• Le Sénégal cherche à garder ses meilleurs bacheliers sur ses terres
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    Le Sénégal cherche à garder ses meilleurs bacheliers sur ses terres
    Avec l’ouverture de deux classes préparatoires, le pays souhaite désormais conserver ses élèves les plus brillants et tenter de casser la dynamique de la fuite des cerveaux.
    Par Mustapha Kessous
    Publié le 19 septembre 2022 à 19h00
    Ils ne verront pas Paris, Lyon ou Valenciennes. Pas cette année. Le Sénégal a décidé de ne pas envoyer ses meilleurs bacheliers dans une classe préparatoire française lors de la prochaine rentrée étudiante. Ce pays d’Afrique de l’Ouest a fait le choix d’ouvrir pour la première fois, le 3 octobre, deux classes préparatoires scientifiques au sein de l’école polytechnique de Thiès, ville située à 70 kilomètres à l’est de Dakar, afin de former 50 élèves directement aux concours d’entrée des grandes écoles.
    « Ce n’est pas une spécificité de notre pays que d’avoir des prépas, c’est donc un véritable changement culturel, note Emile Bakhoum, chef du service de gestion des étudiants sénégalais à l’étranger, rattaché à l’ambassade du Sénégal à Paris. Notre pays gagnera à garder son élite sur ses terres. »
    C’est en 2016 que le Sénégal a signés des conventions avec six lycées français comme Louis-le-Grand et le réseau INSA (Institut national des sciences appliquées). Ces accords prévoient qu’une cinquantaine de jeunes élèves puissent intégrer, chaque année, ces prestigieux établissements – sans passer par Parcoursup – pour les préparer aux grandes écoles. Une fois les meilleurs éléments du pays sélectionnés par l’Etat sénégalais (sur des centaines de demandes), les élus bénéficient d’une aide enviée par tant d’étudiants : ils obtiennent la bourse d’excellence, dont la dotation mensuelle est de 650 euros afin qu’ils puissent se concentrer uniquement sur leurs études.
    C’est le double de la somme allouée à un boursier classique (373 euros à Paris, 297 euros en province), sept fois plus que le salaire minimum au Sénégal. Pour décrocher la « bourse des bourses », il faut une mention bien voire très bien au bac ou un prix au concours général, qui récompense chaque année les meilleurs élèves de première et de terminale. La décision de ne plus envoyer, dès la rentrée prochaine, de boursiers d’excellence en France met en sommeil les conventions « pour au moins un an et on verra pour la suite, explique Emile Bakhoum. Un étudiant, s’il le souhaite, peut toujours tenter d’intégrer une prépa en France, mais ça sera hors convention : il ne bénéficiera donc pas de la bourse d’excellence ».
    Pourquoi le Sénégal cherche-t-il désormais à conserver ses élèves les plus brillants ? « Si l’Etat a décidé de ne plus envoyer de boursiers d’excellence, c’est parce que les bacheliers sont jeunes, très jeunes, entre 17 et 19 ans. Et quand ils arrivent en France, il peut y avoir un problème d’adaptation, souligne le diplomate. Il y a une rupture trop brutale : ils passent de la chaleur familiale à un froid à tous les niveaux avec un risque d’isolement total. »
    Les découvertes d’une autre culture ou d’un nouveau système d’enseignement réputé intraitable et ultra-compétitif s’avèrent, pour certains, difficiles à gérer. « Parmi ces meilleurs élèves, il y en a qui échoue lamentablement à cause du dépaysement et de l’exigence que requièrent ces prépas », assure M. Bakhoum. Etudier dans de prestigieuses écoles françaises peut se faire ainsi au prix de dépression, de sacrifices et de burn-out. « On a eu énormément de remontées faisant état de ces difficultés », ajoute-t-il. Surtout depuis l’affaire Diary Sow, une étudiante, alors en deuxième année de classe préparatoire scientifique au lycée Louis-le-Grand, dans le Ve arrondissement de Paris, qui avait disparu le 4 janvier 2021 avant de réapparaître dix-sept jours plus tard à Dakar. Son absence avait fait couler des litres de larmes et d’encre entre les deux continents, mais cette fuite avait largement contribué à libérer la parole des boursiers d’excellence.Au Sénégal, cette affaire reste un traumatisme. « On ne peut pas nier que l’histoire de Diary Sow a joué dans la prise de décision, ajoute M. Bakhoum. Il est normal que le Sénégal, qui aujourd’hui se veut émergeant, puisse se doter d’outils pour former sa future élite. A Thiès, les élèves pourront bénéficier de la même qualité d’enseignement au Sénégal qu’en France. D’ailleurs, nous avons recruté deux néo-retraités de classes préparatoires françaises qui superviseront l’enseignement. Et en plus, les étudiants resteront non loin de leurs parents. »
    Ouvrir ces deux classes préparatoires a, également, un autre but : tenter de casser la dynamique de la fuite des cerveaux. « Chez nous, on pense que la réussite passe par l’étranger et qu’il faut impérativement partir après le bac », regrette Emile Bakhoum. « Nous prenons la crème de nos bacheliers, nous payons leur scolarité en France dans les meilleures écoles et, à la fin, la plupart des enfants ne reviennent pas au Sénégal. Ce flux migratoire est en défaveur de notre pays et de l’Afrique », constate le professeur Serigne Magueye Gueye. Ainsi, pour le directeur général du campus franco-sénégalais de Dakar, retenir au pays « la crème des bacheliers » permettra à ces jeunes de les protéger de situations de vulnérabilité, de gagner en maturité et de leur donner plus de temps pour forger leur projet de vie. « S’ils partent à l’étranger un peu plus âgé, ils seront plus enclins à revenir au pays, estime M. Gueye. Les plus belles réussites se construisent ici au Sénégal. »

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  • Le Ghana veut intégrer le mandarin à son cursus scolaire
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    Le Ghana veut intégrer le mandarin à son cursus scolaire
    Cette réforme aux contours encore flous s’inscrit dans la stratégie d’influence chinoise en Afrique, où les Instituts Confucius se multiplient.
