(...) 33 ans après que cette interview a fait les grands titres, Burg est à nouveau sur le devant de la scène. Il y a tout juste une semaine, il a assisté à la convention de Hadash, un parti non-sioniste, d’obédience communiste et a rejoint ses rangs. Pour les Israéliens, c’est une grosse affaire. Bien que le parti se veut ouvert à tous, il est devenu au fil des ans à prédominance arabe, avec un seul député juif le représentant. La photo de Burg, au milieu de cette foule à Nazareth avec sa kippa sur la tête, ressemblait un peu à une montage photo. C’est encore plus surprenant (même dérangeant pour certains) si l’on regarde le parcours de Burg. Entre 1982-2005, il a été député du Parti travailliste, président de la Knesset et chef de l’Agence juive et du Mouvement sioniste mondial. Tous les symboles sionistes en une seule personne. Deux parcelles dans la section « héros nationaux » sur le mont Herzl lui sont réservées, l’une en tant qu’ancien président de la Knesset et l’autre pour avoir été à la tête de l’Agence juive. Aucun membre du parti Hadash n’y est enterré.
La récent décision de Burg a reçu des réactions mitigées. Ceux qui suivent son parcours idéologique et intellectuel, pour le moins complexe, depuis qu’il a quitté la politique il y a plus de dix ans sont moins surpris. Durant ces années, il a abandonné Dieu (il ne croit plus en lui, mais garde sa tête couverte) et le sionisme, et a renoncé à l’idée d’Etat juif. En fait, il ressemble à une "vente finale" idéologique. "Tu parles comme un commerçant en fin de journée", dit Burg. "En fait, c’est une lente évolution. Au cours de ces dix années en dehors de l’arène politique, j’ai publié quatre livres (certains très acclamés, ndlr), et je suis en train de travailler sur le cinquième, qui traite de la nouvelle réalité israélienne".
Q- Et quel est le diagnostic ?
R - Qu’Israël fonctionne avec de la vieille énergie, l’énergie de l’Holocauste, qui nous conduit à des conclusions erronées. Comme au sujet des menaces non-existantes sur nos frontières, ou au sujet de nos attentes irréalistes pour l’Aliyah de masse qui ne va pas arriver. On a abusé de cette vieille énergie pour établir la discrimination en série et un ordre social où on retrouve le « privilégié » et le "non-privilégié". En fait, nous avons atteint le point où nous pouvons devenir “normaux”, mais les privilégiés de cette société - les Juifs - ont à payer un prix élevé pour cette normalité : ils doivent renoncer à leurs privilèges. Même les plus modérés résistent. Ils choisissent de rester dans leur zone de confort.
(...)
Q- Alors que nous parlons, douze journalistes français et deux policiers ont été tués par des Musulmans, qui ont voulu "venger" de l’honneur de leur prophète dans les bureaux de Charlie Hebdo. Comment vous sentez-vous en tant que personne qui est également citoyen français dans ce qui semblait être un acte de défiance, et en tant qu’Israélien travaillant actuellement sur un tel partenariat ?
R- Je suis impressionné par la capacité des autorités françaises dans cette tragédie à rester loin des généralisations faisant référence à "tous les Musulmans et à tout l’Islam". Le défi européen est maintenant de travailler sur une conversation avec l’immense nombre de Musulmans en Europe pour créer une entité qui puisse être définie comme "l’Islam de l’Ouest". Je ne peux pas prévoir les implications de cette tragédie sur ce que j’essaie de faire, si ce n’est de constater le besoin de faire coopérer les peuples, au-delà des "bons" contre les "méchants", une division qui n’est certainement pas fondée sur la religion. Quant à ma double citoyenneté : je suis un universaliste. Mon "israélisme" ne me dispense pas de la responsabilité universelle. Israël ne peut pas s’attendre à la double loyauté des Juifs (par exemple Jonathan Pollard), tout en dénonçant la double responsabilité juive.
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Q- Je sais que votre engagement a reçu des réactions positives, mais je ne vois pas grand monde vous suivre.
R- Je ne suis plus en politique et par conséquent, je ne recherche pas l’amour et l’admiration. Mais je sais aussi que je suis l’un des rares en Israël qui puisse lancer un nouveau débat public. Vous savez que je suis un coureur de marathon, et je gère ma vie publique ainsi. Je suis ici pour créer une nouvelle plate-forme judéo-arabe et commencer un nouveau mouvement.
Q- Un nouveau parti politique ?
R- Je sais ce que je veux atteindre, je ne suis pas encore certain de la méthode.