Un article de Guillemette Odocino publié le 15 février dans un magasine culturelle plutôt « culte ». C’est, comment dire ... intéressant en tant que narration d’un certain grenouillage en milieu franchouillard et aussi du point de vue #biais_cognitif
Crise des César : comment l’Académie s’est écroulée de l’intérieur
Avec la démission de son conseil d’administration, l’Académie des César est obligée de faire sa mue. En promettant plus de diversité dans ses instances, l’institution sera peut-être enfin à la hauteur du cinéma français moderne.
C’est l’histoire d’une révolution : en un mois seulement, l’affaire des César est devenue une épopée, entre ancien et nouveau monde. Avec, pour rebondissement majeur, jeudi 13 février, la démission collective à l’unanimité du conseil d’administration de l’association loi 1901 qui les régit (l’Association pour la promotion du Cinéma, ou APC), pour permettre le renouvellement complet de sa direction… et pour que « le cinéma reste une fête ». Devenue inapte à représenter la diversité du cinéma français, cette vieille structure, créée par Georges Cravenne, en 1975, sur le modèle des Oscars, a fini par s’écrouler de l’intérieur. Passée ensuite par les mains de Daniel Toscan du Plantier jusqu’à la mort de ce dernier, elle se sclérosait doucement sous le règne du producteur Alain Terzian, président depuis 2003 et jugé de plus en plus autocratique par une grande partie de la profession, entre décisions arbitraires et conflits d’intérêts — sans compter la rentabilité un brin occulte des César.
Après la cérémonie du 28 février, déjà historique, se réunira donc une assemblée générale pour élire une nouvelle direction, et instaurer des statuts plus démocratiques. « Enfin, vous avez décanillé Terzian ! » pouvait-on lire sur les réseaux sociaux lors d’échanges entre plusieurs acteurs importants du métier. Mais inutile, à cette heure, de courir après les commentaires officiels de la profession : à la satisfaction générale s’ajoute un silence attentiste. Bertrand Tavernier avait tout prévu : « C’est ce que nous demandions depuis longtemps. Plus de transparence ! Et que l’équipe gouvernante change, à l’image de l’Académie des Oscars. Pas de dirigeant inamovible. Il faudrait d’ailleurs qu’une femme soit élue présidente. »
L’opacité de la gouvernance des César
Flash-back. C’est, justement, avec une femme que tout a commencé. Et, superbe ironie, pour écrire un nouveau chapitre du cinéma français, avec une romancière : Virginie Despentes. Les historiens du septième art le relateront ainsi : à l’orée de l’année 2020, tout un système se fissura à la suite d’une absence. Le 13 janvier, au Petit Palais, se déroulait la soirée des Révélations (terme merveilleusement idoine quand on sait la suite de l’histoire). Un large panel de jeunes interprètes y était célébré, avant d’être réduit à la liste des nommés aux César du meilleur espoir féminin et masculin. Le talentueux acteur Jean-Christophe Folly (L’Angle mort) tenait à y avoir comme marraine l’autrice de Vernon Subutex. Mais l’Académie refusa, sans explication. Traduction : Alain Terzian prit la décision sans la soumettre à son conseil d’administration. « Il ne savait même pas qui était Despentes ! On voit à quel point il obéit à un vieux logiciel », pointe en souriant Bénédicte Couvreur, la productrice de Portrait de la jeune fille en feu, de Céline Sciamma. La réalisatrice Catherine Corsini (Un amour impossible) l’avoue aujourd’hui : Virginie Despentes ne fut pas la seule à être « refusée » pour cette soirée.
