• Comment les déchets ont envahi tous les milieux : la folle histoire du « poubellocène »

    Alors qu’ils n’existaient pas jusqu’à la fin du XIXᵉ siècle, les déchets ont colonisé le vivant. Au-delà des défis techniques qu’ils soulèvent, ils sont devenus un terrain d’enquête pour les sciences humaines, qui s’attachent à éclairer les systèmes et les mythes à la source de leur production.

    Ils sont devenus les compagnons familiers de nos destinées modernes. Abandonnés sur les plages, prisonniers des glaciers ou concentrés en gigantesques vortex dans les océans, les déchets ont envahi tous les milieux, colonisé jusqu’au vivant. Microscopiques ou encombrants, à l’état solide, liquide ou gazeux, ils tracent sur les mers de nouveaux chemins mondialisés, saturent les airs et les sols, investissent désormais l’espace. Parfois qualifiés d’« ultimes » ou de « polluants éternels », ils s’imposent dans nos assiettes, notre #eau_potable, et jusqu’à la pointe de nos cheveux.

    Les chiffres donnent le vertige. La production annuelle de déchets solides a dépassé les 2 milliards de tonnes dans le monde et devrait atteindre 3,4 milliards en 2050, alerte la Banque mondiale. Celle des #plastiques a doublé en vingt ans, estime l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dont les deux tiers sont « mis en décharge, incinérés ou rejetés dans l’environnement ».

    Si cette omniprésence affecte directement la #santé humaine et celle des #écosystèmes, elle marque aussi l’empreinte indélébile des activités humaines sur la Terre. Depuis les premiers amas laissés à l’entrée des grottes, témoins de sa sédentarisation, les détritus racontent l’histoire d’Homo sapiens.
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/02/02/le-poubellocene-ou-la-folle-histoire-de-l-ere-des-dechets_6214466_3232.html

    https://justpaste.it/fwezu

    #capitalocène #poubellocène #déchets #polluants_éternels #écologie_capitaliste

  • Pratiques dans l’industrie ferroviaire : un train de retard…
    https://linuxfr.org/news/pratiques-dans-l-industrie-ferroviaire-un-train-de-retard

    Une histoire, comme il en est tant, hélas, de pratiques anticoncurrentielles dans l’industrie. Oubliez les imprimantes et les tracteurs, cette fois-ci, nous passons à une étape supérieure : les trains. Oui, oui, les trains, vous avez bien lu.

    Si les faits se confirment, un constructeur de train polonais aurait été pris en flagrant délit de pratiques anti-concurrentielles. Sommaire

    Les faits Pourquoi le train est tombé en panne ? Vérifier la date… Surprise matérielle Pas seulement à Wrocław La suite

    Réponse de l’Office des transports ferroviaires (UTK) Liens

    Les faits

    Au printemps 2022, le premier des onze trains du modèle Newag Impuls 45WE, exploités par la compagnie régionale Koleje Dolnośląskie en Basse-Silésie, est en fin de vie. Leur maintenance est gérée par la société Serwis Pojazdów Szynowych, (...)

    • Les gus sabotent leurs propres trains pour en conserver la maintenance et pour les empêcher de durer trop longtemps !
      Vraiment trop bien, le #capitalisme !

      Les paires de coordonnées définissent les zones d’atelier. Il existe une condition inscrite dans le code informatique qui exige que le train soit désactivé s’il passe au moins dix jours dans l’un de ces ateliers. L’un des ateliers appartient à Newag lui-même - mais une condition logique différente a été définie pour ses coordonnées, probablement à des fins de test.

      D’autres surprises furent bientôt découvertes. Il s’agissait notamment du blocage du train lorsqu’un de ses composants (vérifié par son numéro de série) était remplacé. Une option permettant d’annuler le verrouillage a également été découverte — cela ne nécessitait pas de définir des indicateurs au niveau de la mémoire de l’ordinateur, mais uniquement la séquence appropriée de clics sur les boutons dans la cabine et sur l’écran de l’ordinateur de bord.

      Lorsque les informations sur le lancement réussi des trains Impuls sont parvenues aux médias, les trains ont reçu une mise à jour logicielle qui supprimait cette possibilité de « réparation ». Un code a été trouvé sur un autre train lui indiquant de « casser » après avoir parcouru un million de kilomètres.

  • « C’est ainsi, ou quasiment, que les choses vont se passer, et maman, Nomi et moi, et nos tantes et cousines, nous nous tiendrons un peu en retrait, montrant les hommes du doigt, et, dans les limites de ce qui est permis, nous nous amuserons de la constance, du sérieux avec lesquels ils se consacrent à la technique, dans de tels instants, nous ne sommes vraiment rien que des oies stupides qui cancannent sans relâche pour détourner notre esprit de ce qui nous fait peur à toutes : voir cette rêverie unanime dégénérer en querelle soudaine parce que l’un des hommes aura affirmé que malgré tout le socialisme a aussi ses avantages, et les oies stupides que nous sommes savent qu’une phrase suffit pour rendre les cous des hommes sauvages et nus : Oui, oui, le communisme, une bonne idée, sur le papier...! Et le capitalisme, l’exploitation de l’homme par l’homme...! Nous autres, qui ne sommes bonnes qu’à cacanner, nous savons qu’il n’y a qu’un pas, un tout petit pas, de la technique à la politique, d’un poing à une mâchoire - et quand les hommes basculent dans la politique, c’est comme quand on commence à faire la cuisine et qu’on a sans savoir pourquoi la certitude qu’on va rater le repas, trop de sel, pas assez de paprika, ça a attaché, n’importe quoi, les sujets politiques, c’est du poison, voilà ce que dit Mamika. »
    #politique #socialisme #communisme #genre #sexisme #yougoslavie #capitalisme #nostalgie #mémoire #enfance

    Pigeon vole p. 19-20

  • Christophe Bex : « Le gouvernement est incapable de répondre aux problèmes des agriculteurs »
    https://lvsl.fr/christophe-bex-le-gouvernement-est-incapable-de-repondre-aux-problemes-des-agri

    L’agriculture fait face au même dilemme que l’industrie avant elle : que veut-on produire, où, et dans quelles conditions sociales et environnementales ? Soit on se focalise sur quelques secteurs exportateurs et on importe tout le reste, avec un coût humain et environnemental considérable, soit on relocalise, on réindustrialise, on répond aux besoins français en priorité, avec les savoir-faire des travailleurs. Pour l’instant, c’est la première option qui est choisie. En Lorraine par exemple, lorsque la sidérurgie a été liquidée avec l’aide des socialistes au pouvoir, on a remplacé les hauts-fourneaux par un parc d’attractions, le Schtroumpfland, en espérant redynamiser le secteur.

    #agroindustrie #capitalisme_des_flux #paysannerie #agriculteurs #travail #rémunérations #appauvrissement

  • 24.12.2024 von Wilfried Nelles : Warum der Kampf gegen den Kapitalismus scheitert
    https://www.berliner-zeitung.de/open-source/wilfried-nelles-warum-der-kampf-gegen-den-kapitalismus-scheitert-li
    Quand un charlatan psy t’explique pourquoi tu devrais abandonner la lutte contre le capitalisme.

    Seit rund 200 Jahren, also praktisch seit es ihn gibt, rufen kluge Geister zum Kampf gegen den Kapitalismus auf – man will ihn überwinden. Daran hat sich bis heute nichts geändert. Selbst das weltweite Scheitern von Sozialismus und Kommunismus, auch die im Namen dieser Ideen stattgefundenen Gräueltaten und Mordorgien – vom stalinistischen Gulag über Maos Befreiungskrieg samt Kulturrevolution und verheerenden Hungersnöten bis zur Auslöschung des gesamten Bürgertums durch Pol Pot und seine Genossen in Kambodscha, denen weit mehr Menschen zum Opfer fielen als dem Faschismus – haben nicht dazu geführt, dass die Idee, der Kapitalismus müsse abgeschafft und durch ein besseres System ersetzt werden, gestorben wäre. Der Wunsch, eine bessere Welt zu schaffen, lässt sich von keiner Wirklichkeit belehren.

    Alle, die den Kapitalismus abschaffen oder überwinden wollen, übersehen etwas Grundlegendes: Niemand hat ihn geschaffen, niemand hat den Kapitalismus – ganz im Gegensatz zum Sozialismus – gemacht! Er ist entstanden, er ist gewachsen, und zwar ganz von selbst. Niemand hatte die Idee: Jetzt schaffen wir das Feudalsystem und die Zünfte ab und machen den Kapitalismus, niemand hatte einen Plan, wie das geschehen und wie er aussehen sollte. Niemand hat eine „kapitalistische Partei“ gegründet, die Leibeigenen aufgerufen, ihre Fesseln abzuwerfen, und das als Massenbewegung organisiert.
    Natürliche Entstehung des Kapitalismus

    Kein König oder Parlament oder Volksentscheid hat beschlossen, jetzt den Kapitalismus einzuführen. Es hat noch nicht einmal jemand eine Theorie entwickelt, wie man die selbstgenügsame vorkapitalistische Wirtschaft in ein dynamisches System überführen könnte. Alle ökonomischen Theorien waren nur Antworten auf den Kapitalismus, sie kamen alle später.

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    Marx hat es ganz richtig gesehen: Mit der Entwicklung der Naturwissenschaft und den daraus entstandenen technischen Neuerungen wurde eine Dynamik in Gang gesetzt, die die Grenzen der vorindustriellen Produktionsweise überschritt. In marxscher Sprache: Die Produktionsverhältnisse waren für die neuen Produktivkräfte zu eng, die Dampfmaschine passte nicht mehr in einen Handwerksbetrieb, und die ständische Ordnung wurde einfach gesprengt.

    Die entstehenden Fabriken brauchten Lohnarbeiter, sie brauchten Menschen, die an die Fabrikstandorte strömten und ihre Arbeitskraft verkauften, und keine Leibeigenen. Zwar wurden die Arbeiter anfangs noch wie Leibeigene behandelt, aber auch das erwies sich bald als unproduktiv. Kurz: Der Kapitalismus ist das quasi naturgesetzliche Resultat der Entwicklung von Wissenschaft und Technik (der Produktivkräfte), die materielle Manifestation des menschlichen Geistes und seiner autonomen Entwicklung. Sie ist autonom, weil niemand den Geist dorthin bewegt hat.

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    Dasselbe gilt für das Resultat dieser Entwicklung, den Kapitalismus. Solange sich der dieser Entwicklung zugrunde liegende Geist, das menschliche Bewusstsein, nicht grundlegend wandelt, wird sich auch am Ergebnis nichts ändern. Der Kapitalismus wird bleiben, denn er steckt in uns drin, in jedem von uns. Er ist, wie die Wissenschaft, unsere geistige DNA. Wissenschaft, Technik und Kapitalismus sind nicht irgendwo dort draußen entstanden, sondern im menschlichen Geist.

    Das gilt ebenso für die Globalisierung. Auch sie ist das natürliche Resultat der wissenschaftlich-technischen Entwicklung – vor allem der Entdeckung des Computers und des Internets; ohne sie wären der ganze Handel, die Lieferketten und die Fertigungsmethoden nicht möglich. Und da das Internet alle Grenzen verschwinden lässt, entsteht in der Folge auch eine Dynamik, die Handelsgrenzen abzuschaffen.

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    Man kann das gut oder schlecht finden, Tatsache ist: Danach fragt niemand, dem Kapitalismus ist es ganz egal, ob wir ihn mögen oder nicht. Ein Zurück wird es nicht geben, auch kein Zurück hinter die Globalisierung. Es mag eine protektionistische Phase geben, aber die geht vorüber. Die gesamte Kapitalismuskritik, so berechtigt sie im Einzelnen sein mag, ist vollkommen ohnmächtig. Sie kann zwar Anpassungen und Veränderungen innerhalb des Kapitalismus bewirken, aber nie diesen selbst treffen oder gar beseitigen. Denn die treibende Kraft dahinter ist nicht das Kapital, sondern vielmehr die Wissenschaft und damit das menschliche Bewusstsein.

    Hier liegt der fundamentale Irrtum von Marx und Engels, der immer noch der fundamentale Irrtum der gesamten Moderne ist: Unsere heutige Welt, der Kapitalismus eingeschlossen, ist eine Folge der Entwicklung des Bewusstseins, und zwar des Bewusstseins im christlichen Abendland. Es ist immer das Bewusstsein, das das Sein bestimmt – es gibt Reiche, die todunglücklich sind, und Arme, die in tiefster Zufriedenheit leben. Dass der Kapitalismus in Europa und nicht in Indien oder Afrika entstanden ist, ist eine Folge des christlich-abendländischen Geistes.

    Mit den Entdeckungen und der Entstehung der Naturwissenschaft wurde aus einer begrenzten eine vollkommen offene und grenzenlose Welt, und das sprengte mit der Zeit auch alle Begrenzungen des Denkens und dann auch die institutionellen und ökonomischen Grenzen. Die Akkumulation von Kapital, die Entstehung der Geldwirtschaft bis hin zur Globalisierung sind nicht die Ursache, sondern die Folge davon. Das tiefste Wirkprinzip im Kapitalismus ist der Geist, der sich die Erde untertan machen will und keine Grenzen mehr kennt oder akzeptiert. Grenzenloses Wachstum ist unser innerster Antrieb, und zwar einer, der längst zum Zwang geworden ist (Hartmut Rosa, „Unverfügbarkeit“, Residenz Verlag, Wien 2019).

    1983: DDR-Staatsratsvorsitzender Erich Honecker (SED) spricht anlässlich der Karl-Marx-Konferenz in Berlin.

    1983: DDR-Staatsratsvorsitzender Erich Honecker (SED) spricht anlässlich der Karl-Marx-Konferenz in Berlin.imago images

    War der Mensch früher ein Teil von Gottes Schöpfung, die ihm einen festen Platz in einer ihn übergreifenden Ordnung zuwies, so gilt Gott jetzt als eine Schöpfung des Menschen – ob wir ihm eine Existenz zubilligen, hängt von uns ab, von jedem Einzelnen, und die Wissenschaft hat ihn längst abgeschafft. Die zeitgenössische Forderung, „der Wissenschaft“ zu folgen, ist zwar ebenso töricht wie politisch motiviert, weil es „die“ Wissenschaft in dem Sinne, dass sie eine Instanz wäre, die wüsste und einem sagen könnte, was zu tun ist, nicht gibt.

    Tatsächlich folgen wir der Wissenschaft aber schon längst, unser gesamter Alltag ist nicht nur von den Resultaten wissenschaftlicher Entdeckungen durchdrungen, sondern wir haben auch dieselbe Grundhaltung zur Welt, zum Leben und zu uns selbst wie die Wissenschaft. Sie ist die Religion der Moderne.

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    Auch der Kapitalismus ist aus ihr hervorgegangen, die geistige Bewegung von der christlichen Religion zur Wissenschaft ist ihm um einige Hundert Jahre vorausgegangen. Und sie geht ihm auch weiter voraus, auch wenn das Kapital maßgeblich daran mitwirkt, was erforscht wird und was nicht und wie die Erkenntnisse der Wissenschaft verwertet werden. Die Triebfeder liegt im Geist, und zwar im christlichen Geist.

    Aber auch dieser Geist ist nichts Gemachtes, sondern etwas Gewachsenes. Von der biblischen Aufforderung, sich die Erde untertan zu machen, führt ein langer, aber ganz logischer Weg zur Wissenschaft, zum Kapitalismus, zur Globalisierung und neuerdings zum Transhumanismus. Sie sind die Erfüllung, die tatsächliche Verwirklichung des christlichen Geistes (Malte Nelles, „Gottes Umzug ins Ich“, Europa Verlag, München 2023). So wie es eine Evolution der Arten gibt, gibt es auch eine Evolution des Bewusstseins. Es ist ein natürlicher Prozess.
    Hat der Kapitalismus eine Zukunft?

    Daraus folgt etwas ganz Simples: Man kann den Kapitalismus nicht abschaffen. Er muss – auch dies hat Marx schon gesehen, aber nicht ernst genommen – an seine Grenzen kommen und dann von innen heraus zerbrechen, genauso wie das Feudalsystem und die ihm entsprechenden Formen des Wirtschaftens. Dazu muss aber in seinem Innern ein neues Bewusstsein entstehen, ein Bewusstsein, das über den Geist der Wissenschaft hinausgeht, so wie dies einst mit den Entdeckungen von Kopernikus, Kolumbus, Galilei und vielen anderen seinen Anfang nahm. Die linke Hoffnung auf ein „revolutionäres Subjekt“, das gegen die herrschenden Verhältnisse aufsteht und sie überwindet, ist vollkommen illusorisch.

    Porträt von Karl Marx

    Porträt von Karl MarxFriedrich-Ebert-Stiftung/dpa

    Die Proletarier (Marx) oder gar die Randexistenzen (Fanon, Marcuse) wollen nur genug zu essen oder Drogen, die sie ihr Elend nicht fühlen lassen, und die linken Denker sind alle desselben Geistes Kind, der auch im Kapitalismus wirkt. Wahrscheinlich wäre er ohne sie schon längst untergegangen, ihre Kritik und ihr Kampf machen ihn flexibel und halten ihn so am Leben.

    Überhaupt: Aus dem Dagegensein und dem Kampf entsteht nie etwas Neues. Dazu braucht es mutige Menschen, die einen neuen und weiteren Geisteshorizont betreten und damit für viele andere eröffnen, einen Horizont, der nicht gegen etwas ist, sondern über die wissenschaftliche Religion und den kapitalistischen Moloch, den diese geschaffen hat, hinausgeht und ihnen den Platz zuweist, der ihnen zusteht: den eines praktischen Instruments, das das Leben angenehmer machen kann.

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    So wie dies damals niemand gemacht hat, kann man dies auch heute nicht machen. Es geschieht, wenn die Luft zum Atmen zu eng wird, wenn der Geist aus sich heraus in eine neue Dimension will. Die Entdecker, die in diese unbekannte neue Welt aufbrechen, kommen dann von selbst – und werden selbstverständlich von der Masse und den Profiteuren des Status quo verfemt, verleumdet und verfolgt. Das war immer so und wird auch so bleiben. Es sind auch schon viele da, aber die alten Kräfte werden dem Neuen nicht kampflos weichen, sie werden sich mit Händen und Füßen und allem, was sie haben, gegen ihren Tod wehren.

    Der Untergang der alten Welt wird ein sehr schmerzhafter und sich lange hinziehender Prozess sein. Die letzten Reste des alten Feudalsystems wurden mit dem Ersten Weltkrieg weggefegt, also rund 400 Jahre nach Kopernikus und Kolumbus und 300 Jahre nach Galilei und den Anfängen der Aufklärung. Ob aus dem Untergang der heutigen wissenschaftlich-kapitalistischen Welt eine neue hervorgehen wird, steht in den Sternen. Eines ist jedoch gewiss: Niemand wird eine neue Welt schaffen können. Entweder sie entsteht von selbst, aus der inneren Bewegung des Geistes (des menschlichen Bewusstseins), oder sie entsteht nie.

    Wilfried Nelles ist Psychologe, Sozialwissenschaftler und Autor.

    #capitalisme #wtf

  • Position et appel des Soulèvements de la terre sur le mouvement agricole en cours
    https://lundi.am/Position-et-appel-des-Soulevements-de-la-terre-sur-le-mouvement-agricole-en

    Si nous nous soulevons, c’est en grande partie contre les ravages de ce complexe agro-industriel, avec le vif souvenir des fermes de nos familles que nous avons vu disparaître et la conscience aiguë des abîmes de difficultés que nous rencontrons dans nos propres parcours d’installation. Ce sont ces industries et les méga-sociétés cumulardes qui les accompagnent, avalant les #terres et les fermes autour d’elles, accélérant le devenir firme de la production agricole, et qui ainsi tuent à bas bruit le monde #paysan. Ce sont ces industries que nous ciblons dans nos actions depuis le début de notre mouvement - et non la classe paysanne.

    Si nous clamons que la liquidation sociale et économique de la paysannerie et la destruction des milieux de vie sont étroitement corrélées - les fermes disparaissant au même rythme que les oiseaux des champs et le complexe agro-industriel resserrant son emprise tandis que le réchauffement climatique s’accélère - nous ne sommes pas dupes des effet délétères d’une certaine écologie industrielle, gestionnaire et technocratique. La gestion par les normes environnementales-sanitaires de l’#agriculture est à ce titre absolument ambigüe. À défaut de réellement protéger la santé des populations et des milieux de vie, elle a, derrière de belles intentions, surtout constitué un nouveau vecteur d’industrialisation des exploitations. Les investissements colossaux exigés par les mises aux normes depuis des années ont accéléré, partout, la concentration des structures, leur #bureaucratisation sous contrôles permanents et la perte du sens du métier.

    Nous refusons de séparer la question écologique de la question sociale, ou d’en faire une affaire de consom’acteurs citoyens responsables, de changement de pratiques individuelles ou de « transitions personnelles » : il est impossible de réclamer d’un éleveur piégé dans une filière hyperintégré qu’il bifurque et sorte d’un mode de production industriel, comme il est honteux d’exiger que des millions de personnes qui dépendent structurellement de l’aide alimentaire se mettent à « consommer bio et local ». Pas plus que nous ne voulons réduire la nécessaire écologisation du travail de la terre à une question de « réglementations » ou de « jeu de normes » : le salut ne viendra pas en renforçant l’emprise des bureaucraties sur les pratiques paysannes. Aucun changement structurel n’adviendra tant que nous ne déserrerons pas l’étau des contraintes économiques et technocratiques qui pèsent sur nos vies : et nous ne pourrons nous en libérer que par la lutte.

    Si nous n’avons pas de leçons à donner aux agriculteur·rices ni de fausses promesses à leur adresser, l’expérience de nos combats aux côtés des paysan·nes - que ce soit contre des grands projets inutiles et imposés, contre les méga-bassines, ou pour se réapproprier les fruits de l’accaparement des terres - nous a offert quelques certitudes, qui guident nos paris stratégiques.

    L’écologie sera paysanne et populaire ou ne sera pas. La #paysannerie disparaîtra en même temps que la sécurité alimentaire des populations et nos dernières marges d’autonomie face aux complexes industriels si ne se lève pas un vaste mouvement social de #reprise_des_terres face à leur #accaparement et leur #destruction. Si nous ne faisons pas sauter les verrous (traités de #libre-échange, dérégulation des prix, emprise monopolistique de l’#agro-alimentaire et des hypermarchés sur la consommation des ménages) qui scellent l’emprise du marché sur nos vies et l’agriculture. Si n’est pas bloquée la fuite en avant techno-solutionniste (le tryptique biotechnologies génétiques - robotisation - numérisation). Si ne sont pas neutralisés les méga-projets clés de la restructuration du modèle agro-industriel. Si nous ne trouvons pas les leviers adéquats de socialisation de l’#alimentation qui permettent de sécuriser les revenus des producteurs et de garantir le droit universel à l’alimentation.

    #revenu #écologie

    (pour mémoire : bucolisme et conflictualité)

    • C’est signé « Les Soulèvements de la Terre - le 30 janvier 2024 » ; c’est pas lundiamiste, c’est SDLTique :-)

    • 😁 merci @colporteur 🙏

      je colle ici un ou deux bouts de l’appel du lundiisme soulevementier, y’a une synthèse paysano-intello avec des chiffres

      Dans le monde, le pourcentage du prix de vente qui revient aux agriculteurs est passé de 40 % en 1910 à 7 % en 1997, selon l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO). De 2001 à 2022, les distributeurs et les entreprises agroalimentaires de la filière lait ont vu leur marge brute s’envoler de respectivement 188% et 64%, alors même que celle des producteurs stagne quand elle n’est pas simplement négative.
      [...]
      C’est ce pillage de la valeur ajoutée organisé par les filières qui explique, aujourd’hui, que sans les subventions qui jouent un rôle pervers de béquilles du système (en plus de profiter essentiellement aux plus gros) 50% des exploitant·es auraient un résultat courant avant impôts négatif : en bovins lait, la marge hors subvention qui était de 396€/ha en moyenne entre 1993 et 1997 est devenue négative à la fin des années 2010 (-16€/ha en moyenne), tandis que le nombre de paysans pris en compte par le Réseau d’information comptable agricole dans cette filière passe sur cette période de 134 000 à 74 000.

