• Cadences, sous-traitance, pression… quand le travail tue

    « Morts au travail : l’hécatombe. » Deux personnes meurent chaque jour, en moyenne, dans un accident dans le cadre de leur emploi. Ce chiffre, sous estimé, qui n’intègre pas les suicides ou les maladies, illustre un problème systémique

    « J’ai appris la mort de mon frère sur Facebook : la radio locale avait publié un article disant qu’un homme d’une trentaine d’années était décédé près de la carrière, raconte Candice Carton. J’ai eu un mauvais pressentiment, j’ai appelé la gendarmerie, c’était bien lui… L’entreprise a attendu le lendemain pour joindre notre mère. » Son frère Cédric aurait été frappé par une pierre à la suite d’un tir de mine le 28 juillet 2021, dans une carrière à Wallers-en-Fagne (Nord). Il travaillait depuis dix-sept ans pour le Comptoir des calcaires et matériaux, filiale du groupe Colas.

    Deux ans et demi plus tard, rien ne permet de certifier les causes de la mort du mécanicien-soudeur de 41 ans. D’abord close, l’enquête de gendarmerie a été rouverte en septembre 2023 à la suite des conclusions de l’inspection du travail, qui a pointé la dizaine d’infractions dont est responsable l’entreprise. Cédric Carton n’avait pas le boîtier pour les travailleurs isolés, qui déclenche une alarme en cas de chute. « Ils l’ont retrouvé deux heures après, se souvient sa sœur. Le directeur de la carrière m’a dit que mon frère était en sécurité, et qu’il avait fait un malaise… alors qu’il avait un trou béant de 20 centimètres de profondeur de la gorge au thorax. » En quête de réponses, elle a voulu déposer plainte deux fois, chacune des deux refusée, multiplié les courriers au procureur, pris deux avocats… Sans avoir le fin mot de cette triste histoire.

    Que s’est-il passé ? Est-ce la « faute à pas de chance », les « risques du métier » ? Qui est responsable ? Chaque année, des centaines de familles sont confrontées à ces questions après la mort d’un proche dans un accident du travail (AT), c’est-à-dire survenu « par le fait ou à l’occasion du travail, quelle qu’en soit la cause ».

    « Un chauffeur routier a été retrouvé mort dans son camion », « Un ouvrier de 44 ans a été électrocuté », « Un homme meurt écrasé par une branche d’arbre », « Deux ouvriers roumains, un père et son fils, trouvent la mort sur un chantier à Istres [Bouches-du-Rhône] »… Le compte X de Matthieu Lépine, un professeur d’histoire-géographie, qui recense depuis 2019 les accidents dramatiques à partir des coupures de presse locale, illustre l’ampleur du phénomène. Vingt-huit ont été comptabilisés depuis janvier.

    En 2022, selon les derniers chiffres connus, 738 décès ont été recensés parmi les AT reconnus. Soit deux morts par jour. Un chiffre en hausse de 14 % sur un an, mais stable par rapport à 2019. Et, depuis une quinzaine d’années, il ne baisse plus. A cela s’ajoutent 286 accidents de trajet mortels (survenus entre le domicile et le lieu de travail) et 203 décès consécutifs à une maladie professionnelle.

    Et encore, ces statistiques sont loin de cerner l’ampleur du problème. La Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM) ne couvre que les salariés du régime général et n’intègre donc ni la fonction publique, ni les agriculteurs, ni les marins-pêcheurs, la majorité des chefs d’entreprise ou les autoentrepreneurs. C’est ainsi qu’en 2022 la Mutualité sociale agricole (MSA) a dénombré 151 accidents mortels dans le secteur des travaux agricoles, 20 % de plus qu’en 2019.

    Pour disposer de chiffres plus complets, il faut se tourner vers la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail (Dares). Problème : sa dernière étude porte sur 2019… A cette époque, elle dénombrait 790 AT mortels chez les salariés affiliés au régime général ou à la MSA et les agents des fonctions publiques territoriale et hospitalière.

    Le secteur de la construction est celui où la fréquence des accidents mortels est la plus importante (le triple de la moyenne). Arrivent ensuite l’agriculture, la sylviculture et la pêche, le travail du bois et les transports-entreposage. Quatre-vingt-dix pour cent des victimes sont des hommes, et les ouvriers ont cinq fois plus de risques de perdre la vie que les cadres.

    Les accidents mortels sont deux fois plus fréquents chez les intérimaires. (...)
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/02/06/cadences-sous-traitance-pression-quand-le-travail-tue_6214988_3234.html

    https://justpaste.it/2ozrb

    #travail #accidents_du_travail #le_travail_tue

    • Accidents du travail : la lenteur de la justice pour faire reconnaître la responsabilité de l’employeur
      https://www.lemonde.fr/emploi/article/2024/02/06/morts-au-travail-la-douloureuse-lenteur-de-la-justice_6215011_1698637.html

      Les familles de victimes d’accidents mortels doivent parfois attendre des années avant de voir le bout de procédures judiciaires complexes.

      Pour ceux qui ont perdu un proche à la suite d’un accident du travail, la reconnaissance de la responsabilité de l’employeur est essentielle. Mais les procédures, d’ordre pénal ou civil, tournent parfois au parcours du combattant, voire s’étirent sur des années, ajoutant à la douleur des familles. Fabienne Bérard, du collectif Familles : stop à la mort au travail, cite l’exemple de Fanny Maquin, qui a perdu son mari cordiste, Vincent, il y a douze ans. Et qui n’est toujours pas passée en justice pour être indemnisée. « Comme souvent, il y a eu un grand nombre de renvois d’audience, explique-t-elle. L’avocat adverse met en avant que, depuis ce temps, elle a reconstruit une cellule familiale et que le préjudice ne peut pas être établi de la même manière… »

      Tout accident du travail mortel est suivi d’une enquête de l’inspection du travail (qui doit intervenir dans les douze heures), et de la gendarmerie ou de la police. Depuis 2019, les deux institutions peuvent mener une enquête en commun, mais c’est encore rare. Et souvent, l’enquête de l’inspection dure plusieurs mois, parce que les effectifs manquent pour mener à bien les constats immédiats, les auditions des témoins ou encore solliciter des documents auprès de l’entreprise.

      Ces investigations permettent de déterminer si la responsabilité pénale de l’employeur est engagée. Si les règles de santé et sécurité n’ont pas été respectées, l’inspection du travail en avise le procureur, qui est le seul à pouvoir ouvrir une procédure. « Dès lors, le parquet a trois possibilités, explique l’avocat Ralph Blindauer, qui accompagne souvent des familles. Soit l’affaire est classée sans suite, soit une information judiciaire avec juge d’instruction est ouverte, car le cas est jugé complexe, soit, le plus couramment, une ou plusieurs personnes sont citées à comparaître devant le tribunal correctionnel. »

      Un montant négligeable

      En cas de poursuite au pénal, l’employeur est fréquemment condamné pour homicide involontaire en tant que personne morale – ce qui est peu satisfaisant pour les victimes, et peu dissuasif. L’amende est en effet de 375 000 euros maximum, un montant négligeable pour un grand groupe. L’employeur est plus rarement condamné en tant que personne physique, car il est difficile d’identifier le responsable de la sécurité – la peine encourue est alors l’emprisonnement.

      Dans le cas d’une procédure au civil, la reconnaissance d’une « faute inexcusable » de l’employeur permet aux ayants droit (conjoints, enfants ou ascendants) d’obtenir la majoration de leur rente, ainsi que l’indemnisation de leur préjudice moral. La faute est caractérisée lorsque l’entreprise a exposé son salarié à un danger dont il avait, ou aurait dû, avoir conscience et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

      « Le nœud du sujet, c’est la conscience du danger, en particulier lors d’un malaise mortel, explique Morane Keim-Bagot, professeure de droit à l’université de Strasbourg. Les employeurs remettent en question le caractère professionnel de l’accident, en démontrant qu’il y a une cause étrangère exclusive. » Certains prétendent ainsi que la victime souffrait d’un problème cardiaque décelé au moment de l’autopsie, de surpoids, de stress ou de tabagisme.

      « Si vous tombez sur un inspecteur surchargé, un parquet qui s’y attelle moyennement, des gendarmes non spécialisés et débordés, les procédures durent facilement des années, sans compter les renvois d’audience fréquents, conclut Me Blindauer. La longueur très variable de ces affaires illustre aussi le manque de moyens de la #justice. »

      #responsabilité_de_l’employeur #inspection_du_travail #responsabilité_pénale

    • Entre déni des entreprises et manque de données, l’invisibilisation des suicides liés au travail

      https://www.lemonde.fr/emploi/article/2024/02/06/entre-deni-des-entreprises-et-manque-de-donnees-l-invisibilisation-des-suici

      Le manque de prise en compte du mal-être au travail renforce les risques d’accidents dramatiques.
      Par Anne Rodier

      « La dernière conversation que j’ai eue avec mon mari [Jean-Lou Cordelle] samedi 4 juin [2022] vers 22 heures concernait les dossiers en cours à son travail. Le lendemain matin, mon fils découvrait son père au bout d’une corde pendu dans le jardin », témoigne Christelle Cordelle dans la lettre adressée aux représentants du personnel d’Orange pour leur donner des précisions sur l’état psychologique de son mari avant son suicide, à l’âge de 51 ans, après des mois de surcharge de travail, d’alertes vaines à la hiérarchie et à la médecine du travail.

      Son acte, finalement reconnu comme « accident de service » – c’est ainsi que sont nommés les accidents du travail (#AT) des fonctionnaires –, n’est pas recensé dans le bilan annuel de la Sécurité sociale. Celui-ci ne tient pas, en effet, compte de la fonction publique, invisibilisant les actes désespérés des infirmières, des professeurs ou encore des policiers.

      L’Assurance-maladie parle d’une quarantaine de suicides-accidents du travail par an. Un chiffre stable, représentant 5 % du total des accidents du travail mortels, mais qui serait nettement sous-évalué. C’est entre vingt et trente fois plus, affirme l’Association d’aide aux victimes et aux organismes confrontés aux suicides et dépressions professionnelles (ASD-pro), qui l’évalue plutôt entre 800 et 1 300 chaque année, sur la base d’une étude épidémiologique sur les causes du suicide au travail réalisée fin 2021 par Santé publique France. https://www.santepubliquefrance.fr/recherche/#search=Suicide%20et%20activité%20professionnelle%20en%20France

      L’explosion des risques psychosociaux (RPS) en entreprise constatée étude après étude et par la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM : https://assurance-maladie.ameli.fr/etudes-et-donnees/2018-sante-travail-affections-psychiques) apporte de l’eau au moulin de l’ASD-pro : 1 814 maladies professionnelles relèvent de maladies psychiques, en augmentation régulière, note le rapport 2022. Quant au dernier baromètre du cabinet Empreinte humaine, publié en novembre 2023, il est sans équivoque : près d’un salarié sur deux (48 %) était en détresse psychologique en 2023.

