Le « rapport au sacré » ne résume pas le mode de vie des premiers hommes
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La chaîne Arte a diffusé le 6 septembre dernier un documentaire de Sylvia Strasser intitulé Des pisteurs sur les traces du passé, qui montre comment une équipe de préhistoriens allemands a cherché à réinterpréter les traces de pas laissées par des hommes du Magdalénien dans les grottes du sud de la France, connues depuis un siècle. Ces empreintes de pied, remontant à 15 000 ans, ont longtemps été regardées comme des traces de rituels chamaniques qui se seraient déroulés dans les grottes.
Pressentant qu’un autre système explicatif était envisageable, les chercheurs ont entrepris de demander à des spécialistes de l’interprétation des traces de décrypter celles qui sont restées imprimées dans l’argile molle des cavernes. Ces spécialistes, on les appelle des pisteurs. Et les meilleurs pisteurs sont aujourd’hui les dernières tribus de chasseurs-cueilleurs de l’Afrique, les Bochimans de Namibie, dont la subsistance repose sur la capacité des plus sagaces à repérer dans la poussière les traces récentes des grands animaux.
Dans cette salle où l’on voit en grand nombre des empreintes de talons dans l’argile, sans traces de l’avant du pied, les préhistoriens s’accordaient à considérer que des danses rituelles s’étaient déroulées dans ce vaste espace martelé par les talons d’un groupe d’individus.
L’œil des pisteurs y a vu en réalité les pas de deux individus, ceux d’un homme adulte et ceux d’un jeune garçon. Ils ont démêlé leurs allées et venues et reconstitué l’histoire la plus probable. Les deux hommes ont, en plusieurs allées et venues, été prélever de l’argile dans un coin de la grotte, avec lequel ils ont modelé les deux bisons d’argile qui se trouvent encore au centre de la salle. Puis ils sont partis.
De quoi cette erreur d’interprétation des préhistoriens est-elle le signe ? Elle montre avant tout que la puissance analytique de la science occidentale est facilement piégée par des interprétations toutes faites – en l’espèce, que les premiers hommes sont forcément mus par le rapport au sacré – et reste aveugle aux signes qui n’entrent pas dans le vocabulaire graphique intelligible de ses contemporains. Plus largement, elle montre à quel point nos représentations restent implicitement imprégnées par les notions de « sacré » et de « profane ».