  • Colère des #agriculteurs : « Ce qui était cohérent et cohésif est devenu explosif »
    https://theconversation.com/colere-des-agriculteurs-ce-qui-etait-coherent-et-cohesif-est-devenu

    Médiatiquement, il est souvent question des agriculteurs, comme si ces derniers représentaient un groupe social unifié. Est-ce le cas ? 

    D’un point de vue administratif, institutionnel, du point de vue de la description économique d’une tâche productive, « les agriculteurs », entendus comme les exploitants agricoles, ça existe. Mais d’un point de vue sociologique, non, ce n’est pas un groupe. Les viticulteurs de régions canoniques du vin, ou les grands céréaliers des régions les plus productives, n’ont pas grand-chose à voir avec les petits éleveurs, les maraîchers ou ceux qui pratiquent une agriculture alternative.

    Le sociologue aura dont plutôt tendance à rattacher certains d’entre eux aux catégories supérieures, proches des artisans, commerçants, chefs d’entreprises voire des cadres, et d’autres aux catégories supérieures des classes populaires. La plupart des agriculteurs sont proches des pôles économiques, mais une partie, sont aussi fortement dotés en capitaux culturels. Et, encore une fois, même dans les classes populaires, les agriculteurs y seront à part. C’est une classe populaire à patrimoine, ce qui les distingue de manière très décisive des ouvriers ou des petits employés.

    • Dans l’histoire de la sociologie, les agriculteurs ont d’ailleurs toujours été perçus comme inclassables. Ils sont autant du côté du #capital que du travail. Car ils sont propriétaires de leur propre moyen de production, mais en revanche ils n’exploitent souvent personne d’autre qu’eux-mêmes et leur famille, pour une grande partie. Autre dualité dans leur positionnement : ils sont à la fois du côté du travail en col blanc avec un ensemble de tâches administratives de planification, de gestion, de projection d’entreprise sur le futur, de captation de marchés, mais ils sont aussi du côté du col bleu, du travail manuel, de ses compétences techniciennes.

      Comment expliquer alors qu’en France, ce groupe soit encore si souvent présenté comme unifié ?

      Cette illusion d’unité est une construction à la fois de l’#État et de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) pour un bénéfice mutuel historique : celle d’une co-gestion. Globalement, l’État s’adresse aux agriculteurs via ce syndicat dominant, pour tâcher de bâtir une politique publique agricole cohérente. Même si la co-gestion a été dépassée pour être plus complexe, cette idée que l’agriculture était une histoire entre l’État et les agriculteurs perdure comme on le voit dans les syndicats invités à Matignon, uniquement la FNSEA au début de la crise. La FNSEA a tenté historiquement de rassembler les agriculteurs pour être l’interlocuteur légitime. Mais cet état des lieux est aussi le fruit de l’action historique de l’État, qui a forgé une batterie d’institutions agricoles depuis la IIIème République avec le Crédit Agricole, une mutuelle sociale agricole spécifique, des chambres d’agriculture… Jusque dans les statistiques, les agriculteurs sont toujours un groupe uni, à part, ce qui est une aberration pour les sociologues.

      [...]
      Ceux qui manifestent pour avoir du gazole moins cher et des pesticides savent qu’ils ont perdu la bataille, et qu’ils ne gagneront qu’un sursis de quelques années, car leur modèle n’est tout simplement plus viable. Ils sont aussi en colère contre les syndicats qui étaient censés penser pour eux la transformation nécessaire. La FNSEA ne maîtrise pas vraiment le mouvement.

      Gilles Laferté :
      https://www.cairn.info/publications-de-Gilles-Laferté--8803.htm
      #agriculteurs #patrimoine #dette #travail_immatériel #travail_manuel #travail #FNSEA #productivisme #agroécologie #suicide

    • Colère des agriculteurs : « Ces changements qui travaillent les campagnes à bas bruit »
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/01/29/colere-des-agriculteurs-ces-changements-qui-travaillent-les-campagnes-a-bas-

      Dans l’imaginaire des Français, et chez de nombreux exploitants agricoles eux-mêmes, il est difficile de penser l’avenir en dehors d’un modèle familial, qui ne concerne pourtant plus que 37 % des fermes, analyse dans sa chronique Jean-Michel Bezat, journaliste au « Monde ».

      A la faveur des lois d’orientation de 1960-1962, la figure immémoriale du paysan gardien de la nature a cédé la place à celle de l’agriculteur. (...) Quel métier a subi un tel « plan social » durant cette révolution ? On comptait 1,6 million d’exploitations en 1970, elles ne sont plus que 380 000. (...)
      [Ils] ont perdu le monopole de l’espace rural, de plus en plus disputé par les urbains et les néoruraux.

      https://justpaste.it/ac2ok

      #modèle_agricole (feu le) #écologie #green_new_deal

    • Car ils sont propriétaires de leur propre moyen de production, mais en revanche ils n’exploitent souvent personne d’autre qu’eux-mêmes et leur famille, pour une grande partie.

      « grande partie » c’est un peu vague : en 2021 43% de l’agriculture c’étaient PAS les agriculteurs « chef-exploitant ». Et ça ne fait qu’augmenter chaque année donc en 2023 après covid sûrement encore plus.

      https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/download/publication/publie/Dos2303/Dossiers2023-3_EmploiAgricole2021.pdf

      Les chefs et coexploitants assurent en 2021 la plus grande part du travail agricole, avec 57 % des ETP

      Ça fait quand même un sacré paquet de vrais patrons, qui n’exploitent pas qu’eux-mêmes.

  • « Avec les JO, Airbnb s’impose comme un leader de l’hébergement touristique à Paris »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/01/28/avec-les-jo-airbnb-s-impose-comme-un-leader-de-l-hebergement-touristique-a-p

    En s’affichant comme l’un des sponsors majeurs du Comité international olympique (CIO) pendant les Jeux olympiques (#JO) et paralympiques Paris 2024, la plate-forme #Airbnb s’impose comme un leader de l’#hébergement_touristique dans une métropole mondiale qui fait pourtant beaucoup, depuis plusieurs années, pour la contraindre et l’interdire.

    Avant même les débuts du méga-événement historique pour la France, celui-ci peut d’ores et déjà être considéré, du point de vue de la multinationale, comme un succès retentissant. Le nombre de loueurs et de biens proposés a significativement augmenté, même s’il y a une part relativement importante d’hôtes occasionnels ou pragmatiques qui se désinscriront sitôt les dernières épreuves terminées, les réservations ont explosé et l’image de la marque est assurée…

    Mieux encore que les bénéfices engrangés ou la publicité réalisée pour les années à venir, l’entreprise va certainement réussir son pari d’investir massivement la capitale française pendant la durée de la compétition, alors que le conflit ouvert avec la municipalité parisienne gêne depuis longtemps ses ambitions et va l’obliger prochainement à (re) penser sa stratégie.

    Le rôle essentiel des hébergeurs

    Mais les JO sont aussi révélateurs de la place qu’occupe Airbnb dans nos sociétés contemporaines occidentales, offrant en quelque sorte l’illustration condensée de son fonctionnement et de son évolution. Alors que la firme va retrouver à l’été 2024 son cœur de métier initial, qui l’a fait naître en 2007 – la mise à disposition de milliers d’hébergements lors d’un grand événement (culturel, sportif, professionnel, scientifique, etc.) – , elle a depuis investi d’autres champs, d’autres espaces, d’autres usages, et a conquis bon gré, mal gré d’autres utilisateurs.

    Touristes, certes, mais également étudiants qui n’arrivent plus à se loger par d’autres moyens, parfois à cause d’une crise du #logement aggravée par Airbnb elle-même, travailleurs saisonniers, migrants, aidants familiaux, fêtards, etc.
    De plus, à côté des événements divers (fêtes religieuses intrafamiliales, micro-événements privés et publics, événements de tout type à l’échelle régionale, nationale et internationale…), l’entreprise s’est redéployée pour être présente « tout le temps », procédant d’une désynchronisation des pratiques d’hébergement, et « partout à la fois », dans des espaces où le degré d’urbanité est plus ou moins fort : petites, moyennes et grandes villes, villages, littoraux, montagnes, jusque dans les déserts froids et chauds.

    Cette omniprésence s’appuie majoritairement sur une ressource fondamentale, les hébergeurs, qui décident de louer une partie ou la totalité d’un logement à des inconnus et qui aident ainsi indirectement Airbnb à réaliser des profits.

    Un intermédiaire facilitateur

    En promettant et en permettant à des propriétaires ou à des locataires d’exploiter une #rente immobilière et/ou de localisation liée à la proximité avec un site olympique ou un moyen de transport pour y accéder, la firme américaine se place comme un intermédiaire facilitateur entre les touristes spectateurs qui cherchent un hébergement économique et bien situé, et les habitants loueurs qui souhaitent profiter de l’opportunité financière qui s’offre à eux.

    Dès lors, en déconcentrant la décision de s’inscrire sur la plate-forme puis la gestion de la location in situ sur le loueur, Airbnb se défausse synchroniquement de la responsabilité de tout le processus, ainsi que des conséquences liées.

    Or, la publication de milliers de nouvelles annonces dans l’ensemble des futurs sites olympiques reproduit en quelques semaines un phénomène qui se déploierait « normalement », hors contexte olympique, sur plusieurs mois, voire plusieurs années.

    Un rôle majeur de catalyseur de logiques capitalistes

    Cette augmentation rapide de l’offre pour les territoires concernés et l’apparition de nouveaux loueurs rend davantage visibles les externalités négatives de cette économie de plate-forme. Elle renforce en effet le décalage entre une population pouvant proposer un logement en mobilisant un capital immobilier plus ou moins conséquent, et la population qui ne peut pas se le permettre pour d’innombrables raisons.

    Une nouvelle lutte des places s’esquisse alors, dans laquelle Airbnb joue un rôle majeur de catalyseur de logiques capitalistes dans et sur l’habitat, devenu un bien marchand comme un autre. Cela existe depuis longtemps et a déjà été décrit et dénoncé par nombre d’auteurs, mais la plate-forme américaine a rendu ce phénomène systémique et massif.

    L’organisation des Jeux olympiques Paris 2024 a déclenché un élan locatif qui s’essoufflera vraisemblablement à la fin de l’été 2024. Ce grand jeu du basculement entre deux états, celui du logement privé non marchand vers celui du logement à louer marchand et inversement, adaptable au contexte touristico-événementiel, est facilité par la flexibilité du modèle Airbnb. Celui-ci tend à s’imposer et à devenir permanent, au grand dam des acteurs de la ville, qui peinent à anticiper et à contrer ce phénomène.

    Victor Piganiol(géographe à l’université Bordeaux Montaigne, UMR Passages – CNRS)

    #capitalisme_de_plateforme

  • « Affirmer que la #transition_énergétique est impossible, c’est le meilleur moyen de ne jamais l’engager »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/01/22/affirmer-que-la-transition-energetique-est-impossible-c-est-le-meilleur-moye

    Partant du double constat selon lequel il n’y a jamais eu, par le passé, de remplacement d’une source d’énergie par une autre ; et que les transformations énergétiques se sont toujours faites de manière additive (les énergies s’ajoutant les unes aux autres), certains historiens en déduisent, à tort selon nous, qu’il n’y aurait aucun horizon pour une sortie des fossiles. Cette sortie des fossiles (le « transitioning away from fossil fuels », dans le langage forgé à la COP28) serait donc condamnée par avance.

    Tel est le message récurrent de Jean-Baptiste Fressoz [chroniqueur au Monde] notamment, dans ses ouvrages ou tribunes, qui visent toutes à réfuter ce qu’il considère comme « la fausse promesse de la transition ».

    Or, ce déclinisme écologique est non seulement grandement infondé, mais également de nature à plomber les ambitions dans la lutte contre le changement climatique. Affirmer que la transition est impossible, c’est le meilleur moyen de ne jamais l’engager. A rebours de ce défaitisme, nous voulons ici affirmer, avec force, qu’il est possible de réussir cette transition.

    Certes, à l’exception des années de crise – financière en 2008-2009, sanitaire en 2020-2021 –, les émissions de CO2 n’ont jamais cessé d’augmenter, bien que sur un rythme ralenti, d’environ + 1 % annuel au cours des années 2010, contre + 3 % annuels dans les années 2000. Car, dans le même temps, la population mondiale continuait à augmenter, tout comme la satisfaction des besoins énergétiques d’une part croissante de cette population.

    Pourtant le désempilement des énergies a déjà lieu dans certaines régions du monde : c’est le cas en Europe, par exemple, qui a engagé sa transition énergétique. Parallèlement, des acteurs de plus en plus nombreux – Etats, entreprises, chercheurs, citoyens – intègrent aujourd’hui la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre dans leurs stratégies et comportements. L’ambition n’est pas encore assez affirmée, la mise en œuvre des transformations pas assez rapide et efficace, mais le mouvement est enclenché. Comment l’ignorer ?

    Sobriété, efficacité et investissements
    Le 11 janvier, Fatih Birol, directeur de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), indiquait que les capacités installées dans l’année en énergies renouvelables avaient augmenté de 50 % entre 2022 et 2023. Pour la part des renouvelables dans la production d’électricité, l’AIE attend le passage de 29 % à 42 % en 2028 (de 12 % à 25 % pour les seules énergies éolienne et solaire). Depuis 1975, le prix des panneaux photovoltaïques est passé de 100 dollars par watt à moins de 0,5 dollar par watt aujourd’hui, soit une réduction de 20 % du coût pour chaque doublement des capacités installées ; c’est la mesure du taux d’apprentissage de la technologie. Et alors que la question du stockage de l’électricité devient de plus en plus cruciale, on constate le même taux d’apprentissage pour les batteries : depuis 1992, chaque fois que double le nombre de batteries produites, leur coût diminue de 18 %.

    Il est clair que ces progrès spectaculaires ne contredisent pas la thèse de l’additivité des énergies : si depuis 2016 les investissements dans les énergies décarbonées dépassent largement les investissements dans les énergies fossiles, ces derniers ont à nouveau augmenté après la baisse de 2020. Et la sortie des fossiles ne se vérifiera vraiment que le jour où l’augmentation de la production d’énergie décarbonée sera supérieure en volume à celle de la consommation totale d’énergie.

    Pour atteindre cet objectif, sobriété et efficacité énergétique sont indispensables afin de maîtriser la croissance de la demande. Mais il est également évident que sobriété et efficacité ne suffiront pas. Pour atteindre le plafonnement des émissions avant 2030, il faudra décupler les investissements dans ces énergies décarbonées, et notamment dans les pays du Sud, afin de faire baisser le volume des énergies fossiles : c’est la condition sine qua non pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris. Nous sommes conscients qu’il s’agit d’un processus long et difficile, mais osons le dire : il n’y a pas d’autre solution, et nous pouvons y arriver.

    De nouvelles alliances s’imposent
    Serions-nous condamnés par l’histoire ? Faut-il prendre acte de notre impuissance supposée, ou poser un renversement complet du système comme condition préalable à la transition ? Dans les deux cas, cela serait très risqué, et franchement irresponsable.

    Car il n’y a pas de fatalité ! On trouve sur le site du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) une citation d’Albert Camus : « Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prédire, mais de le faire. » C’est dans cette perspective que s’inscrivent tous les acteurs des COP et des négociations internationales – que certains stigmatisent comme un « grand cirque » –, pour qui « dire, c’est faire ».

    Evidemment, dire ne suffit pas, et il faut aussi mobiliser des moyens puissants, politiques et financiers. Il faut également affronter ceux – lobbys industriels et politiques – qui, par fatalisme ou par intérêt, freinent cette transformation. Enfin, comme le suggère le philosophe Pierre Charbonnier, la création de nouvelles alliances s’impose entre ceux qui ont compris que la transition servait leurs intérêts, et surtout ceux de leurs enfants.

    La démarche des sciences de la nature et de la physique consiste à s’appuyer sur des constats d’observation pour en tirer des lois immuables. Elle s’applique mal cependant aux sciences sociales. Mais ces obstacles ne doivent pas empêcher de penser l’avenir, à la manière de Gaston Berger, le père de la prospective, qui ne cessait de rappeler : « Demain ne sera pas comme hier. Il sera nouveau et il dépendra de nous. Il est moins à découvrir qu’à inventer. »

    Signataires : Anna Creti, économiste, chaire Economie du climat, université Paris-Dauphine ; Patrick Criqui, économiste, CNRS, université Grenoble-Alpes ; Michel Derdevet, président de Confrontations Europe, Sciences Po ; François Gemenne, politiste, HEC Paris ; Emmanuel Hache, économiste, IFP énergies nouvelles et Institut de relations internationales et stratégiques ; Carine Sebi, économiste, chaire Energy for Society, Grenoble Ecole de Management.

  • Ivan Illich - Le renoncement à la santé
    http://olivier.hammam.free.fr/imports/auteurs/illich/renoncement-sante.htm

    Je soupçonne Illich de partir d’un principe catho-libéral et je suis sûr qu’il a malmené beaucoup de jeunes esprits innocents par ses écrits. Pourtant son analyse des institutions et de leur pouvoir est toujours un puissant outil de critique. Je continue donc à lui chercher la bonne place au milieu de mon bric-a-brac intellectuel.

    Sa critique de l’hôpital (qu’il rapproche de l’école, de l’armée et de la prison) et de la profession médicale, de son idéologie, sa terminologie et son pouvoir tellement hypocrites est incontournable depuis qu’on a pris connaissance des docteurs Mengele et Shirō Ishii / 石井 四郎 .

    Ces monstres nous ont révélé l’essence de leur profession en poussant la praxis médicale à l’extrême sans se soucier des excuses habituelles pour l’exercice du pouvoir médical . Par eux nous avons identifié le patient-marchandise soumis à l’autorité médicale par la force et la mystification.

    Illich nous fournit l’analyse structurelle et étihque de l’organisation qui sert de cadre pour l’excercice du pouvoir sur nous.

    Unit 731 /731部隊 / Nana-san-ichi Butai
    https://en.m.wikipedia.org/wiki/Unit_731

    Repris du site Sorceresses Reborn / Le Cercle des Sorcières Disparues (site web disparu)

    Voici vingt ans, j’ai publié un ouvrage intitulé Némésis médicale. Il s’ouvrait sur cette phrase, « l’entreprise médicale est devenue un danger majeur pour la santé ». A l’époque, cette formulation était puissamment chargée de sens. La lirais-je chez un auteur d’aujourd’hui que je riposterais : « Et puis après ? ». En effet, le danger majeur ne réside plus dans l’entreprise médicale, mais dans la quête de la santé.

    Dans la discussion universelle actuelle sur les systèmes de santé, deux mots reviennent très fréquemment : santé et responsabilité. Ces termes entrent dans deux types de discours. D’un côté les soins de santé sont considérés comme une responsabilité incombant à l’état, aux professionnels ou aux gestionnaires ; de l’autre, on estime que chacun doit être responsable de sa santé. « Prendre en main la responsabilité de sa santé », tel est actuellement le slogan qui a la préférence, et est en passe d’être annexé par le sens commun. Le fait que je parle au Québec, dans une communauté politique qui s’efforce de distancier ses principes directeurs des modes internationales, m’encourage à critiquer ces positions. Voilà pourquoi je veux argumenter le bien-fondé d’opposer un « NON » catégorique à l’idée de rendre publiquement les citoyens comptables de leur santé. Et aujourd’hui, en 1994, je suis loin d’être le seul à adopter cette attitude.

    Mais il y a un risque. Notre « non merci ! » devant la perspective d’une nouvelle politique sanitaire peut être interprétée et exploitée de cinq façons différentes pour faire exactement l’inverse de ce à quoi nous visons.

    1. En premier lieu, certains comprennent que le « non » à la santé sous la responsabilité personnelle de chacun implique qu’une mise en tutelle du citoyen s’impose. La santé, prétend-on, est trop précieuse pour être laissée à la discrétion des profanes. Je rejette catégoriquement cette arrogante imputation d’incapacité. Depuis trente ans, j’ai défendu publiquement la décriminalisation totale des pratiques d’auto-intoxication, ce qui n’implique nullement que je leur donne une caution morale. Et je persiste à prôner l’abolition de toutes les dispositions légales à l’encontre de la consommation de drogues et des méthodes curatives non classiques ou non homologuées. Dans le sillage de Paul Goodman, je fonde mon insistance sur le respect que nous devons à la dignité des plus faibles.

    2. Deuxièmement, mon « non » fondamental n’a aucun rapport avec la rareté présumée des agents curatifs. Aujourd’hui, des populations succombent en masse à la famine et non par manque d’interventions médicales ou chirurgicales. Et plus les gens sont pauvres, plus ils sont susceptibles d’être les victimes impuissantes d’une médecine au rabais. Pendant vingt ans, j’ai défendu l’idée que la consommation médicale, au-delà d’un seuil très bas, devrait être frappée de taxes de luxe comme le sont l’alcool. le tabac et les loteries. En taxant les dialyses, les pontages et les ACT, on obtiendrait les moyens de financer pour tous — même à Sumatra — des interventions telle que l’appendicectomie.

    3. En élevant mon « non », je ne me pose pas en penseur planétaire s’efforçant de frayer la voie à une dictature écologique. Je n’imagine pas qu’il puisse exister un quelconque système de régulation capable de nous sauver du déluge de poisons, de radiations de biens et de services qui rendent plus malades que jamais les hommes et les animaux. Ce monde ne comporte pas d’issues de secours. Je vis dans une réalité fabriquée, constamment plus éloignée de la création. Je sais aujourd’hui ce que cela signifie et quelles horreurs menacent chacun de nous. Il y a quelques décennies, je l’ignorais. Il me semblait alors possible de prendre ma part de responsabilité dans le monde. « Être bien portant » ou « être bien soigné » se ramène à une combinaison de trois facteurs : prestations techniques, protection de l’environnement et adaptation aux conséquences de la technologie, facteurs qui constituent inévitablement des privilèges.

    Dans la vallée mexicaine qui m’est familière, le village continue de dénommer ses fêtes populaires d’après le cycle de plantation et de croissance du maïs bleu mais il y a déjà quinze ans que cette céréale elle-même n’est plus qu’un souvenir. Et l’argent manque pour financer les techniques de culture d’hybrides, par ailleurs destructrices. Et il n’y a aucune protection contre les nuages délétères que répand la grande exploitation agro-alimentaire du lieu. Mais on ouvre de nouveaux centres voués à la pédagogie sanitaire, ce qui permet de jeter quelques rognures à la piétaille enthousiaste des verts. C’est pourquoi mon « non » n’est pas assurément un « oui » à la pédagogie de la santé qui implique la gestion de systèmes toxiques.