      « Passage à l’acte brutal »

      La mécanique mortifère de la souffrance au travail est connue. « Les mécanismes à l’œuvre semblent être toujours liés : atteintes à la professionnalité et à l’identité professionnelle, perte de l’estime de soi, apparition d’un sentiment d’impuissance », explique Philippe Zawieja, psychosociologue au cabinet Almagora.
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      Tous les RPS ne conduisent pas au geste fatal. « Il y a moins de suicidés chez les #salariés que parmi les #chômeurs, et 90 % des suicides interviennent sur fond de problème psychiatrique antérieur », souligne M. Zawieja. Mais « il existe des actes suicidaires qui ne sont pas la conséquence d’un état dépressif antérieur, qui marquent un passage à l’acte brutal [raptus], lié à un élément déclencheur conjoncturel », indique l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) https://www.inrs.fr/risques/suicide-travail/ce-qu-il-faut-retenir.html. Comme ce fut le cas du management toxique institutionnel à France Télécom. C’est alors que survient l’accident.

      « Pour Jean-Lou, tout s’est passé insidieusement, témoigne sa veuve. Il était en surcharge de travail depuis octobre-novembre 2021, avec des salariés non remplacés, des départs en retraite. Un jour de janvier, je l’ai vu buguer devant son ordinateur. A partir de là, j’ai été plus attentive. En mars [2022], ils ont allégé sa charge de travail mais insuffisamment. En avril, il a craqué. La médecine du travail a été prévenue. Il a finalement été mis en arrêt, sauf qu’il continuait à recevoir des mails. Ils lui avaient laissé son portable professionnel et il n’y avait pas de message de gestion d’absence renvoyant vers un autre contact. Jusqu’au bout, Orange n’a pas pris la mesure ».

      Le plus souvent, les suicides au travail sont invisibilisés, au niveau de l’entreprise d’abord, puis des statistiques. « Classiquement, l’entreprise, quand elle n’est pas tout simplement dans le déni, considère que c’est une affaire privée et que le travail n’en est pas la cause », explique le juriste Loïc Lerouge, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et spécialiste du sujet.

      Un déni qui a valu à Renault la première condamnation pour « faute inexcusable de l’employeur pour n’avoir pas pris les mesures nécessaires alors qu’il avait conscience du danger » concernant les salariés du Technocentre de Guyancourt (Yvelines) qui ont mis fin à leurs jours dans les années 2000. [en 2012 https://www.lemonde.fr/societe/article/2012/05/12/suicide-au-technocentre-renault-condamne-pour-faute-inexcusable_1700400_3224 « On reconnaît pleinement la responsabilité de la personne morale de l’entreprise depuis l’affaire #France_Télécom », précise M. Lerouge.

      Caractérisation délicate

      L’#invisibilisation des suicides commence par le non-dit. En réaction aux deux suicides de juin 2023 à la Banque de France, où l’une des victimes avait laissé une lettre incriminant clairement ses conditions de travail, la direction a déclaré avoir « fait ce qui s’impose » après un tel drame https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/10/10/a-la-banque-de-france-le-suicide-de-deux-salaries-empoisonne-le-dialogue-soc . Puis, lors des vœux 2024 adressés au personnel le 2 janvier, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, n’a pas prononcé le mot « suicide », évoquant les « décès dramatiques de certains collègues ». Et s’il a déclaré « prendre au sérieux les résultats et les suggestions » de l’enquête qui acte le problème de #surcharge_de_travail, présentée au comité social et économique extraordinaire du 18 janvier, il n’a pas mis sur pause le plan de réduction des effectifs dans la filière fiduciaire. Celle-là même où travaillaient les deux salariés qui ont mis fin à leurs jours. « Beaucoup de gens n’ont pas les moyens de faire correctement leur travail et sont en souffrance. Il existe à la Banque de France une forme de maltraitance généralisée », affirme Emmanuel Kern, un élu CGT de l’institution.

      La caractérisation des suicides en accidents du travail est un exercice délicat, au cœur de la reconnaissance de la responsabilité de l’employeur. Pour Santé publique France, la définition est assez simple (« Surveillance des suicides en lien potentiel avec le travail », 2021). Il s’agit de tout suicide pour lequel au moins une des situations suivantes était présente : la survenue du décès sur le lieu du travail ; une lettre laissée par la victime mettant en cause ses conditions de travail ; le décès en tenue de travail alors que la victime ne travaillait pas ; le témoignage de proches mettant en cause les conditions de travail de la victime ; des difficultés connues liées au travail recueillies auprès des proches ou auprès des enquêteurs.

      Mais pour l’administration, le champ est beaucoup plus restreint : l’Assurance-maladie prend en compte « l’acte intervenu au temps et au lieu de travail ». Et la reconnaissance n’aura pas lieu si des éléments au cours de l’enquête permettent d’établir que « le travail n’est en rien à l’origine du décès », précise la charte sur les accidents du travail rédigée à destination des enquêteurs de la Sécurité sociale https://www.atousante.com/wp-content/uploads/2011/05/Charte-des-AT-MP-acte-suicidaire-et-accident-du-travail.pdf. « En dehors du lieu de travail, c’est à la famille de faire la preuve du lien avec l’activité professionnelle », explique Michel Lallier, président de l’ASD-pro. Une vision nettement plus restrictive, qui explique cet écart entre les bilans des suicides au travail.

      #suicide_au_travail #risques_psychosociaux #médecine_du_travail #conditions_de_travail #management #cadences #pression #surcharge_de_travail

    • Manque de sécurité sur les chantiers : « Notre fils est mort pour 6 000 euros », Aline Leclerc
      https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/02/07/manque-de-securite-sur-les-chantiers-notre-fils-est-mort-pour-6-000-euros_62

      Pour réduire les coûts et tenir les délais, certaines entreprises du bâtiment accumulent les négligences et infractions au code du travail, susceptibles d’engendrer de graves accidents du travail

      Alban Millot avait trouvé l’offre d’emploi sur Leboncoin. Touche-à-tout débrouillard enchaînant les petits boulots, il n’avait aucune expérience dans la pose de panneaux photovoltaïques ni dans le travail en hauteur. Trois semaines après son embauche, il est passé à travers la toiture d’un hangar, le 10 mars 2021. Une chute mortelle de plus de 5 mètres. Le jour de ses 25 ans.

      « Quand le gendarme vous l’annonce, il parle d’un “accident”, comme on dit quand quelqu’un meurt sur la route », se rappelle douloureusement Laurent Millot, son père. La chute renvoie toujours d’abord l’idée d’une erreur d’attention, d’un déséquilibre. La faute à pas de chance. Et à la victime surtout – Alban n’a-t-il pas marché sur une plaque translucide qu’il savait fragile ?

      Ce n’est que quelque temps après que reviennent en mémoire ces petites phrases qui donnent à l’« accident » un autre sens. « J’avais eu Alban au téléphone une semaine avant. Il m’a dit que son travail était hyperdangereux, et qu’il allait s’acheter son propre harnais parce que celui fourni par la boîte était bas de gamme », raconte Véronique Millot, sa mère. Quand pour la rassurer il lui a dit : « Je fais ça seulement jusqu’à l’été », elle a répondu : « Te tue pas pour un boulot… »

      Inexpérimentés

      L’enquête, étoffée dans ce dossier, a mis en évidence une effarante liste de dysfonctionnements et d’infractions au code du travail de la PME qui l’employait, dont l’activité officiellement enregistrée (son code NAF ou APE) était « commerce de détail en quincaillerie, peintures ». Le seul technicien dûment diplômé avait quitté la société deux mois avant l’embauche d’Alban. Sur les vingt-cinq salariés, une dizaine de commerciaux et seulement trois équipes de deux poseurs, lesquels étaient en conséquence soumis à un rythme intense pour honorer les commandes.

      Avant sa mort, Alban et son collègue de 20 ans, et trois mois d’ancienneté seulement, étaient partis le lundi de Narbonne (Aude) pour un premier chantier en Charente, puis un autre en Ille-et-Vilaine, avant un troisième, le lendemain, dans les Côtes-d’Armor, et un ultime, le mercredi, en Ille-et-Villaine, où a eu lieu l’accident. Alban, seul à avoir le permis, avait conduit toute la route.

      Inexpérimentés, les deux hommes n’avaient reçu qu’une formation sommaire à la sécurité. Et, surtout, ne disposaient pas de harnais complets pour s’attacher, comme l’a constaté l’inspectrice du travail le jour du drame.

      « Méconnaissance totale » et « déconcertante » du dirigeant

      Sans matériel, ils ont loué sur place une échelle chez Kiloutou. « Combien pèse une plaque photovoltaïque ? », a demandé le président du tribunal correctionnel de Rennes, lors du procès en première instance. « Dix-huit kilos », a répondu le chef d’entreprise. « Il faut monter l’échelle avec le panneau sous le bras ? », s’est étonné le président. « Cela dépend du chantier. »

      Il sera démontré pendant l’enquête, puis à l’audience, la « méconnaissance totale » et « déconcertante » du dirigeant, commercial de formation, de la réglementation en vigueur sur le travail en hauteur comme sur les habilitations électriques. Il n’avait entrepris aucune démarche d’évaluation des risques. Et ce, alors que deux autres accidents non mortels avaient eu lieu peu de temps avant sur ses chantiers.

      Dans son jugement du 6 juin 2023, le tribunal a reconnu l’employeur – et non l’entreprise, déjà liquidée – coupable d’homicide involontaire, retenant la circonstance aggravante de « violation manifestement délibérée » d’une obligation de sécurité ou de prudence, « tant l’inobservation était inscrite dans ses habitudes ».

      Enjeux financiers

      Car ces négligences tragiques cachent aussi des enjeux financiers. Monter un échafaudage, c’est plusieurs heures perdues dans un planning serré, et un surcoût de 6 000 euros, qui aurait doublé le devis, a chiffré un ouvrier à l’audience. « En somme, notre fils est mort pour 6 000 euros », souligne Mme Millot.

      L’affaire résonne avec une autre, dans laquelle Eiffage Construction Gard et un sous-traitant ont été condamnés en première instance comme en appel lors des procès qui se sont tenus en mai 2021 et avril 2022, à Nîmes. Mickaël Beccavin, cordiste de 39 ans, a fait une chute mortelle le 6 mars 2018, alors qu’il assemblait des balcons sur les logements d’un chantier d’envergure. Pour une raison restée inexpliquée, une corde sur laquelle il était suspendu a été retrouvée sectionnée, trop courte de plusieurs mètres. Quand la défense de l’entreprise a plaidé la seule responsabilité de la victime, qui aurait mal vérifié son matériel, l’inspecteur du travail a proposé une autre analyse.

