• Au #col_du_Portillon, entre la #France et l’#Espagne, la #frontière de l’absurde

    L’ordre est tombé d’en haut. Fin 2020, Emmanuel Macron annonce la fermeture d’une quinzaine de points de passage entre la France et l’Espagne. Du jour au lendemain, le quotidien des habitants des #Pyrénées est bouleversé.

    C’est une histoire minuscule. Un #col_routier fermé aux confins des Pyrénées françaises des mois durant sans que personne n’y comprenne rien. Ni les Français ni les Espagnols des villages alentour, pas même les élus et les forces de l’ordre chargés de faire respecter cette fermeture. L’histoire de cette « mauvaise décision », qui a compliqué la vie de milliers de personnes pendant treize mois, débute à l’automne 2020.

    Les journaux gardent en mémoire la visite d’Emmanuel Macron au Perthus, le poste-frontière des Pyrénées-Orientales, département devenu depuis quelques années la voie privilégiée des migrants venus du Maroc, d’Algérie et d’Afrique subsaharienne. Sous un grand soleil, inhabituel un 5 novembre, le président de la République, un masque noir sur le visage, avait alors annoncé une fermeture temporaire des frontières françaises d’une ampleur jamais connue depuis la création de l’espace Schengen, en 1985 : une quinzaine de points de passage, situés tout le long des 650 kilomètres de frontière entre la France et l’Espagne, seraient désormais barrés.

    L’objectif officiel, selon les autorités, étant « d’intensifier très fortement les contrôles aux frontières » pour « lutter contre la menace terroriste, la lutte contre les trafics et la contrebande (drogue, cigarettes, alcools…) mais aussi contre l’immigration clandestine ». Aux préfets concernés de s’organiser. Ils ont eu deux mois.

    Une mesure « ubuesque »

    6 janvier 2021. Loin du Perthus, à quelque 300 kilomètres de là, il est 20 heures lorsque les premières automobiles sont refoulées au col du Portillon, l’un des points de passage concernés par cette mesure. Ce jour-là, il n’y a pourtant pas plus de neige que d’habitude. La frontière est fermée jusqu’à nouvel ordre, annoncent les gendarmes. Lutte contre le terrorisme. Les refoulés sont dubitatifs. Et inquiets. La dernière fois qu’on les a rembarrés comme ça, c’était au lendemain de l’attaque de Charlie Hebdo, quand, comme partout, les contrôles aux frontières avaient été renforcés. Ça aurait recommencé ? A la radio et à la télévision, on ne parle pourtant que de l’assaut du Capitole, à Washington, par des centaines de trumpistes survoltés, pas d’une attaque en France.

    « Ça n’a l’air de rien, mais, deux fois cinquante minutes au lieu de deux fois quinze minutes, ça vous change une journée. » Michel, retraité

    Comme il n’existe pas trente-six manières de matérialiser une frontière, Etienne Guyot, le préfet de la région Occitanie et de la Haute-Garonne, a fait installer de gros plots en béton armé et autant d’agents de la police aux frontières (PAF) en travers de cette route qui permet de relier Bagnères-de-Luchon à la ville espagnole de Bossòst, située dans le val d’Aran. Au bout de quelques jours, parce que les plots étaient trop espacés, les agents ont fait ajouter des tas de gravier et de terre pour éviter le passage des motos et des vélos. Mais les deux-roues ont aimé gravir les petits cailloux. De gros rochers sont donc venus compléter l’installation.

    Ce chantier à 1 280 mètres d’altitude, au milieu d’une route perdue des Pyrénées, n’a pas intéressé grand monde. Quelques entrefilets dans la presse locale – et encore, relégués dans les dernières pages – pour un non-événement dans un endroit qui ne dit rien à personne, sauf aux mordus du Tour de France (magnifique victoire de Raymond Poulidor au Portillon en 1964) et aux habitants du coin.

    Cette décision – l’une de celles qui se traduisent dans les enquêtes d’opinion par une défiance vis-à-vis des dirigeants – a été vécue comme « ubuesque », « injuste », « imposée par des Parisiens qui ne connaissent pas le terrain ». Elle a achevé d’excéder une région déjà énervée par un confinement jugé excessif en milieu rural et, avant cela, par une taxe carbone mal vécue dans un territoire où la voiture est indispensable.