    4. Si je dis « NON » , ce n’est pas pour défendre une nouvelle éthique de la souffrance SOUS la direction de conseillers des endeuillés et d’accompagnateurs des moribonds qui trouvent dans la maladie et la mort modernes un moyen de se révéler à eux-mêmes. Je ne me range pas non plus dans le camp de ces gnostiques et philosophes qui gèrent le remodelage de ce monde artificiel. Aujourd’hui, j’ai appris ce qu’est l’impuissance. La « responsabilité » est désormais une illusion. Ils nous proposent d’admettre les inéluctables épidémies de l’âge postindustriel comme une sorte de santé sublimée. Je ne réserve nul « oui » au monde de la sujétion totale, à la médiatisation de l’impudence, tellement en vogue chez les philosophes du postmodernisme. Moi, je m’applique à cultiver l’indignation. L’air moderne de souffrir exige d’affronter une angoisse sans précédent. Il ne peut être enseigné mais seulement appris dans une amitié toujours renforcée. Ce qui nous accable aujourd’hui est entièrement nouveau. Ce qui détermine notre époque depuis Rachel Carson c’est l’acceptation réaliste croissante d’une perniciosité sans fin qui est aujourd’hui le thème de pompeux débats sur les orientations et les besoins en matière d’atome, de gènes et d’interventions neurologiques. Voilà les maux qui nous laissent sans voix. Contrairement à la mort, à la pestilence et aux démons, ces maux-là n’ont aucun sens. Bien que dus à l’homme, ils révèlent d’un ordre non humain. Ils nous réduisent à l’impuissance, à l’incapacité, à l’aboulie. Ces maux, nous pouvons les subir, en pâtir, mais non leur donner un sens, les interpréter. Seul celui qui trouve sa joie dans ses amis est capable de leur résister. Aussi y a-t-il un univers entre notre « non » et toutes les acceptations dociles des retombées secondaires du progrès.

    5. Enfin, il serait stupide ou malveillant de taxer d’indifférence cynique le « NON » à la pénalisation des comportements antihygiéniques. Au contraire ! Dans mes réflexions, la première place est occupée par la multitude par des gens innombrables dont quatre décennies de développement ont détruit l’espace architectural, technique et culturel d’où les arts traditionnels de souffrir et de mourir tiraient leur sève. Aujourd’hui, la vaste majorité des hommes est pauvre, et les sous-développés deviennent encore plus pauvres. Lorsque nous disons « non » à l’implantation de systèmes qui promeuvent la quête de la « santé », chez nous ou à l’extérieur, nous parlons avant tout de quelque chose qui m’apparaît impensable : quatre milliards d’hommes plongés dans la misère neuve du développement. Nous ne pourrons tenter d’être à côté d’eux que si nous disons d’abord « Non merci ». Les motifs de mon « non » éthique ne me mettent donc pas au service de ces cinq réalités actuelles que sont : le paternalisme professionnel, l’idéologie de la rareté, l’esprit de système, la psychologie de la libération et ce « sens commun » désormais à la mode qui affirme que l’auto-assistance, l’autonomie, ou même la responsabilité de soi-même sont, pour les pauvres, les seules chances de survivre en supportant les conséquences de l’enrichissement du reste du monde. Je formule mon « non » éthique à la poursuite de ma santé sous ma propre responsabilité parce que moi je veux chercher mon équilibre dans l’apprentissage de l’art de souffrir et de l’autolimitation dans la recherche du soulagement. La poursuite de la santé normative (conforme aux normes) ne pourrait qu’entraîner l’intériorisation des systèmes mondiaux dans le moi, à la manière d’un impératif catégorique. Le renoncement à la « santé » que j’oppose à cette autolimitation réaliste me semble être le point de départ d’une conduite éthiquement esthétiquement et eudémoniquement adaptée à notre temps. Mais, pour suivre cette argumentation, il nous faut d’abord remonter à la sociogenèse historique de ce à quoi nous voulons renoncer.

    La conception moderne de la santé

    La conception de la santé dans la modernité européenne représente une rupture par rapport à la tradition d’Hippocrate et de Galien familière à l’historien. Pour les philosophes grecs, la « santé » se concevait comme une combinaison harmonieuse, un ordre équilibré, un jeu réciproque des éléments fondamentaux. Etait en bonne santé celui qui s’intégrait dans l’harmonie de la totalité de son monde selon le temps et le lieu où il voyait le jour. Pour Platon, la santé était une vertu somatique. Mais depuis le XVIIe siècle, la volonté de maîtriser la nature a remplacé l’idéal de « la santé » par la conception d’une condition humaine dont on peut régir les paramètres. Dans la Déclaration d’indépendance des Etats-Unis est affirmé le droit à la recherche du bonheur. Le droit à la santé se matérialisa de façon parallèle en France. Dès lors, on s’estimait aussi fond à dire « ma santé » qu’à dire « mon corps ». A l’instar de l’idée voulant que l’Etat garantisse la recherche du bonheur, la quête moderne de la santé est le fruit d’un individualisme possessif.

    Il ne pouvait y avoir moyen plus brutal, et en même temps plus convaincant, de légitimer une société fondée sur l’avidité personnelle. De façon parallèle, la notion de responsabilité de l’individu fut admise dans les sociétés gouvernées démocratiquement. La responsabilité revêtit alors la forme d’un pouvoir éthique sur des régions toujours plus lointaines de la société et sur des formes toujours plus spécialisées de prestations par des services « générateurs-de-bonheur ».

    De nos jours, la santé et la responsabilité sont des concepts normatifs qui n’indiquent plus aucune voie à suivre. Si j’essaie de structurer ma vie en fonction de tels idéaux irrécouvrables, ils deviennent pernicieux — je me rends malade. Pour vivre convenablement aujourd’hui, il me faut renoncer de façon décisive à la santé et à la responsabilité. Je dis renoncer et non point ignorer, et je n’emploie pas ce terme pour connoter l’indifférence. Je dois accepter l’impuissance, déplorer ce qui a disparu, renoncer à l’irrécouvrable. Je dois assumer l’impuissance qui peut même me priver de mon conscient, de mes sens.

    Je crois profondément à la possibilité de renoncement. Et ce n’est pas par calcul. Le renoncement signifie et exige plus que le [fait de] pleurer l’irrécouvrable. Il peut vous libérer de l’impuissance. Il n’a aucun rapport avec la résignation , l’incapacité ou même le refoulement. Mais, de nos jours, le renoncement n’est pas un concept familier. Nous n’avons plus de mot pour désigner le renoncement courageux discipliné, lucide sur soi-même qui s’accomplit en commun — or c’est ce que j’évoque ici. Je l’appellerai l’ascèse. J’aurais préféré un autre terme, car l’ascèse nous fait songer à Flaubert et à son saint Antoine au désert, qui repousse la tentation du vin, de la chair et des parfums. En effet, le renoncement dont je parle n’a pas grand-chose à voir avec cette attitude.

    Une époque abstraite

    Nous vivons dans une époque abstraite et désincarnée. Les certitudes sur lesquelles elle repose sont largement dépourvues de sens. Mais leur acceptation mondiale leur confère une apparence d’indépendance par rapport à la culture et à l’histoire. Ce que j’appellerai l’ascèse épistémologique ouvre la voie à l’abandon de ces certitudes axiomatiques sur lesquelles se fonde en notre temps la vision du monde. J’évoque ici une discipline conviviale et pratiquée de façon critique. Les prétendues valeurs de la santé et de la responsabilité font partie des certitudes que je viens d’évoquer. Quand on les examine en profondeur, on constate que ce sont des phénomènes puissamment morbides et des facteurs de désorientation. Voilà pourquoi je considère l’incitation à assumer la responsabilité de ma santé dénuée de sens, fallacieuse, indécente et, d’une façon très particulière, blasphématoire.

    Ce qu’on appelle la « santé » est aujourd’hui une source de confusion pour bien des gens. Les experts dissertent savamment sur les « systèmes de santé ». Certaines personnes croient qu’à défaut d’un accès à des traitements élaborés et coûteux, les maladies séviraient. Chacun s’inquiète de l’augmentation des « dépenses de santé ». On s’entend même parler d’une « crise des soins de santé ». Je souhaite donner mon sentiment sur ces questions.

    Tout d’abord, je crois nécessaire de réaffirmer la vérité de la condition humaine : j’ai mal. Je souffre de certains troubles. Il est certain que je mourrai. Certains éprouvent plus intensément la douleur, d’autres sont atteints de troubles plus débilitants, mais nous affrontons tous pareillement la mort.

    En regardant autour de moi, je constate que nous avons une grande capacité de nous porter mutuellement assistance, particulièrement lors des naissances, des accidents et des trépas — et ainsi en va-t-il ailleurs dans le temps et l’espace. A moins d’être désaxées par des nouveautés historiques, nos maisonnées, en étroite coopération avec la communauté environnante, ont été admirablement accueillantes, c’est-à-dire, de manière générale, aptes à répondre positivement aux véritables besoins humains : vivre, célébrer et mourir.

    En opposition avec ce vécu, certains d’entre nous en sont venus à croire aujourd’hui que nous avons un besoin désespéré de fournitures marchandes standardisées, entrant toutes sous le label de la « santé », conçues et fournies par un système de services professionnels. Certains s’efforcent de nous convaincre que le nouveau-né arrive en ce monde non seulement sans forces ni capacités, nécessitant donc les tendres soins de la maisonnée — mais aussi malade, exigeant un traitement spécifique administré par des experts autocertifiés. D’autres croient qu’il faut constamment aux adultes des médicaments et des interventions pour qu’ils atteignent la vieillesse, tandis que les mourants ont besoin de soins médicaux dits palliatifs.

    L’asservissement au mythe technique

    Nombreux sont ceux qui ont oublié — ou ne sont plus capables d’en jouir — ces façons de vivre régies par le bon sens, qui contribuent au bien-être des personnes et à leur capacité de guérir d’une maladie. Beaucoup se sont laissés asservir à un mythe technique qui s’autoglorifie, et dont cependant ils se plaignent parce que, de manière impersonnelle, il appauvrit le plus grand nombre et enrichit une minorité.

    Je constate, pour le déplorer, que beaucoup d’entre nous entretiennent l’étrange illusion que tout un chacun a « droit » à quelque chose qui s’appelle les « soins de santé ». Ainsi se trouve-t-on légitimé à recevoir le plus récent assortiment de thérapies techniques, fondé sur le diagnostic d’un professionnel quelconque, afin de survivre plus longtemps dans un état qui est souvent affreux, douloureux ou simplement fastidieux.

    J’estime le temps venu d’énoncer clairement que ces conditions et ces situations spécifiques sont des facteurs de morbidité, bien plus que ne le sont les maladies elles-mêmes. Les symptômes que la médecine moderne s’efforce de traiter n’ont guère de rapport avec l’état de notre corps ; ils sont, bien davantage, les signes des préjugés et des désordres propres aux façons modernes de travailler, de se distraire, de vivre.

    Pourtant, beaucoup d’entre nous sont fascinés par l’éclat des « solutions » high-tech. Nous croyons pathétiquement aux remèdes miracles, nous croyons faussement que toute douleur est un mal qu’il faut supprimer, nous voulons retarder la mort à n’importe quel prix.

    J’en appelle à l’expérience personnelle de chacun, à la sensibilité des gens ordinaires, par opposition au diagnostic et aux décisions des professionnels. J’en appelle à la mémoire populaire, par opposition aux illusions du progrès. Prenons en considération les conditions de vie dans notre cercle familial et dans notre communauté, et non pas la qualité des prestations de « soins de santé » ; la santé n’est pas une marchandise qu’on distribue, et les soins ne peuvent être prodigués par un système.

    Oui, nous avons mal, nous tombons malade, nous mourons, mais également nous espérons, nous rions, nous célébrons ; nous connaissons les joies de prendre soin les uns des autres ; souvent nous sommes rétablis et guéris par divers moyens. Nous n’avons pas à suivre un chemin uniformisé et banalisé de notre vécu.

    J’invite chacun à détourner son regard, ses pensées, de la poursuite de la santé, et à cultiver l’art de vivre. Et, tout aussi importants aujourd’hui, l’art de souffrir, l’art de mourir.

    Les droits et libertés des malades

    Je revendique certaines libertés pour ceux qui préfèrent célébrer l’existence plus que de préserver la « vie » :

    la liberté de juger moi-même si je suis malade ;
    la liberté de refuser à tout moment un traitement médical ;
    la liberté de choisir moi-même un remède ou un traitement ;
    la liberté d’être soigné par une personne de mon choix, c’est-à-dire par quiconque dans la communauté s’estime apte à guérir, qu’il s’agisse d’un acupuncteur, d’un homéopathe, d’un neurochirurgien, d’un astrologue, d’un sorcier, ou de toute autre personne ;
    la liberté de mourir sans diagnostic.

    Il ne m’apparaît pas qu’il soit nécessaire aux Etats d’avoir une politique nationale de « santé », cette chose qu’ils accordent à leurs citoyens. Ce dont ces derniers ont besoin, c’est de la courageuse faculté de regarder en face certaines vérités :

    nous n’éliminerons jamais la douleur ;
    nous ne guérirons jamais toutes les affections ;
    nous mourrons certainement.

    Voilà pourquoi, en tant que créatures pensantes, nous devons bien voir que la quête de la santé peut être source de morbidité. Il n’y a pas de solutions scientifiques ou techniques. Il y a l’obligation quotidienne d’accepter la contingence et la fragilité de la condition humaine. Il convient de fixer des limites raisonnées aux soins de santé classiques. L’urgence s’impose de définir les devoirs qui nous incombent en tant qu’individus, ceux qui reviennent à notre communauté, et ceux que nous laissons à l’État.

    Ivan Illich
    L’Agora, Juillet/Août 1994

    • Grave :
      https://agora.qc.ca/documents/le_renoncement_a_la_sante

      ... le texte de la conférence qu’il a prononcé, au milieu de la décennie 1990, à un congrès de l’Association des directeurs généraux des services de santé et des services sociaux du Québec.

      Ces messieurs n’ont pu comprendre les réflexions d’Illich que dans le sens d’une justification de mesures d’austérité.

      Ivan Illich décrit très bien l’alinéation du malade/patient de sa maladie et de da vie en général. Il ne voit par contre pas que ce ne sont pas les prouesses du progrès technique, il mentionne la dialyse, qui éloignent l’homme de sa propre existence. Il aurait pu nous faire comprendre les raisons et conséquences de phénomènes qu’il décrit en situant les soignants et patients dans le système économique qui les fait marcher, en analysant la repartition du pouvior et des gains entre les membres du système médical.

      I.I. est une source d’inspiration toujours surprenante. Pour mettre ses trouvailles au service de tous la plus gande part du travail reste à faire.

      Parfois j’ai l’impression qu’Illich voit le monde de la perspective du magicien (jésuite) qui est en train de perdre le contrôle de ses brebis au profit des nouveaux sorciers biochimistes et médecins.

      #privatisation #aliénation #lutte_des_classes #capitalisme #iatrocratie

    • Je ne sais pas trop ce que c’est que catho-libéral, mais que Ivan Illich ait un soubassement mystique dans son approche de la maladie (et de la guérison) semble logique et probable. Moi ce que j’aime beaucoup chez lui, c’est que sous une apparence radicale (stop à l’école), il y a beaucoup de nuance dans sa pensée qui échappe résolument aux raccourcis (il vaudrait mieux dire par ex si on veut raccourcir : trop d’école tue l’école, trop de vitesse tue la vitesse, etc.). L’arbitrage intime « à quel moment je continue les soins, à quel moment je les arrête ? » est tellement intime, à la confluence de notre instinct de survie, de notre quête de sens (ou perte), de notre appétit social (ou désappétit), de l’arbitrage personnel entre qualité et quantité de vie... J’ai bien peur que la réflexion théorique prenne peu de temps à interroger en profondeur les motivations subtiles de celleux qui à un moment donné choisissent de ne plus se soigner. La dernière fois que je suis passé à l’hosto, on m’a mis un code barre au poignet et la suite ressemblait joliment à un parfait process industriel. Pour un petit passage en ambulatoire, j’ai fait le dos rond, mais pour ceux qui sont abonnés, je peux comprendre qu’on aspire à une autre dimension de vie, fut-elle plus courte.
      Pas sûr qu’Illich ait été jésuite. Mais attaché à l’exercice de la liberté par le discernement intérieur, c’est sûr. Et puis on ne peut pas lui reprocher de ne pas s’être appliqué à lui-même ses idées, ça change de pas mal d’autres. Je l’admire pas mal pour ça. En tous cas merci pour ce partage d’un texte que je ne connaissais pas.

  • #RLK24: »Das Endspiel des Kapitalismus ist in vollem Gange«
    https://www.jungewelt.de/artikel/467694.rlk24-das-endspiel-des-kapitalismus-ist-in-vollem-gange.html

    13.10.2024 - Das Referat des aus Kopenhagen angereisten Torkil Lauesen auf der XXIX. Internationalen Rosa-Luxemburg-Konferenz gehört zu den wohl am heißesten erwarteten Beiträgen an diesem Sonnabend im Berliner Tempodrom. Der Däne gehörte in den 1970er Jahren einer kommunistischen Gruppe an, die Geldtransporter überfiel, um mit der Beute sozialistische Befreiungsbewegungen im globalen Süden zu unterstützen.

    In seinem Referat stellte er die Frage, »wie wir Sand in das Getriebe der kapitalistischen Maschine bekommen«, um auf ihren Trümmern ein »gleichberechtigtes und friedliches Weltsystem« aufzubauen. Dass dies angesichts des im globalen Norden weit verbreiteten Pessimismus bei Revolutionären denkbar wird, liegt laut Lauesen an den Krisen des neoliberalen Kapitalismus. Dabei hat er in erster Linie den aktuellen Niedergang der US-Hegemonie auf der einen, sowie den von China angeführten, aufstrebenden Nationen des Südens, die eine multipolare Weltordnung errichten, auf der anderen Seite, vor Augen.

    Dieser »Hauptwiderspruch« ermögliche ein Fenster für eine antimperialistische Praxis. In der Metropole sei eine solche aus zwei Gründen geboten: Erstens habe unsere »imperiale Lebensweise« die ökologische Klimakrise verursacht, zweitens verfügten unsere Staaten über Massenvernichtungsmittel, die das »Endspiel des Systems in eine Katastrophe verwandeln könnten«. Die treibende Kraft der Transformation werde jedoch der globale Süden sein. Diesen gelte es »konkret zu unterstützen«, unter anderem, indem der internationale Arbeiterkampf entlang von globalen Produktionsketten, in der Klima- sowie der Antikriegsbewegung gefördert werde.

    Antiimperialisten die sich im Norden an diesem Kamp beteiligen, so Lauesen, werden eine Minderheit in unserer Gesellschaft sein, aber eine wichtige Minderheit: »Wir werden als Landesverräter gelten – aber das ist besser, als ein Klassenverräter zu sein«. Zum Abschluss warnte der Referent: Auf die kommende Kriminalisierung der Bewegung solle man sich vorbereiten, sowohl auf persönlicher als auch auf organisatorischer Ebene. (kan)

    #capitalisme #crise #répression

  • Pourquoi la vie sexuelle des femmes est-elle meilleure sous le socialisme ?
    https://labrique.net/index.php/thematiques/feminismes/1291-pourquoi-la-vie-sexuelle-des-femmes-est-elle-meilleure-sous-le-social

    Derrière ce titre un poil racoleur se cache une étude très sérieuse de l’universitaire Kristen Ghodsee sur le féminisme des anciens pays de l’Est. Le raisonnement qui fait passer de l’économie à l’orgasme est simple : la volonté des pays du bloc de l’Est d’enrôler les femmes dans la force de travail, couplée aux luttes des féministes communistes, ont permis la création d’une série de dispositifs favorisant l’indépendance économique des femmes. Celle-ci rend possible une plus grande égalité dans les couples (hétérosexuels), ce qui a des répercussions directes sur l’intimité : être moins préoccupée par sa survie quotidienne, moins accaparée par le travail domestique, moins dépendante de son mari, rend plus disponible pour la (...)

    #En_vedette #Féminismes

    • Why Women Have Better Sex Under Socialism And Other. Arguments for Economic Independence

      A spirited, deeply researched exploration of why capitalism is bad for women and how, when done right, socialism leads to economic independence, better labor conditions, better work-life balance and, yes, even better sex.

      In a witty, irreverent op-ed piece that went viral, Kristen Ghodsee argued that women had better sex under socialism. The response was tremendous — clearly she articulated something many women had sensed for years: the problem is with capitalism, not with us.

      Ghodsee, an acclaimed ethnographer and professor of Russian and East European Studies, spent years researching what happened to women in countries that transitioned from state socialism to capitalism. She argues here that unregulated capitalism disproportionately harms women, and that we should learn from the past. By rejecting the bad and salvaging the good, we can adapt some socialist ideas to the 21st century and improve our lives.

      She tackles all aspects of a woman’s life – work, parenting, sex and relationships, citizenship, and leadership. In a chapter called “Women: Like Men, But Cheaper,” she talks about women in the workplace, discussing everything from the wage gap to harassment and discrimination. In “What To Expect When You’re Expecting Exploitation,” she addresses motherhood and how “having it all” is impossible under capitalism.

      Women are standing up for themselves like never before, from the increase in the number of women running for office to the women’s march to the long-overdue public outcry against sexual harassment. Interest in socialism is also on the rise — whether it’s the popularity of Bernie Sanders or the skyrocketing membership numbers of the Democratic Socialists of America. It’s become increasingly clear to women that capitalism isn’t working for us, and Ghodsee is the informed, lively guide who can show us the way forward.

      https://www.hachettebookgroup.com/titles/kristen-r-ghodsee/why-women-have-better-sex-under-socialism/9781568588896

      #livre #indépendance_économique #capitalisme

  • La ruée minière au XXIe siècle | Celia Izoard
    https://www.terrestres.org/2024/01/11/la-ruee-miniere-au-xxie-siecle

    Ces Bonnes feuilles sont extraites du prologue et de la conclusion finale de Celia Izoard, La Ruée minière au XXIe siècle. Enquête sur les métaux à l’ère de la transition, Seuil, 2024.

    Sur un lac de montagne, une oie sauvage est traquée par un drone. Il est équipé de grandes pattes métalliques, de lumières stroboscopiques et de sirènes hurlantes. Depuis un ponton aménagé sur la rive, des hommes l’observent, fusil à la main, prêts à tirer. L’oie ne bouge pas. Un instant plus tard, faute d’avoir réagi à la présence du drone, elle est prise en chasse par un petit bateau télécommandé qui fonce vers elle dans un petit nuage d’écume palpitante. L’oie s’envole. Étrange vision que cet arsenal dirigé contre un oiseau blanc tranquillement posé sur l’eau. La séquence est diffusée dans un journal télévisé, aux États‑Unis, en 20181.

    Pour comprendre cette séquence, il faut revenir deux années en arrière. Un jour de novembre 2016, dans la petite ville minière de Butte dans le Montana, il a plu des oies sauvages. Il en est tombé, mortes, dans les rues, sur le parking du Walmart, devant le casino. Sur le lac de montagne qu’on aperçoit dans la vidéo, on a retrouvé près de 4 000 cadavres, cotonneuse marée de plumes blanches flottant à la surface de l’eau. Ce jour‑là, 10 000 oies s’étaient posées sur le lac pour s’abreuver pendant leur migration.

    #livre #Capitalisme #Déchets #Extractivisme #mines #métaux

  • # Le gouvernement veut délaisser les #énergies #renouvelables électriques au profit du #nucléaire

    Ce texte est une véritable bombe à plusieurs niveaux

    1-On dit clairement au monde : on s’en fout du climat, tout ce qu’on veut c’est relancer le nucléaire. C’est bien juste après la clôture de la cop28.
    2-RTE a dit plusieurs fois récemment que la relance du nucléaire c’était presque trop tard pour stopper le réchauffement climatique, faut surtout, dans l’urgence actuelle, tenter de sécuriser le parc nucléaire existant pour développer les ENR à côté (https://www.rte-france.com/actualites/bilan-previsionnel-transformation-systeme-electrique-2023-2035).
    RTE c’est un peu le corps d’ingénieure de l’état le plus respecté dans le monde de l’énergie par la qualité de son expertise et la pertinence de ses prévisions. Donc là on chie sur ce qu’ils ont pondu, on sent les bonnes habitudes prises pendant le covid (vous inquiétez pas, ça va passer)
    3- On vire TOUS les objectifs : réduction de CO2, production d’ENR...sauf qu’on s’est engagé au niveau européen (il me semble, j’en suis pas 100% sûr). Je n’imagine même pas le merdier politico-diplomatique que ça va foutre à l’échelle européenne.

