• #Cyclone à #Mayotte : et voilà que les immigrés sont responsables des catastrophes climatiques

    Les déclarations rejetant la faute sur les personnes issues de l’immigration comorienne s’enchaînent dans le débat public. Une manière pour les personnalités politiques de se défausser de leurs responsabilités dans le drame humain que traverse l’île depuis plusieurs jours.

    À chaque fois qu’on pense avoir touché le fond, on creuse encore un peu plus. Les #déclarations indécentes de plusieurs personnalités politiques ou médiatiques après les ravages du cyclone #Chido à Mayotte démontrent, une fois de plus, combien les personnes immigrées servent de #bouc_émissaire et sont présentées comme les responsables de tous les maux de la société.

    Face à l’ampleur de la catastrophe et à l’urgence d’agir pour acheminer l’aide alimentaire, l’eau et autres produits de première nécessité, le ministre démissionnaire de l’intérieur, #Bruno_Retailleau, n’a rien trouvé d’autre que de s’attaquer à l’immigration. « Il faut déjà penser au jour d’après. On ne pourra pas reconstruire Mayotte sans traiter, avec la plus grande détermination, la #question_migratoire », a-t-il déclaré sur le réseau social X.

    Et le ministre d’ajouter : « Mayotte est le symbole de la #dérive que les gouvernements ont laissé s’installer sur cette question. Il faudra légiférer pour qu’à Mayotte, comme partout sur le territoire national, la France reprenne le contrôle de son immigration. »

    Au micro de BFMTV et RMC, mercredi 18 décembre, il a développé : « On ne pourra plus faire comme avant. Il faut trois actions : être beaucoup plus dur vis-à-vis des #Comores, envisager de nouveaux moyens de lutte en utilisant un certain nombre d’outils modernes pour prévenir les arrivées de #kwassa-kwassa, et enfin modifier notre législation. »

    Dans une comparaison qui n’a pas lieu d’être, par laquelle il surfe habilement sur la théorie d’extrême droite du « #grand_remplacement » sans toutefois la nommer, Bruno Retailleau a affirmé que « c’était comme si, en France, on avait à peu près 20 millions de clandestins ». « Est-ce qu’une société peut vivre dans la concorde civile avec un tel #déséquilibre_démographique ? eh bien, je dis non. »

    Le député de la #Marne_Charles de Courson (Liot) a emprunté la même voie de la déraison, allant jusqu’à parler d’« #invasion » : « Le plus grand problème de Mayotte, ce qui explique d’ailleurs le vote de nos compatriotes de ce département, c’est une forme d’invasion, il faut bien le dire, par des immigrants venant surtout des Comores, mais pas uniquement, et qui essaient de pénétrer en Europe via Mayotte. »

    #Hiérarchisation_des_vies

    #Barbara_Lefebvre, essayiste et chroniqueuse dans l’émission « Les Grandes Gueules » sur RMC, a quant à elle assumé de hiérarchiser les vies : « Maintenant, on vient nous expliquer “Oh on va faire une minute de silence pour les Mahorais”. C’est pas pour les Mahorais. L’essentiel des morts, ça doit être des clandestins comoriens qui de toute façon n’ont pas voulu écouter les alertes quand on leur a dit de s’en aller de leur #bidonville. »

    Ce #racisme décomplexé est d’une violence inouïe. Pendant ce temps, le premier ministre à peine nommé a préféré se rendre à Pau en jet privé, pour présider le conseil municipal de sa commune. Un premier choix révélateur de son sens des priorités face à une telle catastrophe, touchant le département le plus pauvre de France. Mais il ne s’est pas arrêté là.

    Interrogé mardi 17 décembre sur France 2 à l’occasion d’une soirée spéciale visant à récolter des dons pour Mayotte, #François_Bayrou a souligné la situation administrative d’une partie des victimes du cyclone, évoquant une « population qui, du point de vue des papiers, est illégale, mais du point de vue de la vie, sont des hommes et des femmes ». « Est-ce que c’est le sujet, aujourd’hui, de savoir si c’est légal ou pas ? », a rétorqué Nagui, le présentateur.

