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  • Profession : chargeur de trottinettes, dernier-né des petits boulots de l’ubérisation
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/03/09/profession-chargeur-de-trottinettes-dernier-ne-des-petits-boulots-de-l-uberi

    Yacine, 39 ans, est chargeur de trottinettes, ou « juicer » – juice signifie électricité en argot anglais. Un nouveau petit boulot de l’ubérisation – la mise en relation, par des plates-formes numériques, de clients et d’indépendants – apparu en France à l’été 2018, quand des sociétés (sept aujourd’hui) ont commencé à semer leurs trottinettes électriques en libre-service dans les villes. Depuis novembre 2018, Yacine travaille pour l’entreprise américaine Lime, la marque au citron. Il n’est pas salarié, mais autoentrepreneur. Il ne reçoit pas de fiche de paie, mais une rémunération journalière qui dépend du nombre de trottinettes collectées dans la journée, rechargées à son domicile la nuit et redéployées au petit matin.

    Yacine n’a pas de patron, si ce n’est l’algorithme de l’application Lime sur son smartphone. C’est l’appli qui donne la marche à suivre : où trouver les trottinettes, où les replacer, combien elles rapportent (entre 5 et 6 euros l’unité). C’est aussi elle qui lui attribue une note de satisfaction dont dépend le nombre maximal de trottinettes qu’il est autorisé à recharger chaque jour. Un couac, un retard, et ce plafond baisse. La paye aussi.

    #Travail #Uberisation #Jobs_à_la_con #Autoentrepreneur #Néomanagement #Algorithmes

    • lemonde.fr
      Profession : chargeur de trottinettes, dernier-né des petits boulots de l’ubérisation
      Stéphane Lauer éditorialiste au « Monde »
      8-11 minutes

      Économie
      Où va le travail ?

      Avec le déploiement des trottinettes électriques en libre-service dans les villes, un nouvel emploi est apparu : celui de « juicer », ou chargeur de trottinettes.

      Par Aurélie Collas Publié le 09 mars 2019 à 08h40 - Mis à jour le 09 mars 2019 à 08h40

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      Yacine est « juicer », ou chargeur de trottinettes électriques, à Paris.
      Yacine est « juicer », ou chargeur de trottinettes électriques, à Paris. CYRIL ABAD POUR "LE MONDE"

      A bord de sa camionnette blanche, Yacine quitte Saint-Denis, dans la banlieue nord de Paris, pour rejoindre le centre de la capitale. Il est 14 heures, jeudi 21 février, et sa journée de travail commence : six heures de chasse aux trottinettes que les usagers ont laissées à moitié déchargées, ici ou là, au détour d’une rue. Six heures à tourner dans les artères de la ville comme un poisson dans un bocal. Saint-Michel, Raspail, Saint-Germain, puis encore Saint-Michel, Châtelet, Rivoli…

      Yacine, 39 ans, est chargeur de trottinettes, ou « juicer » – juice signifie électricité en argot anglais. Un nouveau petit boulot de l’ubérisation – la mise en relation, par des plates-formes numériques, de clients et d’indépendants – apparu en France à l’été 2018, quand des sociétés (sept aujourd’hui) ont commencé à semer leurs trottinettes électriques en libre-service dans les villes. Depuis novembre 2018, Yacine travaille pour l’entreprise américaine Lime, la marque au citron. Il n’est pas salarié, mais autoentrepreneur. Il ne reçoit pas de fiche de paie, mais une rémunération journalière qui dépend du nombre de trottinettes collectées dans la journée, rechargées à son domicile la nuit et redéployées au petit matin.

      Yacine n’a pas de patron, si ce n’est l’algorithme de l’application Lime sur son smartphone. C’est l’appli qui donne la marche à suivre : où trouver les trottinettes, où les replacer, combien elles rapportent (entre 5 et 6 euros l’unité). C’est aussi elle qui lui attribue une note de satisfaction dont dépend le nombre maximal de trottinettes qu’il est autorisé à recharger chaque jour. Un couac, un retard, et ce plafond baisse. La paye aussi.
      Etudiants ou salariés en quête d’un complément de revenu
      Yacine vient de récupérer deux trotinnettes à recharger.
      Yacine vient de récupérer deux trotinnettes à recharger. CYRIL ABAD POUR "LE MONDE"

      A voir les cernes dissimulés dans l’ombre de sa casquette, le boulot est éreintant. « On finit tard le soir, on commence tôt le matin, raconte ce père de trois enfants. Et puis c’est physique. Les trottinettes pèsent 20 kg. Je me suis musclé depuis que je fais ça ! »

      Ses efforts, dit-il, sont « récompensés » chaque matin, lorsqu’il reçoit son dû. Quarante trottinettes – son plafond actuel – rapportent à Yacine autour de 200 euros par jour, auxquels il faut soustraire les charges : l’amortissement du camion (acheté 3 500 euros), l’assurance, l’essence, l’électricité, les cotisations… A la fin du mois, il lui reste environ 1 800 euros.

