• Comment la filière maraîchère bretonne a recours à des travailleurs africains souvent sans papiers, et sous-payés

    Les migrants venus d’Afrique, souvent sans titre de_séjour, sont devenus un rouage essentiel de la #filière maraîchère bretonne. Dans les environs de #Lannion, aucun des producteurs qui les emploient n’a accepté de répondre aux questions d’"Envoyé spécial", mais une inspectrice du travail a souhaité dénoncer l’hypocrisie qui règne, selon elle, dans le secteur.

    En Bretagne, de juillet à octobre, c’est la récolte des célèbres #cocos_de_Paimpol. Comme les #étudiants et les #retraités français n’y suffisent plus, les maraîchers ont de plus en plus souvent recours à des #travailleurs_étrangers. Dans ce champ près de Lannion où s’est rendue une équipe d’"Envoyé spécial", assis sur une chaise sept heures par jour à ramasser les haricots, des Maliens, Camerounais, Guinéens... tous les travailleurs sont africains.

    « Les Africains, eux, ils ne connaissent pas de sot métier. Vous, les Français, vous avez honte peut-être de travailler dans les cocos, mais nous, on ne choisit pas. » (Un travailleur agricole africain, employé dans un champ de haricots en Bretagne)

    Ils affirment être déclarés par le propriétaire du champ qui les emploie, mais aucun ne semble avoir de papiers français. Seraient-ils employés illégalement ?

    Toute la filière maraîchère bretonne a recours à ces travailleurs africains, afghans ou syriens, devenus des « #saisonniers_permanents ». Aucun producteur local ne veut le reconnaître ouvertement, et tous ceux que les journalistes ont contactés ont refusé de répondre à leurs questions. La coopérative locale a même prévenu certains maraîchers, par SMS, de la présence d’une équipe d’"Envoyé spécial" cherchant à « récupérer des informations concernant la #main-d'œuvre_étrangère », avec ce conseil : « Soyez vigilants et renvoyez vers la coopérative ». Laquelle a elle aussi décliné les demandes d’interview...

    Seule une inspectrice du travail a accepté de s’exprimer, sous couvert d’anonymat. Elle veut dénoncer l’#hypocrisie qui règne, selon elle, dans le secteur : « Tout le monde ferme les yeux. Il n’y a pas que les services de l’Etat, c’est les agriculteurs, c’est tout le monde. »

    « Il n’y a pas de #main-d’œuvre française qui veut faire ce travail, parce que ce n’est pas rémunérateur. » (Une inspectrice du travail, qui témoigne anonymement dans « Envoyé spécial »)

    L’inspectrice ne nie pas que les agriculteurs déclarent leurs salariés, mais sans avoir les moyens de vérifier leur identité. Ce qui n’est pas facile, précise-t-elle, car ces travailleurs étrangers « ne sont pas forcément sans titre, mais ils ont des ’alias’ ... » (ils utilisent par exemple la carte d’identité d’un proche).

    Des travailleurs maintenus dans la #précarité

    D’après elle, beaucoup de producteurs ont intérêt à maintenir dans la précarité ces travailleurs étrangers, souvent sous-payés, voire exploités. « Comment voulez-vous revendiquer dans ces conditions-là ? » demande-t-elle. Si on lui donne 500 euros au lieu des 1 200 euros dus (l’#ouvrier_de_cueillette est censé percevoir l’équivalent du smic, voire davantage, selon le poids des denrées récoltées), « il est obligé d’accepter. A qui il va aller se plaindre ? On va lui dire ’Mais c’est même pas vous, Monsieur, c’est votre alias !’ C’est un no man’s land. »

    https://www.francetvinfo.fr/replay-magazine/france-2/envoye-special/video-tout-le-monde-ferme-les-yeux-comment-la-filiere-maraichere-breton

    #maraîchage #Bretagne #sans-papiers #France #travail #conditions_de_travail #exploitation #salaire #migrations #agriculture

    ping @karine4

  • Chez Yvette
    https://tagrawlaineqqiqi.wordpress.com/2023/11/25/chez-yvette

    Mon boulot d’en ce moment consiste à arpenter les exploitations agricoles pour faire du recueil de données chiffrées à visée statistique. Je vais donc de ferme en ferme, je pose des questions à base d’hectares, de tracteurs, de labour et de gestion des déchets et c’est super-rigolo. Pas tant les hectares, les tracteurs et le […]

    #Agriculture #Portrait #Ruralité #vaches #Bretagne #campagne #portrait
    https://0.gravatar.com/avatar/cd5bf583a4f6b14e8793f123f6473b33bb560651f18847079e51b3bcad719755?s=96&d=

  • En Bretagne, l’embauche des réfugiés plus polémique que jamais
    https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2023/11/18/en-bretagne-l-embauche-des-refugies-plus-polemique-que-jamais_6200951_450005

    En Bretagne, l’embauche des réfugiés plus polémique que jamais
    Touchées par les pénuries de main-d’œuvre, les entreprises régionales n’ont pas attendu l’adoption du projet de loi « immigration » pour former des réfugiés aux métiers en tension. Mais en toute discrétion.
    Par Manon Boquen
    Un temps, Le ministre délégué chargé de l’industrie, Roland Lescure, a envisagé d’organiser une visite, en octobre, de la conserverie La Belle-Iloise, à Quiberon (Morbihan), au bout de la presqu’île du même nom. L’examen du projet de loi « immigration » débutait au Sénat et il souhaitait ainsi démontrer la pertinence du fameux article 3, qui prévoyait la régularisation des sans-papiers dans des métiers en tension, convaincu, comme il le déclarait le 12 septembre, que « la réindustrialisation de la France ne se ferait pas sans immigration ».La Belle-Iloise était a priori un bon exemple : l’entreprise a formé, de 2019 à 2021, des groupes d’une dizaine de réfugiés – qui avaient déjà obtenu des papiers – au métier d’opérateur de production. Apprentissage du français et stage immersif ont permis à la majeure partie d’entre eux de travailler comme saisonniers, voire de poursuivre en contrat plus long. Mais, de visite ministérielle, il n’y aura finalement pas. La Belle-Iloise refusera d’expliquer pourquoi, se contentant de répondre que le sujet est « brûlant ».
    L’entreprise ne le dira pas officiellement, mais un article de Ouest-France daté de 2021 lui a laissé de très mauvais souvenirs. Il décrivait pourtant en des termes bienveillants son programme d’insertion modèle. Sauf que la publication a entraîné des centaines de commentaires haineux sur les réseaux sociaux. « On en fait moins pour les SDF », « Combien de chômeur francais [sic] on a formé ? », « Avec 10 millions de pauvres en France, n’importe quoi »… Un florilège qui a marqué les acteurs proches du dossier : la mission locale comme le centre de formation.
    Le cas de La Belle-Iloise n’est pas unique : de plus en plus d’industriels bretons recourent à la formation de migrants pour pallier le manque de main-d’œuvre, mais refusent d’en parler ouvertement par peur de soulever des réactions violentes. Avec un taux de chômage de 5,8 % au second trimestre 2023 – le deuxième taux régional le plus faible de France –, la région est particulièrement touchée par les pénuries de main-d’œuvre : 462 000 postes seraient à pourvoir dans la région d’ici à 2030 dans tous les secteurs, selon le ministère de l’économie. Kodiko, Sésame, Melting Breizh… Les dispositifs d’intégration par le travail ont essaimé sur le territoire au fil des années, portés par des institutions variées : missions locales, Pôle emploi, associations pour l’emploi. Responsable du programme HOPE de l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes de Bretagne et de Loire-Atlantique, Lionel Frein met en relation entreprises en tension et réfugiés pour des formations professionnalisantes avec des cours de langue. « A son lancement, en 2017, c’était une expérimentation, avant tout pour libérer des places d’hébergement », relève-t-il.
    Depuis, plusieurs secteurs, comme ceux du bâtiment, de la propreté, de l’automobile, ont formé en interne près de mille stagiaires de Brest (Finistère) à Loudéac (Côtes-d’Armor) en passant par Rennes (Ille-et-Vilaine). « Quatre-vingt-neuf pour cent d’entre eux ont un logement et 72 % un emploi », se réjouit le responsable régional du dispositif. La situation s’est généralisée depuis le Covid. « Toutes les entreprises ont des difficultés à recruter. Et donc beaucoup se sont adaptées au public des personnes réfugiées », confirme Damien Robic, responsable de l’Institut breton d’éducation permanente (IBEP) de Lorient (Morbihan), un organisme de formation pour adultes, où cinq formateurs de français pour les étrangers travaillent maintenant, au lieu de deux dix ans auparavant. L’IBEP de Lorient, avec l’aide de la région Bretagne, a en outre créé des ­programmes avec plusieurs employeurs, dont La Belle-Iloise et, avant elle, le fabricant de plats à base de poisson Cité marine, implanté à Kervignac (Morbihan).
    Des partenariats inédits sont même en train de voir le jour, comme celui entre le Medef d’Ille-et-Vilaine, la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment 35 et Territoires accueillants 35, un collectif pour l’accueil des migrants. Ils espèrent lancer dans les mois à venir une expérimentation locale qui permettrait de simplifier les démarches d’embauche des migrants en attente de papiers. « Les besoins des entreprises sont là, avec des personnes extrêmement motivées qui veulent s’intégrer », argumente Willy Patsouris, de Territoires accueillants 35, tout en regrettant « des débats électoralistes » à l’échelle nationale.
    Le trio d’organisations communiquera-t-il sur son opération si elle aboutit ? Willy Patsouris se fait prudent : « Pour ma part, je suis pour la transparence, mais je ne suis pas le seul à décider. » Les manifestations d’extrême droite à Callac (Côtes-d’Armor) contre le projet de centre d’accueil pour réfugiés et la progression du vote Rassemblement national font dire à Forough Dadkhah, vice-présidente de gauche chargée de l’emploi, de la formation et de l’orientation à la région Bretagne : « Nous devons continuer les actions pour les réfugiés, mais peut-être en communiquant moins. »
    Pour autant, le groupement d’économie solidaire Néo 56 a organisé, le 14 octobre, la soirée dégustation du Fest in Food, un programme d’insertion dans la restauration de personnes réfugiées. « Nous voulions ­favoriser la cohabitation de tous en nous appuyant sur la cuisine », explique sa directrice générale, Marie-Laurence Gautier. Trois cents curieux ont répondu présents, sans incident.

    #Covid-19#migrant#migration#france#bretagne#immigration#emploi#economie#integration#refugie#politiquemigratoire#extremedroite

  • Paysans, artisans : ils se battent pour une activité qui respecte les #sans-papiers

    En France, l’association #A4 aide des personnes migrantes à être régularisées en les accompagnant vers une activité agricole ou artisanale. Une démarche à rebours de l’immigration utilitariste prônée par le gouvernement.

    « Le but n’est pas de forcer l’installation, seulement d’ouvrir des portes », explique Habib, membre fondateur et salarié de l’#association_d’accueil_en_agriculture_et_artisanat (A4). Depuis 2022, l’organisation aide les personnes migrantes à être régularisées en les accompagnant dans le développement d’une activité agricole ou artisanale décente. Le tout, en préservant les #terres_agricoles au profit de la #paysannerie. Du 9 au 14 octobre, ses membres étaient réunis à La Demeurée, un lieu de création à Saint-Contest près de Caen (Calvados), pour faire le point sur une année et demie d’activité intense.

    L’association gère depuis mai 2023 une ancienne serre industrielle de 3 000 mètres carrés à Lannion (Côtes-d’Armor), mise à disposition par un agriculteur retraité. Omar [], originaire du Soudan, Marie [], Congolaise, et Uma Marka [*], venue d’Amérique du Sud, ont pu y lancer des expérimentations pour la culture de plantes exotiques et tropicales : cacahuètes, gingembre, pastèques, melons, ananas, dattes, etc. Mais l’avenir de cette ferme reste incertain, alors qu’un nouveau PLU est prévu pour 2025.

    « Soit la mairie décide de rendre la parcelle constructible et les serres seront détruites ; soit la parcelle reste agricole et d’autres perspectives peuvent s’ouvrir pour ce lieu », explique Marie. Pour éviter l’artificialisation de ces terres, l’association travaille sur d’autres projets : un #fournil_mobile pour vendre du pain et organiser des ateliers sur le levain, un atelier de #réparation_de_vélos, un lieu de rencontre pour les associations et collectifs locaux. Reste à savoir si cela suffira à faire pencher la balance. « C’est le même problème dans toute la #Bretagne : les terres se vendent à des prix affolants », soupire Tarik, membre fondateur d’A4.

    Outre Lannion, d’autres lieux ont été prospectés dans le #Limousin, en région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, dans les départements de l’#Isère et de la #Drôme et à #Saint-Affrique, dans l’Aveyron. Un sixième « voyage-enquête » est prévu en Ariège en 2024. L’objectif est de « faire émerger un réseau de fermes et d’artisans complices » qui pourraient accueillir et embaucher les exilés dans de bonnes conditions, explique Gaël Louesdon, membre du collectif #Reprise_de_terres, qui conseille A4 dans sa recherche de #foncier_agricole.

    Au-delà, ces voyages sont des moments de « découverte des luttes en milieu agricole », insiste Marie. Logique, alors que l’idée de l’association est née dans le cadre des rencontres Reprise de terres, au printemps 2021 sur la zad de Notre-Dame-des-Landes.

    Cette démarche s’inspire des premières enquêtes ouvrières des XIXᵉ et XXᵉ siècles, basées sur des questionnaires remplis par les ouvriers eux-mêmes. Ces dernières visaient à améliorer les conditions de travail en dénonçant le capitalisme, le productivisme et l’exploitation ouvrière. « Seuls les travailleurs connaissent leurs conditions. Et quand on mène une enquête sur ses conditions de vie, on les transforme », explique Paul, membre de l’association et du collectif d’enquêtes militantes Strike.

    En parallèle, l’association travaille sur un guide juridique à destination des personnes migrantes et des artisans et agricultures qui souhaitent les aider. Ce gros projet devait occuper une bonne partie de la réunion de l’association à Caen.

    Savoir-faire et aspirations

    L’objectif est double. D’une part, lutter contre l’#accaparement_des_terres agricoles par l’agro-industrie, qui mobilise « la violence mais aussi les outils juridiques et le droit existants », selon Gaël Louesdon. Mais aussi respecter les savoir-faire et les aspirations des personnes exilées, à l’heure où le gouvernement favorise une « optique utilitariste » de l’immigration, insiste Élise Costé, juriste spécialisée en droit des étrangers et salariée de l’antenne caennaise de l’association de solidarité pour tous les immigrés (Asti).

    De fait, dans le projet de loi asile et immigration, dont l’examen commence ce lundi 6 novembre au Sénat, l’exécutif veut permettre aux #travailleurs_sans-papiers présents sur le territoire depuis trois ans d’obtenir un titre de séjour « métiers en tension » valide un an — une proposition rejetée avec vigueur par la droite et l’extrême droite.

    Cette dérive alimente, selon A4, des scandales d’embauche de travailleurs sans-papiers dans des conditions indignes. « Il faut casser la tentation de l’#agro-industrie d’exploiter des gens », plaide Tarik, qui évoque les entreprises bretonnes #Aviland et #Prestavic, respectivement poursuivies et condamnées pour traite d’êtres humains — en l’occurrence, de dizaines de travailleurs migrants sans-papiers.

    Pour toutes ses actions, l’association cultive l’#entraide et prône une organisation « d’égal à égal », sans distinction entre les aidants et les aidés. Parmi le noyau dur des dix membres les plus actifs d’A4, certains sont passés d’un statut à l’autre, comme Awad, garagiste à Paris devenu chauffeur pour les voyages-enquêtes, Amine, qui développe un projet d’agriculture et de vie en collectif avec des amis, ou encore Habib, soudeur spécialisé dans les fours à pain qui aspire à devenir écrivain. Une approche réparatrice pour des membres souvent éprouvés par leurs expériences passées. « Ça soigne les blessures, sourit Habib. Si ça continue comme ça, on peut changer le monde ! »

    https://reporterre.net/Paysans-artisans-ils-se-battent-pour-une-activite-qui-respecte-les-sans-
    #travail #régularisation #artisanat #agriculture #France #industrie_agro-alimentaire #conditions_de_travail

  • Accaparement des terres : en Bretagne, des empires agricoles s’étendent à l’abri des regards | Mediapart
    https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/120923/accaparement-des-terres-en-bretagne-des-empires-agricoles-s-etendent-l-abr

    Combien de groupes agricoles détiennent et exploitent plus de 1 000 hectares en Bretagne ?

    Splann a posé la question à la Safer de Bretagne : « Nous n’en savons rien. » Splann a posé la question à la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) des Côtes-d’Armor : « Nous ne disposons pas du nombre d’exploitants qui possèdent et/ou exploitent plus de 1 000 hectares, et nous n’en avons jamais vu dans les demandes d’autorisation d’exploiter. » Nous avons posé la question à la direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Draaf) : « Les informations sur la surface agricole dont nous disposons sont celles qui sont comptabilisées au siège de l’exploitation. Au regard de ces éléments, toutes les exploitations bretonnes sont bien en deçà de 1 000 hectares de surface agricole utile. »

    Les services de l’État se refusent à évaluer et à quantifier ces « groupes agricoles ». Impossible alors de lutter réellement contre l’accaparement des terres, pourtant affiché comme un objectif prioritaire.

  • La #frontière bretonne

    Et si la #Loire-Atlantique réintégrait la Bretagne ? Depuis des décennies, la question rythme la vie politique, économique et culturelle de la péninsule. Alors que les militants d’une Bretagne à cinq départements bataillent pour un référendum local, les journalistes Philippe Créhange et Benjamin Keltz ont enquêté sur l’histoire tortueuse de la #réunification de la #Bretagne. 

