Affiches, spots publicitaires à la radio et à la télévision… Tandis que la campagne référendaire bat son plein, pour ou contre la « relocalisation » des migrants en vertu de l’accord européen, des centaines de réfugiés espèrent un jour pouvoir passer les murs de barbelés érigés par Budapest à la frontière entre la Serbie et la Hongrie. À leurs risques et périls.
Frontière serbo-hongroise, envoyé spécial.- Ce sont les oubliés de la frontière. Syriens, Afghans, Pakistanais, Algériens, Marocains, Camerounais, Congolais, Maliens… En quarantaine dans des no man’s land entre la Serbie et la Hongrie, ils attendent au pied de la clôture de barbelés de pouvoir entrer dans l’espace Schengen. La liste est longue. L’appel a lieu une fois par jour, mais à n’importe quelle heure. Les familles ont la priorité. Trente personnes sont autorisées à passer dans un tourniquet et à pénétrer dans les « zones de transit » : quinze à Horgos-Röszke, quinze à Kelebija-Tompa. Sur un rempart formé de cinquante-deux conteneurs climatisés, policiers et soldats hongrois montent la garde. Cachés derrière des lunettes de soleil, ils observent le camp en Serbie. Tentes, huttes de branchages et de couvertures pour s’abriter contre le soleil et la pluie. Ce jour-là, à Horgos, on recense 264 personnes, dont 45 femmes et 122 enfants. Des ados jouent au cricket avec une batte taillée dans une planche. Le vent fait voler la poussière. Il est 18 heures, l’heure de la prière. Des hommes ont accompli leurs ablutions. Les ONG humanitaires ont donné les soins, distribué la nourriture, plié bagage.
La frontière entre la Serbie et la Hongrie © Marija Janković La frontière entre la Serbie et la Hongrie © Marija Janković
« Saviez-vous que les attaques de Paris ont été commises par des migrants ? Que depuis le début de la crise migratoire le harcèlement sexuel a augmenté ? Que plus de 300 personnes sont mortes en Europe dans des attaques terroristes ? » Panneaux d’affichage, spots publicitaires à la radio et à la télévision… De l’autre côté du rideau de fil de fer, le matraquage bat son plein. Un référendum est prévu le 2 octobre. Les citoyens hongrois devront se prononcer sur l’accueil de 1 294 réfugiés assignés à Budapest, selon l’accord entre les États membres de septembre 2015 ayant abouti à la décision de « relocaliser » par quotas cent soixante mille réfugiés en Europe. « Voulez-vous, oui ou non, que l’Union européenne décrète une relocalisation obligatoire de citoyens non hongrois sans le consentement du parlement ? » La campagne est enclenchée : « Seuls les Hongrois peuvent décider avec qui ils veulent vivre en Hongrie. »
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« Une question démagogique et populiste », estime Mark Kékesi, professeur de socio-psychologie à l’université de Szeged (sud de la Hongrie) et l’un des fondateurs de l’association de solidarité MigSzol. « Le Premier ministre, Viktor Orban, proclame que l’arrivée de réfugiés musulmans met en péril l’identité chrétienne de l’Europe. Il traite le problème d’un point de vue religieux et dogmatique. C’est devenu une affaire d’État. Toute la communication est centralisée à Budapest. À l’en croire, nous sommes sous le feu roulant de l’ennemi : les migrants du Moyen-Orient et les eurocrates de Bruxelles. Il s’agit bien sûr d’un coup marketing. Grâce à ce référendum, sa cote remonte dans les sondages. Entre-temps, le pays s’enfonce dans une crise grave — hausse du chômage, dégradation de l’enseignement, des soins de santé — et son parti (Fidesz-Union civique hongroise, national-conservateur) est éclaboussé par des scandales de corruption. »
« Dans les zones de transit, la procédure est parfois très expéditive », témoigne Omi, un Afghan de 17 ans, à Horgos. « Serbian police, no problem ? No problem, very good… » Dans ce cas, la Serbie est un pays sûr. « Go back to Serbia ! » Selon Budapest, dix-huit mille migrants ont traversé la « frontière sud » depuis le début de l’année. Talonné par son opposition qui demande à quoi bon avoir dépensé un million de dollars pour une « passoire », Viktor Orban a déployé les grands moyens. Depuis le 5 juillet, dix mille policiers et soldats patrouillent dans la zone : 175 kilomètres de barbelés coupants surveillés par des drones et des hélicoptères. Miradors, sentinelles… Les contrôles sont fréquents et les « migrants illégaux » qui se font attraper dans un rayon de huit kilomètres après la frontière – mais quel est le tracé précis de cette ligne ? – se font repousser manu militari de l’autre côté de la clôture, à un ou deux pas en deçà de la démarcation entre la Hongrie et la Serbie, sans autre forme de procès. Le 6 juillet, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a dénombré cent vingt expulsions. Le même jour, un pic de sept cents personnes a été enregistré au camp de Horgos, trois fois plus que d’habitude… En une semaine, deux mille cinq cents demandeurs d’asile potentiels ont été refoulés. Les appréhensions ont diminué à vue d’œil : une quinzaine par jour en août, contre cent cinquante en juin. « Seuls ceux qui ne sont pas informés tentent de franchir la clôture, à leurs risques et périls », commente un humanitaire de Médecins sans frontières (MSF).