    C’est sans doute la seule et unique question qui compte aujourd’hui dans le drame que traversent Mayotte et ses habitant·es, peu importe la couleur de leur passeport. Car personne n’est illégal dans ce monde : il a simplement été décrété que les personnes blanches pouvaient migrer n’importe où, en étant qualifiées d’« expatriées », et que les autres n’en avaient pas le droit, au prétexte qu’elles ne seraient nées du bon côté de la planète.

    Au lieu de s’interroger sur l’efficacité de leurs politiques, nos dirigeants ont donc choisi de se défausser de leurs responsabilités. Tout serait la faute des « migrants », qui participeraient à l’« invasion » de Mayotte et créeraient un « déséquilibre » sur le territoire.

    Pas de remise en question

    Personne ou presque ne rappelle l’histoire de cette île, qui appartenait à l’archipel des Comores avant d’être colonisée par la France en 1941 et d’en être isolée lorsque la population mahoraise a voté contre l’indépendance.

    Personne n’explique pourquoi, en gardant une telle scission géographique, Mayotte continuera d’attirer toujours plus de personnes cherchant à fuir la misère et à améliorer leurs conditions de vie, en rejoignant l’île voisine, située à une soixantaine de kilomètres.

    Qui pour évoquer le rapport caché rédigé par six ministères, révélé par Mediapart en mars 2023, qui annonçait déjà la couleur d’une situation explosive, dans un territoire rongé par la pauvreté, un système de santé à la dérive et une politique migratoire contre-productive basée sur le non-accueil ?

    Personne ne s’attarde, enfin, sur les retards effrayants de développement sur l’île, qui manque cruellement de logements, d’infrastructures, d’accès à l’eau ou d’accès à la santé. Il suffit pourtant de s’y rendre pour que tout cela saute aux yeux : les bidonvilles – dans lesquels vivent aussi des personnes en situation régulière ou de nationalité française –, le système éducatif, l’état des routes, l’absence de lignes de transport en commun, les coupures d’eau régulières qui contraignent les habitant·es à faire des stocks dans des bidons pour pouvoir se doucher…

    Que l’on ne s’y trompe pas, ces retards ne sont pas imputables aux personnes migrantes ; et les personnes migrantes ne sont pas responsables du dérèglement climatique. Elles sont d’ailleurs bien souvent les premières à en pâtir, et deviennent, pour certaines, des réfugié·es climatiques. Les accuser de tous ces maux se résume à une grande lâcheté.

    Le ministre de l’intérieur l’a dit lui-même, « l’île est dévastée » et « ce qui attend la France à Mayotte est colossal ». Il est temps d’accompagner enfin ce département français de manière digne – comme les autres départements et régions d’outre-mer (Drom) – et d’y investir, tout en veillant à ce que la corruption ne réduise pas à néant les chances de survie des habitant·es les plus vulnérables.

    https://www.mediapart.fr/journal/france/181224/cyclone-mayotte-et-voila-que-les-immigres-sont-responsables-des-catastroph
    #immigration #migrations #immigrés #responsabilité

    ping @karine4

    • Mayotte face au cyclone Chido : quand l’obsession migratoire écrase la justice climatique

      Après le passage, ce samedi 14 décembre, d’un cyclone d’une violence inédite sur l’île de Mayotte, département français d’outre-mer, les conséquences matérielles et humaines sont colossales. Comment expliquer ce désastre climatique en brandissant la carte de la migration clandestine ? #Bruno_Retailleau, (ex)-ministre de l’Intérieur français y parvient très bien en attisant le délire fasciste du recours aux boucs émissaires pour tout justifier, de la catastrophe climatique à la #pauvreté extrême. Pour lui, ce sont les migrants en situation illégales qui expliquent les dégats causés par le passage de Chido.