    Depuis un décret signé par le maréchal Pétain sous l’Occupation, les frontières de la région n’intègrent pas la Loire-Atlantique. Un #découpage qui perdure. Pourquoi ? Comment ? Cette enquête, dessinée par Eudes, rassemble les pièces de ce puzzle armoricain et vous embarque dans les coulisses du plus sensible des débats bretons.

    https://www.editionsducoindelarue.com/product-page/la-fronti%C3%A8re-bretonne
    #Bretagne #frontières #livre #BD #bande-dessinée #géographie_politique

  • En Bretagne, un journaliste fiché par une asso de l’agroindustrie - Par Loris Guémart | Arrêt sur images
    https://www.arretsurimages.net/articles/en-bretagne-un-journaliste-fiche-par-une-asso-de-lagroindustrie

    Il n’a pas vraiment apprécié de découvrir une « note d’analyse » le concernant. Correspondant du « Monde » en Bretagne, Nicolas Legendre avait récemment publié une enquête approfondie sur l’impact de l’industrie agroalimentaire dans la région. Mais pour les Z’homnivores, association de défense de l’agroindustrie bretonne, c’est un « travail pseudo journalistique », un « récit militant » relevant du « système Léraud ». Les journalistes évoqué·es dans ce document n’ont pas vraiment apprécié ce fichage. L’association confirme son existence mais minimise les critiques.

    #journalisme #agroindustrie #agriculture #Bretagne

  • #Algues_vertes : à #Hillion, « on ne peut plus mettre les pieds à la plage »

    Les habitants de la commune des #Côtes-d’Armor sont de plus en plus dérangés par les émanations dues aux #marées_vertes qui touchent chaque année la baie de #Saint-Brieuc.

    Des rubans de plastique rouge et blanc barrent l’entrée de la #plage de l’Hôtellerie, à Hillion (Côtes-d’Armor). La petite grève est interdite d’accès depuis le 9 juin et « pour une durée indéterminée », indique l’arrêté municipal scotché sur une barrière. Ce lundi, la basse mer dévoile les coupables : l’estran est tapissé d’algues vertes. « Quand on sait à quoi c’est dû, ça gâche le paysage », commente Thomas, un trentenaire qui vient se promener par là presque chaque jour depuis qu’il s’est installé dans le coin l’an dernier.

    Nichée tout au fond du V que forme la baie de Saint-Brieuc, Hillion n’en finit plus de se débattre avec les marées vertes qui la touchent chaque année aux beaux jours. C’est sur les côtes de cette commune d’un peu plus de 4 000 habitants que les échouages sont, de loin, les plus importants – un phénomène sur lequel a contribué à alerter le grand public la BD d’Inès Léraud et Pierre Van Hove, sortie en 2019 et adaptée au cinéma dans un film en salles ce mercredi. Les cours d’eau qui arrivent là ne sont pas forcément plus chargés en nitrates, ces résidus issus de la fertilisation des champs qui alimentent les algues. Mais dans cette gigantesque anse classée réserve naturelle, où la mer se retire sur plus de 7 km, l’eau est peu profonde et se réchauffe vite, favorisant la croissance des ulves. Ce fond de baie est aussi à l’abri de la houle, qui permettrait de disperser les algues en hiver et de limiter leur prolifération estivale. Quand elles s’entassent sur le rivage, elles dégagent en se décomposant de l’hydrogène sulfuré (H2S) qui, à haute dose, peut provoquer être létal. En 2016, un homme de 50 ans avait été retrouvé mort dans une vasière de la commune, les algues avaient été soupçonnées.

    « On a souvent des migraines »

    Comme ailleurs en Bretagne, les échouages ont diminué. Cette année, « on est plutôt sur une moyenne basse », selon Mickaël Cosson, député (Modem) de la circonscription et ancien maire d’Hillion, qui suit toujours de près les affaires communales. Mais les vents de nord-est ont concentré les dépôts sur deux plages, celle de l’Hôtellerie et sa voisine Saint-Guimond. « Ce qui pose problème, c’est leur accumulation sur certains secteurs où on ne peut pas les ramasser : des zones rocheuses inaccessibles et des vasières, où le tracteur ne peut pas aller car il s’enlise », poursuit-il. Sur ces deux plages, les capteurs d’H2S installés l’an dernier, dans le cadre du nouveau volet sanitaire du plan algues vertes, ont déjà sonné deux fois en juin, après avoir brièvement dépassé le seuil d’alerte défini par les autorités.

    « On ne peut plus profiter de nos plages. On adorait aller à l’Hôtellerie, le soir après l’école », se désole Stéphanie Desbois, qui réside depuis dix ans dans le lotissement juste au-dessus. « Au début, ça ne sentait jamais, mais depuis trois ou quatre ans, c’est affreux. Dès qu’il fait chaud et que la mer est basse, ça pue l’œuf pourri dans la maison », décrit-elle. Cette mère de 37 ans commence à se « tracasser » pour la santé de sa famille : « On a souvent des migraines, est-ce que ça vient de là ? »
    Une expérimentation pour ramasser les algues en mer

    Quelques maisons plus loin, Marie-Noëlle et Jean (1) ont eux aussi vu la situation se dégrader. « Quand on est arrivés ici, il y a 40 ans, on se baignait sur cette plage avec nos enfants. Là, on ne peut plus y mettre les pieds. Ça nous fait mal d’être obligés d’expliquer à nos petits-enfants qu’il ne faut pas sauter dans les tas d’algues », dénonce Marie-Noëlle. L’odeur, « très variable selon les vents, la météo et les marées », les oblige parfois à quitter le jardin, pour se réfugier à l’intérieur. C’est quand elle a commencé à sentir les émanations « jusque dans la maison, fenêtres fermées » qu’elle a envisagé un lien avec cette « toux inexpliquée » qu’elle traîne depuis 30 ans. L’an dernier, elle s’est décidée à se signaler à la mairie : orientée vers le centre régional des pathologies environnementales, à Rennes, elle y a passé une batterie d’examens, qui ont conclu à « une fragilité, à laquelle l’exposition à l’H2S peut contribuer, même si ça ne vient peut-être pas de là », rapporte-t-elle. La septuagénaire « pense à l’avenir » : « On connaît très bien l’origine de ces algues ! Je n’ai rien contre les agriculteurs, mais il faut les aider à faire autrement ».

    « Le modèle agricole doit évoluer, mais la sécurité sanitaire doit aussi être assurée », défend Mickaël Cosson. Depuis le rapport cinglant de la Cour des comptes, les choses bougent, se félicite-t-il, « même si ça ne va pas aussi vite qu’on voudrait ». Une expérimentation financée par l’Etat est en cours pour ramasser les algues en mer, avant leur échouage. L’ancien maire pousse aussi pour que les zones les plus dégradées soient réensablées. Des techniques délicates à mettre en œuvre, dans cette réserve naturelle riche en biodiversité, refuge hivernal pour des milliers d’oiseaux migrateurs. Malgré les algues estivales.

    (1) Les prénoms ont été modifiés.

    https://www.liberation.fr/environnement/algues-vertes-a-hillion-on-ne-peut-plus-mettre-les-pieds-a-la-plage-20230
    #Bretagne #France #santé #environnement

  • 🛑 Algues vertes : un demi-siècle de déni politique - Basta !

    Cinquante ans après leur apparition, les marées vertes envahissent toujours certaines plages bretonnes. Preuve de l’inefficacité des plans d’action successifs mis en place par les pouvoirs publics.
    En 1971, une « végétation verte abondante, gluante », qui « se décompose rapidement en masse blanchâtre, mousseuse, nauséabonde, transformant la grève de sable fin en un tas de fumier », est détectée sur la plage de Saint-Michel-en-Grève, dans la baie de Lannion. Le conseil municipal alerte la préfecture des Côtes-d’Armor.
    Puis ces marées vertes reviennent chaque été, toujours plus nombreuses sur certaines plages bretonnes, mais les pouvoirs publics restent atones. Au fil des années, la communauté scientifique s’y intéresse timidement, pendant que les habitants et quelques associations commencent à s’inquiéter. Une étude de l’ancêtre de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) tente d’expliquer le rôle des sels nutritifs venant de l’agriculture dans la prolifération de ces algues qui blanchissent et pourrissent sur les plages. Mais il faut attendre la fin des années 1980 pour le premier retentissement d’ampleur. Pierre Philippe, médecin urgentiste à Lannion, s’interroge sur plusieurs cas de décès près des amas d’algues vertes, notamment celui d’un joggeur en 1989. Ouest-France titre alors : « Les algues vertes ont peut-être tué » (...)

    🌍 #Bretagne #écologie #environnement #alguesvertes #pollution

    ⏩ Lire l’article complet…

    ▶️ https://basta.media/algues-vertes-un-demi-siecle-de-deni-politique

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    ▶️ https://basta.media/Les-algues-vertes-grignotent-la-Bretagne-et-le-vivant

    ▶️ https://basta.media/ines-leraud-pour-les-algues-vertes-il-n-est-pas-exagere-de-parler-de-menson

  • Bretagne : après Callac, l’ultradroite s’enracine
    https://www.blast-info.fr/articles/2023/bretagne-apres-callac-lultradroite-senracine-HJykvmjpRlqZefyXFBCplQ

    Longtemps terre de mission pour l’extrême droite, la Bretagne, région historiquement démocrate chrétienne parsemée de quelques fiefs rouges, est longtemps restée perméable aux sirènes xénophobes et racistes. Mais depuis le début de l’année, des groupes de nervis multiplient violences, provocations et intimidations.

    #extrême_droite #Bretagne

  • Le Canard enchaîné sur Twitter : « Pour dissimuler la pollution au lisier de porc sur les plages, l’Agence régionale de santé de #Bretagne a transmis pendant des années des données bidon à l’autorité européenne chargée du classement des eaux de baignade… Amis vacanciers, bienvenue ! » / Twitter
    https://twitter.com/canardenchaine/status/1677203339530981376

  • Le film « Les algues vertes » de Pierre Jolivet d’après la BD d’Inès Léraud sur le phénomène en Bretagne
    https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-terre-au-carre/la-terre-au-carre-du-jeudi-29-juin-2023-9333268

    Le film « Les Algues vertes » a été tourné dans les Côtes d’Armor, caméra à l’épaule de Pierre Jolivet. Le réalisateur raconte : « J’ai dû tourner comme ça, car j’ai quand même fait pas mal de films, mais c’est la première fois qu’on m’interdit de tourner, en me disant : « On ne veut plus qu’on parle des algues vertes ». Je leur disais, mais je vais faire ce film. On est remonté jusqu’à la préfecture qui m’a conseillé le droit d’usage que je connaissais : le droit de tourner caméra à l’épaule où vous voulez, à condition de ne pas poser votre pied de caméra, à condition de ne pas installer de travelling. Il n’y avait pas de places réservées pour les voitures… Comme j’étais avec des jeunes techniciens bretons très motivés, ces interdictions nous ont galvanisés… On ne pouvait pas tourner dans la déchetterie où est mort Thierry Morfoisse en 2009, mais suite à des manifestations, cela a été possible ! »

  • #Douarnenez : ni volets fermés, ni ghettos dorés

    Habiter une ville touristique, une vue sur mer pour les précaires (Éditions du commun) est le résultat de plusieurs années d’enquête du collectif Droit à la ville Douarnenez sur la « #touristification » de la petite ville bretonne. De quoi questionner la #gentrification de nos territoires et ouvrir des pistes de #résistance. Entretien avec deux de ses auteurs.

    Dans quelle ville voulons-nous vivre ? Au profit de qui se transforme-t-elle ? Depuis 2018, le collectif Droit à la ville Douarnenez cherche à répondre à ces questions1. Galères de logement, modelage de l’espace aux goûts supposés des touristes, luxueux projets immobiliers inaccessibles aux locaux… Ses membres ont voulu comprendre comment le port finistérien en est arrivé là, tout en proposant des pistes pour un #littoral réellement accueillant. Le résultat ? Une riche enquête de terrain parue en avril dernier aux Éditions du commun : Habiter une ville touristique, une vue sur mer pour les précaires. Rencontre avec Charlotte et Guillaume, membres du collectif, dans un bistrot du port du Rosmeur.

    Comment est né ce projet de « recherche-action » autour de la gentrification à Douarnenez ?

    Charlotte : « En 2018, on a organisé une réunion publique à propos d’un projet de “pôle d’arts numériques” porté par l’avocate d’affaires Stéphanie Stein et censé prendre place dans l’ancien abri du marin de Douarnenez2. Ça nous a paru complètement hors-sol et révélateur d’une #spéculation croissante. À la suite de ces échanges, on a eu envie de s’organiser pour penser les évolutions récentes de la ville : d’un côté de nouveaux projets immobiliers, de l’autre de plus en plus de galères pour se loger. Des rencontres avec différents collectifs ont eu lieu au Local, un espace associatif autogéré. Sauf qu’en déballant ça sur la place publique, on s’est vus accusés de créer une mauvaise ambiance dans la ville, de ne pas être objectifs… On s’est dit que ce serait une manière de récolter de la matière dans de bonnes conditions, avec l’aide financière de la fondation Un monde par tous et en se faisant accompagner par l’association Appuii3, mobilisée sur ces problèmes de logement. »

    Guillaume : « Pour nous, la recherche-action est une recherche qui vient de la base : elle est conduite par les gens qui font partie de l’objet d’étude. Cela n’empêche pas d’avoir le soutien du milieu universitaire, mais on ne peut pas comprendre ce qu’il se passe à Douarnenez sans laisser place à l’émotionnel et au ressenti. Les données froides, les indicateurs, comme le nombre d’habitants, ou de Airbnb n’en rendront jamais compte de manière satisfaisante. C’est aussi un travail au long cours avec une volonté de transformer le réel. Notre objectif est de décrire ce qu’il se passe, mais aussi d’agir, en organisant des actions, des manifs ou de la solidarité concrète. »

    Le livre aborde différentes facettes de Douarnenez à travers une mosaïque de portraits et d’entretiens : un couple d’habitués des bistrots, une « néo-douarneniste » ou un vieux militant… Vous présentez aussi plusieurs lieux, par exemple Luzin4, un bâtiment assez emblématique de Douarnenez. Comment est venue cette manière d’écrire la ville ?

    C. : « De l’envie d’avoir un format hybride, composé de plein de petites cartes postales. Dans le collectif, chacun et chacune a pu travailler sur sa petite lubie. “T’as envie d’aller fouiller aux archives ? Super !” Moi, par exemple, j’étais au Conseil d’administration du festival du cinéma de la ville, du coup j’ai interrogé des personnes de l’association. On retrouve ainsi dans le livre des plumes et des points de vue différents, même si l’ensemble est lissé par le travail en commun. »

    Vous décrivez notamment l’impact du modelage du territoire au profit du tourisme et des résidents secondaires…

    C. : « En 2021, Douarn’ a été lauréate du dispositif “Petites villes de demain5”, ce qui lui a permis de financer la construction d’une promenade longeant le front de mer, un des attributs typiques des stations touristiques. Ils ont aussi produit une carte de la ville, soi-disant destinée aux habitantes et habitants. Mais Pouldavid et Ploaré, des quartiers un peu éloignés du centre-ville et de l’activité touristique, n’y figurent pas ! À côté de ça, cela fait des années que les habitants de Pouldavid demandent à la municipalité d’intervenir contre la dégradation de la cité HLM, et tout ce qu’on leur répond c’est “Désolé, c’est pas prioritaire, on trouve pas les sous”. »

    G. : « C’est une erreur de penser qu’avant Douarnenez c’était la pêche, et que maintenant c’est le tourisme. Il y a du tourisme depuis très longtemps. La question est de savoir ce qu’il produit sur le territoire. » Il y a un paradoxe dans cette « touristification » : elle détruit « l’authenticité » qu’elle vend aux visiteurs…

    C. : « Lors de la rénovation du port du Rosmeur, les Bâtiments de France6 ont imposé le blanc pour les ravalements de façades afin de produire une uniformité sur l’ensemble des ports de Cornouaille7. Alors que beaucoup des façades anciennes de Douarnenez sont peintes avec des restes de peinture de bateau. Et puis ce port, il est censé servir à quoi ? La promenade des touristes et la consommation dans les cafés ? Quitte à interdire la baignade et la pêche sur la cale – comme c’est le cas depuis 2019 – parce que ça fait sale ? »

    G. : « Il y a aussi le paradoxe du résident secondaire qui vient dans une ville qu’il espère vivante, alors qu’il contribue à l’étouffer. On a cette anecdote croustillante d’une personne nous racontant qu’elle a vendu sa résidence secondaire dans le Golfe du Morbihan “parce que là-bas c’est complètement mort”, pour en acheter une ici, “parce que la ville est vivante” ! »
    Quand ils sont interpellés sur les problèmes de logements, les élus des communes littorales se réfugient souvent derrière une indomptable « loi du marché ». Quel est leur rôle dans ces évolutions à Douarnenez ?

