• L’Œil de l’État
    Moderniser, uniformiser, détruire

    Ernest London

    https://lavoiedujaguar.net/L-OEil-de-l-Etat-Moderniser-uniformiser-detruire

    Dans son soucis d’accroître la lisibilité et la simplification de manière à faciliter la levée de l’impôt, la conscription et la prévention des révoltes, l’État, dans l’Europe du début de l’ère moderne, s’est appliqué « à rationaliser et standardiser ce qui n’était auparavant qu’une sorte de hiéroglyphe social » (la langue, les noms de famille, les unités de mesure, les villes et les transports, les propriétés, les registres de population et les cadastres, etc.). James C. Scott étudie les logiques bureaucratiques et scientifiques de projets « haut-modernistes » choisis parmi un vaste champ d’exemple de cette « ingénierie sociale », de la foresterie scientifique à l’urbanisme planifié de Le Corbusier, en passant par la planification autoritaire en Tanzanie et la collectivisation de l’agriculture soviétique. Tous ont échoué. À l’encontre de ces « approches autoritaires centralisées et surplombantes », il défend le rôle de formes de savoirs pratiques qu’il nomme « mētis ».

    Il présente l’invention de la sylviculture en Prusse et Saxe à la fin du XVIIIe siècle, « comme métaphore de formes de savoir et de manipulation caractéristiques d’institutions puissantes et aux intérêts bien définis, parmi lesquelles les bureaucraties d’État et les grandes entreprises commerciales sont peut-être les exemples les plus significatifs ». En réduisant la forêt à son rendement des recettes de bois pouvant être extraites chaque année, était occulté tout ce qui ne rapportait pas un revenu : le feuillage employé comme fourrage, les fruits, les branches utilisées pour fabriquer des pieux, par exemple, ou les brindilles pour allumer le feu, l’écorce ou les racines utilisées pour préparer des médicaments, la sève qui servait à fabriquer de la résine, etc., mais aussi la flore et la faune, et toutes les interactions humaines avec la forêt (chasse, cueillette, fabrication du charbon de bois, rituel magique, refuge…). (...)

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      Auroville, Brasilia et Akon city (2). Les noms des villes utopiques

      À ville nouvelle, nouveau nom. Ce nom porte en lui le dessein, le projet particulier dont la ville est investie. Ces néotoponymes parlent d’eux-mêmes. Ils sont le prolongement métonymique de quelque chose, d’un autre lieu, d’une pensée, d’une personne. Ils révèlent la dimension plus ou moins altruiste, plus ou moins philosophique et spirituelle des intentions de leurs créateurs·trices.
      Villes nouvelles et néotoponymes

      L’histoire et l’étude des noms propres, l’onomastique, entretiennent des liens proches (Baylon et Fabre 1982). Les noms de lieux changent fréquemment (Gonac’h 2007 : 101) en dépit d’une illusion de stabilité (Barberis et al. 1989 : 63). Ils évoluent « soit en fonction des transformations de la réalité géographique, soit à la suite de décisions reflétant la volonté des locuteurs » (ibid.). On regroupe les nouveaux noms de lieux dans la catégorie des néotoponymes (que l’on oppose aux paléotoponymes, les noms géographiques disparus). La toponymie reflète de nombreux enjeux, dont les changements onomastiques sont révélateurs :

      La néotoponymie révélerait donc les déséquilibres, les tensions, les conflits et parfois les régulations préalables à la normalisation toponymique. (Lajarge et Moise 2008)

      Ainsi, au large de la future cité sénégalaise, dans l’île de Gorée, symbole de la traite des esclaves, la place de l’Europe va être renommée place de la Liberté, en réponse à « la vague de violence raciale dont la communauté noire et afrodescendante est régulièrement victime » et notamment à la mort de George Floyd lors de son arrestation en 2020, selon les précisions de la mairie de l’île. C’est ainsi que « le néotoponyme permet une saisie des réalités territoriales » (Lajarge et Moise 2008, en ligne).

