À l’Assemblée, une atmosphère de « #chasse_aux_sorcières » contre les collaborateurs insoumis
La #commission_d’enquête de #Laurent_Wauquiez sur les « liens » entre La France insoumise et les « réseaux propageant l’idéologie islamiste » a été jugée irrecevable après un vote très serré. Mais les collaborateurs parlementaires ciblés, tous racisés, dénoncent le fantasme d’un « #complot_musulman » dont ils font les frais.
La commission d’enquête parlementaire contre #La_France_insoumise (#LFI) voulue par Laurent Wauquiez n’aura pas lieu. Le président du groupe Droite républicaine (DR) à l’Assemblée nationale l’avait annoncée en grande pompe à la mi-mai sur Europe 1, radio du groupe Bolloré, suscitant la joie de la fachosphère. Elle ciblait explicitement le mouvement de Jean-Luc Mélenchon et était censée mettre au jour ses « liens » avec « des organisations et réseaux soutenant l’action terroriste ou propageant l’#idéologie_islamiste », selon son intitulé.
Mais elle a été jugée irrecevable lors d’un vote très serré en commission des lois mardi 3 juin (lire encadré). « C’était le va-tout de Laurent Wauquiez avant le congrès du parti Les Républicains », rappelle la députée communiste Elsa Faucillon, membre de la commission des lois. « Au-delà même du contenu crasse de son exposé des motifs, la forme n’était pas recevable : non seulement les éléments sont très opaques, mais cela revenait à utiliser les moyens de l’Assemblée pour un agenda politique personnel », explique-t-elle.
La nouvelle a provoqué un « ouf » de soulagement dans les rangs de LFI, où le vote était guetté avec inquiétude. Depuis plusieurs mois, des tentatives de proscription de plus en plus officielles se multiplient et marquent de simples militant·es au fer rouge. « Je suis abasourdie, je me demande si un jour un ministre de l’intérieur ne va pas appeler à notre dissolution, alors que jusqu’à présent cela relevait de la fiction », témoigne Manon Monmirel, collaboratrice parlementaire du député insoumis Éric Coquerel.
Le texte de Laurent Wauquiez ciblait sans les nommer – mais explicitement – certains collaborateurs et collaboratrices parlementaires du groupe présidé par Mathilde Panot. Sans aller aussi loin que le dossier du magazine d’extrême droite Frontières, qui avait jeté en pâture une dizaine de noms au mois d’avril en leur imputant le plus souvent des informations partielles – voire fausses – ou de simples messages politiques, il reprenait à son compte le même soupçon « d’#entrisme par des organisations ou militants islamistes dans la perspective des futures échéances électorales », notamment les municipales de 2026.
La difficulté à se défendre
Celles et ceux dont les noms avaient été diffusés dans le magazine s’attendaient donc à être auditionné·es, avec tout ce que cela comporte de risques en matière d’exposition à la vindicte sur les réseaux sociaux. « C’était à nouveau le risque de subir du cyberharcèlement, d’avoir des problèmes d’employabilité, sans moyen de se défendre juridiquement », commente Louise Brody, membre du bureau de la CGT collaborateurs et collaboratrices parlementaires, invoquant le coût financier des poursuites pour diffamation.
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La #commission_Wauquiez échoue de peu
Le coup est passé tout près. À l’issue d’une heure de réunion, la commission des lois a finalement jugé irrecevable la proposition de résolution de Laurent Wauquiez visant à créer une commission d’enquête sur « les représentants de mouvements politiques […] soutenant l’action terroriste ou propageant l’idéologie islamiste ».
Vingt-trois députés se sont prononcés contre, autant pour, l’égalité étant insuffisante à valider le processus. L’ensemble de la gauche, qui a tout fait pour enterrer cette commission « indigne », a aussi pu compter in extremis sur l’abstention de quelques députés macronistes, à commencer par le président de la commission des lois Florent Boudié.
Ils ont pourtant été nombreux à défendre l’initiative. Le député Droite républicaine Vincent Jeanbrun, qui prenait la parole pour son chef de groupe – lequel a brillé par son absence –, a ainsi dénoncé, à l’instar de l’extrême droite, les acteurs politiques qui seraient les « relais » de « l’idéologie islamiste qui s’infiltre dans nos institutions ».