    Je suis totalement estomaqué

    https://www.liberation.fr/environnement/climat/le-gouvernement-veut-delaisser-les-energies-renouvelables-electriques-au-
    https://www.liberation.fr/resizer/LDMXyje8ds9FsOqnL_jubsH88tc=/1200x630/filters:format(jpg):quality(70):focal(3045x2605:3055x2615)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/liberation/GW2BSH7FU5EVNA53OKKVV4S6DQ.jpg

    Sans doute peu confiant dans la capacité de l’#atome à diminuer la dépendance du pays aux hydrocarbures, l’exécutif affaiblit aussi l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre inscrit dans le code de l’énergie : il ne s’agirait désormais plus de « réduire » mais de « tendre vers une réduction de » ces émissions. Soit une vague obligation de moyens et non de résultats.

  • « On a désappris aux gens à faire durer les choses »

    Prendre soin des choses relève d’une activité souvent peu visible : la maintenance. Au nom de la croissance, cette pratique a été refoulée, racontent les sociologues Denis Pontille et Jérôme Denis.

    Réparer, recoudre, huiler, nettoyer, mettre à jour, aiguiser, inspecter… Toutes ces actions consistent à tenter de faire durer les objets avec lesquels nous vivons, de notre pull préféré aux aiguillages d’une ligne TGV. Toutes font partie d’un « art de la maintenance », remis sur le devant de la scène par les sociologues Jérôme Denis et David Pontille, rattachés au Centre de sociologie de l’innovation, dans leur ouvrage Le soin des choses, politique de la maintenance (éd. La Découverte). Ils nous invitent à repenser la relation au monde matériel qui nous entoure.

    Reporterre — Vous écrivez que « faire durer les choses est une opération presque subversive ». Pourquoi ?

    Jérôme Denis — Dans les configurations particulières que sont les pays riches et les zones riches de ces pays, une certaine forme de capitalisme s’est constituée autour d’une durée de vie restreinte des choses et d’une hyperconsommation. Face à cela, la maintenance, faire durer des choses, est une opération qui n’est pas révolutionnaire, mais qui met un grain de sable dans la machine.

    C’est différent de la réparation. Pourquoi ?

    David Pontille — La réparation est incluse dans la maintenance. Mais la réparation met en scène des héros et des héroïnes, des gens qui viennent « sauver » la situation, ou le monde, de la rupture, de la casse,de la panne, du désastre. Ils remettent la situation en ordre. Au contraire, la maintenance, ce sont des gestes pratiqués en continu, et c’est potentiellement tout le monde. Il n’y a pas de figures spécifiques qui viennent créer l’événement.

    À quel moment la maintenance a-t-elle été reléguée en arrière-plan ?

    Jérôme Denis — A un moment, dans les pays riches, s’est construit une lutte très explicite contre certaines pratiques de maintenance et de réparation ordinaire, quotidienne. Elles étaient populaires, domestiques ou à l’usine, en grande partie faites par les femmes. De l’économie, au sens « être économe ». Au tournant du XXᵉ siècle, un modèle économique s’est constitué contre ces pratiques. Il ne fallait pas que les gens fassent durer ce qu’ils consommaient. Il fallait qu’ils désapprennent, presque, à faire durer les choses. C’est allé jusqu’à des formes de stigmatisation publique. Des campagnes de communication aux États-Unis prétendaient qu’il était antinationaliste de faire des économies de bouts de chandelle, qu’il fallait absolument acheter parce que c’est un acte héroïque et patriotique.

    « Les personnes qui pratiquent la maintenance doivent produire leur invisibilité, comme les femmes de ménage dans les bureaux »

    Cela va avec l’invention du jetable. On n’est plus responsables, on n’a plus le fardeau de s’occuper de ce que l’on achète, d’y prêter attention. Après, il faut être très précis et ne pas oublier qu’aujourd’hui, dans n’importe quel quartier populaire, campagne, et dans pas mal de maisonnées, on trouve des traces de gens qui savent faire et font quand même, notamment parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement. Et on ne parle pas évidemment des pays du Sud.

    Pourquoi la maintenance a-t-elle été — au moins dans certains domaines — invisibilisée ?

    David Pontille — Au cœur de l’acte de maintenance, il y a l’idée de faire durer. Cela va à l’inverse des grands récits sur l’innovation, où il faut faire de la disruption, du nouveau, du créatif. Il y a aujourd’hui une survalorisation de l’acte créateur par rapport à l’acte reproducteur, de faire durer, de simplement poursuivre ce qui est déjà là. Cela va jusque dans la comptabilité, où c’est l’investissement qui est valorisé, qui crée la valeur, alors que les frais de fonctionnement sont considérés comme moins importants.

    Quelles conséquences sociales cela a-t-il sur ceux dont la maintenance est le métier ?

    Jérôme Denis — Une grande partie des activités de maintenance sont mal reconnues. Les personnes qui la pratiquent doivent produire leur invisibilité, comme les femmes de ménage dans les bureaux. Il y a des conséquences sur la reconnaissance de leur expertise, ce qui pose tout simplement des questions de rémunération. Comme on ne sait pas ce que rapporte la maintenance — c’est ce que disait Denis sur la comptabilité — on a du mal à la payer correctement.

    « Il faut prendre en compte le fait que si cette machine fonctionne bien, c’est grâce à des personnes qui l’entretiennent »

    La deuxième conséquence est que, comme à peu près n’importe quel travail productif, physique, la maintenance use. Il y a des troubles musculo-squelettiques, des expositions à des produits dangereux. Il faut prendre en compte le fait que si cette machine fonctionne bien dans cette usine, si cette infrastructure tient, c’est grâce à des personnes qui l’entretiennent. Et se demander quel est le coût financier et humain des travailleurs et travailleuses impliqués dans la maintenance.

    Quels sont les enjeux communs aux travailleuses du soin aux personnes et aux travailleurs de la maintenance ?

    Jérôme Denis — C’est le rapprochement que fait Mierle Laderman Ukeles [artiste américaine née en 1939, connue pour ses œuvres mettant en scène les tâches de maintenance et de nettoyage], qui est en couverture du livre. Cette artiste conceptuelle fait une connexion entre ce qu’elle fait à la maison et le travail des éboueurs de New York. Dans son Manifeste pour l’art de la maintenance, le care [soin] est un mot très important.

    « Le soin des choses et des personnes remet en cause le mythe de l’autonomie »

    Que ce soit pour le soin des personnes ou des choses, la fragilité est le point de départ, la condition commune. Les gens qui prennent soin des personnes sont des gens qui considèrent qu’il n’y a pas un état sain, puis des écarts à cet état sain. Tout le monde a des formes de vulnérabilité. Cela retourne l’idée du normal, de l’ordre : les mainteneurs et les mainteneuses prennent également la fragilité comme point de départ.

    L’autre point commun est la part d’invisibilité de ces personnes. Les deux activités — soin des choses et des personnes — remettent aussi en cause le mythe de l’autonomie, cette figure très libérale de l’individu qui fait ses choix en toute responsabilité, seul. Les théories féministes du soin redéfinissent l’autonomie et assument l’interdépendance, le fait qu’on a toujours besoin, à un moment donné dans notre vie, d’être pris en charge par d’autres.

    Et le dernier point commun, c’est l’ambivalence de ces activités et les jeux de pouvoir qui s’y jouent. Prendre soin, c’est potentiellement imposer des manières de faire. Qui prend soin de qui ? Jusqu’où ? Qui peut se permettre de ne jamais prendre soin et d’être insouciant ?

    Prendre soin des choses et des personnes peut-il nous apprendre à prendre soin de la nature ?

    Jérôme Denis — Oui, parce que les humains habitent le monde avec des choses. Dans le livre, on utilise les termes de « tact » et de « diplomatie matérielle », car quand on prend soin des choses, il y a cette idée de négociation. Jusqu’où peut-on se permettre d’aller pour faire durer, préserver, conserver, restaurer, entretenir ? C’est une question éminemment politique, mais aussi très philosophique. Et centrale dans la préservation environnementale.

    « Il faut se débarrasser du mythe de l’équilibre, de l’idée que les choses vont revenir à un état stable »

    Pour y répondre, on peut s’inspirer des formes de maintenance que l’on appelle modestes, qui assument qu’il faut faire, qu’il ne faut pas disparaître, mais qu’il ne faut pas être trop brutal. La conservation patrimoniale des monuments historiques est un excellent exemple. Alors que le modèle de Viollet-le-Duc était très immodeste, qu’il assumait des grandes transformations pour revenir à l’état « original » d’un monument, la profession s’est organisée depuis quelques années à l’échelle internationale autour du principe « d’intervention minimale » qui assume qu’il y a bien des interventions nécessaires pour la conservation, mais qui insiste aussi sur la nécessité de rester parcimonieux. Cela produit un rapport à l’environnement qui ressemble plus à ce que propose Aldo Leopold [1887-1948, considéré comme l’un des pères de la protection de l’environnement aux États-Unis], c’est-à-dire à une sorte de partenariat. Les humains sont à l’intérieur des écosystèmes, en essayant d’être le moins nuisibles possible, au nom d’une communauté de vie sur Terre.

    Et puis, on peut avoir tendance à imaginer que la maintenance ou le soin sont un statu quo. Certaines formes de maintenance essayent de fabriquer une immobilité. Ce que l’on montre, c’est que pour y arriver, il faut accepter les transformations. C’est typique de la signalétique du métro, que nous avons étudiée. C’est un dispositif destiné à être toujours présent, toujours en bon état. Pour assurer cela, il faut accepter d’en remplacer régulièrement des composants. Il y a là aussi une connexion avec la question de conservation environnementale. Il faut se débarrasser du mythe de l’équilibre, de l’idée que les choses vont revenir à un état stable, une fixité.

    https://reporterre.net/On-a-desappris-aux-gens-a-faire-durer-les-choses
    #objets #réparation #maintenance #capitalisme #consumérisme #hyperconsommation #économie #jetable #innovation #faire_durer #création #production #reproduction #investissement #fragilité #tact #diplomatie_matérielle #négociation

    • Le soin des choses. Politiques de la maintenance

      Qu’ont en commun une chaudière, une voiture, un panneau de signalétique, un smartphone, une cathédrale, une œuvre d’art, un satellite, un lave-linge, un pont, une horloge, un serveur informatique, le corps d’un illustre homme d’État, un tracteur ? Presque rien, si ce n’est qu’aucune de ces choses, petite ou grande, précieuse ou banale, ne perdure sans une forme d’entretien. Tout objet s’use, se dégrade, finit par se casser, voire par disparaître. Pour autant, mesure-t-on bien l’importance de la maintenance ? Contrepoint de l’obsession contemporaine pour l’innovation, moins spectaculaire que l’acte singulier de la réparation, cet art délicat de faire durer les choses n’est que très rarement porté à notre attention.
      Ce livre est une invitation à décentrer le regard en mettant au premier plan la maintenance et celles et ceux qui l’accomplissent. En suivant le fil de différentes histoires, ses auteurs décrivent les subtilités du « soin des choses » pour en souligner les enjeux éthiques et la portée politique. Parce que s’y cultive une attention sensible à la fragilité et que s’y invente au jour le jour une diplomatie matérielle qui résiste au rythme effréné de l’obsolescence programmée et de la surconsommation, la maintenance dessine les contours d’un monde à l’écart des prétentions de la toute-puissance des humains et de l’autonomie technologique. Un monde où se déploient des formes d’attachement aux choses bien moins triviales que l’on pourrait l’imaginer.

      https://www.editionsladecouverte.fr/le_soin_des_choses-9782348064838
      #livre

  • Terre : aux racines du capitalisme

    L’élément terre, dans son acception économique peut s’entendre de deux manières : la terre à exploiter, dont on peut tirer des ressources et du profit, et la Terre à préserver et à “sauver” d’un #capitalisme_prédateur qui l’épuise. L’idée de parler de capital Terre reprend deux notions incluses dans le terme Terre, à savoir comprendre la Terre à la fois comme notre planète et à la fois comme une ressource foncière. On ressent bien l’ambivalence dans l’expression capital Terre : la Terre est à la fois notre espace de vie, un espace commun et un bien précieux à préserver, mais elle est aussi une ressource dans laquelle puiser des richesses et dont on peut retirer des profits.
    Du 12ème au 19ème siècle : comment la croissance se fonde-t-elle sur le travail de la terre ?

    Selon Alessandro Stanziani, l’histoire économique de la terre comme capital commence au 12ème siècle, il précise "selon Fernand Braudel et Werner Sombart le capitalisme commence au 12ème siècle. Le capitalisme selon Braudel est identifié par le monopole, plutôt que la concurrence, et par la finance. Je complète cette définition avec la notion que les ressources sont uniquement à exploiter et non pas à préserver pour le futur et surtout que le travail doit être soumis à des contraintes sévères au long de plusieurs siècles. De ce point de vue-là, je n’associe pas, comme Marx, le travail et le capitalisme au travail salarié et au prolétaires, au contraire, j’associe les formes multiples du capitalisme aux formes différentes du travail contraint. D’où la possibilité d’inclure les régimes qui commencent au 12ème siècle sous le nom de capitalisme". Par ailleurs, du 12e au 19e, la hausse de la production agricole correspond à une augmentation des surfaces cultivées, en effet les déforestations n’ont cessé d’être présentes du néolithique au haut Moyen-Âge et elles s’accélèrent fortement entre le 8e et le 13e siècle. Cependant, même au 12ème siècle des contestations contre le déboisement et l’exploitation de la terre à des fins productives agraires existaient déjà, Alessandro Stanziani ajoute "les résistances sont importantes, plusieurs acteurs se rendent compte de la nécessité de préserver les forêts afin d’avoir de bonnes récoltes à côté, mais aussi pour des intérêts économiques, politiques et sociaux. Cette résistance est celle d’un capitalisme que j’appelle foncier, agraire et quasi industriel, qui va du 12ème au 19ème siècle".
    De 1870 à 1970 : vers un modèle productiviste et une surexploitation de l’élément terre

    Pendant ces décennies, l’exploitation des ressources de la terre et le système capitaliste connaissent des changements majeurs, marqués par une intensification remarquable. Alessandro Stanziani précise "dans l’agriculture et dans le pays du Nord, la mécanisation est très lente, mais on constate un changement significatif avec les semences. Après la crise de 29, aux Etats-Unis, on s’intéresse aux semences hybrides. Il y a des investissements massifs, on donne des semences hybrides aux fermiers américains et ensuite, on vend ces mêmes semences à l’Europe avec l’aide du plan Marshal et on impose aux agriculteurs européens d’avoir recours aux semences hybrides. L’avantage des semences hybrides, ce sont des rendements faramineux, ça commence par le maïs, la plante des plaines américaines, et de fait on arrive à nourrir de plus en plus de population à l’échelle mondiale. L’inconvénient c’est que les semences hybrides ont une durée de vie très courte, de un ou deux ans, pour qu’elles soient rentables il faut beaucoup de fertilisants chimiques. Les producteurs de semences produisent aussi le fertilisants chimiques, ils sont gagnants des deux côtés. Par ailleurs, ces producteurs ont le monopole et l’exclusivité de ce marché. Enfin, les rendements des hybrides commencent à décroître après 20 ans".
    De 1970 à 2050 : spéculer sur le capital Terre : la terre face à la libéralisation des marchés

    Les bouleversements majeurs ont lieu pendant les années 1970 : la fin du système de Bretton Woods, les chocs pétroliers, le déclin du keynésianisme et de l’État social en Occident et le début des réformes en Chine.
    Par ailleurs, la spéculation sur les produits agricoles s’élargit aux terres elles-mêmes : il ne s’agit pas seulement d’échanger des produits virtuels dont la plupart ne verront jamais le jour, mais de contrôler ces flux hypothétiques à l’échelle mondiale. Selon Alessandro Stanziani "avec le néolibéralisme des années 80 et surtout dans les années 1990, on assiste à la libéralisation totale des Bourses de marchandises, avec les spéculations sur les matières premières et sur le blé, et on arrive jusqu’aux crises de 2008/2010 et jusqu’au crise de nos jours sur la vie chère. C’est-à-dire que c’est une pénurie qui est provoquée, non pas par de mauvaises récoltes, mais surtout par les spéculations".

    https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/entendez-vous-l-eco/terre-aux-racines-du-capitalisme-8719942

    #capitalisme #terre #agriculture #histoire #économie_capitaliste #terres #Alessandro_Stanziani #capital_terre #spéculation #exploitation #foncier #ressource_foncière #à_écouter #ressources_pédagogiques #croissance #déforestation #forêts #déboisement #mécanisation #semences #semences_hybrides #plan_Marshal #maïs #rendements #industrie_agro-alimentaire #fertilisants #néolibéralisme #blé #matières_premières #pénurie #podcast #audio

    • Capital Terre. Une histoire longue du monde d’après (XIIe-XXIe siècle)

      Et si le cœur du problème de la faim dans le monde n’était pas la hausse de la population mais plutôt les modalités de la production agricole et surtout de la distribution au profit des plus riches ? Dans cet essai engagé pour des sociétés plus solidaires et plus justes, qui retrace l’histoire longue du capitalisme, Alessandro Stanziani propose de renouer avec le contrat social cher à J.-J. Rousseau et de faire de la démocratie, de l’égalité sociale et de l’environnement les trois piliers du monde d’après. Défenseur d’une politique publique conciliant croissance économique et démographique, droits du travail, lutte contre les inégalités et protection de la planète, il plaide pour la fin des spéculations sur les denrées alimentaires, de l’accaparement des terres et de la propriété industrielle, en particulier sur les semences, véritable « patrimoine de l’humanité », et prône une refonte plus égalitaire de la fiscalité et des finances publiques.
      Une pensée économique globale, qui se préoccupe autant de l’avenir de l’Asie et de l’Afrique que de celui de l’Europe, par un brillant historien reconnu à l’international et fort de décennies de recherches sur le terrain dans le monde entier.

      https://www.payot-rivages.fr/payot/livre/capital-terre-9782228929257
      #livre

  • Review of zur Nieden, Susanne, Unwürdige Opfer : Die Aberkennung von NS-Verfolgten in Berlin 1945 bis 1949
    https://www.h-net.org/reviews/showrev.php?id=18269

    C’est un sujet pour l’année 2024 : l’exclusion et la culpabilisation des plus pauvres. La pratique la plus radicale de l’idéologie de la responsabilité individuelle pour la maladie et la pauvreté fut la définition assez floue et l’emprisonnement dans les camps nazis des « asociaux et criminels professionnels ».

    En principe et d’un point de vue de pauvre et de malade les déologies nazies et libérales sont identiques. Il y a une différence dans le détail : Les nazis t’assassinaient et t’euthanasiaient, les libéraux te laissent crever tout seul des suites de ta pauvreté et de ta maladie.

    Comme à l’époque nazie chaque personne non fortunée est encore aujourd’hui soumise à l’accusation de responsabilité pour son propre malheur. La transformation des états de providence en sociétés libérales ("there is no such thing as society", Thatcher) continue et se radicalise en temps de guerre.

    En 2024 on aura beaucoup de choses à découvrir et à contester.

    Reviewed by Veronika Springmann
    Published on H-Soz-u-Kult (November, 2003)

    In den vergangenen Jahren ist nicht nur einiges zur Geschichte der Nachkriegszeit in beiden deutschen Staaten veröffentlicht worden, auch die Anfänge der Debatten um Entschädigung und Wiedergutmachung wurden in den Blick genommen. Stellvertretend erwähnt sei hier der Sammelband Klaus Naumann (Hg.), Nachkrieg in Deutschland, Hamburg 2001.
    Susanne zur Nieden versteht ihre Untersuchung zum „Berliner Hauptausschuss Opfer des Faschismus“ als eine „Detailstudie im Kontext der Vergangenheitspolitik“ (S.11). Sie fokussiert sich auf die Diskussion um die Wiedergutmachung von NS–Verfolgten und deren Umsetzung in Berlin von Mai 1945 bis Ende 1948.

    Im ersten Teil der Untersuchung beschreibt Susanne zur Nieden die Versuche einer Gruppe von Überlebenden, eine „überparteiliche und gesamtdeutsche Verfolgtenpolitik“ zu initiieren. Das wurde bereits von Olaf Groehler 1995 Vgl. hier Olaf Goehler, Verfolgten- und Opfergruppen in den politischen Auseinandersetzungen in der SBZ und DDR, in: Jürgen Danyel (Hg.), Die geteilte Vergangenheit. Zum Untergang mit dem Nationalsozialismus und Widerstand in beiden deutschen Staaten, Berlin 1995, S. 17 – 31. beschrieben. Dies wird nun sehr detailreich ausgeführt, vor allem im zweiten Teil der Monographie, der sich nicht nur mit der konkreten Arbeit des Berliner Hauptausschusses „Opfer des Faschismus“ beschäftigt, sondern aufzeigt, nach welchen Kriterien Verfolgte des Nationalsozialismus aus der Entschädigungspraxis ausgeschlossen wurden. In ihrem Ergebnis kommt sie zu einem Resultat, welches bereits Constantin Goeschler formulierte: “Zwischen der Gesamtzahl derer, die im Dritten Reich oder durch dieses diskriminiert, verfolgt oder ermordet, und der Zahl derer, die nach dem Krieg in Deutschland als Verfolgte des Nationalsozialismus in Betracht gezogen wurden, herrscht eine erhebliche Diskrepanz. Vgl. Constantin Goschler, Nachkriegsdeutschland und die Verfolgten des Nationalsozialismus, in: Hans – Erich Volkmann (Hg.), Ende des Dritten Reiches – Ende des zweiten Weltkrieges. Eine perspektivische Rückschau, München/Zürich 1995, 317 – 342, hier: 318. Von dieser Diagnose ausgehend schält sich eine der Hauptfragen der Untersuchung heraus: Welche Überlegungen lagen der gängigen Praxis des Ein – bzw. Ausschlusses in die Gemeinschaft der Verfolgten zugrunde. Susanne zur Nieden lässt sich hier von der Annahme leiten, dass „Ausschluss und Grenzziehung“ konstitutive Elemente der Entschädigungspraxis gewesen seien. Dass sie diese Ausschlüsse nicht immer rückbindet an Normvorstellungen der Akteure, ist eine Schwäche des Bandes.

    Bereits im März 1945 hatte sich in Berlin eine Gruppe von Gegnern des nationalsozialistischen Staates zusammengeschlossen. Noch war Berlin nicht in Sektoren aufgeteilt und unterstand der sowjetischen Verwaltung. Der von der sowjetischen Militäradministration eingesetzte Berliner Magistrat arbeitete unter den extremen Bedingungen einer zerstörten Infrastruktur, einer Stadt voller Flüchtlinge und obdachloser Menschen. Im Mai 1945 gelang es einer Gruppe von Häftlingen um Ottomar Geschke eine Interessenvertretung für NS-Verfolgte zu initiieren. Ottomar Geschke, Stadtrat für Soziales, strich bereits in seiner ersten Rede heraus, dass er die soziale Betreuung der „Opfer des Faschismus“ für das Kernstück der Sozialpolitik halte: „ Ich habe mir gesagt, das deutsche Volk insgesamt, das tatenlos zugesehen hat, wie Millionen und Abermillionen in die KZ’s (sic!) in die Zuchthäuser und die Gefängnisse geworfen und durch Krematorien gejagt wurden, dieses deutsche Volk, also die Gesellschaft muss wiedergutmachen an uns.“ Zit. nach Susanne zur Nieden, Unwürdige Opfer, 31. Diese Passage macht deutlich, was Susanne zur Nieden erst im Schlusswort deutlich formuliert, sich aber als „leise“ Frage dennoch durch den ganzen Band zieht: Wie eng die Frage nach Wiedergutmachung von NS-Verbrechen mit einer anderen zweiten zusammenhing, nämlich wie die sich neu bildenden Instanzen im besetzten Deutschland mit den NS-Aktivisten beziehungsweise mit der Mehrheit der Mitläufer umgehen sollten.“(S. 186).