      A 15 heures, l’application indique une trottinette déchargée sur un trottoir entre le pont des Arts et le pont du Carrousel. Yacine cherche à se garer, ne trouve qu’un arrêt de bus, met ses feux de détresse. Il risque une contravention, mais pas le choix. Le stationnement gênant fait partie des risques du métier dont il doit endosser l’entière responsabilité : « Si je ne fais pas ça, je ne travaille pas. » Arrivé au lieu indiqué, Yacine scanne le code de la trottinette. 5,80 euros dans la tirelire.

      Direction ensuite le boulevard Raspail, où deux trottinettes ont les batteries à plat. La première lui passe sous le nez : un autre « juicer » est en train de la monter dans son fourgon. La seconde a déjà filé. La concurrence entre chargeurs est de plus en plus forte à mesure que leur nombre s’accroît.

      « Ce job permet de travailler dehors, d’être libre de son temps, de ne pas avoir de patron »

      Mais Yacine reste positif. « Faut pas se mentir, il n’y a pas que des inconvénients », assure-t-il. A 17 heures, de passage sur les quais, il sourit en contemplant les monuments longeant la Seine : « Voilà, c’est mon bureau ! » Yacine aime Paris et conduire. « Ce job permet de travailler dehors, d’être libre de son temps, de ne pas avoir de patron », explique-t-il.

      Son CV accumule les expériences d’autoentrepreneur : marchand, gérant d’un food truck, conducteur de taxi… En novembre 2018, lorsqu’il a entendu parler de l’activité de « juicer », il était au chômage. « C’est venu au bon moment, dit-il. Au début, Lime payait sept euros la trottinette. Je gagnais bien, j’envisageais de me développer, de prendre quelqu’un. » Mais loi de l’offre et de la demande oblige, le prix a baissé. « Sept euros, c’était honnête. Cinq euros, c’est juste. Je pense chercher autre chose. »

      En réalité, peu de chargeurs de trottinettes vivent de cette activité. Beaucoup sont étudiants ou salariés à la recherche d’un complément de revenu. C’est le cas de Yazid, gardien d’immeuble. « Je fais ça quand je peux, quand je vois quelques trottinettes le soir dans le quartier, raconte-t-il. Je prends ma voiture, j’en mets cinq dans le coffre et les branche dans le salon. » Montant du gain : 25 à 30 euros par nuit. « Ça évite d’être dans le rouge. »
      « Je ne pense pas qu’on puisse en vivre »

      « Au début, c’était amusant, comme lorsqu’on cherche des Pokémon dans le jeu Pokémon Go ! », explique Jason. Sauf que cet étudiant n’a pas trouvé de « nid » (zone de dépôt) près de chez lui pour replacer les trottinettes le matin. Il a laissé tomber au bout d’un mois.

      Anis, un chômeur de 22 ans, conclut, à l’issue de trois mois d’expérience, à une « super arnaque » : « Une fois payés la location du camion, du local pour charger les trottinettes, le plein d’essence, il ne restait quasiment rien des 100 euros que j’avais gagnés dans la journée. »
      Chaque nuit, sur le parking de son immeuble à La Courneuve (Seine-Saint-Denis), Yacine recharge dans son camion plus de 40 trottinettes.
      Chaque nuit, sur le parking de son immeuble à La Courneuve (Seine-Saint-Denis), Yacine recharge dans son camion plus de 40 trottinettes. CYRIL ABAD POUR "LE MONDE"

      « Cette activité ne me choque pas tant qu’elle reste un job d’étudiant, estime Grégoire Leclercq, cofondateur de l’Observatoire de l’ubérisation. Le problème, c’est quand on la propose à des gens qui cherchent un revenu décent. Là, on les piège. D’abord, parce qu’à l’exception d’une minorité qui industrialise l’activité, je ne pense pas qu’on puisse en vivre. Ensuite, parce que ces personnes n’ont pas la protection sociale qu’offre un contrat de travail. »

      « Toutes les sécurités constitutives du droit du travail n’existent pas pour ces gens-là »

      Pas de mutuelle, pas de chômage, pas de congés payés, pas de salaire minimum, pas d’indemnisation en cas de maladie ou d’accident du travail… « Toutes les sécurités constitutives du droit du travail n’existent pas pour ces gens-là », renchérit Karim Amellal, auteur de La Révolution de la servitude (Demopolis, 2018). Pour les sociétés du secteur, le recours à des indépendants permet de disposer d’une main-d’œuvre à moindre coût. Contacté, Lime n’a pas donné suite à nos sollicitations.

      Il est 20 heures. Dans le centre de Paris, le trafic des livreurs Deliveroo à vélo et des chauffeurs privés bat son plein. Yacine s’arrête à Châtelet et fait le bilan. Il a trente-deux trottinettes dans son camion. Il arrivera à atteindre les quarante en en ramassant quelques-unes sur le chemin du retour. Chez lui, il lui faudra une bonne demi-heure pour installer les branchements électriques. Puis il se réveillera à 4 h 30 pour déposer les trottinettes avant 7 heures dans Paris… et ainsi de suite, jusqu’à trouver une activité plus rentable.

      Le secteur, en tout cas, va continuer à se développer : un huitième opérateur vient d’annoncer, jeudi 7 mars, le déploiement de huit cents trottinettes à Paris, et d’autres sociétés devraient encore suivre.

