• Aude : à la cité de l’Espérance, il y a de l’électricité dans l’air - Libération
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    A Berriac, une communauté gitane qui vit entassée à proximité d’un transformateur a porté plainte contre une filiale d’EDF après de multiples cas de cancers. Mais la procédure, longue, a fini par entamer la cohésion historique des habitants.

    Michel Soulès n’aime pas secouer sa mémoire : à chaque mouvement de tête, c’est une vie d’un proche qui tombe. « Mon père ? Décédé des suites d’un #cancer de la vessie, de la gorge et du poumon. Mon frère ? Deux cancers, au poumon et au cerveau. Chez mes grands-parents : pareil. » Assis dans le gros fauteuil de sa mère, tasse de café à la main et cernes cendrés, le maire du village de Berriac (Aude), 56 ans, élu en 2009, renonce à quantifier le malheur des familles voisines. Combien de parents, de cousins, « d’enfants gitans » ont-elles perdu ici, à la cité de l’Espérance ? Michel n’en a plus la moindre idée. Depuis l’arrivée de « sa communauté » en 1968 sur ce terrain situé à quatre kilomètres de Carcassonne et déjà occupé par le « mortel » poste électrique #EDF, les cas de cancers, leucémies et arrêts cardiaques se sont trop vite multipliés pour qu’il puisse tous se les remémorer. Sa seule certitude : « Ce trou à rats est un enfer toxique qui n’épargne personne. »

    Jugement final

    De loin, c’est une forteresse d’acier. Un poste électrique perché sur la petite colline de #Berriac, relié à deux lignes aériennes et dix pylônes surchauffés à 225 000 volts. Un monstre de ferraille qui ne laisse entrevoir à travers ses entrailles que des bribes vétustes du quartier de l’Espérance. De près, c’est une enclave humaine. Un ensemble pavillonnaire de 3 hectares, hors du village, de 21 #HLM et d’une quinzaine de propriétés privées réunissant environ 300 #gitans. Puis, tout autour et jusqu’au ciel, un grésillement sourd et continu, à rendre fou. Quinze de ces habitants, soutenus par le maire, ont fini par porter plainte au printemps 2015 contre EDF et sa filiale #RTE afin de « constater les préjudices » liés à la présence de ces lignes à très haute tension (#THT) sur leur état de #santé. Mais les procédures judiciaires engagées par le tribunal administratif de Montpellier sont depuis quasiment au point mort, enlisées dans des désaccords d’experts. Agence régionale de santé, Centre de recherche et d’information indépendantes sur les rayonnements électromagnétiques, Institut du cancer de Montpellier… Tous sont allés sur le terrain mesurer l’impact des ondes électromagnétiques, mais aucun n’en est revenu avec les mêmes conclusions.

    Y a-t-il, oui ou non, un lien établi entre les pathologies des résidents de l’Espérance et le dispositif RTE ? L’attente d’un jugement final s’enlise au vu d’une date de procès toujours indéfinie. Aujourd’hui, les convictions des gitans se sont muées en cri de colère ou de rancœur, chambardées par l’impatience. Et l’union collective s’est métamorphosée en une division interne, cristallisée autour de la problématique du relogement. L’#Espérance avait été bâtie pour la communauté après l’incendie en 1967 de leur ancien lieu de vie, une décharge nommée la Cavayère. Mais face au silence judiciaire et aux rumeurs d’une bataille perdue d’avance, il y a désormais ceux qui se battent pour quitter la cité et ceux qui veulent à tout prix y rester. Un sentiment d’appartenance tourmenté de l’intérieur, sonnant le glas d’un vivre-ensemble vieux de cinquante ans. « Nous sommes maintenant divisés en deux camps, se risque à résumer Rémi (1), 45 ans, intérimaire dans le BTP et grande figure du quartier. La mobilisation contre le transformateur électrique a été un moyen de resserrer des liens qui commençaient déjà à se perdre au sein de notre communauté. On a retrouvé, durant une courte durée, notre solidarité passée. Mais les gens sont épuisés face au silence des autorités. Beaucoup adoptent donc un comportement individualiste. » Lui a choisi de rester malgré les maux de tête et les nuits d’insomnie. Par respect pour ses deux parents morts, irréductiblement attachés à ce lieu historique. Par respect aussi pour cette propriété familiale, dont il est l’héritier, construite par ses aînés avec « ardeur et sueur versée » après des années « de galère » en location, à sept dans une HLM de deux chambres.