Laszlo Toroczkai © Marija Janković Laszlo Toroczkai © Marija Janković
« Et pourtant, ça ne suffit pas ! » Laszlo Toroczkai est le maire d’Asotthalom, une bourgade agricole de trois mille âmes située entre Tompa et Röszke. Interdit d’entrée sur les territoires serbe, roumain et slovaque à cause de son activisme en faveur des Hongrois d’outre-frontières, ce fils de bonne famille (né Toth), athlétique et bronzé, est également connu pour avoir incendié avec ses troupes de choc la Télévision hongroise lors des émeutes antisocialistes à Budapest en 2006. Fan de Donald Trump, partisan des armes à feu, défenseur des « honnêtes citoyens hongrois », c’est lui le premier qui aurait lancé l’idée d’une barrière frontalière, à l’exemple de la grande muraille États-Unis-Mexique. « Mais la solution n’est pas parfaite, admet-il. Ce qu’il faut, c’est une clôture électrifiée, des projecteurs, des caméras, un système d’alarme… » Son profil Facebook attire plus de quarante mille visiteurs. Les photos qu’il poste de jeunes Afghans et Pakistanais capturés par « ses » gardes champêtres en tenue militaire font un tabac. « Des agents auxiliaires, assure-t-il. Cinq ou six hommes qui dépendent du gouvernement local, encadrés par la police… »
Zsolt, 38 ans, est un colosse aux muscles d’acier. Un « vrai », un « dur », un « tatoué ». Ancien videur de boîte de nuit, ce géant barbu est préposé depuis deux ans à la garde des propriétés rurales dans la commune d’Asotthalom. « Ce que j’aime, c’est la nature, dit-il. En ville, trop de junkies, trop de dealers. » Son nouveau job : protéger les frontières de l’Europe. Circuler à moto ou à bord d’un gros 4 x 4 dans les chemins sablonneux à l’affût de « migrants illégaux ». Il a fait ses classes en traquant les Albanais du Kosovo, l’hiver 2014-2015, quand un exode massif a vidé ce petit pays, qui venait de fêter les sept ans de son indépendance, de 10 % de la population. « Je travaille en solo. Si je surprends quelqu’un, je le conduis à la police. » Son uniforme paramilitaire n’est pas marqué à son nom, ni à son matricule. En août, il a fait « mauvaise chasse ». En juillet, il a épinglé vingt-cinq proies à son tableau. Avant, entre cinquante et cent… « Parfois, je tombe sur des jeunes entraînés à se battre, avoue-t-il. Là, je suis forcé de recourir à la violence. »
Zsolt © Marija Janković Zsolt © Marija Janković
« Des victimes de passages à tabac, nous en recueillons tous les jours, constate un responsable du Commissariat pour les réfugiés en Serbie. Bras cassés, morsures de chiens… La police ouvre une petite porte dans le grillage. On ne sait pas où ni quand. Ils ne préviennent jamais. Qui ? Combien de gens ? Ce matin, il y avait encore deux Kosovars… » Durant les six premiers mois de 2016, la Hongrie a enregistré plus de vingt-deux mille demandes d’asile, dont une majorité déposée par des Afghans (37 %) et des Syriens (15 %). Officiellement, à peine cent individus en situation irrégulière ont été renvoyés en Serbie. Parmi eux, trente-trois Serbes, vingt-six Kosovars et dix-neuf Albanais… Les autres, Syriens, Afghans, Irakiens ou Somaliens, tous ceux dont la demande a été rejetée dans les limbes juridiques des « zones de transit », ne comptent pas.