      Aurélie Collas

  • Arnaud, Jessica, Faustine, et les lecteurs du Monde | Daniel Schneidermann
    https://www.arretsurimages.net/chroniques/le-matinaute/arnaud-jessica-faustine-et-les-lecteurs-du-monde

    Armée de ces édifiantes leçons de vie, Faustine Vincent est allée faire réagir une sociologue et un spécialiste des inégalités. “Ceux qui sont choqués sont issus des classes supérieures [surreprésentées parmi les lecteurs du Monde]. Cela relève d’une haine sociale et d’un mépris de classe” estime Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités. Quant à Arnaud et Jessica, « ils appartiennent à une catégorie de plus en plus identifiée : les classes moyennes fragiles, explique Jeanne Lazarus. Ils cherchent à s’accrocher au mode de vie de la classe moyenne : être bien habillé, avoir une part de plaisirs, ne pas être uniquement dans la contrainte. » Or, ce que leur renvoient les commentaires, c’est qu’ils ne devraient pas s’autoriser ces “petits plaisirs”. “C’est très violent, socialement. C’est une façon (...)

    • Arnaud, Jessica, Faustine, et les lecteurs du Monde - Par Daniel Schneidermann | Arrêt sur images
      https://www.arretsurimages.net/chroniques/le-matinaute/arnaud-jessica-faustine-et-les-lecteurs-du-monde

      C’est l’histoire d’un couple de Gilets jaunes, Arnaud et Jessica, rencontrés par Le Monde à Sens, dans l’Yonne. Il est cariste dans l’aéronautique, elle est mère au foyer, où elle s’occupe de leurs quatre enfants. Ils sont à découvert dès le 15 du mois. A Faustine Vincent, journaliste au Monde, ils ont dévoilé leur budget. Son salaire net, à lui, de 1493 euros. Leurs 914 euros mensuels d’allocations familiales. Et les APL. Et la prestation d’accueil du jeune enfant. Et leurs conclusions : ils n’y arrivent pas. Le reportage est paru le 15 décembre.

      Aussitôt, dans les commentaires du journal, les lecteurs se sont déchainés contre le jeune couple, et accessoirement contre la journaliste qui en a fait une incarnation du mouvement. Dans le viseur des lecteurs du Monde, deux signes extérieurs de richesse : le chien, et les vêtements de marque que les jeunes parents persistent à offrir à leurs enfants ("les enfants sont tellement méchants entre eux s’ils ont des sous-marques" disait Jessica). Aux yeux des lecteurs, Arnaud et Jessica sont de faux pauvres, de mauvais pauvres, qui ne savent pas gérer leur budget. C’est le sens de la grande majorité des 1087 commentaires (à l’heure où j’écris).

      Outre la moisson de souvenirs personnels (c’est fou le nombre de lecteurs et lectrices qui ont porté les anoraks de leur grande soeur, ou les pulls moches tricotés par leur maman) , c’est une profusion de diagnostics psycho-sociologiques -"le problème de cette famille semble effectivement le manque d’intégration sociale, de capital relationnel, de modèle et d’ambition bien plus que le manque d’argent" de conseils de vie -"Si ils le voulaient, ils pourraient revenir a l’ecole en cours du soir et se former, ce qui leur donneraient de meilleures perspectives d’emplois avec de meilleur salaires" "Ce couple exige davantage de la solidarité nationale mais pourrait organiser une garde partagée avec d’autres pour permettre à la mère de travailler à temps partiel" "Quand on n’est pas capable de faire vivre plusieurs enfants, on ne les créent pas." ou de tutos-conso : "Indécent, c’est bien le mot à employer. Des forfaits de téléphone à meilleur prix existent. Les vêtements de marque ? Mais on rêve ! Il existe d’excellents vêtements hors des grandes marques et abordables". 

      Armée de ces édifiantes leçons de vie, Faustine Vincent est allée faire réagir une sociologue et un spécialiste des inégalités. "Ceux qui sont choqués sont issus des classes supérieures [surreprésentées parmi les lecteurs du Monde]. Cela relève d’une haine sociale et d’un mépris de classe" estime Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités. Quant à Arnaud et Jessica, « ils appartiennent à une catégorie de plus en plus identifiée : les classes moyennes fragiles, explique Jeanne Lazarus. Ils cherchent à s’accrocher au mode de vie de la classe moyenne : être bien habillé, avoir une part de plaisirs, ne pas être uniquement dans la contrainte. » Or, ce que leur renvoient les commentaires, c’est qu’ils ne devraient pas s’autoriser ces "petits plaisirs". " C’est très violent, socialement. C’est une façon de dire qu’ils doivent se satisfaire de leur place ", poursuit la sociologue.

      Ce second article, titré " Pourquoi le quotidien d’un couple de Gilets jaunes dérange les lecteurs du Monde ", a explosé le record des commentaires du premier : 1303 (toujours à l’heure où j’écris). En appel, le commentariat du Monde confirme son verdict contre Arnaud et Jessica. Quant à Faustine Vincent, elle voit sa peine aggravée, sur le mode " est-il logique qu’une journaliste du Monde se permette de donner des leçons à son lectorat qui paye pour son salaire ? " (je n’invente pas, c’est le deuxième commentaire par ordre antechronologique ce matin).

