• La figure de l’étranger, ce repoussoir imaginaire : comment le vote RN a évolué
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/17/la-figure-de-l-etranger-ce-repoussoir-imaginaire_6200771_3232.html


    SERGIO AQUINDO

    (...) A partir des scrutins législatif et présidentiel de 2002, les métropoles et les banlieues à forte diversité qui, dans les années 1980, avaient fait le succès du Front national, se détournent peu à peu de l’extrême droite. Au second tour de l’élection présidentielle de 2017, Marine Le Pen, qui remporte 33,9 % des suffrages au niveau national, n’en rassemble que 19,68 % dans le Val-de-Marne, 14,35 % dans les Hauts-de-Seine et 21,18 % en Seine-Saint-Denis – trois départements qui comptent une proportion d’immigrés deux, voire trois fois plus élevée que la moyenne nationale de l’époque.

    (...) Si le RN, à partir des années 2000, perd du terrain dans les métropoles et les banlieues métissées qui constituaient auparavant ses bastions, il conquiert peu à peu des territoires ruraux et périurbains au profil radicalement différent. Au second tour de la présidentielle de 2022, Marine Le Pen, qui recueille 41,45 % des voix au niveau national, obtient ainsi ses plus beaux scores (plus de 50 %) dans les villages de moins de 2 000 habitants, où les étrangers sont rares – moins de 5 % de la population. (...)

    Comment, dans un paysage où l’immigration est aussi lointaine, voire absente, comprendre le triomphe du RN ? Pourquoi les électeurs de cette France rurale et périurbaine qui accueille très peu d’étrangers votent-ils massivement pour un parti qui, même s’il privilégie aujourd’hui un discours social, continue à dénoncer haut et fort les ravages de l’immigration ? La théorie du contact, qui suppose des échanges fréquents entre les communautés, ne fournit, en l’espèce, aucune clé d’explication. Plus pertinente paraît la théorie de la menace – à condition de retenir son versant non pas « réaliste » mais « symbolique ».

    Pour la politiste Nonna Mayer, l’hostilité peut en effet reposer sur des mécanismes imaginaires. « Il n’est nul besoin de vivre avec ou près des étrangers pour en avoir peur ou de connaître des juifs pour être antisémite, rappelle l’autrice de Ces Français qui votent Le Pen (Flammarion, 2002). En France comme ailleurs, il y a un antisémitisme sans juifs comme il y a un vote d’extrême droite sans immigrés. Parce que l’imaginaire se nourrit de ce que l’on ne connaît pas, l’absence de contacts favorise parfois une vision fantasmée de l’étranger : il incarne alors une menace, non pas réelle, mais symbolique. »

    Selon les chercheurs qui travaillent sur les zones rurales et périurbaines conquises par l’extrême droite, cette menace « symbolique » hante le discours des électeurs du RN. « Les immigrés, même absents, constituent des figures repoussoirs qui permettent de montrer, par contraste, que l’on est un travailleur méritant et respectable, analyse Nonna Mayer. Les salariés modestes qui ont réussi, grâce à leurs efforts, à acquérir une petite position sociale rejettent à la fois les classes supérieures, dont les valeurs culturelles sont très éloignées des leurs, et les immigrés, assimilés aux “assistés” et aux “cas sociaux”, qu’ils considèrent comme des parasites. »

    Hantise du déclassement

    Pour le sociologue Olivier Schwartz, cette vision du monde renvoie à une conscience sociale qu’il qualifie de « triangulaire ». A l’opposition classique entre le « eux » des possédants et le « nous » des ouvriers analysée dans les années 1950 par le sociologue Richard Hoggart, Olivier Schwartz ajoute un troisième terme : le « bas ». Hantées par le spectre du déclassement, les classes populaires et moyennes cherchent à se distinguer des « assistés » qui profitent indûment du système. Accusés de vivre des allocations, de la délinquance et des trafics, les immigrés incarnent l’un des visages de ce « bas » de la hiérarchie sociale – qu’ils vivent ou non dans le même quartier qu’eux.

    Les succès de l’extrême droite dans le monde rural et périurbain sont fondés, analyse le géographe Jean Rivière, sur cette « quête de respectabilité ». « Ce qui est important, pour comprendre le vote RN, ce n’est pas la proximité, ou non, avec l’immigration mais l’image que les groupes se font les uns des autres, explique-t-il. Ces classes populaires blanches, qui ont accédé à la propriété et qui travaillent dans de petites entreprises, résident à côté d’artisans, de petits patrons et de petits indépendants. Dans ces mondes sociaux qui opposent sans cesse la respectabilité acquise par le travail à l’immoralité de l’assistanat, les immigrés sont vus comme les figures emblématiques de la paresse. »

    [...]
    Les travaux ethnographiques réalisés dans les espaces ruraux ou périurbains confortent cette lecture du vote RN. Pour la sociologue Violaine Girard, l’accès à la propriété, au sein des classes populaires « établies » qu’elle a étudiées dans une commune rurale de la grande région lyonnaise, est un « élément de distinction » par rapport aux habitants des HLM. « Ce qui se joue dans l’achat d’un pavillon, c’est l’accès à la respectabilité sociale, précise l’autrice de l’ouvrage Le Vote FN au village (Le Croquant, 2017). Vivre dans un lotissement, c’est un signe de réussite professionnelle, conjugale et familiale. »

    Souvent associé au vote RN, qui est aujourd’hui motivé par des préoccupations essentiellement sociales, ce souci de se démarquer du « bas » de la hiérarchie ne s’accompagne pas forcément de discours xénophobes. « Certains rejettent ouvertement les immigrés et leurs descendants – et les plus âgés font parfois des blagues racistes, poursuit Violaine Girard. Mais les discours de stigmatisation qui visent les #étrangers, les #chômeurs et les #intérimaires sont surtout fondés sur le statut social. Cette hostilité sert à créer une frontière symbolique entre la sociabilité paisible des mondes ruraux et le mode de vie jugé déviant des résidents des quartiers d’habitat social. »

    « Une forme d’honorabilité »

    Pour le sociologue Benoît Coquard, qui travaille sur les zones rurales en déclin du Grand-Est, cette conscience sociale « triangulaire » est une manière, pour les électeurs du RN, d’affirmer leur appartenance au monde des « gens bien ». « Sur le plan social, les jeunes immigrés des cités sont les homologues de classe des jeunes des villages mais ils sont classés à l’autre bout du spectre, parmi les fainéants et les chômeurs, explique l’auteur de Ceux qui restent. Faire sa vie dans les campagnes en déclin (La Découverte, 2019). Le vote RN garantit aux jeunes des villages qu’il y a pire qu’eux : il les définit de manière positive et il leur assure une forme d’honorabilité. »

    Plus qu’un programme, plus que des candidats, plus qu’un projet politique, ajoute Benoît Coquard, le Rassemblement national propose à ses électeurs une vision du monde. « Lorsque le Parti communiste était fortement présent dans les milieux populaires, il avait, lui aussi, une conception conflictuelle de l’univers social mais il définissait le “nous” et le “eux” autrement, précise-t-il. Les tensions inhérentes aux expériences sociales étaient admises par les classes populaires mais elles étaient formulées en termes de classe et non de nationalité : le PC opposait les ouvriers aux patrons alors que le RN oppose les Français aux étrangers. »

    L’implantation, depuis le début des années 2000, du Rassemblement national dans les #classes_populaires et moyennes des zones rurales et périurbaines semble donc valider la théorie de la menace, non pas « réaliste », comme le clament volontiers les dirigeants du parti d’extrême droite, mais « symbolique » : elle est l’expression d’une conscience sociale « triangulaire » plus que le signe de difficultés tangibles de cohabitation avec les immigrés. Pour beaucoup d’électeurs du RN, l’étranger n’est ni un voisin de palier ni un voisin de quartier, mais une figure qui incarne, au même titre que les « #assistés » ou les « #cassos », un monde social dont ils tiennent à tout prix à se distinguer.

    https://archive.ph/L7h6N

    edit
    compter les pauvres avec Duvoux. depuis le revenu arbitrable et l’alimentation, on dira 27% de la population, a minima.
    ce régime d’inégalités multiples conduit à nous comparer au plus près de nous (Dubet)
    https://seenthis.net/messages/1027760

    les réformes #chômage, #RSA, puissant appel du pied politique auquel aucune vision du monde ne parait s’opposer
    #extrême_droite #RN #immigration #racisme #xénophobie #théorie_du_contact #France_rurale #France_périurbaine #concurrence #Peur #peur_du_déclassement #ségrégation_spatiale #conscience_sociale_triangulaire #stigmatisation

  • La gauche toujours à la recherche de son peuple - Rémi Lefebvre, AOC media

    Entre Fabien Roussel et Sandrine Rousseau, à gauche, les polémiques s’enchaînent : deux semaines sur les mérites et démérites du barbecue, puis dix jours sur l’abandon de la valeur travail. Ces petites phrases affirment en creux la déliquescence de la base électorale de la gauche. L’identité de classe, jadis primordiale, a été éclipsée par de nouvelles formes d’identification. Entre gilets jaunes et racisés, ubérisation et chômage, la gauche peine à trouver un programme commun. Pourtant, cette division de la classe ouvrière a déjà existé dans l’histoire, se résolvant sur une revendication commune : l’égalité.

    La rentrée de la Nupes a été dominée et parasitée par des controverses et des petites phrases qui radicalisent les positions des uns et des autres. Elles simplifient à outrance des questions qui méritent pourtant d’être approfondies et clarifiées. Gauche « barbecue » ou « des allocations », « valeur travail », tyrannie de la gauche « morale » : la gauche rassemblée aux élections législatives, toujours fragile, donne en pâture des oppositions caricaturales dont les médias se repaissent. La guerre des clashs assure le buzz à ceux qui s’y livrent.

