Dérèglement climatique : dans les zones sinistrées, des #assurances lâchent la barque
Face à l’augmentation des catastrophes naturelles, le monde de l’assurance craint de ne plus pouvoir assumer à terme. Les cas de #résiliation de contrat après des sinistres d’ordre climatique se multiplient, pour les #particuliers comme pour les #municipalités.
Pour celle qui réside depuis toujours à Andres (Nord), c’est un peu la triple peine. Au début de l’année 2024, Chantal a subi deux inondations coup sur coup, d’une semaine à l’autre. Mais en plus, quelques semaines plus tard, une missive informe la retraitée qu’elle vient de perdre son contrat d’assurance.
Dans le courrier, l’assureur précise qu’il « se doit d’être extrêmement vigilant quant aux caractéristiques des risques assurés. Pour maintenir un service de qualité au meilleur prix à l’ensemble de ses clients ». « Pourtant, en près de cinquante ans de contrat, je n’ai eu que deux sinistres », jure la Nordiste, qui a rompu les multiples contrats qu’elle détenait avec sa famille pour montrer son incompréhension. D’autant que, dans sa rue, qui a été inondée, « plusieurs voisins [lui] ont signalé être dans le même cas ».
Edwige a eu la même mauvaise surprise. Propriétaire à Houlle dans le Pas-de-Calais, elle a subi deux inondations, coup sur coup. « La première, en novembre 2023, où l’eau est restée dix-sept jours dans la maison. Et une seconde en janvier pendant laquelle l’eau est restée cinq jours, ajoutant à cela le gel », retrace-t-elle. Et la conséquence a été la même. Son assureur a résilié son contrat après avoir payé pour ces deux sinistres.
« Notre rôle d’assureur est bien sûr de tenir nos engagements en réglant les sinistres. Cependant, nous devons aussi veiller à offrir le meilleur tarif et à préserver l’équilibre de la mutuelle dans l’intérêt de l’ensemble de ses sociétaires. L’analyse de votre dossier nous contraint donc à ne pas reconduire votre contrat à la prochaine échéance et à mettre fin à vos garanties le 31 mars 2024 », explique l’assureur dans son courrier.
« Ce genre de cas est en train de gentiment augmenter depuis quelques années », observe Gwenahel Thirel, avocat rouennais spécialisé dans les litiges entre assureurs et assurés. Il rappelle tout de même que « tout cela est parfaitement légal, puisque c’est la liberté contractuelle qui prévaut, au même titre qu’un assuré qui voudrait mettre fin à son contrat ».
« Ces gens sont victimes, et du réchauffement climatique, et de ces comportements », dénonce l’avocat, pour qui « on a tendance à oublier que l’assurance, c’était de la solidarité. À la base, cela sert à payer des dégâts à hauteur de ce que personne ne pourrait se permettre de payer, avec l’argent mutualisé ».
Les municipalités trinquent
« On voit de plus en plus de litiges de manière générale », explique auprès de Mediapart Arnaud Chneiweiss, médiateur de l’assurance, chargé de tenter de régler ces litiges à l’amiable. « De plus en plus de ces dossiers sont liés à des sinistres climatiques », explique-t-il, citant en particulier le cas des sécheresses.
Selon le rapport d’activité de la Médiation de l’assurance pour 2022, l’association a reçu 21 502 saisines. « Cela représente une augmentation de 9,2 % par rapport à 2021 et de presque 50 % sur les trois dernières années », développe l’organisme dans son rapport. « Les événements climatiques, qu’ils soient ou non qualifiés de “catastrophe naturelle” au sens légal, représentent début 2022 10 % des saisines relatives à l’assurance dommages. En 2019, ce n’était que 6 % », notent les auteurs.
« Ce que je vois, c’est le désengagement de certains assureurs à bas bruit, qui ne peut pas encore vraiment se quantifier, car ils sont encore suffisamment nombreux pour qu’un sinistré qui se voit résilié trouve un nouveau contrat. Même si c’est parfois difficile », poursuit l’ancien conseiller ministériel.