      Il arrive souvent, dans la presse en ligne, que les commentaires soient aussi intéressants que les articles commentés : c’est le cas ici. Ce torrent de réactions illustre parfaitement ce que nous décrivions dans notre deuxième émission sur les Gilets jaunes, avec Emmanuel Todd : le décrochage entre les "petites" classes moyennes, hantées par la chute dans la paupérisation (où elles ne sont pas encore) et ceux qui n’ont pas besoin de regarder les étiquettes de prix au supermarché. Simple décrochage ? Incompréhension, plutôt, hostilité, voire guerre froide. La télé n’a cessé, depuis un mois, de montrer la "violence" des Gilets jaunes. Arnaud et Jessica nous révèlent la violence silencieuse de tous les sans-gilet.

      Accessoirement, si je peux me permettre un mot personnel, cela me confirme dans la conviction qu’il faut savoir déplaire à ses lecteurs. C’est une marque de respect envers eux.

      Pourquoi le quotidien d’un couple de Gilets jaunes dérange les lecteurs du Monde
      https://seenthis.net/messages/745927

    • L’article du Monde sur le sujet :
      Pourquoi le quotidien d’un couple de « gilets jaunes » dérange des lecteurs

      Le portrait, dans « Le Monde », de jeunes parents mobilisés dans le mouvement a suscité un déluge de commentaires désobligeants à leur égard.

      Par Faustine Vincent Publié aujourd’hui à 14h28, mis à jour à 16h07

      Dès la parution de l’article du Monde, ce fut un déferlement. Le portrait d’Arnaud et Jessica, un couple de jeunes parents mobilisés dans le mouvement des « gilets jaunes » et témoignant de leurs fins de mois difficiles, a suscité plus de 1 000 commentaires sur le site du Monde, et des centaines d’autres sur Twitter et Facebook.

      Une écrasante majorité d’entre eux expriment une grande hostilité à l’égard du mode de vie de cette famille, installée dans l’Yonne. Tout leur est reproché : le fait qu’ils aient quatre enfants à 26 ans, qu’ils touchent 914 euros d’allocations familiales, que la mère ne travaille pas – même si c’est pour éviter des frais de garde trop élevés –, le montant de leurs forfaits téléphoniques, le fait qu’ils aillent au McDo, qu’ils achètent des vêtements de marque à leurs enfants, et même qu’ils aient un chien.
      Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Gilets jaunes » : Arnaud et Jessica, la vie à l’euro près

      La virulence des commentaires sur Internet n’est ni une nouveauté ni représentative de l’ensemble de la population. Pour autant, le déluge d’attaques dont le couple fait l’objet interroge. Pourquoi tant d’hostilité ? « Si l’article était paru dans la presse locale, cela n’aurait pas suscité de réaction, car c’est ce que les gens vivent. Il décrit simplement le quotidien d’une famille populaire, observe Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités. Ceux qui sont choqués sont issus des classes supérieures [surreprésentées parmi les lecteurs du Monde]. Cela relève d’une haine sociale et d’un mépris de classe », estime-t-il. Parmi les commentateurs figurent également des partisans d’Emmanuel Macron. L’un d’eux affirme ainsi que « rien ne démontre que la politique menée par [le président] et son gouvernement leur ait enlevé un centime de pouvoir d’achat ».
      « Ils ne savent pas gérer leur budget »

      Beaucoup ont sorti leur calculatrice pour se pencher sur les comptes du jeune couple, en additionnant le salaire d’Arnaud (1 493 euros) et les aides dont il bénéficie, moins les dépenses figurant dans l’article – lequel ne se voulait pas exhaustif et ne mentionnait donc pas certains frais comme la cantine des enfants, les transports en commun, la mutuelle, la redevance télé, l’abonnement à Internet, etc. Or, une fois le calcul fait, les lecteurs sont formels, « ils ne savent pas gérer leur budget ».

      « Désolé, mais je n’arrive pas à comprendre, écrit l’un d’eux. Revenu total : 2 700 euros. Loyer + électricité : moins de 600 euros. Ça fait donc plus de 2 100 euros pour faire vivre 2 adultes + 4 jeunes enfants. Moi aussi je regarde les prix et il n’est pas compréhensible d’être à découvert dès le 15 du mois. » La question les taraude : que font-ils du reste ?
      Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Les classes sociales n’ont jamais disparu. Avec les “gilets jaunes”, elles redeviennent visibles »

      « Se demander si les pauvres ne font pas n’importe quoi avec leur argent est une question très ancienne », rappelle Jeanne Lazarus, sociologue au CNRS. Elle a émergé au XIXe siècle lors de la révolution industrielle, lorsque les familles d’ouvriers ont quitté les campagnes, où l’argent liquide ne circulait quasiment pas, pour les villes. « Les patrons ont alors réfléchi à la façon de leur donner de l’argent, craignant qu’ils dépensent tout en boisson. » Gérer correctement son budget repose alors sur une logique érigée en modèle : savoir faire des restrictions et planifier le futur. Il s’agit d’être « raisonnable », d’agir « en bon père de famille » – une notion supprimée du droit français en 2014.