    Le mandarin, langue la plus parlée en Chine – et dans le monde –, devrait rejoindre le cursus scolaire au Ghana, un pays où cohabitent déjà 81 langues, dont neuf nationales. Le directeur du ministère de l’éducation, Divine Yao Ayidzoe, l’a annoncé à la presse en grande pompe, fin août, lors d’une conférence organisée par l’Institut Confucius de l’Université de Cape Coast (UCC). « Regardez l’expansion de l’économie chinoise, c’est la deuxième économie mondiale !, s’est-il exclamé. Il va sans dire que ceux qui auront le privilège d’apprendre la langue chinoise [durant leurs études] auront une chance énorme. »
    Pour l’heure, les contours de cette réforme sont encore flous et la date de sa mise en application indéterminée. Seule certitude : elle devrait se faire sur la base d’un partenariat avec l’Institut Confucius. « Nous sommes en train de discuter avec le ministère de l’éducation du déploiement de la langue chinoise dans les écoles primaires et secondaires du Ghana, élude le professeur Ishmael Mensah, codirecteur de l’Institut Confucius de l’UCC, inauguré en 2016. Les retours du ministre ont été positifs, mais j’ignore encore quand le mandarin intégrera effectivement le cursus scolaire. »
    Le pari peut sembler audacieux au Ghana, dont la langue officielle est l’anglais et où de nombreux jeunes choisissent d’aller poursuivre leurs études supérieures au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis. Mais Ishmael Mensah se dit confiant : « Il y a une demande croissante pour l’enseignement du chinois au Ghana. Pas un jour ne passe sans que nous recevions des demandes d’écoles qui voudraient enseigner le mandarin dans leurs établissements, mais nous n’avons pas assez de professeurs disponibles pour répondre à toutes ces demandes. »
    Aux futurs sinophones, Divine Yao Ayidzoe et les deux codirecteurs de l’Institut Confucius vantent des opportunités d’emploi dans les entreprises chinoises implantées au Ghana, des possibilités de collaborations sino-ghanéennes et une compétitivité accrue sur un marché de l’emploi mondialisé. « Pékin propose énormément de bourses aux étudiants ghanéens pour poursuivre leurs études en Chine, rapporte Ishmael Mensah. Et nous recevons également à l’Institut Confucius beaucoup d’offres d’emploi d’entreprises chinoises qui cherchent à recruter des employés sachant lire et écrire dans leur langue. »
    Au cours de la même conférence à l’UCC, M. Ayidzoe annonçait paradoxalement que le Ghana cesserait d’envoyer des étudiants en médecine à Cuba… faute d’un niveau d’espagnol suffisant. « Il y a une perte d’influence des langues occidentales en Afrique subsaharienne, et notamment en Afrique de l’Ouest, affirme Selma Mihoubi, docteure en géopolitique et chercheuse associée au laboratoire « Médiations » de l’université Paris-Sorbonne. Cela forme un appel d’air dans lequel le soft power chinois vient s’engouffrer. »
    Le Ghana n’est pas le premier Etat africain où se déploie la stratégie d’influence chinoise. Les Instituts Confucius poussent sur le continent comme des champignons, au point que la quasi-totalité des 54 pays d’Afrique en sont désormais dotés, selon Ishmael Mensah. L’Afrique du Sud en 2015 et l’Ouganda en 2019 ont été les premiers à intégrer le mandarin à leur cursus scolaire.« Je pense que la suprématie des universités anglophones, Oxford et Ivy League en tête, touche à sa fin, souligne Eyram Ivy Sedzro, étudiante ghanéenne en développement international à l’Université de Melbourne et autrice d’une étude sur la fuite des cerveaux au Ghana. Les universités asiatiques ne cessent de grimper dans les classements mondiaux. A mon avis, d’ici vingt ou trente ans, les facultés de Pékin ou de Tokyo n’auront plus rien à envier à Harvard. » Et ce d’autant plus que le nombre de bourses accordées aux étudiants ghanéens par les gouvernements occidentaux, en particulier britannique, est en baisse, tandis que celles octroyées par le gouvernement chinois ne cessent d’augmenter.
    Le discours officiel sino-ghanéen occulte justement les risques de fuite des cerveaux. Selon une étude de Kajsa Hallberg Adu intitulée « Student migration aspirations and mobility in the global knowledge society : The case of Ghana » et publiée en 2019 dans le Journal of International Mobility, 52 370 Ghanéens hautement qualifiés vivaient en 2009 dans les pays de l’OCDE. Une décennie plus tard, si cette émigration de travailleurs hautement qualifiée concerne encore majoritairement les pays occidentaux, en particulier les Etats-Unis et le Royaume-Uni, ils sont désormais de plus en plus nombreux à se tourner vers l’Asie. « Il ne faut pas se leurrer, rappelle Eyram Ivy Sedzro. Vers l’Occident comme vers l’Asie, cette fuite des cerveaux reste dans les deux cas préjudiciable au Ghana. En plus de menacer nos langues vernaculaires, il s’agit d’une forme de migration choisie, réservée à l’élite intellectuelle de notre pays. »

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