#carl_hart

  • Drogue, comment se tromper sur tout

    Le neuroscientifique #Carl_Hart, prochainement invité à Genève, balaie nos #préjugés et dénonce la guerre contre la #drogue

    Attention, un fléau peut en cacher un autre. Selon Carl Hart, neuroscientifique à l’Université Columbia de New York, invité pour une conférence publique ce mercredi à l’Université de Genève*, la véritable calamité en matière de guerre contre la drogue n’est pas la substance psychotrope, mais le combat armé qu’on livre contre elle. Les expériences menées par le chercheur dans le domaine des addictions montrent en effet que la plupart des notions courantes dans le domaine des #stupéfiants sont en réalité des préjugés. Alors que les #politiques_anti-drogue font, elles, des dégâts bien réels.

    Très médiatisé en raison de la radicalité de son propos, du halo sulfureux qu’on rattache à ses expériences avec des sujets humains et aussi, sans doute, de son aspect (il a des dreadlocks), Carl Hart n’hésite pas à mettre en relation sa recherche et sa biographie. Son dernier livre, High Price : A Neuroscientist’s Journey of Self-Discovery That Challenges Everything You Know About Drugs and Society (paru chez Harper en juin), revient ainsi sur son enfance dans les quartiers défavorisés de Miami. Venu à la science pour éradiquer la dépendance, Carl Hart découvre que la vérité est ailleurs…
    Le Temps : Est-ce qu’en matière de drogue, nous avons tout faux ?

    Carl Hart : Tout ce qu’on fait est faux. On sait en revanche ce qu’il faudrait faire. La science a accumulé une quantité considérable de preuves, surtout aux Etats-Unis, où beaucoup d’argent est consacré à ce domaine de recherche.
    – Que disent les recherches récentes ?

    – Vous êtes journaliste, vous vous intéressez toujours aux derniers résultats. Mais ce n’est pas ça qui est important ! Ce qui compte, c’est par exemple de dire ceci : en matière d’héroïne (et d’opiacés en général), on se soucie énormément des overdoses, alors qu’on sait depuis longtemps que les probabilités d’un tel événement sont faibles. Dans 75% des cas, l’overdose se produit lorsque l’héroïne est consommée conjointement avec l’alcool ou avec des sédatifs. En termes de santé publique, le message devrait donc être simple : ne mélangez pas les opiacés et l’alcool. On sauverait ainsi beaucoup de vies. Mais ce n’est pas ce qu’on fait… Même problème pour les amphétamines : elles détruisent le sommeil et l’appétit. Il faudrait donc pousser les consommateurs à être attentifs à comment ils mangent et dorment.
    – Peut-on être à la fois consommateur de drogues et en bonne santé ?

    – Il y a des usagers relativement sains. Le maire de Toronto, Rob Ford, qu’on a vu sur YouTube fumant du crack, a l’air plutôt en forme, en dehors du surpoids… Il y a des gens autour de vous qui prennent des drogues, qui savent gérer leur consommation et qui vont régulièrement au travail : le drogué typique, c’est ça. Pas la caricature qu’on voit au cinéma.
    – N’y a-t-il pas des inconvénients ?

    – Avez-vous déjà entendu parler d’une drogue qui s’appelle « alcool » ? La plupart des utilisateurs sont responsables, mais si vous abusez, il y a des inconvénients. C’est le cas pour toutes les substances qui interagissent avec le fonctionnement du cerveau.
    – Pourquoi nous égarons-nous à ce point dans notre compréhension des drogues ?

    – Considérez l’héroïne et l’alcool. La première a tellement peu d’utilisateurs, par rapport au second, qu’on peut raconter toutes sortes d’histoires abracadabrantes à son sujet : l’opinion y croit, car il n’y a pas grand monde qui connaît ça de près. On ne peut pas affabuler de la même manière au sujet de l’alcool ou de la marijuana.
    – Pour quelle raison ces fausses croyances ont-elles été répandues ?

    – Les drogues sont un bouc émissaire par rapport à des problèmes de société. Pour les forces de police, c’est un moyen d’obtenir des budgets. Pour les scientifiques aussi. Vous voyez, il y a plein de monde qui peut obtenir de l’argent grâce à l’effroi qu’on suscite en brandissant ce mal terrible…
    – Vos recherches vous ont amené à remettre en cause l’explication de l’addiction par le circuit de la récompense et par l’action de la dopamine…

    – Cette explication se base sur une manière simpliste de décrire le fonctionnement du cerveau… On a fait des expériences sur des rats qui avaient appris à s’auto-administrer de la cocaïne, et chez qui on a produit ensuite des lésions empêchant la libération de la dopamine. Dans un premier temps, ils cessent de se droguer. Mais si on attend quelques semaines, on voit que le comportement de consommation revient, ce qui prouve que le mécanisme est plus compliqué. Historiquement, lorsque le modèle explicatif fondé sur la dopamine a été élaboré, on ne connaissait que cinq ou six neurotransmetteurs. Aujourd’hui, on en a étudié plus de cent, mais les descriptions de l’addiction n’ont pas changé. C’est aberrant.
    – Pourquoi les rats se droguent-ils ?

    – Parce qu’ils n’ont rien d’autre à faire que prendre de la cocaïne… L’absence d’autres choix, d’alternatives, peut conduire à une consommation abusive de drogues. C’est un élément. Il faut être sceptique face à des explications centrées sur un facteur unique.
    – Le problème ne serait pas tant la drogue que la guerre contre la drogue…

    – Je suis entré dans ce business en me disant que j’allais résoudre le problème de la dépendance. Et je me suis rendu compte qu’il y a en réalité un problème politique de la drogue, basé sur la désinformation et sur une approche punitive. On traite l’abus de drogues comme si celles-ci étaient la cause de divers problèmes sociaux, alors qu’elles en sont la conséquence.
    – La guerre contre la drogue devient une guerre contre les minorités…

    – Oui. Si vous êtes Noir, vous avez cinq fois plus de probabilités d’être arrêté et dix fois plus de risques d’être emprisonné aux Etats-Unis à cause des drogues que si vous êtes Blanc, alors que la proportion de consommateurs est la même. On arrête les minorités de façon disproportionnelle.
    – Comment expérimente-t-on sur des sujets humains ?

    – Ce n’est pas aussi difficile qu’on le croit. On installe les gens dans un labo, on règle les affaires administratives liées aux questions éthiques, on leur donne des doses et on procède à des tests : évaluations subjectives, imagerie cérébrale, polygraphie du sommeil, mesures sanguines et cardiaques… Il serait irresponsable, anti-éthique de ne pas faire des tests avec des sujets humains. Nous avons accumulé tout ce savoir. Maintenant, il faut éduquer la population.

    http://www.premiereligne.ch/drogue-comment-se-tromper-sur-tout

    #stupéfiants #dépendances #répression