ses études. « Sur ces sept ans et demi d’études, je n’ai finalement passé que peu de temps à faire des recherches et à écrire ma thèse. »

    Malgré tout, elle a tenu bon. « Quand on fait une thèse, on le fait parce que ça a du #sens. Parce que ça repousse un peu la frontière de la connaissance de notre société. »

    Le parcours du combattant de Clémence n’est pas terminé. Aujourd’hui, elle n’est toujours pas titularisée et candidate à des contrats temporaires. « Il faut parfois cinq ans pour pouvoir obtenir un poste d’enseignante-chercheuse… »

    Contacté, le service communication de Rennes 2 n’a pas répondu à notre sollicitation.

    https://www.ouest-france.fr/bretagne/rennes-35000/temoignage-doctorante-elle-donnait-des-cours-a-la-fac-en-etant-au-rsa-b

    #ESR #thèse #doctorat #précarité #salaire #facs

    • c’est emmerdant que comme bien du monde des salariés des facs qui ont cru échapper à la prolétarisation dépendent du #RSA et de la prime d’activité. en même temps, ça pourrait peut-être contraindre à voir au-delà de chez son employeur particulier, ce qui vaut pour les gilets jaunes (auxquels on a répondu par un nouveau paramètrage coûteux de la prime d’activité en faveur des SMIC temps plein, aux détriment des moins employé.e.s) et pour les travailleurs précaires de tous secteurs, intellos compris.

      #prime_d'activité