      Ces accents paternalistes se retrouvent chez certains lecteurs ayant ausculté les comptes du jeune couple. « Il y a dans ces commentaires un rapport de classe très fort, analyse Mme Lazarus. C’est une façon de dire : “Nous, nous savons bien ce qu’il faut faire avec l’argent, car nous en avons plus, et ne faisons pas n’importe quoi.” »
      « Faux pauvres » ou « mauvais pauvres »

      D’autres vont plus loin en les accusant d’être de « faux pauvres ». Avec ses 2 687 euros de revenus, aides incluses, la famille de Jessica et Arnaud se situe pourtant juste en dessous du seuil de pauvreté, fixé à 2 770 euros pour ce type de famille, selon l’Insee. « A titre de comparaison, le revenu médian, pour un foyer de deux adultes et quatre jeunes enfants, est de 4 300 euros, rappelle Louis Maurin. On est donc très loin des revenus de ce couple. Mais les gens ne se rendent pas compte des niveaux de vie de la population française. » Et, comme il s’agit d’argent, tout le monde a un avis. « Les gens adorent en parler, surtout de l’argent des autres, car ils peuvent se projeter et ont l’impression de pouvoir classer les gens plus facilement », explique Jeanne Lazarus.
      Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Gilets jaunes » : la révolte des ronds-points

      Avec Jessica et Arnaud, la curiosité se double de la conviction d’avoir un droit de regard sur leurs finances puisqu’une partie importante de leurs revenus vient des allocations, versées grâce aux impôts de la collectivité. Les choix qu’ils font au quotidien irritent d’autant plus que l’argent venant des aides est considéré comme « peu légitime, non mérité, contrairement à celui qui vient du travail », selon la sociologue.

      « Ma compagne et moi payons (avec plaisir) environ 1 200 euros d’impôts par mois… Je ne suis pas sûr d’être content d’apprendre qu’ils servent à ce couple à se payer des forfaits trop chers et des vêtements de marque. Cette révolte [des “gilets jaunes”] est définitivement celle des assistés », écrit ainsi un lecteur. Les classes supérieures bénéficient pourtant, elles aussi, d’aides – tout le monde a notamment droit aux allocations familiales –, mais elles sont moins visibles dans l’immédiat, parce qu’elles passent beaucoup par la défiscalisation.

      Au final, si ces « gilets jaunes » agacent tant une partie des lecteurs, c’est parce qu’ils sont à leurs yeux de « mauvais pauvres » faisant de « mauvais choix ». C’est déjà ce qui était reproché, dans un autre contexte, à une habitante de La Courneuve (Seine-Saint-Denis), que la reporter du Monde Aline Leclerc avait rencontrée en 2010. Les lecteurs s’étaient plus offusqués de voir qu’elle avait un écran plat chez elle malgré ses petits revenus que de savoir que des trafiquants avaient tiré des coups de feu en bas de son immeuble.

      « C’est très violent, socialement »

      Ce que revendiquent Jessica et Arnaud apparaît ainsi comme illégitime aux yeux des commentateurs. Car, au fond, ce que le couple demande, comme tant d’autres « gilets jaunes », c’est de pouvoir vivre sans se serrer la ceinture en permanence, comme nous l’avons beaucoup entendu autour des ronds-points.

      « Ils appartiennent à une catégorie de plus en plus identifiée : les classes moyennes fragiles, explique Jeanne Lazarus. Ils cherchent à s’accrocher au mode de vie de la classe moyenne : être bien habillé, avoir une part de plaisirs, ne pas être uniquement dans la contrainte. Et quand tout s’effrite, c’est par la consommation qu’on trouve une place dans la société. » Or, ce que leur renvoient les commentaires, c’est qu’ils ne devraient pas s’autoriser ces « petits plaisirs ». « C’est très violent, socialement. C’est une façon de dire qu’ils doivent se satisfaire de leur place », poursuit la sociologue.

      Recontacté après la parution de l’article, Arnaud assure que les commentaires virulents « lui passent complètement au-dessus ». A ceux qui les jugent, il répond simplement ceci : « Si les gens veulent échanger, je prends leur vie sans hésiter. »

      Faustine Vincent
      https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/12/20/pourquoi-le-quotidien-d-un-couple-de-gilets-jaunes-derange-une-partie-des-le

  • Accusé d’avoir forcé un patron de bar à lui baiser les pieds, le commissaire se défend - Le Parisien
    http://www.leparisien.fr/faits-divers/accuse-d-avoir-force-un-patron-de-bar-a-lui-baiser-les-pieds-le-commissai

    Parole contre parole. Et désormais plainte contre plainte. Selon nos informations, le commissaire de La Courneuve (Seine-Saint-Denis), Emmanuel Boisard, vient de déposer plainte auprès du parquet de Bobigny pour « dénonciation calomnieuse » et « diffamation ». Ce même parquet avait été saisi début août par Temim Ben Abdallah, un patron de bar du Bourget, lequel accusait le commissaire Boisard de l’avoir forcé à s’agenouiller pour lui baiser les pieds, lors d’un contrôle de police le 19 juillet dernier.

