En Californie, la famille d’une pompière brisée par les expulsions
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En Californie, la famille d’une pompière brisée par les expulsions
Par Corine Lesnes (Ventura [Californie], envoyée spéciale)
Dans l’Amérique de Donald Trump et des expulsions de masse, chaque histoire est un crève-cœur. Celle de la famille d’Erika Perez, par exemple. Le 4 juin, la jeune femme de 31 ans, membre du corps des pompiers de Californie, accompagnait sa mère au siège de l’ICE, la police de l’immigration, à Ventura, à 100 kilomètres à l’ouest de Los Angeles. La maman devait faire renouveler son autorisation temporaire de séjour et aller ensuite au travail. Elle n’a même pas pu rentrer chez elle, ne serait-ce que pour faire ses bagages.
Maria Valeriano Perez, 52 ans, agente d’entretien dans un complexe d’appartements, vivait aux Etats-Unis depuis l’âge de 17 ans. Dans les années 1990, son mari et elle avaient essayé d’obtenir la régularisation de leur statut, dans la foulée de l’amnistie octroyée en 1986 par le président Ronald Reagan à 3 millions de sans-papiers – la dernière tentative sérieuse de réorganiser le système d’immigration aux Etats-Unis. Depuis, des générations d’élus déplorent qu’il soit « cassé », mais le consensus politique manque pour le réformer.
Maria et son époux sont tombés sur un escroc qui se faisait passer pour un juriste. Il a déposé pour eux une demande d’asile politique, alors que les Mexicains n’ont pas le droit d’y recourir aux Etats-Unis. Un juge a prononcé un arrêté d’expulsion. Quand la police est venue cueillir le père à leur domicile pour l’expulser, Erika, l’aînée des trois enfants, a ouvert la porte, ce dont elle culpabilisera probablement toujours. « Mais je ne savais pas que mes parents n’avaient pas de papiers », se désole-t-elle. Au Mexique, son père a fini par refaire sa vie.
Pendant des années, Maria Perez, de son côté, a vécu sous la menace de cet ordre d’expulsion, ce qui ne l’a pas empêchée d’occuper un emploi. Chaque année, elle versait 500 dollars pour la reconduction de son permis de travail. Elle payait des impôts et contribuait au budget de la Social Security, le système de retraite américain, sans avoir droit aux prestations. Sa fille Erika ne croit pas à une réforme de l’immigration. Ne serait-ce que parce qu’il faudrait donner une retraite à des millions d’immigrés. « Cela coûterait trop cher. »
Le 5 juin, la maman a été placée dans un bus à destination de Tijuana. Erika a pris sa voiture et est allée lui porter quelques valises, de l’autre côté de la frontière, ainsi qu’un billet d’avion pour Oaxaca, où il lui reste une sœur. Maria Perez est désormais interdite de séjour aux Etats-Unis pour dix ans. Erika porte le deuil. « C’était une bonne personne, dit-elle. Elle ne méritait pas ça. »
L’histoire se répète. Les Etats-Unis ont connu une période similaire, pendant laquelle les Mexicains ont été « déportés » – comme il se dit en anglais –, arrachés à leur famille et à leur emploi. L’épisode est peu connu, enfoui dans les mémoires, y compris de la communauté mexicaine. Il porte le nom de « Mexican Repatriation » (« rapatriement des Mexicains »), et s’est déroulé sous la présidence du républicain Herbert Hoover.
Entre 1929 et 1936, près de 2 millions de personnes d’origine mexicaine ont été expulsées des Etats-Unis. Depuis les années 1920, la main-d’œuvre mexicaine avait remplacé les ouvriers chinois et japonais. Avec la Grande Dépression, le chômage s’est installé et la Border Patrol (la police aux frontières), qui venait d’être créée, a lancé des opérations d’expulsions massives, sans faire la distinction entre immigrés et citoyens. Quelque 60 % de ceux qui ont été renvoyés « chez eux » étaient des citoyens américains, nés aux Etats-Unis, et qui n’avaient jamais vu leur pays supposé. « Les républicains avaient décidé que la manière de créer des emplois était de se débarrasser de quiconque portait un nom à consonance mexicaine », affirmait l’ancien sénateur californien Joseph Dunn, dans une enquête publiée en 2004 sur les expulsions des années 1930. Parfois, les Mexicains ont préféré partir d’eux-mêmes, sous la pression et les menaces.
En 2006, l’Etat de Californie a adopté un texte offrant des excuses à la communauté mexicaine pour les traitements subis. Dans les années 1930, quelque 400 000 résidents d’origine mexicaine – qualifiés d’« étrangers illégaux » alors que beaucoup avaient des papiers en règle – ont été expulsés de Californie vers le Mexique. Les autorités avaient négocié leur transport avec les compagnies ferroviaires ou maritimes. Souvent, leurs biens étaient vendus pour financer leur expulsion. A Los Angeles, le premier raid a eu lieu en 1931. Les autorités visaient particulièrement les immigrés qui bénéficiaient de l’aide sociale. Des aides-soignants ont mis les malades sur des brancards et les attelages ont été déposés à la frontière. Des années après, des expulsés avaient encore la nostalgie de leurs années américaines. Une partie d’entre eux a fini par revenir lorsque la seconde guerre mondiale a relancé le recours à la main-d’œuvre mexicaine pour la production militaire. Erika Perez espère qu’il en sera de même pour sa mère. « Je vais la faire revenir », jure-t-elle.
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