    « Le carburant ça finit par chiffrer »

    Si la fermeture du col n’a engendré aucune conséquence tragique, elle a sérieusement entamé des activités sociales et économiques déjà fragilisées après le Covid-19. Prenez Michel, retraité paisible à Bagnères-de-Luchon, habitué à faire ses courses trois fois par semaine à Bossòst, côté espagnol. Un petit quart d’heure sépare les deux villes si l’on emprunte le col du Portillon, avec une distance d’à peine 17 kilomètres. Mais, depuis janvier 2021, il faut faire le tour et franchir le pont du Roi. Soit un détour de 42 kilomètres. « Ça n’a l’air de rien, concède le septuagénaire. Mais, deux fois cinquante minutes au lieu de deux fois quinze minutes, ça vous change une journée. Et le carburant, ça finit par chiffrer. »

    Dans ce coin, le Pays Comminges, qui s’étend depuis les coteaux de Gascogne jusqu’à la frontière espagnole, la frontière n’existait pas. « Pas dans les têtes, en tout cas », assure Pierre Médevielle. Bien que le sénateur indépendant de la Haute-Garonne boive de l’eau plate à l’heure du déjeuner, il correspond en tout point à l’idée que l’on se fait d’un élu de la Ve République du siècle dernier. Il donne rendez-vous dans un restaurant qui sert du canard, il a 62 ans, un look gentleman-farmer de circonstance (un week-end en circonscription), une passion pour la chasse et la pêche, une fidélité de longue date pour les partis centristes et une connaissance encyclopédique de l’histoire de sa région.

    Le Comminges, c’est plus de 77 000 habitants, une densité de 36 habitants au kilomètre carré, un déclin démographique inquiétant, une vallée difficile à développer, un accès routier complexe… Une véritable petite diagonale du vide dans le Sud-Ouest. « Juste après le Covid, la fermeture du Portillon a été vécue comme une sanction, explique le sénateur. Elle a bouleversé le quotidien de nombreux frontaliers. »

    Des questions laissées sans réponse

    Les Aranais vont et viennent dans les hôpitaux et les cabinets médicaux de Toulouse et de Saint-Gaudens – un accord de coopération sanitaire lie les deux pays –, et leurs enfants sont parfois scolarisés dans les écoles et le collège de Luchon. Les Français considèrent, eux, le val d’Aran comme un grand supermarché low cost planté au milieu d’une nature superbe. Ils achètent, à Bossòst – des alcools, des cigarettes et des produits bon marché conditionnés dans d’immenses contenants (céréales, pâte à tartiner, shampoing, jus d’orange…). Le samedi matin, les Espagnols, eux, se fournissent en fromage et en chocolat côté français, dans le gigantesque Leclerc d’Estancarbon. D’un côté comme de l’autre, on parle l’occitan, qu’on appelle gascon en France et aranais en Espagne.

    Pierre Médevielle a fait comme il a pu. Il a posé des questions dans l’Hémicycle. Il a adressé des courriers au ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin. Il a beaucoup discuté avec celui qui est alors le secrétaire d’Etat chargé de la ruralité, Joël Giraud, et avec son homologue espagnol, Francés Boya Alós, chargé du défi démographique (l’autre nom de la ruralité). Ils ont tous trois fait état des pétitions citoyennes et des motions votées par les élus des communes concernées, suppliant Gérald Darmanin de revenir sur une décision « incompréhensible ».

    Eric Azemar, le maire de Bagnères-de-Luchon, estime, lui, les conséquences « catastrophiques » pour sa ville, notamment pour la station thermale, déjà éprouvée par la pandémie : « De 11 000 curistes, nous sommes passés à 3 000 en 2020 et à peine à 5 000 en 2021. » Il a appris la fermeture de la frontière le matin même du 6 janvier 2021. En recevant l’arrêté préfectoral. « Point. » Point ? « Point. » En treize mois, aucun de ces élus n’est parvenu à arracher un courriel ou la moindre invitation à une petite réunion de crise à la préfecture. Rien. Le silence.

    Contourner l’obstacle

    « Le mépris », déplore Patrice Armengol, le Français sur qui cette décision a le plus pesé. Il vit à Bagnères-de-Luchon et travaille exactement au niveau du Portillon mais côté espagnol. A 2 kilomètres près, il n’était pas concerné par cette affaire, mais, voilà, son parc animalier, l’Aran Park – km 6 puerto del Portillón –, est, comme son nom et son adresse l’indiquent, installé dans le val d’Aran. Val d’Aran, Catalogne, Espagne. Il a cru devenir fou, il est devenu obsessionnel. « Leur barrage était mal fichu mais aussi illégal, commente-t-il. Là, vous voyez, le panneau ? Le barrage était à 1 kilomètre de la frontière française. »

    C’est exact. Appuyé contre son 4 × 4, il fait défiler les photos du barrage, prises au fil des mois. Lui est allé travailler tous les jours en franchissant le col : il roulait en voiture jusqu’au barrage, déchargeait les kilos de viande et de fruits secs périmés achetés pour ses bêtes dans les supermarchés français, franchissait le barrage à pied et chargeait le tout dans une autre voiture garée de l’autre côté des plots. Le soir, il laissait une voiture côté espagnol et repartait dans celle qui l’attendait côté français. « Ils m’ont laissé faire, heureusement », dit-il.