    C. : « Il y a quelques années, la municipalité se targuait de posséder pas mal de bâtis. Mais elle en a depuis vendu une bonne partie à des promoteurs immobiliers, parfois au détriment de projets collectifs ou associatifs. La majorité municipale de droite le justifie par une volonté de produire de la “mixité sociale par le haut”. Ces politiques ne sont pas menées pour les habitantes et habitants à l’année, mais pour favoriser les usages de résidents et résidentes secondaires, et pour des personnes qui ne sont pas encore sur le territoire. Elles se tournent vers un habitant hypothétique, dans une logique d’attractivité creuse. »

    Vous écrivez : « Nous ne sommes pas un collectif opposé au tourisme […] Nous sommes en revanche opposé·es au devenir touristique de la ville »…

    G. : « On a envie de défendre les vacances. Mais ce qui est important, c’est comment on décide collectivement de la juste place accordée au développement touristique. Comment accueillir plus de monde, sans artificialisation des sols, et en laissant de la place pour les gens qui souhaitent vivre ici à l’année ? »

    C. : « Il n’y a pas de solution simple, le livre n’est pas un manuel qui donne une liste d’actions à faire. Il invite juste à penser les choses dans leur complexité. Comme de se rendre compte que, contrairement à ce qu’il se dit, la moitié des résidents secondaires ne sont pas parisiens, mais bretons ! »

    https://cqfd-journal.org/Douarnenez-ni-volets-fermes-ni

    #Bretagne #droit_à_la_ville #tourisme #urbanisme #TRUST #Master_TRUST #logement #recherche-action #émotionnel #ressenti #données_froides #petites_villes_de_demain #Pouldavid #Ploaré #authenticité #résidences_secondaires #mixité_sociale_par_le_haut #aménagement_du_territoire #attractivité

    • Habiter une ville touristique. Une vue sur mer pour les précaires

      Dans quelle ville voulons-nous vivre ? C’est par cette question que commence le travail du collectif Droit à la ville Douarnenez. La ville bretonne connaît depuis quelques années un boom de l’immobilier. Les prix et le nombre de résidences secondaires augmentent et les habitant·es ont de plus en plus de mal à se loger. La ville se transforme, mais pour qui ?

      Ouvrage inédit, qui s’attache à décrire les mécanismes de touristification des villes côtières, cet essai montre comment ceux-ci mettent au ban une partie importante et précarisée des populations locales. À partir de l’exemple de la ville de Douarnenez, le collectif a mené une riche enquête dont ce livre restitue les principaux éléments. Analyses, entretiens et focus historiques, c’est par un travail fourni et protéiforme que le collectif produit la critique de ce processus déjà à l’œuvre dans de nombreuses villes européennes et mondiales.

      Par sa faculté à renouveler nos perceptions de l’habiter au sein des villes touristiques, et ce depuis la situation de celles et ceux qui en subissent les évolutions, ce texte constitue un outil important pour penser le droit à la ville, le droit au logement et le tourisme de manière générale.

      https://www.editionsducommun.org/products/habiter-une-ville-touristique-droit-a-la-ville-douarnenez
      #livre

      –-> déjà signalé par @simplicissimus ici :
      https://seenthis.net/messages/999762#message999764

  • #Bretagne : au pays des cochons, la porcherie n’est pas forcément là où l’on croit. Coup de projecteur sur une catastrophe environnementale et sanitaire.

    À Plouvorn, 80.000 cochons, de l’ammoniac et des nitrates | Splann !
    https://splann.org/plouvorn-80000-cochons

    Avec sa concentration record de méga-porcheries, la commune finistérienne de Plouvorn est un symbole de l’intensification de l’élevage et de ses conséquences. Enquête sur un coin de Bretagne où rien n’échappe aux cochons. Ni l’eau, ni l’air, ni la mairie.

    Plouvorn, dans le Finistère, est une capitale du porc industriel français. 80 % des élevages sont des Installations classées pour l’environnement (ICPE), c’est-à-dire qu’ils dépassent les 2.000 animaux. Malgré cela, un projet gigantesque se prépare.
    La commune est la plus émettrice d’ammoniac en Bretagne, un gaz précurseur de particules fines dangereuses pour la santé. La qualité de l’eau n’est pas meilleure et le point de captage d’eau potable est fermé depuis 2007 pour cause de pollution.
    Le poids de l’élevage porcin se fait sentir dans le quotidien des habitants : interdictions très régulières de la baignade dans le plan d’eau, élus sous pression, menaces sur des lanceurs d’alerte… Le porc s’immisce partout, du drapeau des supporters de l’équipe de foot jusqu’à la mairie.

    #agroindustrie #élevage_industriel #lobbying (pour entraver l’action publique)

  • Grand Prix Intergalactique de #Vélo Porteur Inventé
    http://carfree.fr/index.php/2023/05/31/grand-prix-intergalactique-de-velo-porteur-invente

    Le Grand Prix Intergalactique du Vélo Porteur Inventé est un #concours de machins★ organisé par vélutile★ le temps d’un week-end festif dans le pays de #redon. Construisez votre machin★ et Lire la suite...

    #Alternatives_à_la_voiture #bretagne #bricolage #construction #remorques #vélo-cargo #Vélogistique

  • A #Venise, « on avait l’inquiétude que la ville puisse être sous l’#eau, maintenant il y a le risque qu’il n’y en ait plus » s’inquiète Laura Ferrara, eurodéputée italienne | Public Senat
    https://www.publicsenat.fr/article/societe/a-venise-on-avait-l-inquietude-que-la-ville-puisse-etre-sous-l-eau-maint

    Car « nettoyer » l’eau polluée a un coût pour les #collectivités, qui n’est pas négligeable. « Je prends toujours l’exemple de la ville de #Munich où il y a 25 ans, ils avaient une pollution de leur périmètre de #captage qui était important. Ils ont décidé d’accompagner tous les agriculteurs pour qu’ils pratiquent une agriculture biologique, et aujourd’hui le mètre cube qui sort du périmètre de captage coûte 1 centime d’euros. Alors qu’en #Bretagne par exemple pour dépolluer l’eau qui est souillée avec des #pesticides et des #nitrates, ça coûte 27 centimes. Le rapport, c’est 27 fois plus cher de porter des solutions curatives avec l’argent public de nos impôts que de s’attaquer aux causes ! » Bruxelles tente de faire passer des directives pour garantir un droit à l’#eau_potable, sachant que 14 % des Européens sont déjà en situation de #stress_hydraulique.

    #union_européenne

  • Silence dans les champs

    Depuis les années 1960, le « système » agro-industriel fait naître des empires transnationaux et des #baronnies_rurales. Il crée des #usines et des #emplois. Il entraîne la disparition progressive des #paysans, l’#asservissement de nombreux salariés de l’#agroalimentaire, l’altération des écosystèmes et la généralisation de la nourriture en boîte. Il s’impose au nom de la realpolitik économique et de la foi dans une certaine idée du « #progrès ». Il prospère grâce à la bienveillance, l’impuissance ou la lâcheté des autorités. Il engendre ses propres mythes, capables de façonner durablement les mentalités. Il enrichit considérablement une minorité, alors que certains se contentent de survivre grâce aux subventions ou doivent s’estimer heureux parce qu’ils ont un travail. Il fait taire des récalcitrants à coups de menaces, de pressions, d’intimidations, de calomnies ou de sabotages. La #violence est son corollaire. Le #silence, son assurance-vie. Comment le définir ? « #Féodalité », répondent les uns. « #Esclavage_moderne », disent les autres. « #Oligarchie » ou « #mafia », jurent certains...
    Enquête au long cours jalonnée de témoignages saisissants, Silence dans les champs est une immersion glaçante dans le principal territoire agro-industriel de France : la #Bretagne.

    https://www.arthaud.fr/silence-dans-les-champs/9782080280886
    #livre #agriculture #industrie_agro-alimentaire

  • L’industrie agroalimentaire, un entrelacs de pouvoir et d’argent en terres bretonnes

    L’homme est assis devant une assiette de poisson, dans un restaurant, quelque part en Bretagne. Il dit : « N’utilise pas mon nom ! S’il y avait l’ombre d’un truc faisant voir que c’est moi, j’aurais de gros soucis. Dans le milieu, t’as pas intérêt à parler franchement, parce que, si on sait que c’est toi, on te fusille. » Cet éleveur, figure du complexe agro-industriel breton et membre éminent de plusieurs instances officielles, se confie trois heures durant, entre indignation et dégoût. « Espèce de bandit ! » , lance-t-il à propos d’un président de coopérative qui, à l’entendre, inciterait ses collègues, les « éleveurs de base » , à vendre leurs animaux au prix du marché, donc à s’exposer à la volatilité des cours, alors que lui-même bénéficierait de tarifs garantis grâce à un contrat « en or » signé avec la grande distribution.

    Notre interlocuteur peste aussi contre l’ « asservissement » des paysans, devenus selon lui « esclaves » des firmes, des coopératives, des banques, des vendeurs de tracteurs ou de robots de traite et, d’une manière générale, d’un modèle dominant – le productivisme – dont la Bretagne est un haut lieu depuis les années 1960. A l’entendre, ces paysans auraient été trahis par une partie de ceux, syndicalistes ou administrateurs de coopératives, censés les représenter.

    Si cet éleveur exige l’anonymat, comme beaucoup de témoins dans cette enquête, c’est parce qu’il dit avoir subi, par le passé, des « représailles » après avoir « trop ouvert [sa] gueule » . Il n’est pas le seul à s’exprimer ainsi. Il y a, bien sûr, les opposants historiques au productivisme, élus de gauche, militants environnementalistes ou membres de la Confédération paysanne, l’un des syndicats minoritaires. Mais rares sont les chevilles ouvrières du modèle en question prêtes à partager leurs états d’âme.

    Durant deux ans, Le Monde est allé à leur rencontre, ainsi qu’à celle de nombreux acteurs bretons de l’agro-industrie. Près de trois cents témoignages – paysans, fonctionnaires, techniciens, cadres de coopératives, banquiers, syndicalistes, élus, anciens ministres, etc. – ont été recueillis. Le malaise dont beaucoup font part n’est pas propre à la Bretagne, ni même à la France. A l’heure de la concurrence mondialisée et des périls environnementaux, l’agriculture traverse une crise existentielle dans bien des pays.

    Mais le désarroi semble exacerbé dans cette région, où l’agriculture industrielle et sa sœur siamoise, l’industrie agroalimentaire, façonnent les paysages et les âmes depuis six décennies ; où l’on produit chaque année, sur une péninsule comptant 3,3 millions d’habitants, de quoi nourrir l’équivalent de 22 millions de personnes ; où l’exploitation des sols et des animaux a fait naître des empires transnationaux et des baronnies rurales, a créé des usines et des emplois, a nourri des silences et engendré des drames.

    Notables en colère

    L’avenir du modèle productiviste génère de plus en plus de crispations. En témoignent les désaccords autour du Projet stratégique 2019-2025 des chambres d’agriculture de Bretagne, présenté à la presse le 30 novembre 2020. Ce jour-là, les présidents des chambres, tous éleveurs et adhérents à la puissante Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), jettent un pavé dans la mare. « C’est toute l’agriculture bretonne qui doit évoluer, affirment-ils . On ne peut plus continuer à produire de gros volumes non payés. Nous ne voulons plus ça, ce qui veut dire une baisse de l’élevage, davantage de prairies, la baisse des phytos, etc. La Bretagne va rester une terre d’élevage, la première de France, c’est notre socle. Mais avec moins de volumes produits, plus de lien au sol, plus de compétitivité et plus de transition environnementale. »

    Dans l’assistance, certains journalistes sont stupéfaits. Ces chambres furent longtemps des relais de l’idéologie productiviste. Les voici qui prônent une révolution : moins d’animaux, moins de pesticides et d’engrais de synthèse, plus d’autonomie dans les fermes, une diversification des cultures et un « verdissement » massif des pratiques. C’est, peu ou prou, ce que réclament depuis quarante ans les militants écologistes, ennemis jurés de la FNSEA. Et c’est ce qu’un éleveur des Côtes-d’Armor, André Pochon, pionnier local de l’agroécologie, a préconisé et expérimenté, avec d’autres, à partir des années 1950, au risque d’essuyer les moqueries adverses.

    « Virage à 180 degrés pour l’agriculture bretonne ? » , s’interroge Ouest-France le lendemain. Le point d’interrogation n’est pas superflu, car les chambres n’ont pas de pouvoir contraignant et parce que ce « virage » n’est pas du goût de tout le monde… Très vite, les représentants des « chambres d’agri » reçoivent des appels de notables en colère. Dirigeants de coopératives et gros bonnets de la FNSEA les accusent de précipiter « la mort » de l’agriculture régionale. Sommés d’aller s’expliquer devant leurs troupes, ils calment le jeu.

    Dix jours après la conférence, André Sergent, président de la chambre régionale d’agriculture de Bretagne, arrondit les angles dans Terra , hebdomadaire spécialisé dont l’actionnaire principal est alors la FNSEA. « C’est une trajectoire d’évolution que nous proposons, pas un virage à 180 degrés faisant table rase du passé , écrit-il . Nous savons trop ce que [le passé] apporte aujourd’hui à notre économie régionale. Nous croyons à une transition progressive et négociée. » Officiellement, le projet stratégique n’est pas enterré. Dans les faits, ce coup de pression aurait clairement « freiné l’élan en faveur du changement » , selon un responsable de la chambre régionale d’agriculture.

    Qui fait bloc autour de ce modèle ? Qui orchestre ce que d’aucuns nomment le « lobby agro-industriel breton » ? Les réponses sont difficiles à formuler, pour la bonne raison que ce lobby, en tant que tel, n’a pas d’existence officielle. Il s’agit d’un ensemble d’individus représentant des entreprises et institutions aux intérêts souvent convergents, parfois divergents. Certains s’entraident et se cooptent. D’autres, notamment dans la filière porcine, bataillent. Leurs points communs : ils bénéficient à divers titres du système en place et s’évertuent à ce qu’il évolue peu ou pas du tout.

    Galaxie hétéroclite

    Parmi les pontes de l’agrobusiness figurent des capitaines d’industrie riches et discrets. Les plus emblématiques sont Jean-Paul Bigard et sa famille, numéro trois européen de la viande, le clan Roullier, géant planétaire des engrais, et Louis Le Duff, numéro un mondial des cafés-boulangeries. Réunis, ces empires pèsent 8 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel et représentent près de 60 000 emplois en Bretagne et dans le monde. Tous font partie des cent cinquante plus importantes fortunes professionnelles du pays .

    Ajoutons à ce « casting » les fabricants et vendeurs de machines agricoles, grossistes, transformateurs, patrons de laiteries privées ou concepteurs de logiciels : tous forment une galaxie hétéroclite, employant plusieurs dizaines de milliers de personnes dans la région. Les ténors de la grande distribution, instigateurs d’une « course au moins cher » qui se répercute de longue date sur l’ensemble des filières, ne sont pas en reste.

    Deux des plus emblématiques enseignes françaises, Leclerc et Intermarché, ne sont-elles pas nées en Bretagne ? Ces mastodontes sont d’autant plus incontournables localement qu’ils possèdent leurs propres outils de transformation. En 2018, le tiers des porcs tués en Bretagne finissaient leur vie dans les abattoirs Kermené (Leclerc) et dans ceux d’Agromousquetaires (Intermarché).

    A l’évidence, un certain nombre de ces acteurs n’ont pas intérêt à des bouleversements d’ampleur. Plus d’autonomie technique et financière des paysans, moins d’intrants, d’élevage hors-sol, d’intermédiaires, de circuits longs, de plats transformés ? Cela fragiliserait, dans des proportions variables, ceux qui vendent des pesticides au cultivateur et du jambon premier prix au consommateur. Cela mettrait en péril des milliers d’emplois… mais en créerait d’autres, à en croire plusieurs études publiées à ce sujet.

    Les industriels bretons du secteur n’ont pas tous, cependant, la même philosophie ni les mêmes stratégies. Si certains d’entre eux revendiquent des démarches ambitieuses de progrès social et environnemental, d’autres se contentent d’un verdissement de façade ou n’essaient même pas de se prétendre « en transition ». Beaucoup contribuent au financement d’une ou de plusieurs des huit organisations régionales connues pour mener des actions de lobbying globalement en faveur du modèle dominant.

    Parmi celles-ci : l’Association bretonne des entreprises agroalimentaires (ABEA), qui fédère deux cents entités, dont les principales coopératives, mais aussi le Crédit agricole et le Crédit mutuel Arkéa. L’ABEA a fait parler d’elle, en 2021, après que Mediapart a révélé qu’elle avait tenté d’influencer – en toute légalité – des parlementaires dans le cadre des discussions relatives au projet de loi sur les lanceurs d’alerte.

    Suivre les euros

    Derrière ces lobbys, ces firmes et ces usines officie une élite peu encline à exhiber ses richesses. L’Armorique n’est pas la Côte d’Azur. Pudeur et modération sont ici des vertus cardinales. Il n’existe pas de jet-set agricole qui paraderait en voitures italiennes sur la « Riviera » morbihannaise. Recenser les sociétés civiles immobilières que possèdent les uns et les autres permet, en revanche, de se faire une idée des fortunes amassées. « En quarante ans de carrière, je n’ai jamais vu quelqu’un avec un tel patrimoine immobilier ! » , confie un agent de la répression des fraudes ayant enquêté sur un patron breton de l’agroalimentaire.

    Au moins un de ces grands dirigeants, dont le nom apparaît dans les fuites des « Panama Papers » , a été soupçonné un temps d’avoir eu recours à une société localisée dans un paradis fiscal. A partir de 2010, Alain Glon, fondateur de plusieurs entreprises agroalimentaires, aurait été l’unique bénéficiaire de Greengarth Holdings SA. Cette entité domiciliée au Panama détenait, par l’intermédiaire du cabinet Mossack Fonseca, un compte dans une banque suisse. Ce compte a été vidé en mars 2013, quelque temps avant l’approbation, par les pays du G20, du principe d’échange de données bancaires pour lutter contre l’évasion fiscale. Greengarth Holdings SA a été dissoute en 2014.

    Sollicité par Le Monde , Alain Glon indique qu’il « ignorai [t] l’existence » de ce compte et de cette société jusqu’à ce que « les autorités » l’interrogent à ce sujet, il y a quelques années : « J’ai dit que je n’avais jamais eu connaissance de ce compte. Il m’a été dit que, si mes réponses n’étaient pas satisfaisantes, l’administration donnerait suite et que, dans le cas contraire, on n’en parlerait plus. Ça fait quelques années, et on ne m’en a jamais reparlé. »

    Le sponsoring de clubs sportifs et le mécénat artistique témoignent aussi de la force de frappe financière des pontes de l’agro-industrie. Les trois clubs de football bretons évoluant en Ligue 1 arborent le logo d’au moins un acteur agroalimentaire. Le président du Stade brestois, Denis Le Saint, est à la tête du leader français de la distribution de produits frais. René Ruello, qui fut président du Stade rennais à trois reprises entre 1990 et 2014, a fait fortune dans la viennoiserie.

