Tôt dans la matinée du vendredi 26 décembre, les bureaux de l’un des derniers médias indépendants d’Azerbaïdjan ont été la cible d’une perquisition musclée des enquêteurs du bureau du procureur national. Les journalistes de Radio Free Europe-Radio Liberty (RFE-RL), dont certains ont été retenus plusieurs heures avant d’être convoqués pour des interrogatoires, ont diffusé des images de bureaux et d’armoires saccagés. Des ordinateurs et des documents officiels ont été emportés, et les locaux placés sous scellés, faisant craindre une longue fermeture.
Les policiers ont expliqué que la perquisition entrait dans le cadre d’une enquête sur les financements étrangers de la station. Ceux-ci ne sont pas un mystère : RFE-RL, fondée à l’époque de la guerre froide, n’a jamais caché être financée par le gouvernement américain. Depuis que Bakou lui a interdit, en 2010, d’émettre sur les ondes nationales, elle se concentre sur ses activités en ligne.
« Haute trahison »
Ces dernières années, le régime autoritaire d’Ilham Aliev, qui a succédé à son père Heydar à la présidence en 2003, a accentué la pression sur toutes les voix d’opposition. L’organisation Human Rights Watch estime que plus de 50 journalistes indépendants, blogueurs et militants politiques ont été emprisonnés ces deux dernières années.
Parmi eux, deux cas ont particulièrement ému ces derniers mois : le 30 juillet, Leyla Yunus, 59 ans, figure la plus emblématique de l’opposition, était arrêtée à Bakou, et inculpée de « haute trahison » et d’« espionnage » au profit de l’Arménie, l’ennemi juré de l’Azerbaïdjan. Son arrestation montrait le peu de cas que faisait l’Azerbaïdjan des pressions internationales : celle-ci était intervenue quelques semaines après que le président français François Hollande l’eut rencontrée à Bakou et alors qu’elle était pressentie pour recevoir le prix Sakharov des droits de l’homme du Parlement européen.
Le 5 décembre, c’était au tour de Khadija Ismayilova d’être arrêtée. Depuis cette date, la journaliste, collaboratrice la plus renommée de la station Radio Free Europe-Radio Liberty, est en détention préventive, sous l’accusation farfelue d’avoir tenté de pousser au suicide l’un de ses anciens collègues.
Mme Ismayilova, connue en Azerbaïdjan et à l’étranger pour le sérieux et la rigueur de ses articles, s’est surtout fait une spécialité, depuis plusieurs années, d’enquêter sur le tabou suprême de la riche République d’Azerbaïdjan : la richesse et la corruption du clan Aliev, qu’un câble diplomatique américain, révélé par WikiLeaks en 2010, comparait au clan Corleone du film Le Parrain.
« Forces jalouses »
La veille de son arrestation, le chef de l’administration présidentielle prenait moins de précautions en accusant publiquement la journaliste de trahison, et désignait les employés de RFE-RL comme espions. Depuis, le pouvoir a balayé les critiques venues du monde entier en dénonçant une « campagne anti-azerbaïdjanaise menée par des forces jalouses de notre pays ». Il s’est plaint que « les Etats-Unis grossissent chaque petit incident lié aux droits de l’homme en Azerbaïdjan ».
Récemment, Mme Ismayilova, 38 ans, avait pu converser avec ses collègues de RFE-RL. « Le travail doit continuer », leur avait-elle glissé. La journaliste, connue pour sa force de caractère, a pourtant été particulièrement harcelée par les autorités de son pays, qui ont usé des procédés les plus glauques. En 2012, des vidéos filmées en secret et la montrant en train d’avoir des rapports sexuels avaient été diffusées sur Internet. La journaliste avait alors expliqué être victime d’un chantage afin de cesser ses enquêtes.