    Il a trouvé héroïques les habitants qui, autour du col de Banyuls, dans les Pyrénées-Orientales, ont régulièrement déplacé les blocs de pierre avec toujours le même message : « Les Albères ne sont pas une frontière. » Le geste ne manquait pas de panache, mais lui-même ne s’y serait pas risqué : « Une violation des frontières, c’est grave. Je n’avais pas envie d’aller en prison pour ça. » Patrice Armengol s’est donc contenté de limiter les dégâts. S’il a perdu près d’un tiers de ses visiteurs, il a pu maintenir le salaire de ses trois employés espagnols à plein temps.

    La fin du calvaire mais pas du mystère

    Gemma Segura, 32 ans, s’occupe des visites scolaires dans le parc et, pour défendre l’ouverture du col, elle a rejoint l’association des commerçants de Bossòst, où elle vit. Fille d’un boucher à la retraite et d’une enseignante d’aranais, elle est née à Saint-Gaudens comme beaucoup de frontaliers espagnols. « Je suis toujours allée chez le médecin à Saint-Gaudens et mes grands-mères consultent des cardiologues français. Nos banques sont françaises. Nos familles vivent des deux côtés de la frontière. Et, quand je jouais au foot, je participais à la Coupe du Comminges, en France. »

    « Les gens s’interrogent et on ne sait pas quoi répondre. On applique les décisions prises en haut. » Un agent chargé de surveiller la zone

    Après des études de sciences de l’environnement à Barcelone, elle a préféré revenir ici, dans ce coin, certes un peu enclavé, mais si beau. Certains parlent aujourd’hui de quitter Bossòst, leurs commerces ayant été vides pendant des mois. Mais le « miracle » s’est enfin produit le 1er février 2022, et, cette fois, l’information a fait la « une » de La Dépêche du Midi : « Le col du Portillon est enfin ouvert. »

    De nouveau, personne n’a compris. La possibilité d’une ouverture avait été rejetée par le premier ministre Jean Castex lui-même à peine un mois plus tôt lors d’un déplacement à Madrid. Perplexité du maire de Bagnères-de-Luchon : « Pourquoi maintenant ? Il y a sans doute une raison logique, le ministre ne fait pas ça pour s’amuser. » Même les agents chargés de surveiller la zone sont surpris : « Pourquoi avoir fermé ? C’était mystérieux, mais on l’a fait. Et, maintenant, on ouvre, mais on doit intensifier les contrôles. Les gens s’interrogent et on ne sait pas quoi répondre. On applique les décisions prises en haut. »

    « En haut », au ministère de l’intérieur et à la préfecture, on est peu disert sur le sujet. Le service de presse de la préfecture nous a envoyé, sans empressement, ces explications parcimonieuses : « Depuis quelques mois, la police aux frontières a constaté une recrudescence de passeurs au cours de différentes opérations menées sur les points de passage autorisés. (…) Les dispositifs de contrôle sur la frontière ont permis de nombreuses interpellations de passeurs (quatorze en 2021 et un en 2022). »

    Une voie migratoire sous surveillance

    Ces chiffres sont autant d’histoires qui atterrissent sur le bureau du procureur de Saint-Gaudens, Christophe Amunzateguy. Le tribunal, comme les rues de la ville, est désert ce 31 janvier. Il est 18 heures et Christophe Amunzateguy, qui assure la permanence, est parfaitement seul. Comme tout le monde ici, les décisions de la préfecture le prennent de court. On ne l’informe de rien, jamais. Il pointe du doigt le journal ouvert sur son bureau. « Je l’apprends par La Dépêche. La préfecture ne m’en a pas informé. »

    Il parle de l’ouverture du col du Portillon. Il lit à voix haute que le préfet promet des renforts. « Eh bien, très bonne nouvelle, mais, s’il y a des renforts, il y aura une multiplication des interpellations et, s’il y a des interpellations, c’est pour qui ? Pour moi. » Dans cette juridiction, l’une des plus petites de France, ils ne sont que deux procureurs et six magistrats du siège. Après avoir connu les parquets turbulents de Nancy et de Lille – il a suivi l’affaire du Carlton –, Christophe Amunzateguy se sent « dépaysé » dans ce « bout du monde ». « C’est une expérience, résume-t-il. Ici, on fait tout, tout seul. »

    « C’est ça, aussi, l’histoire du Comminges, une communauté de destins d’un côté et de l’autre de la frontière » Jacques Simon

    C’est au mois de septembre 2021, soit neuf mois après la fermeture du col du Portillon, que la « vague » d’arrivée de migrants s’est amplifiée. La police de l’air et des frontières l’a alerté à la mi-août : des clandestins arriveraient par le point de passage du pont du Roi. Ce mois-là, les interpellations se sont succédé : quatorze d’un coup.

