• Avec les brigades sanitaires du Covid-19 : « Les gens ont de plus en plus de mal à accepter les consignes »
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/12/14/les-gens-ont-de-plus-en-plus-de-mal-a-accepter-les-consignes-avec-les-brigad

    Au printemps, la Sécurité sociale a mis en place des centres d’appels où des conseillers sont chargés du suivi des malades de l’épidémie et du traçage des cas contacts. A Villeneuve-d’Ascq, dans le Nord, ils jouent un rôle sanitaire et social déterminant.

    Sullyvan Massy Notebaert jette un coup d’œil rapide à l’écran de son ordinateur. Les noms des malades à appeler en priorité apparaissent. Son casque sur les oreilles, le jeune homme compose un numéro. Il adopte le ton aimable d’un vendeur de parfums. Sauf que c’est du #Covid-19 qu’il doit parler, avec une sexagénaire dont le test s’est révélé positif. La dame s’applique à répondre aux questions de Sullyvan.

    Son histoire avec la maladie est simple, presque banale. Elle s’était confinée chez sa fille et son gendre. Le gendre a été atteint le premier, puis sa fille quelques jours plus tard. Comme elle « regarde les informations à la télévision » , la dame a fait sa valise pour rentrer rapidement chez elle. Après avoir consulté son médecin traitant, elle s’est fait tester le lendemain. C’était son tour. Ça ne l’a pas étonnée, elle commençait à tousser, à se sentir fiévreuse.

    A Sullyvan, elle jure n’avoir « pas vu un chat » depuis son retour dans son appartement. Pas de cas contact à prévenir, donc. Pour faire ses courses, le conseiller l’incite à utiliser le drive ; elle y avait déjà pensé. De toute façon, ses placards sont pleins, « comme si j’avais anticipé le truc », s’amuse-t-elle. La conversation dure encore une dizaine de minutes, la malade fait traîner. A plusieurs reprises, elle glisse qu’à son âge ce n’est pas facile le célibat et la solitude. « Au moins, vous pouvez vous isoler plus facilement ! », plaisante Sullyvan.

    Elle en rit volontiers, mais quelque chose la chiffonne : « On faisait tous très attention, les distances, le masque, le gel, nous sommes des personnes responsables, je ne comprends pas comment on l’a attrapé. » « Vous n’avez pas à vous en vouloir, répond Sullyvan, soucieux de la déculpabiliser, il n’y a pas de risque zéro. » Le jeune homme finit par raccrocher en répétant : « Ça va bien se passer, ne vous inquiétez pas. » Il sourit. L’entretien s’est déroulé de façon idéale : une malade coopérative, informée, aimable. « La plupart des gens sont comme ça », tient-il à préciser.

    Rôle à multiples facettes

    Sullyvan Massy Notebaert, 25 ans, est l’un des 10 000 agents formés par la #Sécurité_sociale au suivi des malades et au suivi de #cas_contacts pour éviter la propagation du virus. Ici, à Villeneuve-d’Ascq, l’un des quatre centres que compte le département du Nord (2,6 millions d’habitants), ils sont plus d’une centaine à se relayer ainsi, sept jours sur sept, derrière les téléphones ; trente de plus travaillent de chez eux.

    Leur mission : convaincre les malades de s’isoler, prévenir les cas contacts et les inciter à faire de même. Mais aussi informer, orienter les précaires et les fragiles, ceux pour lesquels le virus entraîne des souffrances en cascade (perte d’emploi, dépression, violence, isolement…). Rassurer également, lutter contre les « fake news », jouer tout à la fois le rôle de conseiller médical, d’assistant social et de psychologue.

    L’ancien premier ministre Edouard Philippe les avait surnommés les « brigadiers ». Ici, le terme ne plaît guère. « Trop militaire, trop anxiogène, juge Karine Brillault, la responsable de la plate-forme. Nous sommes là pour aider, on veut être sympathiques. » Elle préfère le terme de « conseiller » ou le neutre « collaborateur », très en vogue dans le monde du travail.

    « Ne pas trop se faire balader »

    Quand le gouvernement a demandé à l’Assurance-maladie de se mettre au #traçage des cas contacts, au moment du déconfinement de mai, [pffff..., ndc] l’institution a dû s’adapter à toute vitesse et monter des centres d’appels à travers le pays. « Nous avons eu dix jours pour faire face dans l’urgence et créer de nouveaux services, se souvient Hélène Saumitou Laprade, directrice adjointe de la Caisse primaire d’assurance-maladie (CPAM) du Nord. On a dû mettre en place un système qui permette d’aller plus vite que la diffusion du virus pour briser la chaîne de contamination. Ce n’est pas dans notre ADN premier de gérer une crise sanitaire, on a dû innover. » En plus de l’appel au volontariat en interne, il a fallu recruter. « On cherchait des têtes bien faites, des jeunes qui savent s’exprimer correctement, qui maîtrisent l’informatique et ont le sens du contact », explique Mme Brillault.