    « Agriculteurs en col blanc »

    Noël Le Graët, ex-président d’En Avant Guingamp, ancien maire de cette même ville et président de la Fédération française de football jusqu’à ces dernières semaines, est, à l’origine, un transformateur de produits de la mer du Trégor… Dans un autre registre, Bruno Caron, poids lourd de la boulangerie industrielle, a créé la Biennale d’art contemporain de Rennes. Quant à Edouard Leclerc, fondateur éponyme de l’enseigne, il a financé la création, à Landerneau (Finistère), d’un « fonds pour la culture » devenu un haut lieu de l’art contemporain.

    Les dirigeants de coopératives géantes font également partie des bénéficiaires du système. Le Gouessant, Cooperl ou Eureden, toutes basées en Bretagne, appartiennent aux paysans qui les ont fondées il y a plusieurs décennies et qui y adhèrent. Mais le jeu des rachats et le développement à l’international ont transformé certaines « coop » en structures tentaculaires, bardées de holdings et de filiales, générant plusieurs milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel. A leur tête : des « pilotes », souvent issus de prestigieuses écoles.

    Régulièrement critiquées (même par la FNSEA) pour leur manque de transparence, leur déficit chronique de démocratie interne et leur tendance à « serrer la vis » aux producteurs, ces coopératives rémunèrent généreusement, dans le même temps, leurs cadres : selon nos informations, quelques-uns des plus hauts salaires vont de 40 000 à 80 000 euros mensuels. Ce montant correspondait, en 2016, à près de cinquante fois le revenu médian d’un ménage agricole breton, selon l’Insee.

    Tous les paysans de la région, cependant, ne vivent pas chichement. Parmi les exploitants pleinement intégrés au système industriel, une minorité semblent tirer leur épingle du jeu. Ce sont les plus performants du point de vue de la conduite d’élevage et des techniques culturales et/ou ceux qui jouissent des meilleures infrastructures, des meilleures terres ou d’un bon capital de départ. Ce sont aussi certains « agriculteurs en col blanc », qui complètent leurs revenus avec d’autres subsides ou bénéficient d’avantages en nature dus à leur position. Il faut dire que les maroquins sont légion…

    Les conseils d’administration des syndicats, des coopératives, des banques et assureurs mutualistes, entre autres, offrent des mandats plus ou moins chronophages et plus ou moins indemnisés. Un président de chambre perçoit environ 2 000 euros mensuels au titre de ses activités consulaires, ce qui, dans bien des cas, couvre à peine les frais d’embauche d’un ouvrier agricole pour pallier l’absence, dans sa ferme, de l’élu en question. Les présidents de caisses départementales du Crédit agricole – en Bretagne, tous étaient, en 2022, des agriculteurs – empochent environ 5 000 euros mensuels et bénéficient d’un véhicule de fonction.

    « Heureux élus »

    Les mandats d’élus locaux, quant à eux, n’offrent bien souvent que des indemnités symboliques. Ils donnent cependant accès à des leviers importants en matière de politique foncière et d’aménagement du territoire. Or, en Bretagne comme ailleurs, les agriculteurs sont surreprésentés dans les conseils municipaux et communautaires. Tous ces engagements peuvent être désintéressés, mais ils peuvent aussi, comme l’attestent divers témoignages, s’avérer « utiles » à titre individuel. Dans tous les cas, ils contribuent au maillage du territoire par des partisans du modèle dominant.

    Philippe Bizien incarne bien ce phénomène. Ce Finistérien, patron d’un important élevage de porcs, préside Evel’Up, deuxième coopérative porcine française, ainsi qu’Evalor, principal constructeur breton d’unités de méthanisation. Il est aussi le trésorier de l’Union des groupements de producteurs de viande de Bretagne, et il a présidé le comité régional porcin de 1992 à 2022.

    Fils de l’ancien maire de la commune de Landunvez, M. Bizien a obtenu à plusieurs reprises des permis de construire pour agrandir son exploitation. Comme l’a révélé en 2022 le média d’investigation breton Splann ! , le préfet du Finistère lui a accordé une autorisation provisoire pour l’un de ces agrandissements malgré « deux décisions de justice » qui « ont établi que l’exploitation n’aurait pas dû être agrandie » et l’avis négatif, seulement consultatif, d’un commissaire enquêteur qui n’aurait plus jamais été sollicité par l’Etat ensuite.

    Bien au-delà du cas de M. Bizien, c’est tout un système, un entrelacs de pouvoir et d’argent, qui fait grincer des dents à la « base ». En cause : les innombrables mandats indemnisés, l’inutilité supposée de certains d’entre eux, les difficultés pour le paysan lambda à accéder à des cercles où règne la cooptation et, surtout, les privilèges dont jouiraient quelques « heureux élus » disposant des bons postes ou des bons réseaux. Ristournes sur des achats d’engrais ou de pesticides, accès simplifié au foncier, effacement partiel d’une dette, octroi facilité d’une labellisation…

    L’éventail des passe-droits, détaillé par de nombreuses sources, est large. Cette litanie s’ajoute aux démêlés judiciaires ou administratifs qu’ont connus, depuis plusieurs décennies, un certain nombre d’entités et de personnalités pour des faits de pollution, d’abus de biens sociaux, d’entrave à la concurrence, de fraude, de non-publication de comptes, de tromperie sur l’origine de marchandises, d’extension illégale de bâtiments d’élevage, de mise en danger de salariés, ou encore de saccage de biens publics…

    Ces éléments dessinent le portrait d’une région à deux vitesses. D’un côté, ceux, agriculteurs, patrons ou cadres d’entreprises agro-industrielles, qui bénéficient à fond du modèle productiviste – au prix, parfois, du franchissement de « lignes jaunes ». De l’autre, des paysans moins en vue qui s’épuisent à la tâche et gagnent peu, ainsi que des salariés du secteur agroalimentaire travaillant dans des conditions difficiles pour de faibles salaires.

    Malgré les critiques et les signaux d’alerte, le système tient. Il évolue peu et à la marge. Sa robustesse s’explique par son poids économique, par les emplois qu’il induit, par sa capacité à récupérer ou à saborder les propositions alternatives, par la mise au ban ou l’intimidation d’individus récalcitrants.

    « Produire l’autocensure »

    Le sociologue Ali Romdhani, auteur d’une thèse intitulée « Les conflits d’usage au cœur de l’élevage breton », soutenue en 2020 à l’université Rennes-II , est l’un des rares chercheurs à avoir théorisé les ressorts de cet « ordre social breton » . « Ce n’est pas une organisation formelle, écrit-il, mais plutôt une imbrication de réseaux d’acteurs qui se mobilisent quand leurs intérêts, leur identité, leurs privilèges ou leurs routines sont remis en cause. » Et d’évoquer le poids des « règles du jeu social » , qui « empêchent l’évolution de la situation » . La force de cette organisation informelle s’exerce par « l’impunité, l’exclusion, le déni, la pression sociale et la censure » . L’enjeu n’est « pas nécessairement de faire taire les voix discordantes, mais de produire l’autocensure chez la majorité ».

    Pour prendre la mesure de cette chape de plomb, il faut battre la campagne, gagner la confiance de ceux qui savent mais n’ont jamais parlé. Etre recommandé par un proche est un plus. Avoir grandi dans les parages en est un autre. Ranger le vouvoiement au vestiaire est souvent inévitable. Alors, parfois, les langues se délient, les taiseux s’épanchent…

    Michel, vétérinaire, décrit la solitude d’éleveurs surendettés, équipés de tracteurs flambant neufs mais gagnant 800 euros par mois. Arnaud, à la tête d’un important élevage de porcs, explique comment la grande distribution s’est « acheté une image » en acceptant de vendre ses produits, sans les mettre en valeur ni les rémunérer correctement. Claude, comptable à la retraite, énumère les montages juridiques qu’il a aidés à mettre en place afin que certains « gros » puissent agrandir leur ferme en passant sous les radars de la régulation foncière.

    Eric, délégué syndical, évoque le cas d’une employée d’abattoir, victime d’un grave accident sur une machine « vétuste » , qui a renoncé à poursuivre son employeur parce que ce dernier avait embauché dans la foulée des membres de sa famille. Françoise, ex-banquière, raconte l’histoire de cette éleveuse qui s’est endettée « jusqu’au cou » pour moderniser son exploitation mais n’a jamais pu la rentabiliser, parce qu’un voisin, administrateur de la banque en question, a fait main basse sur les terres qu’elle convoitait. Philippe, haut fonctionnaire, relate l’intervention d’un député du cru pour « faire enterrer » une procédure administrative à l’encontre d’un éleveur « ami » .

    Souvent, le fléau du suicide s’invite dans la conversation. Les larmes aux yeux, un autre vétérinaire évoque ces deux paysans, mari et femme, morts à quelques années d’intervalle. Claude, le comptable, a connu « dix suicides en trois ou quatre ans, dans les années 2010 ». « Ce n’était pas forcément à cause de soucis financiers , précise-t-il . Plutôt du burn-out, de l’épuisement, de la nécessité de faire toujours plus en gagnant moins. »

    En France, selon la Mutualité sociale agricole, un agriculteur se donne la mort tous les deux jours. Toutes professions confondues, la Bretagne a le plus fort taux de suicide du pays. « Le choix, pour certains, c’est la faillite, le servage ou le suicide, enrage un éleveur de porcs . C’est dur, ce que je dis, hein ? Mais c’est la vérité. » Comment qualifier un système capable de broyer à ce point ses propres ouailles ? « Féodalité » , répond l’un. « Esclavage moderne » , assure l’autre. Les mots « oligarchie » et « mafia » reviennent aussi.

    « Graves déconvenues »

    Rares sont ceux prêts à le dire sans requérir l’anonymat. Christian Hascoët est de ceux-là. Ce sexagénaire au verbe fleuri nous reçoit un jour de pluie dans le bureau de sa ferme, à Guengat, près de Quimper. Il veut « dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas ». Après avoir travaillé comme commercial pour un groupe agroalimentaire, il a repris la ferme de ses parents dans les années 1990. D’abord de façon « conventionnelle » – maïs, soja, engrais, pesticides. Puis il a progressivement modifié son assolement jusqu’à passer en « système herbager » . Il nourrit ses 165 vaches principalement avec l’herbe de la ferme. Cette approche demande du savoir-faire, un climat adéquat ainsi qu’un parcellaire adapté, mais permet en général de gagner en autonomie et en revenus.

    En 2009, la « grève du lait » fut pour lui un détonateur. Cette mobilisation d’éleveurs européens visait à obtenir une revalorisation des prix d’achat de la production. M. Hascoët y a participé. Il y a cru. Et il a déchanté, tant les avancées furent minimes… La FNSEA n’a pas soutenu le mouvement, qui s’est d’ailleurs construit en opposition à ses visées hégémoniques. Sur le terrain, les barons locaux voyaient les grévistes d’un mauvais œil.

    « Un collègue agriculteur a été chargé par [une institution agricole] de me surveiller, affirme M. Hascoët . Il me l’a avoué des années plus tard… Un jour, un apparatchik du système est venu dans la ferme. Il m’a intimé d’arrêter la grève du lait, avec une violence verbale incroyable. Il disait qu’il fallait que je me soumette. Ça n’a fait que renforcer ma détermination ! Dans ce genre de situation, si t’es pas solide dans ta tête et surtout économiquement, t’es mort. Tu craques ou tu vas au-devant de graves déconvenues. Quand tu demanderas un prêt, par exemple, on ne va pas te l’accorder. Il y aura l’intervention de la “main invisible”… »

    Après cet épisode, Christian Hascoët a participé à la création d’une marque de lait « équitable » , propriété de cinq cents producteurs français. Désormais, il ne dépend plus directement d’une coopérative ou d’une firme. Il n’enrichit plus personne… à part lui-même. Avec son beau-frère et son fils, il emploie deux salariés, prend de trois à quatre semaines de vacances par an, ne travaille pas tous les week-ends, se verse un « très bon » salaire et paye « un paquet d’impôts » .

    « Mais je suis très heureux d’en payer !, poursuit-il . J’ai fait vingt ans de collaboration passive, puis j’ai compris qu’on nous volait et qu’on nous manipulait. Je ne veux pas faire la morale aux copains restés dans le moule. Il est possible d’en sortir, mais ça suppose une remise en cause. Le problème du paysan débordé, c’est qu’il n’a pas le temps de se remettre en cause. » M. Hascoët n’a pu que constater l’hécatombe autour de lui : « Je connais au moins une dizaine de collègues qui se sont suicidés, rien que dans le pays de Quimper, en vingt ans. J’ai plein de copains morts de cancers à cause des pesticides. On paye cher, nous, les paysans bretons, pour que les autres deviennent riches ! »

    https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/04/03/l-industrie-agroalimentaire-un-entrelacs-de-pouvoir-et-d-argent-en-terres-br
    #industrie_agro-alimentaire #Bretagne #France
    #agriculture #élevage #grande_distribution #productivisme #économie

    –-

    signalé par @grrr :
    https://seenthis.net/messages/997391

  • Mémoires d’un paysan bas-breton : pour se distancer des folkloristes.
    https://tagrawlaineqqiqi.wordpress.com/2023/03/12/memoires-dun-paysan-bas-breton-pour-se-distancer-des-fol

    « J’ai lu dans ces derniers temps beaucoup de vies, de mémoires, de confessions de gens de cour, d’hommes politiques, de grands littérateurs, d’hommes qui ont joué en ce monde des rôles importants ; mais jamais ailleurs que dans des romans, je n’ai lu de mémoires ou de confessions de pauvres artisans, d’ouvriers, d’hommes de peine. (…) […]

    #Bibliothèque #Biographie #Histoire #religion #Ruralité #Bretagne #lecture #portrait
    https://0.gravatar.com/avatar/fae7880a13ff373ef7ab14b76ec88027?s=96&d=identicon&r=G

  • France : la misère affective n’épargne pas les femmes détenues
    https://rfi.my/9DrJ

    La France héberge la plus grande #prison de #femmes de toute l’Europe. Le centre pénitentiaire de #Rennes, en #Bretagne, compte 213 détenues pour longue peine, et 31 en attente de jugement. Les femmes détenues ne représentent que 3,3% de la population carcérale et leur voix se fait rarement entendre. RFI est allée à leur rencontre pour parler de l’enfermement. Est-ce qu’une femme abandonne son corps quand elle est en prison ? Peut-elle avoir une intimité, une sexualité, quand les cellules font 7m2 et que les corps sont surveillés ?

    Audio 3 mn

  • Étonnant télescopage en revenant sur Seenthis ce soir : on y cause de Lodève alors que j’y étais justement avec les enfants aujourd’hui. Nous sommes retournés au musée de Lodève pour l’expo « En route vers l’impressionnisme » (de Corot à Monet…) :
    https://www.museedelodeve.fr/exposition/en-route-vers-l-impressionnisme
    L’ensemble étant tiré des collections du musée de Reims.

    Très très chouette. Et le musée (de Lodève, celui de Reims je connais pas) est vraiment génial – rien à voir avec le fait qu’ils m’avaient commandé une visite virtuelle de leur expo « Les derniers impressionnistes » :-))
    https://www.museedelodeve.fr/derniers-impressionnistes/index.html

    Outre l’expo temporaire, il y a la très belle exposition permanente d’œuvres du sculpteur local, Paul Dardé. Et deux étages d’histoire de l’humanité et de la Terre, sur la base des collections récoltées dans la région ; le musée a été refait récemment, la muséographie est moderne, c’est très bien fait pour les enfants. Cette fois on n’a pas eu le temps de se refaire les collections d’histoire, parce qu’on est restés dessiner dans l’expo temporaire, mais les enfants ont carrément envie de revenir. (C’est l’avantage d’avoir des enfants jeunes : ils oublient qu’ils ont déjà visité le truc, et de toute façon encore l’année dernière ils étaient capables de se regarder Totoro dix fois de suite sans broncher… alors revisiter un musée deux ou trois ans plus tard, ça les gène pas.)

  • En Bretagne, manifestation contre “l’usine à saumons”
    https://radioparleur.net/2022/12/16/en-bretagne-manifestation-contre-lusine-a-saumons

    Dans les Côtes-d’Armor, à Plouisy, environ 200 personnes ont manifesté le 10 décembre contre un projet “d’usine à saumons”. Depuis plus d’un an, c’est le collectif “Dourioù Gouez” [“eaux sauvages” en breton] qui lutte contre ce projet de “ferme-usine à saumons” porté par l’entreprise norvégienne Smart Salmon, et soutenu par la Communauté d’agglomération. Une lutte […] L’article En Bretagne, manifestation contre “l’usine à saumons” est apparu en premier sur Radio Parleur.

  • Dans la campagne bretonne, 17 travailleurs #sans-papiers réduits en #esclavage

    https://www.streetpress.com/sujet/1671124203-bretagne-17-travailleurs-sans-papiers-reduits-esclavage-just

    Trois personnes et une entreprise sont condamnées pour avoir exploité et hébergé dans des logements indignes 17 #travailleurs sans-papiers dans le #Finistère. En charge de l’enquête, la #police_aux_frontières (Paf) a voulu enterrer l’affaire.