    Sur les quatre derniers mois de 2021, neuf passeurs algériens ont été condamnés à des peines de prison ferme en Haute-Garonne. Et seize passeurs ont été jugés à Saint-Gaudens en 2021. Le profil ? « Des personnes de nationalité algérienne, explique le procureur. Par pur opportunisme, elles prennent en charge des personnes en situation irrégulière et leur font passer la frontière contre 200 à 600 euros, dans leur voiture ou dans une voiture de location. »

    Une délinquance d’opportunité

    Au début de l’année 2022, ça a recommencé. Le 4 janvier, à 10 h 40, alors qu’ils contrôlaient une Golf à Melles – la routine –, les agents de la PAF ont aperçu un Scénic tenter une manœuvre de demi-tour avant que quatre passagers n’en descendent précipitamment et se mettent à courir. Tentative désespérée et totalement vaine : tous ont été arrêtés en un rien de temps. Le chauffeur de la Golf a été embarqué aussitôt que les agents se sont aperçus qu’il était le propriétaire officiel du Scénic. Tous ont été conduits au tribunal de Saint-Gaudens, où le procureur a pu reconstituer leur parcours.

    Arrivés d’Algérie quelques jours plus tôt, les trois passagers à l’arrière du Scénic tentaient de gagner Toulouse. Un premier passeur, payé 200 euros, les a d’abord conduits à Alicante où le chauffeur de la Golf les a contactés par téléphone. Chargé de les conduire à la gare de Toulouse contre 200 euros par personne, il a roulé toute la nuit avant de crever. Un de ses « amis » est venu de France (en Scénic) pour réparer la voiture et les « aider » à poursuivre le voyage, qui s’est donc terminé à Melles.

    Concernant les conducteurs du Scénic et de la Golf, la conclusion est la même que pour l’écrasante majorité des dossiers de 2021 : « Ils sont en free-lance. » Dans le vocabulaire de la justice, ça s’appelle de la « délinquance d’opportunité ». Les passeurs n’appartiennent pas à des réseaux ; ils arrondissent leurs fins de mois.

    Les passeurs du 4 janvier ont été condamnés à quatre et six mois d’emprisonnement et incarcérés à la maison d’arrêt de Seysses (Haute-Garonne). L’un des deux a écopé de cinq ans d’interdiction du territoire français et leurs deux véhicules ont été saisis. Le procureur assume cet usage de la « manière forte » : garde à vue systématique, comparution immédiate, saisie des véhicules (« ils sont sans valeur, ce sont des poubelles »), confiscation du numéraire trouvé sur les passeurs (« je ne prends pas l’argent sur les personnes transportées »). Il précise ne pas en faire une question de politique migratoire mais prendre au sérieux la question de la traite des êtres humains : « On ne se fait pas d’argent sur le malheur des autres. »

    La frontière, terre de fantasme

    Christophe Amunzateguy se souvient du 19 janvier 2021. Il était dans son bureau, seul comme d’habitude, quand il a reçu un coup de fil de la gendarmerie lui signalant qu’une bande d’activistes habillés en bleu et circulant à bord de trois pick-up a déroulé une banderole sur une zone EDF située dans le col du Portillon. Sur les réseaux sociaux, il apprend qu’il s’agit de militants de Génération identitaire, un mouvement d’ultra-droite, tout à fait au courant, eux, contrairement au reste du pays, que le col du Portillon a été bloqué.

    Le procureur découvre, quelques jours plus tard, une vidéo de l’opération commentée par Thaïs d’Escufon, la porte-parole du groupuscule, affirmant qu’il est « scandaleux qu’un migrant puisse traverser la frontière ». Elle a été condamnée au mois de septembre 2021 à deux mois d’emprisonnement avec sursis pour les « injures publiques » proférées dans cette vidéo.

    Que la frontière soit depuis toujours un espace naturel de trafics et de contrebande n’est un secret pour personne. Pourquoi fermer maintenant ? En vérité, explique le procureur, c’est du côté des Pyrénées-Orientales qu’il faut chercher la réponse. En 2021, 13 000 personnes venues du Maghreb et d’Afrique subsaharienne ont été interpellées au sud de Perpignan, à Cerbère. Un chiffre « record » qui a entraîné l’intensification des contrôles. Les passeurs ont donc choisi d’emprunter des voies moins surveillées. Le bouche-à-oreille a fait du point de passage du pont du Roi une entrée possible.