    « Petit paradis paisible »

    Lætitia et Thomas sont tout aussi attachés à la cité. Ce couple de trentenaires, parents de trois enfants, avait choisi d’y revenir en 2016 après une dizaine d’années d’absence. Nostalgiques d’une jeunesse radieuse vécue à l’Espérance. « Tous les deux, nous avions ce souvenir d’un petit paradis paisible, où toutes les familles se côtoyaient et vivaient en harmonie. Nous voulions offrir la possibilité à nos gamins de vivre la même chose, entourés de tous leurs cousins. » Un choix qu’ils regrettent désormais. La potentielle dangerosité électromagnétique du poste ne les trouble pas outre mesure. En revanche, le manque de convivialité des voisins de ruelle « les excède », tout comme « l’insalubrité » devant leurs maisons, les voitures sans pneus s’enracinant sur leurs places de parking et la ferraille entreposée sur les aires de jeux. « Les éboueurs n’osent même plus passer tellement c’est dégueulasse, se crispe la jeune maman. C’est ma cousine qui nous a cédé la maison. Elle ne nous a rien dit sur l’état du quartier. J’ai été trahie par un membre de ma famille. Jamais ça ne serait arrivé à l’époque de mes parents. »

    Voici donc le seul moyen pour fuir l’Espérance : revendre sa maison à un « membre du clan », trop attaché à son environnement pour décamper, en lui proposant un prix d’achat qui avoisine les 30 000 euros. « Nos parcelles n’ont aucune valeur car tout le monde sait que cet endroit s’expose à un taux anormalement élevé de maladies », se désole Laura, 31 ans, déterminée à quitter les lieux « pour l’avenir » de ses jeunes enfants. Mais personne ne lui a jamais fait de proposition pour son pavillon. « Ici, c’est comme un élevage de bétails qui serait élevé aux médocs. Qui achèterait ? » Côté locataires, c’est la même impasse : le bailleur social Habitat audois ne « voit pas d’urgence » à les reloger tant que la dangerosité de la structure électrique n’est pas « officiellement avérée ». Coincés et résignés, beaucoup de riverains ont finalement accepté la situation.

    Lydia, 57 ans, le corps abîmé et le pas perdu, reçoit avec pudeur dans son petit logement social. Depuis quatre mois, elle « fait le deuil » de son frère aîné, mort des suites d’un cancer. Ils résidaient dans la même rue avec leur sœur cadette. « Notre Antoinette a aussi perdu son mari d’un cancer. Cela n’étonne plus personne. On s’est tous plus ou moins habitués aux mauvaises nouvelles. » Sarah a connu les flammes de la #Cavayère, les rêves permis par l’Espérance, puis les premières désillusions, le destin maudit. Mais partir pour aller où ? « Si c’est pour nous éparpiller dans ces grandes tours populaires de Carcassonne, je ne bougerai jamais, assure-t-elle. Moi, je veux simplement la paix sociale, donc pas de mélange. Soit on reloge toute la communauté à un autre endroit, soit personne ne quitte la cité. Restons une seule et grande famille. »

    « Cage à poules »

    Changement de génération, changement de tonalité. Aurélie, 32 ans, fait partie de cette minorité d’habitants qui a choisi de « se défaire du reste du groupe » sans en être peinée. Se considérant comme « chanceuse », elle a déménagé en novembre 2016 à Carcassonne. Figure de proue de la mobilisation contre EDF, elle a fui les lignes à haute tension, bien sûr, mais également « les manières de vivre gitanes ». Elle explique : « Je ne voulais pas rester dans cette cage à poules. Et je suis fière de voir ma fille ramener des copines d’école à la maison, de faire des sorties avec les voisins de mon nouveau lotissement. Je n’attendais que cela, m’ouvrir enfin aux autres. » Sa mère, qui vit toujours à la cité, lui rend parfois visite. Mais la jeune femme ne côtoie presque plus le reste de sa famille et ne se déplace jamais à l’Espérance. Le cas d’Aurélie est tabou : en « reniant la communauté », elle est devenue une pure « paille », une « non-gitane ».

    Michel Soulès est aussi considéré comme un paria par une majorité des siens. Enfant de l’Espérance, l’élu local (sans étiquette) se bat actuellement pour construire trois nouveaux logements sociaux à quelques kilomètres des pylônes électriques, dans le but de faire déménager des familles de la cité. « Au départ, c’est la société qui nous a mis à l’écart en nous installant derrière ce poste électrique, hors du village, rappelle-t-il. Mais nourrir cette exclusion nous pénalise. Puisque la société ne vient pas à nous, je pense qu’il faut faire l’effort d’aller vers elle. » Et d’ajouter : « Je ne me bats pas seulement pour des motivations médico-sanitaires. Mon combat est également social. Dans la communauté gitane de Berriac, il n’y a plus aucune raison aujourd’hui pour que les gens vivent encore ensemble. » Un projet périlleux car incompréhensible, voire non désiré, par les premiers concernés.
    (1) Le prénom a été modifié
    Anaïs Moran Envoyée spéciale à Berriac (Aude)

  • Gitan !

    Il est le seul maire gitan de #France et pourtant… il s’est mis en tête de démanteler la cité gitane de sa ville. Convaincu que sa communauté n’a plus rien à gagner à vivre repliée, Michel Soulès bataille, souvent seul contre tous, pour atteindre son idéal de #mixité.

    Guitariste gouailleur, séducteur bagarreur, ce nostalgique de la vie de bohème n’est pas à un paradoxe près.
    Entre désir d’intégration et crainte d’acculturation, sa vie est un exercice d’équilibriste.


    https://lequatreheures.com/episodes/gitan

    #Roms #gitans #Berriac