    #exploitation #exploitation_agricole

  • Contre l’accueil de réfugiés, l’#extrême_droite sème la terreur dans un bourg des Côtes-d’Armor

    À #Callac, des élus favorables à un projet d’installation de réfugiés, initié par un fonds privé, sont menacés de mort ou de viol. « Ils ne peuvent pas nous comprendre s’ils ne nous connaissent pas... », s’étonne Mariam, originaire du Darfour. « Quand on perdra une classe d’école, ce seront les premiers à râler », s’agace un adjoint au maire.

    CallacCallac (Côtes-d’Armor).– Dans le salon de sa maison, Laure-Line Inderbitzin s’efforce de sourire. En cet après-midi de début décembre, elle prépare le dîner, accompagne ses enfants à leurs activités extrascolaires, s’amuse des ardeurs du chiot qu’elle a adopté trois mois plus tôt. Mais elle finit toujours par revenir à ce qui lui vaut des crevasses en guise de cernes sous les yeux. L’adjointe au maire de Callac est en arrêt maladie car elle ne supporte plus le flot de haine qui se déverse sur sa commune, ni le « harcèlement » de Riposte laïque qui la jette en pâture sur Internet, la qualifiant d’« immigrationniste », d’« âme damnée du maire à migrants » ou d’« inconsciente illuminée ».

    L’élue confie ne plus dormir la nuit. « Je suis obligée de vivre comme une recluse alors que je suis victime ». En pointant une pochette posée sur la table, elle lâche : « Voilà le dossier ». Tout y est. Les nombreuses plaintes qu’elle a déposées. Le sticker retrouvé sur sa boîte aux lettres et estampillé Furie française, un groupuscule d’extrême droite. Les commentaires sur le site de Riposte laïque qui appellent à une « tournante » sur sa personne. Mais #Laure-Line_Inderbitzin insiste : elle n’a « pas peur » et ne pliera pas face à l’extrême droite.

    Tout a commencé lorsque la presse locale a annoncé l’arrivée de « 70 familles » d’exilés à Callac, alors qu’il s’agissait d’en accueillir une poignée dans le cadre d’un projet baptisé Horizon et porté par le fonds de dotation Merci (un fonds privé à but non lucratif qui finance aussi, grâce à des dons, des projets d’accès à l’éducation ou d’inclusion sociale).

    Déjà douze #plaintes déposées

    Depuis cette annonce, les sites Riposte laïque et Breizh-info, puis les militants du Rassemblement national (RN) et de Reconquête, ont fait de Callac « la mère des batailles » contre le « #grand_remplacement ». Aux manettes du fonds Merci, la famille Cohen est de son côté victime d’antisémitisme. Deux rassemblements se sont succédé à Callac, les 17 septembre et 5 novembre, réunissant des centaines d’opposants au projet venus des quatre coins de la France.

    « Pierre Cassen [membre fondateur de Riposte laïque – ndlr] fait des conférences sur ça, appelant à la “résistance à Callac”. Ils en ont fait un laboratoire », relèvent deux militants syndicaux de gauche, mandatés par leur fédération pour observer l’évolution de l’extrême droite en Bretagne. « Les fascistes sèment la terreur. Des élus ont vu des hommes cagoulés passer en voiture devant chez eux pour les intimider. » Et d’alerter sur la « pression permanente » pesant sur les élus, dont le maire : « Les gendarmes lui ont dit de flouter ses fenêtres à la mairie pour qu’on ne lui tire pas dans la nuque. »

    Ils décrivent un agrégat de groupuscules d’extrême droite et néonazis qui se mobilisent sur ce dossier « pour donner un effet de masse » : une forte représentation de l’Action française, de l’Alvarium (un groupuscule identitaire dissous en 2021 et qui se réactive) et de groupes nationalistes bretons. « Les Callacois sont peu nombreux parmi les opposants. »

    Lorsque le premier collectif « d’anti » est créé au printemps dernier, il compte trois membres, tous callacois : Danielle Le Men, Moulay Drissi et Michel Riou. Mais l’arrivée de Catherine Blein, figure de l’extrême droite condamnée pour apologie du terrorisme et exclue du RN (originaire de Moustéru, à 20 kilomètres de Callac), a poussé certains à s’en éloigner. C’est elle qui préside aujourd’hui « Les Amis de Callac », aux côtés de Danielle Le Men, que Laure-Line Inderbitzin accuse dans le harcèlement qu’elle subit.

    Elle l’a signalé à la gendarmerie, à qui elle a fourni ce qu’elle considère comme les « preuves » de ce qu’elle avance, telle une photo de Danielle Le Men distribuant le dernier tract contre Horizon à Callac. « J’ai encore déposé plainte le 19 novembre, mais je n’ai aucune nouvelle du procureur ou du préfet. C’est fou, on est face à des menaces sur une élue par ailleurs enseignante. »

    Elle y voit un « mépris » pour les élus ruraux et se sent « abandonnée ». Le maire de Callac, Jean-Yves Rolland, a refusé de nous répondre et se serait terré dans le silence. Il a porté plainte le 16 avril en son nom et celui de ses adjoints pour « menace, violence ou acte d’intimidation envers un élu public pour qu’il accomplisse ou s’abstienne d’acte de son mandat », après avoir reçu des courriers, que Mediapart a pu consulter, le qualifiant de « criminel en puissance » qui sera tenu pour « responsable en cas de viols dans la commune » et de « bon camarade avec les mafieux qui font venir tous ces clandestins ». Un autre lui souhaite d’avoir « une bonne assurance incendie ».

    Contacté, le parquet de Saint-Brieuc indique que douze plaintes ont été déposées en lien avec cette affaire. Selon le procureur de la République, Nicolas Heitz, la plainte déposée par le maire de Callac pourrait « caractériser l’infraction de menaces, violences ou actes d’intimidation envers un élu ». « Une enquête a été ouverte et une procédure distincte a été diligentée pour chaque plainte. »
    Déjà deux rassemblements d’extrême droite

    Les militants déjà cités accusent la préfecture d’avoir laissé l’extrême droite organiser deux rassemblements, alors que le maire de la commune aurait réclamé, selon plusieurs sources, leur interdiction. « Le préfet minimise les faits et fait le distinguo entre menaces virtuelles et réelles », affirment-ils. Sollicitée, la préfecture répond que « ces rassemblements ont été autorisés par le maire » et met en avant « la liberté de manifester ». Elle assure que le maire aurait lui-même « informé la préfecture qu’il n’envisageait pas de les interdire ».

    Quant aux élus faisant l’objet de menaces, « leurs craintes sont prises très au sérieux par les autorités », poursuit la préfecture, qui dénonce une « mise en cause infondée ». « Le préfet et son cabinet ont été et sont en contact régulier avec le maire. Le préfet a exprimé publiquement, à plusieurs reprises, son soutien aux élus callacois. » Le procureur précise de son côté que les infractions dénoncées sont « régulièrement évoquées avec le préfet ».

    Dans cette commune aux quelque 2 200 âmes, où un tiers de la population a plus de 70 ans, l’accueil des réfugiés, avant même le projet Horizon, n’a pourtant jamais été un problème : de premières familles sont arrivées du Kurdistan syrien dès 2018, puis du Nigeria, du Soudan et de Syrie de manière continue jusqu’en 2022. Callac, c’est un chiffre qui jusqu’ici semblait ne pas déranger : 10,2 % d’étrangers venus de Bulgarie, Géorgie, Tunisie ou Pologne.

    « On a une tradition d’accueil, qu’il s’agisse des Espagnols ou des Britanniques ; et ça se passe très bien », défend Laure-Line Inderbitzin. Dans une commune ayant perdu un tiers de sa population en trente ans, l’idée de redonner du souffle à l’économie locale et aux services publics l’a vite convaincue.

    Denis Lagrue, membre d’un collectif qui propose aux familles réfugiées, depuis les premières arrivées, des cours de français ou un accompagnement aux rendez-vous médicaux, a pensé que « cela pourrait faciliter [leur] action ». Ce vétérinaire à la retraite, responsable des Restos du cœur à Callac, se souvient de quelques rares critiques au début : « Un bruit de fond disant que les réfugiés prenaient nos logements. » En réalité, insiste-t-il, les HLM qu’ils ont obtenues étaient toutes vacantes.
    Les réfugiés déjà présents préfèrent ignorer la menace

    Avec la polémique autour du projet Horizon, il a le sentiment que Callac a été « salie ». « Comme s’il n’y avait que des racistes ici. Je ne dis pas que tout le monde est pour l’accueil des réfugiés, mais en cinq ans, on n’a jamais vu de manifestation hostile à leur égard. » Il y a selon lui une méconnaissance du sujet, instrumentalisée par l’extrême droite et certains médias.

    « Le travail de sape de CNews est catastrophique. Dans son public, il y a des personnes en grande précarité qui peuvent se tromper de cible. » Son épouse Sylvie a choisi de ne plus alimenter la guerre que l’extrême droite livre à Callac. Elle n’ira pas contre-manifester si l’extrême droite organise de nouveaux rassemblements. « On est dans un climat de terreur, on doit préserver les réfugiés déjà présents et laisser la justice faire son travail. »

    Ce week-end-là, Denis Lagrue rend visite à Ibrahim Zakaria et Mariam, un couple de réfugiés originaires du Darfour et leurs six enfants. Dans la chambre où le père révise le code en vue de passer son permis, des dictionnaires de langues s’amoncellent sur la table basse. Ibrahim Zakaria a appris le français – il parlait déjà son dialecte, l’arabe et l’anglais. À 50 ans, il est inscrit au Greta pour suivre des cours de langues, avant de se lancer dans l’informatique.

    « J’aimerais travailler dans l’agriculture », dit en souriant Mariam, qui se rend souvent au jardin partagé. Après avoir passé seize ans dans un camp de réfugiés au Tchad, la famille a pris ses marques à Callac. Mais elle a compris, depuis quelques mois, que certains « voulaient bien des étrangers et d’autres pas ». « Ils disent que les réfugiés sont des incapables, mais ils ne peuvent pas nous comprendre s’ils ne nous connaissent pas. »

    Ils ont préféré, lors des rassemblements, rester en sécurité à la maison, bien qu’ils soient conscients d’être « dans la légalité ». « Il ne devrait pas y avoir de souci pour nous. »

    Mais en septembre, les noms des réfugiés vivant dans leur immeuble ont été retirés des boîtes aux lettres – une information dont la préfecture des Côtes-d’Armor affirme n’avoir pas eu connaissance. « Ça ne nous a pas fait peur, affirme en souriant le couple. Les locaux sont gentils et les méchants ne sont pas nombreux. »

    « Voilà mon ressenti vis-à-vis des réfugiés, conclut Denis Lagrue en les quittant. Des familles qui s’intègrent, participent à la vie locale, dont les enfants réussissent à l’école. »

    Dans la nuit noire, les lumières de la maison de Michel Riou, l’un des premiers opposants au projet, apparaissent au loin. Le septuagénaire vit à Callac depuis 2006 et se décrit comme un « enfant du canton ». À notre arrivée, nous l’interrompons alors qu’il achève son dîner, mais il ne se fait pas prier pour exprimer sa position.

    Vous savez comment ça se passe dans les grandes villes, il y a des ghettos à cause des réfugiés, on le voit tous les jours à la télé.

    Michel Riou, opposant au projet Horizon

    Il ne saisit pas pourquoi « plein d’infos ont été balancées », d’abord « 70 familles », ensuite 30 ou 40. Ce qui l’effraie en premier lieu, c’est que la ville de Callac ait racheté l’ancienne école Saint-Laurent alors qu’elle est « en ruine », pour y créer le village Horizon, censé abriter des logements, une crèche ou une maison des associations. « On nous dit que la fondation va donner un apport, mais la municipalité est incapable de donner un chiffre. Je sais ce que ça coûte, ce projet ne peut pas marcher dans ce bâtiment », décrète cet ancien élu à l’urbanisme.

    Et puis, le discours anti-migrants jaillit. « Moi, c’est pas une ou deux familles qui me dérange, faut rester humain. Mais faut pas qu’on nous les envoie en nombre. Vous savez comment ça se passe dans les grandes villes, il y a des ghettos à cause des réfugiés, on le voit tous les jours à la télé. On ne veut pas que ça arrive à Callac. » Sa ville est à l’abandon, poursuit-il, désolé de voir des squats « partout » ou la toiture du gymnase Albert-Monfort toujours inachevée.

    S’il admet que tout se passe bien avec les familles réfugiées déjà présentes ici, « après, faut faire attention à tout ce qui se greffe autour ». « Je suis contre l’afflux des réfugiés. Pourquoi ils ne règlent pas leurs problèmes chez eux ? » Dans son salon, où se mêlent un drapeau breton, un bateau à voiles et une photo de Johnny Hallyday, il saisit une mallette où il déniche des courriers d’admirateurs venus lui adresser leur soutien : « Je suis bretonne et je connais Callac. Résistez. Nous sommes envahis en ville et maintenant c’est la campagne ! »

    Michel Riou a quitté le premier collectif « anti-Horizon », après qu’un mail aux relents nazis, adressé en son nom depuis l’adresse mail – piratée – du fonds de dotation Merci, a été envoyé à la ville de Callac. Il l’a quitté, aussi, parce que Catherine Blein commençait à prendre trop d’importance au sein du collectif. Depuis, il poursuit sa lutte, au sein d’un autre groupe qu’il a monté mais dont il refuse de donner le nombre de membres.

    Les menaces que subit Laure-Line Inderbitzin, il estime qu’elle les a « bien cherchées ». « En politique, il faut s’attendre à des coups durs. C’est de sa faute, elle aurait dû calmer le jeu », ose-t-il. Puis ajoute : « Moi, c’est pas écrit fasciste sur mon front. » Michel Riou est un ancien communiste. Désormais sans parti, il vote « comme [il] veut ». Reconquête ou RN ? « Et pourquoi pas. C’est peut-être ce qu’il faut pour remettre un peu d’ordre en France. »
    Un projet mené par l’État lui aussi menacé

    Que l’extrême droite passe aux commandes, c’est la crainte de Patrick Morcet, adjoint au maire à Callac. Ce matin-là, dans la maison qu’il occupe avec son épouse, une alarme retentit pour signaler notre arrivée. Pour « protéger [sa] famille », l’élu a installé des caméras dans son jardin, après avoir été réveillé, dans la nuit du 11 au 12 novembre dernier, par une présence dehors détectée par son chien. « J’ai vu deux hommes cagoulés dans l’allée, avec du matériel, qui se sont enfuis en courant. »

    Ils voulaient sans doute faire un saccage et avaient repéré les lieux, estime-t-il, expliquant avoir vu plus tôt des hommes s’aventurer dans l’impasse menant à son domicile. Patrick Morcet n’a pas porté plainte. « Je l’ai signalé au maire qui l’a dit à la gendarmerie, et depuis, ils font des rondes devant chez moi. » L’homme au visage rond refuse d’abandonner le projet Horizon malgré ce climat de « peur », et même si certains élus veulent reculer.

    Fin novembre le maire de Callac aurait organisé un vote informel pour demander à sa majorité si elle souhaitait poursuivre le projet. « Il y a eu huit “contre”, quatre demandes de suspension et deux “pour” », révèlent plusieurs sources.

    « Même si le projet est abandonné, ça ne s’arrêtera pas, on sera attaqués sur tout ce qu’on fera ensuite », souligne Patrick Morcet, en évoquant un projet – cette fois de l’État – pour l’accueil de réfugiés à Callac, géré par Viltaïs.

    Le fonds de dotation Merci a été invité à coordonner son action avec celle menée par l’opérateur de l’État.

    Préfecture des Côtes-d’Armor

    Des maisons devaient être rachetées par cette association pour les exilés, mais la pression de l’extrême droite aurait contraint une propriétaire à faire machine arrière. Sur le dernier tract distribué par les opposants, ils promettaient de « continuer à combattre les projets Horizon et Viltaïs jusqu’à la victoire ».

    Si l’arrivée de deux familles aurait été repoussée en raison des événements, la préfecture des Côtes-d’Armor indique que le projet Viltaïs « n’est pas remis en cause ». « Le fonds de dotation Merci a été invité à coordonner son action avec celle menée par l’opérateur de l’État », ajoute-t-elle, sans donner de précisions sur l’avenir du projet Horizon. Mais ce dernier, qui était inscrit à l’Opération de revitalisation de territoire (ORT), n’en ferait plus partie.

    Patrick Morcet regrette un problème de communication dès le départ et explique avoir plaidé pour passer par un cabinet spécialisé, sans être entendu. « J’avais peur qu’un simple mot soit détourné. » La première réunion publique, en avril 2022, aurait été selon lui « trop parisienne ». « Avec une meilleure présentation des choses, on aurait pu rassurer la population locale. »

    Il aurait aimé dire combien ce projet pouvait profiter à « tout le monde » et aider à revitaliser sa commune. « Quand on perdra une classe d’école demain, les opposants à Horizon seront les premiers à râler. » Il y a, songe-t-il, tout ce qu’il faut pour les accueillir. Il suffit de se balader pour constater les commerces fermés et « qui ne demandent qu’à être repris ». « Le dentiste s’en va aussi en fin d’année. »

    https://www.mediapart.fr/journal/france/201222/contre-l-accueil-de-refugies-l-extreme-droite-seme-la-terreur-dans-un-bour
    #anti-réfugiés #anti-migrants #asile #migrations #réfugiés #France #menace_de_mort #Bretagne

    via @_kg_ @karine4

    • Après les menaces de l’extrême droite, Callac abandonne son projet pour l’accueil de réfugiés

      Le projet n’aboutira donc pas. Dans les Côtes-d’Armor, des élus soutenant l’installation de réfugiés pour redynamiser leur bourg ont été menacés de mort ou de viol, taxés d’« immigrationnistes » ou d’organisateurs du « grand remplacement ». Lundi 9 janvier, le maire a annoncé l’abandon du projet Horizon à ses conseillers municipaux.