    Jumeaux-rivaux de l’ère des réseaux sociaux, Fabien Roussel et Sandrine Rousseau sont les enfants paradoxaux du transgressif Manuel Valls. Outsiders comme lui en son temps, ils cultivent la stratégie de la scandalisation et de la triangulation. Rétrécie, la gauche mérite mieux que ces saillies. Le débat incontournable des contours du « peuple » à mobiliser et à défendre appelle mieux que ces approximations et raccourcis langagiers. La gauche a évité la catastrophe en se rassemblant aux élections législatives mais le dernier cycle électoral a confirmé des faiblesses sociologiques anciennes.

    La gauche fédère les diplômés urbains, une partie des jeunes, les français de culture musulmane mais peine, en dépit même d’un discours plus radical sur le plan économique, à mobiliser une large partie des catégories populaires qui se réfugient dans l’abstention et dans le vote d’extrême droite[1]. Le clivage trop binaire rural/urbain ne doit pas être durci à l’excès mais il faut aussi garder à l’esprit que les grandes métropoles (qui correspondent à ce qui reste de l’implantation militante et partisane de la gauche) sont toutes partagées entre la Nupes et Ensemble aux élections législatives. La tentation d’abandonner une partie des milieux populaires dans une sorte de réflexe Terra Nova inversé est réelle quand l’objectif de reconquérir « les fâchés pas fachos » semble intenable.

    La gauche doit prendre le temps d’un débat contradictoire et raisonné sur ses limites électorales et sociologiques qui ne doit pas être instrumentalisé par des logiques d’appareil ou des ambitions individuelles. François Ruffin l’esquisse dans son dernier ouvrage[2] qui apporte un éclairage à enrichir. Il montre à partir de son expérience de terrain (socialement situé) que la gauche est perçue par une partie des citoyens qui votent pour l’extrême droite comme « le camp des assistés ».

    Ce vécu subjectif doit être pris en compte mais ne doit pas conduire à abandonner d’autres luttes et d’autres groupes sociaux. Pour prétendre être majoritaire et unifier les classes populaires dans leur diversité et les classes moyennes, les forces de gauche, au-delà de leurs clientèles spécifiques, doivent sortir de fausses oppositions (le social vs le sociétal, les milieux populaires traditionnels vs les minorités, la France des bourgs vs la France urbaine…).

    Il s’agit de dégager les contours d’une coalition sociale majoritaire qui soit le produit d’une analyse commune de la société. Elle fait largement défaut : un des principaux chantiers intellectuels de la Nupes est donc sociologique. Traditionnellement le socle de la gauche était fondé sur une alliance des catégories populaires et des classes moyennes intellectuelles. Le « peuple de gauche » pour parler comme dans les années 1970 scellait l’alliance des ouvriers, des employés, des enseignants et classes moyennes intellectuelles. Cette alliance est plus difficile à construire désormais et doit intégrer de nouveaux clivages socio-politiques.

    Le cœur de l’électorat de gauche, quelles que soient ses sensibilités, s’est déplacé vers les classes urbaines diplômées et/ou déclassées. La gauche doit par ailleurs intégrer les intérêts de catégories sociales dont les formes de domination font l’objet d’une attention nouvelle (les femmes, les groupes « racisés », les minorités sexuelles discriminées…). Mais cette alliance entre minorités et classes populaires est souvent présentée (à tort) comme impossible.

    Face à une droite qui cherche à diviser le salariat, à opposer les catégories les unes contre les autres, la gauche doit promouvoir de nouveaux intérêts collectifs et construire de nouveaux compromis redistributifs entre catégories sociales. L’alchimie est difficile : il s’agit de remobiliser les milieux populaires dans leur hétérogénéité sans s’aliéner les classes moyennes intellectuelles tout en prenant en compte les nouvelles attentes de reconnaissance et d’égalité des « minorités ».

    L’hétérogénéité des milieux populaires

    La reconquête des milieux populaires passe par une analyse fine et non simpliste de leurs transformations, de leur fragmentation et de leurs contradictions. Les catégories populaires constituent un groupe de plus en plus hétérogène. Quoi de commun entre la France périurbaine, rurale et déclassée des gilets jaunes et les habitants des « quartiers » relégués, les « petits-moyens » cultivant la valeur travail et ceux qu’ils dénoncent comme des « assistés », les « petits Blancs » « identarisés » et les jeunes « racisés » ?

    La situation des catégories populaires est paradoxale, comme l’a bien analysé Olivier Schwartz[3]  : on observe bien une « extension du domaine du désavantage social » (individus exposés à la précarité et au chômage de plus en plus nombreux, accroissement des inégalités…) mais dans le même temps la conscience subjective de classe a décliné. Les conditions de vie des employés et des ouvriers se rapprochent de plus en plus sans qu’une conscience commune, politiquement constituée, émerge. L’impression trompeuse d’une « disparition » ou d’une évaporation des milieux populaires provient des transformations internes du groupe. C’est à la gauche de produire un discours qui puisse unifier des rapports au travail devenus plus hétérogènes (les classes sociales ne sont pas le pur produit du système économique, elles existent aussi à travers une offre de discours politiques et symboliques et d’identifications sociales).

    Le discours de l’« assistanat » porté à droite prend d’autant plus dans ces milieux qu’il s’appuie sur la « tripartition de la conscience sociale dans les catégories populaires » bien analysée par Olivier Schwartz. La conscience du monde social d’une partie des milieux populaires n’est pas bipolaire (le haut-le bas, nous-eux) mais triangulaire  : se développe le « sentiment d’être lésé à la fois par les plus puissants et par les plus pauvres », ces assistés « pour qui l’on paie », et ce d’autant plus que les riches apparaissent inaccessibles et la remise en cause de leur richesse improbable, comme le rappelle bien François Ruffin dans son dernier livre.

    La critique des « assistés » sur le mode de la valorisation du travail et de l’effort permet à des individus déclassés de « construire une image positive de leur parcours et plus largement de se vivre comme les acteurs de leur propre histoire[4] ». En reprenant cette thématique, Fabien Roussel légitime un discours de droite (les mots comptent en politique…) et, alors qu’il se drape du « réel », ne prend pas en compte la réalité sociale. Comme le montre bien le sociologue Nicolas Duvoux[5], la frontière est en effet poreuse entre « assistés » et « salariés pauvres » (qui touchent par exemple la prime d’activité).

    Chaque année, un tiers des allocataires du RSA sort du système. C’est justement cette proximité qui rend les salariés sensibles à la rhétorique de l’assistanat (ils ne veulent pas y basculer). Mais il est possible de valoriser le travail (sa juste rémunération, ses bonnes conditions…) et prendre en compte la demande de respectabilité et de dignité associée au travail sans promouvoir les termes de l’adversaire et sans fétichiser la valeur « travail » (le travail n’est pas le seul mode de réalisation de soi surtout quand il se raréfie et se dégrade).

    La question des « minorités »

    La question des minorités complexifie l’équation électorale et sociale à gauche. Les sources d’identité dans la vie des individus sont devenues plus hétérogènes. L’appartenance au salariat ne suffit plus à déterminer l’identité des individus, leurs comportements et leurs attentes. L’expérience vécue de la domination ne passe plus aujourd’hui uniquement par la classe. Les individus se définissent de façon croissante, mais non exclusive, à partir de référents ethno-raciaux ou d’identités sexuées ou sexuelles. Elles sont sans doute plus visibles et faciles à mobiliser que les identités de classe, devenues floues.

    Ces identités produisent des causes « nouvelles » ou réinventées qui se sont multipliées ces dernières années sur l’agenda politique et qui régénèrent les mobilisations sociales (féminisme[6], LGBT, antiracisme, lutte contre les violences policières et les discriminations…) et sont disqualifiées par la droite et une partie de la gauche dans la catégorie « wokisme ». Elles sont pourtant progressistes. L’affaire « Quatennens » montre que la question des violences sexuelles et sexistes est désormais incontournable.

    Or la gauche est historiquement un projet de classe. La droite et certains intellectuels ironisent : les minorités seraient la nouvelle classe sociale de substitution ou « les nouveaux damnés de la terre » ? La gauche doit-elle privilégier l’émancipation des minorités au risque de délaisser le thème de la redistribution alors que la droite nationaliste s’est engouffrée dans la demande de sécurité, d’ordre, de souveraineté ?

    Cette opposition binaire (opposer classes populaires et minorités) a-t-elle un sens ? Certains à gauche balaient du revers de la main ces questions qu’ils jugent secondaires et se retranchent derrière l’universalisme (celui-là même qu’avaient brandi les opposants à la parité à la fin des années 1990…). Mais le discours « républicain » et « universaliste » sonne de plus en plus creux aux oreilles de ceux qui sont ségrégués socialement et territorialement ou discriminés et qui n’y voient qu’une incantation justifiant le statu quo et l’inertie.

    Une double fable à gauche s’est développée souvent en lien avec des thèses développées aux États-Unis sur la politique des identités[7] : l’idée que, quand la gauche était au pouvoir en France, elle aurait privilégié le « sociétal » au détriment du « social » et que les classes populaires « blanches » auraient été délaissées par les partis de gauche à cause d’une attention trop soutenue aux minorités, est infondée. François Hollande n’a en rien compensé sa politique de l’offre par une politique antidiscriminatoire solide. Le programme de la France insoumise montre que l’on peut concilier redistribution sociale, féminisme et lutte contre les discriminations.

    Penser de nouvelles alliances de classe

    Comment la gauche peut-elle agréger les catégories populaires dans leur diversité, y compris « racisées », et les classes urbaines diplômées ? La gauche est confrontée à la fragmentation de la société et du monde du travail. Mais cette situation est-elle véritablement nouvelle et est-elle indépassable ? L’historien du mouvement ouvrier Jean-Numa Ducange le rappelle : « Quand le socialisme est né, il n’y avait pas de classe ouvrière unifiée, la majorité des gens travaillait dans le monde artisanal et rural et le niveau d’éclatement du monde social était très important. » Uber n’a rien inventé, l’emploi à la tâche existait à la fin du XIXe siècle…

    Les milieux populaires ne sont pas naturellement de gauche ou droite. Ils ne l’ont jamais été. S’ils se sont alignés pendant quelques décennies sur la gauche, c’est le résultat d’un travail politique immense… que la gauche ne mène plus. La désagrégation des milieux populaires n’est pas un phénomène qui s’impose à la gauche. Elle y a concouru, notamment en dévalorisant la figure de l’ouvrier au sein de sa représentation et de son personnel politiques. C’est à la gauche intellectuelle, militante et partidaire de produire de nouvelles représentations de la société et une proposition politique autour de l’égalité qui puisse fédérer ces divers intérêts.