    Der Hauptausschuss, keinesfalls nur von Kommunisten geprägt, Das zeigt bereits die erwähnte Studie von Olaf Groehler. Vgl. dazu Barck, Simone, Antifa-Geschichte(n). Eine literarische Spurensuche in der DDR der 1950er und 1960er Jahre, Köln 2003. Vgl. Susanne zur Nieden, “...für das Ansehen, der ‚Opfer des Faschismus’ nicht tragbar“. Auseinandersetzungen um den Verfolgtenstatus von Minna R., Blockälteste im KZ Ravensbrück, in: Insa Eschebach/Sigrid Jacobeit/Susanne Lanwerd (Hgg.), Die Sprache des Gedenkens. Zur Geschichte der Gedenkstätte Ravnebsrück 1945-1995, Berlin 1999, 184 – 195. setzte sich zusammen aus ehemaligen NS-Verfolgten, unterschiedlichster politischer Couleur: „Ausschließlich NS-Verfolgte sollten ihre Leidensgenossen vertreten und betreuen.“ (S. 35). Sieht Jürgen Danyel in dieser pluralen Zusammensetzung demokratische Versuche, wertet es Susanne zur Nieden v.a. als taktisch. Eine Annahme, die in der Untersuchung nicht überzeugend belegt werden kann, auch nicht im zweiten Teil, der sich mit „Unwürdigen Opfern“ auseinandersetzt, und Fragmente von „Verfolgungsbiografien“ vorstellt. Insgesamt liest sich dieser Teil ungleich spannender als der vorhergehende.

    Susanne zur Nieden beschäftigt sich hier mit Überprüfungsaktionen des Berliner Hauptausschusses, in deren Verlauf Menschen der Status eines NS-Verfolgten aberkannt wurde. Susanne zu Nieden zeigt auf, an welchen Schnittstellen diese Überprüfungsaktion angesiedelt war. So geben uns diese Akten nicht nur Auskunft über das tatsächliche Procedere des Ausschusses, sondern berichten über die moralisch-politischen Vorstellungen der Gruppe, die darüber entschied, wer sich „Opfer des Faschismus“ nennen durfte. Deutlich wird hier, wie stark kollektive Erinnerung und Erinnerungsarbeit vom politischen und moralischen Impetus unterschiedlicher gesellschaftlicher Gruppen geleitet wird.

    Gegliedert ist der zweite Teil in vier Kapitel. Zunächst widmet sich Susanne zur Nieden der Frage, unter welchen Umständen es zu einer Überprüfung der anerkannten „Opfer des Faschismus“ kam. Im zweiten Kapitel wird von Menschen erzählt, die ihre Anerkennung als Opfer des Faschismus verloren haben. Moralischer und politischer Anspruch des Hauptausschusses zeigten sich in seiner formulierten gesellschaftlichen Vorbildfunktion, die es nicht zulassen konnte, dass sich innerhalb des OdF Menschen befanden, „die sich kriminelle Handlungen zuschulden kommen lassen“ (S.120). Susanne zur Nieden führt aus, dass es zwar einerseits einen rigiden moralischen Anspruch gegeben habe, andererseits dieser zunächst in den Richtlinien keinen ausdrücklichen Niederschlag fand. Bezeichnend hierfür der Fall zweier Frauen, denen homosexuelle Handlungen vorgeworfen wurden. Rechtlich gesehen konnten sie nicht belangt werden, da gleichgeschlechtliche Beziehungen unter Frauen nicht unter Strafe standen; der Leiter des Hauptausschusses fürchtete um das Ansehen des OdF und entzog beiden Frauen die Anerkennung (S. 128). Interessant an der Stelle die Auseinandersetzungen innerhalb des Hauptausschusses, nachdem die beiden Frauen Widerspruch einlegten: Hinsichtlich der Beurteilungen gab es keinesfalls einen Common Sense, sondern im Gegenteil sehr differierende Meinungen und Vorstellungen hinsichtlich der eigenen Rolle als „Sittenwächter“.

    Gesetzeskonflikte, in die „Opfer des Faschismus“ verwickelt waren, sind das Thema von Kapitel 3. Geschildert werden hier Schicksale von Menschen, die es nicht geschafft haben, sich im Nachkriegsdeutschland zu situieren. Tragisch komisch liest sich die Geschichte von Kurt W., der im Bezirksamt Charlottenburg für die Ausgabe von Bezugsscheinen für Kleidung zuständig war. Ihm wurde nun vorgeworfen, er habe etlichen Personen unabhängig von ihren behördlichen Ansprüchen Bezugsscheine ausgestellt. Während ihm ein Prüfer aufgrund dieses gesetzeswidrigen Verhaltens die Anerkennung absprach, setzte sich Maria Wiedmaier, Überlebende des Konzentrationslagers Ravensbrück, nun Leiterin des Charlottenburger OdF Ausschusses für Kurt W. ein mit der Begründung, Kurt W. würde immer noch das Lager mit den heutigen Verhältnissen verwechseln.
    Zur Aberkennung des Verfolgtenstatus konnte aber auch nachgewiesenes „schlechtes Verhalten im KZ“ führen. Susanne zur Nieden erläutert dies am Beispiel von Minna R., der vorgeworfen wurde, im Lager andere Häftlinge misshandelt zu haben. Vgl. dazu Barck, Simone, Antifa-Geschichte(n). Eine literarische Spurensuche in der DDR der 1950er und 1960er Jahre, Köln 2003. Weitere Gründe für die Annullierung einer Anerkennung lagen aber auch in „sozial auffälligem Verhalten“ (S. 124). Dazu gehörte auch der Handel mit den „roten Ausweisen“, die ein begehrtes Tauschobjekt darstellten. Deutlich wird in dieser Monografie aufgezeigt, dass es nicht nur eine scharfe Grenzziehung von Seiten der politischen Häftlinge gegenüber anderen Opfergruppen gab, sondern der Status eines OdF als „Ehrentitel“ zu verstehen sei(S.188). Geschaffen wurde das Bild des männlichen, sich selbstaufopfernden Widerstandskämpfers.[7]

    Bekanntermaßen folgten spätestens ab 1949 Ost– und Westdeutschland unterschiedlichen Prinzipien der Wiedergutmachung; in der Bundesrepublik wurden 1953 die Anordnungen im Bundesentschädigungsgesetz festgehalten; in der SBZ, bzw. DDR setzte sich ab 1949 das Fürsorgeprinzip durch. Alles in allem verrät die Untersuchung von Susanne zur Nieden ausführliche Quellenkenntnisse; gewünscht hätte ich mir an manchen Stellen eine genauere Analyse der Binnenstrukturen des Hauptausschusses, in die u.a. die unterschiedlichen politischen Traditionen und Absichten der Akteure miteinbezogen worden wären und somit eine Annäherung an die Motive und vielleicht auch Ängste, die handlungsleitend für die Entscheidungen waren, erfolgen hätte können. Den Grundstein für eine derartige Untersuchung hat aber Susanne zur Nieden mit der vorliegenden Studie gelegt. Leider ist das Buch nicht optimal redigiert; so sind Susanne zur Niedens zahlreiche Publikationen einer anderen Autorin zugeschlagen worden; eine Bescheidenheit , die - wenn auch unbeabsichtigt - überflüssig ist.

    Susanne zur Nieden. Unwürdige Opfer: Die Aberkennung von NS-Verfolgten in Berlin 1945 bis 1949. Berlin: Metropol Verlag, 2003. 208 S. ISBN 978-3-936411-20-1.

    #iatrocatie #maladie #santé #pauvreté #exclusion #néolibéralisme #capitalisme #nazis #euthanasie

  • #Gramsci, défenseur des subalternes dans « un monde grand et terrible »

    Avec « L’Œuvre-vie d’Antonio Gramsci », Romain Descendre et Jean-Claude Zancarini nous plongent dans les combats et le laboratoire intellectuel d’une figure majeure de la tradition marxiste. Victime du fascisme et opposant au tournant stalinien du communisme, il a développé une pensée encore stimulante.

    « Gramsci« Gramsci, ça vous dit quelque chose ? Il était né en Sardaigne, dans une famille pauvre. À deux ans, une tuberculose osseuse le frappa à la moelle épinière, si bien qu’il ne mesura jamais plus d’un mètre et demi. Vous comprenez ? Un mètre et demi. Et pourtant, c’était un géant ! » Voilà comment, dans Discours à la nation (Les Éditions Noir sur Blanc, 2014), le dramaturge Ascanio Celestini présente le membre fondateur du Parti communiste italien (PCI), martyr du régime fasciste de Mussolini, aujourd’hui considéré comme un monument de la pensée marxiste.

    La même admiration pour « un des plus grands [philosophes] de son siècle » se ressent à la lecture du livre de Romain Descendre et Jean-Claude Zancarini, consacré à L’Œuvre-vie d’Antonio Gramsci (Éditions La Découverte). S’il existe déjà des biographies du révolutionnaire sarde (notamment celle de Jean-Yves Frétigné) ou des introductions de qualité à son œuvre (aux Éditions sociales ou à La Découverte), les deux spécialistes en études italiennes proposent, avec cet ouvrage de plus 500 pages, une enquête lumineuse et inégalée.

    Ils suivent pas à pas l’élaboration de la pensée gramscienne, liée aux événements de sa vie personnelle et militante, elle-même affectée par les soubresauts d’une époque que Gramsci a décrite comme un « monde grand et terrible ».

    Les deux auteurs embrassent ainsi tous les textes produits depuis ses premières années de militantisme socialiste dans les années 1910, jusqu’aux Cahiers de prison rédigés dans les années 1930, en passant par son implication dans le mouvement turinois des conseils d’usine en 1919-1920, puis son engagement comme responsable et chef du PCI dans les années 1920.

    « Sa vie, son action et sa pensée, écrivent Descendre et Zancarini, l’ont conduit à produire un corpus de textes ayant une double caractéristique rare : il conserve aujourd’hui encore une grande pertinence théorique et politique, en même temps qu’il hisse son auteur au rang des plus grands “classiques” européens. »

    Si c’est le cas, c’est parce que Gramsci a suivi une évolution intellectuelle singulière. Nourri de la lecture de philosophes italiens de son temps, il est imprégné d’une culture très idéaliste lorsqu’il découvre le marxisme. Tout en dépassant ses premières conceptions, il a développé une pensée subtile sur l’ordre politique et les moyens de le subvertir, en intégrant l’importance des conditions socio-économiques, mais en accordant toujours un rôle crucial aux idées et à la culture.
    La culture et l’organisation, clés de l’émancipation

    Certes, « Gramsci n’a jamais écrit ni pensé qu’il suffisait de gagner la bataille des idées pour gagner la bataille politique ». Pour autant, les deux auteurs repèrent chez lui une réflexion constante « sur les mots (idées ou images) qui permettent de mettre en mouvement une volonté collective et sur l’articulation entre pensée et action, entre interprétation et transformation du monde ».

    L’émancipation des groupes subalternes est le moteur de Gramsci, au sens où « possibilité [devrait être] donnée à tous de réaliser intégralement sa propre personnalité ». La chose est cependant impossible dans une société capitaliste, sans parler des autres dominations qui se combinent à l’exploitation du prolétariat ouvrier et paysan.

    Pour changer cet état de fait, la prise du pouvoir est nécessaire. Elle requiert des tâches d’organisation auxquelles Gramsci consacrera une bonne partie de sa vie, mais présuppose aussi un minimum de conscience, par les subalternes eux-mêmes, de leur condition, des tâches à accomplir pour la dépasser et de l’idéal de société à poursuivre. C’est pourquoi Gramsci insiste régulièrement dans son œuvre sur l’importance de s’approprier la culture classique existante, afin de la dépasser dans un but révolutionnaire.

    Citant un texte de 1917, Descendre et Zancarini pointent que selon Gramsci, « l’ignorance est le privilège de la bourgeoisie. […] Inversement, l’éducation et la culture sont un devoir pour les prolétaires, car la “civilisation socialiste”, qui vise la fin de toutes les formes de privilèges catégoriels, exige “que tous les citoyens sachent contrôler ce que décident et font tour à tour leurs mandataires” ». Avant que ce contrôle s’exerce à l’échelle de la société, Gramsci pensait nécessaire qu’il se déploie dans le parti révolutionnaire lui-même.

    À la même époque, des auteurs comme Roberto Michels délivrent des diagnostics sans concession sur les tendances oligarchiques qui finissent par affecter les partis de masse, y compris ouvriers. Or Gramsci est attaché à la forme-parti, qu’il juge indispensable pour affronter de manière « réaliste » la domination sociale et politique de la bourgeoisie. Contre tout fatalisme, il veut donc croire en la possibilité d’une dialectique démocratique, propre à éviter les « phénomènes d’idolâtrie, […] qui font rentrer par la fenêtre l’autoritarisme que nous avons chassé par la porte ».
    Un opposant au « tournant sectaire » de Staline

    Certes, Gramsci a été le dirigeant d’un parti de l’Internationale communiste dans lequel on ne plaisantait pas avec la discipline une fois l’orientation tranchée. Mais son attachement à la libre discussion n’était pas feint, et lui-même n’a pas hésité à interpeller de manière critique le parti frère russe, dans une missive d’octobre 1926 fort mal reçue par les intéressés, à l’époque où la majorité dirigée par Staline attendait un alignement sans discussion.

    L’épisode peut se lire comme un prélude à son rejet du « tournant sectaire » imprimé par Staline au mouvement communiste en 1928 – rejet qui l’a placé en porte-à-faux avec ses propres camarades, qui eux s’y sont ralliés. Gramsci était alors incarcéré, et doutait que tout soit fait, à l’extérieur, pour faciliter sa libération. Le constat de son « isolement », affirment Descendre et Zancarini, a en tout cas été « un élément déclencheur de sa réflexion » dans les Cahiers de prison.

    Les deux auteurs restituent bien les conditions compliquées dans lesquelles Gramsci a travaillé, en devant lutter contre la maladie, négocier l’accès aux lectures multiples qui le nourrissaient, et déjouer la surveillance de ses écrits. La ligne qu’il développait était originale, en ce qu’elle s’opposait tout autant au stalinisme qu’au trotskisme, sans se replier sur un réformisme social-démocrate. Mais « cette opposition de l’intérieur [ne devait] surtout pas être comprise ni récupérée par les autorités fascistes. D’où le caractère partiellement crypté – et donc ardu – de l’écriture de Gramsci. »

    Appuyés sur une nouvelle édition en cours des Cahiers de prison, Descendre et Zancarini décryptent comment le penseur sarde a élaboré un réseau de notions telles que « l’hégémonie politique », « la révolution passive », ou encore la « guerre de position » distinguée de la « guerre de mouvement ».

    En raison de la puissance de sa réflexion, ces notions peuvent encore nous aider à penser notre situation politique. Mais les deux spécialistes préviennent : « Le travail théorique de Gramsci ne produit jamais de catégories abstraites, encore moins un système à visée universelle : toute son élaboration critique et conceptuelle […] est en prise sur la réalité internationale autant qu’italienne. »

    Un exemple permet de bien le comprendre. Fin 1930, Gramsci défend auprès des autres détenus communistes une proposition hétérodoxe. Face au régime de Mussolini, estime-t-il, le PCI devrait travailler avec les autres forces antifascistes derrière le mot d’ordre de Constituante républicaine. Puisque « l’inutilité de la Couronne est désormais comprise par tous les travailleurs, même par les paysans les plus arriérés de Basilicate ou de Sardaigne », il s’agit d’un point de départ intéressant pour politiser des masses, avant d’aller plus loin.

    Au-delà du cas italien, il ne croit pas que la crise du capitalisme fournisse les conditions suffisantes à une offensive du prolétariat, du moins à court terme. Le refus du déterminisme économique est renforcé par le constat, préalable aux Cahiers de prison, des différences qui existent entre les pays d’Europe de l’Ouest et la Russie de 1917. Dans les premiers, la société civile et la société politique apparaissent beaucoup plus denses, et les élites dirigeantes sont mieux parvenues à reproduire le consentement des populations.

    C’est ce qui convainc Gramsci que la priorité est à la « guerre de position », c’est-à-dire une période longue d’apprentissages, d’accumulation de force, et d’élaboration d’une « contre-hégémonie ». Il ne croit certes pas à une transition pacifique vers le socialisme. Mais même après la dimension « militaire » de la prise du pouvoir, il estime qu’il restera beaucoup à faire pour qu’émerge un État nouveau, permettant à la société de s’autogouverner. Une « perspective anti-autoritaire et anti-bureaucratique » en contradiction avec l’évolution de l’État soviétique, que Gramsci cible en mettant en garde contre « le fanatisme aveugle et unilatéral de “parti” » et les risques d’une « statolâtrie » prolongée.

    Dans leur conclusion, Descendre et Zancarini rappellent que Gramsci s’était lui-même défini, dans une phrase terrible, comme « un combattant qui n’a pas eu de chance dans la lutte immédiate ». Si ses efforts n’ont toujours pas suffi à ce que triomphe une hégémonie des subalternes, ils lui auront néanmoins assuré une postérité impressionnante dans le champ de la pensée critique, bien au-delà de l’Italie et même de l’Occident.

    Pour les deux auteurs, Gramsci appartient à une génération « broyée dans les affrontements de cette époque, entre fascisme et communisme et au sein même du communisme ». Il se distingue cependant par « la force de [sa] résistance morale et intellectuelle ».

    C’est ce que traduit, à sa façon, le texte théâtral d’Ascanio Celestini par lequel nous avons commencé, et qui se poursuit ainsi : « Je suis en train de parler de Gramsci, le type qui fonda le Parti communiste italien et qui fit un seul discours au Parlement vu qu’ensuite les fascistes l’arrêtèrent et le jetèrent en prison où il passa dix années pendant lesquelles il transforma la pensée socialiste. Il sortit de prison cinq jours avant de mourir et pourtant, près d’un siècle plus tard, il nous rappelle que nous devons nous opposer au pessimisme de la raison en ayant recours à l’optimisme de la volonté. »

    https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/101223/gramsci-defenseur-des-subalternes-dans-un-monde-grand-et-terrible
    #Antonio_Gramsci #marxisme #culture #émancipation #organisation #exploitation #capitalisme #dominations #privilèges #civilisation_socialiste #éducation #ignorance #dialectique_démocratique #autoritarisme #idolâtrie #tournant_sectaire #Staline #hégémonie_politique #révolution_passive #guerre_de_position #guerre_de_mouvement #contre-hégémonie #socialisme #statolâtrie

    • L’Oeuvre-vie d’Antonio Gramsci

      Antonio Gramsci (1891-1937) reste l’un des penseurs majeurs du marxisme, et l’un des plus convoqués. L’Œuvre-vie aborde les différentes phases de son action et de sa pensée – des années de formation à Turin jusqu’à sa mort à Rome, en passant par ses activités de militant communiste et ses années d’incarcération – en restituant leurs liens avec les grands événements de son temps : la révolution russe, les prises de position de l’Internationale communiste, la montée au pouvoir du fascisme en Italie, la situation européenne et mondiale de l’entre-deux-guerres. Grâce aux apports de la recherche italienne la plus actuelle, cette démarche historique s’ancre dans une lecture précise des textes – pour partie inédits en France –, qui permet de saisir le sens profond de ses écrits et toute l’originalité de son approche.
      Analysant en détail la correspondance, les articles militants, puis les Cahiers de prison du révolutionnaire, cette biographie intellectuelle rend ainsi compte du processus d’élaboration de sa réflexion politique et philosophique, en soulignant les leitmotive et en restituant « le rythme de la pensée en développement ».
      Au fil de l’écriture des Cahiers, Gramsci comprend que la « philosophie de la praxis » a besoin d’outils conceptuels nouveaux, et les invente : « hégémonie », « guerre de position », « révolution passive », « subalternes », etc. Autant de concepts qui demeurent utiles pour penser notre propre « monde grand et terrible ».

      https://www.editionsladecouverte.fr/l_oeuvre_vie_d_antonio_gramsci-9782348044809
      #livre

  • Bennholdt-Thomsen & Mies, Postmodernisme féministe, 1997
    L’idéologie de l’oubli et de la dématérialisation

    Il est pourtant surprenant de voir que les féministes postmodernes ignorent l’un des postulats les plus importants du courant constructiviste. Il s’agit du postulat selon lequel il faut replacer les discours dans leur contexte, se demander à quels moments historiques ces discours émergent, par quels acteurs ils sont énoncés et dans quels intérêts. Si les féministes postmodernes s’étaient posé ces questions, elles auraient découvert que l’essor du #postmodernisme, théorie dominante dans les universités, en particulier dans les départements d’études féministes, a coïncidé avec l’essor de la politique économique néolibérale aux États-Unis et au Royaume-Uni dans les années 1980 (reaganisme et doctrine Thatcher), qui s’est étendue au monde entier après l’effondrement du bloc communiste. Elles ne comprennent visiblement pas que l’idéalisme postmoderne, avec son mélange de pluralisme néolibéral et d’indifférence à l’égard de la politique, ses attaques dirigées contre l’essentialisme et les grands récits, correspond en tout point à l’idéologie néoconservatrice.
    Ces chercheuses féministes postmodernes n’ont jamais été et ne constituent toujours pas une menace pour le #capitalisme patriarcal. De fait, les mots #patriarcat ou capitalisme n’apparaissent pas dans le discours postmoderne. L’idéologie postmoderne a effectivement démobilisé une part très importante de la population, en particulier chez les jeunes, de sorte qu’ils ne sont même pas conscients des liens entre économie, politique et idéologie : ils se sentent encore moins concernés par la hausse des inégalités et les dégâts sociaux et environnementaux infligés par la politique économique néolibérale.

    https://sniadecki.wordpress.com/2023/12/24/subsistance-postmodernisme-fr

    #écoféminisme #Maria_Mies #gender_studies #révisionnisme

  • How it all Began, Moses Dobruška • Ill Will
    https://illwill.com/how-it-all-began

    19. In the 1950s, in the cafeteria of the Rand Corporation where they worked, the founders of game theory used to play a board game of their own invention, entitled “Fuck your buddy!” “Fuck your buddy” forms the implicit moral code of all current social relationships, whether emotional or professional, casual or commercial, virtual or everyday. There’s nothing less playful than universal gamification. Once even the number of one’s “friends” becomes a field of competition, sympathy becomes merely a moment within the generalized hostility.

    20. Social fictions are by nature effective. In the old fiction, man was presented as the owner of his labor power, who then sold it to the owner of the means of production. The classical subject remains sovereign even at the moment he alienates his time and forces by selling them to another. His dignity and integrity were established for all eternity, even if they were violated on a daily basis. This was the subject of classical humanism, about whom jurists and trade-unionists never speak without a tinge of nostalgia, even if they remain unwilling to acknowledge its complete obsolescence as a social fiction. The prevailing fiction today is that of human capital. The subject of human capital is defined as the aggregate of his or her social capital, his health capital, relational capital, cultural capital, hair capital and so on. In no case is he the owner of the capital that he is. He is his social capital, his health capital, his relational capital, his cultural capital, his reputational capital, his hair capital, and so on. These aren’t things he can rent out, alienate, or make available to others without losing them thereby, without losing himself. As such, he is all the more jealous of them. Nor are they things that exist in themselves, outside of the social interactions that bring them into being, and which must for that matter be multiplied as much as possible. 