      Les 14 décembre 2024, Mayotte est frappée par un violent cyclone, dévastant l’île et emportant des centaines de vies. Les destructions sont massives, tant au niveau des infrastructures où, par exemple, un hôpital a été gravement impacté, qu’au niveau d’habitations entières emportées. Au-delà de la destruction de lieux de vie, les pertes en vies humaines sont estimées à plusieurs centaines, voire milliers, selon le préfet de Mayotte. S’ajoutent au bilan humain et matériel des milliers de personnes sinistrées après le passage de ce tourbillon meurtrier. Alors que l’heure est au deuil et à l’appel à la solidarité internationale, à l’envoi de secours afin de soigner, nourrir et loger celles et ceux qui se retrouvent sans toit, l’(ex)-ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, dont la #rhétorique des trois derniers mois s’est concentrée sur un appel général au rétablissement de “l’#ordre”, explique sur X (ex-Twitter) :


      https://x.com/BrunoRetailleau/status/1868920034598306010

      Justifier le désastre du cyclone par la présence de l’immigration clandestine

      Reconnaître la #responsabilité du gouvernement français dans l’extrême pauvreté qui touche le département français de Mayotte n’a pas semblé être une priorité pour Bruno Retailleau, qui appelle à poursuivre la course contre l’immigration irrégulière plutôt que de s’attaquer aux causes du désastre dû à la catastrophe climatique. Faire appel à la “#question_migratoire” pour justifier l’écart de pauvreté entre la France métropole et Mayotte n’est pas une nouveauté pour le ministère de l’Intérieur français. En 2018, alors qu’un large mouvement social secouait l’île pour dénoncer les conditions de vie difficiles, la priorité du gouvernement était déjà donnée à la lutte contre l’immigration dite “irrégulière” des Comorien·nes cherchant refuge à Mayotte. Il est important de rappeler que Mayotte fait historiquement partie intégrante de l’archipel des Comores. Ce peuple forme une unité historique et culturelle avec les trois autres îles (Grande Comore, Mohéli et Anjouan). Lors des décolonisations, l’État français a isolé Mayotte, où une majorité s’était prononcée contre l’indépendance lors d’un référendum alors que les autres îles se prononcaient pour. Devenue département français en 1974, cette décision a été largement dénoncée par l’ONU comme une violation du droit international et une atteinte à l’intégrité territoriale des Comores.

      Le #déni_colonial de la France

      La catastrophe écologique du passage du cyclone Chido met en lumière les enjeux politiques et environnementaux des territoires d’outre-mer français. L’intensité du cyclone et les ravages qu’il a causés rappellent « les conséquences mortelles des inégalités en termes de ressources et d’infrastructures dans ces régions » [1]. En moyenne le niveau de vie à Mayotte est sept fois plus bas que la moyenne nationale, avec 77% des habitant·es vivant sous le seuil de pauvreté, soit cinq fois plus qu’en France et un tiers vivant dans des habitations trop précaires pour résister à la force du cyclone. Le désastre auquel font face les Mahorais aujourd’hui ne peut être dissocié, contrairement à ce qu’affirme Bruno Retailleau, de l’héritage colonial. La longue histoire de violences, d’accaparement des terres, de reconfiguration des paysages et de traumatismes liés à la colonisation et à l’esclavage, apparait aujourd’hui indissociable de la situation dans laquelle se trouve Mayotte.

      Aujourd’hui, appartenir à un département français tout en laissant des milliers de personnes dans une pauvreté extrême ne peut être interprété comme le résultat d’une « dérive » liée à la présence de Comorien·nes considérés comme clandestins sans-papiers. Le ministre de l’intérieur promet la chasse à celles et ceux qui demandent asile ou vivent clandestinement, sous-entendant que celle-ci pourrait solutionner les difficultés économiques de l’Outre-mer. Dans la clandestinité, nombreuses sont les personnes sans-papiers qui vivent dans des bidonvilles, souvent construits avec des matériaux largement dévastés par le cyclone. De plus, selon certaines informations, des personnes non régularisées ne se seraient pas rendues dans les centres d’hébergement indiqués pendant l’alerte rouge du cyclone, par crainte de répression et d’arrestation. Nombreux sont celles et ceux qui ont probablement perdu la vie dans le cyclone, victimes d’une nécropolitique répressive menée par la France à leur égard.