    Aujourd’hui c’est l’absence d’une perspective émancipatrice partagée portée par la gauche qui ne permet pas de dépasser les divisions internes de la société. Cela suppose un immense travail politique de solidarisation et d’unification symbolique. Il est très complexe à développer. Il y a bien « un déficit de travail politique visant à faire tenir ensemble les destins individuels, en particulier ceux des dominés économiques, objectivement semblables (précarité, exposition au risque, désaffiliation…) mais subjectivement enfermés dans une vision individualisée de leur destin[8] ».

    Comment rassembler les Nuit debout, les attentes de justice sociale des gilets jaunes, #MeToo et les luttes contre les violences policières ? Derrière chacune de ses mobilisations il y a des convergences sur lesquelles la gauche peut s’appuyer : l’égalité et une démocratisation de la démocratie (qui a été au cœur à la fois de Nuit debout et des gilets jaunes à travers la remise en cause de la démocratie représentative et la mise en avant du référendum d’initiative populaire).

    Les classes moyennes diplômées sont soumises aujourd’hui à des logiques de déclassement (le diplôme ne garantit pas la réussite) qui peuvent les rapprocher des milieux populaires. Elles sont soumises elles aussi à la précarisation ou à la hausse vertigineuse du coût du logement et désormais de l’énergie. Le désavantage social dans la société progresse par le bas de la société et remonte[9], et les inégalités entre classes moyennes et classes supérieures se creusent.

    Les mobilisations antiracistes sont souvent réduites à des entreprises séparatistes, « communautaristes » et identitaires alors même qu’elles s’inscrivent dans des revendications d’égalité. Il n’y aucune raison d’opposer le « social » et le « sociétal » que la revendication d’égalité peut souder (l’égal accès aux moyens matériels et sociaux nécessaires à une vie épanouie). C’est ce que montre bien Erik Olin Wright[10] : la valeur de l’égalité constitue une base potentielle pour construire une unité politique à travers des identités diverses.

    Se détourner des questions minoritaire et raciale pour se concentrer sur la seule question sociale condamne la gauche à être… minoritaire. La démarche politique de Bernie Sanders aux États-Unis montre bien que l’on peut défendre de concert les diverses revendications d’égalité. Si la gauche propose un programme de rupture avec l’ordre économique, à même de séduire les milieux populaires « traditionnels », elle pourra d’autant plus prendre en compte les revendications des « minorités ».

    Cette coalition ne peut pas seulement être constituée au moment d’une campagne électorale, elle présuppose un travail politique plus structurel que doivent mener les organisations partisanes en amont des élections. Unifier et faire converger les causes multiples et progressistes qui régénèrent la société et convaincre les classes populaires traditionnelles qu’elles ne seraient pas nécessairement les perdantes de politiques plus favorables aux minorités n’est pas qu’une question d’offre politique, c’est aussi affaire de travail militant.

    Les partis ont vocation à produire et articuler les intérêts sociaux qu’ils sont censés défendre par un travail politique et organisationnel. Or les partis de gauche sont de plus en plus affaiblis ou « gazeux » et l’idée que la gauche puisse faire l’économie de la forme partisane se développe. C’est un autre chantier de la Nupes : repenser l’action organisée et militante, réinventer les partis politiques, en faire des instruments de politisation et de constitution d’une majorité sociale et électorale.

    [1] Frédéric Faravel, « Élections législatives de 2022 : entre approfondissement et contradictions, une nouvelle étape de la crise démocratique », Institut Rousseau, juillet 2022.

    [2] François Ruffin, Je vous écris du front de la Somme, Paris, Les liens qui libèrent, 2022.

    [3] Olivier Schwartz, « Peut-on parler des classes populaires ? », La Vie des idées, 13 septembre 2011.

    [4] Camille Peugny, Le Déclassement, Paris, Grasset, 2009.

    [5] Nicolas Duvoux, « Il n’y plus de séparation claire entre le monde du travail et celui des prestations sociales », Le Monde, le 16 septembre 2022.

    [6] Les femmes sont-elles une minorité ? Elles sont une moitié dominée de l’humanité.

    [7] Mark Lilla, La Gauche identitaire. L’Amérique en miettes, Paris, Stock, 2018.

    [8] Christian Le Bart, L’Individualisation, Paris, Presses de Sciences Po, 2008.

    [9] Camille Peugny, Le Destin au berceau. Inégalités et reproduction sociale, Paris, Seuil, 2013.

    [10] Erik Olin Wright, Stratégies anticapitalistes pour le XXIe siècle, La Découverte, 2020.

     

    NDLR : Rémi Lefebvre a récemment publié Faut-il désespérer de la gauche ? aux Éditions Textuel.

    https://aoc.media/analyse/2022/09/27/la-gauche-toujours-a-la-recherche-de-son-peuple

    https://seenthis.net/messages/950566

    #gauche #Fabien_Roussel #Nupes #classes_populaires #précarité #minorités

    • « Contrairement à ce qu’affirme [après Lionel Jospin en 1998, ndc] Fabien Roussel, il n’y a plus de séparation claire entre le monde du travail et celui des prestations sociales », Nicolas Duvoux
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/09/14/contrairement-a-ce-qu-affirme-fabien-roussel-il-n-y-a-plus-de-separation-cla

      Le discours fracassant de Fabien Roussel opposant, lors de la Fête de L’Humanité, « la gauche du travail » à « la gauche des allocations » a créé une intense polémique. Inspirées par la rhétorique conservatrice de la critique du « cancer de l’assistanat » (Laurent Wauquiez) ou de la valorisation, symétrique et inverse, de « la France qui se lève tôt » (Nicolas Sarkozy), ces déclarations sont destinées à réarmer moralement des classes populaires laborieuses et menacées. Elles ont cependant le tort d’être fondées sur une idée fausse : contrairement à ce qu’affirme le dirigeant communiste, il n’y a plus de séparation claire entre le monde du travail et celui des prestations sociales.

      En opposant « la gauche du travail » à « la gauche des allocations [et] des minima sociaux », Fabien Roussel occulte en effet un phénomène majeur : la porosité croissante entre le monde du travail et celui de l’assistance. Masquée par les positionnements volontairement clivants et binaires des discours politiques, cette réalité est aujourd’hui l’un des traits saillants de notre organisation sociale.

      Depuis le début des années 2000, la dichotomie entre ce qui relève de l’assistance et ce qui relève du soutien au travail – notamment au travail précaire et mal rémunéré – ne tient plus. Avec la création de la prime pour l’emploi, en 2001, l’Etat a pris acte du fait que nombre de travailleurs et surtout de travailleuses modestes ne parvenaient plus à joindre les deux bouts malgré les salaires qui leur étaient versés par leurs employeurs privés ou publics : ils avaient du mal à acquitter ce que l’on appelle aujourd’hui leurs dépenses contraintes – le logement ou la facture d’électricité, par exemple.

      Profondes dynamiques

      Pour pallier cette difficulté, l’une des lignes directrices de la politique sociale française a consisté à soutenir le revenu des travailleurs modestes – ce qui a eu pour conséquence d’entremêler le monde du travail et celui des allocations [mais quel décerveleur ! la sociologie vaut ici le journalisme ndc] . En faisant de la prestation sociale un complément de salaire pour les salariés rémunérés jusqu’à un smic et demi, cette politique a peu à peu effacé la frontière entre ce qui tient du travail salarié et ce qui relève des prestations sociales. Créé en 2008, le revenu de solidarité active (RSA), qui a pérennisé les possibilités de cumul de revenus d’activité et de solidarité, et qui les a étendues à des emplois à temps très partiel, a renforcé ce phénomène.

      En apportant un complément de revenu aux salariés modestes, la prime d’activité instaurée huit ans plus tard, en 2016, a contribué, elle aussi, à nourrir ce rapprochement entre le monde du travail et celui de l’assistance. Si elle a permis de soutenir des personnes en difficulté, elle a, en concentrant l’effort de redistribution sur les moins pauvres d’entre les pauvres, institutionnalisé une perméabilité grandissante entre l’univers des salariés et celui des allocataires des prestations.

      Ces politiques publiques ont profondément modifié la réalité sociale : souvent dépeint, dans les discours politiques, comme un ensemble homogène et immobile, le monde des allocataires du RSA est aujourd’hui marqué par une forte volatilité – et une forte hétérogénéité. Selon une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques de 2021, un quart des bénéficiaires de cette prestation, qui est accusée d’entretenir une atavique culture de l’assistanat, sortent du dispositif chaque année. Cette réalité, qui entraîne un coût de gestion immense, montre que ces espaces sociaux que l’on croit figés sont en fait traversés par de profondes dynamiques.

      Ultime recours contre la misère

      Une partie significative des allocataires de cette prestation emblématique qu’est le RSA circulent en effet constamment entre l’assistance et le travail salarié, souvent dans des conditions précaires et dégradées. Pour certains, ces prestations constituent un soutien ponctuel, un ancrage pour une reconversion professionnelle ou une manière de pallier une séparation. Pour d’autres, elles sont un ultime recours, souvent de longue durée, contre la misère – raison pour laquelle les stigmatiser est aussi indécent que politiquement contre-productif. Plusieurs publics et plusieurs problématiques sociales coexistent donc dans ces dispositifs perçus à tort comme homogènes.