      C’estC’est une bataille gagnée pour l’extrême droite. Après des mois de mobilisation et de menaces en tout genre envers des élus locaux, le maire de Callac (Côtes-d’Armor), Jean-Yves Rolland, a décidé d’abandonner le projet Horizon. Celui-ci était porté par un fonds de dotation privé, à but non lucratif, et devait permettre d’accueillir des familles de réfugié·es dans la commune, décrite comme « vieillissante » par de nombreux adjoints au maire, en vue de la redynamiser. 

      L’abandon du projet a été annoncé par le maire de Callac à ses conseillers municipaux lundi 9 janvier, lors d’une réunion d’un bureau municipal. « Projet Horizon : le maire et son équipe ont pris la décision d’arrêter le projet Horizon », peut-on lire dans le compte-rendu de cette réunion (à ne pas confondre avec un conseil municipal), que nous avons pu consulter. Auprès de Mediapart, plusieurs élus regrettent un manque de concertation et de courage face à cette décision.

      Selon nos informations, un vote aurait été organisé à huis clos le 21 décembre, après le dernier conseil municipal de l’année 2022, sans la présence de Laure-Line Inderbitzin, pourtant porteuse du projet, et qui a subi une vague de harcèlement en ligne doublée de menaces pour son engagement en ce sens au cours des derniers mois. Fin novembre, déjà, un vote informel avait été organisé par le maire afin de sonder ses conseillers municipaux quant à la poursuite du projet Horizon : huit élus s’étaient prononcés contre, deux réclamaient sa suspension temporaire et deux seulement souhaitaient son maintien.

      La nouvelle sera rendue publique dans un mot rédigé par le maire, à paraître dans le bulletin municipal de ce mois. Contacté, il n’a pas souhaité confirmer ou réagir mais a précisé qu’il communiquerait bientôt sur ce sujet. Dans la première mouture du bulletin municipal que nous avons consultée, Jean-Yves Rolland évoque une année « difficile », notamment « à cause du projet Horizon qui a tant défrayé l’actualité à Callac depuis plusieurs mois ». « Face à toutes ces difficultés, poursuit-il, et à un certain manque de transparence et de garantie, l’équipe municipale décide de mettre fin à sa collaboration avec le Fonds de dotation Merci. » Il souligne malgré tout que Callac « est et restera une terre d’accueil pour toutes nouvelles populations, réfugiées ou non ».

      L’extrême droite n’a pas tardé à réagir, mardi, dans un communiqué intitulé « Victoire à Callac : le projet Horizon abandonné », signé de la main de Bernard Germain, membre de Riposte laïque et ex-candidat Reconquête aux élections législatives, ici porte-parole du Comité d’organisation contre le projet Horizon. Auteur d’un ouvrage au titre évocateur (Callac, la mère des batailles) publié mi-décembre dernier, il évoque les rassemblements organisés à Callac, la présence de militants sur les marchés chaque semaine, des milliers de tracts distribués dans les boîtes aux lettres et des centaines de signatures collectées.

      Face à un projet perçu comme « fou », il revendique une « bataille acharnée » de plusieurs mois pour « défendre Callac contre l’invasion ». « Lorsqu’on se bat, on peut gagner », estime-t-il, avant de s’en prendre au projet officiel porté par l’État, surnommé Viltaïs (du nom de l’association mandatée par l’État), qui permet déjà l’installation de réfugié·es dans les Côtes-d’Armor et à Callac. « Le plus sage serait que tout projet soit abandonné à Callac », prévient Bernard Germain. Et d’ajouter : « La Fondation Merci semble ne pas se consoler de son échec à Callac. Il se murmure qu’elle souhaite mettre en œuvre un nouveau projet… à Paimpol cette fois. Nous lui promettons que l’accueil sera le même, voire plus frais encore, dans cette localité. »

      Le fonds de dotation Merci a dénoncé, dans un communiqué diffusé ce mercredi, « la campagne de désinformation, de groupes et de médias d’extrême-droite visant à diviser la population et à déstabiliser le conseil municipal ». « Cette campagne nauséabonde aux relents racistes et antisémites est fondée sur des méthodes de harcèlement et d’intimidation, y compris des menaces de mort, ciblant le maire et plusieurs conseillers municipaux jusque dans leur vie privée », poursuit le communiqué, indiquant que le fonds reste « déterminé à poursuivre son action en faveur de l’inclusion durable de personnes réfugiées en France ».

      Me Vincent Brengarth, avocat de la famille Cohen – qui dirige le fonds et a été victime d’antisémitisme dans cette affaire –, se dit « sidéré par la position » du maire de Callac. « Il est dommage que l’équipe municipale n’ait pas su résister aux pressions exercées par l’extrême droite pour obtenir l’abandon de ce projet, qui était démocratiquement et humainement indispensable. C’est une défaite des valeurs humanistes. »

      Dans le cadre de ce projet, plusieurs infrastructures, dont une ancienne école et une librairie avaient déjà été rachetées par la commune et devaient servir à constituer le « village Horizon », voulu par la municipalité et le fonds de dotation Merci. Une habitante avait même fait le choix d’une reconversion professionnelle pour se former au métier de libraire. « Il y a eu beaucoup d’investissement et tout s’envole en éclats. C’est un vrai gâchis », conclut, dépitée, Laure-Line Inderbitzin.

      Nous republions notre reportage à Callac, publié par Mediapart le 20 décembre 2022.

      *

      Callac (Côtes-d’Armor).– Dans le salon de sa maison, Laure-Line Inderbitzin s’efforce de sourire. En cet après-midi de début décembre, elle prépare le dîner, accompagne ses enfants à leurs activités extrascolaires, s’amuse des ardeurs du chiot qu’elle a adopté trois mois plus tôt. Mais elle finit toujours par revenir à ce qui lui vaut des crevasses en guise de cernes sous les yeux. L’adjointe au maire de Callac est en arrêt maladie car elle ne supporte plus le flot de haine qui se déverse sur sa commune, ni le « harcèlement » de Riposte laïque qui la jette en pâture sur Internet, la qualifiant d’« immigrationniste », d’« âme damnée du maire à migrants » ou d’« inconsciente illuminée ».

      L’élue confie ne plus dormir la nuit. « Je suis obligée de vivre comme une recluse alors que je suis victime ». En pointant une pochette posée sur la table, elle lâche : « Voilà le dossier ». Tout y est. Les nombreuses plaintes qu’elle a déposées. Le sticker retrouvé sur sa boîte aux lettres et estampillé Furie française, un groupuscule d’extrême droite. Les commentaires sur le site de Riposte laïque qui appellent à une « tournante » sur sa personne. Mais Laure-Line Inderbitzin insiste : elle n’a « pas peur » et ne pliera pas face à l’extrême droite.

      Tout a commencé lorsque la presse locale a annoncé l’arrivée de « 70 familles » d’exilés à Callac, alors qu’il s’agissait d’en accueillir une poignée dans le cadre d’un projet baptisé Horizon et porté par le fonds de dotation Merci (un fonds privé à but non lucratif qui finance aussi, grâce à des dons, des projets d’accès à l’éducation ou d’inclusion sociale).
      Déjà douze plaintes déposées

      Depuis cette annonce, les sites Riposte laïque et Breizh-info, puis les militants du Rassemblement national (RN) et de Reconquête, ont fait de Callac « la mère des batailles » contre le « grand remplacement ». Aux manettes du fonds Merci, la famille Cohen est de son côté victime d’antisémitisme. Deux rassemblements se sont succédé à Callac, les 17 septembre et 5 novembre, réunissant des centaines d’opposants au projet venus des quatre coins de la France.

      « Pierre Cassen [membre fondateur de Riposte laïque – ndlr] fait des conférences sur ça, appelant à la “résistance à Callac”. Ils en ont fait un laboratoire », relèvent deux militants syndicaux de gauche, mandatés par leur fédération pour observer l’évolution de l’extrême droite en Bretagne. « Les fascistes sèment la terreur. Des élus ont vu des hommes cagoulés passer en voiture devant chez eux pour les intimider. » Et d’alerter sur la « pression permanente » pesant sur les élus, dont le maire : « Les gendarmes lui ont dit de flouter ses fenêtres à la mairie pour qu’on ne lui tire pas dans la nuque. »

      Ils décrivent un agrégat de groupuscules d’extrême droite et néonazis qui se mobilisent sur ce dossier « pour donner un effet de masse » : une forte représentation de l’Action française, de l’Alvarium (un groupuscule identitaire dissous en 2021 et qui se réactive) et de groupes nationalistes bretons. « Les Callacois sont peu nombreux parmi les opposants. »

      Lorsque le premier collectif « d’anti » est créé au printemps dernier, il compte trois membres, tous callacois : Danielle Le Men, Moulay Drissi et Michel Riou. Mais l’arrivée de Catherine Blein, figure de l’extrême droite condamnée pour apologie du terrorisme et exclue du RN (originaire de Moustéru, à 20 kilomètres de Callac), a poussé certains à s’en éloigner. C’est elle qui préside aujourd’hui « Les Amis de Callac », aux côtés de Danielle Le Men, que Laure-Line Inderbitzin accuse dans le harcèlement qu’elle subit.

      Elle l’a signalé à la gendarmerie, à qui elle a fourni ce qu’elle considère comme les « preuves » de ce qu’elle avance, telle une photo de Danielle Le Men distribuant le dernier tract contre Horizon à Callac. « J’ai encore déposé plainte le 19 novembre, mais je n’ai aucune nouvelle du procureur ou du préfet. C’est fou, on est face à des menaces sur une élue par ailleurs enseignante. »

      Elle y voit un « mépris » pour les élus ruraux et se sent « abandonnée ». Le maire de Callac, Jean-Yves Rolland, a refusé de nous répondre et se serait terré dans le silence. Il a porté plainte le 16 avril en son nom et celui de ses adjoints pour « menace, violence ou acte d’intimidation envers un élu public pour qu’il accomplisse ou s’abstienne d’acte de son mandat », après avoir reçu des courriers, que Mediapart a pu consulter, le qualifiant de « criminel en puissance » qui sera tenu pour « responsable en cas de viols dans la commune » et de « bon camarade avec les mafieux qui font venir tous ces clandestins ». Un autre lui souhaite d’avoir « une bonne assurance incendie ».

      Contacté, le parquet de Saint-Brieuc indique que douze plaintes ont été déposées en lien avec cette affaire. Selon le procureur de la République, Nicolas Heitz, la plainte déposée par le maire de Callac pourrait « caractériser l’infraction de menaces, violences ou actes d’intimidation envers un élu ». « Une enquête a été ouverte et une procédure distincte a été diligentée pour chaque plainte. »
      Déjà deux rassemblements d’extrême droite

      Les militants déjà cités accusent la préfecture d’avoir laissé l’extrême droite organiser deux rassemblements, alors que le maire de la commune aurait réclamé, selon plusieurs sources, leur interdiction. « Le préfet minimise les faits et fait le distinguo entre menaces virtuelles et réelles », affirment-ils. Sollicitée, la préfecture répond que « ces rassemblements ont été autorisés par le maire » et met en avant « la liberté de manifester ». Elle assure que le maire aurait lui-même « informé la préfecture qu’il n’envisageait pas de les interdire ».

      Quant aux élus faisant l’objet de menaces, « leurs craintes sont prises très au sérieux par les autorités », poursuit la préfecture, qui dénonce une « mise en cause infondée ». « Le préfet et son cabinet ont été et sont en contact régulier avec le maire. Le préfet a exprimé publiquement, à plusieurs reprises, son soutien aux élus callacois. » Le procureur précise de son côté que les infractions dénoncées sont « régulièrement évoquées avec le préfet ».

      Dans cette commune aux quelque 2 200 âmes, où un tiers de la population a plus de 70 ans, l’accueil des réfugiés, avant même le projet Horizon, n’a pourtant jamais été un problème : de premières familles sont arrivées du Kurdistan syrien dès 2018, puis du Nigeria, du Soudan et de Syrie de manière continue jusqu’en 2022. Callac, c’est un chiffre qui jusqu’ici semblait ne pas déranger : 10,2 % d’étrangers venus de Bulgarie, Géorgie, Tunisie ou Pologne.

      « On a une tradition d’accueil, qu’il s’agisse des Espagnols ou des Britanniques ; et ça se passe très bien », défend Laure-Line Inderbitzin. Dans une commune ayant perdu un tiers de sa population en trente ans, l’idée de redonner du souffle à l’économie locale et aux services publics l’a vite convaincue.

      Denis Lagrue, membre d’un collectif qui propose aux familles réfugiées, depuis les premières arrivées, des cours de français ou un accompagnement aux rendez-vous médicaux, a pensé que « cela pourrait faciliter [leur] action ». Ce vétérinaire à la retraite, responsable des Restos du cœur à Callac, se souvient de quelques rares critiques au début : « Un bruit de fond disant que les réfugiés prenaient nos logements. » En réalité, insiste-t-il, les HLM qu’ils ont obtenues étaient toutes vacantes.
      Les réfugiés déjà présents préfèrent ignorer la menace

      Avec la polémique autour du projet Horizon, il a le sentiment que Callac a été « salie ». « Comme s’il n’y avait que des racistes ici. Je ne dis pas que tout le monde est pour l’accueil des réfugiés, mais en cinq ans, on n’a jamais vu de manifestation hostile à leur égard. » Il y a selon lui une méconnaissance du sujet, instrumentalisée par l’extrême droite et certains médias.

      « Le travail de sape de CNews est catastrophique. Dans son public, il y a des personnes en grande précarité qui peuvent se tromper de cible. » Son épouse Sylvie a choisi de ne plus alimenter la guerre que l’extrême droite livre à Callac. Elle n’ira pas contre-manifester si l’extrême droite organise de nouveaux rassemblements. « On est dans un climat de terreur, on doit préserver les réfugiés déjà présents et laisser la justice faire son travail. »

      Ce week-end-là, Denis Lagrue rend visite à Ibrahim Zakaria et Mariam, un couple de réfugiés originaires du Darfour et leurs six enfants. Dans la chambre où le père révise le code en vue de passer son permis, des dictionnaires de langue s’amoncellent sur la table basse. Ibrahim Zakaria a appris le français – il parlait déjà son dialecte, l’arabe et l’anglais. À 50 ans, il est inscrit au Greta pour suivre des cours de langues, avant de se lancer dans l’informatique.

      « J’aimerais travailler dans l’agriculture », dit en souriant Mariam, qui se rend souvent au jardin partagé. Après avoir passé seize ans dans un camp de réfugiés au Tchad, la famille a pris ses marques à Callac. Mais elle a compris, depuis quelques mois, que certains « voulaient bien des étrangers et d’autres pas ». « Ils disent que les réfugiés sont des incapables, mais ils ne peuvent pas nous comprendre s’ils ne nous connaissent pas. »

      Ils ont préféré, lors des rassemblements, rester en sécurité à la maison, bien qu’ils soient conscients d’être « dans la légalité ». « Il ne devrait pas y avoir de souci pour nous. »

      Mais en septembre, les noms des réfugiés vivant dans leur immeuble ont été retirés des boîtes aux lettres – une information dont la préfecture des Côtes-d’Armor affirme n’avoir pas eu connaissance. « Ça ne nous a pas fait peur, affirme en souriant le couple. Les locaux sont gentils et les méchants ne sont pas nombreux. »

      « Voilà mon ressenti vis-à-vis des réfugiés, conclut Denis Lagrue en les quittant. Des familles qui s’intègrent, participent à la vie locale, dont les enfants réussissent à l’école. »

      Dans la nuit noire, les lumières de la maison de Michel Riou, l’un des premiers opposants au projet, apparaissent au loin. Le septuagénaire vit à Callac depuis 2006 et se décrit comme un « enfant du canton ». À notre arrivée, nous l’interrompons alors qu’il achève son dîner, mais il ne se fait pas prier pour exprimer sa position.

      Vous savez comment ça se passe dans les grandes villes, il y a des ghettos à cause des réfugiés, on le voit tous les jours à la télé.

      Michel Riou, opposant au projet Horizon

      Il ne saisit pas pourquoi « plein d’infos ont été balancées », d’abord « 70 familles », ensuite 30 ou 40. Ce qui l’effraie en premier lieu, c’est que la ville de Callac ait racheté l’ancienne école Saint-Laurent alors qu’elle est « en ruine », pour y créer le village Horizon, censé abriter des logements, une crèche ou une maison des associations. « On nous dit que la fondation va donner un apport, mais la municipalité est incapable de donner un chiffre. Je sais ce que ça coûte, ce projet ne peut pas marcher dans ce bâtiment », décrète cet ancien élu à l’urbanisme.

      Et puis, le discours anti-migrants jaillit. « Moi, c’est pas une ou deux familles qui me dérange, faut rester humain. Mais faut pas qu’on nous les envoie en nombre. Vous savez comment ça se passe dans les grandes villes, il y a des ghettos à cause des réfugiés, on le voit tous les jours à la télé. On ne veut pas que ça arrive à Callac. » Sa ville est à l’abandon, poursuit-il, désolé de voir des squats « partout » ou la toiture du gymnase Albert-Monfort toujours inachevée.

      S’il admet que tout se passe bien avec les familles réfugiées déjà présentes ici, « après, faut faire attention à tout ce qui se greffe autour ». « Je suis contre l’afflux des réfugiés. Pourquoi ils ne règlent pas leurs problèmes chez eux ? » Dans son salon, où se mêlent un drapeau breton, un bateau à voiles et une photo de Johnny Hallyday, il saisit une mallette où il déniche des courriers d’admirateurs venus lui adresser leur soutien : « Je suis bretonne et je connais Callac. Résistez. Nous sommes envahis en ville et maintenant c’est la campagne ! »

      Michel Riou a quitté le premier collectif « anti-Horizon », après qu’un mail aux relents nazis, adressé en son nom depuis l’adresse mail – piratée – du fonds de dotation Merci, a été envoyé à la ville de Callac. Il l’a quitté, aussi, parce que Catherine Blein commençait à prendre trop d’importance au sein du collectif. Depuis, il poursuit sa lutte, au sein d’un autre groupe qu’il a monté mais dont il refuse de donner le nombre de membres.