Loin de s’opposer à la criminalisation manifeste d’un adversaire politique, le camp présidentiel – qui a laissé liberté de vote à ses commissaires – est même allé encore un cran au-dessus, Sébastien Huygue s’indignant d’une prétendue « complaisance entre élus et réseaux islamistes, voire terroristes ». Feignant d’imaginer que cette commission d’enquête pourrait être autre chose qu’un « règlement de comptes politiques », le MoDem ne s’est pas opposé non plus. De même que les députés Horizons, le parti d’Édouard Philippe, qui ont voté en faveur de la #recevabilité.
La gauche s’est finalement retrouvée bien seule à dénoncer un « procès politique », une entaille grave dans la séparation des pouvoirs, et l’« agenda islamophobe » de Laurent Wauquiez. Ancien macroniste, le député Paul Molac, aujourd’hui membre du petit groupe centriste Liberté, indépendants, outre-mer et territoires (Liot), a résumé cette « cabale politicienne » d’une saillie : « Ça me rappelle le maccarthysme ou la révolution culturelle. Je proposerais bien [à Laurent Wauquiez] de se mettre au vert à Saint-Pierre-et-Miquelon. »
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Après la parution du numéro Frontières sur le « parti de l’étranger » – expression maurrassienne utilisée pour qualifier LFI –, certain·es ont fermé leurs comptes sur les réseaux sociaux et ont pris pour habitude de créer des boucles Telegram pour signaler la présence de ces journalistes qui militent activement pour l’« union des droites ».
« Certains d’entre nous étaient tétanisés, et on avait tous remarqué que 90 % des collabs cités étaient racisés », se souvient Manon Monmirel. « Dans leur matrice, parce qu’on est arabe ou noir, on a une proximité avec le terrorisme islamiste », résume Aziza Nouioua, collaboratrice parlementaire de Thomas Portes, ciblée par Frontières pour avoir relayé des posts d’Urgence Palestine – que le ministère de l’intérieur veut dissoudre –, de l’Association France Palestine solidarité (AFPS) ou encore de la campagne BDS.
Ismaël El Hajri, collaborateur parlementaire de Louis Boyard, a fait l’expérience de cet amalgame raciste avant même la parution de Frontières. Après un portrait dans Le Journal du dimanche (Le JDD) en septembre 2024 signé Alexis Bergeron – un pseudonyme selon toute vraisemblance –, s’appuyant sur un thread du compte X « Les Corsaires » – un collectif « pro-liberté d’expression » marqué à l’extrême droite –, son nom a été mentionné par Le Figaro Magazine dans un article qui posait cette question : « Si LFI profite de la communauté musulmane pour obtenir des votes, ce parti est-il devenu un cheval de Troie pour les islamistes afin d’exercer une influence politique et sociale ? »
Sans avoir été contacté, il y était décrit comme « proche » de l’imam Iquioussen et « ancien militant engagé pour la défense de Baraka City et du CCIF [Collectif contre l’islamophobie en France – ndlr] ». « Sous mes yeux, un mensonge devient vérité journalistique », écrivait-il alors sur X, ajoutant : « Si l’on m’attaque aujourd’hui, c’est pour ce que je suis : un enfant de l’immigration maghrébine, militant antiraciste qui travaille à l’Assemblée nationale. »
Le Figaro Magazine n’avait pas publié son droit de réponse mais avait supprimé le passage contesté en ligne, « dans un souci d’apaisement », selon un courrier du directeur général du groupe Marc Feuillée, consulté par Mediapart. « C’est la preuve absolue que c’était répréhensible du point de vue du droit de la presse », affirme Simon Peteytas, avocat d’Ismaël El Hajri. Celui-ci en était resté là, faute de moyens. « La diffamation est une procédure coûteuse, et ce sont des infractions difficiles à caractériser », convient l’avocat.
Un cas emblématique
Le mal est en tout cas fait pour le militant de Villeneuve-Saint-George (Val-de-Marne). « Si on tape mon nom sur Google, on tombe sur des dizaines d’articles qui me disent “islamiste” sans aucune preuve factuelle, dit-il. On a essayé d’alerter sur cette dérive : comment un mensonge a pu devenir une vérité dans un magazine mainstream ? Nous sommes victimes des jeux d’influence et de surenchère entre les macronistes, LR et le Rassemblement national. Et cela n’avait jamais pris une forme aussi sérieuse que la possibilité d’une commission d’enquête. »
Pour le député insoumis Antoine Léaument, membre de la commission des lois, il y a en effet « un franchissement de seuil ». Le cas le plus emblématique de cette dérive est celui de Mohamed Awad, collaborateur parlementaire de Paul Vannier. Quand il a lu l’exposé des motifs de la commission d’enquête, celui-ci s’est immédiatement reconnu – il était lui aussi parmi les personnalités ciblées par Frontières pour avoir été responsable de la section locale des Jeunes musulmans de France à La Courneuve (Seine-Saint-Denis).
