Qu’est-ce la folie ? Le destin d’un jeune assassin de 16 ans dépend entièrement de l’appréciation des psychiatres.
L’adolescent mis en examen dit qu’une voix qui lui a suggéré d’assassiner sa professeure. Le procureur estime malgré tout qu’il pourrait être responsable de ses actes, en vertu notamment d’une expertise psychiatrique, contestée par son avocat.
Pourquoi un élève a-t-il poignardé mortellement sa professeure d’espagnol, Agnès Lassalle, en plein cours dans un lycée de Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées-Atlantiques), mercredi 22 février ? Le mystère de son geste reste entier, mais l’élève a été mis en examen pour « assassinat » et placé en détention provisoire vendredi. Le procureur de Bayonne, Jérôme Bourrier, avait requis la veille cette mise en examen, en évoquant les résultats d’une expertise psychiatrique menée en garde à vue : le suspect « apparaît accessible à une responsabilité pénale ».
L’avocat de l’adolescent, Thierry Sagardoytho, conteste cette appréciation et reproche à l’expert d’avoir négligé certains éléments. Son client « ne reconnaît pas être l’auteur conscient et lucide de ce drame », a rappelé le conseil, samedi sur franceinfo. L’état psychologique de l’adolescent devrait être la clé de ce dossier.
Que sait-on de l’état psychologique de l’adolescent ?
Les éléments de l’enquête dévoilés par le procureur, jeudi, décrivent un passage à l’acte méthodique : l’adolescent a verrouillé la porte de la salle de classe avant de frapper mortellement l’enseignante d’un unique coup « fluide » avec un couteau qu’il avait dissimulé dans un rouleau d’essuie-tout. Décrit comme « sidéré », il s’est ensuite rendu dans une salle de classe voisine, où deux autres enseignants l’ont convaincu de déposer son arme. C’est là qu’il aurait affirmé, selon les propos rapportés par Jérôme Bourrier, que « quelqu’un aurait pris possession de son corps » et déclaré : « J’ai ruiné ma vie, tout est fini. »
En garde à vue, cet élève de seconde a expliqué entendre « une petite voix » : « un être qu’il décrit comme égoïste, manipulateur, égocentrique, qui l’incite à faire le mal et qui lui aurait suggéré la veille de commettre un assassinat », a détaillé le procureur. Son avocat, de son côté, affirme que le jeune garçon parle de lui-même « à la troisième personne ». « Lorsqu’il raconte les faits, à mon sens, ce n’est pas lui qui agit. (...) Je m’interroge sur une possible dissociation de personnalité », a expliqué Thierry Sagardoytho à la sortie du tribunal, vendredi. Sur franceinfo samedi, il soulignait un autre point éloquent à ses yeux : son client « a perçu des indices de dangerosité sur sa personne à travers des regards, à travers des choses anodines ».
Un examen psychiatrique a été mené par un médecin lors de sa garde à vue. L’expert a observé « une forme d’anxiété réactionnelle pouvant perturber son discernement » mais « aucune maladie mentale de type schizophrénie, état maniaque, mélancolie », aucun « retard mental, ni aucune décompensation psychiatrique aigüe ».
Des éléments de contexte complexifient encore le tableau psychologique du mis en cause. L’adolescent avait tenté de se suicider à l’aide de médicaments en octobre dernier, a révélé le procureur. Depuis, il était suivi par un psychiatre et traité avec des antidépresseurs. Il avait été « beaucoup affecté » par des faits de harcèlement dans son précédent établissement. Aux enquêteurs, il a aussi dit s’être disputé avec un camarade la veille des faits. Selon « des propos un peu fluctuants » tenus au médecin auteur de l’expertise, il « aurait voulu commettre les faits en la présence de ce garçon (...), comme pour le punir » a relaté le procureur. Mais il a aussi reconnu « une forme d’animosité » envers sa victime, possiblement liée à de mauvais résultats dans sa matière.
Quels sont les critères importants pour évaluer la responsabilité ?
Une personne « atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes » n’est pas « pénalement responsable » de ceux-ci, détaille l’article 122-1 du Code pénal. C’est en vertu de ce principe que la question de l’état psychiatrique de l’adolescent se pose et peut déterminer l’avenir judiciaire de cette affaire. Une personne n’est jugée que si elle aurait pu ne pas commettre les actes qui lui sont reprochés, résume à franceinfo la psychiatre Magali Bodon-Bruzel, experte près la Cour d’appel de Paris. Elle rappelle que le discernement peut aussi être considéré comme « altéré », auquel cas le mis en cause est bien jugé, mais « la justice doit en tenir compte et adoucir la peine ».