      Comme le rappellent Malcom Ferdinand et Mélissa Manglou, la vulnérabilité des territoires d’Outre-mer aux dégradations environnementales et aux perturbations climatiques n’est pas naturelle, mais résulte d’une « longue construction sociale et politique ». [2] Elle découle d’un héritage colonial qui a détruit les écosystèmes et fragilisé la souveraineté de territoires entiers. Mayotte fait partie de la France suite à un travail acharné visant des enjeux économiques et géopolitiques, notamment en raison de sa position stratégique dans l’Océan Indien, près du Mozambique, un pays riche en ressources exploitées par l’extractivisme. Le cyclone Chido illustre de manière poignante comment les habitant·es de Mayotte subissent la destruction des lieux fragilisés par des années de difficultés économiques et de chasse aux « clandestin·es » causée par la nécropolitique française. Ce processus reflète également une forme de dette écologique, où les conséquences des pratiques extractivistes et de l’exploitation des ressources naturelles se manifestent de manière disproportionnée sur les populations locales, amplifiant leur précarité face aux catastrophes climatiques. Aujourd’hui, la mort de nombreuses personnes lors de cette catastrophe climatique ne peut être comprise que comme le résultat d’un long processus d’anéantissement colonial. Bruno Retailleau, en l’associant à une « dérive » dans la gestion de l’immigration, utilise une rhétorique dangereuse et fascisante pour légitimer la position de la France en Outre-mer.

      https://www.cadtm.org/Mayotte-face-au-cyclone-Chido-quand-l-obsession-migratoire-ecrase-la-justice

  • A l’Elysée, la mue « républicaine » du macronisme [avec de l’ethos de droite, du Zemmour, du Valeurs actuelles, ndc]
    https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/09/14/a-l-elysee-la-mue-republicaine-du-macronisme_6052101_823448.html

    La ligne dite « régalienne » prend de plus en plus de poids à la présidence de la République. Avec un objectif : mettre Emmanuel Macron en position de reconquérir les classes populaires pour 2022.

    Une image léchée, impeccable. Entre les hauts murs du Panthéon, Emmanuel Macron écoute le chœur de l’armée française chanter La Marseillaise. Le chef de l’Etat vient de présider une cérémonie de naturalisation, prétexte à vanter la République comme un « bloc », fustiger « séparatisme » et repentance. Devenir français, c’est « aimer nos paysages, notre histoire, notre culture », clame-t-il ce 4 septembre, sa voix résonnant comme dans une église. « Le sacre de Reims et la Fête de la Fédération. On ne choisit jamais une part de France, on choisit la France. » D’un bloc, toujours. Quatre jours plus tard, à l’Elysée, deux conseillers se croisent dans les couloirs du palais. « Tu as vu, lance le premier au second, le discours a plu à Eric Zemmour, il a demandé sur CNews qui en était l’auteur ! »

    En coulisses, ce discours commémoratif – également salué par Jean-Pierre Chevènement ou l’ex-plume de Nicolas Sarkozy Camille Pascal – a été l’objet d’un jeu d’influences qui en dit long sur l’évolution du quinquennat depuis trois ans. Inspirée par le conseiller mémoire, Bruno Roger-Petit, et mise en musique par la plume du président, Jonathan Guémas, tous deux tenants d’une ligne dite « régalienne » à l’Elysée, cette harangue aux accents patriotes tranche singulièrement avec l’esprit de 2017, quand le candidat d’En marche !, qui affichait optimisme et modernité, reprochait à Manuel Valls sa rigidité. Mais, à deux ans de la présidentielle, il n’est plus temps de vanter la diversité ou de prôner une vision ouverte de la société. Plutôt d’opérer la mue « républicaine » du macronisme, en lançant une offensive sur la laïcité, le communautarisme ou la sécurité.

    Une fois n’est pas coutume, le discours du Panthéon n’a pas été relu par le conseiller spécial, Philippe Grangeon. Le fait est suffisamment rare pour être noté tant ce social-démocrate, qui fut l’un des principaux artisans de l’aventure En marche !, occupe un rôle central dans le dispositif présidentiel. Mais l’ancien dirigeant de la CFDT, 63 ans, a décidé de prendre sa retraite ; il quitte le palais le 15 septembre. Celui que ses adversaires dépeignent en « libéral », représentant de la « gauche américaine », prétendument éloigné d’une vision assimilationniste de la République, aurait-il contribué à changer la tonalité du texte s’il l’avait visé ? L’éminence grise, pour qui le social est la base de tout, aura en tout cas répété jusqu’au bout qu’à ses yeux le macronisme reconnaît et respecte les diversités du pays.

