• Piotr Pavlensky, agitateur vortex – à propos de « l’affaire Griveaux » | AOC media - Analyse Opinion Critique
    https://aoc.media/opinion/2020/02/17/piotr-pavlensky-agitateur-vortex-a-propos-de-laffaire-griveaux

    Ceux qui réussissent à se frayer un chemin dans le tohu bohu des réseaux sociaux constituent une nouvelle classe d’agitateurs. On pourrait les appeler « agitateurs vortex », pour les distinguer des agitateurs d’idées qui se sont illustrés pour le meilleur ou pour le pire tout au long du XXe siècle. Le « vortex » est en effet un instrument utilisé dans les laboratoires de chimie, qui permet par des impulsions rapides d’agiter un liquide afin de mélanger ses composants. L’agitateur vortex doit son efficacité moins à son pouvoir de conviction, ou à la pertinence de ses arguments, qu’à la dynamique des interactions qu’il est capable d’impulser sur les réseaux sociaux.

    Le succès des agitateurs vortex ne tient ni à la pertinence de leur analyses ni à leur radicalité, mais au contraire à leur mode opératoire qui vise à obtenir une attention maximale et pour cela doit être conforme à la logique des réseaux sociaux.

    Non plus la logique de la propagande par le fait comme les anarchistes du début du XXe siècle. Mais la conquête des attentions par la transgression. Une transgression qui ne vise pas telle ou telle norme morale, une transgression devenue la norme à l’ère néolibérale, une violence destructrice qui vise à ébranler les récits que la société tient sur elle-même.

    Pavlenski utilise les mêmes méthodes que les régimes qu’il dénonce, performant le discrédit sur des personnes publiques comme on tire sur des silhouettes de carton dans les foires. Il ne s’en cache pas : « L’art politique agit de l’intérieur de la mécanique du pouvoir et force l’appareil d’Etat à se démasquer ». Que Griveaux s’y soit prêté par « imprudence » ne signifie pas grand-chose quand c’est l’imprudence qui fait loi. Au contraire cela ne fait que renforcer l’hypothèse d’une soumission générale à cette mécanique du dévoilement de la purification, de la transparence qui régit la condition politique à l’ère du clash.

    La conclusion de l’article me semble moins intéressante. Même quand on est entré dans le terrier, il y a un monde derrière disait le lapin.

    De l’affaire Lewinsky à celle de Nafissatou Diallo, des soirées bungas bunga de Berlusconi à la pornographie de Trump ce n’est pas la dépravation morale des individus qui est mis en scène, c’est la cérémonie cannibale l’exhibition/dévoration des corps. Une sorte de bizutage numérique qui met en scène le discrédit du politique. Le corps des puissants livré à la voracité des médias et des audiences fait le chemin inverse de l’amplification décrit par Kantorowicz dans le double corps du roi, c’est celui d’une mise à nu radicale, d’une exhibition sans fin. L’expérimentation de soi doit être menée « jusqu’à la fracture ». La surexposition médiatique jusqu’à la dévoration. L’affaire Griveaux va bien au-delà d’un épisode navrant de la campagne des élections municipales, elle est le symptôme de l’effondrement du fonctionnement démocratique. Au-delà du fait divers, c’est un cas d’école pour comprendre que la vie politique et la délibération politique sont à portée de missile d’un simple tweet. La révocation des élus a trouvé sa forme et sa caricature avec le revenge porn.

    L’exhibition « sacrilège » du phallus politique sous les quolibets et les indignations est le cœur du carnaval qui nous tient lieu de vie politique, une démocratie qui jouit du spectacle de sa propre fin. « C’est un immense pas vers la fin du système représentatif écrivait Jean Baudrillard en 2004. Et ceci est la fatalité du politique actuel – que partout celui qui mise sur le spectacle périra par le spectacle. Et ceci est valable pour les citoyens comme pour les politiciens. C’est la justice immanente des médias. Vous voulez le pouvoir par l’image ? Alors vous périrez par le retour-image ».

    #Médias_sociaux #Griveaux #Christian_Salmon

  • Des voix sans maître : déconstruire de grands récits par la dystopie (Pierre Pelot)
    http://www.raison-publique.fr/article882.html
    Raison-publique.fr, samedi 16 juin 2018, par Simon Bréan

    Le storytelling pourrait être interprété comme l’un des instruments actuels de ce que Guy Debord appelle en 1967 le « spectaculaire diffus », par contraste avec le « spectaculaire concentré » des régimes communistes. La Société du Spectacle fournit une puissante matrice de déconstruction des grands récits, en les ramenant à une froide réalité mécanique, servir une même entreprise de « prolétarisation du monde ». Pierre Pelot, figure marquante de la science-fiction française des années 1970, s’est emparé de cette matrice contestataire pour écrire une série de récits dystopiques de 1977 à 1980. Ses dystopies sont des utopies négatives, qui détruisent les citoyens tout en prétendant les sauver. Dans cet article, nous examinons plus particulièrement trois romans, Delirium Circus (1977), Les Barreaux de l’Eden (1977) et Parabellum tango (1980).