      Les menaces que subit Laure-Line Inderbitzin, il estime qu’elle les a « bien cherchées ». « En politique, il faut s’attendre à des coups durs. C’est de sa faute, elle aurait dû calmer le jeu », ose-t-il. Puis ajoute : « Moi, c’est pas écrit fasciste sur mon front. » Michel Riou est un ancien communiste. Désormais sans parti, il vote « comme [il] veut ». Reconquête ou RN ? « Et pourquoi pas. C’est peut-être ce qu’il faut pour remettre un peu d’ordre en France. »
      Un projet mené par l’État lui aussi menacé

      Que l’extrême droite passe aux commandes, c’est la crainte de Patrick Morcet, adjoint au maire à Callac. Ce matin-là, dans la maison qu’il occupe avec son épouse, une alarme retentit pour signaler notre arrivée. Pour « protéger [sa] famille », l’élu a installé des caméras dans son jardin, après avoir été réveillé, dans la nuit du 11 au 12 novembre dernier, par une présence dehors détectée par son chien. « J’ai vu deux hommes cagoulés dans l’allée, avec du matériel, qui se sont enfuis en courant. »

      Ils voulaient sans doute faire un saccage et avaient repéré les lieux, estime-t-il, expliquant avoir vu plus tôt des hommes s’aventurer dans l’impasse menant à son domicile. Patrick Morcet n’a pas porté plainte. « Je l’ai signalé au maire qui l’a dit à la gendarmerie, et depuis, ils font des rondes devant chez moi. » L’homme au visage rond refuse d’abandonner le projet Horizon malgré ce climat de « peur », et même si certains élus veulent reculer.

      Fin novembre le maire de Callac aurait organisé un vote informel pour demander à sa majorité si elle souhaitait poursuivre le projet. « Il y a eu huit “contre”, quatre demandes de suspension et deux “pour” », révèlent plusieurs sources.

      « Même si le projet est abandonné, ça ne s’arrêtera pas, on sera attaqués sur tout ce qu’on fera ensuite », souligne Patrick Morcet, en évoquant un projet – cette fois de l’État – pour l’accueil de réfugiés à Callac, géré par Viltaïs.

      Le fonds de dotation Merci a été invité à coordonner son action avec celle menée par l’opérateur de l’État.

      Préfecture des Côtes-d’Armor

      Des maisons devaient être rachetées par cette association pour les exilés, mais la pression de l’extrême droite aurait contraint une propriétaire à faire machine arrière. Sur le dernier tract distribué par les opposants, ils promettaient de « continuer à combattre les projets Horizon et Viltaïs jusqu’à la victoire ».

      Si l’arrivée de deux familles aurait été repoussée en raison des événements, la préfecture des Côtes-d’Armor indique que le projet Viltaïs « n’est pas remis en cause ». « Le fonds de dotation Merci a été invité à coordonner son action avec celle menée par l’opérateur de l’État », ajoute-t-elle, sans donner de précisions sur l’avenir du projet Horizon. Mais ce dernier, qui était inscrit à l’Opération de revitalisation de territoire (ORT), n’en ferait plus partie.

      Patrick Morcet regrette un problème de communication dès le départ et explique avoir plaidé pour passer par un cabinet spécialisé, sans être entendu. « J’avais peur qu’un simple mot soit détourné. » La première réunion publique, en avril 2022, aurait été selon lui « trop parisienne ». « Avec une meilleure présentation des choses, on aurait pu rassurer la population locale. »

      Il aurait aimé dire combien ce projet pouvait profiter à « tout le monde » et aider à revitaliser sa commune. « Quand on perdra une classe d’école demain, les opposants à Horizon seront les premiers à râler. » Il y a, songe-t-il, tout ce qu’il faut pour les accueillir. Il suffit de se balader pour constater les commerces fermés et « qui ne demandent qu’à être repris ». « Le dentiste s’en va aussi en fin d’année. »

      https://www.mediapart.fr/journal/france/110123/apres-les-menaces-de-l-extreme-droite-callac-abandonne-son-projet-pour-l-a
      #abandon

    • Zemel tov 🤸‍♀️ @Mazal_Bof
      9:38 AM · 14 janv. 2023
      https://twitter.com/Mazal_Bof/status/1614180211255377920

      Je parlais récemment qu’un des enjeux autour de Callac c’était la remise en question des réseaux de fafs, & notamment leur présence numérique etc.
      Regardez la quantité de réponses en UNE heure après publication.
      https://twitter.com/pierre_plottu/status/1614154353090220033

      A CHAQUE article, chaque post FB, chaque tweet sur le sujet, c’est systématiquement le même déferlement de fachosphère. Immédiatement.

      Et là le cas de P. Plottu n’est pas trop « surprenant », son travail est pas mal hate followed par l’ext-droite, mais c’est pareil ailleurs.
      Et ÇA, c’est sous un tweet d’un journaliste là à l’instant T. Maintenant imaginez ce que ces gens font subir aux elu•es & habitant•es de Callac, depuis des mois. :)

    • "Ce n’était plus tenable" : le maire d’un village breton abandonne un projet d’accueil de réfugiés

      Les manifestions, menaces de morts et intimidations diverses subies par la municipalité de Callac ont eu raison du projet « Horizon », qui prévoyait l’installation de réfugiés dans ce petit village du Finistère. Le fonds partenaire du projet « regrette » cette décision, et dénonce « la campagne de désinformation de groupes d’extrême droite visant à diviser la population ».

      À peine évoqué et déjà enterré. Le projet d’accueil de réfugiés dans la commune rurale de Callac, dans le Finistère, n’aura pas lieu. « Personnellement, j’étais pour le projet mais ce n’était plus tenable, a déclaré son maire Jean-Yves Rolland, à l’AFP. J’assume la décision d’arrêter [...] À un moment, il faut trancher ».

      « C’est dommage qu’on en arrive là [...] C’était un projet humain d’une très grande valeur, sans doute très important pour Callac dans l’avenir », a poursuivi l’édile.

      Au printemps dernier, la commune avait signé une convention avec le Fonds privé de dotation « Merci ! », afin de mettre sur pied le projet dénommé « Horizon ». Celui-ci prévoyait l’accueil, sur plusieurs années, de quelques dizaines de personnes reconnues comme réfugiées par l’État et bénéficiant d’une autorisation de séjour de longue durée sur le territoire français. Grâce à divers équipements prévus, « Horizon » devait bénéficier autant aux habitants qu’aux étrangers accueillis. Plusieurs dizaines d’emplois à pourvoir avaient par ailleurs été recensés pour les réfugiés.

      Le projet visait à redynamiser ce bourg rural de 2 200 habitants, qui a une longue tradition d’accueil de réfugiés depuis la guerre d’Espagne et a perdu plus de 1 000 habitants depuis les années 1960.
      Manifestations et menaces de mort

      Immédiatement après l’annonce du projet, la mairie avait fait face à une intense contestation. Deux manifestations, s’appuyant sur un petit groupe d’opposants locaux, mais portées par l’extrême droite et notamment le parti Reconquête d’Éric Zemmour, s’étaient déroulées dans la commune. Elles avaient suscité à chaque fois des contre-manifestations de soutien au projet et de dénonciation de l’extrême droite. Les forces de l’ordre étaient intervenues pour tenir les deux camps à distance.

      Des élus ont également été soumis à de multiples pressions, y compris des menaces de mort ou des atteintes à leur vie privée.

      Dans la commune, l’ambiance était également tendue, selon plusieurs témoignages : des visages fermés, des gens qui ne se parlaient plus, des commerces que l’on ne fréquentait plus en fonction des prises de position du propriétaire, assure l’AFP.

      Dans un communiqué, le Fonds de dotation (FDM) « regrette » la décision des élus et « dénonce la campagne de désinformation de groupes et de médias d’extrême droite visant à diviser la population et à déstabiliser le Conseil municipal ». Évoquant une « campagne nauséabonde aux relents racistes et antisémites », le Fonds « exprime son soutien à tous les élus de Callac ».

      « Les menaces et les intimidations de l’extrême droite n’arrêteront pas le FDM dans sa détermination à favoriser une société française accueillante et solidaire », affirme aussi le mécène, qui exprime aussi sa volonté de « poursuivre son action en faveur de l’inclusion durable de personnes réfugiées en France, dans une logique de relance économique et sociale de territoires ruraux ».

      Jean-Yves Rolland promet quant à lui que « Callac est, et restera, une terre d’accueil pour toutes nouvelles populations, réfugiées ou pas ».
      Une vie intenable à la campagne

      L’idée de répartir les migrants et les réfugiés en milieu rural a été soulevée par Emmanuel Macron en 2022, dans le cadre de la réforme de la loi immigration. Devant les préfets, le 15 septembre dernier, le chef de l’État a admis que la politique d’accueil actuelle des étrangers était « absurde », « inefficace » et « inhumaine » car elle consistait « à mettre des femmes et des hommes qui arrivent, qui sont dans la plus grande misère » dans les quartiers les plus pauvres.

      Il avait ainsi plaidé pour une meilleure répartition des étrangers accueillis sur le territoire, notamment dans les « espaces ruraux, qui eux sont en train de perdre de la population ».

      Si le président voit, dans cette idée, des opportunités pour tous – locaux comme exilés – dans les faits, la réalité est plus contrastée. Haplincourt, petit village de 200 habitants dans le nord de la France, a accueilli en 2017 Badiah, Jamal, et leur petite fille. « Le jour où ils sont arrivés, c’était le jour où les aînés se rencontraient pour jouer aux cartes, donc quand la petite gamine de trois ans leur a sauté au cou en arrivant, l’accueil s’est fait », se souvient Michel Flahaut au micro de France Info.

      Malgré cela, le couple a déménagé à Arras, où Jamal a trouvé un emploi de menuisier. L’isolement ressenti à Haplincourt a finalement poussé la famille à s’installer en ville : le permis syrien de Jamal n’était pas reconnu en France, la vie à la campagne était devenu intenable. « Il n’y avait qu’un bus le matin à 6h et un le soir », explique la mère de famille. Sans permis et sans voiture, Badiah devait « rester chez [elle] tout le temps ».
      « Trouver une voiture »

      « Il faudra que monsieur Macron y pense dans son projet s’il veut ramener des gens dans les villages où il n’y a pas de travail et pas de commerces », met en garde le maire d’Haplincourt dans l’article.

      Ailleurs en Europe, des projets similaires à celui de Callac ont déjà été expérimentés il y a plusieurs années. Camini, une petite localité du sud de l’Italie dans lequel InfoMigrants s’est rendu en octobre dernier, a accueilli une centaine d’exilés ces dernières années. Depuis leur arrivée, la vie a repris timidement : un bar restaurant - l’unique désormais - a ouvert, l’école primaire qui pendant 20 ans ne comptait plus qu’une classe en compte désormais quatre, et un distributeur automatique de billets y a pris ses quartiers en 2020 pour le bonheur du plus grand nombre.

      Pour les exilés, en revanche, le bilan est plus mitigé. « Cela fait sept ans qu’on est là mais on ne se sent toujours pas stables », avait expliqué Haseed Bukari, originaire du Pakistan, dont les parents tiennent une boutique dans le village. « Mes parents adorent Camini, poursuit Haseed Bukari, mais le problème, c’est les transports. Ils ont besoin de se rendre régulièrement à la préfecture pour renouveler leur titre de séjour, et je dois y aller avec eux pour traduire. Mais c’est si loin que ça me fait rater à chaque fois une journée d’école. » L’adolescent fêtera ses 18 ans en décembre : « La première chose que je vais faire, c’est trouver une voiture. »

      http://www.infomigrants.net/fr/post/46056/ce-netait-plus-tenable--le-maire-dun-village-breton-abandonne-un-proje

    • Sans-papiers. Des associations dénoncent des contrôles de police aux abords des structures d’aides alimentaires.
      https://france3-regions.francetvinfo.fr/bretagne/ille-et-vilaine/rennes/sans-papiers-des-associations-denoncent-des-controles-d

      Le collectif de soutien aux personnes sans-papiers organise un rassemblement mercredi prochain devant la cité judiciaire de #Rennes. Ils dénoncent des contrôles d’identité aux abords de plusieurs associations caritatives où se rendent ces bénéficiaires.
      Le collectif s’exprime en ses termes :"Le procureur de la République organise des contrôles d’identité aux abords des associations caritatives (Restos du Cœur, Croix Rouge…) avec des policiers en civil, et des #contrôles_au_faciès. Les personnes interpellées, enfants compris, sont emmenées au centre de rétention administrative (CRA) et privées de liberté. Certaines pour plusieurs heures, d’autres risquant l’expulsion. Doit-on choisir entre se nourrir ou le risque de se faire enfermer ?"

      #racisme #discrimination #police

    • À Callac, comment la solidarité a perdu contre l’extrême droite

      L’abandon d’un projet d’installation de réfugiés dans la petite ville des Côtes-d’Armor est vue comme une victoire pour l’extrême droite. Sur place, les partisans de l’accueil tentent de comprendre pourquoi ils ont perdu. Ailleurs en France, les campagnes de haine se multiplient.

      CallacCallac (Côtes-d’Armor) et Saint-Brévin-les-Pins (Loire-Atlantique).– « Du Béarn, je veux dire bravo à mes militants Reconquête ! qui ont bataillé depuis le premier jour aux côtés de tous les patriotes, pour empêcher ce funeste projet de répartition des migrants à Callac. Vive la France ! » Sur Twitter, le 11 janvier dernier, le président du parti d’extrême droite Reconquête, Éric Zemmour, laisse éclater sa joie. Le projet d’accueil de quelques familles de réfugié·es dans le petit village costarmoricain de Callac est officiellement abandonné, après plusieurs mois de pressions, manifestations et menaces plus ou moins voilées, de la part de l’extrême droite, locale et nationale.

      Callac et ses 2 200 habitant·es sont devenus malgré eux le théâtre d’un affrontement politique qui a largement dépassé les frontières de cette commune située à une vingtaine de kilomètres de Guingamp. Le projet, baptisé Horizon, n’était pourtant pas aberrant : il s’agissait d’accueillir une poignée de familles de réfugié·es dans cette commune qui perd depuis plusieurs années des habitant·es. Le projet était porté par le fonds de dotation Merci (fonds privé à but non lucratif qui finance aussi, grâce à des dons, des projets d’accès à l’éducation ou d’inclusion sociale), géré par la famille Cohen, propriétaire des magasins Bonpoint et Merci.
      La « mère des batailles contre le grand remplacement »

      Mais dès la première réunion publique présentant le projet, en avril, et dans les semaines qui ont suivi, une poignée d’opposants, d’abord locaux, puis venus de plus loin, a fait monter la tension. Le maire divers gauche, Jean-Yves Rolland, a fini par se murer dans le silence face aux menaces. Sa ville a été le théâtre de deux manifestations et contre-manifestations. Sur les réseaux sociaux, la « bataille » de Callac est devenu la « mère des batailles contre le grand remplacement » pour l’extrême droite et en particulier Reconquête.

      Au cœur de ce « tsunami de violences », selon ses propres termes, Laure-Line Inderbitzin, maire adjointe PCF de la ville, par ailleurs professeure de breton au collège municipal, et qui a porté le projet de bout en bout. Dès le 16 avril, une première plainte est déposée, suivie par d’autres, pour « diffamation », « menaces de mort », de « viol », « menaces » sur sa famille.

      Quand nous la retrouvons ce lundi de janvier dans un restaurant près de la gare, Laure-Line Inderbitzin est certes déçue de l’abandon du projet mais pas découragée. Elle dédouane le maire, « acculé », et le répète : « C’était une obligation morale de ne pas lâcher, de tenir face aux fachos. »

      Elle continue de penser que le projet était bon pour la ville. « Dans le centre-ville, il y a 38 % de vacance de logements, beaucoup de logements insalubres... Ce que proposait Horizon, c’était justement de loger des familles de réfugiés dans de l’habitat diffus, pour ne pas créer un ghetto », expose-t-elle. La jeune femme rappelle également que Callac accueille d’ores et déjà une petite quarantaine de réfugié·es, « sans que la gendarmerie ne constate aucun problème ».

      Ancienne maire de Callac, aujourd’hui élue dans le groupe « minoritaire » – elle préfère ce terme à celui d’« opposition » –, Lise Bouillot nous reçoit dans sa vaste cuisine-salle à manger. Autour d’elle, Martine Tison et Jean-Pierre Tremel, également élus de la « minorité ».

      « Nous étions pour le projet Horizon », expose en préambule Lise Bouillot, qui insiste sur le fait que Callac est une « terre d’accueil », que des réfugiés républicains espagnols avaient déjà été accueillis par la ville à la fin des années 1930, que lors de son mandat, avant 2020, la ville avait hébergé des réfugié·es avec « beaucoup d’enthousiasme et de générosité ».

      Mais pour l’élue, le projet a péché dès le départ par un « problème de communication ». « La première réunion publique a été une catastrophe, les gens sont sortis de là sans rien savoir du projet, dit-elle. Le maire a été extrêmement maladroit : c’est lui, devant témoins, qui a parlé de 60 familles et de l’avenir démographique de Callac. »

      Cette question des 60 familles est loin d’être anodine. Le projet Horizon a toujours consisté à accueillir quelques familles. Mais dès le mois d’avril, c’est le chiffre de 70 familles ou bien celui de 500 personnes, qui circule parmi les opposants, à commencer par le collectif Pour la défense de l’identité de Callac, créé par Danielle Le Men, Michel Riou et Moulay Drissi. Tous trois habitent Callac. Michel Riou est un ancien élu de gauche de la ville. Moulay Drissi, quant à lui, s’est présenté hors parti aux dernières élections législatives et n’a recueilli que 0,85 % des votes (327 voix).
      Une demande de référendum

      Dès juin, dans une lettre ouverte au maire de Callac, les trois membres de ce collectif demandent l’organisation d’un référendum. « L’arrivée de 70 familles extra-européennes bouleverserait totalement la vie de la commune et du canton », écrivent-ils notamment. « Les gens sont partis sur cette idée de référendum, alors que la majorité n’a pas été capable d’expliquer son projet », relève Lise Bouillot.