    Incarnation et verticalité

    Appartenant à la même mouvance sociale-démocrate, deux anciens stratèges du quinquennat précédent, l’ancien conseiller en communication de François Hollande, Gaspard Gantzer, et l’ex-plume de Manuel Valls, Benjamin Djiane, ont bien tenté, de leur côté, de peser sur ce discours de rentrée. Dans une note envoyée à l’Elysée, trois jours avant, ils ont plaidé pour une République ouverte et capable de reconnaître ses « erreurs lourdes » dans l’histoire. Mais c’est la ligne dure qui l’a emportée. D’aucuns pointent le doigt vers Bruno Roger-Petit pour désigner l’homme se cachant derrière cette orientation.

    Cet ancien journaliste, nommé porte-parole de l’Elysée en 2017, avait été écarté de son poste un an plus tard après une conférence de presse ratée pendant l’affaire Benalla, et nommé conseiller mémoire. Ses adversaires le pensaient mis au placard. Rival de l’ancienne plume Sylvain Fort, « BRP » a entretenu des relations tendues avec les « mormons », ces jeunes conseillers ayant accompagné Emmanuel Macron dans sa conquête du pouvoir, comme Ismaël Emelien ou Sibeth Ndiaye. Imprégnés des démocrates américains, ces derniers sont d’ardents défenseurs de l’horizontalité, du progressisme et de la « start-up nation », sur fond de dépolitisation.

    A l’inverse, Bruno Roger-Petit plaide pour l’enracinement dans l’histoire, l’incarnation et la verticalité, défendant une ligne « gaullo-mitterrandienne ». Pourfendeur de « l’identité heureuse » d’Alain Juppé, inspirateur de la formule « l’art d’être français », prononcée par le chef de l’Etat après l’incendie de Notre-Dame de Paris, l’ex-journaliste aime se référer à l’entretien accordé par M. Macron en 2015 à l’hebdomadaire Le 1, dans lequel il évoquait la figure du roi, dont « l’absence » continue de hanter la démocratie française. Le président se vante de maîtriser les codes de la droite culturelle (« J’ai un ethos de droite », confie-t-il à ses proches) afin de mieux la trianguler ; « BRP » se plaît à vouloir mettre en musique cette ambition, censée contribuer à désamorcer la menace populiste.

    Le conseiller – issu de la gauche et qui se défend d’avoir viré à droite – est ainsi l’officier traitant au palais des nouveaux hussards de la droite conservatrice, qui portent selon lui « une part de l’esprit français ». En mai, il s’est ainsi félicité qu’Emmanuel Macron appelle Eric Zemmour pour réconforter le polémiste, pris à partie par un homme dans la rue. Le conseiller mémoire aime également débattre et tester ses formules avec Geoffroy Lejeune, patron de la rédaction de l’hebdomadaire droitier Valeurs actuelles. « Un journal de punks », sourit-il.

    Les adversaires de « BRP » assurent que le conseiller n’appartient pas au dispositif stratégique du chef de l’Etat, et qu’il ne faudrait pas voir en lui un nouveau Patrick Buisson, l’omniprésent « mauvais génie » de Nicolas Sarkozy. Mais ses amis, qui le décrivent comme « truculent et cultivé », croient voir sa main derrière certains arbitrages présidentiels.

    « Je m’en fous des bourgeois »

    Au palais, la ligne « régalienne » compte d’autres soutiens, qui partagent avec M. Macron l’analyse d’une cassure entre les Français et leurs élites. Comme la plume du président Jonathan Guémas, ex-collaborateur de Gérard Collomb à Lyon, marqué par son passage place Beauvau, où il a été brutalement confronté aux questions d’insécurité et de communautarisme. Avec « BRP », le jeune normalien partage parfois la table du questeur de l’Assemblée nationale Florian Bachelier, qui convie les députés par fournées à venir écouter la bonne parole de ces deux émissaires de l’Elysée. L’ex-conseiller intérieur, Laurent Hottiaux, participait de la même mouvance avant sa nomination comme préfet des Hauts-de-Seine en août. Il a été remplacé à son poste par Frédéric Rose, un expert de la lutte contre l’islamisme. Enfin, le directeur du cabinet du chef de l’Etat, Patrick Strzoda, défend lui aussi une stratégie de reconquête des classes populaires à travers ces sujets. « Je m’en fous des bourgeois, ils voteront toujours pour nous ! », a-t-il un jour glissé à un visiteur.