      C’est paradoxalement cette proximité entre le monde du travail et celui des « allocs » qui attise aujourd’hui les déclarations polémiques – et trompeuses – comme celles de Fabien Roussel. Parce que les classes populaires fragilisées sont objectivement proches des seuils d’éligibilité aux prestations sociales, [comme le savaient déjà les socialistes des années 80 et 90, ndc] elles luttent activement pour s’en démarquer : elles sont d’autant plus tentées d’adhérer au discours critique de l’assistanat que la précarité de leurs conditions de vie les rapproche de plus en plus de la « chute » redoutée dans l’assistance. C’est finalement la perméabilité de ces espaces sociaux et le risque de réversibilité des situations acquises qui constituent le soubassement social et moral de la défense acharnée de la frontière entre travail et assistance.

      Le sociologue Olivier Schwartz a documenté cette « conscience sociale triangulaire » : les ménages modestes ont aujourd’hui le sentiment d’être soumis à une double pression – l’une « venant du haut » (les classes moyennes et supérieures), l’autre « venant du bas » (les fractions précaires des classes populaires). Parce que les « privilégiés d’en bas » semblent bien traités, ils jouent le rôle de repoussoir : quand les fondements d’une vie sociale intégrée sont menacés, le rejet des « assistés » structure les comportements et la revendication d’une existence qui ressemble à celle des « autres ». Dans les classes populaires laborieuses, la mise à distance du monde de l’assistance est en fait une demande de respectabilité – et elle s’exprime d’autant plus violemment que la proximité sociale encourage la distance symbolique et morale.

      Loin des discours simplistes, le travail et la protection sont désormais entremêlés sous des formes nouvelles et complexes. Si l’on veut refonder une protection sociale qui apporte aux populations modestes et précarisées la sécurité dont elles ont besoin, il faut les affronter avec détermination – sans s’appuyer sur des idées fausses.

      #Travail #précarité #assistanat #assistance

    • jouer sur ces tension subjectives internes à un populaire fragmenté par l’économie, c’était déjà le travail politique de la gauche gestionnaire (plaignons Lefebvre...), et c’est de ce travail politique là qu’ont découlé ses « réponses sociales » au précariat (avant même celle que fut le RMI). nul besoin pour ces acteurs politiques de « désirer le fascisme » après lequel nombre d’entre eux passent leur temps à courir (à la LFI aussi) pour lui ouvrir la voie, non pas seulement au plan électoral, mais comme poison des existences et des comportements (cf. la pandémie radicalement dépolitisée, désocialisée, par le « haut » et par le « bas »). L’exemple Jospin ("je préfère une société de travail à l’assistance", assemblée nationale, janvier 1998) vient en son temps relayer les déclarations socialistes contres les OS arabes grévistes de l’automobile en 1982 (saboteurs séparatistes, comme on ne le disait pas encore, de la performance économique de l’entreprise France). Les politiciens s’affaire à casser tout front populaire qui ne soit pas strictement électoral (c’est-à-dire impuissanté).

      Les déclarations d’un Mélenchon prétendant l’inverse (façon : la force d’un gouvernement de gauche dépendra de celle des mobilisations populaires) allient réalisme (l’histoire a tranché la question à maintes reprises) et lyrisme. Faux semblant spectaculaire (le fonctionnement même de ces orgas le montrent au quotidien).

      #militants_de_l'économie #cassos

  • « On peut gagner plus avec le RSA qu’avec le SMIC » : vrai ou faux ? - ATD Quart Monde
    https://www.atd-quartmonde.fr/n19-on-peut-gagner-plus-avec-le-rsa-quavec-le-smic

    Cette publication d’il y a six mois est (malhaureusement) de plus en plus d’actualité quand on pense que dans les "stigmatisé-e-s", on compte une catégorie de personnes supplémentaire : les #cassos' (autrement dit les #sans-dent)

    Pensez aux deux liens en bas de la page :

    http://www.atd-quartmonde.fr/idees-fausses

    Quotidiennement, ces idées fausses, et bien d’autres, nous sont assénées comme des évidences. Anodin ? Hélas non, ces discours humilient, dressent des barrières… Voulons-nous léguer à nos enfants une société basée sur la crainte et la méfiance ? Non. C’est pourquoi, en complément du livre En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté, ATD Quart Monde propose de déconstruire ces préjugés visant les personnes en situation de pauvreté et de précarité à travers une exposition ludique et documentée.

    http://www.editionsquartmonde.org/catalog/product_info.php?products_id=726

    Aussi indispensable que la première édition, cette nouvelle version entièrement mise à jour et augmentée permet de démonter point par point une centaine d’idées reçues sur la pauvreté.
    Plus qu’une simple mise à jour, cette édition 2015 est comme un nouveau livre ! - on passe de 88 à 104 idées reçues et de 190 à 224 pages. Une dizaine de questions de l’édition 2014 n’ont pas été gardées dans l’édition 2015.

  • Guilluy : La collectivité territoriale la plus visible pour les invisibles, c’est le département. Et on veut le faire disparaître !
    http://www.wk-rh.fr/actualites/detail/83158/une-nouvelle-societe-emerge-ou-le-vivre-ensemble-se-vit-separe.html

    Toujours intéressant de lire Guilluy, car même si il y a beaucoup à préciser voire critiquer, il donne l’impression de faire avance un peu le schmilblick.

    On va tranquillement mais sûrement vers une accentuation des clivages, avec une abstention élevée et un FN fort, et des partis traditionnels incapables de parler aux classes populaires.

    Dans la France périphérique, les difficultés tiennent non seulement au faible dynamisme économique, mais aussi au problème de la mobilité. Bouger d’un territoire à l’autre pour chercher du travail coûte cher. ­Parcourir 20 kilomètres par jour en voiture re­présente environ 250 euros par mois, soit un quart de Smic ! Une sédentarisation subie se développe. Depuis vingt ans, cette réalité a été ignorée des politiques publiques. Aujourd’hui, des conseils généraux innovent –avec du covoiturage ou des subventions à l’achat de vélos– mais timidement.

    #géographie #ségrégations_sociospatiale

    • Je vis à la campagne depuis assez longtemps pour voir que les très exclus de notre société sont maintenant rejetés dans les zones rurales et c’est un phénomène pratiquement pas documenté, pas plus le fait que dans la grande ruralité, ces 15 dernières années, les services publics sont systématiquement fermés et les populations abandonnées à elles-mêmes, qu’effectivement, se développent des zones de bas salaires endémiques, y compris pour les postes qualifiés et que dans le même temps, la disparition des transports en commun assignent les gens à résidence tout en les forçant à entretenir des budgets démesurés de bagnoles, sachant que l’essence nous est vendue systématiquement plus chère que dans les villes, tout cela parce que nous sommes une #population_captive.

      Les politiques de métropolisation ont pour objectif de nous rendre démocratiquement inaudibles et de nous transformer en sorte de colonies agricoles et touristiques (ainsi qu’en maisons de retraite à ciel ouvert) entièrement dédiée aux besoins des classes supérieures urbaines.

      Les hôpitaux et les écoles ferment dans la cambrousse (on n’a donc pas besoin d’avoir accès à la santé et à l’éducation) et nous payons collectivement des équipements uniquement destinés à l’accueil des touristes l’été. Lequel #tourisme génère très naturellement surtout des emplois très précaires et très sous-payés pour la plupart des gens.

      Donc, la question n’est pas de dire que le géographe qui parle de ces phénomènes est de la gauche identitaire, mais pourquoi les autres géographes n’intègrent pas ces nouvelles données, comme le business paysan de la #misère importée des villes : location de gourbis pour les #cassos ; compléments de revenus fermiers comme familles d’accueil de gosses placés des villes, de vieux, d’handicapés ; exploitation de la main d’œuvre des cassos dans des conditions indignes sur les exploitations (les bien nommées).

      Je vis dans cette cambrousse traditionnellement socialiste depuis des générations et ces dernières années, surtout depuis l’élection de Sarko, j’assiste à un complet délitement des solidarités locales, à la montée de discours ouvertement racistes et une énorme poussée du FN, porté par la peur et la colère de toute une classe populaire qui se voit sombrer inexorablement dans la pauvreté et l’exclusion sociale.

    • En rapport à la dépêche de Rezo @moderne je dirai que la thèse de Guilluy n’est pas que les membres des classes populaires sont concentrés dans les périphéries (et absents des zones urbaines), mais plutôt qu’ils y sont de plus en plus importants proportionnellement.

      Il y a eu quand même depuis 15-20 ans un renouvellement des populations rurales avec de nouveaux profils sociologiques, ouvriers déclassés, précaires qui sont arrivés là, non plus par choix politique comme dans les décennies précédentes, mais par calcul économique voire nécessité. D’où la question évoquée de la voiture, avec des familles qui s’installent en zone rurale en-dehors des dessertes de transports, alors que les parents n’ont pas le permis de conduire ni les moyens de l’obtenir. Des personnes qui ne sont pas préparées non plus aux exigences de la vie à la campagne (je pourrai donner des exemples mais cela reste des anecdotes qui n’ont pas de valeur scientifique).

      De plus, les représentations qu’il analyse (exclusion des périphéries, absence de reconnaissance) ne peuvent pas vraiment être contredites par des statistiques, ce n’est pas le même terrain.

      Après, ce qu’il en fait au niveau politique, ou ce que l’on lui attribue comme intentions, pour moi c’est autre chose. Géographiquement, il propose une interprétation intéressante, qui s’articule avec la gentryfication.

    • Je ne sais pas où tu vis, @nicolas2, mais j’observe exactement la même chose que toi en Gascogne, avec surtout l’#isolement total des nouveaux arrivants, effectivement démunis dans un environnement sans transports en commun. Souvent, les nouveaux arrivants qui débarquent des fameuses banlieues n’ont même pas le permis de conduire... À la cambrousse, c’est quasiment un arrêt de mort sociale.
      Disons que quand tu ramasses au bord de la route un jeune fraîchement débarqué qui doit aller au taff en pouce, c’est un anecdote. Quand tu en ramasses de plus en plus et qu’ils te racontent tous la même histoire, tu commences à avoir des doutes. Mais au bout d’un moment, tu te rend bien compte qu’il y a là un phénomène émergent.

