Or, une scène particulièrement savoureuse du film dévoile l’un des rares moments de ces dernières années où l’on a pu voir le chef derrière les fourneaux, mettant lui-même la main à la pâte. Invité à la télé japonaise dans une émission dont le principe est de recevoir des chefs pour suivre l’une de leurs recettes, Alain Ducasse s’exécute face caméra dans la préparation d’une tourte aux blettes sous les yeux conquis du public.
La séquence fait sourire : le montage de l’émission japonaise a été fait dans les règles potaches du genre, couleurs criardes et insertions d’images à l’écran. Surtout, elle interroge : c’est vrai ça, à un stade avancé de sa carrière, un chef, ça ne cuisine plus lui-même... Un peu comme un rédac chef qui n’écrit plus tous les jours. Un graphiste qui fait de la direction artistique. Un créateur de mode qui ne découpe plus des patrons. Ou Pierre Soulages, dont les toiles ne sont pas peintes par lui mais par les nombreux assistants qu’il emploie dans son immense atelier.
Produire a toujours été un travail collectif
Ce qui est curieux, c’est presque finalement le fait que nous nous en étionnions : oui, la création artistique a toujours été envisagée de façon pyramidalement hiérarchique. Oui, les grands noms de la création sont rarement ceux qui travaillent directement à la fabrication de leurs produits. Mais alors, d’où nous vient cette idée de l’artiste créateur – celui qui signe, celui à qui l’on attribue la production finie, celui qui représente ?
La figure du créateur est plus forte dans nos esprits que celle de la production collective