    Hantés par le souvenir de Lionel Jospin, qui a trébuché sur la sécurité en 2002, ces stratèges regrettent que les questions d’identité et de sécurité restent un « impensé de la deuxième gauche ». « Le pays a besoin d’ordre et de justice », explique l’un d’eux. A leurs yeux, le costume présidentiel du « prince » habité par l’histoire colle davantage aux aspirations des Français que celui du « manageur » de la start-up nation, prétexte aux procès en « déracinement ». « La demande de retour de France s’est accentuée », assure « BRP » en privé, persuadé que les questions identitaires ont pris le pas sur l’économique et le social.
    La nomination de l’ancien conseiller de Sarkozy Jean Castex, « notre Pompidou cassoulet », sourit-on à l’Elysée, ainsi que celle de figures populaires, comme Roselyne Bachelot ou Eric Dupond-Moretti, à la place de ministres experts n’ayant jamais « imprimé », ont réjoui ces conseillers. Cette nouvelle équipe, pensent-ils, saura mieux parler au cœur de la droite que le juppéiste Edouard Philippe, méfiant face aux envolées identitaires. « C’est le gouvernement de la cause du peuple », jure l’un d’eux en paraphrasant le titre d’un livre de Patrick Buisson.
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    La lutte d’influence sur les sujets régaliens s’est manifestée début juillet, à l’occasion du remaniement. Le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, issu du Parti socialiste, s’est ainsi récrié face à la nomination attendue de Jean-Michel Blanquer au ministère de l’intérieur en raison de ses positions intransigeantes sur l’islam. L’affaire semblait pourtant scellée, M. Macron ayant proposé de vive voix au ministre de l’éducation ce transfert place Beauvau. Nommé à la place, le transfuge de la droite Gérald Darmanin, très écouté au palais, contribue depuis à modeler tout autant le visage du macronisme, au sortir d’un été où le ministre de l’intérieur a pourfendu l’« ensauvagement » de la société.
    Beaucoup, dans l’entourage de M. Macron, se disent persuadés que la prochaine présidentielle se jouera sur les questions régaliennes. Son ancien conseiller Sylvain Fort juge ainsi qu’il n’est plus temps de s’attacher à la question de l’émancipation, centrale lors de la campagne de 2017. « La France est anxieuse de l’insécurité, de son identité », estime l’ex-plume, qui craint une République en pleine « défaisance ». « “BRP” et d’autres veulent que Macron soit le candidat de la droite populaire, comme Sarkozy l’a été », analyse un familier de l’Elysée.

    Maintenir un équilibre

    L’influence grandissante de cette ligne se lit également en miroir des départs : la quasi-totalité des « historiques », promoteurs du progressisme, ont quitté l’Elysée. Après Philippe Grangeon, mi-septembre, la secrétaire générale adjointe, Anne de Bayser, qui porte une sensibilité sociale, devrait partir elle aussi ces prochains mois, dans le sillage de l’ex-communicant Joseph Zimet, nommé en août préfet de Haute-Marne. Ce dernier, proche de Philippe Grangeon, s’affrontait durement avec Bruno Roger-Petit sur les enjeux mémoriels.
    Soucieux de maintenir un équilibre entre des conseillers « venus de tous les horizons », M. Macron a nommé fin août un nouveau communicant, Clément Leonarduzzi, formé par l’ex-conseillère de Lionel Jospin Marie-France Lavarini, avant de faire la communication des Gracques, un think tank social-démocrate. Selon nos informations, le conseiller social de l’Elysée, Pierre-André Imbert, lui aussi issu de la gauche, devrait remplacer Anne de Bayser comme secrétaire général adjoint afin de rééquilibrer la balance.

    Sur le fond, le chef de l’Etat entend assortir son offensive sécuritaire d’annonces en matière d’égalité des chances. Mais dès le 11 novembre, le président devrait être de retour au Panthéon pour célébrer « ceux de 14 » à travers la figure de l’écrivain Maurice Genevoix, qui a porté dans ses livres la mémoire des combattants français de la première guerre mondiale. Une occasion de plus de se mettre en scène au milieu des hérauts de la République.