    Dans cet imbroglio, révélé par le Point, une seule chose est certaine : sur les images tournées par la vidéosurveillance, désormais en possession des enquêteurs de l’IGPN - la police des polices -, on distingue bien Temim Ben Abdallah à quatre pattes, le nez sur les chaussures du commissaire. Mais en l’absence de son, le pourquoi de cette étrange position reste un mystère.

    Pour Temim Ben Abdallah, patron de la Sirène, désormais défendu par Me Yassine Bouzrou, ce dérapage est l’aboutissement d’un processus de harcèlement débuté à l’automne 2016, lorsqu’il a repris cet établissement. L’homme dénonce un climat de violences policières à son encontre. C’est que, depuis cette date, les forces de l’ordre le soupçonnent d’abriter un trafic de stupéfiants, ainsi que de la prostitution.

    Ce 19 juillet au soir, d’après le patron de bar, il se trouve dans l’arrière-cour du café aux côtés d’un gardien de la paix et du commissaire Boisard, lors d’un contrôle diligenté sur réquisition du parquet. « Le second en deux ans, ni plus ni moins qu’un autre établissement », rappelle une source policière.

    Emmanuel Boisard aurait déclaré au cafetier qu’il savait qu’il « l’insultait par derrière. » Et lui aurait alors ordonné, en guise de représailles, de s’agenouiller pour lui embrasser les pieds. « Effrayé par les conséquences que son refus pourrait avoir », selon les termes de sa plainte, que nous avons pu nous procurer, le patron de bar « était alors contraint de s’exécuter ».
    Une seconde procédure pour « intimidation »

    Une semaine plus tard, selon le même, trois policiers de La Courneuve se seraient à nouveau présentés dans son établissement, cette fois pour le « convaincre » de ne pas donner de suites judiciaires à l’affaire. Temim Ben Abdallah, après avoir contacté l’IGPN dès le lendemain des faits, a alors lancé une seconde procédure le 1er août, cette fois pour « menaces ou actes d’intimidation en vue de déterminer une victime à ne pas déposer plainte ».

    Me Bouzrou, qui n’a pas souhaité faire de commentaire, indique dans sa plainte que son client est « particulièrement choqué, et a ainsi consulté un médecin qui lui a diagnostiqué un trouble anxio-dépressif ». De fait, de source proche du dossier, on reste circonspect sur la stabilité de l’intéressé. « Il s’est précipité sur les pieds du commissaire, en faisant des jérémiades », décrit un témoin de la scène. Une autre source relève que la Sirène, dont les riverains se plaignent des nuisances, a fait l’objet d’un mois de fermeture administrative en février, suite à « l’emploi d’étranger sans titre » découvert lors d’un premier contrôle à l’automne dernier.

    Quant à Emmanuel Boisard, ses collègues prennent sa défense. « C’est un gars nerveux, qui lâche rien et peut aller au clash verbalement, commente un fonctionnaire qui le croise régulièrement. Il a d’ailleurs déjà eu des soucis pour ça. Mais l’imaginer faire un truc comme ça, franchement, non, je n’y crois pas.

  • Logement : les révoltants abus de la « division pavillonnaire » - Le Parisien
    http://www.leparisien.fr/economie/logement-les-revoltants-abus-de-la-division-pavillonnaire-21-08-2017-7203

    ❝La division pavillonnaire consiste à acheter des maisons pour y créer plusieurs logements... pas toujours décents.

    La rue Guy-Môquet à La Courneuve (Seine-Saint-Denis) ressemble à une rue d’un quartier résidentiel comme un autre. La porte blindée d’une maison s’ouvre et Saïd nous fait découvrir son logement, l’un des deux, aux faux airs d’ancien grenier, situé au deuxième et dernier étage du pavillon.
     
    Cet agent de sécurité de 35 ans partage avec son épouse et ses trois enfants, de 2, 11 et 14 ans, cet appartement de 28 m² loué 700 euros par mois. Non seulement la famille est à l’étroit, mais elle vit dans un logement insalubre. En témoignent le mur donnant sur l’extérieur couvert de moisissures à cause de l’humidité, les planches clouées au mur pour séparer sommairement le salon de la chambre, et le plafond de la salle de bains tapissé de taches noirâtres.

    « C’est invivable, on en a marre de vivre ici », s’exaspère Saïd qui a emménagé dans ce pavillon de La Courneuve depuis son arrivée d’Algérie en 2012. Mais ses demandes au droit au logement opposable — la loi du 5 mars 2007 permet aux personnes mal logées de faire-valoir leur droit à un logement décent — ou de 1 % logement n’ont obtenu aucune réponse. « Dans ce pavillon, le propriétaire a aménagé jusqu’à neuf logements », explique Jennifer Belkadi, chargée de l’hygiène à la ville de La Courneuve. Sur place, il en reste encore six alors que le propriétaire a été condamné en 2014 pour avoir proposé des hébergements « dans des conditions de suroccupation manifeste ». Il a écopé de quinze mois de prison avec sursis et de 20 000 euros d’amende. Ce qui ne l’a pas empêché de continuer.