      « On peut vous expliquer que le cordiste doit faire attention, mais la question n’est pas que là. La question est : est-ce qu’on devait faire appel à des cordistes pour ce chantier ? », a expliqué Roland Migliore à la barre, en mai 2021. Car la législation n’autorise les travaux sur cordes, particulièrement accidentogènes, qu’en dernier recours : cette pratique n’est possible que si aucun autre dispositif de protection dite « collective » (échafaudage, nacelle…) n’est envisageable. « La protection collective protège le salarié indépendamment de ce qu’il peut faire lui. S’il s’attache mal, il est protégé, rappelle l’inspecteur du travail. Au contraire, si l’on choisit la protection individuelle, on fait tout reposer sur le salarié. »

      « Précipitation »

      Le recours à la corde était apparu à l’audience comme un choix de dernière minute, sur un chantier où « tout le monde était pressé ». L’inspecteur du travail avait alors souligné cet aspect : « Malheureusement, dans le BTP, les contraintes sur les délais de livraison poussent à la précipitation : on improvise, quitte à ne pas respecter le plan général de coordination. »

      Secrétaire CGT-Construction, bois et ameublement de Nouvelle-Aquitaine, Denis Boutineau n’en peut plus de compter les morts. « Très souvent, c’est lié à un manque de sécurité. Quand vous êtes en ville, regardez les gens qui travaillent sur les toits, il n’y a aucune protection ! Pourquoi ? Pour des raisons économiques ! » Il cite ainsi le cas d’un jeune couvreur passé à travers un toit Everite. « L’employeur avait fait deux devis ! Un avec la mise en sécurité, un sans ! Bien sûr, le second était moins cher. Lequel croyez-vous qu’a accepté le client ? »

      Caroline Dilly reste, elle aussi, hantée par un échange avec son fils Benjamin, 23 ans, quelque temps avant sa mort, le 28 février 2022. Couvreur lui aussi, il aurait chuté en revenant dans la nacelle après avoir remis une ardoise en place sur un toit. Il n’était pas titulaire du certificat d’aptitude à la conduite d’engins en sécurité (Caces), nécessaire à l’utilisation de cet engin. Et la nacelle était-elle adaptée pour réaliser ce chantier ? C’est ce que devra établir la procédure judiciaire, encore en cours.

      Mais avant de rejoindre cette entreprise, Benjamin avait été renvoyé par une autre, au bout de quinze jours. « Il avait refusé de monter sur un échafaudage qui n’était pas aux normes », raconte sa mère, qui s’entend encore lui faire la leçon : « Y a ce que t’apprends à l’école et y a la réalité du monde du travail ! » « Je m’en veux tellement d’avoir dit ça… J’ai pris conscience alors à quel point prendre des risques au travail était entré dans nos mœurs. Tout ça pour aller plus vite. Comment en est-on arrivés à ce que la rentabilité prime sur le travail bien fait, en sécurité ? », se désole-t-elle.

      « Quand on commence, on est prêt à tout accepter »

      Depuis qu’elle a rejoint le Collectif familles : stop à la mort au travail, elle est frappée par la jeunesse des victimes : « Quand on commence dans le métier, on n’ose pas toujours dire qu’on a peur. Au contraire, pour s’intégrer, on est prêt à tout accepter. »

      Alexis Prélat avait 22 ans quand il est mort électrocuté sur un chantier, le 5 juin 2020. Son père, Fabien, bout aujourd’hui d’une colère qui lui fait soulever des montagnes. Sans avocat, il a réussi à faire reconnaître par le pôle social du tribunal judiciaire de Périgueux la « faute inexcusable » de l’employeur.

      C’est-à-dire à démontrer que ce dernier avait connaissance du danger auquel Alexis a été exposé et n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. Le jeune homme est descendu dans une tranchée où était clairement identifiée, par un filet rouge, la présence d’un câble électrique. « Le préposé de l’employeur sous les ordres duquel travaillait la victime ce jour-là aurait dû avoir connaissance du danger », dit le jugement rendu le 11 mai 2023, qui liste des infractions relevées par l’inspecteur du travail, notamment l’« absence d’habilitation électrique » et l’« absence de transcription de l’ensemble des risques dans le document unique d’évaluation des risques ».

      Fabien Prélat relève également que, comme pour Alban Millot, le code APE de l’entreprise ne correspond pas à son activité réelle. Elle est identifiée comme « distribution de produits informatiques, bureautique et papeterie ». Il estime par ailleurs que le gérant, « de fait », n’est pas celui qui apparaît sur les documents officiels. « Bien sûr, ce n’est pas ça qui a directement causé la mort de mon fils. Mais si l’Etat contrôlait mieux les choses, ces gens-là n’auraient jamais pu s’installer », s’emporte-t-il.

      « Pas assez de contrôles de l’inspection du travail »

      Cheffe du pôle santé et sécurité à la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), syndicat patronal, et elle-même gestionnaire d’une PME de charpente et couverture dans le Puy-de-Dôme, Cécile Beaudonnat s’indigne de ces pratiques. « Ce sont des gens contre qui on lutte, explique-t-elle. On les repère quand leurs clients nous contactent, dépités, quand ils comprennent que l’entreprise qui leur a mal installé des panneaux solaires n’avait ni les techniciens qualifiés, ni l’assurance professionnelle décennale », explique-t-elle.

      Normalement, pour s’installer, il y a l’obligation d’avoir une formation professionnelle qualifiante homologuée (au moins un CAP ou un BEP) ou de faire valider une expérience de trois ans sous la supervision d’un professionnel. « Malheureusement, il n’y a pas assez de contrôles de l’inspection du travail », déplore-t-elle. Avant d’ajouter : « Pour nous, c’est avant tout au chef d’entreprise d’être exemplaire, sur le port des équipements de protection, en faisant ce qu’il faut pour former ses salariés et en attaquant chaque chantier par une démarche de prévention des risques. Nous sommes une entreprise familiale, on n’a aucune envie d’avoir un jour un décès à annoncer à une famille. »

      « Il y a une bataille à mener pour faire changer les mentalités. Y compris chez les ouvriers, pour qu’ils ne se mettent pas en danger pour faire gagner plus d’argent à l’entreprise ! Quand on voit les dégâts que ça fait sur les familles… », s’attriste Denis Boutineau.

      Les deux parents d’Alexis Prélat ont obtenu, chacun, 32 000 euros en réparation de leur préjudice moral, sa sœur 18 000 euros. Ils espèrent maintenant un procès en correctionnelle. « La meilleure façon de changer les choses, c’est d’obtenir des condamnations exemplaires », estime Fabien Prélat.

      Fait rare, l’employeur d’Alban Millot a, lui, été condamné en correctionnelle à trente-six mois de prison dont dix-huit ferme. Il a fait appel du jugement. « Avant le procès, j’avais la haine contre ce type, confie Laurent Millot. L’audience et, surtout, une sanction telle que celle-là m’ont fait redescendre. »

    • Accidents du travail : quand les machines mettent en péril la vie des salariés
      https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/02/08/accidents-du-travail-quand-les-machines-tuent_6215360_3234.html

      Dans l’industrie, le BTP ou l’agriculture, les accidents liés à l’utilisation de machines comptent parmi les plus graves et les plus mortels. Employeurs, fabricants et responsables de la maintenance se renvoient la faute.

      Lorsqu’il prend son poste, ce lundi 27 décembre 2021, cela fait déjà plusieurs mois que Pierrick Duchêne, 51 ans, peste contre la machine qu’il utilise. Après deux décennies dans l’agroalimentaire, il est, depuis cinq ans, conducteur de presse automatisée dans une agence Point P. de fabrication de parpaings, à Geneston (Loire-Atlantique). Depuis un an et demi, la bonne ambiance au boulot, cette fraternité du travail en équipe qu’il chérit tant, s’est peu à peu délitée. L’atmosphère est devenue plus pesante. La cadence, toujours plus infernale. Les objectifs de #productivité sont en hausse. Et ces #machines, donc, « toujours en panne », fulmine-t-il souvent auprès de sa femme, Claudine.

      Ce jour-là, il ne devait même pas travailler. Mais parce qu’il était du genre à « toujours aider et dépanner », dit Claudine, il a accepté de rogner un peu sur ses vacances pour participer à la journée de maintenance et de nettoyage des machines. Pierrick Duchêne a demandé à son fils qu’il se tienne prêt. Dès la fin de sa journée, à 15 heures, ils devaient aller à la déchetterie. Mais, vers 11 h 30, il est retrouvé inconscient, en arrêt cardiorespiratoire, écrasé sous une rectifieuse à parpaing. Dépêché sur place, le service mobile d’urgence et de réanimation fait repartir son cœur, qui s’arrête à nouveau dans l’ambulance. Pierrick Duchêne meurt à l’hôpital, le 2 janvier 2022.

      Son histoire fait tragiquement écho à des centaines d’autres, se produisant chaque année en France. En 2022, la Caisse nationale d’assurance-maladie a recensé 738 accidents du travail mortels dans le secteur privé, selon son rapport annuel publié en décembre 2023. 1 % d’entre eux sont liés au « risque machine » – auquel on peut ajouter les accidents liés à la « manutention mécanique », de l’ordre de 1 % également. Selon l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), qui répertorie plus précisément les incidents de ce type, les machines sont mises en cause dans 10 % à 15 % des accidents du travail ayant entraîné un arrêt supérieur ou égal à quatre jours, ce qui représente environ 55 000 accidents. Dont une vingtaine sont mortels chaque année.

      « La peur suppure de l’usine parce que l’usine au niveau le plus élémentaire, le plus perceptible, menace en permanence les hommes qu’elle utilise (…), ce sont nos propres outils qui nous menacent à la moindre inattention, ce sont les engrenages de la chaîne qui nous rappellent brutalement à l’ordre », écrivait Robert Linhart, dans L’Etabli (Editions de Minuit), en 1978. L’industrie, et notamment la métallurgie, est un secteur d’activité dans lequel les risques pour la santé des ouvriers sont amplifiés par l’utilisation d’outils et de machines. Les employés agricoles, les salariés de la chimie ou les travailleurs du BTP sont aussi très exposés. Sur le terrain, les services de l’inspection du travail font régulièrement état de la présence de machines dangereuses.

      « Aveuglement dysfonctionnel »

      Si leur fréquence baisse depuis les années 1990, ces accidents sont souvent les plus graves, avec des blessures importantes, et les procédures qui s’ensuivent sont extrêmement longues. La responsabilité peut être difficile à établir, car plusieurs acteurs sont en jeu : l’employeur, le fabricant de la machine, l’installateur, la maintenance. La plupart du temps, chacun se renvoie la faute. Comme si la machine permettait à tous de se dédouaner.

      « Le risque zéro n’existe pas », entend-on régulièrement au sujet des accidents du travail, qui plus est quand une machine est en cause. Pourtant, le dysfonctionnement brutal que personne ne pouvait anticiper, qui accréditerait la thèse d’une infortune létale, n’est quasiment jamais à l’œuvre. Au contraire, les défaillances des machines sont souvent connues de tous. « Il peut s’installer une sorte d’aveuglement dysfonctionnel, analyse Jorge Munoz, maître de conférences en sociologie à l’université de Bretagne occidentale. Le problème est tellement récurrent qu’il en devient normal. »

      Une situation qui hante encore les jours et les nuits de Delphine et de Franck Marais, les parents de Ludovic. Personne ne pouvait soupçonner que ce jeune apprenti barman de 19 ans mettait sa vie en péril en servant pintes et cafés derrière le comptoir d’une brasserie réputée de Tours. Mais, le 16 décembre 2019, quelques minutes avant de rentrer chez lui, à 23 h 45, sa tête est percutée par le monte-charge des poubelles.