    Le procureur est formel : le phénomène est contenu. Quant au fantasme des migrants qui franchissent les montagnes à pied, cela lui paraît improbable. L’hiver, c’est impraticable ; aux beaux jours, il faut être un alpiniste chevronné et bien connaître le coin. Un peu plus loin, du côté du Pas de la Case, deux passeurs de tabac sont morts en montagne : l’un, algérien, de froid, en 2018, et l’autre, camerounais, après une chute, en 2020.

    La route de la liberté

    Ces chemins, désormais surveillés et fermés, ont longtemps été synonymes de liberté. C’est par là qu’ont fui les milliers de réfugiés espagnols lors de la Retirada, en 1939, après la guerre civile. Par là aussi que, dans l’autre sens, beaucoup ont pu échapper aux nazis au début des années 1940. La mémoire de cette histoire est ravivée par ceux qui l’ont vécue et par leurs descendants qui se regroupent en associations depuis une vingtaine d’années.

    « Sur cette chaîne pyrénéenne, on évalue à 39 000 personnes les personnes qui fuyaient le nazisme », explique Jacques Simon, fondateur et président des Chemins de la liberté par le Comminges et le val d’Aran, créée en mars 2018. Son grand projet est de labelliser la nationale 125, depuis le rond-point de la Croix-du-Bazert, à Gourdan-Polignan, jusqu’au pont du Roi, pour en faire une « route de la liberté » comme il existe une route des vins, une route de la ligne Maginot et une Voie sacrée.

    L’un des récits de traversée que raconte souvent Jacques Simon est celui qui concerne seize compagnons partis clandestinement de la gare de Saléchan la nuit du 25 octobre 1943. En pleine montée du pic du Burat, les passeurs se perdent et les trois femmes du groupe, dont une enfant, peinent. « Leurs chaussures n’étaient pas adaptées et elles portaient des bas en rayonne. C’est une matière qui brûle au contact de la neige, explique Jacques Simon, qui a recueilli les souvenirs des derniers témoins. Elles ont fini pieds nus. » Le groupe est arrivé en Espagne et tous ont survécu.

    « On ne sera jamais riches, mais on a du temps. Pour être en famille, pour retaper notre baraque, pour faire des conserves. » Philippe Petriccione

    Parmi eux, Paul Mifsud, 97 ans, l’un des deux résistants commingeois toujours en vie. Le second, Jean Baqué, 101 ans, avait 19 ans quand il s’est engagé dans la Résistance. Arrêté par la milice en novembre 1943, il parvient à s’échapper des sous-sols de l’hôtel Family, le siège de la Gestapo à Tarbes. Dans sa fuite, il prend une balle dans les reins, ce qui ne l’empêche pas d’enfourcher un vélo pour se réfugier chez un républicain espagnol. « Il m’a caché dans le grenier à foin et a fait venir un docteur. »

    En décembre 2021, Jean Baqué est retourné sur les lieux, à Vic-en-Bigorre. Il est tombé sur le propriétaire actuel, qui lui a raconté que l’Espagnol, Louis Otin, avait été fusillé en 1944 par la milice. « Je ne l’avais jamais su. » Jean Baqué a organisé quelques jours plus tard une cérémonie en sa mémoire dans le bois de Caixon, là où l’homme a été assassiné. « C’est ça, aussi, l’histoire du Comminges, une communauté de destins d’un côté et de l’autre de la frontière », résume Jacques Simon.

    L’ivresse des sommets

    Ces chemins, Philippe Petriccione les connaît comme sa poche et il accepte de nous guider. A l’approche du col du Portillon, en apercevant depuis son 4 × 4 quatre agents de la PAF occupés à contrôler des véhicules, le guide de haute montagne raconte un souvenir qui date du lendemain de l’attentat contre Charlie Hebdo, en janvier 2015. C’était ici même : « Les Mossos d’Esquadra [la force de police de la communauté autonome de Catalogne] ont débarqué. Ils ne sont pas toujours très tendres. Ils ont toqué à la vitre de ma bagnole avec le canon de leur fusil. J’avais envie de leur dire : “C’est bon, moi, je vais faire du ski, les gars.” »

    Le 4 × 4 s’engage sur un chemin. Les stalactites le long des rochers enchantent les passagers, le gel sous les roues, moins. Philippe arrête la voiture. « On y va à pied. » En réalité, « on y va » à raquettes. Après quelques kilomètres, la vue spectaculaire lui redonne le sourire. C’est pour cela qu’il est venu vivre à la montagne. Né à Paris dans le 18e arrondissement, il a vécu ici et là avant de s’installer il y a une dizaine d’années à Luchon avec sa femme et leurs enfants. « On ne sera jamais riches, mais on a du temps. Pour être en famille, pour retaper notre baraque, pour faire des conserves. »