La grogne monte, en sourdine, mais monsieur le président tombe sur un os : outré, Patrick Sobelman, le producteur de L’Angle mort, appelle la SRF (Société des réalisateurs de films) et le SPI (Syndicat des producteurs indépendants) qui, dans la foulée, publient des communiqués indignés. Sous les plumes conjointes du producteur Saïd Ben Saïd et des cinéastes Pascale Ferran, Bertrand Bonello ou encore Michel Hazanavicius, pourtant membre du conseil d’administration des César, mais fatigué d’être considéré comme une potiche, le texte de la SRF pose, enfin, au grand jour, plusieurs questions, murmurées depuis des années, sur l’opacité de la gouvernance des César. Plus largement, les deux communiqués pointent, en creux, la sclérose de l’association et le mépris dont fait preuve le producteur des Visiteurs à l’égard du nouveau cinéma — à 70 ans, il reste fidèle à ses amours populaires et aime à se repaître de paillettes. Des remontrances venues d’instances extérieures, mais relayées lors la soirée du Petit Palais par d’autres parrains et marraines, qui eux ont eu le droit d’y aller, comme Cédric Klapisch, Jacques Audiard, Robin Campillo, Marina Foïs ou Louis Garrel.
Ce début de fronde entraîne, dès minuit, les excuses officielles d’Alain Terzian (sur les sages conseils de Marion Cotillard). Acceptant de nous rencontrer, il tempère quelques jours plus tard : « Pour Virginie Despentes, je me suis pris les pieds dans le tapis ! J’ai une énorme admiration pour elle en tant qu’écrivain, mais j’ai toujours pensé que, pour faire briller les yeux des arrivants dans le cinéma, il fallait les faire poser à côté d’acteurs et d’actrices confirmés ou de réalisateurs stars. » Certes, mais de quelle époque faut-il venir pour ne pas considérer Virginie Despentes comme une célébrité ? En revanche, Alain Terzian réfute les reproches d’opacité : « L’Académie est une association loi 1901 avec des statuts que tout le monde peut consulter en ligne et auxquels nous obéissons ! » Sauf que « la légalité n’est pas forcément la légitimité », souligne Sandrine Brauer, productrice, et l’une des voix les plus importantes du collectif 50/50, qui milite pour la parité dans le cinéma. Certes un bon nombre de documents existent et sont consultables sur Internet, mais ils ne le sont que depuis peu, comme en témoigne Bénédicte Couvreur : « Il y a encore trois ans, la composition des quatre mille sept cents votants des différents collèges par professions (acteurs, réalisateurs, chefs opérateurs, techniciens…) n’était pas publique. Ni la comptabilité de l’Académie. » Consultable, la liste des membres du conseil d’administration, aujourd’hui démissionnaire, ne rassure en rien : composée des rares détenteurs d’Oscars, dont Roman Polanski, et de personnalités cooptées pour « leur contribution au cinéma français » (?), dont quelques gros agents de stars, elle accuse un âge moyen dont on taira le chiffre par respect pour… les huit femmes qui siègent au milieu de trente-neuf messieurs. Catherine Corsini résume : « Nous sommes tous adhérents de l’Académie, nous avons donc notre mot à dire comme dans toute association ! Et nous devons élire nos représentants. Ce n’est pas une chasse à l’homme Terzian, mais un nécessaire coup de balai qui va dans le sens de la démocratie et du progrès post-#MeToo. »
Alain Terzian avait été prévenu
Le 9 février, encore persuadé de sauver sa place, et comme soudainement touché par la grâce, le patron des Césars annonçait la mise en place de la « parité » et sa volonté de réconcilier les « générations » de cinéma. Trop tard : la machine s’était emballée, au moment même où l’on apprenait, à travers les nominations, le futur bras de fer entre J’accuse de Roman Polanski (plébiscité par les votants) et Les Misérables et Portrait de la jeune fille en feu. Comment, de toute manière, induire la parité, quand, sur le collège de quatre mille six cent quatre-vingts votants aux César, 65 % sont des hommes ?