    Just as there are expiring currencies, these are expiring capitals: they must be activated, maintained, accumulated, cherished, maximized, in short: produced at every moment and through every interaction — protected against their own tendential devaluation. The subject of human capital, servant of the capital that he is far more than master of himself, entrepreneur of himself far more than serene owner of his person, therefore knows only strategic interactions whose outcome must be optimized. Game theory — for which no feint, lie, or betrayal is too extreme in the service of its ends — is the theory of this “subject” marked by absolute precarity, programmed obsolescence, and such extreme inconsistency that it can be canceled at the slightest misstep according to the unpredictable movements of opinion and the codes of the day. To have transformed the human animal into this frantic, anguished, and empty information processor: this is the anthropological mutation crowned by social networks.

    21. A particularly jealous mistress, this society welcomes as a heartfelt token of loyalty every occasion where one of its members agrees to betray a friend, a loved one, or a relative, for its own sake and that of its misguided “values.” What is emerging, behind the media ritual of public confession, is a society of betrayal — a society in which mutual betrayal, and its possibility at each and every moment, serves as a new social pact. The parrhesia spilling out into the public is the same one that never appeared in the very relationships it calls into question, whose definitive spectrality is only further confirmed through this groveling.

    22. The imperative ideological alignment required of citizens during Operation Covid — followed by Operation Ukraine, Operation Climate and Operation Palestine — was the occasion for the sort of revolt of the mediocre that always accompanies the fascization of societies.

    23. Fascism already won when everyone renounced the task of thinking through the “Covid episode.” We all saw just what “culture” was worth, and how all these “critical intellectuals” were in fact more attached to their social status than to their own thought. By its complicit silence, this zombified Left already displayed its contempt for culture and intelligence, long before the fascists came to trample it underfoot.

    24. Those who pretend that there exists somewhere a constituted force, a given movement on which to base the possibility of a revolution, or even simply to counter the actions of the government, are not only misleading and deceiving themselves. By occupying the terrain in this way, they block the emergence of something new, something capable of grasping ahold of the epoch and wringing its neck.

    #capital_humain #écologie #gauche #covid #fascisme #conspirationnisme

    • Je n’ai pas la version française, si elle existe, il est possible qu’elle ne soit pas en ligne.

      La dernière fois, à ma connaissance, que ce pseudo a été utilisé, c’était en introduction à « Fragmenter le monde » de Josep Rafanell i Orra, dont voici les 1eres pages
      https://lundi.am/IMG/pdf/fragment_de_fragmenter.pdf

      Un bref extrait de la préface

      Nous vivons un temps d’anarchie, d’anarchie des phénomènes. Plus aucun principe hégémonique ne parvient à ordonner du dehors ce qui advient. Les singularités affirment opiniâtrement leur propre ordre immanent. Chaque phénomène parle sa propre langue. Et c’est bien là leur dernier trait commun à tous. Ceux qui cherchent encore un principe d’unification ne perçoivent plus rien, ou bien cherchent à opérer en sous-main à leur avantage. Le seul principe hégémonique, c’est qu’il n’y en a plus. Maintenir l’unité du monde ne se fait plus qu’au prix de l’enserrer dans une gigantesque broyeuse technologique et spirituelle. — Moses Dobruška.

      Le texte tel que "traduit" par Ill will.

      The text that follows is being published simultaneously in English and in German, where it will appear in the inaugural issue of Neue illustrierte Berliner Zeitung, a newspaper that, in addition to being sold in Berlin newsstands, will also be pasted to the city’s walls like a Dazibao.

      The animus of the text can be distilled from a consideration of its title. On the one hand, it calls up the mysterious 1961 “Hamburg Theses” composed by Guy Debord, Raoul Vaneigem, and Attila Kotányi over three days during a drunken “drift” across the northern port city following the acrimonious “5th Conference of the Situationist International.” Although never written down, the “Theses” are considered by many (including Debord himself) as a turning point in the group’s history, the moment in which the SI affirmed its commitment to “realize philosophy,” that is, to relaunch the revolutionary movement. If a new beginning was needed, this is because, as Debord later recalled, one could “no longer attribute the least importance to any of the ideas of the revolutionary groups that still survived as heirs of the old social emancipation movement destroyed in the first half of our century.” What was urgently needed was to initiate a new wave of contestation “as soon as possible,” while “revitalizing all the basic starting points.”

      A clear reference can also be heard to Bommi Baumann’s memoir, Wie alles anfing [How it all Began], assembled from interviews taken while Baumann was living as a fugitive of the West German state. Three years prior, in July 1971, Baumann and his friend Georg von Rauch founded the 2nd of June Movement, an anarchist urban guerilla group responsible for a wave of armed robberies, bombings, sabotage, and rioting, as well as the high-profile kidnapping of Peter Lorenz, a right-wing mayoral candidate for Berlin, who was successfully exchanged for the release of various imprisoned comrades.

      By 1974, however, there was “stagnation in the whole movement everywhere…Everyone [was] touched by it.” The time had come, “for those who have been at it for a long time, to reflect once more...” For Baumann, the central question was how an excessively militaristic armed struggle might give way to a constructive phase of antagonism that could “continue to fight, on a different level, in a different arena,” through forms not circumscribed by the question of “extermination.” In short, a new beginning was needed to ensure that the autonomous revolutionary movement does not “get buried in the rubble of the collapsing system.”

      For Dubruska, who speaks from a position of “active conspiracism,” the need for a new beginning has other contours. In our society of rubble, a society ruled by competing fictions concerning the causes of its own collapse, there is a risk that our efforts to escape the catastrophe become the unwitting midwives of an ecological rescue of the capitalist system itself. How, in our efforts to construct and defend places of life, can we avoid unwittingly securing the platform for a newly revamped project of “mobilizing, exploiting, ravaging, massacring, and producing”?

      If we’ve been defeated, there is nothing else to do but to start again from the beginning. Fortunately, the brief interval of rest allowed to us between the close of the first and the beginning of the second act of the movement, gives us time for a truly necessary part of our task: to seek out the causes that both necessitated this most recent uprising, and, at the same time, led to its defeat. —Engels, Revolution and Counter-Revolution in Germany (1851)

      1. In its inward collapse, this society has found no better trick to play on its opponents than to snatch from them its new Ersatz morality. In the final stretches of nihilism, oppression will thus be expressed in the language of ecology, feminism and anti-racism. Fascists, in turn, have an easier time portraying themselves as the true advocates of freedom, democracy, counter-hegemonic alternatives and, ultimately, revolution.

      2. These are the days of Barbie feminism and the Pfizer left, pro-censorship anarchists and pro-NATO autonomists, authoritarian horizontalism, green nuclear power and vaccine Stalinism, bombing for LGBTQIA+ rights and the anti-pope — the pope who, when it comes to migrants, ecology, criticism of capitalism, war or hierarchy, returns leftism to its inanity by returning it to its origin.

      3. Nothing is more serious, and more seriously contemporary, than theology. The ignorance of theology is what enables theology to perpetuate its reign, under the guise of politics, economics, science, philosophy, literature and even everyday life. To overcome theology, we must overcome our ignorance of it. Atheists, one more effort if you wish to be revolutionaries!

      4. “We’re witnessing a veritable mania for the consecration of feminism, with society going so far as to adopt an attitude of promotion... The modes are multiple and devious, and while we don’t want to, we run the risk of falling into them and becoming trapped. Women’s particular need for recognition is stimulated by a climate of interest and practical opportunities. Society has come to accept the premises of feminism without grasping the evolution that clarifies these very premises. It sees feminism as an ideology, in other words, as power, and as such respects it because it confirms — rather than places into crisis — what we on the other hand want to subvert” (Carla Lonzi, Ecrits, voix d’Italie, 1977).

      5. “The great danger would be to replace the myth of the working classes as the bearers of future values with that of environmental protection and safeguarding the biosphere, which could just as easily take on an entirely totalizing, totalitarian character. […] Industry would love nothing more than to harness the ecology movement in the same way it harnessed the trade union movement to structure its own society. […] Therefore, in my opinion, the ecological movement should first worry about its own social and mental ecology” (Félix Guattari, Chimères n° 28, 1991-1992).

      6. The labor movement was defeated by criticizing bourgeois society in its own language — that of economics. Today, we have cranks who claim to challenge cybernetic society in its own language — that of ecology. If society casts such a benevolent eye over these activists, it’s only because they intend to lead us to an equivalent defeat.

      7. Environmentalist science-fiction writer Kim Stanley Robinson recently declared: “I meet a lot of technocrats, and there are some who would like to see a lot more activism. (...) Between technocrats, activists and mass citizen actions, synergy and alliances are possible.” No one allies himself with someone stronger than him without becoming, whether consciously or not, his vassal. To act, while governed by one’s unconscious, has never served as an excuse.

      8. Ecological activists deplete the last remaining subjective resources by mobilizing them uselessly against those who “deplete natural resources.” Like their “enemies,” they give little thought to how such precious resources — resources of courage, enthusiasm, confidence, know-how — are formed and replenished. It is as extractivists in their own way that they aspire to be recognized as equal interlocutors by the other extr/activist mafias.

      9. Ecology is the name of a problem, by no means that of a solution. When what is collapsing is an entire civilization, when it is the very way that we pose our problems that has itself become problematic, there’s no “solution” to be found. “Ecologists teach us why and how man’s future is at stake. But it is up to man, not the ecologist, to decide his future” (Georges Canguilhem, “The Question of Ecology,” 1973).

      10. The discourse of progress enabled Capital to overcome any inner resistance to the devastation wrought by modernization. Its function had less to do with legitimization than disinhibition. It was employed less for external than for internal conviction. Today it yields nothing, where it is not purely counterproductive. Judging by its results, no one can believe in progress any longer. Paradoxically, it is ecological discourse that has stepped in to take over. With its bioeconomy and its green new deal, Capital now turns to ecology to find the strength to continue doing what it has always done — mobilizing, exploiting, ravaging, massacring, and producing. Ecological rhetoric is not that in spite of which everything proceeds as before, but that which authorizes the continuation of business as usual and the deepening of the disaster. Therefore, it is in the name of ecology that we will see biotechnologies, nuclear power and geo-engineering in the future.

      11. The latest way this society has found to silence women is to allow them to speak only as “we women.” Anti-feminism is achieved as feminism in precisely the same way that anti-ecologism is achieved as ecologism.

      12. The current state of society is a hallucinatory one. Psychopathological categories have become the most fitting categories for political analysis; to locate them, we must simply look beyond the DSM. The ubiquitous reign of truly Orwellian lies is not an evil, but a disease.

      12bis. Contemporary nihilism is the existential expression of an ordinary material condition, namely, that of an omnilateral dependency on the infrastructures of Capital. It is an unsound thing to allow your life to rest, day after day, in the hands of your executioner.

      13. The symptom is the outcome of a state of suffering with no way out. When you cannot find, in the History you’re offered, any thread leading back to the world you’re born into, you can’t find the thread of your own life. "The fathers have eaten sour grapes; but it is the children’s teeth that have become blunt.”

      14. There are those who make history, and those who tell it. Those who make history know that those who tell it lie, but this lie is also the condition, for them, of being able to continue making it, unhindered.

      15. “It was military servicemen in Soviet Russia who taught the Germans the tactics of tank warfare by which they submerged France during the Second World War; likewise, it was Soviet cadres that trained the first German assault pilots, who proved to be such a surprise at the start of the same conflict” (Franz Jung, The Way Down). In August 1936, that is, after the outbreak of the Spanish Civil War, the entire Central Committee of the Italian Communist Party signed an appeal “for the salvation of Italy and the reconciliation of the Italian people.” It reads: “The Communists adopt the Fascist program of 1919, which is a program of peace, freedom, and defense of the interests of the workers, and say to you: let us fight together for the realization of this program.” Good luck making sense of that!

      16. Never have so few spoken in their own name as in our society of generalized narcissism. It’s through the ego that social magic grasps hold of you. To operate beyond the ego is not a moral injunction, but a precondition of strategy.

      17. At bottom, all activism is essentially therapeutic. Leaving aside the temporary media uproar it can occasionally solicit, its true purpose is to enable activists to “feel better about themselves,” to give them the distinctive feeling of not being “like everyone else” — that passive mass of anesthetized morons and bastards. For the activist, pretending to act “for others,” "for the planet," or “for the common good” is merely a cunning modality of narcissism and universal self-promotion. Through this trade in indulgences, one strives, under the cover of generic and generous motives, for one’s own individual moral advancement.

      18. It was through game theory that the peculiar mixture of cooperation and competition, information and dissimulation, pacification and war, bounded rationality and sheer insanity, rugged individualism and social injunctions that weave the present imperial society was engineered. It’s not without reason that the site in California where this theory was developed is the same spot where all the individualized cybernetic devices for which it constitutes the base code were subsequently developed. To the question, “What do applications apply?”, the response is simple: game theory.

      19. In the 1950s, in the cafeteria of the Rand Corporation where they worked, the founders of game theory used to play a board game of their own invention, entitled “Fuck your buddy!” “Fuck your buddy” forms the implicit moral code of all current social relationships, whether emotional or professional, casual or commercial, virtual or everyday. There’s nothing less playful than universal gamification. Once even the number of one’s “friends” becomes a field of competition, sympathy becomes merely a moment within the generalized hostility.

      20. Social fictions are by nature effective. In the old fiction, man was presented as the owner of his labor power, who then sold it to the owner of the means of production. The classical subject remains sovereign even at the moment he alienates his time and forces by selling them to another. His dignity and integrity were established for all eternity, even if they were violated on a daily basis. This was the subject of classical humanism, about whom jurists and trade-unionists never speak without a tinge of nostalgia, even if they remain unwilling to acknowledge its complete obsolescence as a social fiction. The prevailing fiction today is that of human capital. The subject of human capital is defined as the aggregate of his or her social capital, his health capital, relational capital, cultural capital, hair capital and so on. In no case is he the owner of the capital that he is. He is his social capital, his health capital, his relational capital, his cultural capital, his reputational capital, his hair capital, and so on. These aren’t things he can rent out, alienate, or make available to others without losing them thereby, without losing himself. As such, he is all the more jealous of them. Nor are they things that exist in themselves, outside of the social interactions that bring them into being, and which must for that matter be multiplied as much as possible.

      Just as there are expiring currencies, these are expiring capitals: they must be activated, maintained, accumulated, cherished, maximized, in short: produced at every moment and through every interaction — protected against their own tendential devaluation. The subject of human capital, servant of the capital that he is far more than master of himself, entrepreneur of himself far more than serene owner of his person, therefore knows only strategic interactions whose outcome must be optimized. Game theory — for which no feint, lie, or betrayal is too extreme in the service of its ends — is the theory of this “subject” marked by absolute precarity, programmed obsolescence, and such extreme inconsistency that it can be canceled at the slightest misstep according to the unpredictable movements of opinion and the codes of the day. To have transformed the human animal into this frantic, anguished, and empty information processor: this is the anthropological mutation crowned by social networks.

      21. A particularly jealous mistress, this society welcomes as a heartfelt token of loyalty every occasion where one of its members agrees to betray a friend, a loved one, or a relative, for its own sake and that of its misguided “values.” What is emerging, behind the media ritual of public confession, is a society of betrayal — a society in which mutual betrayal, and its possibility at each and every moment, serves as a new social pact. The parrhesia spilling out into the public is the same one that never appeared in the very relationships it calls into question, whose definitive spectrality is only further confirmed through this groveling.

      22. The imperative ideological alignment required of citizens during Operation Covid — followed by Operation Ukraine, Operation Climate and Operation Palestine — was the occasion for the sort of revolt of the mediocre that always accompanies the fascization of societies.

      23. Fascism already won when everyone renounced the task of thinking through the “Covid episode.” We all saw just what “culture” was worth, and how all these “critical intellectuals” were in fact more attached to their social status than to their own thought. By its complicit silence, this zombified Left already displayed its contempt for culture and intelligence, long before the fascists came to trample it underfoot.

      24. Those who pretend that there exists somewhere a constituted force, a given movement on which to base the possibility of a revolution, or even simply to counter the actions of the government, are not only misleading and deceiving themselves. By occupying the terrain in this way, they block the emergence of something new, something capable of grasping ahold of the epoch and wringing its neck.

      25. The need to hallucinate the existence of a movement stems from the fact that, for a certain number of ambitious losers, this fiction provides some sort of social consistency: they would be “part of it.” When you don’t know what you want, it’s common to want to exist — and then, inevitably, to fail, since existence can never be the result of a will. Clearly, some people believe that we can apply the “fake it until you make it” principle, so successful in the start-up economy, to the revolution.

      26. Just as social networks have captured the essence of social existence and the value attached to it, so radical activists have gradually been reduced to a marginal sub-sector of these networks, which has all but subsumed them. The impossibility — and ultimate superfluity — of having an effective strategy follows logically from this. Henceforth, social movements are primarily there as a support for the individual existence of activists on social networks. If these movements lead nowhere, if it matters so little whether they result in victory or defeat, it’s because they already amply fulfill this sufficient function.

      27. For the activist, the raison d’être of action is only relative to the images that can be produced of it, and even more so to the political exploitation of these images. As such, there’s no need to be scandalized by the strategic aberration or tactical who-fucking-cares attitude of these actions. The true efficacy of the act lies outside itself, in the media spin-offs it is designed to facilitate. From this point of view, a serious casualty is not necessarily a loss, and a crushing defeat can just as easily become a resounding success, provided we are not too sensitive to the suffering of the martyrs.

      28. Misplaced triumphalism, followed by silence about defeat once it is assured, counts among the most perverse forms of the left’s love of defeat, for activists and trade unionists alike. The celebration of non-existent victories conveniently masks the final retreat or, more often than not, the complete absence of strategy altogether. It’s no real paradox to consider that the real defeatists are those who, always positive, never stop applauding and congratulating themselves. Whereas it is those who unapologetically criticize “the movement” who most clearly demonstrate their refusal to be foolishly defeated, and thus their determination to win.

      29. There are those who want to win, and there are those who wish to be recognized — that is, those who consider it a victory to be recognized. True victory is not about the enemy, but about the possibility, in the wake of tactical success, of deploying one’s own plans. For this, you have to have plans.

      30. The way in which, during the coup du monde occasioned by the Covid syndemic, there was suddenly no one left to confront the government supports this hypothesis: that everyone is somewhere else.

      31. Political conscience affords no privilege. No one has proved more deluded in recent years than those who believe themselves to be “politicized.” No one has acted more stupidly than the “cultured.” It’s everywhere else than among the “politicized” that we must seek out those with whom we’ll make the revolution — they have too much social capital to lose not to be stupid and cowardly.

      32. You won’t hear from us again, or only by accident. We’re deserting your public space. We’re moving to the side of the real construction of forces, and of forms. We’re moving to the side of conspiracy, to the side of active conspiracism. We are “exiting the vampire’s castle.” See you on the outside!

      33. Believe enough in what you think not to say it. Believe enough in what we do not to publicize it. Leave it to the Christians and the leftists to enjoy the martyr’s taste for publicity.

      34. There will only be what we build. It’s precisely because there’s no one to save that a revolution is so necessary. The central political question of the 21st century is how to construct collective realities not based on sacrifice.

      35. “It is from here that we want to contribute to creating, as a collective front arriving in waves, the conditions for an ethical cultural change that allows us to escape the trap of the current cultural cohabitation, centered as it is on relations of mistrust and control, domination and competition specific to the patriarchal-matriarchal culture that we maintain practically all over the planet” (Humberto Maturana & Ximena Davila, Habitar Humano).

      36. Those who have won the war speak only of “peace.” Those who have appropriated everything speak only of inclusiveness. Those who are driven by the latest cynicism never forget to call for “benevolence.” They have even managed the miracle of converting just about every leftist in the world to these “values.” This is how they have managed to suppress even the possibility of revolution. And indeed, the victors are well placed to know that there is no such thing as an inclusive revolution, since it consists minimally in their violent exclusion. Nor is there such a thing as a benevolent or ecological revolution — unless you consider that burning palaces, confronting armed forces, or sabotaging major infrastructures would be such. “Where violence reigns, only violence helps,” Brecht said. For the victors, peace is but the eternity of their victory.

      37. Assholes deploy every possible humanitarian ideology in order to outlaw any clear-cut divide within humanity, which would obviously be to their disadvantage. We’re partisans of a world without assholes. This seems to us a minimal, coherent, and satisfying program.

      38. Learning to recognize assholes, even admitting their existence for a start, lies at the origins of our strength: illiteracy and indifference in ethical matters obviously only benefits assholes.

      39. The Party is strengthened by purging itself of its opportunist, nihilist, skeptical, Covidist, malignant, narcissistic, and postmodernist (etc.) elements.

      40. True collective power can only be built with those who have ceased to fear being alone.

      #fragmentation

    • sous deepl

      Le texte qui suit est publié simultanément en anglais et en allemand, où il paraîtra dans le numéro inaugural du Neue illustrierte Berliner Zeitung, un journal qui, en plus d’être vendu dans les kiosques à journaux de Berlin, sera également collé sur les murs de la ville comme un Dazibao.

      L’animosité du texte peut être distillée à partir de son titre. D’une part, il évoque les mystérieuses « thèses de Hambourg » de 1961, composées par Guy Debord, Raoul Vaneigem et Attila Kotányi en trois jours, lors d’une « dérive » alcoolisée à travers la ville portuaire du nord, à la suite de l’acrimonieuse « 5e conférence de l’Internationale situationniste ». Bien qu’elles n’aient jamais été écrites, les « Thèses » sont considérées par beaucoup (y compris par Debord lui-même) comme un tournant dans l’histoire du groupe, le moment où l’IS a affirmé son engagement à « réaliser la philosophie », c’est-à-dire à relancer le mouvement révolutionnaire. Si un nouveau départ était nécessaire, c’est parce que, comme le rappellera plus tard Debord, on ne pouvait « plus accorder la moindre importance à aucune des idées des groupes révolutionnaires qui survivaient encore comme héritiers du vieux mouvement d’émancipation sociale détruit dans la première moitié de notre siècle ». Il était urgent d’initier une nouvelle vague de contestation « le plus tôt possible », tout en « revitalisant tous les points de départ fondamentaux ».

      On peut également entendre une référence claire aux mémoires de Bommi Baumann, Wie alles anfing [Comment tout a commencé], rassemblées à partir d’interviews réalisées alors que Baumann vivait en tant que fugitif de l’État ouest-allemand. Trois ans auparavant, en juillet 1971, Baumann et son ami Georg von Rauch avaient fondé le Mouvement du 2 juin, un groupe de guérilla urbaine anarchiste responsable d’une vague de vols à main armée, d’attentats à la bombe, de sabotages et d’émeutes, ainsi que de l’enlèvement très médiatisé de Peter Lorenz, candidat de la droite à la mairie de Berlin, qui fut échangé avec succès contre la libération de plusieurs camarades emprisonnés.

      En 1974, cependant, on constate « une stagnation de l’ensemble du mouvement partout... Tout le monde est touché par cette stagnation ». Le temps est venu, « pour ceux qui sont là depuis longtemps, de réfléchir une fois de plus... » Pour Baumann, la question centrale est de savoir comment une lutte armée trop militariste peut faire place à une phase constructive de l’antagonisme qui peut « continuer à se battre, à un autre niveau, dans une autre arène », à travers des formes qui ne sont pas circonscrites par la question de « l’extermination ». Bref, un nouveau départ est nécessaire pour que le mouvement révolutionnaire autonome ne soit pas « enseveli sous les décombres du système qui s’effondre ».