    • Marrant nous avons répondu la même chose en même temps @monolecte. Moi, je l’ai observé dans la Lorraine agricole, où j’ai passé vingt ans, avant de débarquer dans le 93. D’ailleurs les nouvelles familles du village ressemblent à celles qui étaient envoyées à La Courneuve par l’office HLM de Paris dans les années 80 : beaucoup d’enfants, du chômage, des « problèmes » avec la justice, on n’en veut plus. Les petits villages veulent sauver leur école, rachètent des maisons abandonnées, en font des appartements qui sont loués à ces familles.
      C’est le phénomène de relégation qui sort des banlieues pour aller à la campagne...
      Ah j’oubliais, le FN fait des scores en béton armé depuis vingt ans et il n’y a que deux immigrés dans le village, un maçon italien à la retraite, présent depuis trente ans, comme le harki du bas du village. Le canton est rural, le chef-lieu fait 1500 habitants, la ville est à 25 kilomètres, vous comprendrez que Guilluy je le trouve assez juste dans sa description.

    • Mais non, les campagnes ne sont pas reléguées, ce n’est qu’un #sentiment : http://www.lefigaro.fr/politique/2015/03/13/01002-20150313ARTFIG00002-ruralite-valls-et-onze-ministres-a-laon-pour-en-f

      Oui, @nicolas2, on voit exactement les mêmes choses.
      Je pense que l’invisibilité de ce phénomène vient du fait que les universitaires et journalistes qui pourraient s’en emparer, vivent pratiquement tous dans les très grandes villes et plus particulièrement les quartiers inclus de la capitale...

    • La question n’est pas la pauvreté des campagnes ou de la France "périurbaine", mais celle de la qualité de ses résultats et de l’interprétation politique qu’il en fait et que d’autres en font. Ça fait plusieurs années que ses thèses sont en discussion, si vous trouvez pertinent de dire que les autres géographes ou sociologues qui le critiquent seraient des sortes de "bobos urbains", c’est tout aussi pertinent alors de signaler qu’il est chevènementiste... Je manque un peu de courage pour une une discussion de géographie sociale et électorale, il y a de bons textes signalés sur seenthis ds mon comment + haut (par exple celui mesuré d’Eric Charmes) ; Pour dévpper la critique de Violaine Girard, dès 2012 : Les votes à droite en périurbain : « frustrations sociales » des ménages modestes ou recompositions des classes populaires ?
      http://www.metropolitiques.eu/Les-votes-a-droite-en-periurbain.html.

    • @moderne je ne suis pas dans le périurbain, mais dans la grande ruralité. Quand je cherche des références sur les transports, c’est concentré sur les problématiques urbaines, sur la prostitution, c’est n’est documenté que sur les villes. Les publications sur les fractures sociales et les territoires ne voient que la dichotomie centre-ville/banlieues.

      Le fait que le périurbain s’étende intellectuellement jusque chez moi (à une heure de toute ville, 2 heures de toute métropole) est précisément un problème politique et un signal fort des impensés de la fin de l’aménagement du territoire, cette notion oubliée qui voulait que dans notre république, tout le monde devait être traité de la même manière, avoir accès aux mêmes services publics, où qu’il vive.

      Ceci a été remplacé depuis longtemps par des ratio de population/rentabilité qui nous exclu de facto du corps républicain.

      Autrement dit, les Allemands on créé leur Tiers-Monde intérieur via les politiques de discrimination sociale de Hartz 4 pendant que les Français le font assez bordéliquement par l’abandon puis la colonisation des espaces ruraux, leur assujettissement absolu aux besoins des métropoles.

      D’où le succès des fermes usines, polluantes, destructrices d’emplois, de paysages et de terres arables et productrices de merde à grande échelle pour le compte exclusif des métropoles dont l’emprise territoriale et les besoins ne cessent de s’étendre.

      Pour tout raconter, j’ai interviewé le patron d’une usine locale, une des rares du coin. Je lui demande pourquoi il ne s’est pas installé à la périphérie d’une métropole, comme tout le monde.
      Il m’a répondu que ce n’était pas tant le prix du foncier que le fait d’avoir à sa disposition une main d’œuvre totalement captive et qu’il peut donc payer nettement moins cher que s’il était dans un secteur où il y a plus d’offres...

      Ça avait le mérite d’être clair.

    • http://www.monde-diplomatique.fr/2015/03/BREVILLE/52741

      En définitive, la ligne de démarcation tracée par Guilluy au sein des classes populaires n’est pas tant économique que culturelle. Le géographe associe presque toujours ces deux dimensions : la société française serait « mondialisée et multiculturelle », les électeurs du FN et les abstentionnistes rejetteraient « la mondialisation et la société multiculturelle », etc. Mais si certains habitants choisissent de s’installer dans le périurbain pour « fuir les flux migratoires », comme le répète Guilluy, d’autres le font pour devenir propriétaire, habiter un logement plus grand dans un meilleur cadre de vie ou trouver un meilleur établissement scolaire. L’auteur ne s’attarde pas sur ces raisons sociales, préférant évoquer « l’ insécurité culturelle ». Un thème décidément à la mode.

    • On ne se comprend pas @monolecte : il ne s’agit pas de nier les problèmes d’une France rurale, mais de dire que tu ne te choisis pas le bon porte-parole avec Guilluy (plutôt le genre faux-ami) ; les extraits du texte du Diplo signalé par @baroug (que je n’avais pas encore lu) :

      Ironie du sort, les acteurs de cette controverse n’exerceront guère d’influence sur la campagne de M. François Hollande. Ils auront néanmoins joué un rôle-clé dans le cadrage du débat public, notamment à travers les travaux du géographe Christophe Guilluy, contributeur au Plaidoyer pour une gauche populaire et promoteur d’une grille de lecture puissante : l’effacement du clivage politique droite contre gauche au profit d’une opposition spatiale métropoles contre périurbain.

      « Dieu vivant » du polémiste Eric Zemmour (7), loué par l’essayiste Jacques Julliard car il a « retrouvé la trace du peuple », salué par l’éditorialiste Laurent Joffrin comme l’auteur du « livre que toute la gauche doit lire », Guilluy s’est installé dans le paysage médiatique avec la parution de Fractures françaises en 2010 (Bourin Editeur), puis de La France périphérique en 2014 (Flammarion, vingt et un mille exemplaires vendus). Chacun de ces ouvrages fut accueilli dans un concert de louanges par Marianne, Valeurs actuelles, L’Express, Le Figaro, Le Journal du dimanche, mais aussi France Culture, Paris Première, LCI ou BFM-TV. Le géographe « iconoclaste » a également l’oreille des hommes politiques. Reçu successivement par les présidents Sarkozy et Hollande, il inspire à la fois M. Bruno Gollnisch, enthousiasmé par ses travaux qui « valident le discours du FN », et M. Manuel Valls, qui a exigé qu’on lui fasse « parvenir d’urgence deux exemplaires [de son dernier ouvrage] en pleine rédaction de son discours de politique générale » (Marianne.fr, 17 septembre 2014).
      L’espace des nouvelles radicalités ?

      A première vue, le propos de Guilluy manque d’originalité : « La véritable fracture n’oppose pas les urbains aux ruraux, mais les territoires les plus dynamiques à la France des fragilités sociales. » Depuis Paris et le désert français publié par Jean-François Gravier en 1947 jusqu’à La Crise qui vient. La nouvelle fracture territoriale de Laurent Davezies (Seuil, 2012), en passant par la théorie de la diagonale du vide (des Ardennes aux Pyrénées), enseignée dans les écoles pendant des décennies, les déséquilibres territoriaux ont fait couler beaucoup d’encre.

      Mais la force de l’hypothèse de Guilluy tient à sa mise en cohérence à la fois spatiale, sociale et politique. Le pays se diviserait entre une « France métropolitaine » — les vingt-cinq plus grandes villes et leurs banlieues, soit 10 % des communes, 40 % de la population et deux tiers du produit intérieur brut français — et une « France périphérique » regroupant le reste du territoire : villages ruraux, communes périurbaines, petites et moyennes villes.

      Traversée par les flux matériels, financiers et humains du capitalisme, la France métropolitaine s’intègre à l’économie-monde. Le marché de l’emploi, polarisé entre des postes très et pas qualifiés, engendrerait une sociologie caractéristique des grandes agglomérations. Y coexistent les catégories supérieures (cadres, professions libérales et intellectuelles), surreprésentées mais divisées entre bourgeoisies « bobo-sociétale » et « traditionnelle catholique », et les immigrés pauvres de banlieue, souvent peu qualifiés. Toutefois, ces derniers ne resteraient pas pauvres bien longtemps, explique Guilluy, car la situation métropolitaine permet « une intégration économique et sociale, y compris des classes populaires précaires et immigrées ». Ainsi, les habitants des grandes métropoles sont indistinctement considérés par lui comme des « gagnants de la mondialisation ».

      La France périphérique, celle des « oubliés », se situerait en revanche à l’écart des lieux de création de richesse et des bassins d’emploi. Y résident surtout des Français « natifs » ou « issus des vagues d’immigration ancienne », pour l’essentiel des employés, des ouvriers, des artisans, des commerçants, des fonctionnaires. Négligés par les médias, rejetés des métropoles par les prix de l’immobilier, ils fuient les banlieues, où ils se sentent « minoritaires ». Fragilisées par la crise économique, ces « nouvelles classes populaires » seraient les véritables perdantes de la mondialisation.