    On se tient face à un vallon enneigé dont les pentes raides dévalent dans un cirque de verdure. Le guide tend le bras vers le côté gauche. Il montre une brèche recouverte de glace : le port de Vénasque, à 2 444 mètres d’altitude (« col » se dit « port » dans les Pyrénées) : « Il est devenu célèbre sous Napoléon, qui a eu une idée de stratège. Il s’est dit : “Je vais faire passer mon armée par là.” Il a tracé un chemin pour passer avec les chevaux et les canons. » On distingue la limite géographique appelée le carrefour des Trois-Provinces. A gauche, la Catalogne. A droite, l’Aragon et, face à nous, la Haute-Garonne. Il y a huit ports, soit autant de passages possibles pour traverser le massif. « L’histoire dit que 5 000 personnes sont passées en quarante-huit heures en avril 1938… »

    Philippe connaît par cœur cet épisode, puisqu’il a l’habitude de le raconter aux touristes et aux collégiens qui viennent parfois depuis Toulouse découvrir « en vrai » ces chemins. Il fait comme aujourd’hui. Il tend le bras et montre au loin les pentes raides de ce paysage de la Maladeta et la vue sur l’Aneto, le plus haut sommet du massif. Un rectangle sombre perce l’étendue blanche. En approchant, on distingue une borne en béton, « F356E » : c’est la frontière. F pour France, E pour Espagne. Ces bornes, il y en a 602 tout le long de la frontière. Le tracé, qui date de la fin du XIXe siècle, part de la borne numéro 1, sur les bords de la Bidassoa, et va jusqu’au pied du cap Cerbère, en Méditerranée, explique le guide. Allongé sur la neige, il répète qu’ici c’est une montagne particulière. « Il n’y a jamais personne. »

    https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2022/04/29/au-col-du-portillon-entre-la-france-et-l-espagne-la-frontiere-de-l-absurde_6

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  • Dans les #Pyrénées, l’autre « porte de l’enfer » des migrants

    De plus en plus de personnes migrantes tentent de franchir la frontière franco-espagnole. Pour éviter les contrôles dans les transports et sur les routes, certains passent dans un #tunnel_ferroviaire, au péril de leur vie.

    Un dédale de #rails s’enfonce dans la #montagne. Depuis les quais de la gare, l’entrée du #tunnel_des_Balitres ressemble à deux grandes bouches sombres. Ce long boyau long de 1 064 mètres relie #Cerbère (#Pyrénées-Orientales), en France, à #Portbou, en Espagne. Sur le ballast gisent des brosses à dents, des vieux tee-shirts, des serviettes de toilettes ou des papiers administratifs déchirés. Ces #objets, signes du passage de personnes migrantes, sont ramassés par #David_Cerdan, cheminot qui s’occupe la maintenance des infrastructures. Cela fait plusieurs mois que ce syndicaliste CGT alerte la #SNCF sur la présence des migrants dans le tunnel et sur les risques qu’ils encourent. « J’ai prévenu la direction, mais nos conseils n’ont pas été écoutés. Ils ont préféré mettre des #barbelés partout. Cela empêche les gens de sortir du tunnel et ils se trouvent ainsi pris au #piège. C’est vraiment dangereux pour leur vie », explique David Cerdan.

    La ville-frontière de Cerbère a toujours été un point de passage migratoire, mais depuis quelques mois, le nombre de traversées a largement augmenté. Selon les chiffres de la préfecture des Pyrénées-Orientales, près de 12 865 étrangers en situation irrégulière ont été refoulés à la frontière franco-espagnole en 2021. Un chiffre en progression de 29,2 %. Et beaucoup préfèrent aujourd’hui passer par le tunnel, pour éviter les contrôles policiers sur les routes.

    Sous un pont soutenant la voie ferrée, David Cerdan s’accroupit et pointe des traces de sang séché : « Quand je suis venu avec des journalistes espagnols il y a deux jours, le sang était encore frais. Je suis sûr que c’est un jeune qui a voulu sauter et qui a été blessé par les barbelés ». Un peu plus haut, il marque une pause et regarde une dalle d’où suinte un mince filet d’eau. « Le robinet qui était ici vient d’être enlevé. Je suis dégoûté car cela permettait aux gens d’avoir un peu d’#eau avant d’arriver en ville. Ils ont toujours très #soif après de si longues heures de marche. »

    « Porte de l’enfer » et mise à pied

    Il grimpe ensuite sur le petit talus donnant directement sur le tunnel, où des barbelés ont été ajoutés au-dessus du #grillage. « Je ne vous dis pas que je n’ai pas envie d’aller chercher une pince pour couper ces saloperies », glisse-t-il. Pourtant, le cheminot doit rester sur ses gardes car son apparition dans un reportage de France 3 lui a valu des remontrances de sa hiérarchie. « J’avais parlé de cet endroit comme de la #porte_de_l’enfer. J’ai écopé d’une mise à pied avec sursis d’une journée. Mais le directeur de l’établissement m’a glissé qu’il comprenait et respectait mes engagements. »