      La machine fonctionnait depuis des mois, voire plusieurs années, avec les grilles de protection ouvertes. « Quelqu’un a désactivé la sécurité qui empêchait le monte-charge de démarrer ainsi, grilles ouvertes », raconte Franck, le père. Qui ? Un salarié, pour gagner du temps ? L’employeur, pour que ses salariés aillent plus vite ? Le responsable de la maintenance, à la demande de l’employeur ? Un oubli du technicien ? « On ne saura probablement jamais, mais, finalement, là n’est pas la question, estime l’avocate des parents, Marion Ménage. Ce qui compte, c’est que l’entreprise savait qu’il fonctionnait grilles ouvertes et qu’elle n’a rien fait. »

      « Il se sentait en danger »

      Sécurité désactivée, maintenance non assurée, prévention déconsidérée… Les mêmes logiques, les mêmes légèretés face à des machines dangereuses reviennent méthodiquement dans les récits, soulignant le caractère systémique de ces événements dramatiques. « Les dispositifs de sécurité ralentissent parfois le processus de travail et empêchent de tenir la cadence, analyse Jorge Munoz. On peut être tenté de défaire le mécanisme et, donc, de mettre en péril l’utilisateur. » C’est cette logique mortifère qui a été fatale à Flavien Bérard. Le jeune homme de 27 ans était sondeur pour la Société de maintenance pétrolière (SMP), une entreprise de forage et d’entretien de puits pétroliers, gaziers et de géothermie.

      D’abord employé sur un site dans le Gard, où il s’épanouit malgré les conditions de travail difficiles, Flavien Bérard est transféré après une semaine à Villemareuil, en Seine-et-Marne. Il se retrouve sur un chantier de forage pétrolier dont est propriétaire SMP, « les puits du patron », comme on surnomme le lieu. Industrie lourde, à l’ancienne, rythme en trois-huit, rendements à tout prix… Flavien est confronté à un milieu dur et peu accueillant. « Il nous a vite dit que c’était difficile, se souvient sa mère, Fabienne. Le gaillard de 1,84 mètre, plus de 80 kilos, corps de rugbyman, est pourtant du genre à tenir physiquement.

      « Il nous a surtout dit qu’il se sentait en danger, que les machines étaient dangereuses et qu’il avait des doutes sur la sécurité », déplore aujourd’hui Fabienne Bérard. Ses inquiétudes s’avèrent prémonitoires. Alors qu’il avait décidé de ne pas poursuivre sur le site une fois sa mission arrivée à son terme, le 5 mars 2022, vers 4 heures, une pièce métallique d’une trentaine de kilos se détache d’une machine de forage et percute Flavien à la tête, une quinzaine de mètres plus bas. Il meurt le lendemain, à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris.

      « On nous a tout de suite parlé d’une erreur humaine, avec une sécurité désactivée », explique le père de la victime, Laurent Bérard. Selon l’avocat des parents, Lionel Béthune de Moro, le rapport machine de l’expert judiciaire ferait état de « 373 non-conformités », dont 3 concerneraient le système responsable de l’accident. « Une sécurité essentielle a été désactivée, pour le rendement », ajoute-t-il. « On nous a même dit que ce n’était pas la première fois qu’il y avait un problème avec cette machine », renchérit Fabienne Bérard.

      Complexité des procédures

      Ces exemples posent la question de la #prévention et de la maintenance. « L’objectif, c’est que les entreprises voient celles-ci comme un profit et non comme un coût », affirme Jean-Christophe Blaise, expert de l’INRS. L’institut a justement pour mission de développer et de promouvoir une culture de prévention des accidents du travail au sein des entreprises. « Dans certains cas, elle peut être perçue comme quelque chose qui alourdit les processus, qui coûte plus cher, complète Jorge Munoz. Mais l’utilisation d’une machine nécessite une organisation spécifique. »

      D’autant qu’une politique de prévention se déploie sur le long terme et nécessite des actions régulières dans le temps. Les agents de l’INRS travaillent sur trois aspects pour éviter les drames autour des machines : les solutions techniques, l’organisation du travail et le levier humain (formation, compétences, etc.). « Un accident du travail est toujours multifactoriel et il faut agir sur tout à la fois, souligne M. Blaise. La clé, c’est la maintenance préventive : anticiper, prévoir plutôt que subir. »

      Les accidents du travail liés aux machines ont un autre point commun : la complexité des procédures qui s’ensuivent. Plus de deux ans après les faits, Claudine Duchêne ne connaît toujours pas les circonstances exactes de la mort de son mari. « Je sais juste que la machine n’aurait pas dû fonctionner en ce jour de maintenance, qu’il n’aurait pas dû y avoir d’électricité », assure-t-elle. L’enquête de la gendarmerie a été close en juillet 2022, celle de l’inspection du travail a été remise à la justice en juin 2023. Celle-ci révélerait « une faute accablante sur l’organisation de la journée de maintenance », précise Claudine Duchêne. Depuis, elle attend la décision du parquet de Nantes.

      Aux enquêtes de police et de l’inspection du travail peut s’ajouter une expertise judiciaire, ralentissant encore un peu plus la procédure, comme dans le cas de Flavien Bérard. « L’attente est longue et douloureuse pour les familles, souligne Me Béthune de Moro. Plus il y a d’intervenants, plus cela alourdit les choses, mais c’est toujours pour éclairer la situation, dans un souci de manifestation de la vérité. » La famille attend désormais d’éventuelles mises en examen et une ordonnance de renvoi dans l’année pour un procès en 2025.

      Après l’accident de Ludovic Marais, le monte-charge a été mis sous scellé jusqu’en mars 2023, une procédure indispensable mais qui allonge encore les délais. Cela a empêché l’intervention d’un expert judiciaire pendant plus de trois ans. « Le nouveau juge d’instruction a décidé de lever les scellés et une nouvelle expertise est en cours », confie Me Ménage. Le rapport pourrait arriver d’ici à l’été. Sachant que les avocats de la défense pourront éventuellement demander une contre-expertise. La brasserie, le patron, la tutrice du jeune apprenti, Otis (la société ayant installé le monte-charge) et un de ses techniciens chargé de la maintenance sont mis en examen pour « homicide involontaire par violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité et de prudence dans le cadre du travail ». Un procès pourrait avoir lieu fin 2024 ou en 2025. La fin d’un chemin de croix judiciaire pour qu’enfin le deuil soit possible.

    • Accidents du travail : les jeunes paient un lourd tribut
      https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/02/09/accidents-du-travail-les-jeunes-paient-un-lourd-tribut_6215566_3234.html

      Entre les entreprises peu scrupuleuses et la nécessité pour les jeunes de faire leurs preuves dans un monde du travail concurrentiel, les stagiaires, élèves de lycées professionnels ou apprentis sont les plus exposés aux risques professionnels.

      Quatre jours. L’unique expérience professionnelle de Jérémy Wasson n’aura pas duré plus longtemps. Le #stage d’observation de cet étudiant en première année à l’Ecole spéciale des travaux publics, du bâtiment et de l’industrie (ESTP) devait durer deux mois, dans l’entreprise Urbaine de travaux (filiale du géant du BTP Fayat). Le 28 mai 2020, il est envoyé seul sur le toit du chantier du centre de commandement unifié des lignes SNCF de l’Est parisien, à Pantin (Seine-Saint-Denis). A 13 h 30, il fait une chute en passant à travers une trémie de désenfumage – un trou laissé dans le sol en attente d’aménagement – mal protégée. Il meurt deux jours plus tard, à 21 ans.

      L’accident de Jérémy a laissé la grande école du bâtiment en état de choc. « C’est ce qui m’est arrivé de pire en trente ans d’enseignement supérieur », exprime Joël Cuny, directeur général de l’ESTP, directeur des formations à l’époque. La stupeur a laissé la place à de vibrants hommages. Un peu courts, toutefois… L’ESTP ne s’est pas portée partie civile au procès, regrette Frédéric Wasson, le père de Jérémy, qui souligne que « Fayat est l’entreprise marraine de la promo de [s]on fils… », ou que, dès 2021, Urbaine de travaux reprenait des dizaines de stagiaires issus de l’école.

      #Stagiaires, élèves de lycées professionnels en période de formation en milieu professionnel, #apprentis… Les jeunes paient un lourd tribut parmi les morts au travail : trente-six travailleurs de moins de 25 ans n’ont pas survécu à un accident du travail en 2022, selon le dernier bilan de la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM). C’est 29 % de plus qu’en 2019. Et encore cela ne porte que sur les salariés du régime général. La CNAM souligne aussi que, par rapport aux autres accidents du travail, il s’agit davantage d’accidents « classiques, c’est-à-dire hors malaises et suicides », et d’accidents routiers.

      « Irresponsabilité totale »

      L’inexpérience de ces jeunes, quand elle n’est pas compensée par un accompagnement renforcé, explique en partie cette surmortalité. Quelque 15 % des accidents graves et mortels surviennent au cours des trois premiers mois suivant l’embauche, et plus de la moitié des salariés de moins de 25 ans morts au travail avaient moins d’un an d’ancienneté dans le poste.

      Tom Le Duault a, lui, perdu la vie le lundi 25 octobre 2021. Cet étudiant en BTS technico-commercial entame alors son quatrième contrat court dans l’abattoir de LDC Bretagne, à Lanfains (Côtes-d’Armor). Sa mère y travaille depuis vingt-neuf ans, et il espère ainsi mettre un peu d’argent de côté. Comme lors de ses premières expériences, il est « à la découpe », où il s’occupe de mettre en boîte les volailles. Ce matin-là, un salarié est absent. Tom doit le remplacer dans le réfrigérateur où sont stockées les caisses de viande. Il est censé y empiler les boîtes avec un gerbeur, un appareil de levage.

      « Sur les dernières images de vidéosurveillance, on le voit entrer à 9 h 53. Il n’est jamais ressorti, et personne ne s’est inquiété de son absence », regrette Isabelle Le Duault, sa mère. Il est découvert à 10 h 45, asphyxié sous deux caisses de cuisses de volaille. Elle apprend la mort de son fils par hasard. « J’ai vu qu’il y avait plein de monde dehors. Une fille m’a dit qu’il y avait un accident grave, elle m’a dit de demander si ce n’était pas mon fils au responsable. Il m’a demandé : “C’est Tom comment ?” C’était bien lui… »

      Les conclusions des enquêtes de gendarmerie et de l’inspection du travail ont vite écarté une éventuelle responsabilité du jeune homme. Jean-Claude Le Duault, son père, en veut à l’entreprise. « Tom n’a pas voulu les décevoir, vu que sa mère travaillait là. Mais on ne met pas un gamin de 18 ans seul dans un atelier, une heure, sans vérifier, sur un gerbeur. Il ne connaît pas les dangers, les règles de sécurité. C’est une irresponsabilité totale, à tous les étages. »

      Manquements

      Dans un monde du travail concurrentiel, les jeunes se doivent de faire leurs preuves. A quel prix ? Selon une enquête du Centre d’études et de recherches sur les qualifications publiée en 2020, 59 % des jeunes sortant de la voie professionnelle sont exposés à des risques de blessures ou d’accidents. Or, dans le même temps, ils n’ont pas la même connaissance de leurs droits. Toujours dans cette étude, 42 % déclaraient ne pas avoir reçu de formation ou d’informationsur la santé et la sécurité à l’arrivée sur leur poste. C’est le cas de Tom Le Duault, qui n’avait même pas de fiche de poste. Comme son utilisation du gerbeur n’était pas prévue, il avait été formé sur le tas.