Le trentenaire, petites lunettes sur le nez et crâne déjà dégarni, a été investi par LFI en 2024 dans la quatrième circonscription du département francilien, fief de Marie-George Buffet, pour croiser le fer avec la sortante communiste, Soumya Bourouaha, qui a été élue. Depuis son joli score de 40 % à La Courneuve, son nom circule pour les municipales de 2026. Et cette percée coïncide aussi avec le début d’un harcèlement médiatique intense.
Deux jours avant le second tour, Le JDD avait lancé les hostilités : « LFI a-t-elle investi un ancien responsable d’une organisation islamique cofondée par Hassan Iquioussen ? » Le magazine de Vincent Bolloré se basait sur les propos du militant d’extrême droite Damien Rieu, qui en voulait pour preuve un journal municipal daté de 2016. Page 11, on aperçoit Mohamed Awad, présenté comme un « président de l’association JMF de La Courneuve ».
« Jeune Musulman de France » : cette association de quartier, de loi 1901, avait alors pignon sur rue, bénéficiant de plus de 50 000 euros de subventions publiques émanant de l’État, de la région, du département et de la ville. Mohamed Awad, originaire de la commune, l’a rejointe après avoir suivi sa scolarité à Paris, à l’école des enfants du spectacle, où il a été envoyé pour ses talents de pianiste.
Au programme : soutien scolaire, actions culturelles ou organisation de forums de l’orientation… « C’était un peu l’esprit de la JOC [Jeunesse ouvrière chrétienne – ndlr] par où sont passées Sophie Binet ou Marie-George Buffet. Je m’y suis investi pleinement », raconte celui qui est devenu trésorier de l’association.
Monde parallèle
Mais avec les attentats de janvier 2015, les choses changent. Toutes les subventions de l’État sont coupées brutalement, au motif que l’association serait un « terreau de radicalisation ». Le jeune homme de 22 ans obtient alors un rendez-vous avec le préfet de l’égalité des chances de l’époque, Didier Leschi. « Autour de la table, il y avait une personne chargée de la radicalisation : j’ai compris que c’était fini », se rappelle Mohamed Awad, qui dit avoir découvert ce jour-là ce qu’est « l’islamophobie d’État ».
Diplômé de droit, il s’engage ensuite au sein de LFI dans le XVIIIe arrondissement de Paris, où il milite avec Paul Vannier, qui lui fait rapidement gravir les échelons. En 2020, il est propulsé sur la liste des municipales, puis devient secrétaire général du groupe insoumis à la région Île-de-France. Il est ensuite recruté en janvier 2023 comme assistant parlementaire du député du Val-d’Oise.
Il déplore aujourd’hui qu’on le ramène « à une appartenance religieuse supposée ». « Je suis tout le contraire : ma vie militante repose sur l’idée de dire que les musulmans sont des citoyens français à part entière. Je sais que je cristallise un truc d’intégration que l’extrême droite déteste. On me refuse le droit d’avoir des aspirations politiques et de les mettre en œuvre », dit-il à Mediapart.
« Ils veulent qu’on ait peur, qu’on ne puisse plus s’engager. Ils ne supportent pas qu’au cœur d’une institution qui représente le pouvoir, des gens défendent des positions antiracistes et anticolonialistes », abonde Aziza Nouioua.
Cette ambiance de « chasse aux sorcières » n’étonne guère les Insoumis·es : l’enchaînement du rapport sur l’influence des Frères musulmans en France et de la commission d’enquête demandée par Laurent Wauquiez, ou encore la sortie de Bruno Retailleau sur les « barbares », voilà qui indique, à leurs yeux, le cap bien sombre du moment.
« Tout cela participe à accréditer l’idée qu’il existe un complot musulman. Une réalité alternative est en train de passer pour une réalité tout court. Et dans ce cadre, LFI, conseillée dans l’ombre par des Noirs et des Arabes, ne peut être que le parti de l’étranger », décrypte Ismaël El Hajri, qui espère, comme ses collègues, sortir bientôt de ce monde parallèle.
►https://www.mediapart.fr/journal/politique/030625/l-assemblee-une-atmosphere-de-chasse-aux-sorcieres-contre-les-collaborateu
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