    Une pratique légale si elle est déclarée et si les locaux sont décents

     
    Les maisons individuelles ainsi divisées en plusieurs logements se multiplient. La « division pavillonnaire », dans le jargon administratif, permet de s’enrichir facilement grâce aux loyers et de revendre plus cher son bien. Une pratique légale, à condition de proposer des logements décents et de respecter le plan local d’urbanisme (PLU). En réalité, le phénomène « pose un problème de spéculation et de logements insalubres », souligne Gaylord Le Chéquer, adjoint à l’urbanisme de Montreuil (Seine-Saint-Denis).
     
    Les abus se concentrent dans les zones où se croisent « forte demande de la part des populations défavorisées et beaucoup de biens à des prix d’acquisitions faibles », signale Anne-Katrin Le Doeuff, directrice générale déléguée d’Espacité. Selon ce cabinet conseil spécialisé dans la politique de l’habitat, près de 120 000 logements seraient issus de la division pavillonnaire en France entre 2003 et 2013.
     
    « Un chiffre fortement sous-évalué car il ne concerne que les logements déclarés », note Anne-Katrin Le Doeuff. Les Yvelines, le Val-d’Oise, le Val-de-Marne mais aussi le Nord et le Pas-de-Calais sont particulièrement touchés. En Seine-Saint-Denis, un quart environ des logements mis en location seraient issus de la division pavillonnaire.
     
    Mais ils sont difficiles à repérer. Les moyens sont souvent artisanaux. « Cela va du trop grand nombre de compteurs électriques à un nombre anormalement élevé d’élèves dans l’école voisine », raconte Corinne Cadays-Delhome, adjointe chargée du logement à La Courneuve. Quant aux locataires, « certains sont en situation irrégulière et ne souhaitent pas attirer l’attention », confie Jennifer Belkadi.
     
    Jusqu’à deux ans de prison en cas d’infraction

    Les propriétaires qui se transforment en marchands de sommeil en divisant illégalement leurs pavillons en appartements risquent gros : jusqu’à deux ans de prison et 75 000 euros d’amende. Mais les communes ont du mal à contrer ce phénomène, faute de moyens pour identifier les propriétaires indélicats. Depuis décembre 2016, la loi Alur oblige les propriétaires à demander une autorisation à la commune pour réaliser les travaux s’ils se trouvent dans une zone où l’habitat dégradé est important. Ils doivent aussi passer par la mairie pour obtenir un permis de louer et un permis de diviser.

    Afin d’enrayer la spéculation, Montreuil (Seine-Saint-Denis) veut imposer que « le quatrième logement issu d’une division soit un logement social », explique l’adjoint à l’urbanisme Gaylord Le Chéquer. Action Logement et l’Etablissement public foncier d’Ile-de-France réfléchissent aussi à une forme de réquisition de ces pavillons.

    #logement #DALO... (mis l’article entier car après 3 articles PL on est en paywall)

  • Entre le PS et les musulmans, rien ne va plus

    http://abonnes.lemonde.fr/religions/article/2015/12/19/debut-de-divorce-entre-les-musulmans-et-le-ps_4835056_1653130.html

    es régionales marqueraient-elles un début de divorce entre l’électorat musulman et la gauche, et plus particulièrement le Parti socialiste ? C’est une petite goutte dans l’océan quotidien de Twitter. Mais dans la semaine de l’entre-deux-tours des élections régionales, les hashtags #LeCopainPS (pas flatteur du tout pour ledit copain) et #PasDeJusticePasDeVoix (qui listait de nombreuses raisons de ne pas voter pour les listes socialistes) ont envahi les comptes de militants de l’anti-islamophobie. Une véritable campagne de défiance envers le gouvernement et sa politique à l’égard de la diversité et dans les quartiers.

    Lors du premier tour, c’est un tout petit pourcentage relégué au bas des résultats qui a attiré l’attention. En Ile-de-France, les listes de l’Union des démocrates musulmans de France (UDMF) ont réuni 0,40 % des voix. Récent, inconnu des électeurs et désargenté (7 000 euros en tout et pour tout pour faire campagne), le parti, né en 2012, n’a pu proposer des bulletins de vote partout et encore moins de propagande électorale. Pourtant, dans certaines communes, il a obtenu des résultats significatifs : 5,90 % à Mantes-la-Jolie (Yvelines) ; 4,38 % aux Mureaux (Yvelines) ; 4,44 % à La Courneuve (Seine-Saint-Denis). Si l’on descend au niveau des quartiers, on relève à certains endroits des pourcentages plus élevés, comme au nord de Poissy (Yvelines), avec près de 16 % des voix, affirme Najib Azergui, le fondateur de l’UDMF.