      Ce clivage social recoupe enfin une division politique. A en croire les sondages exposés par Guilluy, bourgeois des centres-villes et immigrés de banlieue partageraient certaines valeurs fondamentales, comme l’adhésion au libre-échange, à la mondialisation, au « multiculturalisme ». Ils plébisciteraient les partis de gouvernement (le PS, l’UMP et leurs alliés), qui adhèrent à ces principes. La France périphérique représenterait au contraire l’espace des « nouvelles radicalités » : ses habitants rejettent majoritairement le système dominant et ses valeurs. En proie à une forme d’« insécurité culturelle », ils privilégient l’abstention et, de plus en plus, le vote FN. « Le clivage gauche/droite laisse peu à peu la place à une opposition frontale entre ceux qui bénéficient et/ou sont protégés du modèle économique et sociétal et ceux qui le subissent », écrit Guilluy. La recomposition autour du clivage spatial, en revanche, « permettra l’émergence de deux forces politiques et idéologiques susceptibles de réactiver un véritable débat démocratique. Les libéraux, partisans de la société du libre-échange, de la mobilité sans fin, renforceront leur socle électoral, sur les bases du PS et de la droite modérée. Inversement, les tenants d’un modèle économique alternatif, basé sur le protectionnisme, la relocalisation et le maintien d’un Etat fort, s’appuieront sur les territoires de la France périphérique ».
      Improbables gagnants de la mondialisation

      Ce coup de force géographico-idéologique s’appuie sur une série d’observations pertinentes quant aux dynamiques socio-territoriales et sur des perceptions largement répandues dans la population. Il intervient sur un terrain déjà fertile. Dès les années 1990, le géographe Jacques Lévy élabore sa théorie du « gradient d’urbanité », selon laquelle le vote FN varie en raison inverse de la densité urbaine. Depuis, des chercheurs comme Emmanuel Todd, Hervé Le Bras ou Davezies ont creusé le sillon de l’interprétation territoriale des problèmes sociaux. Le succès de cette approche réside pour une part dans la grande intelligibilité de travaux immédiatement mobilisables non seulement par les médias mais aussi par les dirigeants politiques, lors des élections. Guilluy se définit d’ailleurs comme consultant en socio-géographie pour les collectivités locales.

      Sans nier la nécessité de relier les problèmes des habitants à leur lieu de vie, nombre d’universitaires ont discuté les thèses de Guilluy, leur reprochant un biais culturaliste, des simplifications hasardeuses ou encore une propension à négliger la variété des motivations du vote d’extrême droite (8). Mais ces critiques peinent à discuter de front la dimension politique de ces ouvrages : diviser la France entre métropoles dynamiques et espaces périurbains revient à produire géographiquement une opposition irréductible entre deux composantes des classes populaires, les travailleurs établis de longue date et les nouveaux entrants.

      Au prétexte qu’une politique publique (celle de la ville) leur est spécialement consacrée, le géographe soutient que l’Etat n’a pas, comme on le dit souvent, « abandonné les banlieues ». Les problèmes des cités seraient « d’abord liés à l’émergence d’une société multiculturelle et à la gestion des flux migratoires, mais en aucun cas aux retombées d’une économie mondialisée. Mieux, les banlieues sont des parties prenantes de cette économie », écrit Guilluy. Cette affirmation s’appuie sur le taux de mobilité résidentielle dans les zones urbaines sensibles (ZUS), indicateur des chances de réussite sociale si l’on considère qu’un ménage devenu prospère s’installe rapidement ailleurs. Entre 1990 et 1999, ce taux était de 61 % dans les ZUS, « ce qui en faisait les territoires les plus mobiles de France ». En d’autres termes, les immigrés réussiraient mieux que les « petits Blancs » partis s’établir dans le périurbain précisément pour fuir ce voisinage ; partageant une communauté de destin avec la bourgeoisie métropolitaine, ils ne seraient pas « du peuple » mais contre lui. Extraire les immigrés des classes populaires requiert une certaine hardiesse méthodologique quand on sait que 62 % d’entre eux étaient ouvriers ou employés en 2007 (contre 51 % des actifs en moyenne).

      Pour peu que l’on porte sur les mêmes données un regard moins obsédé par les clivages ethnico-géographiques, c’est l’ensemble des conclusions du géographe qui s’affaissent. Ainsi de la politique de la ville, qualifiée de « performante » par Guilluy : ses moyens s’investissent pour l’essentiel dans des opérations de rénovation urbaine qui n’influent guère sur les trajectoires professionnelles des habitants. En 2014, son budget s’établissait à 500 millions d’euros, soit à peine plus de 100 euros pour chacune des quatre millions quatre cent mille personnes concernées. Une somme dérisoire comparée aux multiples aides d’Etat en faveur de l’accession à la propriété privée (prêt à taux zéro, Pass foncier, dispositifs de Robien, Scellier, Borloo, Pinel, etc.) et qui profitent davantage aux habitants de la France périphérique qu’à ceux des cités.

      De même, la mobilité résidentielle élevée observée dans les ZUS s’explique par d’autres facteurs que la seule ascension sociale des résidents : surreprésentation des jeunes et des locataires, déménagements d’un « quartier sensible » à un autre (environ un tiers des cas), opérations de rénovation urbaine, etc. Bien sûr, une partie des ménages immigrés réussissent et quittent les « quartiers sensibles » — souvent d’ailleurs pour s’installer dans le périurbain. Mais 24 % des habitants des ZUS étaient au chômage en 2013, et 44,3 % d’entre eux (soit deux fois plus que la moyenne nationale) n’avaient aucun diplôme, ce qui limite drastiquement leurs chances de réussite professionnelle. Comment considérer sérieusement cette population assignée à résidence comme « gagnante de la mondialisation » ? D’ailleurs, l’idée qu’elle connaîtrait un sort meilleur que celle vivant loin des centres ne résiste pas aux faits : en 2011, 64 % des personnes pauvres (percevant moins de 60 % du revenu médian) vivaient au cœur des grands pôles urbains, dont plus de la moitié en banlieue, contre 17 % dans des communes périurbaines, 13,4 % dans les petites et moyennes agglomérations et 5,4 % dans le rural isolé (9).

      La représentation enjolivée des cités s’accompagne chez Guilluy d’un tableau monochrome et sombre de la France périphérique. Or cette dernière, comme les grandes villes, s’affiche non pas en gris, mais en noir et blanc. D’abyssales inégalités séparent gros propriétaires terriens et petits agriculteurs, dirigeants d’entreprise et salariés, notables des villes moyennes et plèbe des bas quartiers. Riches et pauvres, enfin : la petite ville périurbaine de Croix (Nord) occupe une meilleure place dans le palmarès des « vingt villes où l’on paye le plus d’impôt de solidarité sur la fortune » que le septième arrondissement de Paris (Latribune.fr, 6 janvier 2014).

      Ces espaces affrontent certes des difficultés spécifiques : un plan social à Châteaulin, dans le Finistère, n’a pas le même impact qu’une fermeture d’usine en Seine-Saint-Denis. Les possibilités d’y retrouver un emploi sont plus rares, et le chômeur devra prospecter dans une zone toujours plus vaste, au risque d’augmenter ses dépenses de transport. Etre propriétaire de son logement, souvent au prix d’importants sacrifices, devient alors une contrainte.

      Mais faut-il pour autant parler de territoires « exclus de la mondialisation » ? Les grands noms du luxe (Louis Vuitton à Beaulieu-sur-Layon et Chemillé), de l’agroalimentaire (Danone à Villecomtal-sur-Arros, Le Mollay-Littry, Bailleul…), de la pharmacie (Sanofi à Lisieux, Ploërmel, Mourenx…) ou du commerce en ligne (Amazon à Lauwin-Planque, Saran…) ont élu domicile dans la « France périphérique ». Industrialisée à partir des années 1960 à la faveur de la déconcentration industrielle et d’une stratégie patronale de contournement des forteresses ouvrières, celle-ci se caractérise par des unités de production de taille réduite, des taux de syndicalisation faibles, un recours massif à la sous-traitance et aux contrats précaires (10). Bref, la mondialisation néolibérale s’y trouve comme un poisson dans l’eau, et ses crises s’y font sentir de manière redoublée.

      En définitive, la ligne de démarcation tracée par Guilluy au sein des classes populaires n’est pas tant économique que culturelle. Le géographe associe presque toujours ces deux dimensions : la société française serait « mondialisée et multiculturelle », les électeurs du FN et les abstentionnistes rejetteraient « la mondialisation et la société multiculturelle », etc. Mais si certains habitants choisissent de s’installer dans le périurbain pour « fuir les flux migratoires », comme le répète Guilluy, d’autres le font pour devenir propriétaire, habiter un logement plus grand dans un meilleur cadre de vie ou trouver un meilleur établissement scolaire. L’auteur ne s’attarde pas sur ces raisons sociales, préférant évoquer « l’ insécurité culturelle ». Un thème décidément à la mode.

      Apparue en France en 2010 dans son ouvrage Fractures françaises, la notion rencontre alors un contexte intellectuel porteur. La même année, dans Le Déni des cultures, le sociologue Hugues Lagrange a fait la part belle aux facteurs culturels dans son interprétation de l’échec scolaire et de la délinquance des migrants africains. Simultanément, la démographe Michèle Tribalat dénonce « l’ idéologie progressiste transnationale » et la sous-estimation du nombre d’immigrés en France dans son livre Les Yeux grands fermés. Cinq ans plus tard, la controverse ne porte plus tant sur l’existence de l’insécurité culturelle que sur sa définition. Le géographe Guilluy y voit « le ressenti des catégories populaires confrontées à l’intensification des flux migratoires dans le contexte nouveau de l’émergence d’une société multiculturelle », tandis que le politologue Bouvet fait de ce sentiment d’angoisse le dénominateur commun des classes populaires confrontées à l’hégémonie de la pensée libérale-libertaire : à la « préoccupation identitaire suscitée par les minorités » chez les « petits Blancs » s’ajouterait l’« insécurité sociétale » des immigrés autour de questions comme le mariage homosexuel ou le prétendu enseignement de la « théorie du genre » à l’école (11). Dit autrement, l’un considère les valeurs populaires incompatibles avec la culture des migrants, ce qui favoriserait le « séparatisme », tandis que l’autre impute aux immigrés et aux « petits Blancs » une commune répulsion vis-à-vis de la liberté des mœurs.