      Pour Dubruska, qui parle depuis une position de « conspirationnisme actif », la nécessité d’un nouveau départ a d’autres contours. Dans notre société de décombres, une société régie par des fictions concurrentes sur les causes de son propre effondrement, il y a un risque que nos efforts pour échapper à la catastrophe deviennent les accoucheurs involontaires d’un sauvetage écologique du système capitaliste lui-même. Comment, dans nos efforts pour construire et défendre des lieux de vie, pouvons-nous éviter de sécuriser involontairement la plate-forme d’un projet nouvellement réorganisé de « mobilisation, exploitation, ravage, massacre et production » ?

      *

      Si nous avons été vaincus, il n’y a rien d’autre à faire que de recommencer depuis le début. Heureusement, le bref intervalle de repos qui nous est accordé entre la fin du premier et le début du second acte du mouvement, nous donne le temps d’accomplir une partie vraiment nécessaire de notre tâche : rechercher les causes qui ont à la fois rendu nécessaire ce dernier soulèvement et, en même temps, conduit à sa défaite.

      –Engels, Révolution et contre-révolution en Allemagne (1851)

      1. Dans son effondrement intérieur, cette société n’a pas trouvé de meilleur tour à jouer à ses adversaires que de leur arracher son nouvel Ersatz de morale. Dans les derniers retranchements du nihilisme, l’oppression s’exprimera ainsi dans le langage de l’écologie, du féminisme et de l’antiracisme. Les fascistes, quant à eux, auront plus de facilité à se présenter comme les véritables défenseurs de la liberté, de la démocratie, des alternatives contre-hégémoniques et, en fin de compte, de la révolution.

      2. C’est l’époque du féminisme Barbie et de la gauche Pfizer, des anarchistes pro-censure et des autonomistes pro-OTAN, de l’horizontalisme autoritaire, du nucléaire vert et du stalinisme vaccinal, des bombardements pour les droits des LGBTQIA+ et de l’anti-pape - le pape qui, en matière de migrants, d’écologie, de critique du capitalisme, de la guerre ou de la hiérarchie, renvoie le gauchisme à son inanité en le renvoyant à son origine.

      3. Rien n’est plus grave, et plus gravement contemporain, que la théologie. C’est l’ignorance de la théologie qui permet à celle-ci de perpétuer son règne, sous couvert de politique, d’économie, de science, de philosophie, de littérature et même de vie quotidienne. Pour vaincre la théologie, il faut vaincre l’ignorance que nous en avons. Athées, encore un effort si vous voulez être révolutionnaires !

      4. « Nous assistons à une véritable manie de la consécration du féminisme, la société allant jusqu’à adopter une attitude de promotion... Les modes sont multiples et sournois et, sans le vouloir, nous risquons d’y tomber et d’être piégés. Le besoin particulier de reconnaissance des femmes est stimulé par un climat d’intérêt et d’opportunités pratiques. La société en est venue à accepter les prémisses du féminisme sans saisir l’évolution qui clarifie ces mêmes prémisses. Elle considère le féminisme comme une idéologie, c’est-à-dire comme un pouvoir, et à ce titre elle le respecte parce qu’il confirme - au lieu de mettre en crise - ce que nous voulons au contraire subvertir » (Carla Lonzi, Ecrits, voix d’Italie, 1977).

      5. « Le grand danger serait de remplacer le mythe de la classe ouvrière porteuse des valeurs d’avenir par celui de la protection de l’environnement et de la biosphère, ce qui pourrait tout aussi bien prendre un caractère totalement totalisant et totalitaire. [...] L’industrie ne demanderait pas mieux que d’instrumentaliser le mouvement écologiste comme elle a instrumentalisé le mouvement syndical pour structurer sa propre société. [C’est pourquoi, à mon avis, le mouvement écologiste devrait d’abord se préoccuper de sa propre écologie sociale et mentale » (Félix Guattari, Chimères n° 28, 1991-1992).

      6. Le mouvement ouvrier a été vaincu en critiquant la société bourgeoise dans son propre langage, celui de l’économie. Aujourd’hui, des hurluberlus prétendent contester la société cybernétique dans son propre langage, celui de l’écologie. Si la société porte un regard si bienveillant sur ces activistes, c’est qu’ils ont l’intention de nous conduire à une défaite équivalente.

      7. L’écrivain de science-fiction écologiste Kim Stanley Robinson a récemment déclaré : « Je rencontre beaucoup de technocrates, et il y en a qui aimeraient voir beaucoup plus d’activisme. (...) Entre les technocrates, les activistes et les actions citoyennes de masse, des synergies et des alliances sont possibles ». Personne ne s’allie à un plus fort que lui sans devenir, consciemment ou non, son vassal. Agir en étant gouverné par son inconscient n’a jamais servi d’excuse.

      8. Les militants écologistes épuisent les dernières ressources subjectives en les mobilisant inutilement contre ceux qui « épuisent les ressources naturelles ». Comme leurs « ennemis », ils ne se préoccupent guère de savoir comment se forment et se reconstituent ces ressources si précieuses que sont le courage, l’enthousiasme, la confiance, le savoir-faire. C’est en tant qu’extractivistes à leur manière qu’ils aspirent à être reconnus comme des interlocuteurs égaux par les autres mafias extras/activistes.

      9. L’écologie est le nom d’un problème, en aucun cas celui d’une solution. Quand c’est toute une civilisation qui s’effondre, quand c’est la façon même dont nous posons nos problèmes qui est devenue elle-même problématique, il n’y a pas de « solution » à trouver. « Les écologistes nous apprennent pourquoi et comment l’avenir de l’homme est en jeu. Mais c’est à l’homme, et non à l’écologiste, de décider de son avenir » (Georges Canguilhem, « La question de l’écologie », 1973).

      10. Le discours du progrès a permis au Capital de surmonter toute résistance intérieure aux ravages de la modernisation. Sa fonction est moins de légitimation que de désinhibition. Il servait moins à convaincre à l’extérieur qu’à l’intérieur. Aujourd’hui, elle ne donne rien, quand elle n’est pas purement contre-productive. A en juger par ses résultats, plus personne ne peut croire au progrès. Paradoxalement, c’est le discours écologique qui a pris le relais. Avec sa bioéconomie et son green new deal, le Capital se tourne désormais vers l’écologie pour trouver la force de continuer à faire ce qu’il a toujours fait : mobiliser, exploiter, ravager, massacrer, produire. La rhétorique écologique n’est pas celle malgré laquelle tout continue comme avant, mais celle qui autorise la poursuite du business as usual et l’aggravation du désastre. C’est donc au nom de l’écologie que nous verrons à l’avenir les biotechnologies, le nucléaire et la géo-ingénierie.

      11. La dernière façon que cette société a trouvée pour faire taire les femmes est de leur permettre de parler uniquement en tant que « nous, les femmes ». L’antiféminisme est réalisé en tant que féminisme de la même manière que l’anti-écologisme est réalisé en tant qu’écologisme.

      12. L’état actuel de la société est hallucinatoire. Les catégories psychopathologiques sont devenues les catégories les plus adaptées à l’analyse politique ; pour les repérer, il suffit de regarder au-delà du DSM. Le règne omniprésent du mensonge orwellien n’est pas un mal, mais une maladie.

      12bis. Le nihilisme contemporain est l’expression existentielle d’une condition matérielle ordinaire, celle d’une dépendance omnilatérale à l’égard des infrastructures du Capital. Il n’est pas sain de laisser sa vie reposer, jour après jour, entre les mains de son bourreau.

      13. Le symptôme est l’aboutissement d’un état de souffrance sans issue. Quand on ne trouve pas, dans l’Histoire qu’on nous propose, un fil qui nous ramène au monde dans lequel on est né, on ne trouve pas le fil de sa propre vie. "Les pères ont mangé des raisins aigres, mais ce sont les dents des enfants qui se sont émoussées.

      14. Il y a ceux qui font l’histoire et ceux qui la racontent. Ceux qui font l’histoire savent que ceux qui la racontent mentent, mais ce mensonge est aussi la condition, pour eux, de pouvoir continuer à la faire, sans entrave.

      15. « Ce sont les militaires de la Russie soviétique qui ont enseigné aux Allemands la tactique de la guerre des chars par laquelle ils ont submergé la France pendant la Seconde Guerre mondiale ; de même, ce sont les cadres soviétiques qui ont formé les premiers pilotes d’assaut allemands, qui se sont révélés si surprenants au début de ce même conflit » (Franz Jung, The Way Down). En août 1936, c’est-à-dire après le déclenchement de la guerre civile espagnole, l’ensemble du comité central du parti communiste italien a signé un appel « pour le salut de l’Italie et la réconciliation du peuple italien ». Elle se lit comme suit : « Les communistes adoptent le programme fasciste de 1919, qui est un programme de paix, de liberté et de défense des intérêts des travailleurs, et vous disent : luttons ensemble pour la réalisation de ce programme. » Bonne chance pour donner un sens à tout cela !

      16. Jamais aussi peu de gens n’ont parlé en leur nom propre que dans notre société de narcissisme généralisé. C’est par le biais de l’ego que la magie sociale s’empare de vous. Opérer au-delà de l’ego n’est pas une injonction morale, mais une condition préalable de la stratégie.

      17. Au fond, tout activisme est essentiellement thérapeutique. Abstraction faite de l’agitation médiatique temporaire qu’il peut occasionnellement susciter, son véritable objectif est de permettre aux militants de « se sentir mieux dans leur peau », de leur donner le sentiment distinctif de ne pas être « comme tout le monde » - cette masse passive de crétins et de salauds anesthésiés. Pour le militant, prétendre agir « pour les autres », « pour la planète » ou « pour le bien commun » n’est qu’une modalité astucieuse du narcissisme et de l’autopromotion universelle. Par ce commerce d’indulgences, on s’efforce, sous couvert de motifs génériques et généreux, d’assurer sa propre promotion morale.

      18. C’est grâce à la théorie des jeux que le mélange particulier de coopération et de concurrence, d’information et de dissimulation, de pacification et de guerre, de rationalité limitée et de folie pure, d’individualisme exacerbé et d’injonctions sociales qui tisse la société impériale actuelle a été conçu. Ce n’est pas sans raison que le site californien où cette théorie a été élaborée est le même que celui où tous les dispositifs cybernétiques individualisés dont elle constitue le code de base ont été développés par la suite. À la question « Quelles sont les applications ? », la réponse est simple : la théorie des jeux.

      19. Dans les années 50, à la cafétéria de la Rand Corporation où ils travaillaient, les fondateurs de la théorie des jeux avaient l’habitude de jouer à un jeu de société de leur invention, intitulé « Fuck your buddy ! ». « Fuck your buddy » constitue le code moral implicite de toutes les relations sociales actuelles, qu’elles soient affectives ou professionnelles, occasionnelles ou commerciales, virtuelles ou quotidiennes. Rien de moins ludique que la gamification universelle. Dès lors que le nombre même de ses « amis » devient un champ de compétition, la sympathie n’est plus qu’un moment de l’hostilité généralisée.

      20. Les fictions sociales sont par nature efficaces. Dans l’ancienne fiction, l’homme était présenté comme le propriétaire de sa force de travail, qui la vendait ensuite au propriétaire des moyens de production. Le sujet classique reste souverain même au moment où il aliène son temps et ses forces en les vendant à un autre. Sa dignité et son intégrité sont établies pour l’éternité, même si elles sont violées quotidiennement. Tel était le sujet de l’humanisme classique, dont les juristes et les syndicalistes ne parlent jamais sans une pointe de nostalgie, même s’ils se refusent à reconnaître sa totale obsolescence en tant que fiction sociale. La fiction qui prévaut aujourd’hui est celle du capital humain. Le sujet du capital humain est défini comme l’agrégat de son capital social, de son capital santé, de son capital relationnel, de son capital culturel, de son capital capillaire, etc. Il n’est en aucun cas le propriétaire du capital qu’il est. Il est son capital social, son capital santé, son capital relationnel, son capital culturel, son capital réputationnel, son capital capillaire, etc. Ce ne sont pas des choses qu’il peut louer, aliéner, mettre à disposition des autres sans les perdre par là même, sans se perdre lui-même. Il en est d’autant plus jaloux. Ce ne sont pas non plus des choses qui existent en soi, en dehors des interactions sociales qui les font naître, et qu’il faut d’ailleurs multiplier le plus possible.

      Tout comme il y a des monnaies qui expirent, il y a des capitaux qui expirent : ils doivent être activés, entretenus, accumulés, chéris, maximisés, bref : produits à chaque instant et à travers chaque interaction - protégés contre leur propre dévaluation tendancielle. Le sujet du capital humain, serviteur du capital qu’il est bien plus que maître de lui-même, entrepreneur de lui-même bien plus que propriétaire serein de sa personne, ne connaît donc que des interactions stratégiques dont l’issue doit être optimisée. La théorie des jeux - pour laquelle aucune feinte, aucun mensonge, aucune trahison n’est trop extrême au service de ses fins - est la théorie de ce « sujet » marqué par la précarité absolue, l’obsolescence programmée, et une inconsistance si extrême qu’il peut être annulé au moindre faux pas selon les mouvements imprévisibles de l’opinion et les codes du jour. Avoir transformé l’animal humain en ce processeur d’information frénétique, angoissé et vide : telle est la mutation anthropologique couronnée par les réseaux sociaux.

      21. Maîtresse particulièrement jalouse, cette société accueille comme un chaleureux témoignage de loyauté chaque fois qu’un de ses membres accepte de trahir un ami, un proche, un parent, pour son propre bien et celui de ses « valeurs » dévoyées. Ce qui émerge, derrière le rituel médiatique de la confession publique, c’est une société de la trahison - une société dans laquelle la trahison mutuelle, et sa possibilité à chaque instant, sert de nouveau pacte social. La parrhésie qui s’étale sur la place publique est celle-là même qui n’est jamais apparue dans les relations qu’elle met en cause, et 2, un mouvement donné sur lequel fonder la possibilité d’une révolution, ou même simplement pour contrer les actions du gouvernement, ne font pas que se tromper et se trompent eux-mêmes. En occupant ainsi le terrain, ils bloquent l’émergence de quelque chose de nouveau, capable de saisir l’époque et de lui tordre le cou.

      25. Le besoin d’halluciner l’existence d’un mouvement vient du fait que, pour un certain nombre de perdants ambitieux, cette fiction fournit une sorte de cohérence sociale : ils en feraient « partie ». Quand on ne sait pas ce que l’on veut, il est courant de vouloir exister - et puis, inévitablement, d’échouer, puisque l’existence ne peut jamais être le résultat d’une volonté. Manifestement, certains pensent que l’on peut appliquer à la révolution le principe du « fake it until you make it », qui a si bien réussi dans l’économie des start-up.

      26. De même que les réseaux sociaux ont capturé l’essence de l’existence sociale et la valeur qui lui est attachée, les activistes radicaux ont été progressivement réduits à un sous-secteur marginal de ces réseaux, qui les a pratiquement subsumés. L’impossibilité - et la superfluité ultime - d’avoir une stratégie efficace en découle logiquement. Désormais, les mouvements sociaux sont avant tout là pour servir de support à l’existence individuelle des militants sur les réseaux sociaux. Si ces mouvements ne mènent nulle part, s’il importe si peu qu’ils aboutissent à une victoire ou à une défaite, c’est qu’ils remplissent déjà amplement cette fonction suffisante.

      27. Pour le militant, la raison d’être de l’action n’est que relative aux images que l’on peut en produire, et plus encore à l’exploitation politique de ces images. Il n’y a donc pas lieu de se scandaliser de l’aberration stratégique ou du je-m’en-foutisme tactique de ces actions. La véritable efficacité de l’acte se situe à l’extérieur de lui-même, dans les retombées médiatiques qu’il est censé faciliter. De ce point de vue, une perte grave n’est pas nécessairement une perte, et une défaite cuisante peut tout aussi bien devenir un succès retentissant, à condition de ne pas être trop sensible à la souffrance des martyrs.

      28. Le triomphalisme déplacé, suivi du silence sur la défaite une fois qu’elle est assurée, compte parmi les formes les plus perverses de l’amour de la gauche pour la défaite, tant pour les militants que pour les syndicalistes. La célébration de victoires inexistantes masque opportunément le recul final ou, le plus souvent, l’absence totale de stratégie. Il n’est pas vraiment paradoxal de considérer que les vrais défaitistes sont ceux qui, toujours positifs, ne cessent d’applaudir et de se féliciter. Alors que ce sont ceux qui critiquent sans complexe « le mouvement » qui manifestent le plus clairement leur refus d’être bêtement vaincus, et donc leur détermination à gagner.

      29. Il y a ceux qui veulent gagner et ceux qui veulent être reconnus, c’est-à-dire ceux qui considèrent que c’est une victoire d’être reconnu. La vraie victoire ne concerne pas l’ennemi, mais la possibilité, à la suite d’un succès tactique, de déployer ses propres plans. Pour cela, il faut avoir des plans.

      30. La façon dont, lors du coup du monde provoqué par la syndromie Covid, il n’y avait soudain plus personne pour affronter le gouvernement confirme cette hypothèse : tout le monde est ailleurs.

      31. La conscience politique n’est pas un privilège. Personne ne s’est autant trompé ces dernières années que ceux qui se croient « politisés ». Personne n’a agi plus bêtement que les « cultivés ». C’est partout ailleurs que chez les « politisés » qu’il faut chercher ceux avec qui nous ferons la révolution - ils ont trop de capital social à perdre pour ne pas être stupides et lâches.

      32. Vous n’entendrez plus parler de nous, ou seulement par accident. Nous désertons votre espace public. Nous passons du côté de la construction réelle des forces et des formes. Nous passons du côté de la conspiration, du côté du conspirationnisme actif. Nous « sortons du château du vampire ». Rendez-vous à l’extérieur !

      33. Croyez suffisamment en ce que vous pensez pour ne pas le dire. Croyez suffisamment en ce que nous faisons pour ne pas le rendre public. Laissons aux chrétiens et aux gauchistes le goût du martyr pour la publicité.

      34. Il n’y aura que ce que nous construirons. C’est précisément parce qu’il n’y a personne à sauver qu’une révolution est si nécessaire. La question politique centrale du XXIe siècle est de savoir comment construire des réalités collectives qui ne soient pas fondées sur le sacrifice.

      35. « C’est à partir de là que nous voulons contribuer à créer, en tant que front collectif arrivant par vagues, les conditions d’un changement culturel éthique qui nous permette d’échapper au piège de la cohabitation culturelle actuelle, centrée comme elle l’est sur les relations de méfiance et de contrôle, de domination et de compétition propres à la culture patriarcale-matriarcale que nous maintenons pratiquement sur toute la planète » (Humberto Maturana & Ximena Davila, Habitar Humano).

      36. Ceux qui ont gagné la guerre ne parlent que de « paix ». Ceux qui se sont tout approprié ne parlent que d’inclusion. Ceux qui sont animés par le dernier cynisme n’oublient jamais d’appeler à la « bienveillance ». Ils ont même réussi le miracle de convertir à ces « valeurs » à peu près tous les gauchistes du monde. C’est ainsi qu’ils ont réussi à supprimer toute possibilité de révolution. En effet, les vainqueurs sont bien placés pour savoir qu’il n’existe pas de révolution inclusive, puisqu’elle consiste minimalement en leur exclusion violente. Il n’y a pas non plus de révolution bienveillante ou écologique - à moins de considérer que brûler des palais, affronter des forces armées ou saboter des infrastructures majeures en soit une. « Là où règne la violence, seule la violence aide », disait Brecht. Pour les vainqueurs, la paix n’est que l’éternité de leur victoire.

      37. Les connards déploient toutes les idéologies humanitaires possibles pour proscrire tout clivage net au sein de l’humanité, ce qui serait évidemment à leur désavantage. Nous sommes partisans d’un monde sans trous du cul. Cela nous semble un programme minimal, cohérent et satisfaisant.

      38. Apprendre à reconnaître les cons, voire admettre leur existence pour commencer, est à l’origine de notre force : l’analphabétisme et l’indifférence en matière d’éthique ne profitent évidemment qu’aux cons.

      39. Le Parti se renforce en se purgeant de ses éléments opportunistes, nihilistes, sceptiques, covidistes, malins, narcissiques, postmodernistes (etc.).

      40. Le véritable pouvoir collectif ne peut se construire qu’avec ceux qui ont cessé de craindre d’être seuls.

      Novembre 2023

    • #paywall Je veux savoir ce que les les journaleux proposent comme solution. Voici la mienne :
      Tu économises chaque mois € 2083,33 pendant 40 ans. (€ 1000.000 divisé par 480 mois.) Facile, car à partir d’une certaine somme disponible tu peux investir dans l’exploitation de te concitoyens (celleux qui tu con-sidères comme assez con-nes) et réduire l’épargne mensuelle grâce au profit obtenu par le travail d’autrui. Il faut simplement faire gaffe à ne pas commencer avec une trop petite somme mensuelle, car ça risque de retarder le moment à partir duquel les intérêts remplacent l’épargne dans le processus d’accumulation.
      Plan de carrière conséquent : à 20 ans tu commences avec un poste rémunéré au moins €55.000 par an, car il faut bien vivre, on ne peut quand même pas se sacrifier soi même quand on veut devenir millionaire. Ensuite tu achètes deux appartements dont la valeur ne cesse d’augmenter, tu sélectionnes quelques actions que tu ne vends que 30 ans plus tard, et le tour est joué. Bien sûr tu ne t’épuises pas avec tes acquisitions et tu continues à mettre chaque mois de côté la somme requise.
      Je vous assure, ça marche. Il ne faut simplement jamais oublier le but de l’affaire. Qu’ils sont cons, les autres qui ne font pas pareil.

      L’année prochaine je lancerai une newsletter « how to get rich quick » sur les investissement écolos-sociaux-équitables. Pourvu que la révolution n’arrive avant mon premier million.

      #wtf #capitalisme #foutage_de_gueule #arithmétique #spéculation #exploitation

  • Wilfried Nelles : Warum der Kampf gegen den Kapitalismus scheitert
    https://www.berliner-zeitung.de/open-source/wilfried-nelles-warum-der-kampf-gegen-den-kapitalismus-scheitert-li

    Le Berliner Zeitung nous fait cadeau d’un pamphlet contre le socialisme et toutes les tentatives de modifier, abolir ou dépasser le capitalisme. Il n’y a aucun argument nouveau, on y rencontre par contre tous les arguments fallacieux et les fabrications (les « faits ») qu’on a implanté dans les têtes des gens qui n’ont jamais eu accès aux méthodes de réflection critique, bref c’est un cas d’école d’idéologie pondu par un membre de cette élite précaire d’intellectuels et de psychologues au solde d’un pouvoir dont ils ne saisissent pas l’essentiel.

    Je me ferai un plaisir de l’analyser un de ces jours. Là je me tourne vers des occupations plus agréables. C’est les vacances.

    24.12.2023 von Wilfried Nelles| 04 - Wie sind kapitalistische Systeme entstanden und haben sie eine Zukunft? Unser Autor findet Antworten.

    Seit rund 200 Jahren, also praktisch seit es ihn gibt, rufen kluge Geister zum Kampf gegen den Kapitalismus auf – man will ihn überwinden. Daran hat sich bis heute nichts geändert. Selbst das weltweite Scheitern von Sozialismus und Kommunismus, auch die im Namen dieser Ideen stattgefundenen Gräueltaten und Mordorgien – vom stalinistischen Gulag über Maos Befreiungskrieg samt Kulturrevolution und verheerenden Hungersnöten bis zur Auslöschung des gesamten Bürgertums durch Pol Pot und seine Genossen in Kambodscha, denen weit mehr Menschen zum Opfer fielen als dem Faschismus – haben nicht dazu geführt, dass die Idee, der Kapitalismus müsse abgeschafft und durch ein besseres System ersetzt werden, gestorben wäre. Der Wunsch, eine bessere Welt zu schaffen, lässt sich von keiner Wirklichkeit belehren.