Le lendemain des promesses de monsieur le président, quatre cents professionnels du cinéma, membres de l’Académie, signaient une tribune dans Le Monde : « Nous n’avons aucune voix au chapitre ni dans les fonctionnements de l’Académie [...] ni dans le déroulé de la cérémonie », y déploraient-ils, demandant une refonte « en profondeur » des César et de leurs statuts. Des signataires représentant toutes les familles de cinéma, y compris les plus célèbres comme Agnès Jaoui, Yvan Attal, Gaspard Ulliel, Jacques Audiard, Leïla Bekhti, Chiara Mastroianni, ou encore Éric Toledano et Olivier Nakache. « Quand on a su qu’Omar Sy avait signé, on s’est dit que c’était gagné ! », se félicite Catherine Corsini. Lâché de toutes parts, Alain Terzian tente le tout pour le tout, réclamant, par communiqué, un médiateur au Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Qui, d’après nos sources, lui aurait conseillé, surtout, de démissionner…
Il aurait pu, peut-être, redresser la barre quand il était encore temps. Car il avait été prévenu. La réalisatrice Tonie Marshall, secrétaire du bureau de l’APC, essayait, depuis longtemps, d’influer en interne. Sans résultat. Et cela faisait un an que Sandrine Brauer, du collectif 50/50, tentait d’obtenir un rendez-vous pour réfléchir avec lui à la possibilité d’instaurer plus de parité et de diversité à tous les niveaux des César, des collèges jusqu’aux remettants de la Cérémonie. Mais Alain Terzian reste aux abonnés absents. « Et soudainement, un an plus tard, voilà qu’il m’appelle ! Qu’il souhaite que 50/50 se félicite de ses déclarations, si tardives, sur la parité ! Nous ne sommes pas des pom-pom girls aux ordres. Thierry Frémaux, le délégué général du Festival de Cannes, a, lui, signé, de manière concertée et réfléchie, une charte dans ce sens. Si maintenant le roi Terzian est nu, il l’a cherché. » Et elle ajoute cette anecdote significative d’anciennes pratiques que l’on souhaite voir disparaître : quand Maïmouna Doucouré, la jeune réalisatrice de Maman(s), multiprimé dans le monde entier, a remporté le César 2017 du meilleur court métrage, elle n’a jamais, absolument jamais, été contactée par l’Académie pour participer à une quelconque commission ou devenir remettante…
Un collège de votants à 65 % masculin
À l’aube de la 45e Cérémonie, une ère nouvelle s’ouvre, pleine de promesses. L’équipe de Portrait de la jeune fille en feu sera présente au grand complet, salle Pleyel le 28 février, car pas question de « ne pas occuper la place », comme le proclame sa productrice, Bénédicte Couvreur. « Le monde change ? Ce n’est pas le moment de boycotter ! De plus, notre film coche toutes les cases de la politique culturelle française, avec des aides du CNC et des régions. Avant le vote de la future loi sur l’audiovisuel, il faut redire la beauté et la nécessité de ce système. » Quant à la problématique Roman Polanski, elle existe, en parallèle : tant de nominations viennent, sans doute, d’un collège de votants à 65 % masculin, qui, encore et toujours, envisage l’œuvre sans se soucier des accusations de viols qui visent le cinéaste. Mais même Catherine Corsini accepte cette loi du scrutin — « le positionnement moral face au film est un autre sujet ».
Le sujet, aujourd’hui ? Ne pas noyer le bébé avec l’eau du bain. Car la profession aime son Académie et sa cérémonie, et attend, avec gourmandise, les réformes. Avec quelques grands objectifs « consensuels » édictés par un communiqué du CNC, qui « à la demande de Franck Riester, ministre de la Culture », a entamé une concertation pour aboutir à « une rénovation rapide de la gouvernance des César » : l’élargissement du nombre de membres de l’association et la diversification de leur recrutement, la désignation des membres du conseil d’administration « dans le respect du principe de parité » et la limitation dans le temps du nombre de mandats au conseil d’administration. Le succès de Portrait de la jeune fille en feu et celui des Misérables jusqu’aux États-Unis le prouvent : le cinéma français avance, reflet fidèle d’une société hexagonale en mouvement. Et plus que jamais en demande de démocratie.
Bouclons cette histoire aussi sociétale que cinématographique en remerciant le jeune acteur noir Jean-Christophe Folly d’avoir admiré une écrivaine féministe. Lors de la soirée du Petit Palais, où il avait, en conséquence, refusé de se rendre, était diffusé un superbe clip de Lukas Dhont. Le réalisateur de Girl avait dirigé tous les candidats et candidates au Meilleur espoir dans un remake d’On achève bien les chevaux, de Sydney Pollack. Sur la piste de danse, le premier à tomber d’épuisement était Jean-Christophe Folly. Avant que ses camarades portent son corps en triomphe. Cela s’appelle du cinéma d’anticipation.