      « Nous-mêmes nous n’avons été associés au projet Horizon qu’en septembre, et c’est à ce moment-là que nous avons vraiment adhéré, explique l’ancienne maire. On ne peut pas être contre l’accueil de personnes fracassées par la vie. Horizon, c’était un projet global : humanitaire, social, culturel, original. Qui, de plus, se proposait d’accompagner les réfugiés pendant 10 ans ! »

      Nous rencontrons chez eux Denis et Sylvie Lagrue. Lui, membre d’un collectif qui propose aux familles réfugiées, depuis les premières arrivées, des cours de français ou un accompagnement aux rendez-vous médicaux, est par ailleurs responsable d’une association d’aide aux familles en difficulté. Elle gère depuis 30 ans le cinéma local. Se trouve également présent Erwan Floch’lay, qui a rejoint voici quelque temps l’équipe du cinéma.

      Tous trois étaient présents lors de la première réunion publique de présentation du projet. Pour eux, cette réunion ne s’est pas trop mal passée. Même si, selon Erwan Floch’lay, « trois membres de l’extrême droite locale se trouvaient dans le fond de la salle, mais dans l’ensemble, les gens ont semblé impressionnés ».

      Quand la bascule a-t-elle eu lieu ? Dans le courant de l’été, et surtout à la rentrée de septembre. Une seconde réunion publique était prévue le 23 septembre. Elle n’aura jamais lieu car entre-temps, l’extrême droite a débarqué dans la ville.
      Alliance de circonstance

      Catherine Blein, ancienne figure bretonne du Rassemblement national (RN), exclue du parti lepéniste après avoir tweeté « œil pour œil » à propos de l’attentat islamophobe de Christchurch, a rejoint l’association des opposants. Edwige Vinceleux, ancienne « gilet jaune » passée candidate Reconquête aux législatives de juin, fait publiquement de Callac un combat personnel. Bernard Germain, enfin, candidat Reconquête lui aussi dans la circonscription voisine, est de la partie.

      « Ces gens-là avaient les réseaux sociaux, des médias comme le site d’information locale d’extrême droite Breizh Info, et ils sont implantés en Bretagne », analysent deux militants syndicaux de gauche, mandatés par leur fédération pour observer l’évolution de l’extrême droite en Bretagne. À quoi ils ajoutent l’alliance de circonstance entre les « nationalistes bretons du PNB et Reconquête et Action française ».

      Une première manifestation est organisée le 17 septembre. Quelques centaines de personnes opposées au projet – dont seulement une vingtaine de personnes de Callac, selon plusieurs sources – se retrouvent face à un nombre légèrement supérieur de personnes favorables – elles aussi en grande partie extérieures à la ville – ou du moins opposées à l’extrême droite. « Cette première manifestation fait peur aux gens », estime Denis Lagrue.

      Suffisamment en tout cas pour que la seconde réunion publique, prévue la semaine d’après, n’ait pas lieu. Dans les semaines qui suivent, la situation se tend encore. Il y a d’abord ce dîner-débat organisé par Reconquête dans la ville voisine de Chapelle-Neuve, le 19 octobre. Le maire Les Républicains (LR) de la ville, Jean-Paul Prigent, explique benoîtement avoir accepté de prêter une salle sans avoir bien conscience d’accueillir une opération de Reconquête.

      On a même vu un drapeau suprémaciste flotter sur Callac !

      Gaël Roblin, conseiller municipal de Guingamp

      Des manifestant·es tentent d’empêcher l’événement, se retrouvent gazé·es, voire matraqué·es. La réunion a tout de même lieu. Et une nouvelle manifestation contre le projet est organisée le 5 novembre. Cette seconde manifestation réunit un peu plus d’opposant·es au projet, et plus aussi d’opposant·es aux opposant·es. Aujourd’hui encore, les pro-Horizon s’étonnent que cette seconde manifestation ait été autorisée.

      « Sur cette deuxième manifestation, il y avait tout ce que l’extrême droite compte d’infréquentables ! On a même vu un drapeau suprémaciste flotter sur Callac ! », dénonce Gaël Roblin, conseiller municipal de la gauche extra-parlementaire à Guingamp. Une contre manifestation est organisée, générant quelques affrontements sporadiques avec les forces de l’ordre.

      C’est suffisant pour alerter un peu plus les Callacois et Callacoises, si l’on en croit Lise Bouillot. « On pense aussi que la population a basculé après les manifestations, surtout la deuxième avec des bombes lacrymogènes partout. Le marais a basculé sur le thème “il est temps que ça cesse” », estime l’élue.

      « Depuis septembre et jusqu’à aujourd’hui, l’extrême droite tient le narratif », enrage Erwan Floch’lay. « Il y a une inversion totale où eux sont les résistants et nous les collabos », abonde Sylvie Lagrue, qui poursuit : « Certains disent que si on n’avait rien fait, rien dit, l’extrême droite se serait calmée. » « Mais ça veut dire quoi, “calmée” ? », s’interroge Denis Lagrue.

      « On aurait difficilement pu faire plus ou différemment », estime de son côté Gaël Roblin, qui insiste sur l’organisation « dans l’urgence » de ces deux contre-manifestations. Celui-ci pose tout de même la question du rôle du préfet. Mis au courant des menaces lourdes et répétées qui ont pesé sur les élu·es de Callac, sa réponse est jugée plutôt timide, voire absente. Pour les deux militants syndicaux, la « victoire de l’extrême droite à Callac, c’est avant tout la victoire de l’impunité ».
      « Le pire du pire de la mentalité humaine »

      Lise Bouillot, qui a vu les messages de menace adressés à la majorité (« une horreur, le pire du pire de la mentalité humaine ») « enrage de voir Reconquête crier victoire ».

      Le déroulé de toute cette séquence est en tout cas regardé de près, et avec inquiétude, à quelque 150 kilomètres au sud de Callac. À Saint-Brévin-les-Pins (Loire-Atlantique), un bâtiment situé à côté d’une école subit actuellement des travaux en vue de sa transformation en centre d’accueil de demandeurs d’asile (Cada).

      Michel Sourget et Yannick Josselin, tous deux militants pour un accueil solidaire des migrantes et migrants, nous reçoivent dans la maison du premier, à quelques mètres de la plage. Ici aussi, les opposants locaux ont été rejoints par l’extrême droite nationale. « On a vu Pierre Cassen, fondateur du site d’extrême droite Riposte laïque, venir défiler le 11 décembre. Il y a très peu de parents d’élèves dans le collectif d’opposants, justement à cause de la présence de l’extrême droite », expose Michel Sourget.

      Comme à Callac, la ville reçoit déjà des réfugié·es « et les gens constatent que ça se passe bien », note Yannick Josselin, ancien éducateur spécialisé. L’association qui va gérer le Cada, Aurore, a reçu deux personnes du collectif d’opposants, « alors ils ne peuvent pas dire qu’ils ne sont pas informés ».

      Pour ces deux habitants de Saint-Brévin, le plus dur est de ne pas savoir « comment les choses vont tourner ». Ils notent que le maire semble tenir bon face à l’extrême droite, ce qui s’explique peut-être aussi par le fait que Saint-Brévin est une ville plus grande, avec plus de 13 000 habitant·es. Par ailleurs, les travaux ont déjà démarré et une tentative d’occupation des locaux par l’extrême droite a tourné au fiasco, car les occupants n’étaient pas assez nombreux.

      Qu’importe pour Reconquête. Si Saint-Brévin est l’une des cibles du moment, le mouvement d’Éric Zemmour n’en manque pas. Dans les Côtes-d’Armor, ses militants et militantes ont tenté, sans succès, de faire annuler une animation intitulée « Uniques en son genre » impliquant la venue de drag-queens de la compagnie rennaise Broadway French, à la bibliothèque de Lamballe.

      Dans ce même département, Reconquête dénonce le fait que des élèves soient invités à échanger avec des migrants pour un concours régional sur « l’immigration à l’échelle locale ». Le parti d’extrême droite tente également d’empêcher le démontage d’une statue de la Vierge sur l’île de Ré. Tout comme il est parvenu, il y a quelques semaines, à clouer au pilori, via une campagne de harcèlement, une enseignante qui voulait emmener des élèves de prépa voir des migrants à Calais.

      Autant de campagnes à l’échelle microlocale pour un parti qui n’a obtenu aucun·e député·e lors des dernières élections législatives, et qui ne peut rester dans les radars que par des coups d’éclat permanents. Au risque, bien réel, d’inscrire la théorie complotiste du « grand remplacement » dans le débat public. A fortiori si la gauche peine à trouver la parade.

      https://www.mediapart.fr/journal/france/220123/callac-comment-la-solidarite-perdu-contre-l-extreme-droite

    • Un média breton visé par des menaces de mort de l’extrême droite : défendons la liberté d’informer
      https://basta.media/Le-media-breton-Le-Poher-vise-par-des-menaces-de-mort-de-l-extreme-droite-d

      Pour avoir rendu compte de la situation à Callac (Côtes-d’Armor) où des groupuscules d’extrême droite se sont violemment opposés à l’accueil de réfugiés, l’hebdomadaire Le Poher fait l’objet d’intimidations. Un rassemblement a lieu le 25 février.

    • Par deux fois, déjà, les membres de ce journal ont été menacés de mort. Le lien entre ces attaques et les évènements survenus à Callac semble évident.

      https://www.lepoher.fr/une-balle-dans-la-tete-de-nouvelles-menaces-contre-le-poher

      Le Poher Hebdo a été visé par une alerte à la bombe ce lundi 20 février 2023, à Carhaix (Finistère). Des gendarmes et un chien renifleur d’explosifs sont intervenus toute la matinée. Aucun explosif n’a été détecté. Une plainte a été déposée. Le rédacteur en chef avait été visé par des menaces de mort ces dernières semaines.
      https://www.ouest-france.fr/bretagne/finistere/l-hebdomadaire-le-poher-vise-par-une-alerte-a-la-bombe-a-carhaix-ce-lun
      #paywall (qui résiste à toute tentative de crackage)

    • Après l’incendie de son domicile, le maire de Saint-Brevin annonce sa démission

      #Yannick_Morez, le maire de Saint-Brevin-les-Pins (Loire-Atlantique), a envoyé sa lettre de démission au préfet, mardi 9 mai. Une décision prise en famille, après l’incendie criminel ayant visé sa maison, mercredi 22 mars.

      (#paywall)

      https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/saint-brevin-les-pins-44250/info-ouest-france-apres-lincendie-de-son-domicile-le-maire-de-saint-bre

      #démission

    • Menaces de mort et harcèlement antisémite à Callac : le parquet de Paris ouvre une enquête

      Les investigations portent, d’après nos informations, sur les menaces de mort et le harcèlement en ligne à caractère antisémite subis par le fonds privé Merci, à l’origine du projet d’installation de réfugiés à Callac, dans les Côtes-d’Armor.

      D’aprèsD’après nos informations, le parquet de Paris a ouvert, le 20 avril dernier, une enquête préliminaire sur les faits de cyberharcèlement et de menaces de mort à caractère antisémite subis par le fonds de dotation Merci, une structure philanthropique engagée dans le projet d’installation de réfugié·es à Callac (Côtes-d’Armor), initialement porté par la mairie, puis enterré sous la pression de l’extrême droite.

      Ciblée par le parti Reconquête et le Rassemblement national (RN), qui en ont fait le laboratoire de leur guerre civilisationnelle contre le supposé « grand remplacement » des populations blanches et chrétiennes, cette commune de 2 000 habitant·es a fait l’objet, depuis des mois, d’une violente campagne de haine. Principales victimes : des élu·es de Callac (voir ici et là), mais aussi les représentants du fonds Merci, dont le nom de famille, Cohen, a été jeté en pâture sur les réseaux sociaux et a servi à alimenter toutes sortes de théories complotistes et antisémites.

      À la tête de cette structure privée, la famille Cohen s’était illustrée, ces dernières années, dans des projets locaux agroécologiques ou dans la scolarisation d’enfants à Madagascar. Depuis 2018, elle s’investit aussi à travers son antenne Horizon dans la création de « lieux de vie multiculturels » animés par des réfugié·es et des non-réfugié·es, dans l’optique de participer au « développement économique, social et culturel du territoire ».

      Un engagement familial pour la fraternité que Benoît Cohen, par ailleurs écrivain et cinéaste, avait raconté dans Mohammad, ma mère et moi (Flammarion), récit de l’accueil par sa propre mère d’un migrant afghan dans son hôtel particulier du VIIe arrondissement de Paris.

      Dans le cadre du projet Horizon, plusieurs familles de réfugié·es devaient ainsi être accueillies dans le village des Côtes-d’Armor, jusqu’à ce que l’annonce publique du projet, en avril 2022, attire l’attention de l’extrême droite, entraînant des semaines de harcèlement et de mobilisations, orchestrés notamment par des groupes néonazis.

      Le 17 mars dernier, une plainte avait été déposée par les représentants du fonds Merci pour « harcèlement en ligne, provocation à la haine » et « injure en raison de l’appartenance à une religion ».

      Ouverte par le Parquet national de la haine en ligne (PNHL), unité du tribunal de Paris créée en 2021 et spécialisée dans le cyberharcèlement, l’enquête a été confiée à l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité et la haine en ligne (OCLCH) et la gendarmerie des Côtes-d’Armor, confirme le parquet de Paris à Mediapart.

      Cette procédure s’ajoute aux nombreuses autres déjà ouvertes par le parquet de Saint-Brieuc, à la suite des multiples plaintes déposées dans cette affaire.

      Une dizaine au moins ont été déposées par les élu·es de Callac, mais aussi par des journalistes de France 3 ou du média local Le Poher, victimes de coups de fil anonymes ou de commentaires menaçants sur les réseaux après qu’ils ont couvert l’affaire.

      « Il est regrettable que nous ayons eu à porter plainte pour déclencher une réponse judiciaire à des agissements extrêmement graves », s’agace l’avocat des représentants du fonds, Vincent Brengarth. Il espère que l’enquête donnera lieu à des auditions de médias de la fachosphère comme Riposte laïque, Breizh info ou Résistance républicaine, pointés du doigt pour leur participation active dans les polémiques ayant débouché sur des passages à l’acte (voir ici ou là).

      En plus des messages menaçants et antisémites reçus directement par mail ou sur les comptes Facebook du fonds, la plainte cite, à titre d’exemple, au moins cinq articles publiés entre le 3 juin 2022 et le 17 janvier 2023 sur le site d’extrême droite Riposte laïque, qui reprennent le b.a.-ba de la rhétorique antisémite.

      La famille Cohen y est désignée comme « une caricature de la pourriture des élites mondialistes », dotée d’une « âme infecte » et « de ce qu’il y a de pire dans l’âme humaine ».

      L’avocat estime que ces médias se sont montrés « complices » des faits de harcèlement. « La complicité se caractérise par la coopération coupable des médias qui ont ouvert des espaces de discussion sur leurs sites internet respectifs, sous des articles publiés par la rédaction, peut-on lire dans la plainte, consultée par Mediapart. En laissant ouverts ces espaces de discussion, ils ont permis la prolifération de messages à caractère antisémite sur leurs sites […]. Les médias ont également fait naître l’espérance d’une impunité pour leurs auteurs. »

      Comme d’autres avocats ou associatifs mobilisés sur des affaires similaires impliquant l’extrême droite, Me Brengarth pointe du doigt le silence des autorités, mais aussi des défaillances dans la prise en charge judiciaire de ce genre de dossier.

      Comme l’avait raconté Mediapart, la directrice générale du fonds Merci, victime d’une usurpation d’identité et d’un détournement de son adresse mail, avait quasiment été dissuadée de porter plainte dans un commissariat de Paris. Enregistrée depuis, la plainte a été transférée au parquet de Saint-Brieuc.

      La procédure ouverte par le parquet de Paris le 20 avril intervient dans un moment de mobilisation inédite de l’extrême droite dans le pays, où les passages à l’acte se multiplient sans réaction adéquate du gouvernement. Ainsi, ce n’est qu’après l’annonce publique de sa démission que le maire de Saint-Brevin-les-Pins (Loire-Atlantique), victime d’un incendie criminel après des semaines de harcèlement par l’extrême droite, a été reçu par la première ministre Élisabeth Borne. Auditionné par le Sénat, il a livré l’effarant récit de son abandon par l’État.

      L’inquiétude des pouvoirs publics semble depuis être retombée comme un soufflé. Après les menaces de mort antisémites reçues par la présidente de l’Assemblée nationale elle-même, début juin, plusieurs centaines de tracts néonazis ont été distribués dans des boîtes mails de député·es. Près d’une centaine de villes ont également noté, ces derniers jours, des campagnes de distribution massive dans les boîtes aux lettres de leurs administré·es, comme à Clairvaux-les-Lacs (Jura), commune de 1 400 habitant·es – une enquête a depuis été ouverte pour « apologie de crime contre l’humanité » et « provocation à la haine en raison de l’origine ou de la religion » par le parquet de Lons-le-Saunier. Sans aucune réaction du président de la République.

      https://www.mediapart.fr/journal/france/160623/menaces-de-mort-et-harcelement-antisemite-callac-le-parquet-de-paris-ouvre