« Nous, les Africains, on passe toujours après. Même au camp, on mange les restes. » Basile est camerounais. Il traîne à Horgos depuis le début de l’été, après avoir quitté la Grèce. « Nous étions au nombre de vingt-huit, dont un Camerounais, trois Maliens et un Congolais. Nous avons cisaillé les barbelés et nous sommes entrés en Hongrie, en plein jour. Subitement, trois policiers nous ont interpellés. Les renforts sont arrivés. Ils nous ont pulvérisé du gaz sur le visage, craché dessus et donné des coups de matraque. Nous avons couru et nous sommes repassés par le trou dans le grillage, en nous écorchant les mains. Le frangin congolais a voulu récupérer son sac et ses téléphones. Un policier l’a suivi et a braqué son arme sur lui, comme s’il allait tirer. » Le 13 juillet, Human Rights Watch (HRW) publiait un rapport : « Des gens qui entrent en Hongrie sans autorisation, y compris des femmes et des enfants, ont été violemment battus et renvoyés de force de l’autre côté de la frontière. » À Belgrade, la capitale serbe, MSF a signalé une augmentation des blessés. Le 24 août, pour la première fois, le chef de la police nationale hongroise, Karoly Papp, a reconnu que des « hommes en uniforme » avaient fait subir de mauvais traitements aux réfugiés. Quatre poursuites judiciaires ont été engagées.
En mars 2016, l’Union européenne a confié à la Turquie la défense de sa frontière extérieure. Or, depuis le « putsch manqué » du 15 juillet, quelque chose a changé. Plus de quatre mille candidats ont débarqué à Chios, Leros, Lesbos, Samos. À peu près soixante mille réfugiés se trouvent dans une quarantaine de camps en Grèce. Beaucoup dorment dehors. Selon le secrétaire d’État à l’immigration, Ioannis Mouzalas, « environ quatre mille » ont refusé de demander l’asile et devraient poursuivre leur route vers l’Europe du Nord.
© Marija Janković © Marija Janković
La Bulgarie, qui a érigé une clôture de barbelés sur 130 de ses 259 kilomètres avec la Turquie, a demandé un renfort de trois cents hommes à Frontex. « J’espère que mes collègues européens sont conscients que la Bulgarie et la Grèce risquent d’être confrontées à un énorme problème » si l’accord UE-Turquie venait à être dénoncé, a averti le 12 août le premier ministre bulgare, Boïko Borissov, soulignant la « vulnérabilité » des deux pays. Selon le ministère serbe de la défense, en juillet-août, plus de trois mille migrants irréguliers ont été interceptés à la frontière avec la Macédoine, où les réseaux mafieux de passeurs ont été réactivés. La Serbie, dont la capacité d’accueil est évaluée à six mille places, compte aujourd’hui quatre mille six cents réfugiés. En Croatie, le ministère de l’intérieur a publié les photos d’un nouveau centre de transit, près de la frontière serbe, d’où les migrants seraient transférés à Zagreb, ou déportés en Serbie. La Slovénie a prévu de consolider sa barrière de barbelés avec la Croatie. À Ljubljana, les consultations entre le gouvernement et les ONG vont bon train, et les centres de réception, fermés en mars, ont rouvert.
« Maintenant, je ne sais plus quoi faire », soupire Golamat, un Afghan de 29 ans, échoué à Horgos après avoir connu Idomeni et les camps autour de Thessalonique. « J’étais 196e sur la liste, je suis 121e. Ça fait un mois que j’attends. J’ai peut-être vu dix hommes entrer dans la zone de transit, huit en sont ressortis par la petite porte… » Le 26 août, le premier ministre Orban a annoncé à la radio qu’il allait fortifier son arsenal sécuritaire : un second système de défense, « plus robuste », à côté de la « barrière à installation rapide ». Last but not least, on demande des surveillants pour la rentrée : à partir du 1er septembre, trois mille « chasseurs frontaliers » – non pas gardes-frontières – seront recrutés. « Des policiers, des soldats et des armes ! »