Pour un expert chargé d’évaluer le discernement d’un mis en cause, il s’agit avant tout de déterminer s’il présente une « perte de la réalité », s’il « fait des choses en lien avec sa propre réalité intérieure, qui n’est pas la réalité extérieure », explique cette médecin. Lors de l’examen, le mis en cause est interrogé de manière à rechercher « son état mental au moment des faits » et y étudier d’éventuels « signes cliniques » d’une pathologie. « Il n’y a pas que les déclarations », ajoute Magali Bodon-Bruzel : chez les malades, on observe également des signes dans le comportement, tels que « des troubles du cours de la pensée ». C’est la raison pour laquelle il n’existe qu’un risque très faible, selon elle, qu’un mis en cause réussisse à se faire passer pour atteint d’une maladie psychiatrique : « Je ne dis pas que ça n’existe pas, mais c’est exceptionnel. »
Est-il habituel d’évaluer cette question si tôt ?
Après la mise en examen de l’adolescent, vendredi, son avocat Thierry Sagardoytho a vivement critiqué l’examen psychiatrique à ses yeux « sommaire » et « vraiment pas sérieux » dont les résultats avaient été évoqués la veille par le procureur : « Dans une affaire de cette gravité, quand on n’est pas certain ou quand on ne sait pas, on se tait. »
Mais il n’est pas inhabituel qu’un procureur demande une expertise psychiatrique avant une mise en examen, « pour déblayer le terrain », explique à franceinfo Magali Bodon-Bruzel. Et cette évaluation se fait rarement sur le long terme : « On peut voir la personne plusieurs fois si on estime que c’est nécessaire, mais, en principe, en une heure, le psychiatre a réussi à établir si elle présente une maladie, des symptômes et quelle est la prise en charge nécessaire. »
Les constatations faites lors de cet entretien ont, par ailleurs, davantage de poids que les éléments de l’enquête que la justice peut choisir de communiquer à un expert, ajoute la psychiatre. Ce que semble déplorer l’avocat du mis en cause de Saint-Jean-de-Luz, qui affirme que l’expert a rendu son rapport « sans consultation du dossier psychiatrique antérieur, sans considération des médicaments que ce gamin prenait et sans considération de ce qu’il a pu déclarer aux policiers. »
L’appréciation de sa responsabilité peut-elle évoluer ?
« Les vérités d’aujourd’hui risquent fort de ne pas être celles de demain », a ajouté l’avocat de l’élève mis en examen. Le procureur a reconnu cette possibilité au moment où il évoquait, jeudi, les conclusions du premier examen : « L’adolescent apparaît accessible à une responsabilité pénale », mais « sous réserve des expertises qui devront être ordonnées et d’une possible altération de son discernement », a-t-il immédiatement ajouté.
D’autant que, si le procureur requiert la mise en examen, c’est à un juge d’instruction que revient la décision de renvoyer ou non le mis en cause en procès. Celui-ci pourra demander d’autres expertises. De même, « les parties ont le droit de contester les rapports » et de demander au juge d’instruction une contre-expertise, ajoute Magali Bodon-Bruzel. Il arrive que les conclusions de plusieurs experts divergent, forçant le juge à trancher sur la tenue ou non d’un procès.
Dans l’affaire de Saint-Jean-de-Luz, le procureur a mis en examen l’adolescent pour assassinat, ce qui implique la préméditation du geste. Mais, sans se prononcer sur ce dossier précis, Magali Bodon-Bruzel rappelle qu’une préméditation n’exclut pas la possibilité d’être déclaré pénalement irresponsable. Certaines pathologies abolissent le discernement du malade sans lui retirer sa capacité à planifier ses actes : « Un paranoïaque délirant, par exemple, est quelqu’un qui raisonne juste, mais en partant d’un faux postulat. »
Publié le 24/02/2023
En garde à vue, l’élève de seconde qui a poignardé sa professeure avec un couteau de cuisine « a mis en avant une petite voix qui lui parle », avait déclaré jeudi le procureur de la République.
L’élève qui a poignardé à mort sa professeure d’espagnol mercredi dernier à Saint-Jean-de-Luz a été mis en examen ce vendredi pour assassinat et placé en détention provisoire mais son avocat s’interroge sur son degré de responsabilité pénale.