      « Il avait déjà travaillé avec un appareil de levage lors de son précédent contrat, et il s’était déjà blessé à la cheville, ce qui avait causé trois semaines d’arrêt, fulmine Ralph Blindauer, avocat de la famille. Il a été formé par un autre intérimaire. C’était une formation à l’utilisation, pas à la sécurité ! »

      A l’absence d’encadrement et de formation s’ajoutent d’autres manquements, détaillés lors du procès de l’entreprise au pénal : l’appareil était défaillant, ce qui a vraisemblablement causé l’accident, et les salariés de LDC avaient l’habitude d’empiler les caisses sur trois niveaux au lieu de deux, faute de place dans la chambre froide, ce qui est contraire aux règles de sécurité.

      Le rôle du tuteur est crucial

      LDC Bretagne a été condamné, en mai 2023, à une amende de 300 000 euros, tandis que l’ancien directeur de l’#usine – devenu, entre-temps, « chargé de mission » au sein de l’entreprise – a été condamné à deux ans de prison avec sursis. Reconnaissant ses manquements, l’entreprise n’a pas fait appel, chose rare. La direction de cette grosse PME déclare que des mesures complémentaires ont été prises à la suite du décès de Tom, notamment un « plan de formation renforcé à la sécurité, des habilitations, une évaluation complète et approfondie des risques sur les différents postes, des audits par des cabinets indépendants ou le suivi d’indicateurs ».

      Un badge est désormais nécessaire pour se servir d’un gerbeur, ajoute Isabelle Le Duault. Elle a choisi de rester dans l’entreprise, mais à mi-temps. « Moi, je ne peux plus passer devant cette usine, ou même dans cette ville », renchérit son mari.

      En stage ou en apprentissage, le rôle du tuteur est crucial. Sur le chantier d’Urbaine de travaux, à Pantin, l’arrivée de Jérémy Wasson n’avait pas été anticipée. Le lundi matin, personne ne s’occupe de lui, car le chantier est en retard. Il ne reçoit rien d’autre qu’un livret d’accueil et un rendez-vous de quinze minutes pendant lequel on lui parle surtout des gestes barrières. « Jérémy s’est très vite interrogé sur la nature de son stage. Dès le premier jour, on lui a fait faire du marteau-piqueur, le mercredi soir, il trouvait ça fatigant et inintéressant. Ce soir-là, on a hésité à prévenir l’école… », raconte son père.

      Renforcer la formation à la sécurité

      La société Urbaine de travaux a été condamnée, en 2022, à 240 000 euros d’amende pour « homicide involontaire », et l’ingénieure en chef du chantier à 10 000 euros et deux ans de prison avec sursis. Cette décision du tribunal de Bobigny a confirmé les lourdes conclusions de l’inspection du travail, notamment la violation délibérée d’une obligation de #sécurité, l’absence d’encadrement et de formation de Jérémy et l’absence de #sécurisation de la trémie. L’entreprise a fait appel.

      Face à la violence de ces récits, qui concernent parfois des mineurs, le sujet a été érigé en axe prioritaire dans le plan santé au travail du gouvernement. Mais le choix du ministère du travail de publier deux mémentos qui mettent jeunes et entreprises sur le même plan, les invitant à « respecter toutes les consignes », peut étonner.

      Les écoles et centres de formation ont aussi un rôle à jouer pour renforcer la formation à la sécurité. En 2022, la CNAM a recensé plus de 1 million d’élèves et apprentis (CAP et bac professionnel) ayant reçu un enseignement spécifique en santé et sécurité au travail.

      Faciliter la mise en situation des adolescents

      A la suite du décès de Jérémy, l’ESTP a renforcé les enseignements – déjà obligatoires – sur la sécurité. Un élève ne peut se rendre en stage sans avoir obtenu une certification. « En cas de signalement, on fait un point avec les RH de l’entreprise, et si ça ne se résout pas, nous n’avons pas de scrupules à arrêter le stage. Mais je ne remets pas en cause la volonté des entreprises de créer un environnement de sécurité pour accueillir nos élèves », déclare Joël Cuny.

      Un argument difficile à entendre pour la famille de Jérémy Wasson… Car les #entreprises restent les premières responsables de la santé des jeunes sous leur responsabilité, comme du reste de leurs salariés. Le nombre d’apprentis a explosé ces dernières années, la réforme du lycée professionnel souhaite faciliter la mise en situation des adolescents.

      Par ailleurs, le gouvernement a annoncé l’obligation pour les élèves de 2de générale et technologique, dès 2024, d’effectuer un stage en entreprise ou en association de deux semaines, semblable au stage de 3e. La question ne s’est jamais autant posée : les employeurs mettront-ils les moyens pour protéger tous ces jeunes ?

      #apprentissage

    • Avec la sous-traitance, des accidents du travail en cascade, Anne Rodier
      https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/02/10/avec-la-sous-traitance-des-accidents-du-travail-en-cascade_6215798_3234.html

      Pression économique des donneurs d’ordre, délais resserrés, manque de prévention… Les salariés des entreprises en sous-traitance, en particulier sur les chantiers et dans le nettoyage, sont plus exposés aux accidents du travail. Surtout lorsqu’ils sont #sans-papiers.

      https://justpaste.it/axscq

      #sous-traitance

  • Aides à domicile, les sacrifiées de la santé
    https://disclose.ngo/fr/article/aides-domicile-sacrifiees-sante

    Le nombre d’accidents du travail chez les aides à domicile a augmenté de 110 % en dix ans. En cause, la précarisation du métier, la course à la rentabilité et les cadences extrêmes. Lire l’article

    • Le secteur associatif, qui emploie 230 000 personnes en France, n’est pas épargné par le mal-être des aides à domicile. Disclose a pu consulter les témoignages recueillis sur Pros-Consulte, une cellule d’écoute psychologique dédiée au milieu associatif. En 2021, 94 % des 1 419 appels reçus ont été émis par des femmes. Leur analyse donne un aperçu saisissant de la situation. Extraits : « Cette aide à domicile se dit en plein burn-out (…) elle sent qu’elle est en plein “pétage de plomb” après des années de travail intense » ; « Madame a été séquestrée hier par une bénéficiaire. Une intervention externe a été nécessaire pour la libérer. » Plus grave encore, le cas d’une femme « agressée sexuellement par le mari d’une bénéficiaire ». La psychologue ayant pris l’appel précise : « Madame a écrit un mail à sa direction pour relater les faits. Elle n’a toujours pas été contactée. Elle est en état de choc. »

      L’épuisement au travail finit parfois même par tuer. Comme ce jeudi 26 mai 2016, dans un petit village du Jura. Ce jour-là, Christine Rozet a succombé à un arrêt cardiaque au cours d’une intervention chez des personnes âgées. Agée de 58 ans, elle travaillait depuis treize ans pour le compte de l’association d’Aide à domicile en milieu rural (ADMR), près de 94 000 salariés répartis sur toute la France. « Le jeudi, c’était sa grosse angoisse. Elle commençait très tôt et finissait très tard, se remémore sa fille, Maryline Rozet, 39 ans. Le midi, elle mangeait en roulant dans sa voiture. »

    • « C’est la joie ! »

      Rachel Kéké et Sylvie Kimissa, femmes de chambre de l’Hôtel Ibis Batignolles : « Je vais reprendre le travail la tête haute, j’ai eu mes droits »

      Après vingt-deux longs mois de mobilisation, elles ont obtenu un accord améliorant leurs salaires et leurs conditions de travail.

      Pousser le chariot, enlever le linge sale, changer les poubelles, laver la salle de bains, les toilettes, faire la poussière, refaire le lit entièrement, passer l’aspirateur, la serpillière… « On devait faire ça en dix-sept minutes, trente fois de suite ! », explique Rachel Kéké.
      « Y a pas de mots pour décrire la souffrance qu’on endurait, l’interrompt Sylvie Kimissa. Et c’était impossible de refuser quoi que ce soit parce qu’on avait peur d’être licenciée. » « Dur dur ménage » , chantait à l’automne 2020 dans un clip en forme d’hommage le mari de Rachel Kéké, l’artiste ivoirien Bobbyodet.

      Arrive ce jour où, pour la première fois, elles entendent parler de syndicalisme dans la bouche d’un délégué CFDT. « Tout de suite, ça m’a intéressée » , raconte Rachel Kéké. Mais ce sera d’abord beaucoup de désillusions. « On a connu des délégués du personnel qui ne faisaient pas grand-chose pour que ça change. » Alors elles commencent à s’impliquer, sans mandat.
      Devenue gouvernante, Rachel peut passer dans les étages pour mobiliser autour d’elle. D’abord pour de petits débrayages. Comme ce jour où elles n’avaient pas été payées double pour leur travail du 1er mai. « On a toutes arrêté de travailler. Le directeur n’en croyait pas ses yeux. Le lendemain, à 7 heures, il nous signait des chèques pour payer ce qu’il devait ! » , se rappelle fièrement Rachel Kéké. Sylvie Kimissa en rit encore, complices. « Rachel, c’est devenu plus qu’une sœur. On s’appelle cinq fois par jour ! »

      Les sous-traitants se succèdent. Le dernier, STN, reprend le contrat en 2016. « Les cadences étaient infernales. Si une copine était arrêtée, ils n’embauchaient pas : je me retrouvais avec quarante chambres à faire en six heures , explique Sylvie Kimissa. C’était impossible, donc on débordait tout le temps, sans être payées plus. » Un jour, elles constatent que des collègues victimes de troubles musculo-squelettiques sont mutées dans des 5-étoiles – où le travail est encore plus difficile. C’est « la goutte d’eau ».

      Estimant que ni la CFDT, ni FO, ni la CGT propreté ne sont à même de les défendre comme elles l’entendent – « sans les infantiliser » –, elles tapent à la porte de Claude Lévy, secrétaire général de la CGT-HPE (Hôtels de prestige et économiques). « Il nous a dit : “Vous savez que vous devez être payées à l’heure, pas à la chambre ?” Comment est-ce possible qu’aucun syndicat avant lui ne nous ait jamais dévoilé ce secret ?, s’indigne Rachel Kéké. On s’est dit : lui, il va nous aider. Et on s’est syndiquées ! »

      https://justpaste.it/7pqby

      Le clip « Dur dur ménage »https://seenthis.net/messages/885325

      Vidéo sur la lutte, il y a quatre mois https://seenthis.net/messages/899091

      Texte de Tiziri Kandi CGT–HPE (Hôtel de Prestige et Économique) https://seenthis.net/messages/819486

      #travail #Femmes #mères #migrantes #grève #solidarité #hôtellerie #Accor #Ibis #nettoyage #syndicalisme #sous-traitance #cadences #conditions_de_travail #précarité en #CDI #salaire

  • Le #confinement en France a transformé en enfer la vie dans les call centers de Free au Maroc | StreetPress
    https://www.streetpress.com/sujet/1594305467-confinement-france-enfer-vie-call-centers-free-delocalisatio

    Chez Free, on se vante d’avoir un service client accessible par #téléphone sept jours sur sept, de sept heures du matin à minuit, toute l’année sauf le 25 décembre et le 1er janvier. Pas mal comme publicité et pratique pour les clients. Mais pour fournir ce service, l’entreprise française impose des #cadences infernales à ses « conseillers » en partie installés au Maroc. Et durant la période du confinement, la situation s’est encore dégradée.