    Cerbère est un petit village de 1 300 habitants accroché aux contreforts des Pyrénées catalanes, bordant une mer cristalline. Un village-frontière depuis toujours lieu de passage de personnes migrantes. Leur présence était jusqu’à présent tolérée. Mais depuis quelques mois, la grogne monte. Dans le jardin d’une maison qui jouxte l’entrée du tunnel des Balitres, deux maçons espagnols empilent des #parpaings. Le propriétaire du pavillon, un retraité qui vit ici depuis six ans, a décidé de surélever le mur qui le sépare de la gare et d’installer des barbelés. Il a souvent aperçu des personnes migrantes se faufiler dans son jardin et s’enfuir dans la montagne.

    « Avant, je leur donnais parfois un peu d’eau, c’était normal. Mais depuis une année environ, il y en a vraiment beaucoup », raconte le vieux monsieur, qui préfère ne pas donner son nom. Cet afflux a freiné ses velléités humanitaires. « S’ils venaient de pays en guerre, ça irait. Mais ce n’est pas le cas. Alors je n’ai pas trop envie de les aider. Car ils disent aux policiers qu’ils viennent ici pour faire du trafic de drogue et travailler au noir. »

    Sur la place principale, la boulangerie fait office de bar du quartier pendant la saison hivernale. Installé au mini-comptoir avec une bière, François Franck, un autre cheminot, nous raconte que des jeunes migrants auraient essayé de voler son scooter. « Un jour, mes collègues ont reconnu mon scooter que trois gaillards essayaient d’embarquer dans un train. Ils ont appelé la PAF [police aux frontières] et ils m’ont dit que c’étaient des migrants. »

    « On n’a pas de solution ici »

    Derrière sa caisse enregistreuse, la boulangère opine : « Avant ils ne faisaient que passer, mais à présent ils entrent dans les maisons vides. Et hier, ils ont cassé notre seul distributeur bancaire. » Elle précise toutefois qu’elle ne craint pas pour sa sécurité car « ces pauvres jeunes, parfois ils n’ont même pas de bagages. Ils ne sont pas virulents et ne cherchent pas les affrontements. On voudrait les aider, mais il faudrait déjà commencer par trouver du travail aux Français. On n’a pas de solution ici. Ils ne font qu’attendre le train, se faire refouler et attendre le suivant. »

    Ces #refoulements à la frontière, aussi appelés #push-backs, sont fréquents et peuvent durer longtemps. Un funeste jeu de ping-pong humain. « Si les migrants n’ont pas de papiers, les policiers espagnols les renvoient en France. Et lorsqu’ils arrivent en France, les policiers français les renvoient en Espagne. Cela peut durer ainsi pendant trois ou quatre jours. Jusqu’au moment où il n’y aura plus de contrôles et qu’ils arriveront à passer », explique un contrôleur SNCF rencontré à bord du TER à Cerbère. Il désigne deux jeunes hommes assis au fond du wagon. « Tenez, eux, ce sont des migrants, vous pouvez aller leur causer. »

    « Je veux partir aujourd’hui car il y a trop de racisme en France »

    L’un des deux parle français et s’appelle Oussama. Il connaît bien le tunnel des Balitres qu’il a déjà traversé à pied, faute d’argent pour prendre le train. « Je suis arrivé en France depuis l’Algérie en 2012 après la mort de mes frères, raconte-t-il. Ma mère vivait à Toulouse, alors je l’ai rejointe. Mais aujourd’hui je veux partir car il y a trop de racisme en France. Et trop de violence dans le quartier de ma mère à Toulouse. »

    Son ami et lui voudraient se rendre à Barcelone, en Espagne, pour trouver du travail. Mais lors de leur dernière tentative, à peine arrivés à la gare espagnole de Portbou, les deux compagnons ont été interpellés par la police espagnole qui leur a demandé leurs papiers. Oussama a sorti sa carte d’identité française mais son ami n’avait rien sur lui — ses papiers étaient restés à Barcelone, disait-il. Il fut alors embarqué pour un contrôle d’identité, et Oussama resta sur le quai à l’attendre. Quand ils se retrouveront, les deux amis retenteront leur chance.