    M. Notebaert, diplômé en master de sciences politiques – au chômage depuis que le magasin de vêtements dans lequel il travaillait a fermé avec le confinement –, avait le profil idéal, le genre à pouvoir gérer des situations complexes après une seule petite journée de formation. A quelques mètres de lui, Adam Delory, 25 ans, col roulé sombre et sourire lumineux, a également vite compris ce que l’on attendait de lui : « Il ne faut pas trop se faire balader par le patient, ne pas le laisser prendre la main sur la discussion, car on a des messages essentiels à faire passer, et savoir s’adapter aux situations. Si on entend un enfant en bas âge pleurer derrière, par exemple, il faut aller à l’essentiel. »

    Au début de l’été, les équipes étaient prêtes, mais le virus, lui, se faisait tout discret. « C’était la drôle de guerre, on attendait, mais il ne se passait rien, raconte Baptiste Marchand, directeur santé de la CPAM du Nord. Quand la deuxième vague a éclaté, au moins, nous étions prêts. » Après des semaines exténuantes, les agents commencent enfin à souffler avec le ralentissement de l’épidémie.

    L’outil informatique s’est perfectionné, eux-mêmes se sont rodés. « Au début il y avait des bugs, certaines personnes étaient appelées plusieurs fois, d’autres pas », reconnaît Mme Brillault. Aujourd’hui, alors que l’ensemble du processus – la fameuse stratégie « tester, tracer, isoler », mise en place au printemps – s’est amélioré (mise à disposition des #tests, réduction des délais d’attente des résultats, meilleure transmission des données par les labos), l’Assurance-maladie peut se targuer de contacter 94 % des #malades entre quatre et vingt-quatre heures après leur résultat.

    La confusion règne

    Ici, à Villeneuve-d’Asq, nous ne sommes pas dans un #centre_d’appels comme ceux des produits commerciaux. « On n’est pas là pour vendre des doubles vitrages », résume Adam Delory. Chaque conseiller a devant lui un calendrier en carton, pour calculer les dates de période d’isolement et de contagiosité en fonction des contaminations, des premiers symptômes, du résultat des tests. Il dispose aussi d’un épais script de sujets à aborder, qui évolue au gré des consignes venues d’en haut. Dernière en date : « Faire la promotion de l’application TousAntiCovid ».

    Autre particularité, ils peuvent consacrer le temps qu’ils veulent à un appel. « J’ai eu une dame furieuse au téléphone, car son fils avait reçu un résultat positif six jours après avoir fait le test, se souvient Kevin Quelquejeu, 28 ans, vêtu d’une salopette et d’un peu discret pull de Noël. Elle était très angoissée, car il avait subi une lourde opération l’année précédente. Elle pleurait beaucoup, je suis restée avec elle une heure et quart au bout du fil, à la fin ça allait mieux. »

    Les questions les plus fréquentes tournent autour de la durée de l’#isolement, de la contagiosité, des personnes asymptomatiques, des tests, de l’immunité. « Pour beaucoup, ce n’est pas clair, poursuit sa collègue Céline Turpin, élégante infirmière de 40 ans. Entre ce qu’ils entendent dans les médias, chez leur médecin, à la pharmacie ou chez leurs voisins, ils sont un peu perdus. » Il faut dire que, depuis des mois, tout et son contraire, ou presque, a été dit au sujet de la pandémie. Sur la période d’isolement, entre les quatorze jours annoncés au départ, puis les sept jours, beaucoup de patients n’y comprennent plus rien. Mais plutôt que de parler d’ « informations contradictoires », ici on préfère évoquer « l’évolution des directives ».

    « On sent le ras-le-bol qui monte »

    Le plus difficile : convaincre les gens de rester à l’isolement. Les cas contacts ont du mal à se plier aux règles, surtout lorsqu’ils en sont à leur deuxième ou troisième fois. La veille de notre arrivée à Villeneuve-d’Asq, Emmanuel Macron a évoqué la possibilité de rendre obligatoire l’isolement, une hypothèse évacuée depuis. Le vaste open space, avec ses bureaux disposés en marguerite, bruisse de cette déclaration. Contraindre les gens à rester chez eux, ici, personne n’y croit. « Impossible à mettre en œuvre », estime-t-on. Evidemment, tous savent que certains malades mentent et continuent à sortir.