    Ces deux démarches sont différentes, mais elles semblent indiquer une amorce de rupture. Pourtant, ces dernières années, l’alliance entre les deux semblait solide. Aux élections présidentielles de 2007 et 2012, les électeurs musulmans, qui représenteraient environ 5 % du corps électoral, ont massivement soutenu la gauche. D’après une étude de l’IFOP de 2012, ils auraient ainsi voté, au second tour, « à 86 % pour François Hollande, soit plus de 34 points de plus que la moyenne nationale ». « C’est tout à fait massif, voire exceptionnel, note Claude Dargent, professeur à l’université Paris-VIII. Si l’on s’intéresse à la variable confessionnelle, ce sont traditionnellement les sans-religion qui sont les plus à gauche, et c’est de l’ordre de deux pour un. »

    « Une forme de protestation »

    Que faut-il déceler dans cette inclination à gauche ? Pour Jérôme Fourquet, de l’IFOP, la surreprésentation des jeunes et des milieux populaires dans la population musulmane n’est pas la clé de compréhension, « car les musulmans votent nettement plus à gauche que la moyenne des personnes du même âge et du même milieu ». Pour Claude Dargent, « la question est de savoir s’ils votent à gauche parce qu’ils sont d’origine immigrée ou parce qu’ils sont musulmans. Dans les enquêtes, quand on essaye de neutraliser les différents facteurs, on voit bien que tous les immigrés ne votent pas à gauche. Mon hypothèse, c’est que le fait d’adhérer ou de revenir à l’islam est une forme de protestation par rapport aux discriminations dont ces personnes font l’objet en tant qu’immigrés ».

    En outre, ce vote appuyé en faveur de François Hollande trouve une explication dans la présence, face à lui, de Nicolas Sarkozy. En agissant comme un repoussoir, après avoir tenu, durant son quinquennat, un discours offensif à l’égard de l’islam et des banlieues, il a été un véritable facteur de mobilisation à gauche. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Un autre processus est à l’œuvre.

    « Insatisfaction »

    Dans l’ouvrage collectif Karim vote à gauche et son voisin vote FN (éditions de l’Aube et Fondation Jean-Jaurès, 192 p., 17,80 euros), dirigé par Jérôme Fourquet et fondé sur l’analyse des votes selon la récurrence de prénoms d’origine « arabo-musulmane » sur les listes d’électeurs, un décrochage est observé dès les municipales de 2014. « Les musulmans n’ont pas vu le changement en matière de logement, de pouvoir d’achat, de chômage, d’insécurité… analyse Jérôme Fourquet. On est sur un mouvement de fond, une insatisfaction qui touche plus particulièrement cet électorat car il est plus fragile socialement. »

    Cette déception est flagrante du côté des militants anti-islamophobie. Marwan Muhammad, ancien porte-parole du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), dont un tweet a déclenché la vague #LeCopainPS, décrit ce mouvement :

    « Lorsque j’étais au CCIF [de 2010 à 2014], nous avions pour stratégie de maximiser la participation des électeurs musulmans pour, ensuite, pouvoir peser sur le débat politique avec les partis de gouvernement. Mais ces dernières années, surtout depuis l’arrivée de Manuel Valls à Matignon, il y a eu une politique de mépris. Non seulement le gouvernement ne prend pas en compte ce qui se passe sur le terrain, mais en plus la gauche essaie de se servir de ces électeurs en les appelant au secours au motif que “les autres sont pires”. Cela n’a jamais rien apporté aux quartiers. Le seul moyen de faire changer les choses, c’est d’envoyer des signaux de choc, de rupture. La gauche a tout à prouver si elle veut être à la hauteur. »
    « Plafond de verre »

    Les militants de l’UDMF ont choisi une autre voie mais leur constat n’est pas très éloigné. Les musulmans, affirme Najib Azergui, font « partie de la nation » mais sont « pourtant souvent perçus comme un groupe à part ». « Certains d’entre nous ont tenté de passer par les partis de gouvernement, explique-t-il. Mais ils se sont tous heurtés à un plafond de verre qui leur a interdit l’accès aux vraies responsabilités. En nous engageant dans les élections, nous voulons justement témoigner que nous sommes des citoyens comme les autres. Aujourd’hui, la réponse ne peut plus être seulement associative. Elle doit être aussi politique. »

    Pendant la campagne, les affiches de l’UDMF, pourtant peu nombreuses, se sont parfois retrouvées seules sur les panneaux dans certains secteurs de Seine-et-Marne et de Seine-Saint-Denis. De fait, la forte abstention souvent constatée dans les zones de fort peuplement musulman va de pair avec une faible présence des partis de gouvernement. « Les variables classiques d’abstention jouent à plein car c’est une population plutôt jeune et fréquemment en situation précaire ou sans-emploi », ajoute Claude Dargent. Aux municipales de 2014, « l’électorat “arabo-musulman” s’est massivement abstenu, ce qui a coûté cher à la gauche », confirme Jérôme Fourquet.

    En revanche, le rejet du Front national semble demeurer un facteur de mobilisation puissant. C’est ce qu’a constaté Amar Lasfar, le président de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF). Pour la première fois, dans le Nord et en Provence-Alpes-Côte d’Azur, l’UOIF a donné une indication de vote et appelé à faire barrage au FN au second tour. Selon lui, elle a été très suivie. Mais il n’y avait plus de liste socialiste pour recueillir leurs voix.

    Julia Pascual