    Alle, die den Kapitalismus abschaffen oder überwinden wollen, übersehen etwas Grundlegendes: Niemand hat ihn geschaffen, niemand hat den Kapitalismus – ganz im Gegensatz zum Sozialismus – gemacht! Er ist entstanden, er ist gewachsen, und zwar ganz von selbst. Niemand hatte die Idee: Jetzt schaffen wir das Feudalsystem und die Zünfte ab und machen den Kapitalismus, niemand hatte einen Plan, wie das geschehen und wie er aussehen sollte. Niemand hat eine „kapitalistische Partei“ gegründet, die Leibeigenen aufgerufen, ihre Fesseln abzuwerfen, und das als Massenbewegung organisiert.
    Natürliche Entstehung des Kapitalismus

    Kein König oder Parlament oder Volksentscheid hat beschlossen, jetzt den Kapitalismus einzuführen. Es hat noch nicht einmal jemand eine Theorie entwickelt, wie man die selbstgenügsame vorkapitalistische Wirtschaft in ein dynamisches System überführen könnte. Alle ökonomischen Theorien waren nur Antworten auf den Kapitalismus, sie kamen alle später.

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    Man kann das gut oder schlecht finden, Tatsache ist: Danach fragt niemand, dem Kapitalismus ist es ganz egal, ob wir ihn mögen oder nicht. Ein Zurück wird es nicht geben, auch kein Zurück hinter die Globalisierung. Es mag eine protektionistische Phase geben, aber die geht vorüber. Die gesamte Kapitalismuskritik, so berechtigt sie im Einzelnen sein mag, ist vollkommen ohnmächtig. Sie kann zwar Anpassungen und Veränderungen innerhalb des Kapitalismus bewirken, aber nie diesen selbst treffen oder gar beseitigen. Denn die treibende Kraft dahinter ist nicht das Kapital, sondern vielmehr die Wissenschaft und damit das menschliche Bewusstsein.

    Hier liegt der fundamentale Irrtum von Marx und Engels, der immer noch der fundamentale Irrtum der gesamten Moderne ist: Unsere heutige Welt, der Kapitalismus eingeschlossen, ist eine Folge der Entwicklung des Bewusstseins, und zwar des Bewusstseins im christlichen Abendland. Es ist immer das Bewusstsein, das das Sein bestimmt – es gibt Reiche, die todunglücklich sind, und Arme, die in tiefster Zufriedenheit leben. Dass der Kapitalismus in Europa und nicht in Indien oder Afrika entstanden ist, ist eine Folge des christlich-abendländischen Geistes.

    Mit den Entdeckungen und der Entstehung der Naturwissenschaft wurde aus einer begrenzten eine vollkommen offene und grenzenlose Welt, und das sprengte mit der Zeit auch alle Begrenzungen des Denkens und dann auch die institutionellen und ökonomischen Grenzen. Die Akkumulation von Kapital, die Entstehung der Geldwirtschaft bis hin zur Globalisierung sind nicht die Ursache, sondern die Folge davon. Das tiefste Wirkprinzip im Kapitalismus ist der Geist, der sich die Erde untertan machen will und keine Grenzen mehr kennt oder akzeptiert. Grenzenloses Wachstum ist unser innerster Antrieb, und zwar einer, der längst zum Zwang geworden ist (Hartmut Rosa, „Unverfügbarkeit“, Residenz Verlag, Wien 2019).

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    1983: DDR-Staatsratsvorsitzender Erich Honecker (SED) spricht anlässlich der Karl-Marx-Konferenz in Berlin.imago images

    War der Mensch früher ein Teil von Gottes Schöpfung, die ihm einen festen Platz in einer ihn übergreifenden Ordnung zuwies, so gilt Gott jetzt als eine Schöpfung des Menschen – ob wir ihm eine Existenz zubilligen, hängt von uns ab, von jedem Einzelnen, und die Wissenschaft hat ihn längst abgeschafft. Die zeitgenössische Forderung, „der Wissenschaft“ zu folgen, ist zwar ebenso töricht wie politisch motiviert, weil es „die“ Wissenschaft in dem Sinne, dass sie eine Instanz wäre, die wüsste und einem sagen könnte, was zu tun ist, nicht gibt.

    Tatsächlich folgen wir der Wissenschaft aber schon längst, unser gesamter Alltag ist nicht nur von den Resultaten wissenschaftlicher Entdeckungen durchdrungen, sondern wir haben auch dieselbe Grundhaltung zur Welt, zum Leben und zu uns selbst wie die Wissenschaft. Sie ist die Religion der Moderne.

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    Auch der Kapitalismus ist aus ihr hervorgegangen, die geistige Bewegung von der christlichen Religion zur Wissenschaft ist ihm um einige Hundert Jahre vorausgegangen. Und sie geht ihm auch weiter voraus, auch wenn das Kapital maßgeblich daran mitwirkt, was erforscht wird und was nicht und wie die Erkenntnisse der Wissenschaft verwertet werden. Die Triebfeder liegt im Geist, und zwar im christlichen Geist.

    Aber auch dieser Geist ist nichts Gemachtes, sondern etwas Gewachsenes. Von der biblischen Aufforderung, sich die Erde untertan zu machen, führt ein langer, aber ganz logischer Weg zur Wissenschaft, zum Kapitalismus, zur Globalisierung und neuerdings zum Transhumanismus. Sie sind die Erfüllung, die tatsächliche Verwirklichung des christlichen Geistes (Malte Nelles, „Gottes Umzug ins Ich“, Europa Verlag, München 2023). So wie es eine Evolution der Arten gibt, gibt es auch eine Evolution des Bewusstseins. Es ist ein natürlicher Prozess.
    Hat der Kapitalismus eine Zukunft?

    Daraus folgt etwas ganz Simples: Man kann den Kapitalismus nicht abschaffen. Er muss – auch dies hat Marx schon gesehen, aber nicht ernst genommen – an seine Grenzen kommen und dann von innen heraus zerbrechen, genauso wie das Feudalsystem und die ihm entsprechenden Formen des Wirtschaftens. Dazu muss aber in seinem Innern ein neues Bewusstsein entstehen, ein Bewusstsein, das über den Geist der Wissenschaft hinausgeht, so wie dies einst mit den Entdeckungen von Kopernikus, Kolumbus, Galilei und vielen anderen seinen Anfang nahm. Die linke Hoffnung auf ein „revolutionäres Subjekt“, das gegen die herrschenden Verhältnisse aufsteht und sie überwindet, ist vollkommen illusorisch.

    Porträt von Karl Marx

    Porträt von Karl MarxFriedrich-Ebert-Stiftung/dpa

    Die Proletarier (Marx) oder gar die Randexistenzen (Fanon, Marcuse) wollen nur genug zu essen oder Drogen, die sie ihr Elend nicht fühlen lassen, und die linken Denker sind alle desselben Geistes Kind, der auch im Kapitalismus wirkt. Wahrscheinlich wäre er ohne sie schon längst untergegangen, ihre Kritik und ihr Kampf machen ihn flexibel und halten ihn so am Leben.

    Überhaupt: Aus dem Dagegensein und dem Kampf entsteht nie etwas Neues. Dazu braucht es mutige Menschen, die einen neuen und weiteren Geisteshorizont betreten und damit für viele andere eröffnen, einen Horizont, der nicht gegen etwas ist, sondern über die wissenschaftliche Religion und den kapitalistischen Moloch, den diese geschaffen hat, hinausgeht und ihnen den Platz zuweist, der ihnen zusteht: den eines praktischen Instruments, das das Leben angenehmer machen kann.

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    So wie dies damals niemand gemacht hat, kann man dies auch heute nicht machen. Es geschieht, wenn die Luft zum Atmen zu eng wird, wenn der Geist aus sich heraus in eine neue Dimension will. Die Entdecker, die in diese unbekannte neue Welt aufbrechen, kommen dann von selbst – und werden selbstverständlich von der Masse und den Profiteuren des Status quo verfemt, verleumdet und verfolgt. Das war immer so und wird auch so bleiben. Es sind auch schon viele da, aber die alten Kräfte werden dem Neuen nicht kampflos weichen, sie werden sich mit Händen und Füßen und allem, was sie haben, gegen ihren Tod wehren.

    Der Untergang der alten Welt wird ein sehr schmerzhafter und sich lange hinziehender Prozess sein. Die letzten Reste des alten Feudalsystems wurden mit dem Ersten Weltkrieg weggefegt, also rund 400 Jahre nach Kopernikus und Kolumbus und 300 Jahre nach Galilei und den Anfängen der Aufklärung. Ob aus dem Untergang der heutigen wissenschaftlich-kapitalistischen Welt eine neue hervorgehen wird, steht in den Sternen. Eines ist jedoch gewiss: Niemand wird eine neue Welt schaffen können. Entweder sie entsteht von selbst, aus der inneren Bewegung des Geistes (des menschlichen Bewusstseins), oder sie entsteht nie.

    Wilfried Nelles ist Psychologe, Sozialwissenschaftler und Autor.

    #capitalisme #apologie #idéologie

  • Chantons ensemble
    https://laviedesidees.fr/Chantons-ensemble

    En Occident, on se jette à l’eau pour chanter seul au micro devant un public d’étrangers. En #Asie, on chante ensemble, entre amis ou entre collègues, pour se créer un havre, une bulle d’entre-soi. À chaque société ses soupapes !

    #Société #capitalisme #culture_populaire #communauté
    https://laviedesidees.fr/IMG/docx/20231225_karaoke.docx
    https://laviedesidees.fr/IMG/pdf/20231225_karaoke.pdf

  • Nos chats sont-ils des terreurs écologiques ?

    “Les chats sont une #catastrophe pour la #biodiversité. Les chiens sont une catastrophe pour le climat” a affirmé le 13 décembre, sur TF1, le chercheur médiatique #François_Gemenne, ancien membre du GIEC et enseignant à Science Po Paris. En disant cela, il a admis lui-même aborder un sujet sensible, susceptible de déclencher la colère des téléspectateurs. Et cela n’a pas loupé : la séquence a été largement commentée sur les réseaux sociaux, beaucoup de gens – y compris d’autres écologistes – rappelant qu’il y avait beaucoup à faire, par exemple s’en prendre aux grands bourgeois et leur train de vie délirant, avant de s’intéresser à l’impact de nos chats et de nos chiens sur la biodiversité et le #climat. Oui mais ne serions-nous pas des défenseurs de la planète en carton-pâte si nous ne considérions pas honnêtement la #responsabilité des animaux les plus populaires et les plus mignons sur ce qu’il nous arrive ?

    1 – La destruction de la biodiversité a plusieurs causes

    Quand on pense à l’écologie, on pense d’abord au sujet du réchauffement climatique dû à l’impact des activités humaines carbonés. Mais il y a d’autres sujets à prendre en compte parmi lesquels la baisse très rapide de la biodiversité (quantité d’espèces différentes sur la planète). Elle est en chute libre car de nombreux êtres vivants disparaissent du fait de la transformation, par les activités humaines, de leur environnement. C’est pourquoi on parle d’une “#sixième_extinction_de_masse” : une grande partie des espèces qui peuplent la terre pourrait disparaître prochainement. Selon l’Office Français de la Biodiversité, un établissement public créé récemment pour promouvoir la sauvegarde de ces espèces, 68 % des populations de vertébrés (mammifères, poissons, oiseaux, reptiles et amphibiens) ont disparu entre 1970 et 2016, soit en moins de 50 ans. Et rien qu’en 15 ans, 30% des oiseaux des champs ont disparu, ainsi que 38% des chauves-souris. Si jamais on s’en fout royalement de ces animaux, on peut se rappeler que tout est lié et que ces disparitions ont des conséquences sur nos vies, car chacune de ces espèces jouent un rôle au sein d’un #écosystème, et que certaines peuvent ensuite prendre le dessus et devenir envahissantes…

    La France a un rôle particulier à jouer car elle est le 6e pays du monde à héberger des espèces menacées. Qu’est-ce qui, chez nous, contribue à cette #extinction_de_masse ? Comme partout, le #changement_climatique joue un rôle important en déstabilisant la vie et la reproduction de nombre d’espèces. Ensuite, la pollution de l’air, de l’eau et du sol est considérée par l’ONG WWF comme la première cause de perte de biodiversité dans le monde. On peut également citer la transformation de l’usage des #sols, avec le développement de l’agriculture intensive et l’étalement urbain : le premier transforme la végétation, par exemple en détruisant les #haies pour augmenter les surfaces cultivables par des engins de plus en plus gros, ce qui dégomme des lieux de vie pour nombres d’espèces, en particulier les insectes et les rongeurs, dont la disparition affecte ensuite les oiseaux.

    Il faut aussi mentionner la surexploitation des animaux, via la #pêche_intensive mais aussi la #chasse, bien que sur cette dernière activité, le débat fasse rage dans le cas de la France : les défenseurs de la chasse estiment qu’elle contribue à préserver la biodiversité, puisque les chasseurs “régulent” certaines espèces potentiellement envahissantes et relâchent dans la nature des animaux qu’ils élèvent le reste de l’année. Les lobbies de chasseurs dépensent beaucoup d’argent et de temps pour imposer cette réalité dans le débat public, allant jusqu’à dire que les chasseurs sont “les premiers écologistes de France”, mais les faits sont têtus : seuls 10% des oiseaux relâchés par leurs soins survivent car ils sont désorientés, incapables de se nourrir correctement et pas autonome. Quiconque vit en zone rurale connaît le spectacle navrant de ces faisans et autres bécasses qui errent au bord des routes, attirés par la présence humaine, en quête de nourriture… Quant à la “régulation” des #espèces_invasives, il semble que cela soit en grande partie une légende urbaine : “La grande majorité des animaux tués à la chasse, approximativement 90 ou 95 % n’ont pas besoin d’être régulés” explique le biologiste Pierre Rigaud au Média Vert.

    2 – Les espèces invasives, produits du #capitalisme mondialisé

    Mais dans la liste des causes de la baisse de la biodiversité, il faut mentionner l’impact très important des espèces invasives introduites par l’homme dans la nature – on arrive à nos chatons. Dans son dernier rapport, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES, qui représente 130 gouvernements et publie des rapports réguliers) établit que la “présence cumulative d’#espèces_exotiques s’est accrue de 40% depuis 1980, et est associée à l’intensification des échange commerciaux ainsi qu’à la dynamique et aux tendances démographiques”. Parce que la “#mondialisation” est passée par là, ou, pour le dire clairement, que la #colonisation et la mise sous régime capitaliste du monde entier a eu lieu au cours du XXe siècle, des espèces circulent d’un continent à l’autre et parviennent dans des endroits où elles commettent de gros dégâts sur les espèces endémiques (“endémique” : qui vit dans un lieu donné. S’oppose à “exotique”).

    Le cas du #frelon_asiatique est très symptomatique : cette espèce a débarqué en France, vraisemblablement dans un conteneur venu de Chine, il y a 20 ans et nuit depuis largement à la biodiversité, notamment aux abeilles. 2004, c’est le début de l’intensification des #échanges_commerciaux avec l’Asie du fait de la délocalisation de toute une partie de la production industrielle en Chine, au grand bonheur des entreprises européennes et de leurs profits. Au passage, ils nous ont ramené le frelon.

    Mais nos animaux préférés seraient aussi en cause : les chats sont des mangeurs d’#oiseaux et ont effectivement, comme le dit François Gemenne, une part de responsabilité dans la baisse de la biodiversité… Ce qu’il ne dit pas, c’est qu’ils provoquent autant de mortalité en France et en Belgique que… nos #fenêtres, contre lesquelles les oiseaux se cognent et meurent… Selon le Muséum d’Histoire Naturelle, interrogé par France Info, les chats ne sont pas les principaux responsables de la disparition des oiseaux car ”Leur raréfaction tient avant tout à la disparition des #insectes et la perte d’habitat. Le chat représente toutefois une pression supplémentaire importante sur une population fragilisée.” Ce serait en #ville et sur les #îles que l’impact des chats serait important, et non dans les campagnes, où il est “un prédateur parmi d’autres”.

    3 – Accuser les chats pour préserver les capitalistes ?

    Lorsque l’on regarde les principaux facteurs de chute de la biodiversité dans le monde, on constate que tout à avoir des décisions humaines. Quel type d’#agriculture développons-nous ? Comment construisons-nous nos villes ? A quelle fréquence faisons-nous circuler les marchandises et les animaux entre les différentes parties du monde ? Quelles activités polluantes décidons-nous de réduire et lesquelles nous choisissons de garder ? On est donc très loin d’une simple équation scientifique : face à un problème comme la sixième extinction de masse, ce sont des décisions collectives potentiellement très conflictuelles que nous devons prendre. Qui arrête son activité ? Qui la poursuit ? Qui va continuer à gagner de l’argent ? Qui va devoir perdre une activité très rentable ?

    Puisque le pouvoir, en France comme dans le monde, appartient aux défenseurs du capitalisme, la décision est pour l’instant la suivante : ce qui génère du profit doit continuer à pouvoir générer plus de profit. L’#agriculture_intensive doit donc continuer et se développer. C’est pourquoi, depuis 50 ans, 70% des haies et des #bocages, refuges de biodiversité, ont disparu, et le phénomène s’accélère. Car les lobbies de l’#agriculture_industrielle ont sévi et, encore récemment, ont obtenu de pouvoir continuer leur jeu de massacre. La #pollution des sols et de l’air ? Elle continue. Le #glyphosate, cet #herbicide qui dégomme les insectes et rend les animaux malades, a été autorisé pour 10 années de plus par l’Union Européenne, pour continuer à produire davantage sur le plan agricole, une production qui sera en grande partie exportée et qui contribuera au grand jeu des profits de l’#agroalimentaire

    Les villes et les villages peuvent continuer de s’étendre et c’est flagrant en zone rurale : puisque le marché du logement est dérégulé et qu’il est plus profitable de construire sur terrain nu que de réhabiliter de l’ancien dans les centre-bourgs, les périphéries des petites villes s’étendent tandis que les centres se meurent… L’#étalement_urbain, qui fait reculer la biodiversité, s’étend sous la pression du #marché_immobilier. Là encore, c’est un choix en faveur du capitalisme et au détriment de la biodiversité… Et inutile de parler du réchauffement climatique : la COP 28, dont la délégation française comprenait Patrick Pouyanné, le patron de TotalEnergies, s’est soldée par un “accord pitoyable”, pour reprendre les mots de Clément Sénéchal, spécialiste du climat, dans Politis. Mais François Gemenne, lui, s’en est réjoui avec enthousiasme.

    Le consensus des dirigeants du monde entier est donc le suivant : il ne faut donner aucune véritable contrainte aux marchés qui prospèrent sur la destruction des espèces vivantes sur cette planète. Et en France, puissance agricole, ce constat est encore plus flagrant.

    Alors, que nous reste-t-il ? Les #décisions_individuelles. Ce pis-aller de l’#écologie_bourgeoise qui consiste finalement à dire : “bon, on a tranché, on ne va pas toucher au train-train du capitalisme qui nous plaît tant mais par contre on va vous demander à vous, citoyens, de faire des efforts pour la planète”. Mais attention : sans trop mentionner la consommation de #viande, le seul “#petit_geste” qui a un impact très significatif parce que la consommation de viande est en moyenne la troisième source d’émission carbone des Français (avant l’avion). Les industriels de la viande veillent au grain et ne veulent surtout pas qu’on se penche là-dessus.

    Parler des animaux domestiques s’inscrit dans cette veine-là. Bien sûr que, dans l’absolu, les chats et les chiens ont un impact sur la biodiversité et sur le climat. Car tout a un #impact. Mais d’une part cet impact reste marginal et d’autre part il est non systémique. Certes, le capitalisme a trouvé un bon filon pour faire du profit sur le dos de nos amours pour ces animaux qui apportent de la joie et du bonheur chez de nombreuses personnes, il suffit d’entrer dans une animalerie pour cela : la diversité des aliments, des jouets, des accessoires, le tout dans des couleurs chatoyantes pour appâter le maître bien plus que le chien… Mais lorsque l’on parle des chats qui mangent des oiseaux, on ne parle pas du capitalisme. Pire, on en profite pour masquer l’impact bien plus significatif de certaines activités. Les chasseurs, qui dépensent de lourds moyens pour influencer le débat public et ne reculent devant aucun argument ne s’y sont pas trompés : #Willy_Schraen, le président de la Fédération Nationale des Chasseurs (FNC) a tenté d’orienter, en 2020, l’attention du public sur l’impact des chats, qu’il accuse, ironie du sort, de trop chasser et qu’il a appelé à piéger. Aucune solidarité dans la profession !

    4 – Sortir du discours écolo bourgeois : un mode d’emploi

    Les chats sont bel et bien des chasseurs mais il existe des solutions pour limiter leur impact sur la biodiversité : stériliser le plus souvent possible pour éviter leur prolifération, les faire sortir uniquement à certaines heures de la journée ou… jouer davantage avec eux durant la journée. Pas sûr que les mêmes solutions fonctionnent pour réduire l’impact de la FNSEA, de TotalEnergies, de Lactalis, de la CMA CGM et de tous les milliardaires français : le patrimoine de 63 d’entre eux, en France, émettent autant de gaz à effet de serre que la moitié de la population française.

    Pour amuser vos petites boules de poils, la rédaction de Frustration recommande l’arbre à chat. Pour amuser vos petits milliardaires on recommande la visite de l’épave du Titanic dans un sous-marin peu étanche

    Comment utiliser efficacement son temps d’antenne quand on est un scientifique médiatique comme #François_Gemenne ? On peut se faire mousser en se payant un petit bad buzz par la #culpabilisation des individus possédant un chat. Ou bien on peut prioriser les sujets, étant entendu que dans l’absolu, oui, toutes les activités humaines polluent et ont un impact sur la biodiversité. Comment procéder ?

    - Aller du plus systémique au moins systémique : critiquer le capitalisme (ou ses sous-catégories : marché immobilier, #agro-industrie, industrie pétrolière etc.), qui conduit les entreprises et les individus à chercher la production permanente et l’exploitation permanente dans un monde aux ressources finies, plutôt que les chats, qui se contentent de vivre et de paresser sans chercher à performer ou faire preuve de leur respect de la “valeur travail”.
    - Aller du plus impactant au moins impactant : oui, la nourriture des chiens pollue, mais l’industrie de la viande dans le monde est une bombe climatique. Mais peut-être est-il moins gênant de vexer Frolic et Royal Canin que Fleury Michon et Fabien Roussel ?
    – Aller du plus superflu au moins superflu : dans l’ordre, commencer à interdire les yachts et les vols en jet privé avant de s’en prendre à la voiture individuelle serait une bonne chose. Sans quoi, personne ne comprend la demande d’un effort à forte conséquence sur son mode de vie quand, pour d’autres, ce sont les loisirs qui seraient visés.

    Ensuite, puisqu’il faut trancher, que ces choix se fassent démocratiquement. Pour préserver la biodiversité, préfère-t-on interdire la chasse ou limiter le nombre de chats par personne ? Veut-on sortir du modèle agricole productiviste orienté vers la production de viande ou interdire les chiens ? Et si on rappelait au passage que les #animaux_de_compagnie sont parfois la seule famille des personnes seules et fragilisées, notamment parmi les personnes pauvres, et qu’ils fournissent des services à la population, non quantifiable sur le plan financier ?

    Bref, préférez-vous en finir avec les chatons ou avec la bourgeoisie ? De notre côté, la réponse est toute trouvée.

    https://www.frustrationmagazine.fr/chats-ecologie

    #chats #chat #écologie #animaux_domestiques #industrie_agro-alimentaire #priorité #à_lire