Une expérience de militantisme à l’université.
Cet article a été écrit en 2007 suite au mouvement étudiant contre la LRU (Loi de Réforme des Universités) aussi appelé Loi Pécresse.
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Deuxième partie :
Etudiant depuis sept ans, j’ai connu deux universités différentes de Bordeaux et ce parcours m’a donné l’occasion de rencontrer pas mal d’étudiants concernés par l’accueil lamentable des administrations et des relais handicap. La stratégie adoptée par les universités face à un étudiant qui revendique de meilleures conditions d’études, qui se plaint trop souvent de devoir faire le tour d’un bâtiment pour accéder à un amphi ou qui refuse de demander à un collègue de lui photocopier ses cours est toujours la même. « C’est un râleur, il n’est jamais content alors que tout le monde est tellement gentil avec lui. D’ailleurs, la preuve, les autres étudiants ne se sont jamais plaints ».
Ce qui est faux : certains se plaignent, mais de manière individuelle et encore faut t-il savoir écouter. A de rares occasions nous avons tout de même pu nous regrouper, à trois ou quatre, sur des problématiques précises suffisamment visibles pour la télé. En mai 2005 nous avons ainsi pu alerter France 3 et avoir droit à trois minutes du flash local. Au prix d’images ridicules où trois handicapés franchissaient vaillamment les portes de l’Université un temps plein fut libéré trois mois plus tard par l’administration.
Mais cette expérience reste unique. Les contraintes organisationnelles empêchent, pour une part, les étudiants concernés de se réunir, d’échanger leurs expériences et de revendiquer ensemble. Mais la raison la plus importante est le manque de conscience des étudiants de leur propre condition d’oppression.
En octobre 2007 commence le mouvement étudiant contre la loi LRU. Le blocage de l’université Bordeaux 3 est voté en Assemblée Générale. Je souhaite alors prendre part au maximum au mouvement dans cette université ainsi réinvestie. Le rythme imposé aux militants est largement insoutenable pour moi, on s’absente quelques heures, on loupe une réunion et on ne comprend plus rien. C’est pourquoi je décide de m’investir sur les problématiques que je maîtrise à savoir celles du handicap. J’inscris bien sûr ma démarche dans celle, plus globale, d’opposition à une loi qui remet en cause le service public. Il y a tout à faire, profitons-en.
Suite à la seconde assemblée générale, les étudiants handicapés ont le plaisir de recevoir un mail du relais handicap les informant que le blocage est maintenu. L’expéditrice du mail (E.) déplore ainsi cette « mauvaise nouvelle » et nous demande de :
« ne pas perdre de temps, ces journées sans cours ne sont pas des vacances, continuez si vous le pouvez à travailler chez vous ou en petits groupes. »
Très en colère je réponds donc ceci :
« E. ,
merci beaucoup de relayer des infos liées au blocage. Je te demande cela dit de te contenter de mails strictement informatifs. Même handicapé, notre esprit critique est suffisamment aiguisé, je crois, pour nous laisser seuls juges de la portée d’un événement.
Je n’en profiterais pas pour faire état des conséquences que peut avoir la LRU sur les conditions d’accueils des étudiants handicapés (ni sur ton propre poste).
Les étudiants de Bordeaux III sont tous tenus d’avoir obtenu un bac (ou équivalent), cela est largement suffisant pour décider nous même de nos activités durant le blocage.
Cordialement,
R. »
Le mail de E. préjuge ainsi de la situation de victime des personnes handicapées.Ils seraient d’abord passifs devant ce mouvement social et surtout évidemment hostiles.
Par un excès d’enthousiasme je commets l’erreur d’envoyer ma réponse à l’ensemble des étudiants handicapés. Je reçois dans les jours suivants plusieurs messages de reproches plus ou moins violents concernant la réponse faite à E. .
Beaucoup de messages témoignent d’abord de la mauvaise compréhension de mes reproches faits au Relais handicap. Ainsi je n’apprécie pas l’aide apportée au quotidien par E. et V., mon mail était agressif (« rabaisser un professionnel du handicap est inacceptable. »). Mes critiques faites sur les stéréotypes systématiquement renvoyés aux étudiants passent complètement à la trappe :
« Ca ne se fait pas…car elle a écrit ce message dans de bonnes intentions »
C’est en fait bien plus qui m’est reproché. En évoquant les difficultés rencontrées à l’université, en refusant d’être absolument remerciant des services apportés par le Relais handicap et en me permettant de faire des reproches à son personnel j’ai remis en cause une autorité intouchable. La fonction professionnelle donne ainsi une légitimité que je ne dois pas remettre en cause : « laisse les gens compétents faire leur travail ». Une étudiante prie même E. de m’excuser en lui expliquant que tout le monde ne pense pas comme moi.
C’est enfin le principe même de revendication qui est contesté :
« on n’a pas le droit de profiter de notre situation d’handicapé pour tout le temps se plaindre »
Une étudiante me dit même que contrairement à moi elle ne « porte pas son handicap en bannière » et me conseille : « occupe toi de ton handicap tu as l’air de mal le vivre ».
Ces phrases ne témoignent pas seulement d’une méconnaissance de la notion de droit à compensation et d’un contresens fait sur la notion d’autonomie qui reviennent au final à un déni manifeste de la situation de handicap, elles sont le témoin criant d’une situation de grande oppression sociale. D’après mon propre vécu il me semble que, pour beaucoup d’étudiants concernés, l’accès à l’université représente une victoire exceptionnelle (on ne s’en étonne pas si on regarde la proportion d’étudiants chez les personnes handicapées, 0,24 % en 2005), une extraction de la condition de personne handicapée. Il paraît donc inconcevable de revendiquer sur des questions spécifiques liées au handicap et encore plus inconcevable de s’organiser à plusieurs. D’autre part, pour beaucoup cette « ascension sociale » est accompagnée d’injonctions de l’environnement (familial et professionnel) à « ne pas se plaindre ». « On te permet d’être étudiant, d’être parmi les autres, c’est exceptionnel, regarde comme tu as de la chance, et en plus tout le monde est tellement bon avec toi alors qu’ils n’y sont pas obligés ». On retrouve le statut exceptionnel de la personne handicapée tout juste tolérée. Invoquer les théories concernant la culpabilité renvoyée, explicitement ou insidieusement, aux personnes handicapées demanderait un développement beaucoup plus long. Pour résumer, si je proteste et que je n’ai pas de raisons de me plaindre c’est bien que je suis aigri et très malheureux de mal vivre mon handicap.
Toujours est-il que cette anecdote témoigne de la grande misère sociale et politique des étudiants handicapés dont beaucoup ont intégré les représentations de leur propre oppression. Ils en sont donc moteurs. Alors que le rôle du Relais handicap serait non seulement de travailler à l’amélioration des conditions d’accueil mais aussi de faire prendre conscience aux intéressés de leurs droits d’étudiants, celui-ci entretient en fait une infantilisation qui passe notamment par un tutoiement systématique.
Dans l’une des réponses des étudiants à mon mail une phrase retient mon attention : « Soyez conscients que pour certains le blocage représente un vrai cauchemar. »
To be continued …