    Durant au moins quinze jours, les équipes marocaines de Free (comme les françaises, majoritairement passées au télétravail) ont été contraintes de travailler plus pour assurer le service. StreetPress a recueilli plusieurs témoignages de conseillers techniques, pour la plupart jeunes et diplômés. Ils racontent une véritable #souffrance au #travail. Ils font face à la fois à la peur du #coronavirus, à de fortes pressions de leurs managers et à un rythme de travail encore plus intense, frisant régulièrement le $burn-out. À l’autre bout du fil, c’est un flux ininterrompu de clients français confinés parfois hargneux, dépendants d’internet pour télétravailler et excédés par l’indisponibilité des techniciens.

  • Amazon lève une armée de salariés pour se défendre sur Twitter
    http://www.lefigaro.fr/societes/amazon-leve-une-armee-de-salaries-pour-se-defendre-sur-twitter-20190816

    Depuis 2018, ces ambassadeurs sont chargés de patrouiller à temps plein sur les réseaux sociaux, et de répondre aux tweets dénonçant les conditions de travail au sein d’#Amazon, largement critiquées aux États-Unis. Cette année, le groupe a ainsi fait face à des #grèves de ses employés, dénonçant l’augmentation des #cadences de #travail, les salaires faibles et un stress élevé lié à la demande et aux promotions.

    Les tweets des « ambassadors » consistent globalement à redorer le blason d’Amazon en expliquant les apports de l’entreprise au niveau professionnel comme personnel. Ils peuvent aussi démentir les abus dénoncés par certains employés. « Je souffre aussi de dépression, et j’en suis venue à vouloir quitter Amazon. Mais j’ai réalisé que c’était de ma faute, à cause de mes problèmes, et pas celle d’Amazon.

    #sans_vergogne

  • Grève à Ryanair les 25 et 26 juillet : 600 vols annulés en Europe Belga - 18 Juillet 2018 - RTBF
    https://www.rtbf.be/info/economie/detail_ryanair-la-greve-du-personnel-de-cabine-des-25-et-26-juillet-est-mainten

    La compagnie aérienne irlandaise à bas coût Ryanair a annoncé mercredi l’annulation de 600 vols en Europe les 25 et 26 juillet, en raison d’une grève des personnels de cabine en Espagne, Portugal et Belgique. Ces annulations vont toucher un total de 100.000 passagers sur les deux jours, selon la compagnie.

    « Jusqu’à 200 vols quotidiens » seront annulés depuis/vers l’Espagne, 50 depuis/vers le Portugal et 50 depuis/vers la Belgique, a indiqué la société dans un communiqué. Soit 300 vols par jour et 600 sur les deux jours de grève, a confirmé un porte-parole de la compagnie.
    Début juillet, cinq syndicats ont lancé un appel à la grève pour les personnels de cabine de Ryanair en Belgique, Espagne, Portugal et Italie. Dans ce dernier pays, la compagnie s’attend en revanche à ce que son activité se déroule « comme prévu », a indiqué un porte-parole de Ryanair.
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    http://images-cdn.impresa.pt/expresso/2018-04-16-Greve-na-Ryanair-/original/mw-960
    Les syndicats ayant appelé à cette grève demandent notamment que la compagnie applique la législation de chacun des pays dans lesquels elle emploie du personnel et qu’elle accorde les mêmes conditions de travail aux salariés directement sous contrat avec la compagnie et à ses intérimaires.
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    Ryanair ne reconnaît pour l’instant qu’au compte-gouttes les syndicats représentant son personnel (pilotes et personnels de cabine). Ceux qui appellent à cette grève fin juillet ne sont pas reconnus. Début juin, deux syndicats de personnels de cabine ont été reconnus par Ryanair en Italie, une première pour cette catégorie de salariés.

    #ryanair #gréve #conditions-de-travail #protection-sociale #esclavage #management #harcèlement #cadences #discrimination #low-cost #entreprise #monde_du_travail #jenaijamaisvoléenryanair #transport_aérien #compagnies_aériennes

  • Ehpad : le système de soins en accusation / Les maisons de retraite, " machines à broyer " Le Monde (mel transmis)

    Sept syndicats appellent à la grève mardi 30 janvier dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (#Ehpad)

    Ce mouvement de protestation est soutenu par l’association des directeurs d’établissement, qui réclament eux aussi davantage de moyens

    Aides-soignants, infirmiers, cadres de santé : les personnels déplorent une dégradation de leurs conditions de travail dans le privé et dans le public

    " Je ne souhaite à personne d’être brusqué comme on brusque les résidents ", témoigne une ex-salariée d’une maison de retraite de l’Ardèche

    " Nous devons effectuer douze à quinze toilettes par matinée ", raconte une aide-soignante, dénonçant des cadences intenables

    Les maisons de retraite, " machines à broyer "

    Confrontés à des conditions de travail éprouvantes, les salariés des Ehpad sont appelés à la grève, mardi

    LES CHIFFRES
    728 000
    C’était le nombre de résidents accueillis dans des -établis-sements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) fin 2016.

    85 ans
    La moyenne d’âge à l’entrée en établissement.

    6 pour 10
    C’est le taux moyen d’encadrement. Les directeurs d’Ehpad en réclament 8 pour 10, les syndicats de salariés 10 pour 10. Les mieux dotés sont les établissements -publics rattachés à un hôpital.

    Les chambres étaient neuves, les murs peints de couleurs vives. On avait mis des tablettes numériques et même un aquarium dans le " lieu de vie " de cette maison de retraite de Provence-Alpes-Côte d’Azur. Stéphanie Crouzet, aide-soignante de 40 ans, espérait avoir trouvé enfin " un lieu où on me laisserait le temps de faire convenablement mon travail ". Un mois plus tard, les poissons étaient morts. On les avait laissés au fond du bocal, faute d’entretien.Un soir, au moment du coucher, une résidente avait confié avoir vécu " un grand luxe, parce qu’elle avait eu le droit à une douche ". C’était sa sixième en six mois.

    " L’ascenseur parlait plus souvent aux résidents que le personnel de soin ", résume l’aide-soignante,qui a préféré arrêter les remplacements dans cet établissement privé, où la chambre coûte au moins 3 000 euros par mois à un résident. Une situation extrême, de l’aveu de Stéphanie Crouzet, mais qui reflète la malaise grandissant du personnel soignant des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).

    Aide-soignants, infirmiers, cadres de santé : ils sont nombreux à déplorer la dégradation de leurs conditions de travail en maison de retraite, dans le privé comme dans le public. A partager ce sentiment que " tout est fait pour inciter à la maltraitance ", constate Stéphanie Crouzet, du haut de ses onze ans d’expérience.

    " Tête, mains, cul "
    Mardi 30 janvier, tous sont appelés à une grève nationale intersyndicale inédite pour dénoncer " l’insuffisance des effectifs et des moyens ", dans ce secteur où les taux d’accidents du travail et d’absentéisme sont trois fois supérieurs à la moyenne.Un appel à la mobilisation maintenu malgré l’annonce par la ministre de la santé, Agnès Buzyn, du déblocage de 50 millions d’euros, en plus des 100 millions d’euros déjà accordés fin décembre. Un " pansement pour une jambe de bois ", selon les syndicats.

    Dans un appel à témoignages publié sur LeMonde.fr, nombre d’entre eux, particulièrement éreintés et en colère, nous ont fait remonter leurs conditions de travail, comme ils le font depuis plusieurs semaines sur les réseaux sociaux sous le hashtag #BalanceTonEhpad. Certains ont préféré l’anonymat, d’autres ont choisi de publier leur nom, pour ne plus cacher leur malaise.

    Car travailler dans un Ehpad, c’est pratiquer une gymnastique comptable de tous les instants. Jessica Colson, 34 ans, a fait et refait ses calculs. Soixante-trois résidents dans son établissement privé de Moselle. Quatre aides-soignantes le matin, deux l’après-midi. Ce qui laisse quatre minutes par patient pour lever, faire sa toilette matinale, changer et habiller ; trois minutes et vingt secondes pour déshabiller, changer, soigner, et coucher.

    Pour tenir le rythme, " on expédie en priant pour qu’il y ait le moins d’imprévus, de demandes des patients qu’on devra faire semblant de ne pas entendre ", dit Olga C., 36 ans, qui travaille dans un établissement en Bretagne. Pour la toilette, c’est la " méthode #TMC ", pour " tête, mains, cul ". Une situation qui ne fait qu’empirer avec le départ de deux de ses collègues, embauchées en contrats aidés. Depuis, Olga C. dit attendre le jour où " on mettra tous les résidents sous la même douche avec un jet pour aller plus vite ".

    Sans cesse, on tire, on saisit sans précautions, parce qu’on n’a pas le temps. Les bleus apparaissent parfois sur les bras de ces résidents à la peau qui marque si facilement. " On dit qu’ils sont tombés ", raconte Olga C.

    A table, le rythme n’est pas moins intense. Justine L., 29 ans, dont dix ans comme aide-soignante, raconte ces repas avec " quinze personnes à faire manger en une heure – ça fait quatre minutes par tête ". Alors parfois, certaines abdiquent. C’est une assiette où l’entrée, le plat chaud et le fromage sont mélangés pour réduire la durée des repas. Une " bouillie qu’on ne servirait pas à un chien ", regrette Justine L., qui désespère de " voir certains résidents se laisser mourir de faim ". " A un moment, la société s’est dit : “Ce n’est plus l’humain qui est important” ", analyse l’aide-soignante, dont la mère faisait le même métier, " mais pas dans les mêmes conditions ".

    Les traitements médicaux n’échappent pas à cette course effrénée. " Je bâcle et agis comme un robot ", raconte Mathilde Basset, infirmière de 25 ans, seule en poste pour 99 résidents répartis sur les trois étages de son Ehpad de l’Ardèche, sis au sein même de l’hôpital. " Je ne souhaite à personne d’être brusqué comme on brusque les résidents ", dit celle qui a préféré quitter fin 2017 cette " usine d’abattage qui broie l’humanité des vies qu’elle abrite, en pyjama ou en blouse blanche ", comme elle l’a expliqué dans un post Facebook partagé plus de 20 000 fois.

    Bien sûr, la situation n’est pas aussi dégradée dans tous les Ehpad de France. Nombre de soignants rappellent combien " les choix de la direction peuvent limiter la casse " ou que " des manageurs parviennent à rendre l’environnement de travail respirable ". Tous pourtant déplorent un rythme de travail devenu infernal au fil des ans.