    Pour éviter les contrôles à la gare, certains préfèrent passer par la montagne. Au #coll_dels_Belitres, à quelques mètres de l’ancien poste-frontière abandonné, un jeune homme se tient sur le bord de la route, côté espagnol. Vêtu d’une légère doudoune noire, d’un jean brut et de baskets, on l’imagine plutôt sortir d’un bar branché que de plusieurs semaines d’errance à travers l’Espagne. Il vient du Maroc et désire rejoindre Paris ou Toulouse. Il hésite à franchir la frontière par crainte de tomber dans les griffes de la police. Soudain, une voiture de gendarmerie fait irruption sur route, se garant au-dessus du virage, sans voir le jeune homme qui s’éloigne dans la montagne.

    Lorsqu’on repasse quelques minutes plus tard, il fait nuit et le jeune migrant a disparu, laissant derrière lui des papiers déchirés au sol. Des preuves d’un double #refoulement à l’entrée du territoire les jours précédents. Aura-t-il passé la nuit dans la montagne ? Trouvé un abri avant de pouvoir poursuivre son chemin ? Ces questions resteront sans réponse.

    Mais Cerbère n’est pas la glaciale Briançon, où les personnes migrantes meurent de froid en franchissant les cols enneigés. Dans les Pyrénées catalanes, la neige est rare en bord de mer et on peut envisager d’y passer une fraîche nuit sans forcément risquer sa vie. Cerbère n’est pas non plus la pluvieuse et médiatique Calais avec ses dizaines d’associations qui aident celles et ceux qui espèrent passer en Angleterre. Ici, il n’existe aucun collectif d’aide aux migrants avant Perpignan, située à 50 kilomètres.

    « Nous ne sommes pas organisés comme du côté des Alpes et nous ne sommes pas en mesure de le faire pour l’instant, faute de forces militantes », dit Josie Boucher, de l’#association_de_solidarité_avec_tous_les_immigrés (#ASTI). S’il y a bien eu quelques réunions avec la mairie et d’autres associations de Perpignan, c’est avant tout pour dénoncer la militarisation de la frontière.

    Commission rogatoire permanente

    « En ce moment, on croise plein de voitures de forces de l’ordre, ce qui est étonnant en plein hiver car il n’y a personne. Il y a aussi des barrages de police réguliers car ils savent que des gens se font prendre sur la route », raconte Camille Rosa, cofondatrice d’une cantine solidaire à Perpignan. « On a acheté avec des copains un petit terrain vers Cerbère. Un jour, des gendarmes sont venus fouiller notre camion alors que mes enfants faisaient la sieste à l’intérieur. J’ai tenté de m’interposer, mais ils m’ont dit que sur la #zone_frontalière, ils avaient une #commission_rogatoire_permanente », poursuit-elle.

    En novembre 2020, Emmanuel Macron a annoncé le renforcement du dispositif de contrôle à la frontière franco-espagnole. Les #effectifs sont ainsi passés de 2 400 à 4 800 policiers. Une politique répressive qui semble encore insuffisante pour Marine Le Pen. La candidate du Rassemblement national s’est rendue début janvier à la frontière, notamment à Cerbère, pour dénoncer les « pompes aspirantes » de l’immigration et présenter son programme électoral xénophobe. Elle compte notamment faire de l’entrée et du séjour illégaux un délit, pour obliger les fonctionnaires à dénoncer les étrangers concernés et « poursuivre les associations complices ».

    Malgré cette atmosphère délétère, certains ressentent toujours de la compassion pour les personnes migrantes, comme Jeanne Camo, 90 ans, native de Cerbère. On la rencontre sur la place du village, devant le stand unique d’un mini marché proposant quelques fruits et légumes locaux. La vieille dame tient un discours bien différent de celui des habitants rencontrés jusqu’à présent : « Ces pauvres migrants sont à plaindre, vraiment. Ils ne sont pas partis de chez eux par plaisir mais plutôt parce que la France envoie des armes dans leurs pays, qu’ils sont ensuite obligés de fuir, raconte-t-elle avec son accent catalan chantant. Je suis indignée de voir comment on les traite. On dit qu’il y a des voyous parmi eux, mais c’est comme partout. Et après tout, eux aussi ce sont des êtres humains. »

    https://reporterre.net/Entre-France-et-Espagne-l-autre-traversee-perilleuse-des-migrants

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    Dans l’article, ce témoignage :

    « Avant, je leur donnais parfois un peu d’eau, c’était normal. Mais depuis une année environ, il y en a vraiment beaucoup », raconte le vieux monsieur, qui préfère ne pas donner son nom. Cet afflux a freiné ses velléités humanitaires. « S’ils venaient de pays en guerre, ça irait. Mais ce n’est pas le cas. Alors je n’ai pas trop envie de les aider. Car ils disent aux policiers qu’ils viennent ici pour faire du trafic de drogue et travailler au noir. »

    –-> #tri #bon_réfugié #mauvais_migrant

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