      Choisi par Juscelino Kubitschek, le nom Brasilia avait déjà été suggéré en 1821 par un député brésilien aux Cortes de Lisbonne, et repris en 1823 par José Bonifácio (Vidal 2002, en ligne : § 53). La légendaire Brasilia serait « surgie de nulle part » mais en réalité la ville s’implante sur trois municipalités de Goiás : Planaltina, Formosa et Luziânia (Coelho Sutton 2017 : 257). Le néotoponyme Brasilia n’a pas pour origine un anthropotoponyme comme Auroville et Akon city. Il vient du nom propre Brésil, qui est initialement celui d’un bois précieux originaire de ce pays (Rey 2016 : 308). Il s’agit d’un glissement de sens métonymique (Siblot et Leroy 2000), réalisé à partir d’une composante particulière du lieu (une essence de bois), sélectionnée parmi d’autres. Le suffixe –ia, fréquent dans la formation des toponymes, est la marque en portugais d’un diminutif affectueux. Brasília pourrait donc être traduit par « petit Brésil » (Vidal 2002, en ligne : § 54). Ce nom dérivé fait de la ville l’emblème du pays dont elle porte le nom (voir Coelho Sutton 2017) et permet un élargissement de la référence au pays tout entier.

      Akon, ce nouveau nom pour une nouvelle ville, fait oublier d’autres toponymes, ceux des villages sénégalais sur l’emplacement desquels s’implantera la ville : Mbodiène, où commenceront les travaux début 2021, mais aussi vingt-quatre autres villages, Ndiamane, Velingara, etc. (région de Thiès), qui viendront s’ajouter aux nombreux paléotoponymes déjà existants. À terme, la ville nouvelle devrait couvrir 500 hectares et accueillir 300 000 personnes. À nouveau nom, nouveau référent géographique et social. Absorbés par ce projet ambitieux, les villages y perdront forcément leur identité socioculturelle et de nouvelles représentations prendront forme. L’analyse des toponymes permet de comprendre « le changement social en cours et les rapports de pouvoir entre des acteurs sociaux situés dans l’espace » (Lajarge et Moise 2008, en ligne). Dans le cas d’Akon, les acteurs sociaux sont répartis sur plusieurs continents, la ville sénégalaise devant attirer les Afroaméricains. On peut cependant s’étonner du nom donné à cette ville, qui n’éveille en rien le travail mnésique souhaité par son créateur :

      Une de mes plus grandes motivations, c’est que quand je suis aux États-Unis, je rencontre beaucoup d’Afro-Américains qui ne comprennent pas vraiment leur culture. J’ai donc voulu construire une ville ou un projet comme celui-ci pour leur donner la motivation de venir voir d’où ils viennent. (propos rapportés sur capital.fr)

      Le toponyme Akon n’évoque en rien le « village des cultures africaines » qu’entend y créer le musicien afrosénégalais. À l’architecte, il commande : « Je veux que l’architecture ressemble aux vraies sculptures africaines qu’ils font dans les villages. Les formes sont peut-être bizarres, mais au moins elles sont africaines » (capital.fr). Il s’agit bien d’une représentation autre, par la ressemblance, de ce qui fait la spécificité africaine.
      De l’anthroponyme au toponyme

      Dans le cas présenté ici, au phénomène de néotoponymie se jouxte un phénomène d’anthropotoponymie et d’éponymie. Le nom de la ville est celui de l’éponyme Akon, le rappeur américain d’origine sénégalaise, de son nom de baptême Alioune Badara Thiam, né le 16 avril 1973 à Saint-Louis (Missouri). Un anthropotoponyme comme Akon marque la relation des énonciateurs·trices à leur environnement (Cheriguen 1994 par exemple). Mais surtout, l’anthropotoponyme donne pérennité à l’anthroponyme source. C’est d’ailleurs le cas de tout éponyme. On pense au fameux exemple de poubelle qui vient du nom éponyme du préfet Eugène-René Poubelle, l’inventeur de la boîte à ordures en 1883 et du tout-à-l’égout en 1894. Dans cet exemple, la désignation poubelle n’est pas donnée par le porteur éponyme. Les antonomases (ces noms propres devenus noms communs) relèvent d’ailleurs rarement de la volonté du porteur éponyme. Ils sont généralement donnés par autrui afin d’honorer et de pérenniser la mémoire d’une personnalité ayant œuvré pour la communauté. Le nom magnolia par exemple a été donné à une fleur au tout début du XVIIIe siècle par le voyageur botaniste Charle Plumier en l’honneur du Montpelliérain Pierre Magnol, professeur de médecine et directeur du jardin des plantes de Montpellier. C’est aussi lui qui nomma le bégonia (pour Michel Bégon), le fuchsia (pour Leonhart Fuchs), le lobélia (pour Mathias de l’Obel). Hors de la botanique, les exemples sont aussi nombreux dans le domaine des noms de mesure (ampère, watt, volt, hertz, etc.) et des grandes découvertes (la pasteurisation inventée par Louis Pasteur, l’appertisation par Nicolas Appert).