    Car la pression n’est pas seulement sur les cadences. Chaque dépense est scrutée. Pascal N. a travaillé pendant trois ans comme cadre de santé dans un établissement public du Vaucluse. " Il fallait toujours faire avec, ou plutôt sans ", résume-t-il. Economies sur les pansements, sur les séances de kiné, les activités.

    Dans certains établissements, une règle tacite est imposée : trois " protections " par jour par résident, pas plus – souvent, les stocks sont mis sous clé. Les culottes que les résidents peuvent baisser eux-mêmes sont dix centimes plus chères ? " Qu’ils fassent dans leur couche, on viendra les changer ", donne-t-on pour consigne à Pascal N. Tant pis si cela les rend incontinents, et plus dépendants encore d’une équipe en sous-effectif chronique. " Le fric, c’était la seule logique ", dit celui qui est reparti travailler en psychiatrie, " où il n’y a pas de pression de rendement ".

    " Burn-out "
    Quelle place dans ce contre-la-montre quotidien pour les discussions, les suivis personnalisés ? Stéphanie Crouzet continue de se battre pour grapiller ces instants. Comme avec cette résidente atteinte de Parkinson qu’elle a tenté de faire marcher quelques minutes chaque jour. Jusqu’à ce que sa direction lui rétorque que " cette dame est entrée sous conditions que son état ne s’améliore pas ". " Il ne fallait pas qu’elle repose le pied par terre ", raconte l’aide-soignante. Sa collègue, elle, reçoit pour consigne d’arrêter de sourire : " Vous respirez le bonheur, ça vous rend pas crédible auprès des résidents. "

    " C’est à celle qui s’en fout le plus, et quand on s’en fout pas, on devient fou ", résume Mélanie L., aide-soignante dans le Nord de la France. Elle s’attriste de voir des personnels arrivés là seulement parce que ça embauchait, sans " vocation ni envie de prendre soin ". Les difficultés de recrutement sont immenses pour les directions : même les écoles d’aide-soignants ne font plus le plein.

    A l’inverse, Mélanie L. dit avoir toujours eu " le goût des vieux ". De leurs cheveux fins et de leurs rides qui font " comme des cartes d’un pays étranger ". Toucher leur peau, la laver, en prendre soin, " c’est un peu comme si je partais en voyage ", dit-elle souvent à ses proches. Depuis deux mois pourtant, cette femme de 46 ans, dont vingt-six dans des maisons de retraite, a pris de la distance. " Burn-out ", a répondu son médecin, quand elle lui a raconté ses insomnies, ses tendinites à répétition, ses douleurs de dos, sa " boule de nerfs au ventre ", ses infections urinaires sans fin. " Le corps qui sort le drapeau blanc ", dit-elle pudiquement pour résumer une bataille qui durait pourtant depuis plusieurs années déjà.

    Pour Jessica Colson, la " machine à broyer " est en place. L’aide-soignante dit avoir " souvent envie de tout lâcher ". Quand elle en parle, elle ne dit plus " si je craque ", mais " quand je craquerai ".

    Charlotte Chabas

    Personnels et directeurs unis pour une mobilisation inédite

    L’octroi, jeudi 25 janvier, d’une nouvelle enveloppe de 50 millions d’euros par le gouvernement n’a pas convaincu

    C’est une première. Mardi 30 janvier, les personnels des maisons de retraite sont appelés à la grève par sept syndicats (CGT, CFDT, FO, UNSA, CFTC, CFE-CGC et SUD) avec le soutien de l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA). Des débrayages dans les établissements et des rassemblements sont prévus dans toute la France, dont un devant le ministère de la santé, à Paris. Il n’est pas prévu que les représentants syndicaux y soient reçus.

    " Il est inadmissible de ne pas prendre en compte la souffrance au quotidien que subissent professionnel, et par là même personnes âgées et familles ", commentent les organisations syndicales dans un communiqué publié dimanche 28 janvier.

    Voici plusieurs mois qu’elles sonnent l’alarme sur la détérioration des conditions de travail dans les Etablissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), et par conséquent la dégradation de l’accompagnement des résidents. Ces derniers arrivent en établissement de plus en plus âgés, atteints de handicaps physiques et de troubles psychiques de plus en plus importants. Le personnel n’est pas assez nombreux ni assez préparé.

    " Nous devons effectuer douze à quinze toilettes par matinée, a témoigné Sandrine Ossart, aide-soignante dans un Ehpad de Nantes et militante CGT, le premier syndicat du secteur, jeudi, lors d’une conférence de presse. Pour le lever, l’habillage et la mise au fauteuil, nous avons dix minutes. A l’école, il nous en fallait quarante. On sert les aliments mixés parce que ça va plus vite. Les résidents ne sortent plus. Ils font leurs besoins dans leurs protections parce qu’on n’a pas le temps de les accompagner aux toilettes. "

    " On arrive au bout "
    " Cela fait des années que cette mobilisation sociale couve. Le système ne tient plus que sur les bonnes volontés des salariés, on arrive au bout, commente Claude Jarry, de la Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et services pour personnes âgées. Je me réjouis que les salariés lancent ces revendications et j’espère que les familles vont aussi faire les mêmes demandes. "

    La première réclamation du mouvement est l’augmentation du taux d’encadrement en Ehpad. Variable selon les établissements, il est aujourd’hui en moyenne de 6 soignants pour 10 résidents. Les syndicats réclament le " un pour un " (ou 10 soignants pour 10 résidents). Aujourd’hui, un tiers des établissements n’ont pas de médecin coordinateur. " C’est tout simplement illégal ! ", relève Jean-Paul Zerbib, au nom de la CFE-CGC.

    La réforme du financement des établissements, votée sous le précédent quinquennat et mise en œuvre par le gouvernement, est en outre dans le viseur. " Cela consiste à prendre aux moins pauvres, qui ont un ratio d’encadrement de 7 pour 10, pour donner aux plus pauvres, qui sont à 5,5 ", s’insurge Pascal Champvert, président de l’AD-PA. Les syndicats demandent également un renforcement de l’attractivité des métiers du secteur, qui peine à recruter.

    La ministre de la santé, #Agnès_Buzyn, tente depuis plusieurs jours d’éteindre l’incendie. Elle s’est élevée, vendredi, lors d’une visite dans un établissement relativement bien doté de Chevreuse (Yvelines), contre un " “Ehpad bashing” qui pointe des dysfonctionnements ". " Je ne veux pas les nier, mais ce ne sont pas des généralités ", a-t-elle affirmé, annonçant le lancement d’une enquête de satisfaction en Ehpad, comme il en existe à l’hôpital.

    Mme Buzyn s’est en outre engagée à ce que la réforme de la tarification n’aboutisse à " aucune réduction de postes ". Un médiateur sera nommé afin de suivre sa mise œuvre. La ministre a rappelé que les moyens alloués aux Ehpad ont été augmentés de 100 millions d’euros dans le budget 2018 de la Sécurité sociale, dont 72 millions d’euros pour créer des postes de soignants, et 28 millions pour les établissements en difficulté. Une enveloppe supplémentaire de 50 millions d’euros a été annoncée pour ces derniers, jeudi. En vain, l’appel à la mobilisation a été maintenu.

    Ces mesures sont qualifiées par les syndicats de " broutilles " et de " provocation " au regard des besoins. " Il ne s’agit pas d’un problème qui concerne seulement quelques établissements en difficulté, mais du sort que veut réserver la nation à ses aînés ", affirme Jean-Claude Stutz, secrétaire national adjoint de l’UNSA Santé-sociaux. Une réforme globale du financement du secteur, réclamée par les syndicats, a été annoncée par plusieurs gouvernements, mais n’a jamais été réalisée.

    Ch. C. et Gaëlle Dupont

    #santé #retraités #cadences #Burn-out #aides_soignantes #infirmières #vieux #broutilles #gouvernement

  • Cadences effrénées, forte pression... le quotidien alarmant des pilotes de #ryanair Le figaro - Clémentine Maligorne Valérie Collet - 29 Novembre 2017
    http://www.lefigaro.fr/social/2017/11/29/20011-20171129ARTFIG00113-ces-pilotes-de-ryanair-qui-evoquent-des-condition

    TÉMOIGNAGES - _ La compagnie irlandaise, qui a été contrainte d’annuler des milliers de vols jusqu’à fin mars, est confrontée à une mobilisation inédite de ses pilotes. Trois d’entre eux, qui travaillent ou qui ont travaillé pour Ryanair racontent leurs conditions de travail.

    Depuis deux mois, les langues se libèrent au sein des équipes navigantes de Ryanair. Alors que le premier transporteur européen a été contraint d’annuler brutalement plus de 18.000 vols jusqu’à fin mars 2018 notamment à cause d’une mauvaise gestion des congés de ses pilotes mais aussi de nombreux départs, trois pilotes qui travaillent ou qui ont travaillé pour la compagnie irlandaise à bas coût ont accepté de témoigner auprès du Figaro, sous couvert d’anonymat, de leur quotidien chez Ryanair.


    Des cadences de travail à la « limite de la légalité »
    Après avoir volé durant 10 ans en tant que commandant de bord pour la compagnie aérienne irlandaise, Jacques
    « revit » depuis qu’il a quitté l’an dernier Ryanair pour une autre low-cost offrant une meilleure qualité de travail. « Après avoir changé d’employeur, je me suis rendu compte dans quel état de fatigue j’étais quand je travaillais pour Ryanair. J’acceptais beaucoup de choses sous la pression morale et temporelle. » Il décrit des cadences de travail très soutenues, à la « limite de la légalité » : des journées de 13 heures de service, 900 heures de vol par an, « des seuils maximum autorisés pour un pilote, mais pour Ryanair qui sont la norme », souligne-t-il. Il évoque des avions qui tournent « 18 heures par jour pour pouvoir être rentables » et des équipages qui enchaînent souvent jusqu’à six étapes dans une journée, le maximum légal.

    « Personnellement ça m’est arrivé de m’endormir dans le cockpit, de faire des micro-siestes de 10 minutes car je n’arrivais plus à lutter, confie Jacques. J’étais censé répondre à la radio mais mon copilote l’a fait à ma place. Ça n’arrive pas que chez Ryanair, mais c’est régulier. » Georges*, la cinquantaine, est commandant de bord depuis trois ans chez Ryanair. Salarié de la compagnie, avec un contrat de travail irlandais. Pilote expérimenté, il confirme que le rythme est particulièrement soutenu et avoue aussi : « Ça m’est déjà arrivé de dire à mon collègue copilote, je vais dormir pendant 10 minutes, de manière à récupérer, pour tenir le coup ».« Aucun pilote ne dort dans le cockpit » rétorque de son côté la compagnie, précisant que les pilotes « volent 18 heures par semaine et bénéficient de quatre jours de repos - un week-end double après 5 jours de travail ».