    […]

    La pratique du storytelling identifiée par Christian Salmon est l’un des avatars contemporains d’une tentation ancienne, la manipulation du discours à des fins de propagande, que l’exacerbation des idéologies concurrentes au XXe siècle a rendu plus systématique. Rapporté à des modalités antérieures telles que la propagande totalitaire, qui implique un contrôle vertical des canaux de diffusion et une réécriture massive de la réalité historique et contemporaine, l’une des singularités du storytelling semble être son caractère multidirectionnel et opportuniste. Là où, pour en reprendre la logique mise en scène par le 1984 d’Orwell, la figure totalitaire du Big Brother s’impose depuis un empyrée inaccessible par le conditionnement de citoyens schizophrènes et par le contrôle paranoïaque d’une novlangue réduite à sa plus simple expression, les artisans du storytelling sont légions, chacun exploitant à sa manière les richesses rhétoriques d’une langue faussement familière et tâchant d’atteindre dans leurs destinataires des émotions déjà présentes, qu’il s’agit alors de faire primer sur les capacités rationnelles de critique et de distanciation.
    Une telle opposition ne paraît flagrante qu’en l’absence d’un terme intermédiaire : le storytelling tel que le conçoit Christian Salmon n’est pas l’héritier direct d’une propagande d’État totalitaire, mais semble plutôt relever de la bonne conscience moralisatrice qui lui a longtemps été opposée par le « Bloc de l’Ouest », fondée sur des boucles rétroactives affirmant d’un côté des valeurs fondamentales et de l’autre, au nom de ces valeurs, la nécessité de stratégies radicales, ce qui aboutit à des logiques paradoxales telles que « Détruire un village pour le sauver » pendant la Guerre du Vietnam, selon une expression rappelée récemment par Eric Fassin à propos de la guerre contre le terrorisme et des suppressions de libertés individuelles.

    #grands_récits #storytelling #science-fiction #dystopie #littérature #Pierre_Pelot #Christian_Salmon

  • A Berlin, Varoufakis veut lancer « une nouvelle intrigue » pour l’Europe
    https://www.mediapart.fr/journal/international/090216/berlin-varoufakis-veut-lancer-une-nouvelle-intrigue-pour-leurope

    Yanis Varoufakis lors d’une conférence de presse à la sortie d’un Eurogroupe à Bruxelles © Reuters / 2015. L’ancien ministre des finances grec rassemble mardi 9 février à Berlin son mouvement pour démocratiser l’UE. Il sera entouré d’une trentaine d’intervenants venus d’horizons très variés, sans Montebourg, ni Mélenchon. Entre autres défis, Varoufakis devra apporter la preuve aux sceptiques qu’il est capable, lui, l’universitaire ultra médiatisé, de se mettre au service d’un mouvement collectif.

    #International #Economie #Christian_Salmon #europe #fédéralisme #Florent_Marcellesi #Julien_Bayou #Michel_Feher #souverainisme #UE #Yanis_Varoufakis

  • La République des comptables à lunettes - Page 3 | Mediapart
    http://www.mediapart.fr/journal/france/120713/la-republique-des-comptables-lunettes?page_article=3

    L’impasse narrative du pouvoir socialiste n’est donc pas réductible à un défaut de com’, comme s’acharne à nous en convaincre la cohorte bavarde des décodeurs, des décrypteurs. C’est le fruit d’une déconnexion historique entre la souveraineté de l’Etat et la représentation du pouvoir. D’un côté une bureaucratie anonyme, de l’autre des hommes politiques désarmés. D’un côté des décisions sans visage, de l’autre des visages impuissants. Résultat : l’action est perçue comme illégitime et la parole publique a perdu toute crédibilité.

    François Mitterrand avait pressenti cette évolution qui ruinait à terme le présidentialisme à la française : « Je suis le dernier des grands présidents... Enfin, je veux dire, le dernier dans la lignée de De Gaulle. Après moi, il n’y en aura plus d’autres en France. » Il avait parfaitement diagnostiqué les raisons de cette extinction programmée de la fonction présidentielle : « A cause de l’Europe... A cause de la mondialisation... A cause de l’évolution nécessaire des institutions. Après moi, il n’y aura que des comptables. »

    #politique #Hollande #gauche