    • Vendredi 20 février, Gérard LARCHER s’est entretenu avec le géographe Christophe GUILLUY.

      http://blogs.senat.fr/engagement-republicain/2015/02/20/entretien-avec-m-christophe-guilluy-geographe

      On me fait passer pour un opposant à la métropolisation. Ce serait absurde : c’est grâce à ses métropoles dynamiques, où se concentrent les deux tiers du PIB, que la France résiste tant bien que mal à la crise.

      pour revenir sur l’absence de relais médiatique et politique sur les régions périphériques

      Quel modèle économique inventer pour ces territoires, modèle complémentaire de celui de la métropolisation ? C’est tout l’enjeu de la réflexion autour des « nouvelles ruralités ».
      Pour les avoir côtoyés, je sais que les élus de ces territoires sont très compétents, très impliqués, et qu’ils ont une connaissance fine du terrain. Mais ils n’ont pas voix au chapitre, car l’idéologie de la métropolisation s’est imposée aux grands partis.

      Bref, à lire pour trier ce que dit Guilluy de ce que l’on lui attribue bien vite.

  • Apologie du terrorisme : un ado poursuivi à cause d’un dessin sur Facebook
    http://www.numerama.com/magazine/31910-apologie-du-terrorisme-un-ado-poursuivi-a-cause-d-un-dessin-sur-face

    « La liberté d’expression ne doit pas être réservée à quelques privilégiés. L’heure n’est pas à l’ouverture de procédures inspirées par des réactions à chaud, mais plutôt à la mise en place de réponses mesurées qui protègent des vies et respectent les droits de chacun », explique l’ONG, qui craint que certaines arrestations faites sous le coup de l’émotion et de la fermeté ne violent en fait la liberté d’expression.

    Car si tout le monde s’accorde à défendre la liberté d’expression lorsque celle-ci va dans le sens du vent, il ne faudrait pas oublier qu’elle s’applique aussi à des messages qui peuvent s’avérer déplaisants ou révoltants. « Si l’on ne croit pas à la liberté d’expression pour les gens qu’on méprise, on n’y croit pas du tout », explique ainsi le philosophe Noam Chomsky.

    • Et puis : « ah mais nan, on n’est pas dans un pays totalitaire les gars, vous délirez grave les idiots utiles, - comme les gens qui savent disent... - parce que 1) il est pas encore mort le gars, et 2) vous voyez, la justice ne l’a pas condamné. »

      Pendant ce temps, le gars a fait de la préventive, a goûté à l’arbitraire de la justice et des traitements peu ragoûtants qui lui sont liés, a peut-être en plus eu à subir quelques conséquences dans son quotidien (licenciement...). Et combien de condamnations dont on n’entend pas parler, pour une condamnation évitée, parce que ça se voyait trop ?

    • Je viens de raccrocher d’avec mon père, le vieux bonhomme qui a été RPR toute sa vie. Il me dit être catastrophé par la tournure que prennent les choses, qu’il fuit la plupart des discussions et des espaces publics devant ce qu’il appelle à présent l’hystérie collective.
      Là, une amie de longue date qui l’appelle pour lui dire qu’elle ne trouve plus de Charlie Hebdo dans sa ville et qu’il doit aller lui en acheter un dans son bled. Mon père lui répond qu’il n’a pas l’intention d’en acheter ni pour lui ni pour personne. Elle lui a raccroché au nez et refuse de lui répondre à présent.

      Il est assez affolé par la tournure d’esprit d’une grande partie des gens et, du coup, il rase les murs.
      Il était content qu’on puisse juste en discuter ensemble, sans que personne n’exclue la parole de l’autre sous prétexte qu’elle n’est pas conforme.
      « Et quand je pense que tout cela se passe au nom de la liberté d’expression... » a-t-il conclu.

    • La caricature est terrible.

      Les crayons, les stylos, les claviers ne sont pas le contraire des armes à feu.
      La plus ou moins relative « liberté d’expression » concrète dont on peut se trouver disposer ne met jamais à l’abri de l’inconséquence.
      La question qui regarde chacun n’est évidemment pas tant cette abstraction qu’est « la liberté d’expression », mais ce qu’ellil fait de sa propre capacité d’expression, là où ellil se trouve.

      Un vieil anar au moins aussi phallocrate que l’était Wolinski, et moins rigolo, chantait néanmoins, à propos des illusions quant au langage et à l’expression

      « YES ! I AM UN IMMENSE PROVOCATEUR
      Je vous l´ai dit
      Des armes et des mots c´est pareil
      Ça tue pareil
      II faut tuer l´intelligence des mots anciens
      Avec des mots tout relatifs, courbes, comme tu voudras ». (Ferré, le Chien)

      Ces jours ci c’est un ordre ancien qui nous renvoie à la figure, avec ses mots anciens, son deux poids, deux mesures.

      #hystérie_collective

    • Apologie du terrorisme. Un lycéen nantais poursuivi pour un dessin
      Nantes - 17 Janvier

      http://www.ouest-france.fr/apologie-du-terrorisme-un-lyceen-nantais-poursuivi-pour-un-dessin-31194

      « Ce jeune homme n’a pas un profil évoquant une évolution vers le djihadisme, indique Yvon Ollivier, vice-procureur en charge du parquet des mineurs. Il n’a pas pris véritablement conscience de son geste, qu’il tente de justifier par l’humour. »
      « Réfléchir à deux fois » avant de s’exprimer

      Vednredi, le lycéen a été déféré au palais de justice. Le parquet a requis son placement en liberté surveillée et sa mise en examen. Une réponse pénale forte, dans la lignée des décisions des magistrats depuis une semaine. Une illustration de « l’extrême réactivité » dont doivent faire preuve les procureurs, selon les consignes données par la ministre de la Justice, Christiane Taubira.

      C’est le second fait qualifié d’apologie du terrorisme soumis à l’appréciation des juges nantais cette semaine. Mercredi, une adolescente de 14 ans avait été mise en examen. Non pas pour un dessin mais parce qu’elle avait, lundi, crié dans le tramway, à l’adresse des contrôleurs : « On est les soeurs Kouachi, on va chercher les kalachnikovs. » Mesurait-elle, elle aussi, la portée de ses paroles ? S’agissait-il d’une provocation ? La jeune fille devra réaliser une mesure de réparation pénale.

      « Il faut rappeler qu’on doit réfléchir à deux fois avant de tenir certains propos », a réaffirmé, vendredi, le parquet, « et responsabiliser ces jeunes quant aux conséquences de leurs attitudes. »

    • @intempestive, Depuis la #nouvelle_droite 70’, il y a une montée d’un #racisme culturaliste « différencialiste », qui prétend se fonder sur une anthropologie.
      Cette orientation est désormais clairement présente à la fondation Jean Jaurès et au #P.S par exemple (les #blancos de Valls sont pas une « race » mais des « mes ancêtres les Gaulois »).
      Germinal Pinalie, parle de « #paradigme_identitaire »
      http://seenthis.net/messages/332638

      Reflux de la (lecture en terme de) lutte de classe (cf le braconnage à la Soral), #droitisation de l’espace mental et public, et voilà que même la « philosophie de la #différence » se fait en partie phagocyter par la tyrannie des nouveaux conformismes.
      #ouilleouilleouile

    • Oui, c’est un peu ce que rapporte @colporteur : critiquer les religions ou les cultures est le moyen qu’on trouvé les racistes d’échapper à la censure, c’est aussi simple que ça. Ils disent « musulmans », parce que dans leur tête, ce sont les arabes ("hein, on s’comprend, hein") et rien d’autre. C’est parce que c’est une pensée raciste qui sous-tend leur « critique » de l’Islam, qu’ils n’arrivent même pas à conceptualiser qu’il y a des musulmans occidentaux, indiens ou asiatiques, à peine pour les Africains. Et comme ils brandissent la religion comme excuse, ils se dédouanent de l’accusation de racisme... d’où la nécessité de ce mot « islamophobe » pour rendre compte de ce discours de la haine.
      Pour moi, c’est juste du racisme, mais ce n’est plus le cas dans le discours dominant.

    • @monolecte, plus que d’échapper à la censure il me semble qu’il s’agit de travailler à une #hégémonie_culturelle. L’exemple Charlie est lisible. Des valeurs liées à l’émancipation (athéisme, sacrilège, dérision, anticléricalisme) sont attestées par l’histoire de l’organe, ce qui permet ensuite de miner de l’intérieur la réflexion et la sensibilité de ceux qui y sont attachés (le mort est ici l’outil du vif, le libertaire fantomatique et sa réminiscence cache un tout autre sujet politique).
      Au lieu d’une critique interne (autodérision ou réflexivité), on produit une conformation. Ces gens, qu’ils le sachent ou non, sont « gramsciens » #du_côté_du_manche.
      Et cela produit de nouveaux champs de forces, surdéterminés (voir l’exemple du #PIR évoqué par le papier de Pinalie cité plus haut).
      Voilà pourquoi l’exemple des meurtres et du suicide de #Durn me parait intéressant, ici, pas de religion établie, pas de post colonial :
      http://seenthis.net/messages/331247#message332733

    • Ah, mais je suis d’accord avec toi, @intempestive, cet élément de langage édulcore (voire justifie et c’est encore pire) la réalité du #racisme qui se planque (fort mal, d’ailleurs) derrière.
      Ou alors, devons-nous plutôt parler de #xénophobie, la haine-peur de l’autre, de celui qui nous est étranger, ce qui permet d’inclure, en passant, d’autres dominés, comme les fameux #cassos' dont je n’arrive pas à digérer la stigmatisation « bon teint » dont ils font l’objet.