    Comparé aux hôtesses de l’air et aux stewards, les commandants de bord se disent toutefois « bien traités ».« Durant les rotations (le temps où l’avion arrive et repart), une hôtesse doit s’occuper du débarquement des passagers, du nettoyage de l’avion, vérifier les équipements de sécurité, puis réembarquer 200 personnes, tout ça en 25 minutes, détaille Jacques. Une fois que l’avion est parti, elle doit alors vendre, vendre et encore vendre. Souvent, elle ne peut même pas manger ou s’asseoir en 10 heures de vol, alors que nous, les pauses, on les prend en vol, entre une fin de montée et un début de descente. C’est encore gérable. »

    Des menaces sur les résultats de ventes à bord
    Hôtesses et stewards « subissent des pressions et des menaces permanentes sur leurs résultats de ventes de produits à bord des appareils », assurent ce pilote qui raconte avoir assisté plus d’une fois à des scènes où des hôtesses fondaient en larmes après avoir été recadrées par leur hiérarchie. Deux courriers types adressés à des personnels navigants, qui ont été transmis au Figaro, témoignent en effet de cette pression exercée sur les PNC (hôtesse de l’air et steward). Sont listés une dizaine de produits (cosmétiques, parfums, cadeaux, snacks, boisson, etc...) avec les statistiques de vente. Dans ces deux lettres, il est reproché au destinataire du courrier de ne pas avoir assez vendu sur une période allant du 1er avril au 19 novembre.

    « Cette performance n’est pas acceptable et il est clair que vous n’avez pas fait convenablement votre travail à bord » peut-on lire. « Ces revenus annexes sont importants pour Ryanair et notre équipage reçoit 10% de tout ce qui est vendu à bord », souligne le manager. « Je dois ajouter que votre performance sera surveillée attentivement durant les deux prochains mois. S’il n’y a pas de progrès significatif vous serez soumis à une procédure disciplinaire. » Interrogée, Ryanair affirme ne pas envoyer ce genre de courriers... « Il n’y a pas de pression pour vendre à bord, nous assure-t-on. Les membres d’équipage sont incités à vendre des produits à bord et sont récompensés par des primes de vente ».

    « Statistiques sur la consommation de carburant »
    Les commandants de bord ressentent eux aussi une pression exercée par la hiérarchie qui prend son personnel « rien moins que pour un outil de production ». « Tous les mois, on nous demande nos statistiques sur la consommation de carburant. On doit voler à des vitesses économiques, moins vite que les autres. Moi je n’y prête aucune attention, mais certains pilotes se mettent une pression supplémentaire avec ça », rapporte Georges. Là encore, Ryanair assure ne pas exercer ce type de pression en dépit des témoignages.

    Lorsqu’il était encore salarié de Ryanair, Jacques, lui, raconte cependant avoir tenu plusieurs fois tête à sa hiérarchie. « Pour avoir refusé d’assurer un dernier vol après une journée particulièrement compliquée et fatigante pour l’équipage, j’ai été convoqué deux fois à Dublin. On m’a bien fait comprendre que ça ne devait plus se reproduire. J’étais pourtant arrivé à la limite réglementaire de mon temps de travail. L’équipage et moi-même n’étions plus aussi frais et réactifs, c’était une question de sécurité », ajoute le commandant de bord qui travaille maintenant pour une autre compagnie aérienne. « Il y a en effet une pression pernicieuse de la part du management chez Ryanair. Quand on appelle Dublin, jamais un bonjour, ni au revoir, ni merci », renchérit Georges. « Pendant nos jours de récup il n’est pas rare qu’ils nous appellent pour qu’on vienne bosser. Et beaucoup n’osent pas dire non. »

    Toutefois, ce pilote, salarié de la compagnie irlandaise, s’estime encore chanceux et privilégié par rapport à d’autres collègues. « Les conditions sont bien plus dures pour les jeunes qui commencent », dénonce-t-il. Car chez Ryanair, la majorité des pilotes - une minorité selon Ryanair - sont employés en tant qu’autoentrepreneurs via une multitude de petites structures juridiques ad hoc de droit irlandais. Ce sont souvent de jeunes recrues qui débutent dans le métier et qui sont payées à l’heure de vol (entre 130 et 140 euros de l’heure pour un commandant de bord - plus de 170 euros selon Ryanair) mais pas sur leur temps de travail au sol.

    « Autoentrepreneur parce que je n’ai pas eu le choix »
    Mike*, 28 ans, fait partie de ceux-là. Il a commencé sa carrière dans la compagnie irlandaise il y a trois ans. « J’ai un statut d’autoentrepreneur parce que je n’ai pas eu le choix, explique-t-il. Le briefing, les temps d’attente à la suite de retards ou d’incidents techniques ne sont pas comptabilisés et pas rémunérés. Sans compter le temps passé pour me rendre sur une autre base que la mienne lorsque c’est le cas. »
    Sa rémunération globale est d’environ 35% supérieure au salaire qu’il pourrait percevoir en France. « Mais je dois prendre en charge mon assurance maladie, mettre de l’argent de côté pour ma retraite et payer mes frais de transport et de logement lorsque je me rends dans une autre base de la compagnie pour prendre mon service, détaille-t-il. Je suis remboursé par la compagnie, mais sur une base forfaitaire de 150 euros pour un vol et une nuit sur place, assure-t-il. Si je suis malade et que je ne peux pas prendre mon service, je fais une requête. Au bout de deux absences, je suis convoqué au siège pour une réunion et au bout de trois, mon contrat est rompu. »

    En outre, les jeunes recrues doivent payer de leur poche 29.500 euros de formation pour voler chez Ryanair, ce que la compagnie dément. « Ces jeunes, sans expérience, à qui l’on demande au passage de devenir des chefs d’entreprise, se retrouvent en plus avec un prêt sur le dos » assure pourtant Georges. « Ça leur met un sérieux stress » ajoute ce commandant de bord qui a déjà 30 ans d’expérience au compteur.

    « Je n’ai pas à me plaindre de ma situation à côté des jeunes pilotes. Mais Ryanair, c’est vraiment le low cost du low cost. C’est dommage, car dans le fond, la compagnie se porte bien. Mais si demain, une autre compagnie comme Norwegian Airlines ou Easyjet s’installe près de chez moi, je n’aurais aucun scrupule à partir. » Preuve, s’il en est, que l’herbe n’est pas si verte que ça chez Ryanair.

    #esclavage #management #autoentrepreneur #harcèlement #cadences #danger #sieste #discrimination #low-cos #entreprise #monde_du_travail #balancetonporc #violence

  • VIDEO. « On nous robotise » : une infirmière dénonce les #cadences infernales à l’hôpital
    http://www.francetvinfo.fr/sante/hopital/video-on-nous-robotise-une-infirmiere-denonce-les-cadences-infernales-a

    « Envoyé spécial » est de retour le 7 septembre, avec notamment une enquête sur les conséquences des nouvelles méthodes de management dans les #hôpitaux_publics, désormais soumis à la #loi_du_marché. Dans ce témoignage, une infirmière décrit, à visage caché, des conditions déshumanisantes qui transforment son métier en #travail à la chaîne. Extrait.

    « Si tu fais comme ça, on va pas avancer ! » "Faire comme ça", c’est-à-dire, au moment de la toilette, recouvrir d’une serviette la poitrine des femmes ou le sexe des patients : un geste simple pour respecter un minimum leur pudeur, surtout quand ils sont trois dans une même chambre. Mais un geste qui prend trop de temps… Sous la pression d’une collègue qui veut la faire accélérer, l’infirmière est obligée d’y renoncer. Et de faire face, désolée, au regard plein d’incompréhension de sa patiente.

    Car la toilette d’un patient hospitalisé est un acte chronométré, à accomplir en treize minutes et deux gants maximum. Douze toilettes en deux heures quarante-cinq, c’est la norme exigée pour les infirmières. Irréalisable sur des personnes à mobilité réduite, par exemple. 

    Sous pression, le personnel soignant devient involontairement maltraitant. La jeune femme avoue qu’il lui est arrivé de déraper, de prononcer des mots qu’elle a regrettés. « J’étais tellement débordée que… je me suis rendu compte après coup que j’ai été violente. Vraiment, c’est détruire les gens. » Paradoxe, conclut-elle, « au moment où on essaie d’humaniser les #robots, on nous robotise, nous ».

    #violence #France

    • en tant qu’aide-soignante, j’ai connu la « grande transformation » de l’hôpital public en clinique privée avec toutes les dérives néo-libérales : harcèlement, vitesse d’exécution augmentée, charge de travail avec diminution du personnel, sans temps morts, et résultat : problèmes de santé et handicaps ! maladies musculo-squelettiques, et arrêts maladies etc...d’autres ont eu moins de chance malgré tout..avec en prime harcèlement moral et depressions.

  • Les Inrocks - Cadences infernales et pressions : à la Poste, « on nous laisse crever »
    http://www.lesinrocks.com/2017/07/23/actualite/cadences-infernales-et-pressions-la-poste-nous-laisse-crever-11967695

    Bien des facteurs sont à bout. Pressés par des cadences infernales et incompréhensibles, un #management “morbide” et un malaise grandissant, nombre d’entre eux craquent physiquement et mentalement.

    Toutes les missions des postiers sont chronométrées et les cadences s’accentuent au gré des restructurations régulières. Des nouveaux services comme la pose de plaques d’opérateurs téléphoniques dans les halls ou la visite aux personnes âgées, jusqu’à leur coeur de métier, la distribution du courrier. “Par exemple, pour un recommandé à livrer en mains propres, on a 1 minute 30, assure-t-il. C’est absurde. Il suffit qu’un ascenseur soit en panne ou que la personne discute et on dépasse.” Aujourd’hui avec ses deux tournées en une, Grégoire a 42 recommandés à livrer.
    (...)
    Pour calculer ces cadences, #La_Poste utilise des #logiciels. Ils s’appuient sur des #données #statistiques pour déterminer le temps passé entre deux boites aux lettres, un nouveau service ou encore la distribution d’un recommandé. Pour l’enseigne la baisse du nombre de lettres permet aux #facteurs d’effectuer plus de tâches. Mais cela ne dit pas comment elle effectue ces calculs.

    “La Poste est dans l’incapacité d’expliquer le pourquoi de telles ou telles #cadences“, prévient-on du côté des syndicats. Contactée par ”Les Inrocks”, l’entreprise assure au contraire que ces équations ne sont “absolument pas des boites noires et répondent à des techniques très claires”. Pour autant, aucun des documents transmis par l’enseigne jaune et bleu ne permet de comprendre ces méthodes. C’était sans doute oublier que ces données, la Poste ne les aurait plus en sa possession.

    Dans un rapport interne, un cabinet d’expertise indépendant pointe du doigt cette absence de transparence. Fin 2016, il assigne l’entreprise en justice afin d’avoir ces données. Dans l’ordonnance de référé, en date du 13 juin 2017, il est écrit noir sur blanc que la Poste admet qu’une partie “des études qui ont permis de constituer ces normes et cadences, de par leur ancienneté ou du fait des évolutions successives des organisations des services(…), ne sont plus disponibles“. Les documents à la base du rythme imposé aux facteurs se seraient donc envolés ? Pour la justice, cela parait “peu crédible que [La Poste-] n’ait pas gardé ces éléments alors même qu’il ne s’agit (…) de protocoles actuels dont elle se sert toujours pour le calcul des tournées“.

    “Donc en fait on ne sait pas, s’insurge Pascal Pannozzo, syndicaliste SUD-PTT. On ne sait pas comment les cadences sont calculées, comment les tournées sont définies. On ne sait rien.”