Les « motivations personnelles » de l’adolescent de 16 ans, inconnu des services judiciaires, « ont besoin d’être sondées, appréciées, testées par des psychiatres », afin de déterminer si son discernement était « entier », ou « au contraire aboli, ou éventuellement altéré », a déclaré à la presse Me Thierry Sagardoytho à la sortie du tribunal judiciaire de Bayonne.
Examens psychiatriques
En garde à vue, l’élève de seconde qui a poignardé sa professeure Agnès Lassalle, 52 ans, avec un couteau de cuisine caché dans un rouleau de papier essuie-tout, « a mis en avant une petite voix qui lui parle », avait déclaré jeudi le procureur de la République à Bayonne, Jérôme Bourrier.
Selon les premières déclarations de l’adolescent, qui a été placé en détention dans un établissement pénitentiaire pour mineurs selon un communiqué du parquet, elle « l’incite à faire le mal et lui aurait suggéré la veille de commettre un assassinat », avait ajouté le magistrat.
Jérôme Bourrier avait également indiqué qu’un premier examen de l’élève en garde à vue avait révélé « une forme d’anxiété réactionnelle pouvant perturber son discernement » et « des éléments de dépression évoluant depuis une année », mais « aucune maladie mentale de type schizophrénie, état maniaque, mélancolie ou retard mental, ni décompensation psychiatrique aiguë ».
« L’adolescent apparaît accessible à une responsabilité pénale sous réserve des expertises qui devront être ordonnées et d’une possible altération de son discernement », avait ajouté le procureur.
« Ravagé » par son geste
Pour l’avocat, cette expertise « fait totalement l’impasse sur la tentative de suicide » de l’adolescent en octobre 2022, évoquée par le procureur, « et les prescriptions médicales dont il était l’objet ». Cette tentative de suicide « questionne considérablement au regard de ce qui lui est aujourd’hui reproché », a-t-il poursuivi. « La prise en charge était-elle adaptée ? Des signes avant-coureurs ont-ils été décelés ? Visiblement non. »
« Lorsqu’il raconte les faits, à mon sens ce n’est pas lui qui agit. Lorsqu’on parle à la troisième personne de soi-même, je m’interroge sur une possible dissociation de personnalité », ajoute Me Sagardoytho. L’adolescent « est évidemment ravagé par le geste qu’il a commis et qui lui est reproché », a également souligné l’avocat dressant le portrait d’un « garçon brillant dans les disciplines scientifiques, visiblement moins à l’aise dans la langue espagnole ». Selon le procureur, l’adolescent a admis en garde à vue « une forme d’animosité à l’égard de sa professeure » mais aussi évoqué des « faits de harcèlement » subis dans son précédent établissement, un collège public de la ville, et « une dispute » la veille avec un autre élève.
Une de ses ex-camarades de troisième l’a décrit comme « un garçon timide » qui avait « deux ou trois amis mais pas beaucoup plus ». « Parfois arrogant » ou « colérique », il n’aimait « pas trop se faire reprendre par les professeurs en classe », selon elle. Jeudi après-midi dans les collèges et lycées qui ne sont pas en vacances, une minute de silence a été observée en hommage à l’enseignante, décrite comme « très dévouée » par le ministre de l’Éducation Pap Ndiaye, « très gentille » et « à l’écoute » par un de ses élèves. Elle « adorait ses élèves, aimait son boulot », a de son côté témoigné Stéphane, le compagnon de Mme Lassalle au micro de France Inter. « Et elle était adorée d’eux. »
« Reprendre une vie normale »
Sa mort a bouleversé la communauté éducative, un peu plus de deux ans après l’assassinat de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie décapité par un jeune islamiste radicalisé. Vendredi matin, à 08h00, les élèves du collège-lycée Saint-Thomas d’Aquin, établissement catholique privé réputé pour son calme et ses résultats scolaires, ont à nouveau afflué à l’heure de l’ouverture du portail, sous les yeux de trois policiers postés à l’entrée. De rares élèves avaient une fleur à la main.
« Tous les élèves reviennent aujourd’hui, dans une ambiance toujours très recueillie et un soutien toujours en place, avec la médecine scolaire et les psychologues de l’Éducation nationale. La cellule d’urgence d’aide psychologique se tient aussi à disposition, pour revenir si besoin », a fait savoir Vincent Destais, directeur diocésain de l’enseignement catholique de Bayonne. « On essaie de reprendre une vie normale et des enseignements dans la mesure du possible avec les élèves », a-t-il également déclaré à une correspondante de l’AFP. Les agressions contre des professeurs sont fréquentes en France mais l’AFP a recensé moins d’une dizaine de meurtres sur les quatre dernières décennies.