    L’isolement pose de nombreux problèmes, économiques, sociaux et psychologiques. « Certains entrepreneurs testés positifs nous disent : “Je dois retourner travailler, je ne peux pas laisser mes salariés seuls, je connais les gestes barrières, je porterai un masque et je resterai dans mon bureau”, explique Céline Turpin, l’infirmière qui a intégré la plate-forme après s’être portée volontaire dans une structure hospitalière, lors de la première vague. Il faut essayer de les convaincre. Et quand on repère des problèmes sociaux qui empêchent l’isolement, on oriente sur des numéros d’aide. »

    A quelques bureaux du sien, Nathalie Ruszczynski, infirmière également, gère une situation complexe au téléphone. Une patiente explique avoir bénéficié d’un #arrêt_maladie en tant que cas contact. Entre-temps, elle a été dignostiquée positive et a donc de trois #jours_de_carence pour son arrêt. Une double peine, selon elle. « Je comprends », assure son interlocutrice tout en lui rappelant que c’est la règle : les cas contacts ne perdent pas de salaire, les « covidés » si…

    « Il faut toujours rester calme, tout en étant ferme, dit la conseillère. Ils doivent sentir que ce qu’on dit est la consigne officielle, sinon la confiance n’est pas là. Les gens ont de plus en plus de mal à accepter les consignes, ça dure depuis si longtemps… Ils sont angoissés aussi, quel que soit leur âge ou leur situation sociale. » « Ils saturent, renchérit Kevin Quelquejeu, qui a atterri ici après la fermeture de Disneyland Paris, où il enchaînait les CDD depuis quatre ans. On sent le ras le bol qui monte à l’approche de Noël. » Chacun des conseillers s’est fait raccrocher au nez au moins une ou deux fois – rien de bien grave sur des milliers d’appels. De l’avis de tous, les malades sont plutôt avides de discussion. Les plus hostiles aux mesures gouvernementales, eux, ne répondent pas au téléphone.

    Stratégies de communication

    Pour convaincre leurs interlocuteurs de s’isoler, les agents misent sur la persuasion, voire la culpabilisation. Des éléments de langage leur ont été donnés. Le mot « protection » fait ainsi figure de formule magique. « Ce sont des techniques de communication, assume Karine Brillault. Celle de l’écoute active désamorce beaucoup de colères. »

    L’apparente connivence aussi. « Je les caresse dans le sens du poil, confie en souriant Adam Delory. Si quelqu’un me dit qu’il veut retourner travailler, je lui réponds que je le comprends, que je ne l’oblige à rien. Comme ça, il baisse la garde et je peux le convaincre plus facilement en faisant appel à son sens des responsabilités. Une alliance doit se créer entre eux et nous. Ce job, c’est à 70 % de la psychologie. »

    Pour Kevin, le jeune homme si optimiste qu’il porte des pulls de Noël dès novembre, « il ne faut surtout ne pas être dans le jugement, ne pas faire de reproches ». Lui aussi a sa technique pour calmer les énervés ou les récalcitrants : « Je leur dis : “Je suis là pour vous faire des recommandations, pas pour vous fliquer. On est tous dans la même situation, moi aussi, j’en ai marre de ce confinement”. » « Même si on ne déplace pas des montagnes, j’ai l’impression de servir à quelque chose », ajoute-t-il, satisfait de « l’expérience humaine » qu’il vit depuis septembre. Mais, quand on l’interroge sur son avenir, il n’hésite pas une seconde : dès que la situation sanitaire le permettra, il retournera travailler à Disneyland.

    Toujours aucun article d’ensemble à ma connaissance sur les #agents_de_santé de terrain, et pas de plateforme, à l’exception de quelques papiers sur #covisan à Paris et un peu en IDF. Or, à part la Nouvelle Zélande et l’Australie où je ne sais quelle a pu être leur rôle, je vois pas un seul pays qui ai réussi quelque chose contre le covid qui n’en ai pas employé/utilisé un grand nombre (y compris sous la forme des "comités de quartier" de la dictature chinoise). Et ce dans un pays champion des CDD où on nous bassine depuis 40 ans avec l’exigence de flexibilité. L’âne gouvernemental n’a pas soif de #santé_publique.