      De la même façon, de nombreux lieux portent le nom d’une personnalité. Ces anthropotoponymes sont eux aussi souvent donnés par autrui, en forme d’hommage. On pense bien sûr aux très nombreux hagiotoponymes (noms de saints utilisés comme noms de lieux). Mais il existe aussi de nombreux anthropotoponymes profanes. Le détroit de Béring doit son nom au navigateur Vitus Béring (1681-1741), un explorateur danois au service de la marine russe qui traversa le détroit durant l’été 1728. Léopoldville est le nom donné en l’honneur du roi belge Léopold II par l’explorateur Henry Morton Stanley qui découvre le site en 1881 et y fonde une station, après avoir fait signer aux occupants bantous un acte de cession dans une langue inconnue d’eux. En 1966, avec l’indépendance, la ville est rebaptisée Kinshasa (littéralement « le marché au sel »). Ce sont des choix de dénomination réfléchis et sélectionnés en fonction de leur lien avec d’autres éléments. Citons encore Lumumbaville , ville dont la création fut décidée le 13 mai 2013 en l’honneur du premier ministre de la République démocratique du Congo assassiné en 1961, Patrice Lumumba. Le nom Auroville appartient à cette même catégorie d’anthropotoponymes donnés en hommage. Auroville est inspirée par la pensée du philosophe hindou spiritualiste adulé Sri Aurobindo. Le nom de la ville a été donné en son hommage par une tierce personne, sa compagne Mirra Alfassa. En outre, dans les discours présentant la ville et sur son site officiel, une autre étymologie lui est attribuée par la périphrase définitionnelle métaphorique qui la requalifie, « la ville de l’aurore ». Le nom propre Aurobindo a été tronqué (Auro- pour Aurobindo), ce qui laisse possible un feuilletage sémantique et métaphorique (auro pour Aurobindo mais aussi pour aurore). L’ajout de –ville lui fait perdre son caractère singulier en l’incluant dans la catégorie des villes. Ces modifications effacent en partie le référent originel (Aurobindo).

      Avec Akon city, la référence est tout autre. On retrouve certes la catégorisation « ville » par l’ajout de city à l’anthroponyme Akon, ce qui évite toute ambigüité référentielle entre l’homme et la ville. Mais l’absence de transformation de l’éponyme (Akon) donne une importance égale au référent-cible (pour reprendre la terminologie de Laurent 2016 ), la ville, et au référent-source, le chanteur Akon. Ce nom obtenu par glissement métonymique (du créateur vers sa création) a été attribué à la ville par le porteur éponyme lui-même, dans une forme d’auto-célébration. Sur le plan de la linguistique énonciative, on pourra donc distinguer les anthropotoponymes réfléchis (donnés par les porteurs éponymes) et les anthropotoponymes non réfléchis. Les anthropotoponymes réfléchis comme Akon peuvent être considérés comme un marqueur spatial discursif d’une forme de mégalomanie qui s’associe aux marqueurs architecturaux de folie des grandeurs ou de toute puissance comme l’élévation et la forme sphérique.
      La puissance utopique de la sphère

      La mégalomanie que marque peut-être le choix du nom s’adosse à celle de l’architecture et à ces élancées vertigineuses vers le ciel qui évoque une autre utopie, celle de la tour de Babel, conçue par des hommes dans le but de toucher le ciel :

      Allons ! bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet touche au ciel, et faisons-nous un nom, afin que nous ne soyons pas dispersés sur la face de toute la terre. L’Éternel descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils des hommes. Et l’Éternel dit : Voici, ils forment un seul peuple et ont tous une même langue, et c’est là ce qu’ils ont entrepris ; maintenant rien ne les empêcherait de faire tout ce qu’ils auraient projeté. Allons ! descendons, et là confondons leur langage, afin qu’ils n’entendent plus la langue, les uns des autres. (Livre de la Genèse (Gn 11,1-9), trad. Louis Second)

      Comme l’écrit par ailleurs Jamel Eddine Bencheikh à propos du Coran, « l’élévation ostentatoire » est considérée comme « une offense faite à la toute puissance du ciel.