Des experts de l’assurance anticipent « une augmentation des coûts des sinistres pour les inondations allant de 6 à 19 % selon les scénarios climatiques » d’ici à 2050.
Pour le médiateur, « il y a une vraie crainte de certains acteurs, y compris d’assureurs, car rien dans la loi n’interdit de ne plus assurer un territoire ». Si certains particuliers commencent tout juste à subir, dans une proportion encore mineure, des difficultés à s’assurer dans des zones particulièrement identifiées comme propices aux catastrophes naturelles, ce sont les municipalités qui ont trinqué en premier.
C’est devenu l’une des préoccupations d’Éric Ménassi, maire de Trèbes (Aude), depuis des inondations en 2018. Deux ans plus tard, au terme de son contrat d’assurance, la compagnie avec qui la municipalité travaillait depuis des années a décidé de ne pas continuer. « Parce que depuis peu, pratiquement tous les ans, nos bâtiments publics étaient inondés », analyse l’édile.
Les cas défraient régulièrement la chronique, au point que l’Association des maires de France (AMF) a organisé, lors de son dernier congrès en octobre 2023, une table ronde à l’intitulé éloquent : « Ma commune est-elle assurée ? ». Certaines communes, y compris moyennes, comme Dinan (Côtes-d’Armor), sont contraintes de faire appel à des assureurs étrangers.
Stratégies d’évitement
Une augmentation du nombre de ces cas qui a convaincu Alain Chrétien, maire de Vesoul (Haute-Saône), de défendre l’élargissement des prérogatives du médiateur de l’assurance aux collectivités territoriales. Celui qui fait aussi partie d’une mission d’information de l’AMF dédiée à cette problématique estime à 1 500 le nombre de communes qui auraient été touchées par une résiliation de contrat ou augmentation subite des prix.
Courant avril 2024, un rapport visant à « adapter le système assurantiel français aux enjeux climatiques » a été écrit et remis à Christophe Béchu. Selon son décompte, en 2022, les coûts d’indemnisation de dommages liés à des aléas climatiques s’élevaient à 10,6 milliards d’euros, à la suite d’épisodes intenses de grêle et de sécheresse.
Les experts y anticipent « une augmentation des coûts des sinistres pour les inondations allant de 6 à 19 % selon les scénarios climatiques » d’ici à 2050. « Les estimations varient selon les études, [...] d’un facteur 2 à un facteur 10 pour les submersions marines », prend pour exemple le rapport.
Dans l’étude remise au ministère de la transition écologique, les auteurs évaluent à plus de 1 milliard d’euros par an le déséquilibre financier du régime d’indemnisation de catastrophe naturelle « à climat actuel ». Dans ces conditions, « les assureurs peuvent être tentés, pour se protéger, d’adopter des stratégies d’évitement des zones à plus forte exposition aux aléas naturels », anticipent-ils.
De son côté, France Assureurs tombe d’accord : « Il y a un vrai enjeu, surtout dans le futur. » En revanche, le syndicat des compagnies d’assurance dit n’avoir pas « observé d’augmentation des résiliations de contrats d’assurance des collectivités locales », ni « des saisines du bureau central de tarification qu’il est possible de faire lorsque la résiliation est liée aux catastrophes naturelles ».
Pour le syndicat, « l’assurance n’est pas le problème et joue plutôt le rôle de révélateur : elle met en lumière la montée des risques auxquels les collectivités locales sont confrontées. Dans un contexte d’augmentation significatif des aléas climatiques ». France Assureurs a même dû plusieurs fois revoir à la hausse les prévisions d’augmentation des coûts d’indemnisation. Le nom de la campagne de communication lancée pour l’occasion donne à voir la crainte qui gagne le milieu : « Pour une France assurable ».
▻https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/250924/dereglement-climatique-dans-les-zones-sinistrees-des-assurances-lachent-la
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