    • Bonjour @intempestive la CNCDH explique dans son dernier rapport pourquoi elle opte pour le terme « islamophobie » http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/144000199/0000.pdf
      A ma connaissance, il n’y a pas ce débat dans les populations françaises musulmans qui utilisent le mot islamophobie, inventé comme indiqué dans mon précédent lien par des chercheurs français.
      « L’islamophobie » concerne aussi bien les attaques ou autres actes visant des personnes musulmanes ou considérées comme telles que les attaques de mosquées, lieu de culte, tombes, pompes funèbres, etc islamiques. Enfin, il y a un lien entre le fait de ne pas reconnaître ce mot et l’invisibilité du phénomène. Le débat est en effet focalisé sur le mot à utiliser, il n’y a pas de discussion sur comment enrayer le phénomène qui est lui bien réél (cf chiffres ministère intérieur)

    • Xénos signifie d’abord hôte... Il me semble que l’on passe d’une notion tardive, xénophobie, qui daterait de la fin du XIXe (le terme serait un « produit » résultant de l’émergence des nationalismes européens), à un terme lié au sort de l’indigène dans un vocabulaire français (et colonial, ie, de nation dominante à nation dominée) d’abord rare et actuellement en pleine diffusion. Le Dictionnaire historique de la langue française ne comporte pas le terme islamophobie dans l’édition de 2000 dont je dispose.
      Je n’aime guère l’aspect unidimensionnel du terme qui contribue plus qu’il ne s’oppose au fourre-tout de la #différence culturelle (cf. remarques et autres posts précédents).

    • Ah, zut, @intempestive, me suis mal expliqué. C’est l’arrivée d’islamophobie dans le langage courant qui me semble marquée au coin de son époque (comme tu l’as dit toi même, évoquant le 11 septembre) alors que xénophobie était moins « civilisationnel » (occidental) que national (XIXe), moins différencialiste que « dialectique »(XIXe)...

    • tous les néologismes en « phobe » sont en vogue, c’est banalisé, et oui je trouve aussi que cela édulcore un peu tout ce qui se cache dans l’islamophobie..
      http://opinions-opiniez.blogspot.fr/2013/12/phobie-philie-neologismes.html

      Néanmoins je milite pour qu’on parle de judéophobie au lieu d’antisémistisme pour parler de la haine des juifs dans le monde arabe. L’antisémitisme étant pour moi une idéologie raciste liée au nationalisme chrétien (juifs comme race de gens apatrides, donc traitres à la nation)
      La Judéophobie étant plutôt le fruit une haine de rivalité intercommunautaire.

      L’islamophobie cache souvent une idéologie raciste à droite.
      Exemple d’un illuminé qui se dit pacifiste, prêt à financer la remigration :

      Notre peuple européen, dont la propre fécondité est inférieure au taux de remplacement, est en passe d’être englouti par un raz de marée d’ethnies africaines dont le nombre double à chaque génération.

      (...)

      Or cette antithèse contredit le point de vue anthropologique, récemment éclairé par la cartographie génétique : la formation, à partir de lignées africaines, avec ou sans détour asiatique, de lignées européennes acquérant certains gènes, résulte, avant tout croisement entre elles, d’un énorme stress génétique subi dans un environnement hostile. C’est bien la souffrance qui a fait les lignées européennes telles qu’elles sont, et ce que le Monde voit de spécifiquement beau en elles, et de bon accompli par elles, résulte de cette souffrance surmontée dans le temps. C’est en cela que notre vérité spirituelle centrale, le Christianisme, nous était particulièrement destinée, lui-même tenant à la transfiguration de la souffrance héroïque d’un Dieu fait Homme. Les Gens d’Europe étaient faits dans le temps pour accueillir, défendre et répandre, cette Vérité hors du temps, née hors d’Europe.

      https://retromigration.wordpress.com/2013/05/28/retro-migration-pourquoi-et-comment

      Enfin un exemple de banalisation de l’abject
      http://seenthis.net/messages/329826#message329851

      En novembre 2012, il se définit comme « islamophobe de gauche » et « islamophobe de droite »

    • L’islamophobie est-elle punie par la loi ?
      http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/01/20/l-islamophobie-est-elle-punie-par-la-loi_4559911_4355770.html#a2LFC56Ll515Ah

      Le terme « islamophobie » suggère à l’origine une peur collective de la religion musulmane. Mais il s’impose depuis quelques années comme l’ensemble des réactions de rejet vis-à-vis des personnes musulmanes (ou supposées telles). En effet, si le suffixe « phobie » désigne étymologiquement une peur, son sens a dévié et peut désigner communément une notion d’« hostilité sociale », comme dans les mots xénophobes, homophobes, etc. (...) Selon ces définitions, il ne s’agit donc pas d’une critique de l’islam en tant que dogme, mais bien d’une hostilité vis-à-vis des musulmans.

      L’utilisation du chef d’accusation « apologie de terrorisme » est une #judiciarisation_de_l'hostilité.

    • Votre débat sur la sémantique, le sens psychologique et l’opportunité du terme islamophobie est passionnant, mais... il me parait à côté de la plaque ! Souvent les termes ne sont pas appropriés, à commencer par antisémitisme, ou homophobie. Ce qui compte, comme vous le dites, c’est ce que les gens mettent derrière : ce que nos alliés ET ce que nos ennemis mettent derrière. Valls et Fourest ont refusé de l’utiliser, c’est bon signe. En revanche, les musulman.e.s veulent l’utiliser et il me semble qu’ils ont même fini par réussir à l’imposer, ce qui n’était pas gagné au départ, et c’est bon signe aussi. Enfin, d’après les sociologues, l’islamophobie est maintenant clairement défini comme un racisme. Bien sûr, c’est le nouveau visage du racisme anti-arabes ("musulmans d’apparence", mais aussi anti-noirs), mais comme il a une nouvelle forme, il porte un nouveau nom...

      @intempestive
      "je reste assez curieuse de comprendre comment et pourquoi le terme d’islamophobie s’est imposé dans la gauche radicale ces dernières années"

      Agressions de femmes voilées, attaques de mosquées... Des actes « islamophobes » ou « antimusulmans » ?
      Vincent Manilève, Slate, le 17 janvier 2015
      http://www.slate.fr/story/96889/actes-islamophobes-ou-antimusulmans

    • Dror @sinehebdo. Pardon mais « les musulmans », c’est trop massif à mon goût. « Les gens » aussi, sauf à accepter que chacun en serait. Si il est est question d’hostilité, le terme homophobie se justifie. À propos des religions, et en particulier des 3 monothèïsmes, cela me parait plus compliqué. Je reste hostile aux religions (et suis parfois aussi curieux, intéressé), mais cela ne me conduit pas à être hostile à l’ensemble des croyants de ces religions.

      Et pour ce qui regarde l’Islam, j’irais jusqu’à dire (même si des racistes et des gens de droite le prétendent eux aussi) que, oui, c’est historiquement un des monothéisme les plus #dogmatiques, (on peut bien citer la modalité soufi, j’ai aussi connu en Tunisie des musulmans très « tolérants », disons décontractés, mais encore ?). Je vais pas pour autant réduire « le » musulman à l’histoire doctrinale de la religion dans laquelle il est (le plus souvent), plutôt m’intéresser aux capacités historiques actuelles, aux devenirs possibles.

    • J’ai tendance à lire l’entrée ou le retour en religion comme le résultat de défaites politiques (ainsi pour les frères pois chiches et Coulibaly). Le choix Israélien de définir son meilleur ennemi possible, lors de l’invasion du Liban, le Hamas (pour casser l’OLP et « compliquer » la solidarité internationale) coïncide avec l’"islamisation" d’une résistance qui avait été « multiconfessionelle » (catholiques à la direction de l’OLP). La montée du Hezbollah, il ne reste que la foi (une certaine foi) quand on a tout perdu ?

    • Vu que le racisme « de base », anti-arabe et anti-noirs, n’a plus le droit de cité dans les journaux, le racisme anti-musulman (ou islamophobie) est une façon discrète ou inconsciente d’être anti-arabe.

      Un exemple : parmi les dessinateurs assassinés, Tignous n’était pas le pire, et pourtant son « astuce » depuis quelques années, quand il voulait représenter des « islamistes » (des mauvais musulmans intégristes djihadistes etc.), c’était de les dessiner avec des mouches qui volaient autour d’eux, comme pour bien préciser qu’ils puaient. C’est donc bien un relent de racisme physique « classique » qui transparait sous le nouveau racisme culturel, soi-disant anti-religieux.

      Je ne crois pas qu’un terme invisibilise l’autre puisque, précisement et pas par hasard, c’est la même population qui est visée dans les deux cas. Ce qui compte, c’est de dénoncer qu’ils sont visés, quelque soit la raison explicite ou implicite. En revanche, sans faire de concurrence des termes ou des souffrances, je crois que tous les termes ont leur utilité pour décrire des aspects différents, qui s’ajoutent ou qui se combinent, de ces fléaux.

      #Tignous

  • Blogueurs au kilo
    http://www.variae.com/blogueurs-au-kilo

    On raterait probablement un aspect essentiel de la chose si l’on ne comprenait pas que ce minutage s’adresse aussi, si ce n’est d’abord, aux auteurs (contributeurs, observateurs, journalistes, blogueurs, on ne sait plus très bien comment dire). Ce néon orange, au frontispice de leur prose, leur dit ceci : tu te crois peut-être unique, mais tu n’es jamais qu’un fournisseur de minutes de lecture pour nous. Une minute vaut une minute. Si tu n’es pas content, si tu souhaites être payé ou plus payé parce que, après tout, tout travail mérite salaire, tu peux toujours t’en aller, la porte du cyberespace est grande ouverte. Que croyais-tu ? Tu n’es qu’un maillon sympathique dans l’info 2.0, un stipendiaire d’autant plus agréable qu’il n’est pas stipendié, et ne réclame ni pige ni contrat d’aucune sorte. Nous te troquons tes quelques minutes d’exposition médiatique contre ton talent, qui n’est pas nul, si si, regarde, puisqu’on te publie ! Mais ne mélange pas les genres, hein. Ne te crois pas l’égal de nos vrais journalistes, qui, eux, tu l’auras remarqué, ne subissent pas la loi de la petite horloge au début de leurs papiers. Et à tout prendre, ne te fatigue pas trop. Si on vous minute, c’est pour valoriser les articles rapides à lire, tu l’auras compris. On imagine mal un lecteur du Plus, même s’il aime bien pouvoir être surpris, se dire « oh cool, un article de 1H30 à lire » ! Tires-en les conclusions qui s’imposent.

    #média #web #cassos