      Dans ces trois villes l‘architecture sphérique s’associe à l’utopie. Les travaux d’Auroville sont confiés à Roger Anger, contemporain et admirateur de Corbusier. Le cœur d’Auroville est le Matrimandir (littéralement « le temple de la Mère »), boule d’or en écho du globe terrestre (comme la Géode parisienne, référence explicite à la terre, et dont les dimensions sont sensiblement les mêmes que le Matrimandir, avec 36 mètres de diamètre). L’architecture d’Auroville annonce d’ailleurs les formes arrondies que l’on retrouve dans Brasilia (avec notamment son musée national) et dans Akon city. Expression de la perfection par cette forme parfaite sans commencement ni achèvement, représentation du monde et donc du désir de le dominer, la sphère est aussi considérée comme la manifestation de la mégalomanie (pour des exemples, voir la présentation de l’exposition de la BnF de 2019, » Le monde en sphères : de la représentation scientifique du monde à la mégalomanie et à l’utopie« ).
      Conclusion

      L’étude onomastique montre que l’intention du/de la créateur·trice d’une ville se reflète dans le nom choisi. Ces noms propres n’ont rien d’arbitraire. Ils ont été choisis sciemment dans des buts précis. Nous avons vu que le nom Akon city non seulement était celui de son créateur, mais avait été choisi par ce dernier, en forme d’auto-hommage. Ce nom « réfléchi » (dans les deux sens du terme) fait ici figure de sceau. C’est la marque de l’artiste, voire un nom de marque. Il y a un enrichissement réciproque de la référence. La ville bénéficie de l’image de l’artiste et ce dernier profite de cette extension anthroponymique. La ville est ici davantage le prolongement d’un individu que d’une pensée philosophique comme pour Auroville, et sans doute plus un produit de marketing urbanistique qu’une « cité radieuse » pour l’Afrique de l’Ouest.

      https://utopie.hypotheses.org/1242

  • Oscar Niemeyer

    Wikiradio del 15/12/2016 - Rai Radio 3
    https://www.raiplayradio.it/audio/2016/12/Oscar-Niemeyer---Wikiradio-del-15122016-2881d712-a82e-46b8-beea-fa8b7be

    Il 15 dicembre 1907 nasce a Rio de Janeiro Oscar Niemeyer con Patrizia Giancotti

    Repertorio:

    – L’ ULTIMO SAGGIO: Oscar RIBEIRO DE ALMEIDA Niemeyer SOARES FILHO- Passepartout 2008/2009 Archivio RAI -
    – Frammento da La fantasia come propaganda- Archivio Rai-
    l’APPRODO - SETTIMANALE DI LETTERE ED ARTI 1972 / 1973,
    – Frammento da Brasilia - aprile 1960 Archivio RAi;
    – Chico Buarque - Meu caro amigo


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    https://fr.wikipedia.org/wiki/Oscar_Niemeyer

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Oscar_Niemeyer#/media/Fichier:Museu_de_Arte_Contempor%C3%A2nea.jpg

  • Brasília, de la vitrine à la métropole — Géoconfluences
    http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/de-villes-en-metropoles/corpus-documentaire/brasilia
    Chouette étude d’#Hervé_Théry sur la #métropole de #Brasília

    Avec plus de quatre millions d’habitants, Brasília est aujourd’hui la capitale politique du pays et sa quatrième agglomération par la population. Mais la « vitrine » qu’elle devait être est menacée, notamment par sa croissance urbaine effrénée qui remet en cause le modèle voulu par ses concepteurs, une ville logique et fluide et un modèle de fraternité entre ses habitants.

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